e memoire guillaume coquelet

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Mémoire de recherche
Master 1 : « Métiers de l’Action Publique »
Sciences Po Lille
La prison ou ses alternatives ?
Sens de la peine et probation au prisme de l’action publique.
Guillaume COQUELET
Sous la direction de M. Pierre MATHIOT
Année universitaire 2014/2015
i
Guillaume Coquelet
La prison ou ses alternatives ?
Sens de la peine et probation au prisme de l’action publique.
Sous la direction de M. Pierre MATHIOT
Master 1 « Métiers de l’Action Publique »
Sciences Po Lille
2014/2015
ii
Sciences Po Lille n’entend donner
aucune approbation ni improbation
aux propos tenus dans le présent mémoire.
Ceux-ci sont propres à leur auteur.
iii
REMERCIEMENTS
-
Mes remerciements s’adressent tout d’abord à M. Pierre Mathiot pour avoir accepté
la direction de ce mémoire, et pour les réponses apportées à mes questions.
-
Je tiens ensuite à remercier le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation ayant
bien voulu m’ouvrir ses portes, et plus particulièrement les deux agents de probation
rencontrés en entretien. Par souci d’anonymat, ni le lieu ni les noms réels ne seront
mentionnés.
-
Merci, enfin, à Geneviève pour sa relecture avisée.
iv
« Je prenais grand soin de m’assurer que les inculpés
méritaient d’être placés sous probation et à cet effet
il fallait tenir compte des antécédents de l’individu »
John Augustus
v
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1
CHAPITRE 1 : LA PRISON, PEINE EN PERTE DE SENS
I - La consécration de la prison comme peine de référence
9
9
II – Justifier le recours à la prison ?
15
III – La situation française : la prison à la peine ?
24
CHAPITRE 2 : LA PROBATION, UN RENOUVELLEMENT DU SENS DE LA PEINE ?
32
I – Probation, alternatives… Les contours de la définition
32
II – La probation : extension du contrôle ou renouveau salutaire ?
41
III – La contrainte pénale, consécration totale de la probation en France ?
51
CHAPITRE 3 : QUELLE MISE EN ŒUVRE DE LA PROBATION ? L’ACTION DES SPIP
60
I – La lente mutation des services de probation et de ses effectifs : du travail social à
l’influence de l’administration pénitentiaire
60
II – Les services de probation enserrés dans les logiques de modernisation et de
rationalisation administrative
69
III – Le référentiel criminologique comme paravent aux impératifs gestionnaires
75
CONCLUSION GÉNÉRALE
86
vi
INTRODUCTION GÉNÉRALE
En 2001 paraissait un ouvrage intitulé « Et ce sera justice : punir en démocratie »,
écrit par Antoine Garapon, Frédéric Gros, et Thierry Pech. Son titre évocateur entremêle
des notions aussi vastes que celles de la justice, la peine, la démocratie, la sanction, la
volonté de vengeance, aussi. Une tension existe en effet dans nos sociétés démocratiques,
universalistes, humanistes. D’un côté, il est admis que la société doive sanctionner un
acte criminel ou délictueux, parce que ce dernier inflige une souffrance à la communauté
toute entière ou à un de ses membres en particulier. De l’autre, cette sanction ne doit pas
contredire les principes de dignité humaine, d’Etat de droit, et de réhabilitation. Il y a
donc dans la punition deux dimensions : celle de la sanction et celle de la réparation.
C’est donc toute la question du sens de la peine qui est posée pour permettre de
concilier ces intérêts. L’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
énonce : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
La peine doit avoir une fonction précise, et elle ne prend sens également que lorsqu’elle
est individualisée, adaptée à chacun. François Rigaux identifie quatre fonctions attachées
traditionnellement aux peines1 : la dissuasion, la neutralisation (par une diminution, au
moins temporaire, du risque de la récidive), la réinsertion sociale, et la rétribution à
l’égard de la société. Ces finalités renvoient aux justifications adossées aux sanctions
lorsque l’on cherche à les légitimer. Pour utiliser l’expression consacrée, c’est donner un
sens à la peine. Il faut à cet égard prendre ses distances avec tout discours
« mythologique ». Pour Nietzsche, le discours sur le sens de la peine ou l’histoire de celle-
1 François RIGAUX, La fonction de la répression pénale dans un ordre juridique, in Foulek RINGELHEIM
(dir.), Punir, mon beau souci, pour une raison pénale, Revue de l’Université de Bruxelles, 1984, p. 76-77.
1
ci n’est que l’histoire d’un discours qui vise à la justifier2. Chaque sanction prononcée est
toujours liée aux instincts des individus et à la configuration du pouvoir en place. Le sens
de la peine est moralement construit. Or pour Nietzsche, il n’y a pas de fondements
moraux à la morale. La punition n’est donc que l’expression d’une colère, d’une cruauté
et tout le reste n’est qu’une construction sociale a posteriori. En ce sens, Nietzsche
n’admettrait peut-être qu’une fonction rétributive de la peine. C’est la conception
défendue notamment par Kant3. Pour lui, la peine à infliger doit être douloureuse pour le
condamné. C’est le droit du souverain de punir celui qui lui est soumis. La peine est
tournée vers le passé, vers l’acte commis. Elle a une fonction d’expiation, de vengeance,
et non de dissuasion du criminel. Punir est un impératif moral : il faut faire souffrir celui
qui a commis une infraction à la hauteur de la gravité de son acte.
En plus de la fonction rétributive, d’autres types d’arguments viennent légitimer
le recours à la sanction. Il ne faut jamais perdre de vue ce discours perpétuel de
légitimation adossé à la peine. Les missions du service public pénitentiaire sont affirmées
comme suit dans la loi de 2009 : « Le service public pénitentiaire participe à l'exécution
des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui
sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité
publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des
personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l'individualisation et
l'aménagement des peines des personnes condamnées. »4 Ici le sens de la peine que tente
de fixer le service public pénitentiaire mêle des finalités de réinsertion, de dissuasion, de
neutralisation. Reste à voir comment ces objectifs se déploient concrètement, et par quels
instruments ils se donnent à voir et si l’entremêlement de ces notions ne les rend pas
incompatibles.
2 Jean-Charles FROMENT, L’oeil de Nietzsche. Dissertations politiques sur la prison, in ID. (coord.),
Administration et politique : une pensée critique et sans frontières, Grenoble, Presses Universitaires de
Grenoble, 2009.
3 Emmanuel KANT, Éléments métaphysiques de la doctrine du droit, 1896, Paris [1853], p. 201.
4 Article 2 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.
2
Avant cela, il faut en revenir aux fondements de notre système pénal. Celui-ci est
depuis le XIXe siècle centré autour de l’institution carcérale. En effet, face au caractère
ostentatoire et barbare des punitions traditionnelles infligées par le souverain, le recours
à l’enfermement avait pu paraître une peine plus juste, plus humaine, et surtout plus
efficace. La privation de liberté s’imposait alors comme le moyen de sanctionner
provisoirement l’individu déviant, tout en lui permettant de comprendre ses méfaits afin
de l’empêcher de les renouveler à sa sortie. Un idéal utilitariste de réhabilitation et de
progrès accompagnait la naissance de la prison. Très vite pourtant, le questionnement sur
la nature réelle de la prison, le doute sur ses vertus supposées, a émergé. Surveiller et
punir, publié en 1975, s’inscrivait dans une perspective abolitionniste puisque Michel
Foucault avait rejoint quelques années auparavant le Groupe d’information sur les prisons
(GIP), un mouvement d'action et d'information très critique sur la situation carcérale.
Foucault a percé à jour la logique interne de l’institution-prison, le pouvoir qu’elle exerce
sur les individus. La question du sens de la peine a donc connu un regain d’intérêt. En
effet, l’argumentaire justifiant le recours à la prison a subi diverses attaques. Si l’on a pu
penser la prison comme un châtiment plus humain et dénué de visée expiatoire, cette
justification a volé en éclats à la lumière de diverses enquêtes. Des courants de pensée
ont percé à jour les logiques internes de ces institutions. Ils ont dénoncé – et continuent
de le faire – les situations déplorables de ces établissements, angles morts de la pénalité.
Mais peut-être en vain. La critique de la prison est aussi ancienne que la prison ellemême, nous rappelle Michel Foucault. Régulièrement dénoncée, l’institution-prison
résiste. La population carcérale française ayant doublé au cours des trente dernières
années, il ne semble pas que le « grand enfermement » décrit par le philosophe ait perdu
de son actualité. Sur les bases d’une idéologie sécuritaire omniprésente dans le discours
politique et dans les médias, de nombreuses dispositions législatives témoignent d’un
durcissement de la pénalité : le recours toujours massif à l’incarcération, l’allongement
des peines en sont des manifestations flagrantes. A faire de l'enfermement la solution
universelle des crimes et délits, il semble que la punition ne soit plus qu’une sanction,
sans volonté de correction, sans projet de relever celui qui est « tombé ». Mais la situation
est très paradoxale : en parallèle du tout-carcéral, le discours critique sur la prison n’a
jamais été aussi présent dans le débat public. La surpopulation carcérale est fréquemment
déplorée, tout comme l’état de délabrement dont souffrent nos prisons.
3
De plus, concomitamment au grand enfermement, est née chez le législateur une
volonté de pallier les problèmes liés à la prison. L’idée de probation, ou d’alternatives à
l’incarcération, a ainsi pu gagner de la légitimité dans le débat public. Elle consiste en la
limitation du recours à l’emprisonnement par diverses modalités. L’effervescence autour
de la notion est allé jusqu’à l’ériger en axe fondamental de la réforme pénale portée par
la Garde des Sceaux Christiane Taubira à partir de 2013, date de la constitution d’une
Conférence de consensus. A nouveau parée de vertus réhabilitatrices, valorisée dans la
perspective de peines plus rationnelles et individualisées, la probation a donc été louée
pour son efficacité. Certes, les mesures alternatives à l’enfermement ne datent pas de la
récente réforme pénale. Elles remontent même pour certaines d’entre elles au XIXe siècle.
Mais la réflexion sur ce champ d’étude est constamment renouvelée depuis trente ans
dans le monde anglo-saxon, une quinzaine d’années en France. Les dispositions
législatives n’ont d’ailleurs pas manqué en la matière sous l’influence notamment du
Conseil de l’Europe, au point de pouvoir parler de « schizophrénie pénale ». Aux mesures
répressives répondent en effet des incitations aux aménagements de peine pour limiter le
recours à l’emprisonnement, jusqu’à la nouvelle mesure toute récente, la contrainte
pénale. La réforme, malgré des réserves émises sur sa mise en œuvre effective, a suscité
des réactions dans l’ensemble positives parmi les personnels concernés.
Mais si la prison possède sa cohorte de détracteurs, cela ne signifie pas pour autant
que la probation en tant que sanction emporte la conviction enthousiaste des mêmes
penseurs. Ils s’inscrivent en faux contre l’idée que « tout vaudrait mieux que la prison ».
Ou, pour le dire autrement, ils ne croient pas que les alternatives à l’incarcération
porteraient en elle cette aspiration humaniste : celle que l’on avait déjà, à tort, projetée
sur la prison. Ils combattent donc le fait de transposer de la prison aux alternatives, le
discours humaniste sur le sens de la peine. Par conséquent, la généralisation de ces
alternatives à l’incarcération ne serait pas souhaitable selon eux. Nous n’écartons pas
cette conception et lui accorderons une place dans notre propos. En effet, elle nous montre
que tout discours sur le « sens de la peine » peut être questionné. Cependant, nous nous
plaçons volontairement dans un courant de pensée qui voit la probation comme étant à
l’appui d’une volonté de réinsérer le condamné, et non uniquement de le punir. De plus,
l’efficacité de ces peines alternatives en la matière peut être démontrée. Des études
approfondies pointent les bienfaits des peines de probation et nous souhaitons leur
4
accorder du crédit. Cela nous permet de déterminer si leur approche est réellement
novatrice, et d’étudier leur application concrète.
Nous nous limiterons par souci de concision à la situation française, étant entendu
que les pratiques de probation varient grandement selon les pays. Nous retenons une
notion extensive de la probation car dans son sens le plus strict, elle trouve peu
d’application en France. En effet la probation consiste en un ensemble d’obligations fixé
à un probationnaire ; elle se conçoit sans la menace d’une sanction par l’incarcération en
cas de non-respect des obligations, ces obligations étant la sanction même. A l’heure
actuelle, aucune peine de ce type n’existe en France car le recours à l’enfermement est
toujours agité comme menace aux côtés de la sanction prononcée : on parle donc plutôt
de peines alternatives, comprises comme l’ensemble des mesures pénales n’impliquant
pas d’enfermement mais induisant des formes de contrôle et d’accompagnement en
milieu ouvert, sans isoler le justiciable du contexte dans lequel il évolue. Cela comprend
des peines à part entière (sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, libération
conditionnelle) et des régimes d’aménagements de peine (placement à l’extérieur, semiliberté, placement sous surveillance électronique). Là encore par souci de clarté, nous
pourrons être amenés à utiliser indifféremment les termes de probation et d’alternatives à
l’incarcération dans notre démonstration. Le caractère inachevé de la probation au sens
strict dans notre pays témoigne là encore de la résistance de la prison et des crispations
que peuvent engendrer sa remise en cause. Néanmoins, sa place grandissante dans le débat
public mérite à notre avis une étude plus approfondie de son déploiement concret.
En France, les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) ont pour
mission principale de favoriser la réinsertion des personnes majeures placées sous main
de justice, que ce soit en milieu ouvert ou en milieu fermé. Bien entendu dans notre cas,
le milieu ouvert constitue notre champ d’analyse puisqu’il comprend les mesures
précitées. Les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP), ou plus
simplement agents de probation, sont les acteurs de premier plan de ce service. Nous nous
proposons d’étudier le fonctionnement de ces services et les logiques à l’œuvre dans le
métier d’agent de probation, typique de ce que Henri Mendras appelle les « professions
de la constellation centrale », ces classes moyennes salariées situées entre les élites et la
constellation populaire. Ce métier est multiforme, emportant à la fois des tâches
d’exécution à travers le contrôle des obligations des probationnaires, et des relations
quotidiennes fondées sur l’appréciation de la situation de ces derniers. Le métier de CPIP
5
n’est pas né avec la création des SPIP : tous deux sont les héritiers d’autres structures, en
particulier celles issues du travail social. Mais les missions des agents de probation ainsi
que leurs profils ont considérablement évolué depuis que les services de probation sont
entrés dans le giron de l’administration pénitentiaire. Le discours sur le sens de la peine
en est impacté.
De plus, nous garderons à l’esprit que les SPIP n’évoluent pas en vase clos. Il nous
faudra donc replacer leur action dans le contexte politique, socioéconomique. En tant que
service public rattaché à l’administration pénitentiaire, le service de probation est en effet
impacté par les mutations de l’Etat et de son rôle. Il est soumis à des impératifs
bureaucratiques, à des injonctions à la modernisation et à la rationalisation. Ainsi, derrière
la rhétorique de l’individualisation des peines et de l’efficacité de la probation, dont nous
nous sommes emparés comme présupposé, il faut s’interroger sur les conséquences
pratiques de cette injonction à l’efficacité. En effet, les mutations de l’action publique
vont de pair avec l’importation d’une « rationalité pénale moderne » pour reprendre les
termes d’Alvaro Pires. Cette « gouvernance du crime » (Gilles Chantraine) s’incarne dans
la prégnance d’impératifs gestionnaires en matière de politique pénale. Les objectifs fixés
à l’aune de cette rationalité pénale moderne, et la manière de remplir ces objectifs, ne sont
pas neutres. Ils s’appuient sur des visées et des idéologies particulières qu’il s’agira
d’identifier et de questionner. La criminologie est le porte-drapeau de ces objectifs : si sa
scientificité est contestée, elle prend une part de plus en plus importante dans la logique
probatoire.
Des objectifs pouvant paraître nobles au premier abord, ou même tout simplement
de « bon sens », influencent donc durablement le métier d’agent de probation – et partant,
la prise en charge des condamnés. Ils révèlent les logiques à l’œuvre derrière le discours
sur le sens de la peine. Nous avons rencontré deux agents de probation pour un entretien.
Leurs propos ne font pas l’objet d’une retranscription intégrale mais sont mobilisés pour
enrichir notre argumentation. Cependant, il faut d’emblée préciser que notre travail ne
s’apparente pas à une ethnographie du métier d’agent de probation. Tout au plus, cette
confrontation avec le terrain avait pour but de ne pas occulter la mise en place concrète
6
et quotidienne par les street level bureaucrats5, des réformes implantées par le haut.
Michael Lipsky a théorisé le pouvoir discrétionnaire de ces fonctionnaires de terrain qui
conservent une part d’autonomie vis-à-vis des politiques publiques. Cette démarche a
inspiré de nombreux travaux dans la sociologie des administrations publiques : en matière
d’immigration6 ou dans le domaine des allocations familiales7 par exemple. Ici, le
pouvoir discrétionnaire des agents de probation semble mis à mal, soit avec leur
consentement (l’évolution des profils) soit sous l’effet de logiques de rationalisation ou
de criminologie.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous nous situons donc volontairement dans une
réflexion large. Celle-ci inclut une critique de la prison via les pratiques de probation
jugées comme plus efficaces. Elle vise ensuite à la confrontation de ce discours
d’efficacité avec sa mise en place concrète au sein des SPIP. Notre travail n’aborde pas
le domaine de la sociologie des détenus ou des condamnés déjà très abondant. Le champ
d’étude est plutôt celui du déploiement des objectifs de la probation en France sur le
terrain, et la confrontation de ce déploiement avec le sens de la peine.
Dans quelle mesure la probation, en tant que réponse aux échecs de la prison,
opère-t-elle une réflexion novatrice sur le sens de la peine ? Selon quelles logiques les
SPIP, acteurs de la probation en France, mettent-ils en œuvre cette probation ?
De peine ostentatoire, le châtiment principal de notre société est devenu la prison.
Elle a ainsi construit un discours sur le sens de la peine pour se légitimer. Mais sous l’effet
de preuves tant philosophiques qu’empiriques tendant à la délégitimer, l’institutionprison semble en perte de sens (Chapitre 1). Par conséquent, le paradigme de la probation
ou des alternatives à l’incarcération a pu émerger, comme redéfinition d’un sens donné à
la peine. Les controverses théoriques et pratiques demeurent sur l’implantation de ces
formes de sanction, mais leur efficacité peut être démontrée (Chapitre 2). Cependant,
5 Michael LIPSKY, Street Level Bureaucracy. Dilemmas of the individual in public services, New York,
Russell Sage Foundation, 1980.
6 Alexis SPIRE, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir,
2008.
7 Vincent DUBOIS, La vie au guichet. Relations administratives et traitement de la misère, Paris, Economica,
3e éd., 2010.
7
dans cette injonction à l’efficacité, peut se trouver finalement le dévoiement de la logique
même de la probation. En effet, la pratique des services de probation semble remodeler
le discours sur le sens de la peine en fonction de logiques managériales et criminologiques
(Chapitre 3).
8
CHAPITRE 1 : LA PRISON, PEINE EN PERTE DE SENS
La prison s’est peu à peu instituée comme peine de référence (I) et a produit son
discours de légitimation. Mais il est possible de déconstruire cet argumentaire pour
interroger le sens de la peine privative de liberté (II) dans un contexte qui, pourtant, ne
lui est pas défavorable (III).
I - LA CONSECRATION DE LA PRISON COMME PEINE DE REFERENCE
La prison naît du renoncement aux châtiments corporels ostentatoires (a), son
instauration paraît donc refonder le concept de la peine à l’aide de visées plus rationnelles
ou humanistes (b). Toutefois, elle demeure une réelle institution de pouvoir, n’obéissant
pas nécessairement à des logiques progressistes (c).
a) Avant la prison, le régime suppliciaire
Au début du Moyen Âge, les paysans pouvaient s’installer sur les terres libres.
Leurs besoins essentiels étaient satisfaits. En outre, au vu de cette situation, la relation
entre seigneurs et serfs était plutôt positive. Ainsi, les infractions contre la propriété
n’étaient pas fréquentes. Le droit pénal mettait l’accent sur le maintien de l’ordre public.
En cas d’infraction, le coupable se voyait infliger une amende ou une pénitence pour
empêcher la vengeance de la partie lésée.
Suite à la croissance de la population et au surpeuplement, deux classes distinctes
se constituèrent : riches et pauvres, avec l’émergence d’un mode de production capitaliste.
Des troubles sociaux ainsi que des révoltes se manifestèrent. Les guerres de religion, les
épidémies de peste, la famine écrasent tout dans certaines régions, et le sentiment
d'insécurité est très fort : mendiants, voleurs et brigands font leur apparition. Les
infractions contre la propriété et les personnes s’amplifient et l’amende tout comme la
pénitence ne paraissent plus efficaces en tant que peines. Elles sont remplacées par des
châtiments corporels : la flagellation, la mutilation, le bûcher, la pendaison. Des peines
cruelles devaient dissuader les masses paupérisées de commettre un crime. La mise à mort
systématique était un moyen d’éliminer des sujets considérés comme dangereux. Aux 16e
9
et 17e siècles, en droit pénal, on utilise le fouet pour punir une grande majorité des délits,
à tous les âges, mais aussi le bannissement, les galères, la question et la mort féroce.
Jusqu’à la Révolution, en France, c’est l’ordonnance de 1670 qui régissait les diverses
punitions appliquées. Les supplices sont nombreux sur la place publique : les brûlures au
plomb fondu, l'écartèlement, le pilori ou le bûcher. La foule oscille entre terreur et
excitation mêlées face à ce rituel de vengeance et de violence. Il s’agissait pour le
souverain d’afficher son pouvoir au grand jour. « Le supplice ne rétablissait pas la justice
; il réactivait le pouvoir »8. Nous sommes ici en présence d’une fonction expiatoire,
vengeresse de la peine. La loi du Talion s’applique, il faut infliger de la souffrance au
condamné. Il faut marquer les corps, avec une intensité dépendant de la gravité du crime,
de la personnalité et du rang de la victime.
Symboliquement, Michel Foucault choisit la date de 1757 pour évoquer ce qui
aurait été la dernière grande manifestation de la punition par le supplice. Après avoir tenté
de tuer Louis XV, Robert-François Damiens est le dernier individu en France à subir le
supplice du Régicide. La description de la sentence qui doit lui être infligée est en effet
particulièrement atroce : il était prévu que Damiens serait « à la place de Grève, et sur un
échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa
main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlé au feu de
soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de
la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à
quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres
jetées au vent »9. Seize bourreaux attachent quatre chevaux pour accomplir une besogne
longue de deux heures et quart et Damiens ne meurt qu’une fois son dernier membre
restant arraché.
La souffrance était considérée comme une mesure de punition mais aussi comme
un acte d’instruction ; l’exécution, comme une démonstration publique de justice et un
rituel de manifestation de la force ; le supplice comme un rituel politique fortement
8 Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 53.
9 Pièces originales et procédures du procès fait à Robert-François Damiens, 1757, t. III, p. 372-374, in Michel
FOUCAULT, Surveiller et punir, p. 9
10
incrusté dans la pratique judiciaire et par lequel le pouvoir se manifeste ; la punition
comme une réparation du tort ; la loi comme un droit de vie ou de mort, pour défendre et
venger ; et enfin le châtiment comme un acte pour poursuivre une vengeance, personnelle
et publique.
b) La prison comme progrès social ?
Preuve de l’importance des châtiments corporels ostentatoires, Michel Foucault
rappelle que la prison occupait une position somme toute marginale dans le système des
peines jusqu’au XIXe siècle. Le jurisconsulte François Serpillon affirmait même en 1767
: « la prison n’est pas regardée comme une peine dans notre droit civil »10. Son rôle était
alors essentiellement de se saisir d’un suspect plutôt que de le punir ; la prison n’était une
réelle punition que lorsqu’elle se présentait comme un substitut aux autres peines (les
galères par exemple). La prison était disqualifiée également en ce qu’elle rappelait
l’arbitraire royal.
Pour Foucault toutefois, peu à peu le pouvoir va peiner à contenir les excès de la
foule en faveur ou à l’encontre du condamné. L’emprisonnement va donc peu à peu
devenir le point cardinal des châtiments. Si la rupture n’a bien sûr pas été aussi brutale à
partir du supplice de Damiens, Foucault l’utilise de manière didactique pour montrer
comment la punition change peu à peu de nature. Le pouvoir, qui n’est plus incarné par
la figure royale, va transformer la finalité des peines : elles ne sont désormais plus
l’expression d’un arbitraire furieux mais doivent servir à protéger la société. C’est pour
le bien de la collectivité qu’on punira désormais.
Cette approche utilitariste est celle de penseurs comme Cesare Beccaria11. Pour
ce dernier, l’individu est doté d’une raison calculatrice. Il a la capacité d’estimer et de
calculer le plaisir et la souffrance qui découlent de son acte. Par conséquent, il mesure le
10 François SERPILLON, Code criminel, 1767, t. III, p. 1095, in Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, p.
120.
11 Cesare BECCARIA, Des délits et des peines (1764), Flammarion, « Champs », Paris, 1979.
11
coût et le bénéfice de sa transgression. La fonction de la peine sera alors de provoquer
chez l’individu une douleur supérieure au plaisir qu’il a ressenti en commettant son acte.
La peine, déterminée non plus par l’arbitraire mais par les lois, vise ainsi la dissuasion et
également la prévention de nouvelles infractions. Elle est tournée vers l’avenir, vers
l’amendement du condamné. Par cette approche utilitariste, Beccaria se situe dans la
continuité de ce qu’avaient été les maisons de correction au moment de la guerre de Trente
Ans12 : dans ce contexte de pénurie de main-d’œuvre, la force de travail, devenue
précieuse, ne devait plus subir de châtiments corporels. Le détenu était donc un être
économiquement utile dans les maisons de correction. Celles-ci, à la fois un dépôt de
mendicité, une maison de travail forcé et une institution pénale, font travailler des
individus récalcitrants (vagabonds, mendiants valides, prostituées, fainéants). Le projet
de réhabilitation du condamné n’est ici pas dénué de valeurs morales, inspirées de la
religion. Pour John Howard par exemple, l’enfermement a pour objectif l’amendement
des détenus par le travail et la religion13. Le condamné doit être conduit vers la
rédemption pour sauver son âme.
Après la torture et les supplices, chemine donc l’idée de peines plus rationnelles
car utiles, et plus humaines car visant l’amendement du condamné. La privation
temporaire de liberté s’impose donc. Dès le Code pénal de 1810, la prison devient la
forme principale de châtiment. Il s’agit moins de frapper les corps que d’influencer les
esprits pour corriger les criminels et permettre, du moins en théorie, leur réintégration
dans la société. Pour cette raison, ce nouveau type de punition peut apparaître comme un
progrès social.
c) La prison, institution de pouvoir
12 Georg RUSCHE, Otto KIRCHHEIMER, Peine et structure sociale. Histoire et « Théorie critique » du
système pénal, Paris, Éd. du Cerf, 1994 [1939], p. 169.
13 John HOWARD, L’état des prisons, Paris, Editions de l’Atelier- Editions ouvrières, 1994 (Londres, 1777).
12
Toutefois pour Foucault, loin de s’édulcorer, le pouvoir ne fait que se redéployer
par le recours à la prison. Le pouvoir n’a pas cherché à restreindre son contrôle sur les
corps des individus. Il utilise cette institution comme un lieu d’apprentissage de la
discipline et de techniques en vue de maîtriser les corps, les rendre dociles. En enfermant
les individus, on les soumet à un contrôle croissant, à une surveillance généralisée de ces
corps mais aussi, par extension, des esprits. « L’institution-prison » est réellement une
institution totale comme la définit Goffman, c’est-à-dire un lieu où « un grand nombre
d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période
relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont
explicitement et minutieusement réglées »14. L’institution fonctionne selon des principes
bureaucratiques pour installer une relation de pouvoir. Le développement des sciences
humaines joue également un rôle. Le pouvoir s’appuie sur ces savoirs nouveaux pour
étendre son contrôle. Foucault utilise le concept proche d’institution disciplinaire : un
ensemble de lieux visant aussi à domestiquer l’homme, l’insérer dans des normes. « Quoi
d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui
tous ressemblent aux prisons ? »15 Cette surveillance s’incarne dans le Panoptique, un
type d'architecture carcérale imaginée par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham à la
fin du XVIIIe siècle. Le gardien, logé dans une tour centrale, a la possibilité d’observer
tous les prisonniers autour de lui sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont observés.
Foucault élargit le phénomène et assène : « Nous vivons dans une société panoptique »16.
14 Erving GOFFMAN, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris
Editions de Minuit, 1968, p. 41.
15 Michel FOUCAULT, 1975, op. cit., p. 264.
16 Michel FOUCAULT, Des supplices aux cellules, in Dits et écrits (1954-1975), Paris, Quarto Gallimard,
2001, t. 1, p. 1305.
13
Toutes les institutions précitées relèvent d’une infrastructure collective dans le
processus de mise au travail industriel de la population. La prison remplit en effet une
fonction économique dans l’expansion du capitalisme – loin donc de la vitrine sociale et
humaniste. La discipline a pour but de corriger les conduites qui seraient contreproductives. Le régime capitaliste instaure ces techniques de pouvoir pour constituer une
force de travail : « Accumulation des hommes et accumulation du capital ne peuvent pas
être séparées ; il n’aurait pas été possible de résoudre le problème de l’accumulation des
hommes sans la croissance d’un appareil de production capable à la fois de les entretenir
et de les utiliser ; inversement, les techniques qui rendent utile la multiplicité cumulative
des hommes accélèrent le mouvement d’accumulation du capital »17. Pour expliciter sa
pensée, Foucault utilise ainsi la notion d’illégalismes, que l’on peut définir comme
l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts18.
Pour lui, la prison ne vise pas à l’extinction du crime ou de la « délinquance ». En effet,
la répression des illégalismes est un élément indispensable à la bonne voie du capitalisme.
Sous l’Ancien Régime, chaque couche sociale bénéficiait de « zones grises » non
investies par le pouvoir par manque de moyens ou de volonté. Elles visaient à maintenir
l’ordre social (la bourgeoisie, parce qu’elle faisait de même, tolérait l’illégalisme
populaire des paysans cherchant à éviter l’impôt). Avec le développement du capitalisme,
la bourgeoisie veut éradiquer les infractions propres aux milieux populaires (vols, rapines,
brigandages). L’économie des pénalités se restructure : opposition entre les « illégalismes
de biens » (vols, transferts violents de propriétés) entraînant des châtiments prononcés
par des tribunaux ordinaires, et « illégalismes de droit » (fraudes, évasions fiscales,
opérations commerciales irrégulières) relevant de juridictions spéciales et pouvant
bénéficier de transactions, d’accommodements et d’amendes atténuées. « La loi n’est pas
faite pour empêcher tel ou tel type de comportement, mais pour différencier les manières
de tourner la loi elle-même. »19
17 Michel FOUCAULT, 1975, op. cit., p. 257.
18 Ibid., p. 84-89.
19 Michel FOUCAULT, 2001, op. cit., p. 1587.
14
Derrière la supposée « amélioration » que l’on pourrait concéder à la prison en
comparaison avec les supplices corporels, un détour par sa généalogie nous a permis de
cerner les enjeux de pouvoir de cette institution,. Il convient maintenant d’étudier les
arguments des défenseurs de la prison qui la parent de diverses vertus.
II – JUSTIFIER LE RECOURS A LA PRISON ?
Si la prison a pu devenir la peine principale dans notre droit, c’est grâce à un
argumentaire qui a bâti sa légitimité. Mais celui-ci peut être contesté : la prison n’a pas
pour but de stopper le crime (a), et les pratiques contemporaines d’enfermement
s’apparentent à une fuite en avant (b) alors même que l’emprisonnement ne permet pas
de resocialiser ceux qu’elle accueille (c).
a) La prison : une simple réponse au crime ?
Au soutien du recours à la prison, est souvent énoncé l’argument que lorsque la
société a pâti de la violation de ses règles, il faut rétablir l’équilibre en infligeant à son
tour un autre mal au coupable20. Émile Durkheim détermine ainsi la vraie fonction de la
peine : elle est sociale. Son but est de « maintenir intacte la cohésion sociale en maintenant
toute sa vitalité à la conscience commune »21. L’emprisonnement est la réponse
commune à l’indignation et la révulsion collectives, et est destiné à la production de cette
communauté imaginaire idéologique. La fonction de défense de la société n’est dès lors
20 Bernard BOULOC, Pénologie. Exécution des sanctions, adultes et mineurs, Paris, Dalloz, Précis, 1998 (1ère
édition : 1991), p. 5.
21 Émile DURKHEIM, De la division du travail social, PUF, 1960.
15
pas si éloignée de la vision vengeresse : la prison conserve en tant que peine un caractère
expiatoire, comme s’il fallait repousser très loin les monstrueux criminels.
Pour autant, la décision d’emprisonner n’est-elle qu’une réponse naturelle au
crime commis ? Il est permis d’en douter. Le crime, en effet, est une construction sociale
façonnée par des contextes spatio-temporels, des environnements légaux particuliers, et
sa perception peut être fluctuante entre les sociétés22. Nils Christie écrit : « Crime does
not exist. Only acts exist, acts often given different meanings within various social
frameworks. ».23 De plus, les statistiques montrent que le taux de criminalité n’est pas
corrélé nécessairement avec le taux d’emprisonnement : depuis 1975 en France, le taux
de détention a été multiplié par 2,5, alors que le volume des condamnations criminelles
et correctionnelles stagne depuis le milieu de la décennie 1980 24. Alors comment
expliquer l’augmentation de ce taux de détention ?
Nous pouvons avancer des raisons socioéconomiques25. Durant les Trente
Glorieuses, le modèle dominant était celui de la « défense sociale », orienté vers la
prévention du crime, la resocialisation des délinquants, la recherche de peines alternatives
et individualisées (en particulier pour les mineurs avec l’ordonnance de 1945). Dans
l’après-guerre existait l’idée que la société avait une dette envers ses membres. Il
s’agissait aussi de limiter le recours à la prison en ces temps de croissance où la maind’œuvre était précieuse. En somme, l’on renouait avec quelques caractéristiques de la
période de la guerre de Trente Ans évoquée supra. Au moment du choc pétrolier, la
22 David SCOTT, Nick FLYNN, Prisons and Punishment: The Essentials. London: Sage, 2014.
23 « Le crime n’existe pas. Il n’existe que des actes, auxquels on donne souvent des significations différentes
au sein de cadres sociaux différents. » (Traduit par nous), in Nils CHRISTIE, A Suitable Amount of
Crime. London: Routledge, 2004.
24 Nicolas BOURGOIN, Mouvements économiques et criminalité : quelques pistes de réflexion, Champ pénal,
2009, vol. VI.
25 Ibid.
16
montée du chômage occasionne un changement de paradigme, quand il s’agit de rétablir
le contrôle sur des populations situées à la marge du monde du travail. Dès lors, la prison
n’est plus une technique du pouvoir pour contrôler les corps, mais seulement pour
contrôler les pauvres26. Pour la France, Anne-Marie Marchetti enrichit l’analyse. Elle
confirme le diagnostic selon lequel les pauvres sont davantage incarcérés, notamment
chez les condamnés à de longues peines, mais elle fait reposer cela pour partie sur des
causes extra-économiques, comme le fait qu’ils aient de mauvaises défenses juridiques,
ou qu’on hésite moins à les emprisonner car on les voit comme étant déjà en marge27.
Le début des années 1980 voit le retour d’un droit répressif qui s’articule autour
de deux référentiels : la criminologie stratégique d’inspiration nord-américaine, et les
orientations économiques néolibérales. Tous deux ont la même conception utilitariste
d’un individu vu comme acteur autonome, calculateur et rationnel28. Dans le référentiel
criminologique, le délinquant est donc cet acteur pleinement conscient, pleinement
coupable aussi en tant qu’il est libre de tout déterminisme social. La réponse pénale se
doit donc d’être neutralisatrice, c’est-à-dire certaine, sévère et rapide dans son
application29. Ce tournant « libéral-sécuritaire » s’est matérialisé, en France notamment,
par diverses réformes.
b) Le retour du « grand enfermement » : vers un « populisme
pénal » ?
Les réformes entreprises dans le secteur pénitentiaire, délaissant les projets de
réinsertion, semblent plutôt tendre vers des objectifs de neutralisation des délinquants.
26 Nils CHRISTIE, L’industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident, Paris, Autrement, coll.
« Frontières », 2003 [1991].
27 Anne-Marie MARCHETTI, Perpétuités. Le temps infini des longues peines, Paris, Plon, coll. « Terre
Humaine », 2001, p. 429-431.
28 Loïc WACQUANT, Punir les pauvres. Le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, Contre-feux,
Agone, Marseille, 2004.
29 Stéphane ENGUELEGUELE, Les politiques pénales (1958-1995), L’Harmattan, coll. Logiques politiques,
Paris, 1998.
17
La loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des
majeurs et des mineurs a vu la mise en place des « peines planchers ». Depuis l’entrée en
vigueur du nouveau Code pénal en 1994, la loi fixait pour chaque infraction la peine
maximale encourue. Le juge ne pouvait la dépasser, en revanche son pouvoir
d’appréciation en fonction des circonstances et de la personnalité demeurait. Par la loi du
10 août 2007, la liberté des juges avait été restreinte. Les crimes ou délits commis en état
de récidive ne pouvaient plus être punis d’une peine inférieure à certains seuils, fixés par
la loi et proportionnels au maximum encouru (articles 132-18-1 et 132-19-1 du code
pénal). Les peines planchers ont été supprimées depuis par la Loi du 15 août 2014 relative
à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
Mais elles ont eu des conséquences importantes. Elles ont indéniablement
contribué à l’allongement de la durée des peines privatives de liberté prononcées. Alors
qu’en 2002, la durée moyenne passée sous écrou était de 7,7 mois, elle avait atteint 8,8
mois en 2008 et s’était établie à 9,6 mois en 201130. S’alimente donc le phénomène de
surpopulation carcérale, lui-même à l’origine de nombreux dysfonctionnements. Les
peines planchers ont aussi indirectement joué un rôle dans l’allongement des longues
peines de prison, qui répond à l’impératif de neutralisation des délinquants. Dominique
Raimbourg et Sébastien Huyghe l’expliquent dans leur rapport sur les moyens de lutte
contre la surpopulation carcérale31. En effet, ce mécanisme initialement prévu pour les
récidivistes, a eu aussi pour effet pervers d’augmenter le quantum des peines prononcées
à l’égard des primo-délinquants. Lorsqu’au cours d’une même audience, le juge
prononçait une peine d’emprisonnement pour un récidiviste, et devait se prononcer pour
la même infraction d’un primo-délinquant, il avait tendance à prononcer une peine d’une
durée à peu près équivalente pour les deux individus, afin d’éviter toute incohérence.
Ainsi le mécanisme de la peine minimale peut contribuer à un allongement des peines
prononcées contre des prévenus ne présentant pas les mêmes caractéristiques.
30 Bureau des études et de la prospective, Séries statistiques des personnes placées sous main de justice 19802012, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2012.
31 Dominique RAIMBOURG, Sébastien HUYGHE, Penser la peine autrement : propositions pour mettre fin
à la surpopulation carcérale, Paris, Assemblée Nationale, Rapport n°652, 2013.
18
Le 25 février 2008, la loi n°2008-174 relative à la rétention de sûreté et à la
déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental était promulguée. Les
dispositions de la loi font écho à des conceptions anciennes. A la fin du XIXème siècle
déjà, l’école positiviste (à forte tendance déterministe) préconisait la mise en place de
mesures antérieures aux délits : la relégation (1885) était ainsi l’une des premières
mesures de sûreté mise en œuvre en France. L’école de la défense sociale, au début du
XXème siècle, préconisait que des mesures de sûreté soient applicables aux aliénés, en
même temps que leur enfermement. Dans notre cas, la rétention de sûreté consiste en
l’enfermement d’une personne au terme de sa peine d’emprisonnement dans un « centre
socio-médico-judiciaire de sûreté ». Pour que la rétention soit prononcée, il est établi par
un examen préalable, que la personne présente une dangerosité et un risque de récidive
(évalué en termes de probabilités) en raison de sa personnalité instable ou sa santé mentale
jugée fragile. Cette mesure doit être prise à titre exceptionnel, et à la seule condition que
le délinquant ait été condamné à une peine d’au moins quinze ans de réclusion criminelle
pour des faits d’une particulière gravité (meurtre, torture, viol, etc.) Mais un flou entoure
la notion de risque, ce que la Commission nationale consultative des droits de l’homme
s’était empressée de dénoncer, en parlant de « notion émotionnelle dénuée de fondement
scientifique »32. Ici, la rétention de sûreté n’est pas prononcée en réaction à une infraction
pénalement répréhensible mais sur une potentialité à récidiver. Le délinquant,
potentiellement, est « endetté à vie »33 envers la société ce qui va à l’encontre de toute
idée de réhabilitation.
Peines
planchers,
allongement
des
peines,
rétention
de
sûreté…
L’emprisonnement reste un point cardinal de notre politique pénale. Pour beaucoup
32 Norman BISHOP, audition par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, 4 avril 2006.
En ligne. http://www.cncdh.fr/sites/default/files/08.02.07_avis_pl_retention_surete.pdf
33 Juliette RABAUX, La rétention de sûreté ou ‘la période sombre de notre justice’, Journal du droit des jeunes
2008, vol. 4, n° 274, p. 36-48.
19
d’auteurs, ce durcissement de notre pénalité obéit à des logiques sécuritaires. Nous
serions à l’ère selon la terminologie utilisée, de la « pénalisation du social »34, de l’ « Etat
social-sécuritaire »35, de l’ « Etat pénal »36. Le propos commun à ces auteurs porte sur
l’extension du contrôle social aux classes les plus défavorisées et marginalisées – dont la
rétention de sûreté est une des manifestations. Mais il concerne aussi les réactions
épidermiques à la suite de chaque fait divers. Ces épisodes de tension maximale
nourrissent le renouvellement perpétuel de l’argumentaire en faveur de l’incarcération.
Denis Salas parle de populisme pénal37 pour décrire cet état de fait. Selon lui, la justice
pénale comme les médias de masse sont contaminés par une obsession sécuritaire qui
rompt l’équilibre nécessaire entre répression et clémence. Cette « pathologie de la
punition » est une véritable fuite en avant. Il critique donc les excès de la volonté de
punir, qui s’opposerait aux logiques de réhabilitation et de peines individualisées.
Se dessine là encore une explication socioéconomique à ce phénomène. Depuis
les années 1980, la morosité économique et l’extension des inégalités incitent l'État à
chercher de nouvelles sources de légitimation dans la réponse pénale, pour masquer son
incapacité à assurer la sécurité économique et sociale38. Le « criminel » se transforme
ainsi en bouc émissaire sacrifié à l'égoïsme collectif, permettant à l’Etat de nier ses
propres responsabilités politiques dans la situation économique et sociale du moment39.
34 Philippe MARY, Insécurité et pénalisation du social, Bruxelles, Labor, coll. Quartier Libre, 2003, p. 32.
35 Yves CARTUYVELS, Philippe MARY, Andrea REA, L’État social-sécuritaire, in Luc VAN
CAMPENHOUDT et al., Réponses à l’insécurité, Bruxelles, Labor, 2000, p. 407-429.
36 Loïc WACQUANT, « La fabrique de l’État néolibéral », Civilisations, 2010, vol. 59 n°1, 2010, p. 151-174.
37 Denis SALAS, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Paris, Hachette, 2005.
38 Charlotte VANNESTE, Les chiffres des prisons. Des logiques économiques à leur traduction pénale,
L’Harmattan, coll. Logiques Sociales, Paris, 2001.
39 Philippe COMBESSIE, Les fonctions sociales de l'enfermement carcéral : constats, hypothèses, projets de
recherche. Mémoire d'habilitation à diriger des recherches, Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis,
2003.
20
Il est fait état de la seule responsabilité individuelle du condamné, en dehors de tout
contexte social, pour ressouder une société fragmentée. Le raisonnement durkheimien,
vieux de 120 ans, peut toujours trouver une caisse de résonnance dans le contexte actuel.
c) La prison : une voie vers la réinsertion ?
Réinsérer par la prison : le thème n’est pas nouveau, nous l’avons vu. Des penseurs
comme Cesare Beccaria, Jeremy Bentham, ou John Howard voulaient associer le travail
ou l’éducation à l’enfermement pour « corriger » les détenus et les adapter à la réinsertion
dans la vie sociale. Cette vision était empreinte de considérations morales et/ou
religieuses. L’après-guerre notamment avec la réforme pénitentiaire de 1945, dite réforme
Amor, s’inscrit dans une lignée de resocialisation du délinquant. Le premier des principes
de la réforme énonçant : « La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement
et le reclassement social du condamné »40. Dans une autre optique notamment soutenue
par Charles Murray41, sous l’adage du « prison works », la dissuasion qu’opère la prison
sur le délinquant permet sa réintégration dans la société. En effet la douleur de
l’emprisonnement conduirait l’individu, selon un calcul utilitariste, à ne pas réitérer ses
actes déviants. Ainsi, devant la perspective d'aller en prison ou d’y retourner, un individu
rationnel devrait normalement être amené à renoncer à toute activité criminelle ou
délinquante.
Aujourd’hui, la réinsertion est toujours mise en avant comme objectif prioritaire.
Dans la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, l’article 2 dispose : « Le
service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à
40 Paul AMOR, La réforme pénitentiaire en France, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé,
1947, vol. 1, p. 1-30.
41 Charles MURRAY, Does Prison Work ?, London: Coronet Books, 1997.
21
l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire,
[…] ». La prison doit être le lieu où l’on prépare l’individu déviant à se resocialiser.
Pourtant il nous est permis de douter de l’efficacité de la peine-prison en la matière.
Plusieurs penseurs voient plutôt la prison comme une école du crime, qui
échouerait à resocialiser le détenu et ne remplirait pas ainsi son objectif de lutte contre la
récidive parce qu’elle fabriquerait des délinquants.42 Ce constat n’est pas nouveau : « dès
1820, on constate que la prison loin de transformer des criminels en gens honnêtes, ne
sert qu’à fabriquer de nouveaux criminels, ou à enfoncer encore davantage les criminels
dans la criminalité »43. Donald Clemmer parle de process of prizonisation44 pour montrer
le caractère déshumanisant de l’institution. Ce processus s’accompagne d’un entre-soi au
sein des détenus qui forme à la récidive, comme certains l’expliquent eux-mêmes45.
Jaman, Dickover et Bennett en 197246 s’exprimaient même en ces termes : « le détenu
qui séjourne un bon moment en prison, du fait qu'il s'imprègne de la culture qui y a cours,
voit ses penchants criminels renforcés et, partant, est plus susceptible de récidiver que le
détenu qui a purgé une peine de moins longue durée ». Une importante littérature vient
soutenir que la vie carcérale détruit l'équilibre psychologique et émotionnel des détenus47.
La prison fabrique les conditions même de son échec. « La fabrication de la
délinquance par la prison, ce n'est pas un échec de la prison, c'est sa réussite, puisqu'elle
42 Foulek RINGELHEIM, Qu’appelle-t-on punir? Entretien avec Michel Foucault, in Foulek RINGELHEIM
(dir.), Punir, mon beau souci, pour une raison pénale, Revue de l’Université de Bruxelles, 1984, p. 40.
43 Michel FOUCAULT, Entretien sur la prison, in Au pied du mur, 765 raisons d’en finir avec toutes les
prisons, Montreuil, L’insomniaque, 2000, p. 20
44 Donald CLEMMER, Observations on imprisonment as a source of criminality, Journal of Criminal Law
and Criminology Vol. 41, 1950.
45 Serge LIVROZET, De la prison à la révolte, Paris, L’Esprit frappeur, 1999, p.79
46 Donald CLEMMER, Observations on imprisonment as a source of criminality, Journal of Criminal Law
and Criminology Vol. 41, 1950.
47 James BONTA, Paul GENDREAU, Reexamining the cruel and unusual punishment of prison life, Law and
Human Behavior, 1990, n° 14, p. 347-366.
22
était faite pour ça. La prison permet la récidive, elle assure la constitution d'un groupe de
délinquants bien professionnalisé et bien fermé sur lui-même »48. Avec le temps, la
prison distend les relations sociales antérieures, amicales, de travail, ainsi que les liens
familiaux : l’individu dépend entièrement de la prison et y est soumis. La réinsertion
devient vite secondaire face à la déqualification professionnelle à l’œuvre49. L’exemple
du casier judiciaire est évocateur. Si l'échec de la resocialisation n'est pas souhaité,
comment expliquer l'existence de ce casier ? Celui-ci, créé en 1850, poursuit l'individu
après l'effectuation de sa peine. Face à la difficulté de supporter un casier judiciaire (tant
socialement, pour trouver un emploi par exemple, que moralement), l'individu stigmatisé
tend à récidiver. Aux États-Unis, bien que les taux de récidive des détenus libérés soient
restés stables ces 20 dernières années, ils sont entre 30 et 45 fois supérieurs à ceux de la
population prise dans son ensemble50. Les obstacles auxquels les anciens détenus se
heurtent après leur remise en liberté sont multiples : des relations familiales tendues51,
l’accumulation de dettes52, des problèmes de logement53… « A leur libération, et selon
la durée de leur peine, les anciens détenus n’ont parfois que peu de souvenirs des règles
et des ressources sociales… »54.
48 Michel FOUCAULT, Alternatives" à la prison : diffusion ou décroissance du contrôle social : une entrevue
avec Michel Foucault, Criminologie, vol. 26, n° 1, 1993, p. 13.
49 Anne-Marie MARCHETTI, Pauvretés en prison, Ramonville Saint-Agne, Erès, 1997.
50 Richard ROSENFELD, Joel WALLMAN, Robert FORNANGO, The contribution of ex-prisoners to crime
rates, in Jeremy TRAVIS et Christy VISHER (dir.), Prisoner reentry and crime in America New York:
Cambridge University Press, 2005, pp. 80- 104.
51 Jeremy TRAVIS, But they all come back: Facing the challenges of prisoner reentry. Washington, D.C.: The
Urban Institute Press, 2005.
52 Stephen RICHARDS, Richard JONES, Beating the perpetual incarceration machine: Overcoming structural
impediments to re-entry. In Shadd MARUNA, Russ IMMARIGEON (dir.), After crime and punishment:
Pathways to offender reintegration, Collumpton, Devon: Willan, 2004, p. 201-232.
53 Ros BURNETT, To reoffend or not to reoffend? The ambivalence of convicted property offenders. In Shadd
MARUNA, Russ IMMARIGEON (dir.), After Crime and Punishment: Pathways to Offender
Reintegration, pp. 152-180.
54 Stephen RICHARDS, Richard JONES, Beating the perpetual incarceration machine: Overcoming structural
impediments to re-entry. In Shadd MARUNA, Russ IMMARIGEON (dir.), After crime and punishment:
Pathways to offender reintegration, p. 204.
23
Ainsi, si nous essayions de conclure sur l’utilité de la peine-prison, nous serions
contraints de ne lui concéder qu’une chose : mécaniquement, elle neutralise, de manière
provisoire, les personnes qu’elle accueille. Cette fonction originelle n’a pas disparu du
paysage pénal contemporain au vu des lois adoptées dans ce sens. Les différentes vertus
attribuées à la peine privative de liberté relèvent de constructions sociales à des fins
particulières. Pourtant, il ne semble pas que le temps soit à la remise en cause de la prison
comme châtiment principal. La situation carcérale française est pourtant problématique.
III – LA SITUATION FRANÇAISE : LA PRISON A LA PEINE ?
La prison en France aujourd’hui fait face à un triple constat d’échec : la
surpopulation carcérale et les conditions de détention sont en totale opposition avec l’idée
d’une peine réhabilitatrice (a), alors que dans le même temps l’emprisonnement ne permet
pas d’empêcher la récidive (b). Pour terminer, l’impossibilité à réformer la prison semble
nous mener dans une impasse (c).
a) Deux constats alarmants : la surpopulation carcérale et les
conditions de détention
Depuis 1975, l’inflation carcérale est quasiment continue en France (sauf
entre 1996 et 2001). En France, le nombre de personnes incarcérées (en maison d’arrêt
ou en centre de détention) est passé de 48 296 au 1er janvier 2002, à 66 761 au 1er avril
2015, soit un accroissement de 38 %. Dans le même temps, le nombre de personnes
placées sous écrou (qui comprend les personnes incarcérées et y ajoute ceux ayant pu
avoir un aménagement de peine à l’extérieur) est passé de 48 594 à 78 456, soit une hausse
de 62 %55. Au total, le taux de placement sous écrou, rapport du nombre de personnes
sous écrou au nombre d’habitants, s’élève à 118 pour 100 000 au 1er avril 2015 alors qu’il
était de 80 pour 100 000 en 2002. De son côté, le taux de détention, rapport du nombre
55 Ministère de la Justice, Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, Paris, Direction de
l’administration pénitentiaire, 2015.
24
de personnes détenues au nombre d’habitants, est passé de 79 pour 100 000 à 101 pour
100 000 sur la même période. Puisque dans le même temps, la population a augmenté de
8%, l’augmentation de la population carcérale ne reflète pas celle de la démographie
nationale. Si l’on prenait les chiffres entre 2002 et 2012, le constat était le même et le
Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) le rappelait dans son avis
du 22 mai 2012 relatif au nombre de personnes détenues56.
Ces chiffres restent largement supérieurs aux capacités d’hébergement des 191
établissements pénitentiaires français. Au 1er avril 2015, le taux d'occupation des
établissements pénitentiaires, soit le nombre de détenus rapporté au nombre de places
disponibles, s’élève à 115 %. 7 établissements ont même un taux d’occupation supérieur
ou égal à 200 %. Dans ce même avis, il est rappelé que l’augmentation de la population
carcérale n’est pas non plus à chercher dans une hausse de la délinquance : les deux ne
sont pas corrélés mathématiquement puisqu’entre entre 2001 et 2010, selon les données
de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, le nombre des
crimes et délits est en baisse57.
Le rapport de Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe58 pointait les
conditions de vie iniques dans les prisons françaises, allant jusqu’à parler de promiscuité,
d’insalubrité, de violence. Le surpeuplement en est à l’origine. Des propos du CGLPL sur
la maison d’arrêt de Majicavo (Mayotte) sont rapportés : « le taux d’occupation des vingthuit cellules se caractérise par une densité très forte qui entraîne une grande promiscuité
et une absence totale d’intimité ». Au 1er avril 2014, 1 090 détenus dorment sur un
matelas posé à même le sol. S’agissant de l’insalubrité, le rapport et le CGLPL dénoncent
les problèmes d’hygiène inhérents aux maisons d’arrêt anciennes mais aussi plus récentes.
56 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026018861
57 Paru au Journal Officiel de la République Française du 13 juin 2012.
58 Dominique RAIMBOURG, Sébastien HUYGHE, 2013, op. cit.
25
Troisième élément évoqué, la violence. Elle est bien sûr liée selon les rapporteurs aux
individus peuplant les prisons. Mais elle est tout autant le fruit de la surpopulation et des
conditions de détention. Cette violence est aussi parfois autodestructrice, la France
présentant l’un des taux de suicide carcéral le plus élevé en Europe59. Ces divers
problèmes ont pour conséquence la non-application de certaines dispositions législatives.
Par exemple, celui de l’encellulement individuel pourtant affirmé à l’article 87 de
la loi pénitentiaire, et au premier alinéa de l’article 716 du Code de procédure pénale. De
même, les condamnés et les prévenus ne peuvent pas forcément être détenus dans des
endroits différents, comme prévu par le deuxième alinéa de l’article 717 du Code de
procédure pénale. S’agissant enfin des activités : selon les recommandations 26.1 et
suivantes des Règles pénitentiaires européennes, l’article 27 de la loi pénitentiaire dispose
que « toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui
est proposée par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion
et de probation dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à
son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité ». Les rapporteurs constatent
à l’inverse que « l’oisiveté est la règle, et le travail ou la formation professionnelle
l’exception ». Non pas par manque de volonté des détenus mais parce que les activités
manquent ou que les listes d’attente sont trop longues.
La prévention de la récidive, par la préparation d’une réinsertion, est donc ici peu
envisageable tant que l’accoutumance au travail n’est pas suffisante pour préparer la
transition. La surpopulation carcérale enfreint pour terminer deux autres droits des
détenus prévus dans la loi pénitentiaire : le droit au maintien des liens familiaux (articles
34 à 36), et le droit à la santé (article 46). Les parloirs familiaux sont soit saturés, soit
totalement inexistants, tandis que les délais de prise en charge en matière sanitaire sont
59 Observatoire international des prisons, Les conditions de détention en France, (dossier de presse),
7 décembre 2011
26
étirés par la surpopulation carcérale. La France a déjà fait l’objet de plusieurs
condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme en raison de traitements
inhumains et dégradants envers les détenus. La surpopulation ne figurait pas parmi les
motifs retenus mais un arrêt du 22 octobre 2009 n’exclut pas cette possibilité dans
l’avenir60.
b) L’échec des prisons françaises en matière de récidive : de la
nécessité de la réforme ?
La récidive légale, régie aux articles 132-8 à 132-11 du Code pénal, est définie
comme la commission d’une nouvelle infraction dans un certain laps de temps après une
première condamnation pour une infraction proche ou équivalente. La récidive supposant
la répétition d'un comportement, on parle de premier terme pour désigner la première
infraction, et de second terme pour celle qui est sur le point d'être jugée. Pour parler de
premier terme de la récidive, la première infraction doit avoir donné lieu à une
condamnation définitive (c’est-à-dire sans que plus aucune voie de recours ne soit
possible) au moment où la deuxième infraction est commise.
Il existe deux types de récidive. On trouve, d’une part, des récidives générales : la
loi n’exige pas que la nouvelle infraction soit de même nature que celle qui a donné lieu
à une première condamnation. Ainsi, une personne déjà condamnée pour crime ou pour
un délit puni de dix années d'emprisonnement et qui commet un crime est en état de
récidive, peu importe le temps qui s'est écoulé entre les deux (récidive générale et
perpétuelle). Si le second terme est un délit passible de plus d'un an d'emprisonnement,
on parle de récidive générale et temporaire car ici le second terme est seulement considéré
dans un certain délai après la première condamnation. D’autre part, existe la récidive
60 Cour Européenne des Droits de l’Homme, 22 octobre 2009, Norbert Sikorski c. Pologne, n° 17599/05.
27
spéciale : elle s'applique à tout délit pour le premier terme, le second devant être un délit
de même nature ou assimilé commis dans un délai de 5 ans. En ce sens, par exemple, le
vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance sont considérés, au
regard de la récidive, comme une même infraction, de même encore que les délits
d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles.
En France, une étude sur les sortants de prison, publiée en 2011 par deux
chercheurs de l'Administration pénitentiaire, a porté sur 7 000 dossiers de détenus libérés
entre juin et décembre 200261. Ils ont été comparés cinq ans plus tard, c'est-à-dire dans
les années 2007-2008, à leur casier judiciaire. L’étude reprend les critères de la récidive
légale mais élargit aussi le propos en retenant toute condamnation pénale pour des crimes
ou des délits commis pendant les cinq années suivant la libération quelle que soit la nature
de la peine prononcée. Après un an de liberté, le taux de re-condamnation était de 32%.
Dans les cinq ans suivant leur libération, 59 % des détenus étaient de nouveau condamnés
dont 46 % d'entre eux à de la prison ferme. Plus les condamnés restent enfermés, plus ils
récidivent en sortant. En effet, les risques de re-condamnation des libérés n'ayant
bénéficié d'aucun aménagement de peine (les « sorties sèches ») demeurent 1,6 fois plus
élevés (63% contre 39%) que ceux ayant pu bénéficier d'une libération conditionnelle.
Nous avons déjà vu que l’échec de la prison à éviter la récidive de ceux qu’elle accueille,
n’était en fait même pas un échec en soi mais une fonction particulière de fabrication de
la délinquance. Ce qui interroge plus particulièrement, c’est la persistance du discours qui
fait de la prison la solution à la récidive. Eric Ciotti, député UMP, déclarait ainsi : « Le
seul message efficace pour éviter la récidive, c’est la prison ferme »62. Le discours de
légitimation sur le sens d’une peine soi-disant conçue pour permettre la réinsertion se
heurte aux faits. C’est en effet le fonctionnement même de l’institution carcérale
aujourd’hui qui est en décalage avec les objectifs fixés. La solution est-elle dans la
réforme ?
61 Annie KENSEY, Abdelmalik BENAOUDA, Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle
évaluation, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques n°36, Direction de l’administration
pénitentiaire, 2011.
62http://www.huffingtonpost.fr/2014/06/03/reforme-penale-prison-est-elle-efficace-contrerecidive_n_5429927.html
28
c) La réforme de la prison, un mirage ?
Comme le dit Alain Abécassis, « dès sa naissance, la prison est un échec et suscite
des critiques qui n’ont pas varié depuis plus d’un siècle et demi. Elle ne diminue pas la
criminalité, encore moins la récidive. (...) Depuis sa création, les mêmes remèdes
inspirent les réformes de la prison, destinées à mettre un terme à ses échecs
périodiquement dénoncés »63. Installée dans la société comme peine emblématique,
comme modèle indépassable, la prison est donc née avec des critiques qu’elle a su
intégrer. L’urgence à réformer la prison est toujours mobilisée pour résoudre des
problèmes qui, in fine, se reproduisent inexorablement64 65. Nous remarquons au passage,
à l’instar de Pierre Lascoumes « le faible impact des alternances politiques sur le recours
à l’emprisonnement et le fonctionnement des prisons »66.
Les réformes pénitentiaires entreprises ne manquent pas, réactivant toujours un
discours. Ainsi, depuis la loi du 17 juin 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire et
l’injonction de soins, l’inflation législative en la matière est conséquente. Nous citerons
les plus récentes à défaut d’être exhaustif : la loi du 12 décembre 2005 relative au
traitement de la récidive des infractions pénales, celle du 5 mars 2007 relative à la
prévention de la délinquance, celle du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive…
Pourtant les constats se répètent, et les solutions apportées se ressemblent.
63 Alain ABECASSIS, La prison depuis quand ?, Toujours les prisons, Esprit, n° 11, 1979.
64 Simone BUFFARD, Le froid pénitentiaire. L’impossible réforme des prisons, Paris, Seuil, 1973, p.184.
65 Christian CARLIER, La prison vue par les historiens, Panoramiques, 2000, n°45, p. 19.
66 Pierre LASCOUMES, Ruptures politiques et politiques pénitentiaires, analyse comparative des dynamiques
de changement institutionnel, Déviance et Société, 2006, vol. 30, n° 3, p. 405
29
Aujourd’hui encore, en réponse à l’augmentation du nombre de peines
d’emprisonnement, à l’allongement des longues peines, la solution généralement
proposée et implémentée est celle de l’extension du parc pénitentiaire. Même le rapport
de 2013 à l’Assemblée Nationale, après tant de constats déshonorants, estime que « la
construction de nouveaux établissements pénitentiaires [est] rendue nécessaire par
l’augmentation du nombre de personnes condamnées à des peines privatives de liberté et
la dégradation progressive des conditions de détention ». Le Groupe de Créteil, constitué
début 2012 autour de juges d’application des peines du TGI de Créteil, de syndicalistes
et de juristes de l’Observatoire international des prisons (OIP), parle de « fuite en avant »
en la matière67. Mais où se situe la solution ?
Gilles Chantraine dénonce l’aporie à laquelle mènent deux démarches soi-disant
critiques envers les prisons : la première, « carcéralo-centriste »68, qui mettrait l’accent
sur l’amélioration du sort des détenus, et la seconde, abolitionniste pure et simple qui
s’appuie sur les critiques que l’on a successivement exposées. La première approche vient
à entériner un système carcéral dont il est pourtant utile de combattre les fondements
même. Il faut ainsi se méfier de la recherche de réformes carcérales visant à «
l'amélioration du sort des détenus » lorsqu'elles ne s'insèrent pas dans une théorie globale
de l'enfermement carcéral. La seconde, de par son caractère extrême, ne permet pas de
penser un droit de l’exécution des peines et de l’amélioration de cette exécution. En
affirmant que toute réforme vient renforcer l'institution, « la Cause devient
paradoxalement plus importante que la situation immédiate et concrète de ceux derrière
les barreaux que la Cause prétend défendre »69. Yves Cartuyvels résume : « d'un côté,
chercher à faire de la prison un espace de droit, c'est entériner l'existence d'un espace
67 Groupe de Créteil, Prévention de la récidive: Sortir de l’impasse, Pour une politique pénale efficace,
innovante et respectueuse des droits, Créteil, 19 mai 2012.
68 Gilles CHANTRAINE, Prison et regard sociologique, Champ pénal n°1, 2004.
69 Ibid.
30
carcéral qui souffre d'un grave déficit de légitimité, accepter le maintien d'un système
pénal qui repose sur une privation de liberté qu'on peut juger contraire aux droits de
l'homme, accepter la violence d'une logique discriminatoire qui gère l'exclusion (…) de
l'autre, refuser toute réforme de la prison, c'est s'empêcher de penser le développement
d'un droit de l'exécution des peines, source de garanties, de protection et d'améliorations
véritables pour les détenus confrontés, dans leur vie quotidienne, à l'arbitraire et au vide
du monde carcéral »70. Nous semblons nous trouver devant une impasse.
Conclusion du chapitre 1
La prison s’est imposée comme peine de référence à l’issue d’un processus
d’éloignement d’avec les anciennes formes de pénalité. Elle a bâti sa légitimité sur un
discours qui l’a paré de différentes vertus, mais nous avons déconstruit cette
argumentation. Le « sens de la peine » affiché a été questionné. Pour autant, l’heure n’est
pas à la fin du système carcéral. De récentes dispositions législatives s’appuient même
sur des présupposés anciens au sujet de la peine privative de liberté. Elles s’accommodent
de la situation désastreuse des prisons françaises. Les objectifs affichés du service public
pénitentiaire sur le sens de la peine semblent donc sonner creux. Mais ce serait occulter
l’émergence concomitante d’un autre paradigme sur le sens de la peine : celui des
alternatives à l’incarcération, que nous nous proposons d’étudier maintenant.
70 Yves CARTUYVELS, Réformer ou supprimer : le dilemme des prisons, in Olivier de SCHUTTER, Dan
KAMINSKI. (Eds.), L'institution du droit pénitentiaire, Paris, LGDJ, La pensée juridique, 2002, p. 130131.
31
CHAPITRE 2 : LA PROBATION, UN RENOUVELLEMENT DU
SENS DE LA PEINE ?
Face à la perte de sens de la peine de prison, le renouveau peut-il venir des
alternatives à l’incarcération ? C’est tout le sujet de la probation et de son approche
novatrice. Il s’agira donc de revenir sur l’émergence de cette notion et d’en définir les
contours (I), avant d’exposer les bienfaits et les critiques dont elle fait l’objet (II). Un
point sur la contrainte pénale, nouvelle mesure revendiquant le statut de peine de
probation, clora le chapitre (III).
I – PROBATION, ALTERNATIVES… LES CONTOURS DE LA DEFINITION
La probation naît d’une démarche qui souhaite limiter le recours à
l’emprisonnement (a). Sa définition n’est pas aisée (b), surtout en France où l’arsenal des
peines qui s’y rattache est conséquent (c).
a) Un nouveau sens de la peine : la prison en dernier recours
Nous avons vu que l’école de la défense sociale possédait une attitude ambiguë à
l’égard de la prison ; certes la rétention de sûreté s’appuie sur certaines de ses
recommandations, héritées du positivisme, comme la dangerosité des individus à laquelle
il faudrait répondre par l’enfermement. Mais chez son héritière, l’école de la défense
sociale nouvelle, se trouve en filigrane la question de la réinsertion. Au sortir de la
Seconde Guerre mondiale, ce courant théorique notamment incarné par Marc Ancel71, en
71 Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle, un mouvement de politique criminelle humaniste, Paris,
Editions Cujas, 1954.
32
appelle à une étude personnalisée de chaque délinquant. C’est le principe
d’individualisation des peines qui se dégage. Et au soutien de celui-ci, dans les années
1970, celui de la subsidiarité de l’emprisonnement émerge également : la resocialisation
pourra se faire à l’extérieur des murs. C’est donc une toute nouvelle réflexion sur le sens
de la peine qui s’opère, et la réhabilitation prend un nouveau tour après les visions des
maisons de correction. La peine devient « un élément d’une pédagogie de la
responsabilité, non pas morale mais sociale »72. En cela, elle dépasse également les
simples fonctions rétributives ou neutralisatrices que revêtent la peine de prison, visant
sur le long terme au retour dans la société de l’individu déviant.
La loi du 11 juillet 1975 affirme : « lorsque l’auteur d’un délit encourt, soit de
plein droit, soit par l’effet d’une condamnation obligatoire ou facultative, une sanction
pénale autre que l’emprisonnement ou l’amende, cette sanction peut être prononcée à titre
de peine principale »73. Le Code pénal de 1994, ensuite, va renforcer cette subsidiarité de
l’emprisonnement. D’une part, il supprime les peines de prison minimales encourues.
D’autre part, il oblige le juge à motiver spécialement toute peine d'emprisonnement
supérieure à un an lorsque celle-ci est prononcée sans sursis. Il apparaît que la peine
privative de liberté ne doit être prononcée qu’en dernier recours. Pour que ce paradigme
du dernier recours ne fasse réellement son entrée dans notre législation, c’est l’influence
européenne qui a été déterminante.
En effet, pour limiter l’usage de la privation de liberté, le Conseil de l’Europe n’a
cessé de promouvoir le recours aux « sanctions et mesures appliquées dans la
communauté » (SMC). Le 19 octobre 1992, la première recommandation qui leur est
72 Christine LAZERGES, Introduction. L’individualisation de la peine, Criminologie et sciences de l'homme,
Toulouse, ERES, 2001.
73 Article 43-1 de l’ancien Code pénal
33
entièrement consacrée a été adoptée par le Comité des ministres74. Selon le Conseil de
l’Europe, les SMC sont des sanctions non carcérales, accompagnées d’une supervision,
c’est-à-dire d’assistance, d’aide et de contrôle. Elles peuvent donc concerner aussi les
modalités d’exécution d’une peine privative de liberté hors d’un établissement
pénitentiaire. Le Conseil de l’Europe adopta une autre recommandation le 11 janvier 2006
sur les Règles pénitentiaires européennes. Recommandation qui énonce que « nul ne peut
être privé de sa liberté, à moins que cette privation de liberté ne constitue une mesure de
dernier recours [souligné par nous] et qu’elle soit en conformité avec des procédures
définies par la loi »75. Si une recommandation du Conseil de l’Europe n’a pas de caractère
contraignant pour les Etats membres, elle représente tout de même un engagement
politique fort, une « promesse morale »76. C’est pourquoi on peut considérer que la
législation française qui a suivi a été impactée par cette recommandation. En particulier,
la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ajoute un alinéa 3 à l’article 132-24 du Code
pénal. Celui-ci étend le principe d’aménagement de peine en matière correctionnelle dès
qu’il est prononcé une peine d’emprisonnement. Ainsi, s’affirme un peu plus le principe
selon lequel la peine privative de liberté ne doit être prononcée qu’en dernier recours,
lorsqu’il est démontré qu’aucune autre sanction n’est possible.
74 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(92)16 du Comité des Ministres aux Etats membres relatives
aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, adopté par le comité
des ministres le 19 octobre 1992, lors de la 482e réunion des Délégués des ministres.
75 Conseil de l’Europe. Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les
Règles pénitentiaires européennes (adoptée par le Comité des Ministres le 11 janvier 2006, lors de la
952e réunion des Délégués des Ministres)
76 Pierre-Victor TOURNIER, La politique pénale du Conseil de l'Europe. De la prison en première ligne à la
prison comme alternative de dernier recours aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté,
Archives de politique criminelle, 2013, vol. 1, n° 35, p. 91-104.
34
b) De quoi la probation est-elle le nom ?
La culture de la probation est originellement plutôt anglo-saxonne77. Mais
l’apparition de la liberté conditionnelle dès 1885 en France montre les prémisses d’une
culture probatoire. Ainsi, bien avant que l’idée de « prison comme dernier recours » ne
soit inscrite dans notre législation, il existait dans notre droit des peines alternatives ou
probatoires. Mais le mot de probation n’est jamais évoqué en tant que tel dans notre droit :
dès lors, un effort de clarification s’impose.
La définition la plus largement admise de la probation vient encore du Conseil
de l’Europe : elle est « l’exécution en milieu ouvert de sanctions et de mesures définies
par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction ». Elle « consiste en toute
une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le
but d’intégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la
sécurité collective »78. Au sens strict, la probation devrait donc se concevoir sans la
menace d’une sanction par l’incarcération en cas de non-respect des obligations, ces
obligations étant la sanction même.
Dans la pratique toutefois et particulièrement dans l’arsenal des peines français,
la probation conserve toujours un lien avec l’incarcération. Nous pouvons donc parler de
probation inachevée ou partielle. Ainsi, nous parlerons indifféremment de peines
alternatives à la prison ou de probation au cours de notre propos. De plus, nous suivrons
la typologie de Xavier de Larminat79. Nous souscrivons à sa définition de la probation
comme « l’ensemble des mesures pénales n’impliquant pas d’enfermement mais
induisant des formes de contrôle et d’accompagnement en milieu ouvert, sans isoler le
justiciable du contexte lequel il évolue ». La définition exclut de manière évidente
77 Yves PERRIER, La Probation de 1885 à 2005. Sanctions et mesures dans la communauté, Paris, Dalloz,
2013.
78 Conseil de l’Europe. Recommandation CM/Rec(2010)1 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les
règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, adoptée par le Comité des Ministres le 20 janvier
2010, lors de la 1075e réunion des Délégués des Ministres.
79 Xavier de LARMINAT, Hors des murs. L’exécution des peines en milieu ouvert, Paris, PUF, coll. Partage
du savoir, 2014, pp. 2-3.
35
l’incarcération, mais aussi les peines sans supervision (sursis simple, amendes). Précisons
également que nous nous concentrerons sur les alternatives à la prison et non les
alternatives aux poursuites même (antérieures à la saisine du tribunal) comme la
médiation, le rappel à la loi.
Cette définition présente l’avantage de retenir un panel large de mesures, qui sont
toutes prises en charge par les services de probation en France. Au sein de cette définition
extensive, se trouvent les mesures les plus proches de la probation au sens strict : le sursis
avec mise à l’épreuve (SME), le travail d’intérêt général (TIG), la libération
conditionnelle (LC), le suivi socio-judiciaire (SSJ). Mais peuvent aussi entrer dans notre
champ d’étude les aménagements de peine sous écrou. Elles conservent un lien avec
l’emprisonnement mais présentent aussi des conditions de la probation. Parmi eux, on
retiendra le placement sous surveillance électronique, la semi-liberté, et le placement
extérieur.
On voit donc que les mesures de probation sont disséminées dans le processus
répressif, parfois appliquées dès le prononcé de la peine, parfois n’étant que des modalités
de l’exécution de celle-ci. Le code pénal ne parle jamais de probation au sens strict. Il
faut donc saisir au cas par cas ce qui s’y apparente dans l’arsenal des peines français.
c) Mesures en milieu ouvert et aménagements de peine
1) SME, TIG, LC, SSJ : les mesures les plus proches de la probation
En France, le milieu ouvert représente, pour reprendre une métaphore d’un
directeur d’un service de probation interrogé par Philippe Garreau, « la partie immergée
de l’iceberg pénitentiaire dont seul émergerait la forteresse carcérale »80. En effet au 1er
janvier 2015, l’administration pénitentiaire dénombrait 172 007 personnes suivies en
milieu ouvert contre 77 291 en milieu fermé (incarcérés + aménagements de peine).
Nous allons explorer les quatre mesures majeures exécutées en milieu ouvert
(libération conditionnelle, travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve, suivi
80 Philippe GARREAU, Le SPIP et les différentes procédures d’aménagement de peine : entre commandesquantité et recherche-qualité, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2007, n°1, p. 139-144.
36
socio-judiciaire), en en délaissant deux autres par souci de clarté. En effet ces dernières
sont relativement marginales, qu’elles concernent les individus faisant l’objet
d’interdiction de séjour (0,4%), ou ceux concernés par les ajournements avec mise à
l’épreuve (0,1%)
Commençons par la mesure la plus ancienne, à savoir la libération conditionnelle.
Au 1er janvier 2015, 6 272 en font l’objet soit 3,3% du milieu ouvert. Elle fut introduite
dans notre droit pénal par la loi Bérenger du 14 août 1885. Décision administrative au
départ, elle fut remise dans les mains du juge d’application des peines au terme d’un débat
contradictoire, par la loi du 15 juin 2000. La loi du 9 mars 2004 dite Perben II parachève
son régime juridique : après avoir purgé au moins la moitié d’une peine ferme (les deux
tiers pour les récidivistes), une liberté anticipée peut être accordée en contrepartie d’un
accompagnement social et du contrôle d’obligations pénales. La loi pénitentiaire a permis
de prononcer, en plus de la liberté conditionnelle, un régime de semi-liberté ou un
placement sous surveillance électronique.
Evoquons ensuite la mesure la plus connue, le travail d’intérêt général (TIG). Au
1er janvier 2015, 38 529 personnes étaient soumises à un TIG (20,4% du milieu ouvert).
Il est créé par la loi du 10 juin 1983. Un individu doit effectuer un travail non rémunéré
au profit d’une collectivité, d’un établissement public ou d’une association. La peine peut
être prononcée comme peine complémentaire pour les contraventions, comme peine
principale lorsqu'une peine d'emprisonnement est encourue, ou comme mise à l'épreuve
dans le cadre d'une peine d'emprisonnement avec sursis (on parle de sursis-TIG). La
personne condamnée qui se dérobe à ses obligations ou dont le travail est insatisfaisant
s'expose à des sanctions. Le tribunal correctionnel peut condamner l'auteur pour nonexécution du TIG, ou révoquer le sursis si la peine en était assortie.
Troisièmement, la plus fréquente, le sursis avec mise à l’épreuve (SME). Au 1er
janvier 2015, 136 871 personnes étaient sous le régime du SME, soit 72,6% du milieu
ouvert. C’est la peine, parmi toute notre typologie, qui se rapproche le plus de la définition
stricte de la probation. Instituée en 195881, elle est fortement inspirée des systèmes anglo-
81 Ordonnance n°58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le Code de procédure pénale
37
saxons. Pour lutter contre les effets désocialisants d’une courte peine d’emprisonnement,
le SME dispense le condamné d'exécuter tout ou partie de la peine prononcée tout en le
soumettant à certaines obligations. Il concerne les personnes physiques condamnées à une
incarcération d'une durée de 5 ans au plus, en raison d'un crime ou d'un délit. Le régime
juridique du SME est plus fourni que celui du sursis simple : en permettant d’une part un
contrôle et un suivi pendant une durée déterminée (délai d’épreuve) et en occasionnant
d’autre part une sanction pour manquement aux obligations (sans attendre une autre
infraction). Dans ce dernier cas, le sursis est alors révoqué, ce qui entraîne la mise à
exécution totale ou partielle de l’emprisonnement. Les obligations générales du
condamné sont énumérées à l’article 132-44 du code pénal, en tant que « mesures de
contrôle » (répondre aux convocations du JAP ou du conseiller d’insertion et de
probation, prévenir de son changement d’adresse…) tandis que d’autres obligations
particulières listées à l’article 132-45 peuvent être fixées au cas par cas (ex : établir sa
résidence dans un lieu déterminé, ne pas se livrer à certaines activités professionnelles,
ne pas fréquenter les débits de boissons…) Enfin, le condamné peut bénéficier de
mesures d’aide « destinées à favoriser son reclassement social »82.
Le suivi socio-judiciaire (SSJ) a été instauré par la loi n°98-468 du 17 juin 1998.
Au 1er janvier 2015, il concerne 6 012 individus (3,2% des suivis en milieu ouvert). Il est
destiné à lutter contre la récidive en cas d’infraction sexuelle. L’article 131-36-1 du code
pénal prévoit que le SSJ «emporte, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous
le contrôle du juge de l'application des peines et pendant une durée déterminée par la
juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir
la récidive. La durée du SSJ ne peut excéder dix ans en cas de condamnation pour délit
ou vingt ans en cas de condamnation pour crime. ». La décision de condamnation fixe
également la durée maximum de l'emprisonnement encouru par le condamné en cas
d'inobservation des obligations qui lui sont imposées. L’article 131-36-4 précise que « le
suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins ». Le SSJ est souvent
considéré comme la mesure de milieu ouvert « la plus sévère ».
82 Article 132-46 du Code pénal
38
2) Les aménagements de peine sous écrou
Ces aménagements permettent, si le juge en décide, à des personnes condamnées
à des peines allant jusqu’à deux ans de prison ferme (un an pour les récidivistes) de purger
tout ou partie de la sanction à l’extérieur, avec des obligations qui lui sont attachées. Cela
s’inscrit dans le principe de subsidiarité de l’emprisonnement évoqué supra, puisque
l’introduction de mesures d’aménagement a vocation à limiter l’incarcération définitive
du condamné pour favoriser l’insertion sociale. Il peut paraître paradoxal de parler
d’alternatives à l’incarcération voire de probation lorsque l’on ne fait que modifier les
modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement. Néanmoins, comme l’explique
Xavier de Larminat, les conditions de ces aménagements s’apparentent à celle de la
probation, ce qui justifie notre choix expliqué en amont de les inclure dans le champ de
la probation française83. Lorsque le condamné présente des garanties suffisantes en
termes de réinsertion et de prévention de la récidive, le juge d’application des peines peut
donc décider que la peine d’emprisonnement s’effectuera sous l’un des régimes suivants :
la semi-liberté, le placement extérieur (tous deux consacrés dans la loi du 19 juillet 1970),
le placement sous surveillance électronique (PSE, implémenté en 1997). Au 1er janvier
2015, parmi les 77 291 personnes sous écrou, 12 689 font l’objet d’aménagements de
peine. Les « aménagés » représentent ainsi 20,9% de l’ensemble des condamnés écroués.
Parmi eux, 7,6% sont en placement extérieur, 13,3% en semi-liberté, 79,1% en PSE.
La semi-liberté permet à une personne condamnée de bénéficier d’un régime
particulier de détention l’autorisant à quitter l’établissement pénitentiaire afin d’exercer
une activité professionnelle, de suivre un enseignement, de rechercher un emploi, de
participer de manière essentielle à sa vie de famille, de suivre un traitement médical, de
s’investir dans tout autre projet d’insertion ou de réinsertion. Chaque jour, l’activité
terminée, la personne est incarcérée dans un centre de semi-liberté ou dans un quartier
spécifique de l’établissement pénitentiaire où elle est écrouée. Elle doit obligatoirement
suivre les conditions fixées par le juge de l’application des peines en fonction de sa
situation : horaires des activités, indemnisation des victimes, interdiction de fréquenter
83 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 3.
39
des personnes, etc. La mesure peut être octroyée avant le début ou au cours de
l’incarcération.
Le placement à l’extérieur fonctionne selon le même principe, à l’exception près
que la personne placée doit se rendre, selon la décision du juge de l’application des peines,
soit dans les locaux d’une association qui l’héberge et l’accompagne, soit au domicile
d’un proche ou à l’établissement pénitentiaire. La plupart des personnes placées sont
d’ailleurs hébergées en dehors des établissements pénitentiaires, par des associations ou
bien par location d’appartement. Environ 40 % d’entre elles regagnent la prison chaque
soir84. Là encore, la personne doit obligatoirement respecter toutes les conditions fixées
par le juge de l’application des peines en fonction de sa situation : horaires et suivi des
activités, indemnisation des victimes, interdiction de fréquenter des personnes etc., sous
peine de retour en détention.
Au sujet de la plus récente, le placement sous surveillance électronique (PSE) :
créé en 1997, il n’a commencé à prendre son essor réellement qu’à partir de 2007. Le
condamné est astreint à son domicile pendant certaines heures fixées par le juge. Il dispose
de plages de liberté qu’il doit consacrer à une activité professionnelle, des soins, un
enseignement… Le condamné porte un bracelet qui le relie à un système de surveillance
géré par l’administration pénitentiaire. Ce bracelet émet des ondes vers un boîtier, et si la
personne sort de chez elle pendant les heures contraintes, une alarme se déclenche à
distance au centre de surveillance, le boîtier ne recevant plus les ondes du bracelet. Le
surveillant, après vérification, doit en avertir le magistrat85.
Après avoir dressé ces typologies, il paraît fondamental d’orienter le débat sur le
sens de ces peines alternatives.
84 Serge PORTELLI, Les alternatives à la prison, Pouvoirs, 2010, vol. 4, n° 135, p. 25.
85 Ibid., p. 23.
40
II – LA PROBATION : EXTENSION DU CONTROLE OU RENOUVEAU
SALUTAIRE ?
L’idée de probation est critiquée de par sa nature même (a) ou pour sa mise en
œuvre chaotique en France (b). Pourtant, elle est porteuse de bienfaits et opère un
renouvellement de la réflexion sur le sens de la peine (c).
a) Sens des peines alternatives : un remède pire que le mal ?
Michel Foucault a été le premier à systématiser une critique des alternatives à
l’enfermement, relayé ensuite par plusieurs auteurs s’en réclamant. Pour le philosophe,
ces alternatives n’auraient pour ainsi dire qu’une différence de degré avec
l’emprisonnement lui-même, et non une différence de nature. Il résume son scepticisme
par ces mots : « Alternative à la prison; quand on me parle de ça, j'ai immédiatement une
réaction enfantine. Je me fais l'impression d'un enfant de 7 ans à qui l'on dit: ‘Écoute,
puisque de toute façon tu vas être puni, qu'est-ce que tu préfères, le fouet ou être privé de
dessert ?’ »86 L’alternative à la prison, pour Foucault, demeure en effet une punition, et
ne pose pas la question de la légitimité de la punition elle-même. Elle ne remet pas à plat
la question du sens de la peine. Il prend ainsi en exemple des expériences contemporaines
à son analyse, en Suède, en Allemagne, en Belgique. Il explique que les nouvelles
approches de la pénalité ne serviraient en fait qu’à décharger la prison de ses fonctions
traditionnelles, pour les transposer ailleurs. Le travail comme rétribution sociale du crime,
pierre angulaire de la pénalité depuis le XIXe siècle, est toujours sanctifié dans le TIG
même s’il ne s’agit pas du même type de travail. L’idée de réinsertion par les alternatives
ferait d’ailleurs écho à l’amendement, cher aux pénalistes du XIXe siècle. Leur
86 Michel FOUCAULT, 1993, op. cit., p. 13.
41
conception était que l’individu devait être capable d’accepter sa propre punition. Ainsi,
on libère les fonctions carcérales traditionnelles hors des murs des prisons elles-mêmes.
Foucault précise aussi que ces alternatives ne seraient de toute manière qu’une façon de
retarder l’arrivée inéluctable en prison.
L’argument suivant, lié à celui précédemment évoqué sur la rémanence des
vieilles fonctions carcérales, est que les alternatives à l’incarcération représenteraient une
extension du contrôle, de la surveillance. Un individu en probation est « surveillé dans la
plénitude ou dans la continuité de sa vie quotidienne »87 : au sein de sa famille, de son
métier, etc. Foucault parle d’extension d’un « tissu cancéreux ». Les fonctions de contrôle
se re-déploient : nous serions donc en présence de formes non pas alternatives mais
itératives. De plus, le sujet des alternatives n’aurait pas émergé par une quelconque
philanthropie. Le processus se répète alors pour Foucault : une peine vue comme porteuse
de progrès n’est finalement pas si humaniste qu’elle pourrait le laisser penser. Elle n’a
acquis sa légitimité que parce que la prison a commencé à perdre ses avantages.
Notamment parce qu’elle n’a plus besoin de fabriquer des illégalismes et des délinquants
comme cela avait été la fonction traditionnelle, mais uniquement de les contrôler, et ce
par le savoir, la psychologie, la criminologie.
La critique foucaldienne a connu une fécondité remarquable dans les travaux
concernant les alternatives à la prison, dans le sillage des concepts de société punitive88,
d’Etat de contrôle89. Ainsi, l’émergence de ce nouveau type de peines manifesterait
l’élargissement du filet pénal (net-widening) et le rétrécissement des mailles de ce filet90.
87 Michel FOUCAULT, 1993, op. cit., p. 20.
88 David GARLAND, The Culture of Control: Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford,
Oxford University Press, 2001.
89 Gilles DELEUZE, Pourparlers, Paris, éditions de Minuit, 1990.
90 James AUSTIN, Barry KRISBERG, Wider, Stronger and Different Nets : the Dialetics of Justice Reform,
Journal of Research on Crime and Delinquency, 1981, vol. 18, p. 165-196.
42
La moitié tout au plus des alternatives serait vraiment appliquée en remplacement d’une
privation de liberté. L’autre moitié se substituant à des sanctions moins intrusives voire
même à la liberté91 : la probation remplace le sursis simple, le bracelet électronique
s’ajoute à la probation ou au TIG, etc. De plus, ce type de peines occasionnerait in fine
une augmentation de la population carcérale – les juges haussant la peine
d’emprisonnement en cas de sursis afin de maintenir le caractère dissuasif de la peine –
et l’allongement des longues peines pour les personnes non concernées par les
alternatives. Enfin, les « populations cibles » (minorités ethniques par exemple) ne
bénéficieraient pas de ces peines alternatives, souvent en raison d’un pronostic négatif à
leur égard concernant leur condition socio-économique. Nous pouvons toutefois nous
étonner ici de l’argumentation de Kaminski qui, d’une part, critique le recours même à
ces peines, et d’autre part, déplore le fait que certaines populations n’en bénéficient pas.
La pénalité demeure une « économie concertée des infractions ». Puisque « les
changements observables dans l’économie punitive sont à analyser en relation avec des
intérêts économiques et professionnels »92, il paraît donc important de mentionner un
dernier point. Une critique fait des peines alternatives un déploiement de l’idéologie
néolibérale. A grands traits, celle-ci défend l’extension de la rationalité économique à
l’ensemble du champ social, la valorisation de la responsabilité individuelle, la
privatisation des responsabilités économiques et sociales qui incombaient auparavant à
l’Etat. Pour Pierrette Poncela, le sens réel des peines de milieu ouvert est de normaliser
les comportements à moindre coût, après que l’on a déjà essayé de réduire le coût des
prisons par des délégations de service public ou des contrats de partenariat par exemple.
91 Dan KAMINSKI et al.., Mutations dans le champ des peines et de leur exécution, Déviance et Société,
2007, n° 4, vol. 31, p. 491.
92 Pierrette PONCELA, Dehors... La prison dans la tête. Quelques réflexions à propos des peines de milieu
ouvert, Archives de politique criminelle, 2013, vol. 1, n°35, p. 11.
43
Puisque la prison a échoué à prendre en charge les détenus, les néolibéraux
estiment que c’est aux détenus de « se responsabiliser » face à cet échec. Le milieu ouvert
trouve sa légitimité en ce qu’il promeut des techniques d’autorégulation, par
l’apprentissage de normes de comportement socialement acceptables. Ainsi les contrôles
et les obligations se multiplient, transférant la responsabilité sur l’individu. Il devra être
« performant » dans l’exécution de sa peine. Dans le même temps, l’Etat se désengage
sur les causes économiques et sociales de la peine, au profit des acteurs privés dans
l’exécution de celle-ci, en particulier ceux du secteur marchand. En effet, les technologies
de surveillance notamment électroniques ont « ouvert un marché concurrentiel aux
fournisseurs de matériel intéressés par leur développement et n’hésitant pas à recourir à
tous les procédés habituels de marketing »93 94. Le tracking, la géolocalisation, sont déjà
utilisés par des agences privées de sécurité. On en revient à une société du contrôle, le
traçage étant « une arme de pénétration massive des êtres, de leurs actions, de leurs
intentions »95. Par cette surveillance, c’est aussi une évaluation statistique qui se met en
place, pour évaluer un risque mathématique de récidive, où les données collectées vont
impacter les décisions prises en matière pénale. Ainsi la rationalité néolibérale de gestion
des populations fondée sur le classement standardisé des individus et l’évaluation
quantifiable est à l’œuvre. Nous serions donc loin ici du sens originel de la probation.
Si la critique de l’influence néolibérale retient notre attention (notamment au
chapitre 3), elle ne doit pas nous empêcher « d’interroger le contenu qualitatif même de
ces peines alternatives »96 et leur mise en place. Sans cela en effet, il paraît difficile de
vérifier si les peines alternatives représentent un durcissement de la pénalité. Cela
suppose de comparer des époques et des contextes législatifs différents.
93 Jean-Charles FROMENT, Martine KALUSZYNSKI, Justice et technologies, Grenoble, Presses
Universitaires de Grenoble, 2006.
94 Dan KAMINSKI, La surveillance électronique des justiciables : légitimité publique et livraison privée ?,
Archives de politique criminelle, 2013, n° 35, vol. 1, p. 105-132.
95 Pierrette PONCELA, 2013, op. cit., p. 22.
96 Gilles CHANTRAINE, Axel KUHN, Philippe MARY, Marion VACHERET, L’Etat en retrait ? Trente ans
d’usage de la peine (Belgique, Canada, France, Suisse), Déviance et Société, 2007, vol. 31, n°4, p. 517.
44
b) Quelle mise en œuvre effective de la probation en France : un
manque de lisibilité du sens de la peine ?
Une autre attitude critique existe donc à l’égard des peines alternatives. Elle se
situe moins sur un terrain philosophique qu’empirique, en interrogeant les modalités de
leur mise en œuvre.
La diversification des peines et de leurs modalités d’exécution est souvent pointée
du doigt en ce qu’elle occasionnerait un manque de lisibilité de la politique pénale, tant
pour les professionnels que pour les justiciables. Le sens de la peine en pâtit pour les
justiciables. La prévisibilité de la peine a pourtant été consacrée par le Conseil
Constitutionnel dans sa décision du 18 janvier 1985. Le législateur a adopté, en dix ans,
33 lois de procédure pénale et 67 lois de droit pénal de fond. Les objectifs que l’on assigne
à la peine sont parfois contradictoires et conduisent à une incohérence de cette politique,
dénoncée par des instances indépendantes97. On cherche à concilier les contraires en
matière de sens de la peine, la fonction d’expiation cohabitant avec celle de
resocialisation.
D’une part, face à la place grandissante des thèmes de l’insécurité, de la
criminalité, des législations entretiennent un système répressif. Le recours à
l’emprisonnement n’est donc pas terminé : en 2011, 290 000 peines d’emprisonnement
ont été prononcées, représentant 48% de l’ensemble des condamnations.98 D’autre part
les alternatives sont invoquées comme solution louable – la loi du 9 mars 2004 portant
97 « Les variations des textes et des discours ne permettent pas de dégager une politique pénale stable et
lisible, en premier lieu pour les magistrats, auxquels il est fait grief, un jour d’utiliser la détention de
façon abusive, et le lendemain d’incarcérer trop peu. » CNCDH, Sarah DINDO, Sanctionner dans le
respect des droits de l’homme. Vol. II : Les Alternatives à la détention, Paris, La Documentation
Française, 2007.
98 Ministère de la justice, Etude d’impact du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à
l’individualisation des peines, NOR: JUSX1322682L, 7 octobre 2013.
45
adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité avait consacré tout un chapitre
aux peines alternatives et aux aménagements de peine. En particulier, le principe
d’individualisation des peines voit son application restreinte puisqu’il ne semble pas
question de l’accorder aux récidivistes : la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
expliquait que les aménagements de peine ne valaient « qu’en dehors des condamnations
en récidive légale ». C’est particulièrement patent concernant le recours au sursis avec
mise à l’épreuve qui a été considérablement restreint aux récidivistes par la loi du 12
décembre 2005. Pourtant, les récidivistes devraient précisément être l’objet de cette
individualisation, y compris pour appliquer s’il le faut, « davantage de sévérité »99.
Serge Portelli pointe deux autres incohérences attachées aux peines alternatives :
tout d’abord le manque de moyens qui leur sont attachés (manque de postes de travail en
matière de TIG, manques d’effectifs pour l’application des SME dont un millier de
dossiers étaient en attente en 2010 à Paris100), et enfin le comportement des juges
correctionnels qui rechignent à appliquer les aménagements de peine et laissent ce travail
au juge d’application des peines (JAP) et au service pénitentiaire d’insertion et de
probation (SPIP). Cela conduit à engorger ces deux services et à retarder
l’individualisation, à repousser l’humanisation « en dehors du regard du public » qui ne
la comprend pas nécessairement. Comme si les professionnels hésitaient à utiliser la
probation parce que dans l’opinion, elle ne serait pas conçue comme une réelle sanction.
Selon le philosophe Frédéric Gros, le premier sens de cette peine est le « rappel à la loi
»101 : la punition répond, par principe, à la transgression d’un interdit. C’est, nous l’avons
vu, la conception kantienne qui refuse d’accorder à la peine une quelconque utilité ou
rationalité : la punition n’est pas destinée à dissuader ou amender le criminel. Elle est
99 Serge PORTELLI, 2010, op. cit., p. 27.
100 Ibid., p. 22.
101 Antoine GARAPON, Frédéric GROS, Thierry PECH, Et ce sera Justice. Punir en démocratie, Paris, Odile
Jacob, 2001.
46
simplement un « devoir moral absolu et catégorique » destiné à réaffirmer la « majesté
de la Loi outragée ». C’est pourquoi le recours aux alternatives est parfois taxé d’attitude
laxiste, de cadeau fait aux délinquants. La probation est pourtant « une peine à part
entière. » Pour beaucoup de délinquants, les contraintes lourdes qu’imposent les
alternatives seront plus difficiles à supporter que la prison.102 Ainsi du PSE : « Le PSE
n’est pas une peine anodine, loin de là. La contrainte […] est extrêmement forte. On parle
à son sujet de « prison à domicile » et il ne s’agit pas d’une image. La personne absorbe
en quelque sorte la prison, elle l’intègre à son quotidien. »103
Face au scepticisme entourant le caractère punitif de la probation, les peines en
milieu ouvert ont donc parfois renoué avec des fonctions punitives qu’elles sont censées
pourtant délaisser. Le SSJ prévoit une injonction de soins pour les individus jugés
dangereux en raison d’infractions commises auparavant. Il sollicite donc des conceptions
thérapeutiques et psychiatriques, comme des remèdes à appliquer aux délinquants pour
les neutraliser. Ce dispositif rappelle la fonction de neutralisation des individus dangereux
attachée à la peine. Il peut donc être vu comme un dévoiement de la logique probatoire.
L’exemple du SME est aussi patent pour montrer des incohérences entre les divers
objectifs assignés à une peine. Certes, l’individu au SME doit se soumettre à des «
mesures de contrôle » (répondre aux convocations du JAP ou SPIP, prévenir de son
changement d’adresse…). Toutefois pour Sarah Dindo, présidente de la section française
de l’OIP, le SME n’est pas une véritable peine de probation. Pour cela il faudrait pouvoir
le définir par son seul contenu, « c’est à dire, un accompagnement personnalisé en réponse
aux problématiques liées à la commission de l’infraction (addiction, rapport à l’autorité,
difficultés familiales, isolement…) plutôt que de l’envisager comme une simple
102 Conférence de consensus, Rapport du jury de consensus remis au premier ministre, « Pour une nouvelle
politique publique de prévention de la récidive, Principes d’action et méthodes », Paris, 20 septembre
2013.
103 Serge PORTELLI, 2010, op. cit., p. 24.
47
suspension de l’exécution d’une peine à condition de respecter un certain nombre
d’obligations pendant un temps d’épreuve »104. Ainsi, des obligations probatoires se
diluent dans de nombreuses peines aménagées ou alternatives à l’emprisonnement.
c) Défense de la probation : bienfaits de la peine et renouveau de la
réflexion
Malgré ces critiques, la probation a le vent en poupe. En effet aujourd’hui, les
mesures alternatives à la détention, soit totales soit partielles, émergent comme références
positives et souhaitables en matière de sanction car jugées plus efficaces. Ainsi les
institutions européennes s’y déclarent régulièrement favorables, car elles présenteraient
une utilité, « aussi bien pour le délinquant que pour la communauté, puisque le délinquant
est à même de continuer à exercer ses choix »105. De même dans la sphère nationale,
citons à titre d’exemple une circulaire du ministre de la Justice du 27 avril 2006 qui
incitait les magistrats à recourir davantage aux mesures alternatives 106. Ces injonctions
ne sont pas adressées sans justification. Ces mesures alternatives auraient en effet prouvé
leur efficacité. A l’appui de ce constat, aux côtés des statistiques de récidive suite à
l’incarcération évoquées supra, nous pouvons opposer celles qui interviennent après des
mesures alternatives. En effet, selon des chiffres de l’administration pénitentiaire,
comparé à la prison, le SME divise par deux le risque d’une nouvelle condamnation à la
prison dans les cinq ans. Alors que 61% des sortants de prison sont à nouveau condamnés
à l’emprisonnement ferme pour un délit dans les cinq ans, ce taux chute à 32% pour les
104 Sarah DINDO, Sursis avec mise à l’épreuve: la peine méconnue. Une analyse des pratiques de la probation
en France, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2011.
105 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(92)16 du Comité des Ministres aux Etats membres relatives
aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, adopté par le comité
des ministres le 19 octobre 1992, lors de la 482e réunion des Délégués des ministres.
106 Circulaire de la Chambre criminelle de Cour de cassation 06-09 / E3-27.
48
personnes condamnées à un SME.107 De même, une étude néerlandaise constate que le
taux de recondamnation est toujours supérieur lorsqu'une personne est incarcérée : 25%
un an après une peine de travail d’intérêt général contre 65% un an après une peine de
prison.108 Une autre étude a été menée en Suisse, qui concluait à l’influence positive du
travail dans la communauté sur le taux de récidive, contrairement à l’emprisonnement109.
Le TIG permet ainsi de rapprocher la société et le condamné110. La probation et
l’individualisation de la peine ont donc fait l’objet d’évaluations approfondies,
notamment de la part du Conseil de l’Europe, qui attestent de son efficacité en matière de
réinsertion. Loin d’être des sanctions édulcorées, les peines alternatives conservent une
part punitive. Mais leur but premier demeure la réactivation d’une fonction de
resocialisation en exécutant les mesures hors des prisons et en permettant à l’individu de
bâtir un projet.
Précisons enfin que cet engouement pour des mesures alternatives s’inscrit aussi
dans une réflexion plus globale sur la notion de restorative justice, développée depuis les
années 1980 dans les pays anglo-saxons. La probation participe ainsi d’un renouveau dans
la réflexion sur le sens de la peine. En effet, nous ne sommes pas accoutumés à cette
conception au point que nous ne parvenons pas à trouver réellement de terme unique dans
notre langue : justice réparatrice, restaurative, restauratrice ? Celle-ci se définit en tout
cas comme un « processus dans lequel la victime, le délinquant et, lorsqu'il y a lieu, toute
autre personne ou tout autre membre de la communauté subissant les conséquences d'une
infraction, participent ensemble activement à la résolution des problèmes découlant de
cette infraction, généralement avec l'aide d'un facilitateur. »111 Certes, la justice
réparatrice ne poursuit pas les mêmes objectifs que la justice pénale, objet de notre
107 Ministère de la Justice. Prévention de la récidive et individualisation de la peine : chiffres clés. 2014.
108 Ibid.
109 Martin KILLIAS, Marcelo AEBI, Denis RIBEAUD, Does community service rehabilitate better than
short-term imprisonment ? Results of a controlled experiment, The Howard Journal, 2000, n° 39, p. 40–
57.
110 Serge PORTELLI, 2010, op. cit., p. 21.
111 Conseil Economique et Social des Nations Unies, Commission pour la prévention du crime et la justice
pénale, avril 2002.
49
réflexion. La justice pénale vise la sanction de l'acte, alors que la visée de la justice
réparatrice est d'accompagner la restauration la plus complète possible de tous ceux qui
ont été touchés par cet acte. Pour cela, s’opère une réflexion plus large sur les modalités
de cette restauration, la place des victimes dans ce processus. L’horizon « utopique »
serait même la réconciliation entre le condamné et les victimes. La peine de probation ne
va pas jusque-là mais elle est, elle aussi, attentive à la réparation des liens sociaux.
L’émergence de ce thème est donc liée à la fécondité actuelle de la notion de
probation. Preuve en est qu’au moment de la conférence de consensus de 2013 sur la
prévention de la récidive animée par le ministère de la justice, la justice réparatrice
figurait parmi les thèmes abordés : « Cette justice vise à assurer la resocialisation de
l’auteur de l’infraction et, in fine, le rétablissement de la paix sociale. Elle entend de ce
fait redistribuer les rôles entre l’Etat responsable du maintien de l’ordre et la communauté
civile. ». Le travail d’intérêt général fait d’ailleurs partie des mesures de justice réparatrice
citées, s’inscrivant dans les « travaux dans la communauté ». De même, la pratique des
services de probation s’oriente vers la constitution de groupes de parole en faisant
intervenir parfois des associations de victimes.
L’évocation de la conférence de consensus nous amène à nous intéresser au projet
de loi relatif à la lutte contre la récidive et à l’individualisation des peines, présenté par la
Garde des Sceaux en conseil des ministres le 9 octobre 2013112. En effet, les réflexions
autour de la notion de probation dont nous venons de voir le foisonnement se sont
concrétisées dans ce projet. De fait, il prévoyait la mise en place d’une nouvelle mesure
de probation, la contrainte pénale. Quels en sont les modalités, les présupposés ? Que dit
la contrainte pénale sur notre conception du sens de la peine ?
112 Projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, présenté au nom de M.
Jean-Marc AYRAULT, Premier ministre, par Mme Christiane TAUBIRA, garde des sceaux, ministre de
la justice, en conseil des ministres le 9 octobre 2013.
50
III – LA CONTRAINTE PENALE, CONSECRATION TOTALE DE LA PROBATION
EN FRANCE ?
Fruit d’un processus législatif original (a), la contrainte pénale apporte des
éléments nouveaux à la logique probatoire française, invitant à repenser le sens de la peine
(b). Mais elle laisse aussi un goût d’inachevé, questionnant ainsi la possibilité réelle de
mise en œuvre (c).
a) Le processus législatif
Le contexte européen a grandement favorisé un débat plus poussé sur la probation
en France. La recommandation adoptée par le Conseil de l’Europe le 20 janvier 2010 a
ainsi eu une influence majeure sur le projet de loi113, comme celles de 1992114, 1997115
ou 2000116 qui l’ont précédée et promouvaient toutes les « sanctions appliquées dans la
communauté ».
L’émulation a aussi été nationale. Pierre-Victor Tournier, qui a participé aux
travaux à ce sujet au Conseil de l’Europe, se prononçait dès 2007 pour la création d’une
113 Pierre-Victor TOURNIER, Les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation : à propos de la
recommandation adoptée le 20 janvier 2010, AJ Pénal, 2013, p. 126.
114 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(92)16 du Comité des Ministres aux Etats membres relatives
aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, adopté par le comité
des ministres le 19 octobre 1992, lors de la 482e réunion des Délégués des ministres.
115 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(97)12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le
personnel chargé de l’application des sanctions et des mesures, adopté par le comité des ministres le 10
septembre 1997, lors de la 600e réunion des Délégués des ministres.
116 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(2000)22 du Comité des Ministres aux Etats concernant
l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans
la communauté », adopté par le comité des ministres le 29 novembre 2000, lors de la 731e réunion des
Délégués des ministres
51
« contrainte pénale communautaire » (CPC), en substitut au sursis simple, au SME et au
sursis-TIG. L’idée serait de disposer enfin d’une peine de probation à part entière, c’està-dire « sans référence à un quantum d’emprisonnement ferme, épée de Damoclès, qui
pourrait en définitive être appliqué en cas de nouvelle infraction ou de non-respect des
conditions de mise à l’épreuve, mais par un temps de probation entièrement vécu dans la
communauté »117. En cas de non-respect de la probation, le condamné serait de nouveau
jugé, sans préjudice de la nature de la nouvelle sanction, qui pourrait être ou non la prison.
A tel point que la prison deviendrait en quelque sorte la peine alternative à la CPC.
Cette revendication d’une peine de probation autonome se retrouvera, à nouveau,
au sein des travaux du « groupe de Créteil ». Le foisonnement de recherches à ce sujet va
influer sur les politiques publiques : dès août 2012, Christiane Taubira évoque dans Le
Monde les termes de contrainte pénale118, avant que le rapport de Dominique Raimbourg
et Sébastien Huyghe sur la surpopulation carcérale en janvier 2013 ne l’appelle de ses
vœux également119.
Les ingrédients étaient réunis pour la mise en place d’un processus législatif. Une
Conférence de consensus sur la prévention de la récidive a été mise en place à l’initiative
de la Garde des Sceaux le 18 septembre 2012. L’objectif était de susciter une réflexion
de fond en interrogeant les professionnels, en mobilisant les connaissances scientifiques
et les expériences étrangères. Le comité d'organisation de la Conférence de consensus,
composé de 25 personnes, chercheurs et universitaires français et étrangers, élus locaux,
représentants d'associations et professionnels judiciaires et pénitentiaires, a planché
pendant cinq mois, procédé à des auditions, reçu des contributions. Les 14 et 15 février
2013 s'est tenue la Conférence à proprement parler. Un rapport comprenant douze
117 Pierre-Victor TOURNIER, La contrainte pénale communautaire. Créer une sanction non carcérale qui ne
sera pas un sursis à exécution d’une sanction carcérale, AJ Pénal, 2013, p. 127.
118 Le Monde, La révolution Taubira contre la récidive, 20 août 2012.
119 Dominique RAIMBOURG, Sébastien HUYGHE, 2013, op. cit., proposition 36.
52
recommandations a été remis à la Ministre. Cinq principes d’action sont dégagés par le
jury : punir dans une société démocratique, repenser le concept de récidive légale,
construire un temps de prison utile, refonder l’application des peines, mieux coordonner
la recherche120. L’efficacité de la peine de prison est contestée dans l’optique de
prévention de la récidive, et le recours à la probation à part entière est fortement
encouragé, en fusionnant les différentes peines exécutées en milieu ouvert. Le rapport
appelle aussi à fournir plus de moyens aux structures amenées à appliquer ces mesures,
et à développer la recherche en la matière.
b) Une approche innovante ?
Le projet apparaît, à plusieurs égards, novateur. Pour la Commission nationale
consultative des droits de l’homme (CNCDH), il fait preuve d’une certaine audace dans
l’approche de la sanction121 : des principes tels que l’individualisation des peines, la
réinsertion, feraient leur apparition en tant que tels dans le Code pénal. Ce serait une
nouvelle façon d’assumer le sens de la peine de probation. Les articles 8 et 9, surtout,
retiennent l’attention en créant la « contrainte pénale ». Quelles sont ses modalités
d’application ?
Le nouvel article 131-4-1 du Code pénal prévoit que la juridiction peut prononcer
une peine de contrainte pénale, « lorsque la personnalité et la situation matérielle,
familiale et sociale de l'auteur d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée
inférieure ou égale à cinq ans et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socioéducatif individualisé et soutenu. ». « La contrainte pénale emporte pour le condamné
l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant
une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des
120 Conférence de consensus, Rapport du jury de consensus remis au premier ministre, « Pour une nouvelle
politique publique de prévention de la récidive, Principes d’action et méthodes », Paris, 20 septembre
2013.
121 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines,
Assemblée plénière, 27 mars 2014.
53
mesures de contrôle et d'assistance ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières
destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la
société. » Les mesures de contrôle évoquées sont celles du SME (article 132-44) tandis
que d’autres obligations et interdictions particulières peuvent être mobilisées : celles
prévues par le régime du SME, l’obligation d’effectuer un TIG, l’injonction de soins en
cas de suivi socio-judiciaire. Enfin, le condamné peut faire l’objet de mesures d’aide à
caractère social. La nature probationnaire de la contrainte pénale transparaît alors :
contrôle, obligations et suivi.
On voit avec la suite de l’article que la contrainte pénale opère même une
inversion de la logique probatoire française, qui était foncièrement incomplète. En effet,
pour le prononcé d’un SME, la juridiction de jugement fixait elle-même les obligations
probatoires. Ici, elle se contente de prononcer la contrainte pénale, et l’enferme dans une
durée. Les conditions d’application de cette peine seront fixées par le juge d’application
des peines (JAP), après que celui-ci a pris connaissance de l’évaluation du condamné
réalisée par un agent de probation. Le JAP devient le « juge naturel » de l’exécution de la
contrainte pénale. Comme le souligne Martine Herzog-Evans, la juridiction de jugement
ne peut donc fixer que des mesures, interdictions et obligations de type « contrôle social
et prévention de la récidive » et non celles « visant à la réinsertion », laissant le travail
d’individualisation de la peine, de définition du sens de la peine, au JAP122. Le parcours
de la personne condamnée fera aussi l’objet d’une évaluation régulière afin de modifier
éventuellement ses obligations – au moins une fois par an, précise le Code de procédure
pénale123. En cas de succès même anticipé de la mesure de contrainte pénale, c’est à dire
« si le condamné a satisfait aux mesures, obligations et interdictions qui lui étaient
imposées pendant au moins un an, que son reclassement paraît acquis et qu’aucun suivi
ne paraît plus nécessaire », l’article 713-45 du Code de procédure pénale prévoit que « le
juge de l’application des peines peut […] décider de mettre fin de façon anticipée à la
peine de contrainte pénale ».
122 Audition du 14 janvier 2014 de M. Herzog-Evans par la CNCDH, in CNCDH, Avis sur le projet de loi
relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, op. cit.
123 Article 713-44 du Code de procédure pénale.
54
A l’inverse, en cas d’inobservation de la mesure de contrainte pénale, l’article
713-47 du Code de procédure pénale prévoit que « le JAP peut […] compléter les
obligations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint ». Si cette solution
demeure insuffisante, le juge saisit « d'office ou sur réquisitions du procureur de la
République, par requête motivée, le président du tribunal de grande instance ou un juge
par lui désigné afin que soit mis à exécution contre le condamné tout ou partie de
l'emprisonnement fixé par la juridiction. […] Le président du tribunal ou le juge par lui
désigné, qui statue à la suite d'un débat contradictoire public […] fixe la durée de
l'emprisonnement à exécuter ». Celle-ci ne peut excéder la durée prévue par la juridiction
initialement mais peut faire l’objet d’un aménagement sous le régime de liberté, de
placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique.
c) Les raisons d’une probation inachevée
L’épée de Damoclès de l’emprisonnement est donc toujours présente, ce qui nous
permet de remettre en question le caractère autonome de la peine de contrainte pénale. Le
contenu de cette peine est toujours défini par référence au régime de l’incarcération mais
aussi celui d’autres mesures pénales exécutées en milieu ouvert. Le Ministère de la Justice
en convient lui-même : « la contrainte pénale ne se substitue pas aux peines existantes
mais s’y ajoute, de sorte que les juges disposeront d’un nouvel outil de réflexion »124.
L’emploi du verbe « pouvoir » utilisé dans l’article qui fixe les modalités de prononcé de
la peine pour le juge, en témoigne également.
On peut également s’interroger sur l’intérêt de restreindre l’utilisation de la
contrainte pénale aux délits appelant à une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans.
124 Ministère de la justice, Brochure de présentation de la Réforme pénale, Lutter contre la délinquance, Une
réforme pénale au service des citoyens, octobre 2013
55
De fait, cette mesure de suivi renforcé va s’appliquer à des auteurs de délits moins graves,
censés donc moins nécessiter ce type de suivi. On assiste donc à une complexification de
l’arsenal des peines, et la proximité de la contrainte pénale avec le SME amène même
certains organismes à parler de « faux jumeaux ».125 La lisibilité de la politique pénale
semble en être affectée. Des dispositions juridiques peuvent en contredire d’autres au
point que « du choix encadré par la loi, mais diversifié, on arrive vite à l’embarras du
choix »126. Enfin, on peut regretter l’absence de débat contradictoire lors de la
détermination des contours probatoires par le JAP. Pourtant les règles 6 et 73 de la
recommandation du Conseil de l’Europe127 insistent sur la nécessité de rechercher le
consentement éclairé et la coopération de la personne condamnée. En effet, le débat
contradictoire participe également de l’adhésion de la personne aux modalités de la
contrainte pénale prononcée à son encontre.
Les choses auraient-elles pu se passer différemment ? Au Canada, la peine de
sursis et la peine de probation sont bien distinctes128. La probation n’y est donc pas la
seule exécution, en milieu ouvert, de mesures répressives. En pratique dans le système
canadien, l’ordonnance de probation est une peine imposée à une personne pour avoir
commis une infraction, au titre de laquelle la personne contrevenante s’engage à respecter
un certain nombre d’obligations durant une période fixée. Le non‐respect de l'une de ces
obligations constitue en soi une infraction pouvant entraîner une nouvelle peine ou une
prolongation ou encore une modification de l'ordonnance de probation par le tribunal,
125 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines,
op. cit.
126 Jean DANET, Justice pénale : le tournant, Paris, Gallimard, 2006, p. 78.
127 Conseil de l’Europe. Recommandation CM/Rec(2010)1 du Comité des Ministres aux Etats membres sur
les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, adoptée par le Comité des Ministres le 20
janvier 2010, lors de la 1075e réunion des Délégués des Ministres.
128 Pierre LALANDE, Probation in Canada-Québec, in Martine HERZOG-EVANS (Ed). Transnational
Criminology Manual, vol. 3, Nijmegen: Netherland, Wolf Legal Publishers, 2010.
56
mais n’implique pas de recours à une peine d’emprisonnement. L’ordonnance
d’emprisonnement avec sursis, quant à elle, est une véritable « solution de rechange à
l’incarcération » : les obligations sont exécutées en milieu ouvert mais en cas de nonrespect, le sursis peut être révoqué et le condamné envoyé en prison. Comment expliquer
cette non-application en France ? Martine Herzog-Evans parle de « probation
ascientifique »129 en France pour déplorer le manque de culture en la matière, et
l’inexploitation de ce champ d’étude dans notre recherche. Cela fait écho à la
recommandation précédemment évoquée du jury de la Conférence de consensus de
développer cette recherche.
Ce manque d’attrait pour la probation résulterait aussi d’une permanence des
fonctions traditionnelles attachées à la peine, le non-emprisonnement pouvant toujours
être considéré comme une forme de laxisme, une non-sanction. Nous avons évoqué ce
point au moment de pointer les hésitations de la politique pénale. Plusieurs organes ou
personnalités s’en sont fait l’écho : l’Institut Pour la Justice130, think tank réputé pour son
« idéologie sécuritaire »131, des syndicats de police ou des responsables politiques132. Le
choix des termes même – contrainte pénale à la place de probation pour insister sur la
notion de sanction – avait été le fruit d’un âpre arbitrage au sein du gouvernement entre
129 Martine HERZOG-EVANS, Moderniser la probation française. Un défi à relever !, Paris, L’Harmattan,
2013.
130 Institut pour la Justice. Réforme pénale : un arbitrage mensonger, laxiste et dangereux dont les Français
feront les frais. 30 août 2013. En ligne. http://www.institutpourlajustice.org/wpcontent/uploads/2013/08/CP-R%C3%A9forme-p%C3%A9nale-un-arbitrage-mensonger-laxiste-etdangereux.pdf
131 Guillaume de DIEULEVEULT, « Pourquoi la réforme pénale inquiète les policiers et les magistrats », Le
Figaro Magazine, n°21863, 21-22 novembre 2014.
132 Le Monde.fr, « Les opposants à la réforme pénale s'alarment du "laxisme" du gouvernement ». 30 août
2013. En ligne. http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/30/les-opposants-a-la-reforme-penale-salarment-du-laxisme-du-gouvernement_3469144_3224.html#jzI5eXhkR4Rm1orC.99
57
la Garde des Sceaux et le Premier Ministre133 devant la crainte, peut-être, des
répercussions dans l’opinion de la mise en place de telles mesures. La loi elle-même, une
fois promulguée le 15 août 2014, avait au cours du processus législatif opéré un
changement de nom : après le projet de loi relatif à la lutte contre la récidive et à
l’individualisation des peines, nous aboutissions à une loi relative à l’individualisation
des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. L’objectif de « fermeté » était
affiché plus nettement pour qu’il ne soit pas permis d’en douter. Christiane Taubira
n’avait pas hésité, pendant le processus législatif, à faire état de son impuissance face aux
logiques du jeu politique134.
Si le projet de réforme pénale a connu un parcours mouvementé, semé
d’embûches devant les résistances politiques, il a néanmoins abouti avec la promulgation
de la loi et sa publication au Journal Officiel en août 2014. La contrainte pénale a suscité
de nombreuses critiques chez les défenseurs de la probation, en ce qu’elle aurait renoncé
à certains fondamentaux de la logique probatoire : la menace de l’emprisonnement, par
exemple, est toujours présente. Néanmoins, elle creuse un sillon et invite à la réflexion
sur l’utilisation de méthodes probatoires. Se pose désormais aussi la question de sa mise
en œuvre, particulièrement par les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation
(SPIP) qui faisaient aussi l’objet de dispositions dans la réforme pénale. Il convient donc
désormais de se pencher sur le fonctionnement de ces SPIP.
Conclusion du chapitre 2
De par sa nature même, la probation a une conception différente du sens de la
peine de celle défendue par la prison. Elle paraît plus tournée vers la réinsertion sociale
du condamné et voit aussi émerger la fonction réparatrice jusque-là peu présente dans
133 Sonya FAURE, Le lexique Valls-Taubira de la réforme pénale. 9 septembre 2013. En ligne.
http://www.liberation.fr/societe/2013/09/09/le-lexique-valls-taubira-de-la-reforme-penale_930312
134
http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/christiane-taubira-rencontre-les-etudiants-de-
sciencespo-26408.html
58
notre tradition. Nous retenons ainsi les réussites de ce paradigme là où la prison échoue.
Toutefois, les critiques ne manquent pas sur les peines alternatives à l’incarcération, dont
certaines peuvent expliquer sa mise en œuvre chaotique. Faute d’une culture probatoire
réellement assumée, notre probation est inachevée. La schizophrénie pénale contribue à
noyer la logique probatoire ou à la dévoyer par des mesures – comme le suivi sociojudiciaire – qui renvoient à des fonctions plus traditionnelles de la peine. La crispation
sur la notion de probation au moment de la mise en place de la contrainte pénale a conduit
les décideurs politiques à en édulcorer quelque peu la teneur. Cette peine est trop récente
pour permettre d’analyser son utilisation ; mais le reste des mesures alternatives est
appliqué depuis plus longtemps. La mise en place concrète de ces peines doit donc être
étudiée.
59
CHAPITRE 3 : QUELLE MISE EN ŒUVRE DE LA
PROBATION ? L’ACTION DES SPIP
La mise en œuvre de la probation est étroitement liée aux évolutions
institutionnelles, sociales qui l’ont accompagnée. Ainsi, le recul progressif du travail
social au profit de l’entrée dans le service pénitentiaire modifie les pratiques des agents,
leur conception de la peine de probation et leur prise en charge des condamnés (I). Ce
phénomène est en interdépendance avec les logiques de modernisation et de
rationalisation administrative (II). L’immixtion de la criminologie joue d’ailleurs le rôle
de paravent à ces impératifs gestionnaires (III).
I – LA LENTE MUTATION DES SERVICES DE PROBATION ET DE SES
EFFECTIFS : DU TRAVAIL SOCIAL A L’INFLUENCE DE L’ADMINISTRATION
PENITENTIAIRE
Face à l’émergence et au développement du milieu ouvert en France, les services
de probation se sont peu à peu structurés. La veine humaniste et sociale qui avait présidé
à leur création n’a pas totalement disparu. Mais elle est en constant recul depuis que ces
services sont entrés dans le giron de l’administration pénitentiaire (a). Alors que l’on
notait des pratiques et des profils différenciés parmi les acteurs du service (b), les
évolutions récentes vont plutôt dans le sens d’une uniformisation des parcours (c). Toutes
ces évolutions modifient la conception du sens de la peine attachée à la probation.
a) L’ancrage progressif dans l’administration pénitentiaire
Les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) s’appellent
ainsi depuis une réforme de 1999 qui les a instaurés. Mais il nous apparaît indispensable
de retracer le processus qui a mené à cette réforme pour saisir à la fois le changement et
les permanences de l’organisation. En effet, une institution ne fait jamais table rase en
60
changeant simplement d’appellation135. Nous avons déjà évoqué les origines des mesures
probatoires en France : la liberté conditionnelle (1885) était mise en œuvre par des
bénévoles dans des comités de patronage, dans lesquels dominaient une morale religieuse
empreinte d’assistance et de charité136. L’après-guerre, avec la réforme Amor
(réinsertion sociale des condamnés) ou la création du service social des prisons (1945) est
un contexte favorable à la réelle institutionnalisation de la probation en France en tant
que peine à visée sociale. Après de premiers balbutiements, l’ordonnance du 23 décembre
1958 crée le juge d’application des peines (JAP), et les Comités de probation et
d’assistance aux libérés (CPAL), dirigés par le JAP. Le milieu ouvert se constitue sous la
tutelle du judiciaire mais les membres des CPAL réaffirment régulièrement la dimension
sociale de leur mission, pour se différencier idéologiquement137. L’activité législative est
ambiguë, entre des lois qui ouvrent la voie à des peines de substitution comme celle du
11 juillet 1975, et des lois plus sécuritaires à la suite d’évasions massives des centres
pénitentiaires : instauration des mesures de sûreté, restriction des pouvoirs du JAP. Mais
l’action de Robert Badinter à son arrivée au ministère de la Justice en 1981 est clairement
orientée vers la probation : généralisation des enquêtes sociales préalables au jugement,
création du TIG en 1983. La fonction de travailleur social s’épanouit à ce moment, avant
que la parenthèse ne se referme.
En effet, la période allant de 1986 à 2010 est celle de l’ancrage progressif au
sein de l’administration pénitentiaire. Le décret du 14 mars 1986 réorganise les CPAL :
ils sont reconnus comme des services de l’administration pénitentiaire à part entière. La
loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire confirme ce changement. La
rupture n’est pas brutale et uniforme : les travailleurs sociaux ne disparaissent pas du
service. Mais le clivage entre ces derniers et ceux qui adhèrent à l’administration
pénitentiaire est patent138, et n’a pas disparu. C’est en 1999 que l’insertion dans « la
135 Pierre LASCOUMES, 2006, op. cit., p. 416.
136 Roger-Henri GUERRAND, Marie-Antoinette RUPP, Brève histoire du service social en France (18961976), Toulouse, Privat, 1978.
137 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 26.
138 Alain RUGO, Le milieu ouvert : le tournant 1983-1988, Association de recherches et d’études des
politiques sociales, Lyon, 1988, p. 16.
61
pénitentiaire » est parachevée. Les CPAL deviennent les SPIP, suite à leur regroupement
avec les services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires, afin de mutualiser les
moyens et d’éviter les ruptures dans la prise en charge des sortants de prison. Les JAP
perdent tout pouvoir hiérarchique sur les agents désormais sous l’égide des directeurs des
services de probation, et ces services sortent des tribunaux pour se redéployer à l’échelle
départementale. Les SPIP agissent en milieu fermé : ils sont appelés à lutter contre les
effets désocialisants de la prison et à préparer la sortie (via les projets d’aménagement de
peine). Mais leur action principale et qui nous intéresse ici se situe en milieu ouvert. Ils
remplissent des missions qui s’articulent autour de trois axes : l’insertion des personnes
placées sous main de justice, l’aide à la décision judiciaire dans un souci
d’individualisation de la peine, et enfin, le suivi et le contrôle des obligations probatoires,
imposées dans le cadre d’une mesure alternative (SME, TIG, LC, SSJ contrainte pénale),
ou d’un aménagement de peine (placement extérieur, semi-liberté, placement sous
surveillance électronique). C’est cette action qui est mise en avant par l’administration
pénitentiaire, au nom du principe de continuité de l’exécution des peines entre milieu
ouvert et fermé. De fait, le milieu ouvert représente les deux tiers de l’activité des
SPIP139. Il n’a cessé de s’étendre : le stock de mesures en milieu ouvert a augmenté de
50% entre le 1er janvier 2005 et le 1er janvier 2014. Aujourd’hui, les 103 SPIP dispersés
sur le territoire national accueillent 55 000 personnes supplémentaires en milieu ouvert
par rapport à 2005, pour seulement 8 000 de plus en milieu fermé140.
Cependant malgré la place croissante du milieu ouvert, le rapport numérique dans
l’administration pénitentiaire est largement défavorable aux services de probation. Le
discours de l’administration pénitentiaire à leur égard doit donc être pris avec distance.
Comme celui sur le sens à donner à des peines supposément individualisées. Au 1er
139 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 5.
140 Ibid., p. 38.
62
janvier 2015, parmi les 36 535 agents de l’administration pénitentiaire, les personnels des
SPIP milieu ouvert et fermé confondus ne comptent que pour 12,4% des effectifs, contre
73,2% de personnels de surveillance141. Ces effectifs des SPIP comprennent à la fois les
directeurs de service, des cadres intermédiaires, des personnels administratifs et des
agents de probation au sens propre. Dans ces services en saturation, la proportion des
agents de probation ne cesse de baisser au profit des postes d’encadrement et des
personnels administratifs.142 Si l’on ne prend en compte que le milieu ouvert, un agent
de probation serait en charge de 100 justiciables. Certes, le constat était le même et
occasionnait déjà des mouvements sociaux dans les années 1970143. Mais cela la question
suivi et du sens des peines en milieu ouvert quand la pile de dossiers est trop importante
pour l’agent, et qu’il doit se limiter à un contrôle des obligations du probationnaire144.
Même dans le SPIP fréquenté pour les entretiens, petite structure de milieu rural, cette
moyenne de 100 dossiers par agent se vérifie. Pour la Cour des Comptes en 2010, la
situation des ressources humaines des SPIP était « tendue et précaire »145. Ces constats
traduisent la place encore très faible qu’occupent les SPIP dans le budget de
fonctionnement du service public pénitentiaire : en 2008, le total des crédits consacrés à
l’activité des SPIP s’est établi à environ 190 M€, soit environ 8 % du total des crédits
consommés au cours de cet exercice sur le programme 107 « Administration pénitentiaire
» du budget général de la justice.146
141 Ministère de la Justice, Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, Paris, Direction de
l’administration pénitentiaire, 2015.
142 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 40
143 Ibid., p. 28.
144 Martine HERZOG-EVANS, Droit de l’exécution des peines, Dalloz Action, n°213-43, 2012.
145 Cour des Comptes, Le service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale, Paris, La
Documentation Française, 2010, p. 107
146 Ibid., p. 104.
63
Au-delà de ces considérations statistiques, c’est aussi une approche qualitative
qu’il faut retenir. L’accroissement de la charge de travail des agents de probation tient à
d’autres facteurs : impératifs bureaucratiques, diversification des missions au gré des
évolutions législatives (« des lois qui nous arrivent depuis les années 2000 ont modifié
notre travail de façon considérable », explique Monique). Le 19 mars 2008, une
circulaire147 a créé la polémique au sein des SPIP et occasionné un mouvement social
très suivi à l’échelle nationale. Elle diversifiait les attributions du service et le
repositionnait sur le champ de la « prévention de la récidive ». Dès lors, selon Grégory
Salle, la revalorisation du milieu ouvert est surtout un outil de légitimation pour
l’administration pénitentiaire. Via le discours sur le sens de la peine, se crée une sorte de
« vitrine humaniste »148 d’accompagnement social et d’objectif de réinsertion face aux
critiques de la situation carcérale. La réinsertion est-elle en effet soluble dans la simple
« prévention de la récidive », qui semble plus faire référence à une stratégie d’évitement ?
Nous tenterons d’apporter des éléments de réponse par la suite. Toujours est-il
qu’à la suite d’âpres négociations, l’administration et les agents sont arrivés à un accord
entériné par le décret du 23 décembre 2010 : en échange d’une revalorisation salariale,
ces derniers quittaient la filière sociale de la fonction publique pour rejoindre les métiers
de la sécurité. De plus, auparavant appelés Conseillers d’Insertion et de Probation (CIP),
ils devenaient Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP). L’ajout de
l’adjectif était une sorte de parachèvement symbolique d’une évolution de près de trente
ans.
147 Circulaire de la DAP n° 113/PMJ1 du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention
des services pénitentiaires d’insertion et de probation
148 Grégory SALLE, La part d’ombre de l’Etat de droit. La question carcérale en France et en République
fédérale allemande depuis 1968, Paris, EHESS, 2009, p. 228.
64
b) Des profils et des pratiques différenciées
L’histoire des SPIP, qui puisent leur origine dans le travail social à l’époque des
CPAL, puis s’insèrent progressivement dans l’administration pénitentiaire, se reflète dans
le profil des agents de probation. Xavier de Larminat en dresse deux idéaux-types149.
Comme toute systématisation, ils doivent être utilisés avec précaution. Ce sont des grilles
de lecture qu’il faut ensuite affiner pour saisir la réelle complexité des profils.
En premier lieu, le travailleur social, style le plus ancien et le plus proche du
registre de l’assistance et de l’empathie, voire de la proximité avec le condamné. Il aurait
tendance à privilégier la culture de l’oral sur celle de l’écrit. C’est néanmoins un profil
qui tend à s’estomper au sein du corps de métier sous l’effet des évolutions de la formation
et du recrutement (voir infra). Second profil idéal-typique, le contrôleur. Il se constitue
en opposition au premier style, se caractérise par une attitude plus formaliste envers le
condamné. Dans la mission qu’il se fixe, le contrôleur estime que « l’assistanat » doit
s’effacer devant une mission purement répressive et juridique. Ces deux types d’agents
ne se situent donc pas dans le même registre en ce qui concerne le sens de la peine : le
travailleur social met l’accent sur la réinsertion. Le contrôleur estime que sa priorité est
de veiller au respect des obligations pénales en évoquant le moins possible la trajectoire
socioéconomique ou psychosociale de son interlocuteur.
Les deux agents rencontrés en entretien s’approchaient de cet idéal-type : après
un DEUG de musique, Lionel150 a arrêté les études puis passé le concours de surveillant
pénitentiaire qu’il a obtenu. Il a travaillé pendant huit ans en tant que surveillant avant de
passer le concours en interne pour devenir CPIP. Il a exercé en milieu fermé comme en
milieu ouvert. Il a souvent expliqué que l’action principale de son métier était de « veiller
au suivi des obligations » du condamné. Lionel évoquait ses divergences de vue avec une
collègue de formation assistante sociale en ces termes : « toute demande du condamné
doit se faire par écrit selon moi, alors que ma collègue est plus arrangeante ». Monique,
149 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 126-129.
150 Les noms utilisés sont fictifs pour préserver l’anonymat.
65
quant à elle, après des études en sciences humaines, a passé une formation d’assistante
sociale, métier qu’elle a d’ailleurs occupé dans un Conseil général, avant de passer le
concours interne également en 2000. Elle a travaillé en milieu ouvert et en maison d’arrêt.
Elle voit son métier comme « plus tourné vers l’accompagnement ». Elle déplore souvent
les évolutions de son métier vers une culture de l’écrit et une informatisation croissante.
Ces deux modèles sont aujourd’hui influencés par un troisième, celui du
criminologue, qui s’impose sous l’effet de plusieurs phénomènes concomitants : place
grandissante de la criminologie dans la formation des agents, mise en place concrète
d’outils inspirés de cette discipline dans les services. La criminologie s’efforce
d’expliquer, de décrire et de prévoir le phénomène du comportement délinquant par des
« facteurs de risque », en collectant des données et des évaluations qui seront censées
identifier ces facteurs, et ainsi prévenir le risque de récidive. Les influences de ce
référentiel criminologique seront étudiées plus avant dans la suite de notre propos, mais
nous pouvons d’ores et déjà préciser ici qu’il acquiert une importance de plus en plus
grande dans l’action des SPIP aujourd’hui.
c) L’uniformisation des parcours et des profils
La récente évolution du recrutement des agents de probation semble aller dans le
sens d’une plus grande uniformisation des parcours et un recul, là encore, des approches
issues du travail social.
La formation professionnelle des CPIP est désormais réalisée intégralement par
l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) et s’étend sur deux ans : une
première année sur le campus, une seconde en stage de terrain. L’entrée à l’ENAP se
réalise par concours à partir de Bac+2, les recrutements sur dossier ou en détachement
d’assistantes sociales ou d’éducateurs spécialisés ayant été abandonnés. Cette évolution
précise a eu pour conséquence de renforcer une uniformisation des parcours, le concours
externe étant prisé par des femmes jeunes, sans expérience professionnelle préalable151.
151 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 113.
66
Si l’on s’intéresse à la formation pré-concours, au niveau de diplôme, cette uniformisation
est encore plus patente. Depuis 2002, près de deux tiers des élèves de chaque promotion
d’agents de probation ont suivi un cursus juridique à l’université, une évolution qui opère
un retournement majeur comparé aux années 1990 qui n’accordaient pas une telle
prépondérance aux formations de droit. Dominique Lhuillier estime que par ce
phénomène, « d’autres références et valeurs que celles qui structurent la culture
traditionnelle des travailleurs sociaux s’imposent peu à peu »152. C’est peut-être
d’ailleurs pour partie un choix, inconscient ou délibéré, de l’administration pénitentiaire
que d’avoir recours aux étudiants en droit, comme le prouvent les chiffres : les juristes
constituent les deux tiers de reçus alors qu’ils ne comptent que pour un tiers des
candidats153. Le phénomène de surqualification, qui n’est pas propre aux agents de
probation, est aussi notable. Les diplômés de bac+5 sont aujourd’hui les plus nombreux
au sein de chaque promotion.154
L’autre catégorie qui a bénéficié des évolutions en matière de recrutement, est
celle des surveillants pénitentiaires. Ces derniers alimentent 30 à 40% des candidats reçus
au concours interne. En résumé, on assiste donc à une dualisation des voies d’entrée :
pour deux tiers, la voie principale qu’est le concours externe entraîne le recrutement de
jeunes femmes titulaires d’un master de droit. Le tiers restant est composé de surveillants
de prison qui passent le concours interne, moins diplômés et plus âgés, et où les hommes
sont plus représentés bien que toujours minoritaires. Face à la lente perte d’influence des
profils issus de l’assistance sociale, certains directeurs de probation s’émeuvent : « il faut
diversifier le recrutement des conseillers d’insertion et de probation. Les actuelles
152 Dominique LHUILLIER (dir.), Changements et construction des identités professionnelles. Les
travailleurs sociaux pénitentiaires, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2007, p. 10.
153 Laurent GRAS, La socialisation professionnelle des conseillers d’insertion et de probation, Agen, ENAP,
2008, p. 11.
154 ENAP, Observatoire de la formation. Eléments de connaissance sociodémographique des conseillers
pénitentiaires d’insertion et de probation, Agen, ENAP.
67
promotions avec 80% de juristes tendent à livrer […] des professionnels plus à l’aise avec
la norme qu’avec l’assistance. »155 Lorsque ce directeur de probation parle d’agents
« plus à l’aise avec la norme qu’avec l’assistance », nous pouvons donc accréditer la thèse
selon laquelle la sur-diplomation accroît la distance entre ces agents de l’Etat et les
populations qu’ils rencontrent, surtout lorsque celles-ci font ou ont fait l’expérience de la
précarité comme c’est le cas de la majorité des condamnés à des peines de milieu
ouvert156.
L’évolution des effectifs des agents de probation est donc marquée par le recul
progressif et constant des profils issus du travail social. Le syndicat majoritaire au sein
des agents de probation et interlocuteur privilégié de l’administration pénitentiaire est
d’ailleurs le Syndicat National de l'Ensemble des Personnels de l'Administration
Pénitentiaire (SNEPAP). Il est issu du droit pénal et se démarque en général des approches
issues du travail social157. Il réussit pourtant à séduire même les agents ayant une
formation de travailleur social comme Monique rencontrée en entretien et qui en fait
partie. En addition à ce recul progressif et constant des approches issues du travail social,
se trouvent les mutations de l’action publique. Les fonctions attachées à la peine de
probation en sont durablement impactés.
155 Philippe GARREAU, 2007, op. cit., p. 143.
156 Robert SAMPSON, John LAUB, Théorie du parcours de vie et étude à long terme des parcours
délinquants, in Marwan MOHAMED (dir.), Les Sorties de délinquance, Paris, La Découverte, 2012.
157 « [Nous ne sommes] sans doute pas des « travailleurs sociaux » à qui nous empruntons pourtant un nombre
important de savoirs en matière de techniques d’entretien avec les personnes ou de connaissance de
l’environnement socio-économique (par exemple) ; ceux-ci ne suffisent évidemment pas. Les
connaissances et grilles de lecture nécessaires à l’exercice de notre mission sont tout à fait particulières
en bien d’autres domaines : le droit et, plus particulièrement, la procédure pénale, la criminologie, la
psychopathologie, ... Nous devons, en outre, gérer cette relation d’autorité, conférée par le mandat pénal,
qui porte, justifie et délimite notre action, qui est étrangère, voire antinomique à la notion même de
travail social, et fait de nous les acteurs uniques en matière de prévention de la récidive des crimes et
délits. » SNEPAP, Nous ne sommes pas les enfants de la (mère) pénitentiaire !, 2008.
68
II – LES SERVICES DE PROBATION ENSERRES DANS LES LOGIQUES DE
MODERNISATION ET DE RATIONALISATION ADMINISTRATIVE
L’activité des SPIP est intégrée dans le service public pénitentiaire. Elle est
donc influencée par les évolutions du rôle de l’Etat et de l’action publique. En particulier,
depuis les années 1980, les réformes s’inspirent de la doctrine du New Public
Management158 ; autrement dit, un vaste mouvement de rationalisation administrative
s’appuyant sur les principes de fonctionnement du secteur privé : maîtrise des dépenses,
gestion des risques et des flux, évaluation des performances. Tout ceci a un impact sur
les modes d’intervention des SPIP et peut permettre de relire différemment les objectifs
qui leur sont assignés. La division des tâches (a) et l’informatisation (b) nuisent à la prise
en charge des condamnés.
a) Une taylorisation croissante
Les réformes gestionnaires et managériales ont investi les administrations
publiques à la fin des années 1990 et au début des années 2000159 : logique de
« modernisation », rationalisation institutionnelle et budgétaire. Le champ de l’exécution
des peines n’y a pas échappé160 lorsqu’il a fallu augmenter les rendements de traitement
des dossiers. Il fallait d’une part, gérer les flux toujours plus importants (de par
l’extension du milieu ouvert évoquée supra), et d’autre part, gérer les risques (évaluer les
individus les plus « dangereux » pour « prévenir la récidive »). Il faut toutefois conjuguer
158 Philippe BEZES, Réinventer l’Etat. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF,
2009.
159 Ibid.
160 Jean-Charles FROMENT, Martine KALUSZYNSKI (dir.), L’administration pénitentiaire face aux
principes de la nouvelle gestion publique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2011.
69
cette réflexion « par le haut » à la façon dont l’Etat se redéploie « au concret » pour
reprendre l’expression de Jean-Gustave Padioleau161. Les agents rencontrés lors des
entretiens l’expliquent, comme Lionel : « il y a une différence entre ce qu’on implante du
haut et la mise en place ». Les street level bureaucrats162 réagissent parfois différemment
aux réformes et injonctions de la hiérarchie. Ces constats tirés « par le bas » nous
permettent ainsi de saisir les mutations à l’œuvre dans le champ des SPIP et la
concrétisation réelle des réformes de rationalisation administrative. En effet l’action
publique ne doit pas être abordée que par ses finalités affichées, elle doit être repensée
dans son ensemble.
Nous assistons depuis les années 2000 particulièrement, à une division croissante
du travail des agents, réduisant parfois leur rôle à celui de simple exécutant. La prise en
charge des condamnés est impactée. Après la création du TIG en 1983, les agents de
probation avaient été amenés à s’ouvrir à la société civile (entreprises, associations) pour
faire appliquer ces mesures. De plus, ils étaient régulièrement en lien avec la juridiction
pour réaliser des enquêtes pré-sentencielles. Ils étaient alors considérés comme des
professionnels polyvalents qui suivaient un justiciable du prononcé de sa peine à la fin de
celle-ci163. Face à une logique affichée d’efficacité et de rapidité, une spécialisation des
tâches et une fragmentation de la prise en charge a ensuite été mise en place. Xavier de
Larminat164 montre comment s’est opérée cette division du travail. La répartition
géographique des dossiers en a été un premier exemple. Entre les années 1970 et 2000, le
processus fonctionnait selon la sectorisation. Un agent, par exemple, travaillait dans une
zone précise du département et y suivait l’intégralité des dossiers de chaque justiciable,
tout en acquérant une connaissance précise du terrain. L’agent de probation se déplaçait
en effet souvent auprès des probationnaires, des associations, loin du rythme administratif
du service.
161 Jean-Gustave PADIOLEAU, L’Etat au concret, Paris, PUF, 1982.
162 Michael LIPSKY, 1980, op. cit.
163 Alain RUGO, 1988, op. cit., p. 19.
164 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 68-79.
70
Cette sectorisation a été remise en cause pour deux raisons. D’abord des raisons
budgétaires, à cause des frais de déplacement. Ensuite, l’augmentation du stock de
mesures prononcées en milieu ouvert a contribué à installer l’idée qu’il fallait recourir à
une nouvelle forme d’organisation face aux listes d’attentes qui s’accumulaient. On a
donc assisté à la mise en place de pôles spécialisés : l’agent, désormais, est appelé à traiter
de manière intensive une seule mesure ou un seul type de délit dans tout le département.
Ainsi, un agent va s’occuper de toutes les mesures de placement sous surveillance
électronique, un autre de tous les travaux d’intérêt général. La spécialisation remplace
donc la polyvalence.
La division des tâches se fait aussi sur le mode de la temporalité. En milieu ouvert,
les agents interviennent ponctuellement à trois moments de l’exécution des peines :
l’avant-jugement (des enquêtes sociales préalables sur le condamné), l’accueil au service
(informer le condamné sur la peine prononcée), la modulation (si un aménagement de
peine est prononcé, le condamné rencontre l’agent pour établir un projet). Chacune de ces
tâches peut être élaborée par des agents différents, selon le planning mis en place par
l’administration, présenté comme un moyen d’accélérer le processus mais qui bride
l’autonomie des agents. Dans le même but, parfois, l’accueil des condamnés peut être
réalisé de manière collective. Ce morcellement des interventions paraît nuire à la prise en
charge des condamnés qui peuvent rencontrer plusieurs agents différents ou être mélangés
à d’autres profils de probationnaires. Le délai d’application des mesures a aussi pour effet
de découper la prise en charge. On peut parler avec Michel Autès de taylorisation165 au
sens où les agents se transforment en simples exécutants des mesures dont ils ont la
responsabilité.
Une rhétorique de l’individualisation des peines s’est mise en place en s’appuyant
sur des impératifs d’efficacité et de rapidité. Ceux-ci étaient appelés à fonctionner avec
des agents spécialisés. Mais en réalité, en découpant la prise en charge des condamnés,
cette nouvelle organisation traduit surtout une volonté de gestion rationnelle des flux et
de réduction des coûts alors que ces services arrivent à saturation.
165 Michel AUTÈS, Les paradoxes du travail social, Paris, Dunod, 2 e édition, 2004.
71
b) L’informatisation comme révélateur de la rationalisation
L’autre manifestation majeure de la rationalisation administrative à l’œuvre dans
les SPIP est le recours croissant à l’informatique. Depuis la loi organique relative aux lois
de finances (LOLF), les pratiques d’évaluation ont acquis une place décisive dans
l’administration en étant conçues comme une mesure de la performance166.
L’informatisation, technologie supposément neutre et objective, est censée permettre ces
gains de performance et d’efficacité167.
Son utilisation dans le cadre de l’administration peut toutefois être questionnée
dans la mesure où « la création d’instruments d’action publique peut servir de révélateur
de transformations plus profondes de l’action publique, de son sens, de son cadre cognitif
et normatif et des résultats »168. Monique situe le virage de l’ « évaluation statistique et
quantifiable » selon ses termes au tournant des années 2000. Dans les SPIP plus
exactement, le logiciel APPI (Application des peines, probation et insertion) déjà utilisé
à partir de 2005 a été implémenté par un décret du 7 novembre 2011169. Il consiste en un
traitement automatisé de données à caractère personnel sur les condamnés et les modalités
d’exécution de leur peine. L’extraction de ces données servira à l’administration pour
mesurer la performance des SPIP dans les projets annuels de performance, rapports
circonstanciés sur chaque part du budget de l’Etat. Le logiciel est présenté comme ayant
166 Xavier de LARMINAT, « L'informatisation des services de probation. Une mise en abyme des réformes
de modernisation », in Charlotte HALPERN et al., L'instrumentation de l'action publique, Presses de
Sciences Po « Académique », 2014, p. 450.
167 Xavier de LARMINAT, La technologie de mise à distance des condamnés en France. La centralisation
informatique des données socio-judiciaires, Déviance et Société, 2013, n° 3, vol. 37, p. 360
168 Pierre LASCOUMES, Patrick LE GALÈS, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po,
2004, p. 25.
169 Décret n° 2011-1447 du 7 novembre 2011 portant création d'un traitement automatisé de données à
caractère personnel dénommé « application des peines, probation et insertion » (APPI), JORF n°0259 du
8 novembre 2011.
72
l’avantage de permettre une meilleure connaissance des justiciables en centralisant les
informations : cela faciliterait ainsi des procédures d’évaluation, de recherches
statistiques. C’est également un outil de communication entre les agents et les JAP, qui y
ont aussi accès.
Néanmoins, loin de la neutralité parfois apposée à la technique, celle-ci influe sur
le comportement et l’activité des agents, et donc le traitement des condamnés, au point
que certains professionnels cherchent à contourner l’instrument. La présence d’un
ordinateur durant les entretiens contribue à créer une « barrière matérielle et
symbolique »170 entre l’agent et le probationnaire : Lionel dit « ne pas vouloir devenir
comme un robot derrière son ordinateur » et « préfère noter sur papier ». Mais la barrière
est également symbolique parce qu’en standardisant le traitement des données, le
recueillement des informations, l’informatisation contribue à objectiver, à figer la
situation du condamné. Une seule réponse est possible (oui/non) et il s’agit alors
d’intégrer ces derniers dans des cases préétablies – sans compter que le logiciel n’accorde
qu’un nombre limité de caractères – alors que les fiches manuscrites donnaient la
possibilité de complexifier l’analyse. Le travail des agents de probation subit une forme
de routinisation qui ne leur permet pas d’exploiter réellement leurs compétences. Du côté
du condamné, celui-ci ne fait pas tant l’objet d’une individualisation que d’un effet
pervers qui l’intègre dans un « groupe-type » d’individus. On peut donc parler d’un
« nivellement par le bas du degré de connaissance et de proximité avec les individus »171.
La dématérialisation visait à limiter le nombre de dossiers et favoriser la
communication entre les différents acteurs. Nous retrouvons là encore une des lignes de
force des logiques de « modernisation » de l’action publique, du redéploiement de l’Etat
identifiées par Jacques Chevallier pour qui les différents acteurs n’interagissent plus selon
des liens verticaux, hiérarchiques mais par « des relations horizontales d’interdépendance
»172. Cependant, voyant en quelque sorte leur échapper les dossiers qui peuvent être
170 Xavier DE LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 95.
171 Ibid., p. 98.
172 Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris, LGDJ, 2003.
73
consultés tant par leurs collègues que par l’administration ou le JAP, les CPIP ont
tendance à pratiquer une forme de conformisme. « Moi et moi seul peux réellement
comprendre ce que j’ai écrit, alors je préfère en dire le moins possible », nous confiait un
agent en entretien. Par conséquent ce dernier préférait se limiter à des données mesurables
sur le probationnaire, renforçant ainsi le phénomène d’évaluation standardisée et
l’appauvrissement du contenu. Certains agents comme Monique dénoncent le fait de
devoir « rendre des comptes » à l’administration. L’effet indésirable de l’informatisation
est donc que les agents cherchent davantage à paraître performants aux yeux de
l’administration qu’à satisfaire leur interlocuteur173.
Le traitement par informatique semble contraire à l’individualisation des
peines et vise plutôt à favoriser des prises en charge standardisées. Dès lors, pour
reprendre l’idéaltype évoqué supra, les « contrôleurs » s’accommodent mieux de cette
informatisation. Ils se montrent plutôt bienveillants à l’égard des logiques de
modernisation, et de l’usage des ordinateurs auxquels ils sont plus accoutumés. Passer
par l’évaluation leur permet d’affirmer une expertise, de se valoriser et « d’échapper à la
déconsidération qui prévaut actuellement à l’égard des métiers du social »174. A l’inverse,
ceux qui sont les héritiers de cette tradition du « travailleur social » sont plus à même de
contester l’utilisation du logiciel. Monique par exemple déplore : « on doit tout rentrer
sur le logiciel, c’est assez impressionnant, j’ai beaucoup de mal à respecter, cela nous
bride ». Ils jugent que la présence de l’ordinateur est un frein à l’accompagnement social
des probationnaires, de par la distance physique et la formalisation des procédures. La
routinisation des tâches peut aboutir à la contestation, face à ce que l’on appelle
l’aliénation des politiques, à savoir « un état cognitif général de déconnexion
psychologique par rapport au programme stratégique mis en œuvre »175: cela occasionne
à la fois un sentiment d’impuissance (powerlessness) et une impression de perte de sens
173 Steve JACOB, Opération chloroforme ou la réinvention de l’Etat rationnel : l’évaluation et les données
probantes, Criminologie, 2009, vol. 42, n°1, p. 211.
174 Xavier de LARMINAT, 2014, L'informatisation des services de probation, p. 458.
175 Lars TUMMERS, et al., Policy alienation of public professionals : Application in a new public
management context, Public Management Review, 2009, vol. 11, n°5, p. 685-706.
74
dans le métier effectué (meaninglessness). Plus largement, le découragement et le manque
de reconnaissance sont particulièrement notables. Nous avons pu en prendre conscience,
notamment auprès de Monique, qui ne préfère pas parler de son métier à ses proches.
Les logiques de rationalisation et de modernisation transforment indéniablement
la prise en charge des condamnés et le sens donné aux peines. Derrière l’objectif affiché
d’individualisation, se trouvent une division croissante des tâches et une informatisation
qui nuisent à la prise en charge des condamnés. Le processus est en effet découpé et
standardisé, extrait de toute contingence sociale.
Ces évolutions ne peuvent être étudiées sans faire référence à un paradigme qui
les irrigue et leur donne une consistance, celui de la criminologie. Il s’inscrit en effet en
parfaite adéquation avec les notions telles que la gestion des flux et des risques, la
responsabilité individuelle, autant de principes issus du nouveau management public. Ce
label criminologique n’est pas exempt de critiques. Il représente pour certains agents une
opportunité de trouver une nouvelle légitimité à leur action. Nous nous proposons
d’étudier l’influence de ce référentiel criminologique.
III – LE REFERENTIEL CRIMINOLOGIQUE COMME PARAVENT AUX
IMPERATIFS GESTIONNAIRES
D’inspiration nord-américaine, la criminologie prend peu à peu sa place dans la
probation française, présente dans la formation des agents (a) et dans leur métier au
quotidien par des applications concrètes (b). Le référentiel criminologique, couplé aux
impératifs gestionnaires, témoigne de l’avènement d’une rationalité pénale faisant primer
l’efficacité sur toute autre considération (c).
a) L’émergence d’un paradigme criminologique dans la probation
française
Nous avons déjà brièvement évoqué la criminologie en parlant des profilstypes d’agents de probation, celui de criminologue faisant son apparition aux côtés du
travailleur social et du contrôleur. Pour Raymond Gassin, défenseur historique de la
criminologie en France, « la criminologie est la science qui étudie les facteurs et les
75
processus de l’action criminelle et qui détermine […] les moyens de lutte les meilleurs
pour contenir et si possible réduire ce mal social »176. La sous-branche de la criminologie
qui nous intéresse ici particulièrement, est la criminologie dite clinique, qui est « l’étude
du délinquant en tant que personne. Elle cherche à comprendre et à aider l’individu, en
visant la prévention de récidive potentielle. Le diagnostic criminologique a pour but de
décrire le contrevenant, d'estimer les risques de récidive puis d'élaborer un plan
d'intervention approprié. La criminologie clinique étudie aussi l'intervention : le choix
d'une mesure qui soit adaptée à un type particulier de délinquant, la mise en œuvre de
cette mesure et l'évaluation de son efficacité. »177 Une définition qui vient de l’Université
de Montréal dont l’Ecole de Criminologie est citée en exemple par les criminologues
français lorsqu’ils appellent au développement de leur discipline178. Au carrefour des
sciences juridiques, sociales, psychiques, la scientificité réelle de la criminologie fait
aujourd’hui l’objet de controverses majeures, au point que certains s’inquiètent de sa
place grandissante prise dans le paysage universitaire français179.
Néanmoins, elle contribue à s’institutionnaliser par plusieurs mécanismes au sein
de la probation française. Prévention de la récidive, diagnostic, facteurs de risque,
intervention et évaluation : autant de piliers de la criminologie clinique qui se donnent
aujourd’hui à voir dans l’activité des SPIP. La formation dispensée à l’ENAP pour les
agents, en premier lieu, lui accorde une place de choix. Dans la formation initiale se
trouve un Département Insertion et Sciences criminelles dont une des unités
d’enseignement est décrite comme telle : « Les thématiques sont envisagées sous les
176 Raymond GASSIN, Criminologie, Paris, Dalloz, 6ème éd, 2007, p. 33
177 Ecole de Criminologie, Qu’est-ce que la criminologie ?, site internet de l’Université de Montréal.
http://crim.umontreal.ca/notre-ecole/quest-ce-que-la-criminologie/
178 Laurent MUCCHIELLI, « De la criminologie comme science appliquée et des discours mythiques sur la
‘multidisciplinarité’ et ‘l’exception française’ », Champ pénal, 2010, Vol. VII, p. 1-11.
179 Ibid.
76
angles de la psychologie, la psychocriminologie et la criminologie. Ces cours sont en lien
avec la gestion des individus à la fois sur le plan de la sécurité et celui de la prévention
de la récidive. Les enseignements relatifs à la connaissance de la personne, de ses
comportements et du fait criminel (criminologie clinique, évaluation criminologique,
passage à l’acte, agressions sexuelles, ….) sont envisagés sur le plan théorique et pratique.
La prévention et le traitement de la violence, la dangerosité, les mises en œuvre des
nouvelles méthodologies d’intervention (Programmes de Prévention de la Récidive,
Diagnostic à Visée Criminologique) sont traitées […] » La plaquette de formation de la
19e promotion des CPIP (2014-2016) prévoit plusieurs modules avec des intitulés de
cours tels que « Criminologie clinique », « Evaluation psycho-criminologique »,
« Passage à l’acte », « Prévention de la récidive »180.
Aux côtés des deux idéaux-types que représentent le travailleur social et le
contrôleur, Xavier de Larminat identifie donc l’émergence d’une troisième mouvance
parmi les agents de probation : le criminologue181. Les jeunes surdiplômés ayant suivi le
concours et la formation à l’ENAP souhaitent se démarquer à la fois du travailleur social
(dont l’approche est souvent dépréciée) et du contrôleur (souvent vu comme un simple
exécutant des décisions de justice). Cette retraduction du métier d’agent de probation en
des termes nouveaux peut être vue sous l’angle d’une re-professionnalisation, autrement
dit « le mouvement par lequel un groupe professionnel exprime un désir de
reconnaissance » en mobilisant un « ensemble de représentations sociales des rôles et de
l'organisation des professions »182[.] La criminologie sert ici cette quête d’expertise, de
réflexion, de compétence, dans le contexte de routinisation des tâches et de sentiment de
180 ENAP, Direction de la formation initiale. 19e promotion d’élèves des conseillers pénitentiaires d’insertion
et de probation, Agen, ENAP.
181 Xavier de LARMINAT, Les agents de probation face au développement des approches criminologiques :
contraintes et ressources, Sociologies Pratiques, 2012, n°24, p. 35
182 Jean-Marc CHAPOULIE, Sur l'analyse sociologique des groupes professionnels, Revue Française de
Sociologie, vol. 14, n°1, 1973, p. 86-114.
77
distance avec les condamnés précédemment exposé. C’est aussi une opportunité de pallier
le manque de reconnaissance. Ce sentiment de stigmatisation est parfois patent et la
principale manifestation parvenue dans le débat public de cette frustration a éclaté au
moment de l’ « affaire de Pornic »183. Le grand retentissement médiatique de l’affaire
avait révélé au grand jour les dysfonctionnements de la chaîne pénale. Pointés du doigt
même au plus haut sommet de l’Etat184, les CPIP avaient réagi par un mouvement social.
S’il est combattu par des agents qui se réclament héritiers de la tradition du travail
social185, le référentiel criminologique constitue un pôle d’attraction même parmi les
agents les plus anciens venus de cet héritage. Monique par exemple, s’exprime ainsi :
« on commence à aborder la criminologie, des formations se mettent en place, je trouve
ça très intéressant. Il y a une autre façon de prendre en charge la personne, cela renvoie à
des notions totalement différentes. » Après nous avoir expliqué qu’elle consulte
régulièrement des sites de criminologie, Monique évoque même « l’empathie »
caractéristique selon elle de cette approche, qui lui permettrait de renouer avec la
formation de travailleur social. Mais pour Everett Hughes, « l’observation des gens dans
leur travail peut en fait révéler que leur comportement réel dément leurs affirmations sur
183 En janvier 2011, Tony Meilhon, déjà condamné pour divers délits, avait enlevé et assassiné une jeune
femme dont on avait retrouvé le corps dans la ville de Pornic. Tony Meilhon était alors en sursis avec
mise à l’épreuve, suivi par le SPIP du Nantes qui avait toutefois dénoncé des semaines auparavant le
manque de moyens alloués, ce qui l’empêchait d’assurer un suivi suffisant.
184 Nicolas Sarkozy déclarait ainsi le 3 février 2011 : « Quand on laisse sortir de prison un individu comme
le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux
qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle. »
185 « La réinsertion est l’objectif premier car cela permet de lutter contre la récidive : ensemble ces deux
objectifs sont complémentaires. En revanche, lorsque la référence à la prévention de la récidive devient
unique, c’est toute la philosophie du métier qui s’en trouve modifiée, faisant basculer les professionnels
dans une dimension prédictive. De moteur de soutien dans une dynamique de réinsertion, ils sont voués
à devenir de simples filtres entre la prison et le monde libre, au nom d’une dangerosité que tout le monde
peine à définir, qu’elle soit criminologique ou psychiatrique. » CGT pénitentiaire, Orientations 20122015, www.ugsp-cgt.org.
78
la valeur qu’ils accordent aux diverses activités ».186 Monique, par exemple, critiquait
l’insistance de l’administration sur les « facteurs de risque » alors même que ce site y fait
référence abondamment187. L’adhésion aux principes de la criminologie de la part d’un
agent issu du travail social est intéressante dans la mesure où nous pouvons voir qu’à de
nombreux égards, les deux approches sont incompatibles.
b) Une application concrète des principes de la criminologie dans la
probation française
La circulaire de mars 2008188 sur les méthodes d’intervention des SPIP affiche
les objectifs suivants : « évaluer les risques », « adapter la prise en charge ». Pour Xavier
de Larminat, cette approche s’inspire du courant utilitariste – trouver ce qui marche
(« what works »), qui veut donner toute sa place à l’étude des conditions du passage à
l’acte délinquant et à la définition de « bonnes pratiques » de prise en charge afin de
prévenir la récidive. Ces « bonnes pratiques » soi-disant neutres et objectives, s’appuient
sur le référentiel criminologique. Les grands principes de la criminologie ont déjà trouvé
une application concrète au sein de la probation en France, à travers deux instruments : le
Diagnostic à Visée Criminologique (DAVC), et les Programmes de Prévention de la
Récidive (PPR). Tous deux contiennent des présupposés inséparables du processus de
rationalisation administrative et des principes issus du nouveau management public, qui
rejaillissent sur la prise en charge des condamnés et le travail des agents.
Le DAVC, intégré dans le logiciel APPI à partir de 2008, était un instrument
standardisé d’évaluation des risques censé se déployer dans les SPIP après la publication
d’une circulaire d’application le 8 novembre 2011189. Il a en effet été abandonné en 2013
à la suite de protestations véhémentes de la part des personnels des SPIP. Il paraît
186 Everett HUGHES, Le regard sociologique, Paris, EHESS, 1997, p. 181.
187 http://psychocriminologie.free.fr/
188 Circulaire de la DAP n° 113/PMJ1 du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention
des services pénitentiaires d’insertion et de probation
189 Circulaire du 8 novembre 2011 relative au diagnostic à visée criminologique (DAVC).
79
néanmoins important d’étudier ce qu’il implique, car le recours à une évaluation
standardisée des condamnés est « loin d’être abandonné » par l’administration
pénitentiaire, comme le confirmaient les agents en entretien. Le modèle du DAVC tel que
présenté aux agents de probation se trouve sous la forme de quatre catégories, chacun
comportant une batterie d’indicateurs. Une autre catégorie sert de conclusion pour faire
la synthèse des résultats et proposer un type d’intervention (cf. annexe). La compilation
de données est assez hétérogène, prend parfois la forme de questions fermées ou de cases
à cocher. De ce fait, comme pour le logiciel informatique APPI dans son ensemble, le
DAVC ne laisse que peu de liberté aux commentaires des agents. Les agents réfractaires
à l’outil dénonçaient la charge administrative supplémentaire qu’il occasionnait – aux
antipodes de la « modernisation » évoquée. En entretien, Lionel s’exprime au sujet du
DAVC : « c’était devant un écran, plein de cases, oui/non/peut-être ». Monique renchérit :
« c’est une évaluation et qu’est-ce qu’on en fait après ? » Le fait de remplir l’évaluation
consistait d’ailleurs en une tâche répétitive, routinisée, réduisant une nouvelle fois les
agents à de simples rouages administratifs.
Les PPR, lancés au même moment, sont eux toujours en vigueur et appelés à se
développer au sein des SPIP. En rassemblant plusieurs détenus ou probationnaires ayant
commis des infractions similaires, ils visent, dans une perspective proprement
criminologique, à travailler collectivement sur le passage à l’acte délictueux. Les CPIP
animent ces groupes de parole afin de confronter les expériences et de faire évoluer la
représentation que se font les intéressés de leur geste afin de prévenir la récidive. « La
pédagogie utilisée est d’inspiration cognitivo-comportementale – cognitive parce qu’elle
vise à faire prendre conscience aux participants de l’écart existant entre leur analyse de la
situation et les conséquences réelles de leurs actes pour les victimes et la société ; et
comportementale en ce qu’elle recherche une modification du comportement par
l’apprentissage de stratégies d’évitement des situations à risque, et non par l’exploration
des causes profondes (souligné par nous). »190 Ce dernier point se montre
190 Emmanuel BRILLET, Une nouvelle méthode d’intervention auprès des personnes placées sous main de
justice : les programmes de prévention de la récidive (PPR), Cahiers d’études pénitentiaires et
criminologiques, 2009, n°31, p. 2.
80
particulièrement important au moment d’évoquer les implications pratiques de ce
référentiel criminologique et des instruments qui l’accompagnent.
c) Modernisation administrative et rationalité pénale moderne : une
recherche de l’efficacité
Comme le montre Jean Danet, la notion de dangerosité est constamment présente
dans le champ pénal. Elle a ainsi irrigué la réflexion qui a abouti à la mise en œuvre de
nouveaux dispositifs judiciaires et pénaux. En retour, ces dispositifs ont sollicité la
participation de la psychiatrie.191
Les critères d’évaluation du DAVC façonnent des représentations spécifiques de
la récidive et construisent des « profils de risque ». Pour Xavier de Larminat par exemple,
le fait d’extraire des faits (les antécédents judiciaires) de leur contexte et de les isoler
conduit les agents à les surinterpréter192. Tous ces renseignements vont être érigés en
« symptômes » de la délinquance. C’est particulièrement visible avec la deuxième
catégorie qui se propose d’étudier le rapport du condamné à la loi, son attitude à l’égard
de l’acte qu’il a commis. Cette attitude va être utilisée pour révéler si l’on est en présence
d’un individu risquant de récidiver. Un instrument en apparence neutre peut ainsi venir
renforcer les préjugés de l’agent par cette évaluation standardisée, simplificatrice. Il faut
préciser que cette évaluation se réalise au début de la prise en charge et non de manière
dynamique au fil de l’évolution de la situation. Cela peut conduire à accentuer la distance
entre le probationnaire et l’agent, celui-ci devant en quelque sorte réaliser une
« expertise » sur celui-là au terme de seulement quelques entretiens. Les troisième et
191 Jean DANET, La dangerosité, une notion criminologique séculaire et mutante, Champ pénal, 2008 Vol.
V, p. 1-25.
192 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 84.
81
quatrième catégories entendent évaluer « la capacité personnelle au changement » et la
« prise en charge médicale ». Les indicateurs utilisés, aux termes très vagues, se focalisent
sur l’individu et sa psychologie. Dans le sillage des principes du nouveau management
public qui entendent recourir aux défaillances de l’Etat193, l’analyse du DAVC fait peser
les facteurs de délinquance sur la responsabilité individuelle des condamnés, plus que sur
les causes socioéconomiques. Ses indicateurs tendent en effet à privilégier les approches
psychologisantes, à évaluer la « motivation » de l’individu à se « prendre en charge ».
L’administration
présente
ce
diagnostic
comme
utile
dans
l’objectif
d’individualisation des peines et de la prise en charge. En effet, au terme du diagnostic,
une décision devra être prise quant au niveau de suivi dont le condamné fera l’objet. Les
buts fixés par l’administration pénitentiaire sont affichés comme suit : « Dans une
perspective dynamique de prise en charge des personnes placées sous main de justice et
d’individualisation des peines, les SPIP doivent différencier les suivis afin de donner un
sens et du contenu à l’exécution de décisions judiciaires »194. Une telle grille de suivi a
été officialisée par l’administration pénitentiaire elle-même dès 2009195 : suivi allégé,
suivi espacé, suivi normal et suivi intensif sont ainsi les quatre modalités de prise en
charge des probationnaires.
Dans les faits, le suivi différencié peut surtout être lu comme un nouveau moyen
de gestion des flux et des risques caractéristique de la modernisation administrative, dans
un contexte de moyens financiers et humains limités qu’il faut affecter
« rationnellement ». L’objectif est de hiérarchiser et classer les individus en fonction des
priorités à gérer. Le principe est le même avec les PPR, dont la prise en charge collective
193 Philippe KERAUDREN, Entre nouveau management public et gouvernance : les spécificités de la réforme
de l'administration centrale en Grande-Bretagne, Politiques et management public, 1999, vol. 17 n° 1, pp.
59-92.
194 Circulaire de la DAP du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP.
195 Direction de l’administration pénitentiaire, SPIP : enjeux de la nouvelle organisation, 2009.
82
peut aussi être lue comme une manière de regrouper les interventions et les suivis sur un
maximum de personnes simultanément. S’agissant du DAVC, au terme du diagnostic, les
condamnés présentant le moins de risques avérés seront suivis de manière allégée. Les
individus « à problèmes » vont concentrer tous les moyens d’action. Le risque est
d’aboutir au phénomène similaire à celui observé en centre de détention où la même
méthode a été appliquée196. A savoir la création d’une prophétie auto-réalisatrice :
l’évaluation rigide et routinisée enferme l’individu dans une catégorie dont il aura du mal
à se défaire dans la suite de son parcours. Du côté des agents de probation, il est possible
que la concentration du travail sur les individus les plus dangereux laisse à penser que ces
derniers soient majoritaires alors que les faits démontrent le contraire. Cela occasionne
un découragement « à force de se concentrer sur des personnes en situation d’échec
répété, ce qui nourrit une vision désabusée de leur intervention »197.
Derrière cet écoulement des flux se mettent à jour des logiques de ségrégation que
Robert Castel avait déjà identifiées dans les années 1980 : « On constate le développement
de modes différentiels de traitement des populations, qui visent à rentabiliser au
maximum ce qui est rentabilisable, et à marginaliser ce qui ne l’est pas »198. Les individus
pouvant servir à terme de main d’œuvre sur le marché du travail peuvent être pris en
charge, les autres sont appelés à rester en marge. Nous pouvons mobiliser ici ce qu’Alvaro
Pires appelle la rationalité pénale moderne199 : le but du système pénal n'est plus de
répondre à des problèmes sociaux mais de réguler les niveaux de déviance par une gestion
systémique, et une efficacité procédurale et organisationnelle de la prévention et de la
196 Jean BERARD, Stéphanie COYE, Régimes de détention différenciés, l’envers du décor, Dedans-Dehors
n° 63, 2007, p. 17-34.
197 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 92.
198 Robert CASTEL, De la dangerosité au risque, Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 47-48, 1983,
p. 126.
199 Alvaro PIRES, La rationalité pénale moderne, la société du risque et la judiciarisation de l’opinion
publique, Sociologie et sociétés, vol. 33, n° 1, 2001, p. 179-204.
83
répression. L'intervention des professionnels de la probation va se limiter à déterminer si
la personne, placée sous main de justice, a un degré de risque lui permettant de bénéficier
par exemple d'un aménagement de peine. S’amorce ainsi le passage d’un modèle
réhabilitatif à une gestion administrative de populations à risques identifiées par des outils
de calcul de leur dangerosité : nous assistons à « l'avènement progressif d'une rationalité
pénale, non plus orientée vers les individus et leur transformation, mais vers la gestion
efficace de populations collectives »200.
Le fonctionnement des PPR s’inscrit dans cette rationalité pénale moderne. Deux
PPR existaient dans le SPIP où nous avons conduit les entretiens : un premier sur les
délinquants sexuels et un second sur les violences conjugales. Monique est animatrice sur
ce second PPR. Pour les deux agents rencontrés, la principale vertu du PPR est « la
réflexion sur le passage à l’acte » et la « prévention » de celui-ci. En dépit du caractère
collectif des interventions, on y pousse les individus à rechercher eux-mêmes les solutions
à leur situation. Généralement, les agents corrigent systématiquement les condamnés
lorsque ceux-ci tendent à parler en collectif (nous, on) et les enjoignent à utiliser la
première personne du singulier201. On en appelle à la responsabilité individuelle et
l’autonomie du probationnaire qui doit repérer les « symptômes » ayant précédé le
passage à l’acte, non pour solutionner le problème mais pour l’éviter. Ainsi, on
décontextualise totalement le passage à l’acte pour le remettre dans les mains de
l’individu202. Comme le dit Lionel, « on veut que l’individu réfléchisse sur le sens de la
peine. » Comme dit plus haut, nous pouvons rappeler la définition des PPR contenue dans
les Cahiers d’études de la DAP elle-même : « l’apprentissage de stratégies d’évitement
200 Gilles CHANTRAINE, Jean-François CAUCHIE, Risque(s) et gouvernementalité, Socio-Logos. Revue
de l’association française de Sociologie, n° 1, 2006, p. 13.
201 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 187.
202 Marie-Sophie DEVRESSE, Investissement actif de la sanction et extension de la responsabilité. Le cas des
peines s’exerçant en milieu ouvert, Déviance et Société, 2012, vol. 36, n°3, pp. 311-323.
84
des situations à risque, et non […] l’exploration des causes profondes ». Pour citer Robert
Castel, nous serions en présence d’ « une sorte de réinterprétation du social comme étant
dissous dans le psychologique »203.
Conclusion du chapitre 3
La mise en œuvre concrète de la probation au sein des SPIP se devait d’être examinée.
Des évolutions sont notables. Le profil des agents de probation semble s’uniformiser ou
plutôt se dualiser au vu du recrutement et de la formation. Le point commun à ces
évolutions est le recul constant des approches issues du travail social. Les SPIP semblent
également se diriger à marche forcée vers des impératifs gestionnaires qui morcellent et
systématisent la prise en charge des condamnés. Sous la bannière de la criminologie, la
gestion des risques trouve une application dans l’objectif affiché de prévention de la
récidive.
203 Robert CASTEL, Eugène ENRIQUEZ, D’où vient la psychologisation des rapports sociaux ?, Sociologies
pratiques, n°2, 2008, p. 17.
85
CONCLUSION GÉNÉRALE
Nous avons choisi de mettre en exergue une citation de John Augustus au début
de ce mémoire. Ce cordonnier de Boston est considéré comme le père de la probation. En
1842, il avait réussi à obtenir du tribunal la sortie de prison d’un délinquant alcoolique,
promettant de le placer sous sa propre garde. Il lui avait alors fourni un travail, un
logement, l’avait encadré et assisté. Devenu sobre, le délinquant était retourné devant le
tribunal pour sa comparution. Ayant apporté la preuve de son amendement – probation
vient du latin « probare », prouver –, il s’était alors vu infliger une peine symbolique de
un cent. Face au succès de l’opération, le philanthrope bénévole avait ensuite accueilli
dans son atelier 1 142 hommes et 794 femmes en renouvelant l’opération. On reconnaît
ci-dessus les bases naturelles de la probation, puisque le tribunal confiait à une tierce
partie la tâche de veiller au respect des conditions imposées avec l’éventualité d’un retour
à la cour si le détenu contrevenait à ces conditions.
Quand une sanction est prononcée, que l’expiation de la faute est réalisée, la
question immédiate qui s’ensuit est celle de la resocialisation du condamné. C’est une
condition sine qua non pour parvenir à une justice acceptée des citoyens, et une société
apaisée. A cet égard, la peine d’enfermement semble avoir perdu de son sens. Elle
conserve en effet des fonctions traditionnelles attachées à la peine : une vengeance, un
symbole. Le grand enfermement n’a pas pris fin, l’arsenal répressif ne s’est pas dégonflé,
et les propos de « fermeté » sont couramment réaffirmés. Pourtant, les échecs sont patents.
Symbole espéré de progrès social et de pratiques jugées barbares, la prison ne semble pas
présenter les vertus qui lui sont attachées : elle n’offre pas de conditions de détention
dignes, et elle échoue à resocialiser ceux qu’elle accueille. L’échec de la prison lui est-il
inhérent ? Nous pouvons le penser. Dès lors, comment penser la peine autrement ?
Preuves d’une certaine schizophrénie, aux côtés de dispositions législatives
répressives, ont émergé depuis une trentaine d’années des mesures alternatives à
l’incarcération. En effet, si la culture de ce type de mesures peut, nous l’avons vu,
remonter à des temps plus anciens, le renouveau théorique et empirique est plus récent.
En ce qu’elles préconisent l’utilisation de la prison en dernier recours et visent à réintégrer
l’individu dans la société, nous pouvons défendre ces mesures alternatives, les voir
comme porteuses d’un nouveau sens de la peine, malgré les critiques. Comme tout
discours « optimiste » en effet, celui sur la probation doit être pris avec distance et
86
déconstruit. Mais nous avons choisi de le faire en postulant que les peines de probation
relevaient du « bon sens ». Et que, leur efficacité étant prouvée, il fallait interroger la
façon dont elles étaient mises en œuvre afin de voir si elles représentaient un horizon
souhaitable pour redéfinir le sens de la peine.
Le retour brutal de la probation dans le débat public à l’occasion de la réforme
pénale de 2013 a en effet réactivé un débat sur le sens de la peine. D’un côté, certains
estiment que toute autre sanction que l’enfermement relèverait d’un laxisme. Se joue ici
la défense de fonctions plus traditionnelles de la peine. De l’autre, les défenseurs de
mesures alternatives sont forcés d’expliquer qu’elles ne sont pas des cadeaux faits aux
délinquants. Ils tentent de démontrer à la société, méfiante à leur égard, le caractère
contraignant mais néanmoins efficace de ces sanctions.
Nous avons donc décidé d’étudier les logiques à l’œuvre dans les services de
probation, censés appliquer ces peines efficaces. Le premier constat effectué est le recul
progressif de l’influence du travail social au sein de ces services, alors que la définition
même de la probation s’appuie sur des notions d’assistance. De plus, ces structures sont
touchées par les mutations issues du nouveau management public et l’apparition d’un
courant théorique particulier, la criminologie. Ces deux phénomènes agissent
simultanément. Les impératifs gestionnaires de rationalisation des dépenses, de gestion
des flux et des risques, et la valorisation de la responsabilité individuelle sont en harmonie
avec le logiciel criminologique. En effet, ce dernier met l’accent sur l’identification de
facteurs de risques et de dangerosité par des évaluations standardisées, et s’intéresse au
« passage à l’acte » de l’individu. Trois phénomènes à l’œuvre donc : recul du travail
social, impératifs gestionnaires, importation d’un référentiel criminologique.
Or, c’est désormais la « prévention de la récidive » qui est aujourd’hui érigée
comme la « finalité d’action des SPIP »204. Mais la réinsertion sociale, dont nous
maintenons qu’elle est au fondement de la logique probatoire, est-elle soluble dans la
prévention de la récidive ? En revenant à sa définition stricte, le terme de « prévention »
peut regrouper l’ensemble des dispositions prises pour prévenir un danger, un risque, un
204 Titre I de la circulaire du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP
87
mal que l’on pourrait objectiver et mesurer. Il comporte aussi une dimension
thérapeutique, de remède. Dans les services de probation aujourd’hui, au moment de
décider du sort des probationnaires, l’accent est mis sur l’efficacité. Efficacité de la prise
en charge, en opérant un classement. Efficacité à court-terme pour le délinquant aussi,
par l’injonction à bâtir des stratégies d’évitement plus qu’à opérer une contextualisation
socioéconomique de la délinquance.
Le fait « d’apporter le soutien nécessaire en terme de réinsertion sociale » est
présent dans les objectifs fixés par la circulaire. Il se situe à une place respectable
(troisième position) mais ne semble plus être la priorité. Nous avions fait le choix de
souscrire à l’enthousiasme pour l’efficacité des peines alternatives. Il semble que cela
nous ait conduits à un effet pervers. La croyance en l’efficacité se matérialise dans les
services en une injonction à l’efficacité. Les peines de probation sont devenues des modes
de gestion de l’indignation sociale. Leur sens en est dès lors modifié voire dévoyé.
L’objectif ambitieux de projet de réinsertion des condamnés, qui doit concerner
l’ensemble de la société, passe par des logiques court-termistes et individualistes de
prévention de la récidive.
La réforme pénale a prévu 640 créations de postes de CPIP d’ici à 2017. Mais audelà de la question des moyens, c’est donc bien plus l’aspect qualitatif qui interroge. La
loi renforce les pouvoirs de la police et de la gendarmerie aux fins de leur permettre de
vérifier si les personnes placées sous main de justice en milieu ouvert respectent les
obligations et interdictions auxquelles elles sont astreintes. La probation se meut en
gestion sécuritaire des risques.
88
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Le Monde.fr, « Les opposants à la réforme pénale s'alarment du "laxisme" du
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http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/30/les-opposants-a-la-reforme-penale-salarment-du-laxisme-du-gouvernement_3469144_3224.html#jzI5eXhkR4Rm1orC.99
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http://justice.gouv.fr
http://conference-consensus.justice.gouv.fr/
95
Annexe : Modèle du diagnostic à visée criminologique (DAVC)205
Situation pénale et respect des obligations : « Eléments de connaissance factuels et descriptifs »
-
Antécédents judiciaires, Incarcération antérieure éventuelle
Etat des mesures
Aménagement(s) de peine(s) antérieur(s)
Respect de l’obligation de soins
Indemnisation des parties civiles
Respect de l’obligation d’exercer une activité
Respect des obligations générales ou particulières
Appropriation de la condamnation et reconnaissance de l’acte commis : « Degré de compréhension et d’appropriation
de sa peine par la personne suivie »
-
Positionnement par rapport à la condamnation
Positionnement par rapport aux faits
Positionnement par rapport à la loi
Place de la victime dans le discours
Environnement social, professionnel et familial et/ou capacités personnelles au changement : « Causes de ruptures,
d’échecs mais aussi de réussites de la personne suivie »
-
Contacts avec l’entourage familial, social : nature des liens
La personne dispose-t-elle d’un environnement social structurant ?
Positionnement de la famille par rapport à l’infraction et la situation pénale de l’intéressé
Hébergement
Situation au regard de la scolarité ou de la formation
Situation au regard de l’emploi
Situation financière
Motivation de la personne à évoluer
Mobilisation, capacité de la personne à agir
Degré d’autonomie
Capacité relationnelle
Prise en charge médicale : « Identifier, sur information délivrée par la personne suivie, ses éventuelles prises en charge
médicales et en déterminer la nature (somatiques, psychologiques, psychiatriques) »
-
Suivi engagé dans le cadre de l’obligation de soins
Démarche de soins volontaires
Hospitalisation
Existence d’un traitement médicamenteux
Orientation vers un partenaire
Compatibilité de la problématique médicale avec une prise en charge SPIP
Conclusion : « Eléments pouvant constituer des freins ou au contraire des atouts au travail avec la personne suivie » et
« hiérarchisation et articulation des différents axes de travail »
-
Projet de la personne placée sous main de justice
Avis, commentaires sur le projet
Première analyse de la situation
Objectifs de la prise en charge, moyens et modalités d’intervention
205 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 83, d’après la manière dont le DAVC se présentait dans l’application
informatique APPI en mars 2012. Les citations entre guillemets sont extraites de la circulaire du 8 novembre 2011
relative à la mise en place du DAVC.
96
Table des matières
Remerciements…………………………………………………………………………… iv
Sommaire………………………………………………………………………………… vi
Introduction générale………………………………………………………..1
Chapitre 1 : La prison, peine en perte de sens………………………………9
I – La consécration de la prison comme peine de référence………………………………….9
a) Avant la prison, le régime suppliciaire.......................................................................9
b) La prison comme progrès social ?............................................................................11
c) La prison, institution de pouvoir…………………………………………………...13
II – Justifier le recours à la prison…………………………………………………………..15
a) La prison : une simple réponse au crime ?................................................................15
b) Le retour du "grand enfermement" : vers un "populisme pénal" ?............................17
c) La prison : une voie vers la réinsertion ?..................................................................21
III – La situation française : la prison à la peine ?..................................................................24
a) Deux constats alarmants : la surpopulation carcérale et les conditions de détention.. …..24
b) L’échec des prisons françaises en matière de récidive : de la nécessité de la réforme ?.......27
c) La réforme de la prison, un mirage ?........................................................................29
Conclusion du chapitre 1…………………………………………………………………..31
Chapitre 2 : La probation, un renouvellement du sens de la peine ?...........32
I – Probation, alternatives… Les contours de la définition…………………………………32
a) Un nouveau sens de la peine : la prison en dernier recours………………………..32
97
b) De quoi la probation est-elle le nom ?.......................................................................35
c) Mesures en milieu ouvert et aménagements de peine………………………………36
- SME, TIG, LC, SSJ : les mesures les plus proches de la probation……...36
- Les aménagements de peine sous écrou………………………………….39
II – La probation : extension du contrôle ou renouveau salutaire ?........................................41
a) Sens des peines alternatives : un remède pire que le mal ?........................................41
b) Quelle mise en œuvre effective de la probation en France : un manque de lisibilité
du sens de la peine ?..................................................................................................45
c) Défense de la probation : bienfaits de la peine et renouveau de la réflexion………48
III – La contrainte pénale, consécration totale de la probation en France ?............................51
a) Le processus législatif……………………………………………………………...51
b) Une approche innovante ?........................................................................................53
c) Les raisons d'une probation inachevée…………………………………………….55
Conclusion du chapitre 2…………………………………………………………………..58
Chapitre 3 : Quelle mise en œuvre de la probation ? L’action des SPIP….60
I – La lente mutation des services de probation et de ses effectifs : du travail social à
l’influence de l’administration pénitentiaire……………………………………………….60
a) L’ancrage progressif dans l’administration pénitentiaire…………………………60
b) Des profils et des pratiques différenciées…………………………………………..65
c) L’uniformisation des parcours et des profils……………………………………….66
II – Les services de probation enserrés dans les logiques de modernisation et de
rationalisation administrative……………………………………………………………...69
a) Une taylorisation croissante……………………………………………………….69
b) L’informatisation comme révélateur de la rationalisation…………………………72
98
III – Le référentiel criminologique comme paravent aux impératifs gestionnaires……...…75
a) L’émergence d’un paradigme criminologique dans la probation française……….75
b) Une application concrète des principes de la criminologie dans la probation française…..79
c) Modernisation administrative et rationalité pénale moderne : une recherche de
l’efficacité………………………………………………………………………….81
Conclusion du chapitre 3…………………………………………………………………..85
Conclusion générale………………………………………………………...86
Bibliographie/Sitographie………………………………………………………………..89
Annexe : Le modèle du DAVC…………………………………………………………...96
99
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