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D I T O R I A L
La main au quotidien
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ous avons choisi d’aborder, dans ce numéro,
trois pathologies de la main auxquelles sont
confrontés, quasi quotidiennement, tant le
médecin généraliste que le rhumatologue et le
chirurgien de la main. Il s’agit du canal carpien,
de l’arthrose digitale et de la rhizarthrose. À l’heure des
conférences de consensus, des références médicales opposables et des économies de santé, il nous paraît important
d’essayer de préciser la frontière qui sépare le traitement
conservateur du traitement chirurgical. Deux spécialistes
de notoriété internationale, le Pr Allieu et le Dr Saffar, m’ont
fait l’amitié de s’atteler, à mes côtés, à cette tâche de clarification.
Si l’histoire naturelle du canal carpien
est mal connue, il semble cependant
que les formes dysesthésiques nocturnes
puissent guérir spontanément dans environ
30 % des cas, justifiant pleinement une approche conservatrice. Dans ces formes débutantes, à côté de la classique
infiltration, il faut faire une place à l’orthèse de repos nocturne qui, dans notre équipe, a fait la preuve de son efficacité dans 86 % des cas.
Canal carpien
En cas d’échec et dans les formes plus sévères, le geste chirurgical doit être précédé d’un examen électrologique pour
affirmer le diagnostic et rechercher les pathologies associées. À la section du ligament antérieur à ciel ouvert s’est
progressivement substituée une voie endoscopique, dont les
avantages sont le confort postopératoire et une économie
de santé, du fait de douleurs péri-cicatricielles moins importantes, d’une récupération plus rapide de la force et d’un
arrêt de travail plus court. Encore faut-il souligner que seule
la technique avec voie d’abord antébrachiale, mise au point
par Agee, remplit ces critères tout en gardant une totale
innocuité, alors que la section par double voie comporte
une “courbe d’apprentissage” pavée de complications
* Strasbourg.
La Lettre du Rhumatologue - n° 256 - novembre 1999
Foucher*
graves et même irrémédiables du fait de l’âge habituel des
patients (atteinte du nerf médian ou du nerf cubital, atteinte
de l’arcade artérielle...).
Si l’arthrose digitale est de constatation
quotidienne, elle reste plus rarement un
motif de consultation. L’histoire naturelle des formes primitives est le plus souvent bénigne si l’on fait abstraction de l’arthrose “généralisée” (intéressant au moins trois niveaux) de Kellgren et
Moore, ou de la forme inflammatoire et érosive décrite par
Crain, d’évolution plus bruyante et agressive. Là encore,
l’attelle de repos nocturne se distingue par son efficacité.
En cas d’indication chirurgicale, les problèmes sont plus
simples aux deux extrémités de la chaîne digitale qu’en son
centre stratégique, représenté par l’interphalangienne proximale (IPP). Au niveau métacarpo-phalangien (MP), si l’on
met à part les rares accrochages du ligament latéral sur un
ostéophyte (qui se caractérisent par un “blocage” avec
impossibilité d’étendre passivement l’article), l’indication
chirurgicale naît, le plus souvent, de la raideur douloureuse
avec limitation de flexion, retentissant sur les articulations
MP voisines. Chez le sujet âgé, l’interposition d’une prothèse de Swanson donne environ 60° de mobilité indolore.
Au niveau de l’articulation interphalangienne distale (IPD),
l’indication chirurgicale reste rare, devant une persistance
de la douleur, l’apparition d’une instabilité et/ou de kystes
mucoïdes. Ce n’est qu’en cas de raideur associée que l’arthrodèse est aisément acceptée. L’indication chirurgicale
sur des critères esthétiques, souvent évoqués, doit être grandement tempérée par la fréquente récidive des nodules
d’Heberden (45 % à cinq ans dans notre expérience).
Le problème le plus délicat reste l’IPP dans le rhumatisme
de Bouchard. Les résections articulaires avec ou sans prothèse ne donnent, à long terme, que des résultats médiocres.
Nous avions recensé, dans la littérature, 2 211 prothèses de
Swanson (la plus fréquemment implantée au niveau IPP).
Pour 458 d’entre elles, la mobilité postopératoire active était
précisée et atteignait en moyenne 43° (avec un déficit d’ex-
Arthrose
digitale
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tension le plus souvent non précisé). Les complications
s’étaient avérées nombreuses : ankylose (14 %), infection
(6 %), résorption osseuse (27 % avec un recul de quatre
ans), fracture d’implant (3 %). Ainsi, globalement, on relevait 17 % d’échecs, 16,5 % de résultats considérés comme
insuffisants et 66 % de résultats dits “utiles”. On comprend
mieux alors que certains auteurs sacrifient la mobilité sur
l’hôtel de l’indolence en privilégiant l’arthrodèse. Cependant, dans notre expérience, la plupart des patientes conservent un secteur de mobilité suffisant, autour de 60°, et
consultent pour des douleurs. Il nous a semblé logique de
traiter symptomatiquement la douleur par dénervation articulaire (La main 1998 ; 3 : 55-60). Nous en avons décrit la
technique, qui s’effectue sous anesthésie locale et en ambulatoire, sans immobilisation postopératoire. Elle a été pratiquée sur 34 doigts chez 26 patientes âgées en moyenne de
67 ans, présentant une arthrose de Bouchard douloureuse
résistant au traitement conservateur, mais dont l’IPP était
stable et le siège d’un secteur de mobilité utile (en moyenne
62°). Les résultats sur la douleur, jugés sur une échelle
d’analogie visuelle, ont mis en évidence trois cas non améliorés, deux “récidives” douloureuses et 29 cas améliorés
(85 %) avec une diminution moyenne de la douleur de 88 %.
L’absence de parallélisme radiologique et clinique est également bien
Rhizarthrose
illustrée par la rhizarthrose. Dans l’expérience de notre équipe, qui comporte
deux médecins de médecine physique à temps plein, l’orthèse de repos nocturne est le traitement de première intention à tous les stades. Son efficacité a été de 94 % sur la
douleur (Main et Médecine orthopédique 1997 ; 34 : 3516). Les indications chirurgicales sont ainsi limitées, mais
claires. La rhizarthrose débutante de la femme jeune hyperlaxe est une indication précoce de la ligamentoplastie, qui
a montré son efficacité à plus de dix ans. Les formes résistant au traitement conservateur chez la femme de plus de
65 ans restent le champ d’élection de la prothèse (celle de
Swanson demeurant la plus populaire), qui se caractérise
dans ses suites postopératoires par une reprise fonctionnelle
rapide et indolente. Le risque, à long terme, de fragmentation du silicone avec synovite détruisant le carpe a fait disparaître son indication chez la femme plus jeune et chez le
travailleur manuel. La trapézectomie avec ligamentoplastie reste la solution chez la femme de 40 à 60 ans n’effectuant pas d’activité de force dans son travail ou ses loisirs.
Elle est suivie, contrairement à la mise en place d’une prothèse, de douleurs postopératoires variables persistant environ cinq mois, ce dont la patiente doit être informée avant
l’intervention. À long terme, dans notre expérience, les
résultats sont supérieurs à ceux de la prothèse sur la force
(amélioration moyenne de 12 % avec cinq ans de recul). Le
problème le plus difficile est celui des rares rhizarthroses
après fracture de la base du premier métacarpien et de la
rhizarthrose du travailleur manuel. L’arthrodèse n’a pas
démontré sa supériorité, et peut conduire à des contraintes
arthrogènes au niveau scapho-trapézien. L’ostéotomie d’abduction reste imprévisible, l’arthroplastie avec ligamentoplastie cède progressivement, le spacer de Swanson se fragmente ou se luxe, la prothèse cimentée se descelle et la
dénervation reste le plus souvent inefficace à cet âge...
Ainsi, ces pathologies fréquentes restent un sujet
de controverse, et les problèmes qu’elles posent sont loin
d’avoir été totalement résolus. Des études prospectives, randomisées, comparatives restent nécessaires à une meilleure
précision dans les indications, afin d’établir un contrat clair
avec le patient en tenant compte des nombreux facteurs
influençant la décision. L’évolution de la notion “d’information” du patient va nécessiter, pour chacun d’entre nous,
une connaissance plus exhaustive des travaux tant médicaux que chirurgicaux.
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Un sujet de controverse
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© mai1983 - EDIMARK S.A·
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Dépôt légal 4e trimestre 1999
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La Lettre du Rhumatologue - n° 256 - novembre 1999
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