Que dire à un patient atteint de la maladie de Huntington ? (Iere partie)

Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 5, octobre 2000 188
Aucun traitement de la
maladie de Huntington
n’est validé actuellement,
en dépit d’une recherche
intensive destinée à éluci-
der les mécanismes
conduisant à la mort neu-
ronale dans le striatum.
Pourtant, si les réponses
aux attentes des patients
restent un problème pour
les cliniciens qui doivent
faire face au pronostic de
la maladie et à l’absence
de traitement curatif vali-
dé, le paysage a considé-
rablement évolué depuis
la découverte du gène.
Contrairement à ce qui est
écrit, il y a moyen d’amé-
liorer l’état des patients
atteints de maladie de
Huntington, et le caractè-
re inexorable de l’évolu-
tion peut être inversé tem-
porairement par une
bonne prise en charge. La
question reste évidem-
ment de savoir jusqu’à
quelle durée ce temporai-
re peut s’étendre… mais
tout bénéfice est forcé-
ment bien pris par le
patient, sa famille et ses
médecins. Par ailleurs,
l’espoir de pouvoir traiter
un jour cette maladie se
profile au travers des différents essais thé- rapeutiques en France et à l’étranger, et la
manière de percevoir les patients et la
maladie s’est donc transformée avec l’ap-
parition notamment de consultations spé-
cialisées.
L’ e xpérience du terrain et les informations
tirées de la littérature permettent de dégager
quelques pistes concrètes de prise en charge.
Choc diagnostique
et réaménagements
quotidiens
La première chose à
prendre en compte, c’est le
caractère génétique de la
maladie. Dans la plupart
des cas, les patients ont vu
leurs proches (parents, fra-
trie, cousins) en mourir. Ils
savent donc quelles peu-
vent être les conditions de
fin de vie. Ils ont l’angois-
se de la grabatisation et de
la mort en institution,
inutile d’en rajouter et de
noircir le tableau. Bien
qu’ils se présentent sou-
vent à la recherche d’un
verdict, les patients
connaissent l’existence
d’essais thérapeutiques, et
leur objectif est avant tout
d’être rassurés et orientés
sur les possibilités de soins
qu’on peut leur apporter.
Le choc du diagnostic
génétique doit être atténué
par une préparation en
consultation spécialisée
(quand il s’agit de diagnos-
tic prédictif), ou par le
neurologue aidé par un
psychiatre ou un psycho-
logue si nécessaire, et, dans tous les cas,
par le maintien d’un suivi serré une fois
que le diagnostic est connu. Même infor-
més de leur diagnostic, les patients mettent
souvent en œuvre des mécanismes de
défense (déni partiel, rationalisation des
symptômes) qu’il convient de ne pas sous-
estimer.
* Service de neurologie,
hôpital Henri-Mondor
et Inserm U421, Créteil.
La maladie de Huntington est une maladie neurodégéné-
rative génétique, autosomique dominante à pénétrance
complète. Elle provoque inexorablement, à partir du
déclenchement des signes cliniques, une détérioration intel-
lectuelle, des désordres moteurs et des troubles
psychiatriques sévères. Elle débute à tout âge mais, préfé-
rentiellement, autour de 30-40 ans, c’est-à-dire qu’elle
atteint des adultes jeunes, en pleine activité professionnelle
et qui ont souvent des enfants en bas âge à élever. L’issue de
la maladie est fatale en 10 à 20 ans, le malade
s’éteignant – souvent par cachexie – dans un tableau de
rigidité posturale et de démence (1). Elle requiert une prise
en charge médicale, psychiatrique et sociale majeure avec
placement en institution des sujets jeunes et, du fait de son
caractère génétique, elle impose soutien et soin des
proches de la famille. Elle représente ainsi, malgré le
nombre modéré de patients atteints en France, un véritable
problème de santé publique du fait des placements
précoces et des comportements souvent agressifs des
patients. Le gène responsable de la maladie a été localisé
en 1993 sur le bras court du chromosome et le défaut
moléculaire révélé sous la forme de la multiplication d’une
séquence répétée de type CAG dans un gène (IT15)
codant pour une protéine appelée “huntingtine”, dont l’ac-
tivité est actuellement encore inconnue, même si l’on soup-
çonne son intervention dans certaines voies liées à
l’apoptose (2).
info-patients
Info-Patients
Que dire à un patient atteint
de maladie de Huntington ? (Ière partie)
A.C. Bachoud-Lévi*
L’éthique
au quotidien
189
Le caractère familial de la maladie impose
de prendre en compte non seulement les
patients mais aussi leurs familles. Un cer-
tain nombre d’informations répondant à
leurs demandes doivent être fournies au fil
des consultations. Les angoisses concernant
la maladie doivent être abordées explicite-
ment. Les patients les exprimeront rarement
d’eux-mêmes si on ne les y incite pas. Ils
doivent savoir qu’une amélioration est pos-
sible par une prise en charge globale et
structurée. L’efficacité de cette prise en
charge repose sur l’explication claire des
symptômes et du projet thérapeutique et sur
la participation active des patients à ce projet.
Très concrètement, le neurologue traitant
aura à gérer un certain nombre de difficultés
d’ordre psychologique, au premier rang des-
quelles on retrouve fréquemment les pro-
blèmes liés aux secrets familiaux, à la culpa-
bilité, à l’anticipation péjorative de la
maladie et à la honte. D’autres mécanismes
peuvent être évidemment en jeu et doivent
être analysés et traités individuellement.
Le secret de l’existence de la maladie de
Huntington dans la famille est particulière-
ment fréquent et dévastateur. Il est indispen-
sable d’en démêler les fils et d’en discerner
les effets afin de juguler les conflits fami-
liaux qui en découlent ou qui vont forcé-
ment en découler.
La culpabilité ressentie du portage du gène
et de sa transmission éventuelle aux descen-
dants alourdit le sentiment de fatalité et de
malédiction.
L’anticipation péjorative de leur avenir en
référence à ce qu’ils ont vu ou connu de
leurs parents et de leurs proches est l’une
des causes majeures d’anxiété ou de dépres-
sion chez les patients. Il est donc primordial,
à l’initiation de la prise en charge, de com-
prendre à quelles réalités ont été confrontés
les patients et ce qu’ils savent réellement de
la maladie. Peu à peu, il va falloir les ame-
ner à dissocier leur avenir de celui des
proches atteints, sachant qu’au sein d’une
même fratrie, certains patients peuvent avoir
des débuts plus ou moins précoces ou des
formes plus ou moins psychiatriques, cogni-
tives ou neurologiques. Il ne faut pas hésiter
à accepter l’idée que la maladie est “terri-
fiante” et “inacceptable”, et qu’il est donc
normal d’être terrorisé. À charge pour nous,
ensuite, de juguler la réaction de catastrophe
et de recadrer les soins pour conduire les
patients à reprendre leur vie, admettre leur
maladie, et se rappeler qu’ils ont une vie en
dehors du Huntington. Une des angoisses à
ce sujet est, pour des patients peu ou non
symptomatiques, de savoir quand le “comp-
te à rebours” va commencer. La médecine
n’est pas une science divinatoire, et même si
des statistiques sérieuses montrent une cor-
rélation entre l’âge de début et le nombre de
codons, il existe un certain nombre de
formes tardives comportant le même
nombre de codons que des formes débutant
vers 35-45 ans. Il est vraisemblable que,
outre le nombre de codons, d’autres fac-
teurs, dont des gènes modificateurs, peuvent
expliquer la variabilité d’expression phéno-
typique (âge de début, nature des manifesta-
tions…). La prudence suggère donc de ne
pas se hasarder à des pronostics sur l’évolu-
tion individuelle des patients. Il faut leur
expliquer les lacunes de nos connaissances
dans ce domaine.
La honte, souvent associée au portage du
gène, est encore renforcée par le regard des
autres lorsque les mouvements deviennent
trop importants. Parfois, le patient est
confronté à des réalités pénibles (contrôle
des papiers pour “ivresse”) et des humilia-
tions qu’il convient de contrecarrer par des
certificats circonstanciés dont le patient
peut se munir lorsqu’il se promène dans la
rue. Il faut toutefois rester prudent, car l’al-
coolisme est assez répandu parmi les
patients.
La prise en charge
des symptômes
La maladie de Huntington s’organise autour
de trois grands pôles symptomatiques :
moteur, psychiatrique et cognitif, mais
d’autres symptômes sont répertoriés. C’est
pourquoi la vision du patient doit être glo-
bale et, si possible, la prise en charge réali-
sée par des équipes multidisciplinaires ou
des réseaux de correspondants entraînés,
avec pour chaque type d’atteinte une orien-
tation thérapeutique spécifique.
La maladie et la prise en charge vont durer
longtemps, il faut donc aider les patients à
structurer l’organisation de leur quotidien
de manière à ce qu’ils puissent trouver
autour d’eux les aides dont ils risquent
d’avoir besoin le cas échéant. Les patients
ont tendance à l’isolement social ou fami-
lial : on doit les en informer afin de leur
donner les moyens de réagir. La reprise ou
le maintien des activités professionnelles,
lorsqu’ils sont possibles, sont souvent sou-
haitables, mais une réorganisation du
temps, autour de loisirs planifiés et en
dehors du cadre familial peut être tout aussi
efficace. Le patient doit être orienté sur des
activités extérieures structurées (mairie,
associations, rééducation). Outre les pro-
grès des patients, la rééducation (orthopho-
nie, kinésithérapie, Taï Chi Chuan…) joue
un rôle fondamental en permettant au
patient de ne pas rester enfermé dans sa
famille, de garder un lien avec l’extérieur si
sa mobilité est réduite (en particulier, avec
l’équipe soignante), et d’atténuer nombre
de conflits intrafamiliaux. L’objectif est soit
de préserver, soit de restaurer un tissu
social en essayant de conserver au maxi-
mum une indépendance par rapport à la
famille et au conjoint en particulier.
Les troubles moteurs
Les troubles moteurs peuvent être extrême-
ment variés : chorée au premier plan mais
aussi dystonie, bradykinésie, rigidité,
troubles de l’équilibre et de la marche et
dysarthrie. Peuvent s’y associer des signes
moins bien connus et parfois gênants :
apraxie, syncinésies d’imitation, tremble-
ment d’attitude, troubles oculomoteurs…
Pour tous ces symptômes, il n’y a pas actuel-
lement de traitement avéré. Très utilisés en
info-patients
Info-Patients
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 5, octobre 2000 190
France bien que peu à peu abandonnés dans
une indication antichoréique, les neurolep-
tiques ne diminuent les mouvements qu’au
prix d’une rigidité et d’une bradypsychie
importante. Ils ne sont, de ce fait, pas tou-
jours très bien tolérés par les patients, d’au-
tant que ceux-ci sont souvent moins gênés
par les mouvements que l’entourage qui les
regarde. Actuellement le seul traitement
validé dans cette indication est le tétrabéna-
zine (Nitoman®) disponible par ATU (autori-
sation temporaire d’utilisation hors AMM)
dans les pharmacies hospitalières. Le
Risperdal®(rispéridone) est rapporté dans
certaines publications comme pouvant
avoir un intérêt. De grands espoirs sont
fondés sur le riluzole, à l’essai actuelle-
ment aux États-Unis comme antichoréique
et apparemment efficace chez le singe. Si
les traitements médicamenteux semblent
pour le moins aléatoires actuellement, la
kinésithérapie, le Taï Chi Chuan, la relaxa-
tion, la marche une heure par jour amélio-
rent singulièrement l’état des patients.
L’aspect de rééducation des troubles postu-
raux et le contrôle moteur imposés par le
Taï Chi Chuan peuvent expliquer son
effet bénéfique sur les chutes. La chorée
étant augmentée en cas de stress ou de
fatigue, la relaxation peut réduire ces
deux facteurs. Les crampes accompa-
gnant souvent la dystonie sont bien cal-
mées par l’hexaquine ou les myore-
laxants.
L’atteinte cognitive
Les troubles cognitifs correspondent au
profil de démences dites sous-corticales
(3). Cela revient à dire, de manière très
caricaturale, que la maladie de
Huntington comporte des troubles de
mémoire améliorés par l’indiçage, des
troubles de l’attention et des fonctions
exécutives sans atteinte, en tout cas au
début, des autres fonctions instrumen-
tales. Les autres atteintes de type aphasie,
apraxie, troubles visuo-spatiaux n’appa-
raissent théoriquement qu’à des stades
plus sévères, mais la découverte du gène
Même informés de leur diagnostic, les patients mettent souvent en œuvre
des mécanismes de défense.
On retrouve fréquemment les problèmes liés aux secrets familiaux,
à la culpabilité, à l’anticipation péjorative de la maladie et à la honte.
L’anticipation péjorative de leur avenir en référence à ce qu’ils ont vu ou
connu de leurs parents et de leurs proches est l’une des causes majeures
d’anxiété ou de dépression.
La honte, souvent associée au portage du gène, est encore renforcée
par le regard des autres.
La maladie et la prise en charge vont durer longtemps, il faut donc aider
les patients à structurer l’organisation de leur quotidien de manière
qu’ils puissent trouver autour d’eux les aides dont ils risquent d’avoir besoin.
Les neuroleptiques ne diminuent les mouvements qu’au prix d’une rigidité
et d’une bradypsychie importantes.
À retenir… À retenir… À retenir…
a permis de détecter des formes atypiques
pour lesquelles un diagnostic
d’Alzheimer avait pu être porté à tort. La
rééducation orthophonique peut considéra-
blement améliorer la dysarthrie et les
troubles du langage en général. En particu-
lier, elle permet de maintenir un minimum
de communication chez des patients dont la
fluence se réduit progressivement jusqu’au
mutisme.
De plus, elle peut parfois, en fonction des
techniques utilisées, améliorer leurs straté-
gies de mémorisation et de planification, en
les aidant, par exemple, dans l’organisation
de leur quotidien par la tenue d’un agenda.
Références
1. Bird ED, Coyle JT, Chapter I.
Huntington’s disease. In Clinical
Neurochemistry. London : Academic Press
Inc, 1986 : 1-57.
2. Brouillet E, Peschanski M, Hantraye P.
Du gène à la maladie : la mort neuronale
dans la maladie de Huntington. Méd Sci
2000 ; 16 : 57-63.
3. Brandt J. Cognitive impairments in
Huntington’s disease: insights into the neu-
ropsychology of striatum. In : Boller F,
Grafman J, eds. Handbook of
Neuropsychology (Vol. 5). Amsterdam :
Elsevier pub, 1991 : 241-4.
La deuxième partie est à suivre
dans Les Actualités en Neurologie de novembre…
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