Mémoire de recherche Master 1 : « Métiers de l’Action Publique » Sciences Po Lille La prison ou ses alternatives ? Sens de la peine et probation au prisme de l’action publique. Guillaume COQUELET Sous la direction de M. Pierre MATHIOT Année universitaire 2014/2015 i Guillaume Coquelet La prison ou ses alternatives ? Sens de la peine et probation au prisme de l’action publique. Sous la direction de M. Pierre MATHIOT Master 1 « Métiers de l’Action Publique » Sciences Po Lille 2014/2015 ii Sciences Po Lille n’entend donner aucune approbation ni improbation aux propos tenus dans le présent mémoire. Ceux-ci sont propres à leur auteur. iii REMERCIEMENTS - Mes remerciements s’adressent tout d’abord à M. Pierre Mathiot pour avoir accepté la direction de ce mémoire, et pour les réponses apportées à mes questions. - Je tiens ensuite à remercier le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation ayant bien voulu m’ouvrir ses portes, et plus particulièrement les deux agents de probation rencontrés en entretien. Par souci d’anonymat, ni le lieu ni les noms réels ne seront mentionnés. - Merci, enfin, à Geneviève pour sa relecture avisée. iv « Je prenais grand soin de m’assurer que les inculpés méritaient d’être placés sous probation et à cet effet il fallait tenir compte des antécédents de l’individu » John Augustus v SOMMAIRE INTRODUCTION GÉNÉRALE 1 CHAPITRE 1 : LA PRISON, PEINE EN PERTE DE SENS I - La consécration de la prison comme peine de référence 9 9 II – Justifier le recours à la prison ? 15 III – La situation française : la prison à la peine ? 24 CHAPITRE 2 : LA PROBATION, UN RENOUVELLEMENT DU SENS DE LA PEINE ? 32 I – Probation, alternatives… Les contours de la définition 32 II – La probation : extension du contrôle ou renouveau salutaire ? 41 III – La contrainte pénale, consécration totale de la probation en France ? 51 CHAPITRE 3 : QUELLE MISE EN ŒUVRE DE LA PROBATION ? L’ACTION DES SPIP 60 I – La lente mutation des services de probation et de ses effectifs : du travail social à l’influence de l’administration pénitentiaire 60 II – Les services de probation enserrés dans les logiques de modernisation et de rationalisation administrative 69 III – Le référentiel criminologique comme paravent aux impératifs gestionnaires 75 CONCLUSION GÉNÉRALE 86 vi INTRODUCTION GÉNÉRALE En 2001 paraissait un ouvrage intitulé « Et ce sera justice : punir en démocratie », écrit par Antoine Garapon, Frédéric Gros, et Thierry Pech. Son titre évocateur entremêle des notions aussi vastes que celles de la justice, la peine, la démocratie, la sanction, la volonté de vengeance, aussi. Une tension existe en effet dans nos sociétés démocratiques, universalistes, humanistes. D’un côté, il est admis que la société doive sanctionner un acte criminel ou délictueux, parce que ce dernier inflige une souffrance à la communauté toute entière ou à un de ses membres en particulier. De l’autre, cette sanction ne doit pas contredire les principes de dignité humaine, d’Etat de droit, et de réhabilitation. Il y a donc dans la punition deux dimensions : celle de la sanction et celle de la réparation. C’est donc toute la question du sens de la peine qui est posée pour permettre de concilier ces intérêts. L’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen énonce : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». La peine doit avoir une fonction précise, et elle ne prend sens également que lorsqu’elle est individualisée, adaptée à chacun. François Rigaux identifie quatre fonctions attachées traditionnellement aux peines1 : la dissuasion, la neutralisation (par une diminution, au moins temporaire, du risque de la récidive), la réinsertion sociale, et la rétribution à l’égard de la société. Ces finalités renvoient aux justifications adossées aux sanctions lorsque l’on cherche à les légitimer. Pour utiliser l’expression consacrée, c’est donner un sens à la peine. Il faut à cet égard prendre ses distances avec tout discours « mythologique ». Pour Nietzsche, le discours sur le sens de la peine ou l’histoire de celle- 1 François RIGAUX, La fonction de la répression pénale dans un ordre juridique, in Foulek RINGELHEIM (dir.), Punir, mon beau souci, pour une raison pénale, Revue de l’Université de Bruxelles, 1984, p. 76-77. 1 ci n’est que l’histoire d’un discours qui vise à la justifier2. Chaque sanction prononcée est toujours liée aux instincts des individus et à la configuration du pouvoir en place. Le sens de la peine est moralement construit. Or pour Nietzsche, il n’y a pas de fondements moraux à la morale. La punition n’est donc que l’expression d’une colère, d’une cruauté et tout le reste n’est qu’une construction sociale a posteriori. En ce sens, Nietzsche n’admettrait peut-être qu’une fonction rétributive de la peine. C’est la conception défendue notamment par Kant3. Pour lui, la peine à infliger doit être douloureuse pour le condamné. C’est le droit du souverain de punir celui qui lui est soumis. La peine est tournée vers le passé, vers l’acte commis. Elle a une fonction d’expiation, de vengeance, et non de dissuasion du criminel. Punir est un impératif moral : il faut faire souffrir celui qui a commis une infraction à la hauteur de la gravité de son acte. En plus de la fonction rétributive, d’autres types d’arguments viennent légitimer le recours à la sanction. Il ne faut jamais perdre de vue ce discours perpétuel de légitimation adossé à la peine. Les missions du service public pénitentiaire sont affirmées comme suit dans la loi de 2009 : « Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes condamnées. »4 Ici le sens de la peine que tente de fixer le service public pénitentiaire mêle des finalités de réinsertion, de dissuasion, de neutralisation. Reste à voir comment ces objectifs se déploient concrètement, et par quels instruments ils se donnent à voir et si l’entremêlement de ces notions ne les rend pas incompatibles. 2 Jean-Charles FROMENT, L’oeil de Nietzsche. Dissertations politiques sur la prison, in ID. (coord.), Administration et politique : une pensée critique et sans frontières, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2009. 3 Emmanuel KANT, Éléments métaphysiques de la doctrine du droit, 1896, Paris [1853], p. 201. 4 Article 2 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire. 2 Avant cela, il faut en revenir aux fondements de notre système pénal. Celui-ci est depuis le XIXe siècle centré autour de l’institution carcérale. En effet, face au caractère ostentatoire et barbare des punitions traditionnelles infligées par le souverain, le recours à l’enfermement avait pu paraître une peine plus juste, plus humaine, et surtout plus efficace. La privation de liberté s’imposait alors comme le moyen de sanctionner provisoirement l’individu déviant, tout en lui permettant de comprendre ses méfaits afin de l’empêcher de les renouveler à sa sortie. Un idéal utilitariste de réhabilitation et de progrès accompagnait la naissance de la prison. Très vite pourtant, le questionnement sur la nature réelle de la prison, le doute sur ses vertus supposées, a émergé. Surveiller et punir, publié en 1975, s’inscrivait dans une perspective abolitionniste puisque Michel Foucault avait rejoint quelques années auparavant le Groupe d’information sur les prisons (GIP), un mouvement d'action et d'information très critique sur la situation carcérale. Foucault a percé à jour la logique interne de l’institution-prison, le pouvoir qu’elle exerce sur les individus. La question du sens de la peine a donc connu un regain d’intérêt. En effet, l’argumentaire justifiant le recours à la prison a subi diverses attaques. Si l’on a pu penser la prison comme un châtiment plus humain et dénué de visée expiatoire, cette justification a volé en éclats à la lumière de diverses enquêtes. Des courants de pensée ont percé à jour les logiques internes de ces institutions. Ils ont dénoncé – et continuent de le faire – les situations déplorables de ces établissements, angles morts de la pénalité. Mais peut-être en vain. La critique de la prison est aussi ancienne que la prison ellemême, nous rappelle Michel Foucault. Régulièrement dénoncée, l’institution-prison résiste. La population carcérale française ayant doublé au cours des trente dernières années, il ne semble pas que le « grand enfermement » décrit par le philosophe ait perdu de son actualité. Sur les bases d’une idéologie sécuritaire omniprésente dans le discours politique et dans les médias, de nombreuses dispositions législatives témoignent d’un durcissement de la pénalité : le recours toujours massif à l’incarcération, l’allongement des peines en sont des manifestations flagrantes. A faire de l'enfermement la solution universelle des crimes et délits, il semble que la punition ne soit plus qu’une sanction, sans volonté de correction, sans projet de relever celui qui est « tombé ». Mais la situation est très paradoxale : en parallèle du tout-carcéral, le discours critique sur la prison n’a jamais été aussi présent dans le débat public. La surpopulation carcérale est fréquemment déplorée, tout comme l’état de délabrement dont souffrent nos prisons. 3 De plus, concomitamment au grand enfermement, est née chez le législateur une volonté de pallier les problèmes liés à la prison. L’idée de probation, ou d’alternatives à l’incarcération, a ainsi pu gagner de la légitimité dans le débat public. Elle consiste en la limitation du recours à l’emprisonnement par diverses modalités. L’effervescence autour de la notion est allé jusqu’à l’ériger en axe fondamental de la réforme pénale portée par la Garde des Sceaux Christiane Taubira à partir de 2013, date de la constitution d’une Conférence de consensus. A nouveau parée de vertus réhabilitatrices, valorisée dans la perspective de peines plus rationnelles et individualisées, la probation a donc été louée pour son efficacité. Certes, les mesures alternatives à l’enfermement ne datent pas de la récente réforme pénale. Elles remontent même pour certaines d’entre elles au XIXe siècle. Mais la réflexion sur ce champ d’étude est constamment renouvelée depuis trente ans dans le monde anglo-saxon, une quinzaine d’années en France. Les dispositions législatives n’ont d’ailleurs pas manqué en la matière sous l’influence notamment du Conseil de l’Europe, au point de pouvoir parler de « schizophrénie pénale ». Aux mesures répressives répondent en effet des incitations aux aménagements de peine pour limiter le recours à l’emprisonnement, jusqu’à la nouvelle mesure toute récente, la contrainte pénale. La réforme, malgré des réserves émises sur sa mise en œuvre effective, a suscité des réactions dans l’ensemble positives parmi les personnels concernés. Mais si la prison possède sa cohorte de détracteurs, cela ne signifie pas pour autant que la probation en tant que sanction emporte la conviction enthousiaste des mêmes penseurs. Ils s’inscrivent en faux contre l’idée que « tout vaudrait mieux que la prison ». Ou, pour le dire autrement, ils ne croient pas que les alternatives à l’incarcération porteraient en elle cette aspiration humaniste : celle que l’on avait déjà, à tort, projetée sur la prison. Ils combattent donc le fait de transposer de la prison aux alternatives, le discours humaniste sur le sens de la peine. Par conséquent, la généralisation de ces alternatives à l’incarcération ne serait pas souhaitable selon eux. Nous n’écartons pas cette conception et lui accorderons une place dans notre propos. En effet, elle nous montre que tout discours sur le « sens de la peine » peut être questionné. Cependant, nous nous plaçons volontairement dans un courant de pensée qui voit la probation comme étant à l’appui d’une volonté de réinsérer le condamné, et non uniquement de le punir. De plus, l’efficacité de ces peines alternatives en la matière peut être démontrée. Des études approfondies pointent les bienfaits des peines de probation et nous souhaitons leur 4 accorder du crédit. Cela nous permet de déterminer si leur approche est réellement novatrice, et d’étudier leur application concrète. Nous nous limiterons par souci de concision à la situation française, étant entendu que les pratiques de probation varient grandement selon les pays. Nous retenons une notion extensive de la probation car dans son sens le plus strict, elle trouve peu d’application en France. En effet la probation consiste en un ensemble d’obligations fixé à un probationnaire ; elle se conçoit sans la menace d’une sanction par l’incarcération en cas de non-respect des obligations, ces obligations étant la sanction même. A l’heure actuelle, aucune peine de ce type n’existe en France car le recours à l’enfermement est toujours agité comme menace aux côtés de la sanction prononcée : on parle donc plutôt de peines alternatives, comprises comme l’ensemble des mesures pénales n’impliquant pas d’enfermement mais induisant des formes de contrôle et d’accompagnement en milieu ouvert, sans isoler le justiciable du contexte dans lequel il évolue. Cela comprend des peines à part entière (sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, libération conditionnelle) et des régimes d’aménagements de peine (placement à l’extérieur, semiliberté, placement sous surveillance électronique). Là encore par souci de clarté, nous pourrons être amenés à utiliser indifféremment les termes de probation et d’alternatives à l’incarcération dans notre démonstration. Le caractère inachevé de la probation au sens strict dans notre pays témoigne là encore de la résistance de la prison et des crispations que peuvent engendrer sa remise en cause. Néanmoins, sa place grandissante dans le débat public mérite à notre avis une étude plus approfondie de son déploiement concret. En France, les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) ont pour mission principale de favoriser la réinsertion des personnes majeures placées sous main de justice, que ce soit en milieu ouvert ou en milieu fermé. Bien entendu dans notre cas, le milieu ouvert constitue notre champ d’analyse puisqu’il comprend les mesures précitées. Les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP), ou plus simplement agents de probation, sont les acteurs de premier plan de ce service. Nous nous proposons d’étudier le fonctionnement de ces services et les logiques à l’œuvre dans le métier d’agent de probation, typique de ce que Henri Mendras appelle les « professions de la constellation centrale », ces classes moyennes salariées situées entre les élites et la constellation populaire. Ce métier est multiforme, emportant à la fois des tâches d’exécution à travers le contrôle des obligations des probationnaires, et des relations quotidiennes fondées sur l’appréciation de la situation de ces derniers. Le métier de CPIP 5 n’est pas né avec la création des SPIP : tous deux sont les héritiers d’autres structures, en particulier celles issues du travail social. Mais les missions des agents de probation ainsi que leurs profils ont considérablement évolué depuis que les services de probation sont entrés dans le giron de l’administration pénitentiaire. Le discours sur le sens de la peine en est impacté. De plus, nous garderons à l’esprit que les SPIP n’évoluent pas en vase clos. Il nous faudra donc replacer leur action dans le contexte politique, socioéconomique. En tant que service public rattaché à l’administration pénitentiaire, le service de probation est en effet impacté par les mutations de l’Etat et de son rôle. Il est soumis à des impératifs bureaucratiques, à des injonctions à la modernisation et à la rationalisation. Ainsi, derrière la rhétorique de l’individualisation des peines et de l’efficacité de la probation, dont nous nous sommes emparés comme présupposé, il faut s’interroger sur les conséquences pratiques de cette injonction à l’efficacité. En effet, les mutations de l’action publique vont de pair avec l’importation d’une « rationalité pénale moderne » pour reprendre les termes d’Alvaro Pires. Cette « gouvernance du crime » (Gilles Chantraine) s’incarne dans la prégnance d’impératifs gestionnaires en matière de politique pénale. Les objectifs fixés à l’aune de cette rationalité pénale moderne, et la manière de remplir ces objectifs, ne sont pas neutres. Ils s’appuient sur des visées et des idéologies particulières qu’il s’agira d’identifier et de questionner. La criminologie est le porte-drapeau de ces objectifs : si sa scientificité est contestée, elle prend une part de plus en plus importante dans la logique probatoire. Des objectifs pouvant paraître nobles au premier abord, ou même tout simplement de « bon sens », influencent donc durablement le métier d’agent de probation – et partant, la prise en charge des condamnés. Ils révèlent les logiques à l’œuvre derrière le discours sur le sens de la peine. Nous avons rencontré deux agents de probation pour un entretien. Leurs propos ne font pas l’objet d’une retranscription intégrale mais sont mobilisés pour enrichir notre argumentation. Cependant, il faut d’emblée préciser que notre travail ne s’apparente pas à une ethnographie du métier d’agent de probation. Tout au plus, cette confrontation avec le terrain avait pour but de ne pas occulter la mise en place concrète 6 et quotidienne par les street level bureaucrats5, des réformes implantées par le haut. Michael Lipsky a théorisé le pouvoir discrétionnaire de ces fonctionnaires de terrain qui conservent une part d’autonomie vis-à-vis des politiques publiques. Cette démarche a inspiré de nombreux travaux dans la sociologie des administrations publiques : en matière d’immigration6 ou dans le domaine des allocations familiales7 par exemple. Ici, le pouvoir discrétionnaire des agents de probation semble mis à mal, soit avec leur consentement (l’évolution des profils) soit sous l’effet de logiques de rationalisation ou de criminologie. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous nous situons donc volontairement dans une réflexion large. Celle-ci inclut une critique de la prison via les pratiques de probation jugées comme plus efficaces. Elle vise ensuite à la confrontation de ce discours d’efficacité avec sa mise en place concrète au sein des SPIP. Notre travail n’aborde pas le domaine de la sociologie des détenus ou des condamnés déjà très abondant. Le champ d’étude est plutôt celui du déploiement des objectifs de la probation en France sur le terrain, et la confrontation de ce déploiement avec le sens de la peine. Dans quelle mesure la probation, en tant que réponse aux échecs de la prison, opère-t-elle une réflexion novatrice sur le sens de la peine ? Selon quelles logiques les SPIP, acteurs de la probation en France, mettent-ils en œuvre cette probation ? De peine ostentatoire, le châtiment principal de notre société est devenu la prison. Elle a ainsi construit un discours sur le sens de la peine pour se légitimer. Mais sous l’effet de preuves tant philosophiques qu’empiriques tendant à la délégitimer, l’institutionprison semble en perte de sens (Chapitre 1). Par conséquent, le paradigme de la probation ou des alternatives à l’incarcération a pu émerger, comme redéfinition d’un sens donné à la peine. Les controverses théoriques et pratiques demeurent sur l’implantation de ces formes de sanction, mais leur efficacité peut être démontrée (Chapitre 2). Cependant, 5 Michael LIPSKY, Street Level Bureaucracy. Dilemmas of the individual in public services, New York, Russell Sage Foundation, 1980. 6 Alexis SPIRE, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir, 2008. 7 Vincent DUBOIS, La vie au guichet. Relations administratives et traitement de la misère, Paris, Economica, 3e éd., 2010. 7 dans cette injonction à l’efficacité, peut se trouver finalement le dévoiement de la logique même de la probation. En effet, la pratique des services de probation semble remodeler le discours sur le sens de la peine en fonction de logiques managériales et criminologiques (Chapitre 3). 8 CHAPITRE 1 : LA PRISON, PEINE EN PERTE DE SENS La prison s’est peu à peu instituée comme peine de référence (I) et a produit son discours de légitimation. Mais il est possible de déconstruire cet argumentaire pour interroger le sens de la peine privative de liberté (II) dans un contexte qui, pourtant, ne lui est pas défavorable (III). I - LA CONSECRATION DE LA PRISON COMME PEINE DE REFERENCE La prison naît du renoncement aux châtiments corporels ostentatoires (a), son instauration paraît donc refonder le concept de la peine à l’aide de visées plus rationnelles ou humanistes (b). Toutefois, elle demeure une réelle institution de pouvoir, n’obéissant pas nécessairement à des logiques progressistes (c). a) Avant la prison, le régime suppliciaire Au début du Moyen Âge, les paysans pouvaient s’installer sur les terres libres. Leurs besoins essentiels étaient satisfaits. En outre, au vu de cette situation, la relation entre seigneurs et serfs était plutôt positive. Ainsi, les infractions contre la propriété n’étaient pas fréquentes. Le droit pénal mettait l’accent sur le maintien de l’ordre public. En cas d’infraction, le coupable se voyait infliger une amende ou une pénitence pour empêcher la vengeance de la partie lésée. Suite à la croissance de la population et au surpeuplement, deux classes distinctes se constituèrent : riches et pauvres, avec l’émergence d’un mode de production capitaliste. Des troubles sociaux ainsi que des révoltes se manifestèrent. Les guerres de religion, les épidémies de peste, la famine écrasent tout dans certaines régions, et le sentiment d'insécurité est très fort : mendiants, voleurs et brigands font leur apparition. Les infractions contre la propriété et les personnes s’amplifient et l’amende tout comme la pénitence ne paraissent plus efficaces en tant que peines. Elles sont remplacées par des châtiments corporels : la flagellation, la mutilation, le bûcher, la pendaison. Des peines cruelles devaient dissuader les masses paupérisées de commettre un crime. La mise à mort systématique était un moyen d’éliminer des sujets considérés comme dangereux. Aux 16e 9 et 17e siècles, en droit pénal, on utilise le fouet pour punir une grande majorité des délits, à tous les âges, mais aussi le bannissement, les galères, la question et la mort féroce. Jusqu’à la Révolution, en France, c’est l’ordonnance de 1670 qui régissait les diverses punitions appliquées. Les supplices sont nombreux sur la place publique : les brûlures au plomb fondu, l'écartèlement, le pilori ou le bûcher. La foule oscille entre terreur et excitation mêlées face à ce rituel de vengeance et de violence. Il s’agissait pour le souverain d’afficher son pouvoir au grand jour. « Le supplice ne rétablissait pas la justice ; il réactivait le pouvoir »8. Nous sommes ici en présence d’une fonction expiatoire, vengeresse de la peine. La loi du Talion s’applique, il faut infliger de la souffrance au condamné. Il faut marquer les corps, avec une intensité dépendant de la gravité du crime, de la personnalité et du rang de la victime. Symboliquement, Michel Foucault choisit la date de 1757 pour évoquer ce qui aurait été la dernière grande manifestation de la punition par le supplice. Après avoir tenté de tuer Louis XV, Robert-François Damiens est le dernier individu en France à subir le supplice du Régicide. La description de la sentence qui doit lui être infligée est en effet particulièrement atroce : il était prévu que Damiens serait « à la place de Grève, et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlé au feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent »9. Seize bourreaux attachent quatre chevaux pour accomplir une besogne longue de deux heures et quart et Damiens ne meurt qu’une fois son dernier membre restant arraché. La souffrance était considérée comme une mesure de punition mais aussi comme un acte d’instruction ; l’exécution, comme une démonstration publique de justice et un rituel de manifestation de la force ; le supplice comme un rituel politique fortement 8 Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 53. 9 Pièces originales et procédures du procès fait à Robert-François Damiens, 1757, t. III, p. 372-374, in Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, p. 9 10 incrusté dans la pratique judiciaire et par lequel le pouvoir se manifeste ; la punition comme une réparation du tort ; la loi comme un droit de vie ou de mort, pour défendre et venger ; et enfin le châtiment comme un acte pour poursuivre une vengeance, personnelle et publique. b) La prison comme progrès social ? Preuve de l’importance des châtiments corporels ostentatoires, Michel Foucault rappelle que la prison occupait une position somme toute marginale dans le système des peines jusqu’au XIXe siècle. Le jurisconsulte François Serpillon affirmait même en 1767 : « la prison n’est pas regardée comme une peine dans notre droit civil »10. Son rôle était alors essentiellement de se saisir d’un suspect plutôt que de le punir ; la prison n’était une réelle punition que lorsqu’elle se présentait comme un substitut aux autres peines (les galères par exemple). La prison était disqualifiée également en ce qu’elle rappelait l’arbitraire royal. Pour Foucault toutefois, peu à peu le pouvoir va peiner à contenir les excès de la foule en faveur ou à l’encontre du condamné. L’emprisonnement va donc peu à peu devenir le point cardinal des châtiments. Si la rupture n’a bien sûr pas été aussi brutale à partir du supplice de Damiens, Foucault l’utilise de manière didactique pour montrer comment la punition change peu à peu de nature. Le pouvoir, qui n’est plus incarné par la figure royale, va transformer la finalité des peines : elles ne sont désormais plus l’expression d’un arbitraire furieux mais doivent servir à protéger la société. C’est pour le bien de la collectivité qu’on punira désormais. Cette approche utilitariste est celle de penseurs comme Cesare Beccaria11. Pour ce dernier, l’individu est doté d’une raison calculatrice. Il a la capacité d’estimer et de calculer le plaisir et la souffrance qui découlent de son acte. Par conséquent, il mesure le 10 François SERPILLON, Code criminel, 1767, t. III, p. 1095, in Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, p. 120. 11 Cesare BECCARIA, Des délits et des peines (1764), Flammarion, « Champs », Paris, 1979. 11 coût et le bénéfice de sa transgression. La fonction de la peine sera alors de provoquer chez l’individu une douleur supérieure au plaisir qu’il a ressenti en commettant son acte. La peine, déterminée non plus par l’arbitraire mais par les lois, vise ainsi la dissuasion et également la prévention de nouvelles infractions. Elle est tournée vers l’avenir, vers l’amendement du condamné. Par cette approche utilitariste, Beccaria se situe dans la continuité de ce qu’avaient été les maisons de correction au moment de la guerre de Trente Ans12 : dans ce contexte de pénurie de main-d’œuvre, la force de travail, devenue précieuse, ne devait plus subir de châtiments corporels. Le détenu était donc un être économiquement utile dans les maisons de correction. Celles-ci, à la fois un dépôt de mendicité, une maison de travail forcé et une institution pénale, font travailler des individus récalcitrants (vagabonds, mendiants valides, prostituées, fainéants). Le projet de réhabilitation du condamné n’est ici pas dénué de valeurs morales, inspirées de la religion. Pour John Howard par exemple, l’enfermement a pour objectif l’amendement des détenus par le travail et la religion13. Le condamné doit être conduit vers la rédemption pour sauver son âme. Après la torture et les supplices, chemine donc l’idée de peines plus rationnelles car utiles, et plus humaines car visant l’amendement du condamné. La privation temporaire de liberté s’impose donc. Dès le Code pénal de 1810, la prison devient la forme principale de châtiment. Il s’agit moins de frapper les corps que d’influencer les esprits pour corriger les criminels et permettre, du moins en théorie, leur réintégration dans la société. Pour cette raison, ce nouveau type de punition peut apparaître comme un progrès social. c) La prison, institution de pouvoir 12 Georg RUSCHE, Otto KIRCHHEIMER, Peine et structure sociale. Histoire et « Théorie critique » du système pénal, Paris, Éd. du Cerf, 1994 [1939], p. 169. 13 John HOWARD, L’état des prisons, Paris, Editions de l’Atelier- Editions ouvrières, 1994 (Londres, 1777). 12 Toutefois pour Foucault, loin de s’édulcorer, le pouvoir ne fait que se redéployer par le recours à la prison. Le pouvoir n’a pas cherché à restreindre son contrôle sur les corps des individus. Il utilise cette institution comme un lieu d’apprentissage de la discipline et de techniques en vue de maîtriser les corps, les rendre dociles. En enfermant les individus, on les soumet à un contrôle croissant, à une surveillance généralisée de ces corps mais aussi, par extension, des esprits. « L’institution-prison » est réellement une institution totale comme la définit Goffman, c’est-à-dire un lieu où « un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées »14. L’institution fonctionne selon des principes bureaucratiques pour installer une relation de pouvoir. Le développement des sciences humaines joue également un rôle. Le pouvoir s’appuie sur ces savoirs nouveaux pour étendre son contrôle. Foucault utilise le concept proche d’institution disciplinaire : un ensemble de lieux visant aussi à domestiquer l’homme, l’insérer dans des normes. « Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ? »15 Cette surveillance s’incarne dans le Panoptique, un type d'architecture carcérale imaginée par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle. Le gardien, logé dans une tour centrale, a la possibilité d’observer tous les prisonniers autour de lui sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont observés. Foucault élargit le phénomène et assène : « Nous vivons dans une société panoptique »16. 14 Erving GOFFMAN, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris Editions de Minuit, 1968, p. 41. 15 Michel FOUCAULT, 1975, op. cit., p. 264. 16 Michel FOUCAULT, Des supplices aux cellules, in Dits et écrits (1954-1975), Paris, Quarto Gallimard, 2001, t. 1, p. 1305. 13 Toutes les institutions précitées relèvent d’une infrastructure collective dans le processus de mise au travail industriel de la population. La prison remplit en effet une fonction économique dans l’expansion du capitalisme – loin donc de la vitrine sociale et humaniste. La discipline a pour but de corriger les conduites qui seraient contreproductives. Le régime capitaliste instaure ces techniques de pouvoir pour constituer une force de travail : « Accumulation des hommes et accumulation du capital ne peuvent pas être séparées ; il n’aurait pas été possible de résoudre le problème de l’accumulation des hommes sans la croissance d’un appareil de production capable à la fois de les entretenir et de les utiliser ; inversement, les techniques qui rendent utile la multiplicité cumulative des hommes accélèrent le mouvement d’accumulation du capital »17. Pour expliciter sa pensée, Foucault utilise ainsi la notion d’illégalismes, que l’on peut définir comme l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts18. Pour lui, la prison ne vise pas à l’extinction du crime ou de la « délinquance ». En effet, la répression des illégalismes est un élément indispensable à la bonne voie du capitalisme. Sous l’Ancien Régime, chaque couche sociale bénéficiait de « zones grises » non investies par le pouvoir par manque de moyens ou de volonté. Elles visaient à maintenir l’ordre social (la bourgeoisie, parce qu’elle faisait de même, tolérait l’illégalisme populaire des paysans cherchant à éviter l’impôt). Avec le développement du capitalisme, la bourgeoisie veut éradiquer les infractions propres aux milieux populaires (vols, rapines, brigandages). L’économie des pénalités se restructure : opposition entre les « illégalismes de biens » (vols, transferts violents de propriétés) entraînant des châtiments prononcés par des tribunaux ordinaires, et « illégalismes de droit » (fraudes, évasions fiscales, opérations commerciales irrégulières) relevant de juridictions spéciales et pouvant bénéficier de transactions, d’accommodements et d’amendes atténuées. « La loi n’est pas faite pour empêcher tel ou tel type de comportement, mais pour différencier les manières de tourner la loi elle-même. »19 17 Michel FOUCAULT, 1975, op. cit., p. 257. 18 Ibid., p. 84-89. 19 Michel FOUCAULT, 2001, op. cit., p. 1587. 14 Derrière la supposée « amélioration » que l’on pourrait concéder à la prison en comparaison avec les supplices corporels, un détour par sa généalogie nous a permis de cerner les enjeux de pouvoir de cette institution,. Il convient maintenant d’étudier les arguments des défenseurs de la prison qui la parent de diverses vertus. II – JUSTIFIER LE RECOURS A LA PRISON ? Si la prison a pu devenir la peine principale dans notre droit, c’est grâce à un argumentaire qui a bâti sa légitimité. Mais celui-ci peut être contesté : la prison n’a pas pour but de stopper le crime (a), et les pratiques contemporaines d’enfermement s’apparentent à une fuite en avant (b) alors même que l’emprisonnement ne permet pas de resocialiser ceux qu’elle accueille (c). a) La prison : une simple réponse au crime ? Au soutien du recours à la prison, est souvent énoncé l’argument que lorsque la société a pâti de la violation de ses règles, il faut rétablir l’équilibre en infligeant à son tour un autre mal au coupable20. Émile Durkheim détermine ainsi la vraie fonction de la peine : elle est sociale. Son but est de « maintenir intacte la cohésion sociale en maintenant toute sa vitalité à la conscience commune »21. L’emprisonnement est la réponse commune à l’indignation et la révulsion collectives, et est destiné à la production de cette communauté imaginaire idéologique. La fonction de défense de la société n’est dès lors 20 Bernard BOULOC, Pénologie. Exécution des sanctions, adultes et mineurs, Paris, Dalloz, Précis, 1998 (1ère édition : 1991), p. 5. 21 Émile DURKHEIM, De la division du travail social, PUF, 1960. 15 pas si éloignée de la vision vengeresse : la prison conserve en tant que peine un caractère expiatoire, comme s’il fallait repousser très loin les monstrueux criminels. Pour autant, la décision d’emprisonner n’est-elle qu’une réponse naturelle au crime commis ? Il est permis d’en douter. Le crime, en effet, est une construction sociale façonnée par des contextes spatio-temporels, des environnements légaux particuliers, et sa perception peut être fluctuante entre les sociétés22. Nils Christie écrit : « Crime does not exist. Only acts exist, acts often given different meanings within various social frameworks. ».23 De plus, les statistiques montrent que le taux de criminalité n’est pas corrélé nécessairement avec le taux d’emprisonnement : depuis 1975 en France, le taux de détention a été multiplié par 2,5, alors que le volume des condamnations criminelles et correctionnelles stagne depuis le milieu de la décennie 1980 24. Alors comment expliquer l’augmentation de ce taux de détention ? Nous pouvons avancer des raisons socioéconomiques25. Durant les Trente Glorieuses, le modèle dominant était celui de la « défense sociale », orienté vers la prévention du crime, la resocialisation des délinquants, la recherche de peines alternatives et individualisées (en particulier pour les mineurs avec l’ordonnance de 1945). Dans l’après-guerre existait l’idée que la société avait une dette envers ses membres. Il s’agissait aussi de limiter le recours à la prison en ces temps de croissance où la maind’œuvre était précieuse. En somme, l’on renouait avec quelques caractéristiques de la période de la guerre de Trente Ans évoquée supra. Au moment du choc pétrolier, la 22 David SCOTT, Nick FLYNN, Prisons and Punishment: The Essentials. London: Sage, 2014. 23 « Le crime n’existe pas. Il n’existe que des actes, auxquels on donne souvent des significations différentes au sein de cadres sociaux différents. » (Traduit par nous), in Nils CHRISTIE, A Suitable Amount of Crime. London: Routledge, 2004. 24 Nicolas BOURGOIN, Mouvements économiques et criminalité : quelques pistes de réflexion, Champ pénal, 2009, vol. VI. 25 Ibid. 16 montée du chômage occasionne un changement de paradigme, quand il s’agit de rétablir le contrôle sur des populations situées à la marge du monde du travail. Dès lors, la prison n’est plus une technique du pouvoir pour contrôler les corps, mais seulement pour contrôler les pauvres26. Pour la France, Anne-Marie Marchetti enrichit l’analyse. Elle confirme le diagnostic selon lequel les pauvres sont davantage incarcérés, notamment chez les condamnés à de longues peines, mais elle fait reposer cela pour partie sur des causes extra-économiques, comme le fait qu’ils aient de mauvaises défenses juridiques, ou qu’on hésite moins à les emprisonner car on les voit comme étant déjà en marge27. Le début des années 1980 voit le retour d’un droit répressif qui s’articule autour de deux référentiels : la criminologie stratégique d’inspiration nord-américaine, et les orientations économiques néolibérales. Tous deux ont la même conception utilitariste d’un individu vu comme acteur autonome, calculateur et rationnel28. Dans le référentiel criminologique, le délinquant est donc cet acteur pleinement conscient, pleinement coupable aussi en tant qu’il est libre de tout déterminisme social. La réponse pénale se doit donc d’être neutralisatrice, c’est-à-dire certaine, sévère et rapide dans son application29. Ce tournant « libéral-sécuritaire » s’est matérialisé, en France notamment, par diverses réformes. b) Le retour du « grand enfermement » : vers un « populisme pénal » ? Les réformes entreprises dans le secteur pénitentiaire, délaissant les projets de réinsertion, semblent plutôt tendre vers des objectifs de neutralisation des délinquants. 26 Nils CHRISTIE, L’industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident, Paris, Autrement, coll. « Frontières », 2003 [1991]. 27 Anne-Marie MARCHETTI, Perpétuités. Le temps infini des longues peines, Paris, Plon, coll. « Terre Humaine », 2001, p. 429-431. 28 Loïc WACQUANT, Punir les pauvres. Le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, Contre-feux, Agone, Marseille, 2004. 29 Stéphane ENGUELEGUELE, Les politiques pénales (1958-1995), L’Harmattan, coll. Logiques politiques, Paris, 1998. 17 La loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs a vu la mise en place des « peines planchers ». Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal en 1994, la loi fixait pour chaque infraction la peine maximale encourue. Le juge ne pouvait la dépasser, en revanche son pouvoir d’appréciation en fonction des circonstances et de la personnalité demeurait. Par la loi du 10 août 2007, la liberté des juges avait été restreinte. Les crimes ou délits commis en état de récidive ne pouvaient plus être punis d’une peine inférieure à certains seuils, fixés par la loi et proportionnels au maximum encouru (articles 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal). Les peines planchers ont été supprimées depuis par la Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Mais elles ont eu des conséquences importantes. Elles ont indéniablement contribué à l’allongement de la durée des peines privatives de liberté prononcées. Alors qu’en 2002, la durée moyenne passée sous écrou était de 7,7 mois, elle avait atteint 8,8 mois en 2008 et s’était établie à 9,6 mois en 201130. S’alimente donc le phénomène de surpopulation carcérale, lui-même à l’origine de nombreux dysfonctionnements. Les peines planchers ont aussi indirectement joué un rôle dans l’allongement des longues peines de prison, qui répond à l’impératif de neutralisation des délinquants. Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe l’expliquent dans leur rapport sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale31. En effet, ce mécanisme initialement prévu pour les récidivistes, a eu aussi pour effet pervers d’augmenter le quantum des peines prononcées à l’égard des primo-délinquants. Lorsqu’au cours d’une même audience, le juge prononçait une peine d’emprisonnement pour un récidiviste, et devait se prononcer pour la même infraction d’un primo-délinquant, il avait tendance à prononcer une peine d’une durée à peu près équivalente pour les deux individus, afin d’éviter toute incohérence. Ainsi le mécanisme de la peine minimale peut contribuer à un allongement des peines prononcées contre des prévenus ne présentant pas les mêmes caractéristiques. 30 Bureau des études et de la prospective, Séries statistiques des personnes placées sous main de justice 19802012, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2012. 31 Dominique RAIMBOURG, Sébastien HUYGHE, Penser la peine autrement : propositions pour mettre fin à la surpopulation carcérale, Paris, Assemblée Nationale, Rapport n°652, 2013. 18 Le 25 février 2008, la loi n°2008-174 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental était promulguée. Les dispositions de la loi font écho à des conceptions anciennes. A la fin du XIXème siècle déjà, l’école positiviste (à forte tendance déterministe) préconisait la mise en place de mesures antérieures aux délits : la relégation (1885) était ainsi l’une des premières mesures de sûreté mise en œuvre en France. L’école de la défense sociale, au début du XXème siècle, préconisait que des mesures de sûreté soient applicables aux aliénés, en même temps que leur enfermement. Dans notre cas, la rétention de sûreté consiste en l’enfermement d’une personne au terme de sa peine d’emprisonnement dans un « centre socio-médico-judiciaire de sûreté ». Pour que la rétention soit prononcée, il est établi par un examen préalable, que la personne présente une dangerosité et un risque de récidive (évalué en termes de probabilités) en raison de sa personnalité instable ou sa santé mentale jugée fragile. Cette mesure doit être prise à titre exceptionnel, et à la seule condition que le délinquant ait été condamné à une peine d’au moins quinze ans de réclusion criminelle pour des faits d’une particulière gravité (meurtre, torture, viol, etc.) Mais un flou entoure la notion de risque, ce que la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’était empressée de dénoncer, en parlant de « notion émotionnelle dénuée de fondement scientifique »32. Ici, la rétention de sûreté n’est pas prononcée en réaction à une infraction pénalement répréhensible mais sur une potentialité à récidiver. Le délinquant, potentiellement, est « endetté à vie »33 envers la société ce qui va à l’encontre de toute idée de réhabilitation. Peines planchers, allongement des peines, rétention de sûreté… L’emprisonnement reste un point cardinal de notre politique pénale. Pour beaucoup 32 Norman BISHOP, audition par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, 4 avril 2006. En ligne. http://www.cncdh.fr/sites/default/files/08.02.07_avis_pl_retention_surete.pdf 33 Juliette RABAUX, La rétention de sûreté ou ‘la période sombre de notre justice’, Journal du droit des jeunes 2008, vol. 4, n° 274, p. 36-48. 19 d’auteurs, ce durcissement de notre pénalité obéit à des logiques sécuritaires. Nous serions à l’ère selon la terminologie utilisée, de la « pénalisation du social »34, de l’ « Etat social-sécuritaire »35, de l’ « Etat pénal »36. Le propos commun à ces auteurs porte sur l’extension du contrôle social aux classes les plus défavorisées et marginalisées – dont la rétention de sûreté est une des manifestations. Mais il concerne aussi les réactions épidermiques à la suite de chaque fait divers. Ces épisodes de tension maximale nourrissent le renouvellement perpétuel de l’argumentaire en faveur de l’incarcération. Denis Salas parle de populisme pénal37 pour décrire cet état de fait. Selon lui, la justice pénale comme les médias de masse sont contaminés par une obsession sécuritaire qui rompt l’équilibre nécessaire entre répression et clémence. Cette « pathologie de la punition » est une véritable fuite en avant. Il critique donc les excès de la volonté de punir, qui s’opposerait aux logiques de réhabilitation et de peines individualisées. Se dessine là encore une explication socioéconomique à ce phénomène. Depuis les années 1980, la morosité économique et l’extension des inégalités incitent l'État à chercher de nouvelles sources de légitimation dans la réponse pénale, pour masquer son incapacité à assurer la sécurité économique et sociale38. Le « criminel » se transforme ainsi en bouc émissaire sacrifié à l'égoïsme collectif, permettant à l’Etat de nier ses propres responsabilités politiques dans la situation économique et sociale du moment39. 34 Philippe MARY, Insécurité et pénalisation du social, Bruxelles, Labor, coll. Quartier Libre, 2003, p. 32. 35 Yves CARTUYVELS, Philippe MARY, Andrea REA, L’État social-sécuritaire, in Luc VAN CAMPENHOUDT et al., Réponses à l’insécurité, Bruxelles, Labor, 2000, p. 407-429. 36 Loïc WACQUANT, « La fabrique de l’État néolibéral », Civilisations, 2010, vol. 59 n°1, 2010, p. 151-174. 37 Denis SALAS, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Paris, Hachette, 2005. 38 Charlotte VANNESTE, Les chiffres des prisons. Des logiques économiques à leur traduction pénale, L’Harmattan, coll. Logiques Sociales, Paris, 2001. 39 Philippe COMBESSIE, Les fonctions sociales de l'enfermement carcéral : constats, hypothèses, projets de recherche. Mémoire d'habilitation à diriger des recherches, Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, 2003. 20 Il est fait état de la seule responsabilité individuelle du condamné, en dehors de tout contexte social, pour ressouder une société fragmentée. Le raisonnement durkheimien, vieux de 120 ans, peut toujours trouver une caisse de résonnance dans le contexte actuel. c) La prison : une voie vers la réinsertion ? Réinsérer par la prison : le thème n’est pas nouveau, nous l’avons vu. Des penseurs comme Cesare Beccaria, Jeremy Bentham, ou John Howard voulaient associer le travail ou l’éducation à l’enfermement pour « corriger » les détenus et les adapter à la réinsertion dans la vie sociale. Cette vision était empreinte de considérations morales et/ou religieuses. L’après-guerre notamment avec la réforme pénitentiaire de 1945, dite réforme Amor, s’inscrit dans une lignée de resocialisation du délinquant. Le premier des principes de la réforme énonçant : « La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné »40. Dans une autre optique notamment soutenue par Charles Murray41, sous l’adage du « prison works », la dissuasion qu’opère la prison sur le délinquant permet sa réintégration dans la société. En effet la douleur de l’emprisonnement conduirait l’individu, selon un calcul utilitariste, à ne pas réitérer ses actes déviants. Ainsi, devant la perspective d'aller en prison ou d’y retourner, un individu rationnel devrait normalement être amené à renoncer à toute activité criminelle ou délinquante. Aujourd’hui, la réinsertion est toujours mise en avant comme objectif prioritaire. Dans la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, l’article 2 dispose : « Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à 40 Paul AMOR, La réforme pénitentiaire en France, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1947, vol. 1, p. 1-30. 41 Charles MURRAY, Does Prison Work ?, London: Coronet Books, 1997. 21 l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, […] ». La prison doit être le lieu où l’on prépare l’individu déviant à se resocialiser. Pourtant il nous est permis de douter de l’efficacité de la peine-prison en la matière. Plusieurs penseurs voient plutôt la prison comme une école du crime, qui échouerait à resocialiser le détenu et ne remplirait pas ainsi son objectif de lutte contre la récidive parce qu’elle fabriquerait des délinquants.42 Ce constat n’est pas nouveau : « dès 1820, on constate que la prison loin de transformer des criminels en gens honnêtes, ne sert qu’à fabriquer de nouveaux criminels, ou à enfoncer encore davantage les criminels dans la criminalité »43. Donald Clemmer parle de process of prizonisation44 pour montrer le caractère déshumanisant de l’institution. Ce processus s’accompagne d’un entre-soi au sein des détenus qui forme à la récidive, comme certains l’expliquent eux-mêmes45. Jaman, Dickover et Bennett en 197246 s’exprimaient même en ces termes : « le détenu qui séjourne un bon moment en prison, du fait qu'il s'imprègne de la culture qui y a cours, voit ses penchants criminels renforcés et, partant, est plus susceptible de récidiver que le détenu qui a purgé une peine de moins longue durée ». Une importante littérature vient soutenir que la vie carcérale détruit l'équilibre psychologique et émotionnel des détenus47. La prison fabrique les conditions même de son échec. « La fabrication de la délinquance par la prison, ce n'est pas un échec de la prison, c'est sa réussite, puisqu'elle 42 Foulek RINGELHEIM, Qu’appelle-t-on punir? Entretien avec Michel Foucault, in Foulek RINGELHEIM (dir.), Punir, mon beau souci, pour une raison pénale, Revue de l’Université de Bruxelles, 1984, p. 40. 43 Michel FOUCAULT, Entretien sur la prison, in Au pied du mur, 765 raisons d’en finir avec toutes les prisons, Montreuil, L’insomniaque, 2000, p. 20 44 Donald CLEMMER, Observations on imprisonment as a source of criminality, Journal of Criminal Law and Criminology Vol. 41, 1950. 45 Serge LIVROZET, De la prison à la révolte, Paris, L’Esprit frappeur, 1999, p.79 46 Donald CLEMMER, Observations on imprisonment as a source of criminality, Journal of Criminal Law and Criminology Vol. 41, 1950. 47 James BONTA, Paul GENDREAU, Reexamining the cruel and unusual punishment of prison life, Law and Human Behavior, 1990, n° 14, p. 347-366. 22 était faite pour ça. La prison permet la récidive, elle assure la constitution d'un groupe de délinquants bien professionnalisé et bien fermé sur lui-même »48. Avec le temps, la prison distend les relations sociales antérieures, amicales, de travail, ainsi que les liens familiaux : l’individu dépend entièrement de la prison et y est soumis. La réinsertion devient vite secondaire face à la déqualification professionnelle à l’œuvre49. L’exemple du casier judiciaire est évocateur. Si l'échec de la resocialisation n'est pas souhaité, comment expliquer l'existence de ce casier ? Celui-ci, créé en 1850, poursuit l'individu après l'effectuation de sa peine. Face à la difficulté de supporter un casier judiciaire (tant socialement, pour trouver un emploi par exemple, que moralement), l'individu stigmatisé tend à récidiver. Aux États-Unis, bien que les taux de récidive des détenus libérés soient restés stables ces 20 dernières années, ils sont entre 30 et 45 fois supérieurs à ceux de la population prise dans son ensemble50. Les obstacles auxquels les anciens détenus se heurtent après leur remise en liberté sont multiples : des relations familiales tendues51, l’accumulation de dettes52, des problèmes de logement53… « A leur libération, et selon la durée de leur peine, les anciens détenus n’ont parfois que peu de souvenirs des règles et des ressources sociales… »54. 48 Michel FOUCAULT, Alternatives" à la prison : diffusion ou décroissance du contrôle social : une entrevue avec Michel Foucault, Criminologie, vol. 26, n° 1, 1993, p. 13. 49 Anne-Marie MARCHETTI, Pauvretés en prison, Ramonville Saint-Agne, Erès, 1997. 50 Richard ROSENFELD, Joel WALLMAN, Robert FORNANGO, The contribution of ex-prisoners to crime rates, in Jeremy TRAVIS et Christy VISHER (dir.), Prisoner reentry and crime in America New York: Cambridge University Press, 2005, pp. 80- 104. 51 Jeremy TRAVIS, But they all come back: Facing the challenges of prisoner reentry. Washington, D.C.: The Urban Institute Press, 2005. 52 Stephen RICHARDS, Richard JONES, Beating the perpetual incarceration machine: Overcoming structural impediments to re-entry. In Shadd MARUNA, Russ IMMARIGEON (dir.), After crime and punishment: Pathways to offender reintegration, Collumpton, Devon: Willan, 2004, p. 201-232. 53 Ros BURNETT, To reoffend or not to reoffend? The ambivalence of convicted property offenders. In Shadd MARUNA, Russ IMMARIGEON (dir.), After Crime and Punishment: Pathways to Offender Reintegration, pp. 152-180. 54 Stephen RICHARDS, Richard JONES, Beating the perpetual incarceration machine: Overcoming structural impediments to re-entry. In Shadd MARUNA, Russ IMMARIGEON (dir.), After crime and punishment: Pathways to offender reintegration, p. 204. 23 Ainsi, si nous essayions de conclure sur l’utilité de la peine-prison, nous serions contraints de ne lui concéder qu’une chose : mécaniquement, elle neutralise, de manière provisoire, les personnes qu’elle accueille. Cette fonction originelle n’a pas disparu du paysage pénal contemporain au vu des lois adoptées dans ce sens. Les différentes vertus attribuées à la peine privative de liberté relèvent de constructions sociales à des fins particulières. Pourtant, il ne semble pas que le temps soit à la remise en cause de la prison comme châtiment principal. La situation carcérale française est pourtant problématique. III – LA SITUATION FRANÇAISE : LA PRISON A LA PEINE ? La prison en France aujourd’hui fait face à un triple constat d’échec : la surpopulation carcérale et les conditions de détention sont en totale opposition avec l’idée d’une peine réhabilitatrice (a), alors que dans le même temps l’emprisonnement ne permet pas d’empêcher la récidive (b). Pour terminer, l’impossibilité à réformer la prison semble nous mener dans une impasse (c). a) Deux constats alarmants : la surpopulation carcérale et les conditions de détention Depuis 1975, l’inflation carcérale est quasiment continue en France (sauf entre 1996 et 2001). En France, le nombre de personnes incarcérées (en maison d’arrêt ou en centre de détention) est passé de 48 296 au 1er janvier 2002, à 66 761 au 1er avril 2015, soit un accroissement de 38 %. Dans le même temps, le nombre de personnes placées sous écrou (qui comprend les personnes incarcérées et y ajoute ceux ayant pu avoir un aménagement de peine à l’extérieur) est passé de 48 594 à 78 456, soit une hausse de 62 %55. Au total, le taux de placement sous écrou, rapport du nombre de personnes sous écrou au nombre d’habitants, s’élève à 118 pour 100 000 au 1er avril 2015 alors qu’il était de 80 pour 100 000 en 2002. De son côté, le taux de détention, rapport du nombre 55 Ministère de la Justice, Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2015. 24 de personnes détenues au nombre d’habitants, est passé de 79 pour 100 000 à 101 pour 100 000 sur la même période. Puisque dans le même temps, la population a augmenté de 8%, l’augmentation de la population carcérale ne reflète pas celle de la démographie nationale. Si l’on prenait les chiffres entre 2002 et 2012, le constat était le même et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) le rappelait dans son avis du 22 mai 2012 relatif au nombre de personnes détenues56. Ces chiffres restent largement supérieurs aux capacités d’hébergement des 191 établissements pénitentiaires français. Au 1er avril 2015, le taux d'occupation des établissements pénitentiaires, soit le nombre de détenus rapporté au nombre de places disponibles, s’élève à 115 %. 7 établissements ont même un taux d’occupation supérieur ou égal à 200 %. Dans ce même avis, il est rappelé que l’augmentation de la population carcérale n’est pas non plus à chercher dans une hausse de la délinquance : les deux ne sont pas corrélés mathématiquement puisqu’entre entre 2001 et 2010, selon les données de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, le nombre des crimes et délits est en baisse57. Le rapport de Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe58 pointait les conditions de vie iniques dans les prisons françaises, allant jusqu’à parler de promiscuité, d’insalubrité, de violence. Le surpeuplement en est à l’origine. Des propos du CGLPL sur la maison d’arrêt de Majicavo (Mayotte) sont rapportés : « le taux d’occupation des vingthuit cellules se caractérise par une densité très forte qui entraîne une grande promiscuité et une absence totale d’intimité ». Au 1er avril 2014, 1 090 détenus dorment sur un matelas posé à même le sol. S’agissant de l’insalubrité, le rapport et le CGLPL dénoncent les problèmes d’hygiène inhérents aux maisons d’arrêt anciennes mais aussi plus récentes. 56 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026018861 57 Paru au Journal Officiel de la République Française du 13 juin 2012. 58 Dominique RAIMBOURG, Sébastien HUYGHE, 2013, op. cit. 25 Troisième élément évoqué, la violence. Elle est bien sûr liée selon les rapporteurs aux individus peuplant les prisons. Mais elle est tout autant le fruit de la surpopulation et des conditions de détention. Cette violence est aussi parfois autodestructrice, la France présentant l’un des taux de suicide carcéral le plus élevé en Europe59. Ces divers problèmes ont pour conséquence la non-application de certaines dispositions législatives. Par exemple, celui de l’encellulement individuel pourtant affirmé à l’article 87 de la loi pénitentiaire, et au premier alinéa de l’article 716 du Code de procédure pénale. De même, les condamnés et les prévenus ne peuvent pas forcément être détenus dans des endroits différents, comme prévu par le deuxième alinéa de l’article 717 du Code de procédure pénale. S’agissant enfin des activités : selon les recommandations 26.1 et suivantes des Règles pénitentiaires européennes, l’article 27 de la loi pénitentiaire dispose que « toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité ». Les rapporteurs constatent à l’inverse que « l’oisiveté est la règle, et le travail ou la formation professionnelle l’exception ». Non pas par manque de volonté des détenus mais parce que les activités manquent ou que les listes d’attente sont trop longues. La prévention de la récidive, par la préparation d’une réinsertion, est donc ici peu envisageable tant que l’accoutumance au travail n’est pas suffisante pour préparer la transition. La surpopulation carcérale enfreint pour terminer deux autres droits des détenus prévus dans la loi pénitentiaire : le droit au maintien des liens familiaux (articles 34 à 36), et le droit à la santé (article 46). Les parloirs familiaux sont soit saturés, soit totalement inexistants, tandis que les délais de prise en charge en matière sanitaire sont 59 Observatoire international des prisons, Les conditions de détention en France, (dossier de presse), 7 décembre 2011 26 étirés par la surpopulation carcérale. La France a déjà fait l’objet de plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme en raison de traitements inhumains et dégradants envers les détenus. La surpopulation ne figurait pas parmi les motifs retenus mais un arrêt du 22 octobre 2009 n’exclut pas cette possibilité dans l’avenir60. b) L’échec des prisons françaises en matière de récidive : de la nécessité de la réforme ? La récidive légale, régie aux articles 132-8 à 132-11 du Code pénal, est définie comme la commission d’une nouvelle infraction dans un certain laps de temps après une première condamnation pour une infraction proche ou équivalente. La récidive supposant la répétition d'un comportement, on parle de premier terme pour désigner la première infraction, et de second terme pour celle qui est sur le point d'être jugée. Pour parler de premier terme de la récidive, la première infraction doit avoir donné lieu à une condamnation définitive (c’est-à-dire sans que plus aucune voie de recours ne soit possible) au moment où la deuxième infraction est commise. Il existe deux types de récidive. On trouve, d’une part, des récidives générales : la loi n’exige pas que la nouvelle infraction soit de même nature que celle qui a donné lieu à une première condamnation. Ainsi, une personne déjà condamnée pour crime ou pour un délit puni de dix années d'emprisonnement et qui commet un crime est en état de récidive, peu importe le temps qui s'est écoulé entre les deux (récidive générale et perpétuelle). Si le second terme est un délit passible de plus d'un an d'emprisonnement, on parle de récidive générale et temporaire car ici le second terme est seulement considéré dans un certain délai après la première condamnation. D’autre part, existe la récidive 60 Cour Européenne des Droits de l’Homme, 22 octobre 2009, Norbert Sikorski c. Pologne, n° 17599/05. 27 spéciale : elle s'applique à tout délit pour le premier terme, le second devant être un délit de même nature ou assimilé commis dans un délai de 5 ans. En ce sens, par exemple, le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance sont considérés, au regard de la récidive, comme une même infraction, de même encore que les délits d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles. En France, une étude sur les sortants de prison, publiée en 2011 par deux chercheurs de l'Administration pénitentiaire, a porté sur 7 000 dossiers de détenus libérés entre juin et décembre 200261. Ils ont été comparés cinq ans plus tard, c'est-à-dire dans les années 2007-2008, à leur casier judiciaire. L’étude reprend les critères de la récidive légale mais élargit aussi le propos en retenant toute condamnation pénale pour des crimes ou des délits commis pendant les cinq années suivant la libération quelle que soit la nature de la peine prononcée. Après un an de liberté, le taux de re-condamnation était de 32%. Dans les cinq ans suivant leur libération, 59 % des détenus étaient de nouveau condamnés dont 46 % d'entre eux à de la prison ferme. Plus les condamnés restent enfermés, plus ils récidivent en sortant. En effet, les risques de re-condamnation des libérés n'ayant bénéficié d'aucun aménagement de peine (les « sorties sèches ») demeurent 1,6 fois plus élevés (63% contre 39%) que ceux ayant pu bénéficier d'une libération conditionnelle. Nous avons déjà vu que l’échec de la prison à éviter la récidive de ceux qu’elle accueille, n’était en fait même pas un échec en soi mais une fonction particulière de fabrication de la délinquance. Ce qui interroge plus particulièrement, c’est la persistance du discours qui fait de la prison la solution à la récidive. Eric Ciotti, député UMP, déclarait ainsi : « Le seul message efficace pour éviter la récidive, c’est la prison ferme »62. Le discours de légitimation sur le sens d’une peine soi-disant conçue pour permettre la réinsertion se heurte aux faits. C’est en effet le fonctionnement même de l’institution carcérale aujourd’hui qui est en décalage avec les objectifs fixés. La solution est-elle dans la réforme ? 61 Annie KENSEY, Abdelmalik BENAOUDA, Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques n°36, Direction de l’administration pénitentiaire, 2011. 62http://www.huffingtonpost.fr/2014/06/03/reforme-penale-prison-est-elle-efficace-contrerecidive_n_5429927.html 28 c) La réforme de la prison, un mirage ? Comme le dit Alain Abécassis, « dès sa naissance, la prison est un échec et suscite des critiques qui n’ont pas varié depuis plus d’un siècle et demi. Elle ne diminue pas la criminalité, encore moins la récidive. (...) Depuis sa création, les mêmes remèdes inspirent les réformes de la prison, destinées à mettre un terme à ses échecs périodiquement dénoncés »63. Installée dans la société comme peine emblématique, comme modèle indépassable, la prison est donc née avec des critiques qu’elle a su intégrer. L’urgence à réformer la prison est toujours mobilisée pour résoudre des problèmes qui, in fine, se reproduisent inexorablement64 65. Nous remarquons au passage, à l’instar de Pierre Lascoumes « le faible impact des alternances politiques sur le recours à l’emprisonnement et le fonctionnement des prisons »66. Les réformes pénitentiaires entreprises ne manquent pas, réactivant toujours un discours. Ainsi, depuis la loi du 17 juin 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire et l’injonction de soins, l’inflation législative en la matière est conséquente. Nous citerons les plus récentes à défaut d’être exhaustif : la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, celle du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, celle du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive… Pourtant les constats se répètent, et les solutions apportées se ressemblent. 63 Alain ABECASSIS, La prison depuis quand ?, Toujours les prisons, Esprit, n° 11, 1979. 64 Simone BUFFARD, Le froid pénitentiaire. L’impossible réforme des prisons, Paris, Seuil, 1973, p.184. 65 Christian CARLIER, La prison vue par les historiens, Panoramiques, 2000, n°45, p. 19. 66 Pierre LASCOUMES, Ruptures politiques et politiques pénitentiaires, analyse comparative des dynamiques de changement institutionnel, Déviance et Société, 2006, vol. 30, n° 3, p. 405 29 Aujourd’hui encore, en réponse à l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement, à l’allongement des longues peines, la solution généralement proposée et implémentée est celle de l’extension du parc pénitentiaire. Même le rapport de 2013 à l’Assemblée Nationale, après tant de constats déshonorants, estime que « la construction de nouveaux établissements pénitentiaires [est] rendue nécessaire par l’augmentation du nombre de personnes condamnées à des peines privatives de liberté et la dégradation progressive des conditions de détention ». Le Groupe de Créteil, constitué début 2012 autour de juges d’application des peines du TGI de Créteil, de syndicalistes et de juristes de l’Observatoire international des prisons (OIP), parle de « fuite en avant » en la matière67. Mais où se situe la solution ? Gilles Chantraine dénonce l’aporie à laquelle mènent deux démarches soi-disant critiques envers les prisons : la première, « carcéralo-centriste »68, qui mettrait l’accent sur l’amélioration du sort des détenus, et la seconde, abolitionniste pure et simple qui s’appuie sur les critiques que l’on a successivement exposées. La première approche vient à entériner un système carcéral dont il est pourtant utile de combattre les fondements même. Il faut ainsi se méfier de la recherche de réformes carcérales visant à « l'amélioration du sort des détenus » lorsqu'elles ne s'insèrent pas dans une théorie globale de l'enfermement carcéral. La seconde, de par son caractère extrême, ne permet pas de penser un droit de l’exécution des peines et de l’amélioration de cette exécution. En affirmant que toute réforme vient renforcer l'institution, « la Cause devient paradoxalement plus importante que la situation immédiate et concrète de ceux derrière les barreaux que la Cause prétend défendre »69. Yves Cartuyvels résume : « d'un côté, chercher à faire de la prison un espace de droit, c'est entériner l'existence d'un espace 67 Groupe de Créteil, Prévention de la récidive: Sortir de l’impasse, Pour une politique pénale efficace, innovante et respectueuse des droits, Créteil, 19 mai 2012. 68 Gilles CHANTRAINE, Prison et regard sociologique, Champ pénal n°1, 2004. 69 Ibid. 30 carcéral qui souffre d'un grave déficit de légitimité, accepter le maintien d'un système pénal qui repose sur une privation de liberté qu'on peut juger contraire aux droits de l'homme, accepter la violence d'une logique discriminatoire qui gère l'exclusion (…) de l'autre, refuser toute réforme de la prison, c'est s'empêcher de penser le développement d'un droit de l'exécution des peines, source de garanties, de protection et d'améliorations véritables pour les détenus confrontés, dans leur vie quotidienne, à l'arbitraire et au vide du monde carcéral »70. Nous semblons nous trouver devant une impasse. Conclusion du chapitre 1 La prison s’est imposée comme peine de référence à l’issue d’un processus d’éloignement d’avec les anciennes formes de pénalité. Elle a bâti sa légitimité sur un discours qui l’a paré de différentes vertus, mais nous avons déconstruit cette argumentation. Le « sens de la peine » affiché a été questionné. Pour autant, l’heure n’est pas à la fin du système carcéral. De récentes dispositions législatives s’appuient même sur des présupposés anciens au sujet de la peine privative de liberté. Elles s’accommodent de la situation désastreuse des prisons françaises. Les objectifs affichés du service public pénitentiaire sur le sens de la peine semblent donc sonner creux. Mais ce serait occulter l’émergence concomitante d’un autre paradigme sur le sens de la peine : celui des alternatives à l’incarcération, que nous nous proposons d’étudier maintenant. 70 Yves CARTUYVELS, Réformer ou supprimer : le dilemme des prisons, in Olivier de SCHUTTER, Dan KAMINSKI. (Eds.), L'institution du droit pénitentiaire, Paris, LGDJ, La pensée juridique, 2002, p. 130131. 31 CHAPITRE 2 : LA PROBATION, UN RENOUVELLEMENT DU SENS DE LA PEINE ? Face à la perte de sens de la peine de prison, le renouveau peut-il venir des alternatives à l’incarcération ? C’est tout le sujet de la probation et de son approche novatrice. Il s’agira donc de revenir sur l’émergence de cette notion et d’en définir les contours (I), avant d’exposer les bienfaits et les critiques dont elle fait l’objet (II). Un point sur la contrainte pénale, nouvelle mesure revendiquant le statut de peine de probation, clora le chapitre (III). I – PROBATION, ALTERNATIVES… LES CONTOURS DE LA DEFINITION La probation naît d’une démarche qui souhaite limiter le recours à l’emprisonnement (a). Sa définition n’est pas aisée (b), surtout en France où l’arsenal des peines qui s’y rattache est conséquent (c). a) Un nouveau sens de la peine : la prison en dernier recours Nous avons vu que l’école de la défense sociale possédait une attitude ambiguë à l’égard de la prison ; certes la rétention de sûreté s’appuie sur certaines de ses recommandations, héritées du positivisme, comme la dangerosité des individus à laquelle il faudrait répondre par l’enfermement. Mais chez son héritière, l’école de la défense sociale nouvelle, se trouve en filigrane la question de la réinsertion. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce courant théorique notamment incarné par Marc Ancel71, en 71 Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle, un mouvement de politique criminelle humaniste, Paris, Editions Cujas, 1954. 32 appelle à une étude personnalisée de chaque délinquant. C’est le principe d’individualisation des peines qui se dégage. Et au soutien de celui-ci, dans les années 1970, celui de la subsidiarité de l’emprisonnement émerge également : la resocialisation pourra se faire à l’extérieur des murs. C’est donc une toute nouvelle réflexion sur le sens de la peine qui s’opère, et la réhabilitation prend un nouveau tour après les visions des maisons de correction. La peine devient « un élément d’une pédagogie de la responsabilité, non pas morale mais sociale »72. En cela, elle dépasse également les simples fonctions rétributives ou neutralisatrices que revêtent la peine de prison, visant sur le long terme au retour dans la société de l’individu déviant. La loi du 11 juillet 1975 affirme : « lorsque l’auteur d’un délit encourt, soit de plein droit, soit par l’effet d’une condamnation obligatoire ou facultative, une sanction pénale autre que l’emprisonnement ou l’amende, cette sanction peut être prononcée à titre de peine principale »73. Le Code pénal de 1994, ensuite, va renforcer cette subsidiarité de l’emprisonnement. D’une part, il supprime les peines de prison minimales encourues. D’autre part, il oblige le juge à motiver spécialement toute peine d'emprisonnement supérieure à un an lorsque celle-ci est prononcée sans sursis. Il apparaît que la peine privative de liberté ne doit être prononcée qu’en dernier recours. Pour que ce paradigme du dernier recours ne fasse réellement son entrée dans notre législation, c’est l’influence européenne qui a été déterminante. En effet, pour limiter l’usage de la privation de liberté, le Conseil de l’Europe n’a cessé de promouvoir le recours aux « sanctions et mesures appliquées dans la communauté » (SMC). Le 19 octobre 1992, la première recommandation qui leur est 72 Christine LAZERGES, Introduction. L’individualisation de la peine, Criminologie et sciences de l'homme, Toulouse, ERES, 2001. 73 Article 43-1 de l’ancien Code pénal 33 entièrement consacrée a été adoptée par le Comité des ministres74. Selon le Conseil de l’Europe, les SMC sont des sanctions non carcérales, accompagnées d’une supervision, c’est-à-dire d’assistance, d’aide et de contrôle. Elles peuvent donc concerner aussi les modalités d’exécution d’une peine privative de liberté hors d’un établissement pénitentiaire. Le Conseil de l’Europe adopta une autre recommandation le 11 janvier 2006 sur les Règles pénitentiaires européennes. Recommandation qui énonce que « nul ne peut être privé de sa liberté, à moins que cette privation de liberté ne constitue une mesure de dernier recours [souligné par nous] et qu’elle soit en conformité avec des procédures définies par la loi »75. Si une recommandation du Conseil de l’Europe n’a pas de caractère contraignant pour les Etats membres, elle représente tout de même un engagement politique fort, une « promesse morale »76. C’est pourquoi on peut considérer que la législation française qui a suivi a été impactée par cette recommandation. En particulier, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ajoute un alinéa 3 à l’article 132-24 du Code pénal. Celui-ci étend le principe d’aménagement de peine en matière correctionnelle dès qu’il est prononcé une peine d’emprisonnement. Ainsi, s’affirme un peu plus le principe selon lequel la peine privative de liberté ne doit être prononcée qu’en dernier recours, lorsqu’il est démontré qu’aucune autre sanction n’est possible. 74 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(92)16 du Comité des Ministres aux Etats membres relatives aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, adopté par le comité des ministres le 19 octobre 1992, lors de la 482e réunion des Délégués des ministres. 75 Conseil de l’Europe. Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée par le Comité des Ministres le 11 janvier 2006, lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres) 76 Pierre-Victor TOURNIER, La politique pénale du Conseil de l'Europe. De la prison en première ligne à la prison comme alternative de dernier recours aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté, Archives de politique criminelle, 2013, vol. 1, n° 35, p. 91-104. 34 b) De quoi la probation est-elle le nom ? La culture de la probation est originellement plutôt anglo-saxonne77. Mais l’apparition de la liberté conditionnelle dès 1885 en France montre les prémisses d’une culture probatoire. Ainsi, bien avant que l’idée de « prison comme dernier recours » ne soit inscrite dans notre législation, il existait dans notre droit des peines alternatives ou probatoires. Mais le mot de probation n’est jamais évoqué en tant que tel dans notre droit : dès lors, un effort de clarification s’impose. La définition la plus largement admise de la probation vient encore du Conseil de l’Europe : elle est « l’exécution en milieu ouvert de sanctions et de mesures définies par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction ». Elle « consiste en toute une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but d’intégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective »78. Au sens strict, la probation devrait donc se concevoir sans la menace d’une sanction par l’incarcération en cas de non-respect des obligations, ces obligations étant la sanction même. Dans la pratique toutefois et particulièrement dans l’arsenal des peines français, la probation conserve toujours un lien avec l’incarcération. Nous pouvons donc parler de probation inachevée ou partielle. Ainsi, nous parlerons indifféremment de peines alternatives à la prison ou de probation au cours de notre propos. De plus, nous suivrons la typologie de Xavier de Larminat79. Nous souscrivons à sa définition de la probation comme « l’ensemble des mesures pénales n’impliquant pas d’enfermement mais induisant des formes de contrôle et d’accompagnement en milieu ouvert, sans isoler le justiciable du contexte lequel il évolue ». La définition exclut de manière évidente 77 Yves PERRIER, La Probation de 1885 à 2005. Sanctions et mesures dans la communauté, Paris, Dalloz, 2013. 78 Conseil de l’Europe. Recommandation CM/Rec(2010)1 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, adoptée par le Comité des Ministres le 20 janvier 2010, lors de la 1075e réunion des Délégués des Ministres. 79 Xavier de LARMINAT, Hors des murs. L’exécution des peines en milieu ouvert, Paris, PUF, coll. Partage du savoir, 2014, pp. 2-3. 35 l’incarcération, mais aussi les peines sans supervision (sursis simple, amendes). Précisons également que nous nous concentrerons sur les alternatives à la prison et non les alternatives aux poursuites même (antérieures à la saisine du tribunal) comme la médiation, le rappel à la loi. Cette définition présente l’avantage de retenir un panel large de mesures, qui sont toutes prises en charge par les services de probation en France. Au sein de cette définition extensive, se trouvent les mesures les plus proches de la probation au sens strict : le sursis avec mise à l’épreuve (SME), le travail d’intérêt général (TIG), la libération conditionnelle (LC), le suivi socio-judiciaire (SSJ). Mais peuvent aussi entrer dans notre champ d’étude les aménagements de peine sous écrou. Elles conservent un lien avec l’emprisonnement mais présentent aussi des conditions de la probation. Parmi eux, on retiendra le placement sous surveillance électronique, la semi-liberté, et le placement extérieur. On voit donc que les mesures de probation sont disséminées dans le processus répressif, parfois appliquées dès le prononcé de la peine, parfois n’étant que des modalités de l’exécution de celle-ci. Le code pénal ne parle jamais de probation au sens strict. Il faut donc saisir au cas par cas ce qui s’y apparente dans l’arsenal des peines français. c) Mesures en milieu ouvert et aménagements de peine 1) SME, TIG, LC, SSJ : les mesures les plus proches de la probation En France, le milieu ouvert représente, pour reprendre une métaphore d’un directeur d’un service de probation interrogé par Philippe Garreau, « la partie immergée de l’iceberg pénitentiaire dont seul émergerait la forteresse carcérale »80. En effet au 1er janvier 2015, l’administration pénitentiaire dénombrait 172 007 personnes suivies en milieu ouvert contre 77 291 en milieu fermé (incarcérés + aménagements de peine). Nous allons explorer les quatre mesures majeures exécutées en milieu ouvert (libération conditionnelle, travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve, suivi 80 Philippe GARREAU, Le SPIP et les différentes procédures d’aménagement de peine : entre commandesquantité et recherche-qualité, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2007, n°1, p. 139-144. 36 socio-judiciaire), en en délaissant deux autres par souci de clarté. En effet ces dernières sont relativement marginales, qu’elles concernent les individus faisant l’objet d’interdiction de séjour (0,4%), ou ceux concernés par les ajournements avec mise à l’épreuve (0,1%) Commençons par la mesure la plus ancienne, à savoir la libération conditionnelle. Au 1er janvier 2015, 6 272 en font l’objet soit 3,3% du milieu ouvert. Elle fut introduite dans notre droit pénal par la loi Bérenger du 14 août 1885. Décision administrative au départ, elle fut remise dans les mains du juge d’application des peines au terme d’un débat contradictoire, par la loi du 15 juin 2000. La loi du 9 mars 2004 dite Perben II parachève son régime juridique : après avoir purgé au moins la moitié d’une peine ferme (les deux tiers pour les récidivistes), une liberté anticipée peut être accordée en contrepartie d’un accompagnement social et du contrôle d’obligations pénales. La loi pénitentiaire a permis de prononcer, en plus de la liberté conditionnelle, un régime de semi-liberté ou un placement sous surveillance électronique. Evoquons ensuite la mesure la plus connue, le travail d’intérêt général (TIG). Au 1er janvier 2015, 38 529 personnes étaient soumises à un TIG (20,4% du milieu ouvert). Il est créé par la loi du 10 juin 1983. Un individu doit effectuer un travail non rémunéré au profit d’une collectivité, d’un établissement public ou d’une association. La peine peut être prononcée comme peine complémentaire pour les contraventions, comme peine principale lorsqu'une peine d'emprisonnement est encourue, ou comme mise à l'épreuve dans le cadre d'une peine d'emprisonnement avec sursis (on parle de sursis-TIG). La personne condamnée qui se dérobe à ses obligations ou dont le travail est insatisfaisant s'expose à des sanctions. Le tribunal correctionnel peut condamner l'auteur pour nonexécution du TIG, ou révoquer le sursis si la peine en était assortie. Troisièmement, la plus fréquente, le sursis avec mise à l’épreuve (SME). Au 1er janvier 2015, 136 871 personnes étaient sous le régime du SME, soit 72,6% du milieu ouvert. C’est la peine, parmi toute notre typologie, qui se rapproche le plus de la définition stricte de la probation. Instituée en 195881, elle est fortement inspirée des systèmes anglo- 81 Ordonnance n°58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le Code de procédure pénale 37 saxons. Pour lutter contre les effets désocialisants d’une courte peine d’emprisonnement, le SME dispense le condamné d'exécuter tout ou partie de la peine prononcée tout en le soumettant à certaines obligations. Il concerne les personnes physiques condamnées à une incarcération d'une durée de 5 ans au plus, en raison d'un crime ou d'un délit. Le régime juridique du SME est plus fourni que celui du sursis simple : en permettant d’une part un contrôle et un suivi pendant une durée déterminée (délai d’épreuve) et en occasionnant d’autre part une sanction pour manquement aux obligations (sans attendre une autre infraction). Dans ce dernier cas, le sursis est alors révoqué, ce qui entraîne la mise à exécution totale ou partielle de l’emprisonnement. Les obligations générales du condamné sont énumérées à l’article 132-44 du code pénal, en tant que « mesures de contrôle » (répondre aux convocations du JAP ou du conseiller d’insertion et de probation, prévenir de son changement d’adresse…) tandis que d’autres obligations particulières listées à l’article 132-45 peuvent être fixées au cas par cas (ex : établir sa résidence dans un lieu déterminé, ne pas se livrer à certaines activités professionnelles, ne pas fréquenter les débits de boissons…) Enfin, le condamné peut bénéficier de mesures d’aide « destinées à favoriser son reclassement social »82. Le suivi socio-judiciaire (SSJ) a été instauré par la loi n°98-468 du 17 juin 1998. Au 1er janvier 2015, il concerne 6 012 individus (3,2% des suivis en milieu ouvert). Il est destiné à lutter contre la récidive en cas d’infraction sexuelle. L’article 131-36-1 du code pénal prévoit que le SSJ «emporte, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive. La durée du SSJ ne peut excéder dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour crime. ». La décision de condamnation fixe également la durée maximum de l'emprisonnement encouru par le condamné en cas d'inobservation des obligations qui lui sont imposées. L’article 131-36-4 précise que « le suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins ». Le SSJ est souvent considéré comme la mesure de milieu ouvert « la plus sévère ». 82 Article 132-46 du Code pénal 38 2) Les aménagements de peine sous écrou Ces aménagements permettent, si le juge en décide, à des personnes condamnées à des peines allant jusqu’à deux ans de prison ferme (un an pour les récidivistes) de purger tout ou partie de la sanction à l’extérieur, avec des obligations qui lui sont attachées. Cela s’inscrit dans le principe de subsidiarité de l’emprisonnement évoqué supra, puisque l’introduction de mesures d’aménagement a vocation à limiter l’incarcération définitive du condamné pour favoriser l’insertion sociale. Il peut paraître paradoxal de parler d’alternatives à l’incarcération voire de probation lorsque l’on ne fait que modifier les modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement. Néanmoins, comme l’explique Xavier de Larminat, les conditions de ces aménagements s’apparentent à celle de la probation, ce qui justifie notre choix expliqué en amont de les inclure dans le champ de la probation française83. Lorsque le condamné présente des garanties suffisantes en termes de réinsertion et de prévention de la récidive, le juge d’application des peines peut donc décider que la peine d’emprisonnement s’effectuera sous l’un des régimes suivants : la semi-liberté, le placement extérieur (tous deux consacrés dans la loi du 19 juillet 1970), le placement sous surveillance électronique (PSE, implémenté en 1997). Au 1er janvier 2015, parmi les 77 291 personnes sous écrou, 12 689 font l’objet d’aménagements de peine. Les « aménagés » représentent ainsi 20,9% de l’ensemble des condamnés écroués. Parmi eux, 7,6% sont en placement extérieur, 13,3% en semi-liberté, 79,1% en PSE. La semi-liberté permet à une personne condamnée de bénéficier d’un régime particulier de détention l’autorisant à quitter l’établissement pénitentiaire afin d’exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement, de rechercher un emploi, de participer de manière essentielle à sa vie de famille, de suivre un traitement médical, de s’investir dans tout autre projet d’insertion ou de réinsertion. Chaque jour, l’activité terminée, la personne est incarcérée dans un centre de semi-liberté ou dans un quartier spécifique de l’établissement pénitentiaire où elle est écrouée. Elle doit obligatoirement suivre les conditions fixées par le juge de l’application des peines en fonction de sa situation : horaires des activités, indemnisation des victimes, interdiction de fréquenter 83 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 3. 39 des personnes, etc. La mesure peut être octroyée avant le début ou au cours de l’incarcération. Le placement à l’extérieur fonctionne selon le même principe, à l’exception près que la personne placée doit se rendre, selon la décision du juge de l’application des peines, soit dans les locaux d’une association qui l’héberge et l’accompagne, soit au domicile d’un proche ou à l’établissement pénitentiaire. La plupart des personnes placées sont d’ailleurs hébergées en dehors des établissements pénitentiaires, par des associations ou bien par location d’appartement. Environ 40 % d’entre elles regagnent la prison chaque soir84. Là encore, la personne doit obligatoirement respecter toutes les conditions fixées par le juge de l’application des peines en fonction de sa situation : horaires et suivi des activités, indemnisation des victimes, interdiction de fréquenter des personnes etc., sous peine de retour en détention. Au sujet de la plus récente, le placement sous surveillance électronique (PSE) : créé en 1997, il n’a commencé à prendre son essor réellement qu’à partir de 2007. Le condamné est astreint à son domicile pendant certaines heures fixées par le juge. Il dispose de plages de liberté qu’il doit consacrer à une activité professionnelle, des soins, un enseignement… Le condamné porte un bracelet qui le relie à un système de surveillance géré par l’administration pénitentiaire. Ce bracelet émet des ondes vers un boîtier, et si la personne sort de chez elle pendant les heures contraintes, une alarme se déclenche à distance au centre de surveillance, le boîtier ne recevant plus les ondes du bracelet. Le surveillant, après vérification, doit en avertir le magistrat85. Après avoir dressé ces typologies, il paraît fondamental d’orienter le débat sur le sens de ces peines alternatives. 84 Serge PORTELLI, Les alternatives à la prison, Pouvoirs, 2010, vol. 4, n° 135, p. 25. 85 Ibid., p. 23. 40 II – LA PROBATION : EXTENSION DU CONTROLE OU RENOUVEAU SALUTAIRE ? L’idée de probation est critiquée de par sa nature même (a) ou pour sa mise en œuvre chaotique en France (b). Pourtant, elle est porteuse de bienfaits et opère un renouvellement de la réflexion sur le sens de la peine (c). a) Sens des peines alternatives : un remède pire que le mal ? Michel Foucault a été le premier à systématiser une critique des alternatives à l’enfermement, relayé ensuite par plusieurs auteurs s’en réclamant. Pour le philosophe, ces alternatives n’auraient pour ainsi dire qu’une différence de degré avec l’emprisonnement lui-même, et non une différence de nature. Il résume son scepticisme par ces mots : « Alternative à la prison; quand on me parle de ça, j'ai immédiatement une réaction enfantine. Je me fais l'impression d'un enfant de 7 ans à qui l'on dit: ‘Écoute, puisque de toute façon tu vas être puni, qu'est-ce que tu préfères, le fouet ou être privé de dessert ?’ »86 L’alternative à la prison, pour Foucault, demeure en effet une punition, et ne pose pas la question de la légitimité de la punition elle-même. Elle ne remet pas à plat la question du sens de la peine. Il prend ainsi en exemple des expériences contemporaines à son analyse, en Suède, en Allemagne, en Belgique. Il explique que les nouvelles approches de la pénalité ne serviraient en fait qu’à décharger la prison de ses fonctions traditionnelles, pour les transposer ailleurs. Le travail comme rétribution sociale du crime, pierre angulaire de la pénalité depuis le XIXe siècle, est toujours sanctifié dans le TIG même s’il ne s’agit pas du même type de travail. L’idée de réinsertion par les alternatives ferait d’ailleurs écho à l’amendement, cher aux pénalistes du XIXe siècle. Leur 86 Michel FOUCAULT, 1993, op. cit., p. 13. 41 conception était que l’individu devait être capable d’accepter sa propre punition. Ainsi, on libère les fonctions carcérales traditionnelles hors des murs des prisons elles-mêmes. Foucault précise aussi que ces alternatives ne seraient de toute manière qu’une façon de retarder l’arrivée inéluctable en prison. L’argument suivant, lié à celui précédemment évoqué sur la rémanence des vieilles fonctions carcérales, est que les alternatives à l’incarcération représenteraient une extension du contrôle, de la surveillance. Un individu en probation est « surveillé dans la plénitude ou dans la continuité de sa vie quotidienne »87 : au sein de sa famille, de son métier, etc. Foucault parle d’extension d’un « tissu cancéreux ». Les fonctions de contrôle se re-déploient : nous serions donc en présence de formes non pas alternatives mais itératives. De plus, le sujet des alternatives n’aurait pas émergé par une quelconque philanthropie. Le processus se répète alors pour Foucault : une peine vue comme porteuse de progrès n’est finalement pas si humaniste qu’elle pourrait le laisser penser. Elle n’a acquis sa légitimité que parce que la prison a commencé à perdre ses avantages. Notamment parce qu’elle n’a plus besoin de fabriquer des illégalismes et des délinquants comme cela avait été la fonction traditionnelle, mais uniquement de les contrôler, et ce par le savoir, la psychologie, la criminologie. La critique foucaldienne a connu une fécondité remarquable dans les travaux concernant les alternatives à la prison, dans le sillage des concepts de société punitive88, d’Etat de contrôle89. Ainsi, l’émergence de ce nouveau type de peines manifesterait l’élargissement du filet pénal (net-widening) et le rétrécissement des mailles de ce filet90. 87 Michel FOUCAULT, 1993, op. cit., p. 20. 88 David GARLAND, The Culture of Control: Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford, Oxford University Press, 2001. 89 Gilles DELEUZE, Pourparlers, Paris, éditions de Minuit, 1990. 90 James AUSTIN, Barry KRISBERG, Wider, Stronger and Different Nets : the Dialetics of Justice Reform, Journal of Research on Crime and Delinquency, 1981, vol. 18, p. 165-196. 42 La moitié tout au plus des alternatives serait vraiment appliquée en remplacement d’une privation de liberté. L’autre moitié se substituant à des sanctions moins intrusives voire même à la liberté91 : la probation remplace le sursis simple, le bracelet électronique s’ajoute à la probation ou au TIG, etc. De plus, ce type de peines occasionnerait in fine une augmentation de la population carcérale – les juges haussant la peine d’emprisonnement en cas de sursis afin de maintenir le caractère dissuasif de la peine – et l’allongement des longues peines pour les personnes non concernées par les alternatives. Enfin, les « populations cibles » (minorités ethniques par exemple) ne bénéficieraient pas de ces peines alternatives, souvent en raison d’un pronostic négatif à leur égard concernant leur condition socio-économique. Nous pouvons toutefois nous étonner ici de l’argumentation de Kaminski qui, d’une part, critique le recours même à ces peines, et d’autre part, déplore le fait que certaines populations n’en bénéficient pas. La pénalité demeure une « économie concertée des infractions ». Puisque « les changements observables dans l’économie punitive sont à analyser en relation avec des intérêts économiques et professionnels »92, il paraît donc important de mentionner un dernier point. Une critique fait des peines alternatives un déploiement de l’idéologie néolibérale. A grands traits, celle-ci défend l’extension de la rationalité économique à l’ensemble du champ social, la valorisation de la responsabilité individuelle, la privatisation des responsabilités économiques et sociales qui incombaient auparavant à l’Etat. Pour Pierrette Poncela, le sens réel des peines de milieu ouvert est de normaliser les comportements à moindre coût, après que l’on a déjà essayé de réduire le coût des prisons par des délégations de service public ou des contrats de partenariat par exemple. 91 Dan KAMINSKI et al.., Mutations dans le champ des peines et de leur exécution, Déviance et Société, 2007, n° 4, vol. 31, p. 491. 92 Pierrette PONCELA, Dehors... La prison dans la tête. Quelques réflexions à propos des peines de milieu ouvert, Archives de politique criminelle, 2013, vol. 1, n°35, p. 11. 43 Puisque la prison a échoué à prendre en charge les détenus, les néolibéraux estiment que c’est aux détenus de « se responsabiliser » face à cet échec. Le milieu ouvert trouve sa légitimité en ce qu’il promeut des techniques d’autorégulation, par l’apprentissage de normes de comportement socialement acceptables. Ainsi les contrôles et les obligations se multiplient, transférant la responsabilité sur l’individu. Il devra être « performant » dans l’exécution de sa peine. Dans le même temps, l’Etat se désengage sur les causes économiques et sociales de la peine, au profit des acteurs privés dans l’exécution de celle-ci, en particulier ceux du secteur marchand. En effet, les technologies de surveillance notamment électroniques ont « ouvert un marché concurrentiel aux fournisseurs de matériel intéressés par leur développement et n’hésitant pas à recourir à tous les procédés habituels de marketing »93 94. Le tracking, la géolocalisation, sont déjà utilisés par des agences privées de sécurité. On en revient à une société du contrôle, le traçage étant « une arme de pénétration massive des êtres, de leurs actions, de leurs intentions »95. Par cette surveillance, c’est aussi une évaluation statistique qui se met en place, pour évaluer un risque mathématique de récidive, où les données collectées vont impacter les décisions prises en matière pénale. Ainsi la rationalité néolibérale de gestion des populations fondée sur le classement standardisé des individus et l’évaluation quantifiable est à l’œuvre. Nous serions donc loin ici du sens originel de la probation. Si la critique de l’influence néolibérale retient notre attention (notamment au chapitre 3), elle ne doit pas nous empêcher « d’interroger le contenu qualitatif même de ces peines alternatives »96 et leur mise en place. Sans cela en effet, il paraît difficile de vérifier si les peines alternatives représentent un durcissement de la pénalité. Cela suppose de comparer des époques et des contextes législatifs différents. 93 Jean-Charles FROMENT, Martine KALUSZYNSKI, Justice et technologies, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2006. 94 Dan KAMINSKI, La surveillance électronique des justiciables : légitimité publique et livraison privée ?, Archives de politique criminelle, 2013, n° 35, vol. 1, p. 105-132. 95 Pierrette PONCELA, 2013, op. cit., p. 22. 96 Gilles CHANTRAINE, Axel KUHN, Philippe MARY, Marion VACHERET, L’Etat en retrait ? Trente ans d’usage de la peine (Belgique, Canada, France, Suisse), Déviance et Société, 2007, vol. 31, n°4, p. 517. 44 b) Quelle mise en œuvre effective de la probation en France : un manque de lisibilité du sens de la peine ? Une autre attitude critique existe donc à l’égard des peines alternatives. Elle se situe moins sur un terrain philosophique qu’empirique, en interrogeant les modalités de leur mise en œuvre. La diversification des peines et de leurs modalités d’exécution est souvent pointée du doigt en ce qu’elle occasionnerait un manque de lisibilité de la politique pénale, tant pour les professionnels que pour les justiciables. Le sens de la peine en pâtit pour les justiciables. La prévisibilité de la peine a pourtant été consacrée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 18 janvier 1985. Le législateur a adopté, en dix ans, 33 lois de procédure pénale et 67 lois de droit pénal de fond. Les objectifs que l’on assigne à la peine sont parfois contradictoires et conduisent à une incohérence de cette politique, dénoncée par des instances indépendantes97. On cherche à concilier les contraires en matière de sens de la peine, la fonction d’expiation cohabitant avec celle de resocialisation. D’une part, face à la place grandissante des thèmes de l’insécurité, de la criminalité, des législations entretiennent un système répressif. Le recours à l’emprisonnement n’est donc pas terminé : en 2011, 290 000 peines d’emprisonnement ont été prononcées, représentant 48% de l’ensemble des condamnations.98 D’autre part les alternatives sont invoquées comme solution louable – la loi du 9 mars 2004 portant 97 « Les variations des textes et des discours ne permettent pas de dégager une politique pénale stable et lisible, en premier lieu pour les magistrats, auxquels il est fait grief, un jour d’utiliser la détention de façon abusive, et le lendemain d’incarcérer trop peu. » CNCDH, Sarah DINDO, Sanctionner dans le respect des droits de l’homme. Vol. II : Les Alternatives à la détention, Paris, La Documentation Française, 2007. 98 Ministère de la justice, Etude d’impact du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, NOR: JUSX1322682L, 7 octobre 2013. 45 adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité avait consacré tout un chapitre aux peines alternatives et aux aménagements de peine. En particulier, le principe d’individualisation des peines voit son application restreinte puisqu’il ne semble pas question de l’accorder aux récidivistes : la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 expliquait que les aménagements de peine ne valaient « qu’en dehors des condamnations en récidive légale ». C’est particulièrement patent concernant le recours au sursis avec mise à l’épreuve qui a été considérablement restreint aux récidivistes par la loi du 12 décembre 2005. Pourtant, les récidivistes devraient précisément être l’objet de cette individualisation, y compris pour appliquer s’il le faut, « davantage de sévérité »99. Serge Portelli pointe deux autres incohérences attachées aux peines alternatives : tout d’abord le manque de moyens qui leur sont attachés (manque de postes de travail en matière de TIG, manques d’effectifs pour l’application des SME dont un millier de dossiers étaient en attente en 2010 à Paris100), et enfin le comportement des juges correctionnels qui rechignent à appliquer les aménagements de peine et laissent ce travail au juge d’application des peines (JAP) et au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Cela conduit à engorger ces deux services et à retarder l’individualisation, à repousser l’humanisation « en dehors du regard du public » qui ne la comprend pas nécessairement. Comme si les professionnels hésitaient à utiliser la probation parce que dans l’opinion, elle ne serait pas conçue comme une réelle sanction. Selon le philosophe Frédéric Gros, le premier sens de cette peine est le « rappel à la loi »101 : la punition répond, par principe, à la transgression d’un interdit. C’est, nous l’avons vu, la conception kantienne qui refuse d’accorder à la peine une quelconque utilité ou rationalité : la punition n’est pas destinée à dissuader ou amender le criminel. Elle est 99 Serge PORTELLI, 2010, op. cit., p. 27. 100 Ibid., p. 22. 101 Antoine GARAPON, Frédéric GROS, Thierry PECH, Et ce sera Justice. Punir en démocratie, Paris, Odile Jacob, 2001. 46 simplement un « devoir moral absolu et catégorique » destiné à réaffirmer la « majesté de la Loi outragée ». C’est pourquoi le recours aux alternatives est parfois taxé d’attitude laxiste, de cadeau fait aux délinquants. La probation est pourtant « une peine à part entière. » Pour beaucoup de délinquants, les contraintes lourdes qu’imposent les alternatives seront plus difficiles à supporter que la prison.102 Ainsi du PSE : « Le PSE n’est pas une peine anodine, loin de là. La contrainte […] est extrêmement forte. On parle à son sujet de « prison à domicile » et il ne s’agit pas d’une image. La personne absorbe en quelque sorte la prison, elle l’intègre à son quotidien. »103 Face au scepticisme entourant le caractère punitif de la probation, les peines en milieu ouvert ont donc parfois renoué avec des fonctions punitives qu’elles sont censées pourtant délaisser. Le SSJ prévoit une injonction de soins pour les individus jugés dangereux en raison d’infractions commises auparavant. Il sollicite donc des conceptions thérapeutiques et psychiatriques, comme des remèdes à appliquer aux délinquants pour les neutraliser. Ce dispositif rappelle la fonction de neutralisation des individus dangereux attachée à la peine. Il peut donc être vu comme un dévoiement de la logique probatoire. L’exemple du SME est aussi patent pour montrer des incohérences entre les divers objectifs assignés à une peine. Certes, l’individu au SME doit se soumettre à des « mesures de contrôle » (répondre aux convocations du JAP ou SPIP, prévenir de son changement d’adresse…). Toutefois pour Sarah Dindo, présidente de la section française de l’OIP, le SME n’est pas une véritable peine de probation. Pour cela il faudrait pouvoir le définir par son seul contenu, « c’est à dire, un accompagnement personnalisé en réponse aux problématiques liées à la commission de l’infraction (addiction, rapport à l’autorité, difficultés familiales, isolement…) plutôt que de l’envisager comme une simple 102 Conférence de consensus, Rapport du jury de consensus remis au premier ministre, « Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive, Principes d’action et méthodes », Paris, 20 septembre 2013. 103 Serge PORTELLI, 2010, op. cit., p. 24. 47 suspension de l’exécution d’une peine à condition de respecter un certain nombre d’obligations pendant un temps d’épreuve »104. Ainsi, des obligations probatoires se diluent dans de nombreuses peines aménagées ou alternatives à l’emprisonnement. c) Défense de la probation : bienfaits de la peine et renouveau de la réflexion Malgré ces critiques, la probation a le vent en poupe. En effet aujourd’hui, les mesures alternatives à la détention, soit totales soit partielles, émergent comme références positives et souhaitables en matière de sanction car jugées plus efficaces. Ainsi les institutions européennes s’y déclarent régulièrement favorables, car elles présenteraient une utilité, « aussi bien pour le délinquant que pour la communauté, puisque le délinquant est à même de continuer à exercer ses choix »105. De même dans la sphère nationale, citons à titre d’exemple une circulaire du ministre de la Justice du 27 avril 2006 qui incitait les magistrats à recourir davantage aux mesures alternatives 106. Ces injonctions ne sont pas adressées sans justification. Ces mesures alternatives auraient en effet prouvé leur efficacité. A l’appui de ce constat, aux côtés des statistiques de récidive suite à l’incarcération évoquées supra, nous pouvons opposer celles qui interviennent après des mesures alternatives. En effet, selon des chiffres de l’administration pénitentiaire, comparé à la prison, le SME divise par deux le risque d’une nouvelle condamnation à la prison dans les cinq ans. Alors que 61% des sortants de prison sont à nouveau condamnés à l’emprisonnement ferme pour un délit dans les cinq ans, ce taux chute à 32% pour les 104 Sarah DINDO, Sursis avec mise à l’épreuve: la peine méconnue. Une analyse des pratiques de la probation en France, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2011. 105 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(92)16 du Comité des Ministres aux Etats membres relatives aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, adopté par le comité des ministres le 19 octobre 1992, lors de la 482e réunion des Délégués des ministres. 106 Circulaire de la Chambre criminelle de Cour de cassation 06-09 / E3-27. 48 personnes condamnées à un SME.107 De même, une étude néerlandaise constate que le taux de recondamnation est toujours supérieur lorsqu'une personne est incarcérée : 25% un an après une peine de travail d’intérêt général contre 65% un an après une peine de prison.108 Une autre étude a été menée en Suisse, qui concluait à l’influence positive du travail dans la communauté sur le taux de récidive, contrairement à l’emprisonnement109. Le TIG permet ainsi de rapprocher la société et le condamné110. La probation et l’individualisation de la peine ont donc fait l’objet d’évaluations approfondies, notamment de la part du Conseil de l’Europe, qui attestent de son efficacité en matière de réinsertion. Loin d’être des sanctions édulcorées, les peines alternatives conservent une part punitive. Mais leur but premier demeure la réactivation d’une fonction de resocialisation en exécutant les mesures hors des prisons et en permettant à l’individu de bâtir un projet. Précisons enfin que cet engouement pour des mesures alternatives s’inscrit aussi dans une réflexion plus globale sur la notion de restorative justice, développée depuis les années 1980 dans les pays anglo-saxons. La probation participe ainsi d’un renouveau dans la réflexion sur le sens de la peine. En effet, nous ne sommes pas accoutumés à cette conception au point que nous ne parvenons pas à trouver réellement de terme unique dans notre langue : justice réparatrice, restaurative, restauratrice ? Celle-ci se définit en tout cas comme un « processus dans lequel la victime, le délinquant et, lorsqu'il y a lieu, toute autre personne ou tout autre membre de la communauté subissant les conséquences d'une infraction, participent ensemble activement à la résolution des problèmes découlant de cette infraction, généralement avec l'aide d'un facilitateur. »111 Certes, la justice réparatrice ne poursuit pas les mêmes objectifs que la justice pénale, objet de notre 107 Ministère de la Justice. Prévention de la récidive et individualisation de la peine : chiffres clés. 2014. 108 Ibid. 109 Martin KILLIAS, Marcelo AEBI, Denis RIBEAUD, Does community service rehabilitate better than short-term imprisonment ? Results of a controlled experiment, The Howard Journal, 2000, n° 39, p. 40– 57. 110 Serge PORTELLI, 2010, op. cit., p. 21. 111 Conseil Economique et Social des Nations Unies, Commission pour la prévention du crime et la justice pénale, avril 2002. 49 réflexion. La justice pénale vise la sanction de l'acte, alors que la visée de la justice réparatrice est d'accompagner la restauration la plus complète possible de tous ceux qui ont été touchés par cet acte. Pour cela, s’opère une réflexion plus large sur les modalités de cette restauration, la place des victimes dans ce processus. L’horizon « utopique » serait même la réconciliation entre le condamné et les victimes. La peine de probation ne va pas jusque-là mais elle est, elle aussi, attentive à la réparation des liens sociaux. L’émergence de ce thème est donc liée à la fécondité actuelle de la notion de probation. Preuve en est qu’au moment de la conférence de consensus de 2013 sur la prévention de la récidive animée par le ministère de la justice, la justice réparatrice figurait parmi les thèmes abordés : « Cette justice vise à assurer la resocialisation de l’auteur de l’infraction et, in fine, le rétablissement de la paix sociale. Elle entend de ce fait redistribuer les rôles entre l’Etat responsable du maintien de l’ordre et la communauté civile. ». Le travail d’intérêt général fait d’ailleurs partie des mesures de justice réparatrice citées, s’inscrivant dans les « travaux dans la communauté ». De même, la pratique des services de probation s’oriente vers la constitution de groupes de parole en faisant intervenir parfois des associations de victimes. L’évocation de la conférence de consensus nous amène à nous intéresser au projet de loi relatif à la lutte contre la récidive et à l’individualisation des peines, présenté par la Garde des Sceaux en conseil des ministres le 9 octobre 2013112. En effet, les réflexions autour de la notion de probation dont nous venons de voir le foisonnement se sont concrétisées dans ce projet. De fait, il prévoyait la mise en place d’une nouvelle mesure de probation, la contrainte pénale. Quels en sont les modalités, les présupposés ? Que dit la contrainte pénale sur notre conception du sens de la peine ? 112 Projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, présenté au nom de M. Jean-Marc AYRAULT, Premier ministre, par Mme Christiane TAUBIRA, garde des sceaux, ministre de la justice, en conseil des ministres le 9 octobre 2013. 50 III – LA CONTRAINTE PENALE, CONSECRATION TOTALE DE LA PROBATION EN FRANCE ? Fruit d’un processus législatif original (a), la contrainte pénale apporte des éléments nouveaux à la logique probatoire française, invitant à repenser le sens de la peine (b). Mais elle laisse aussi un goût d’inachevé, questionnant ainsi la possibilité réelle de mise en œuvre (c). a) Le processus législatif Le contexte européen a grandement favorisé un débat plus poussé sur la probation en France. La recommandation adoptée par le Conseil de l’Europe le 20 janvier 2010 a ainsi eu une influence majeure sur le projet de loi113, comme celles de 1992114, 1997115 ou 2000116 qui l’ont précédée et promouvaient toutes les « sanctions appliquées dans la communauté ». L’émulation a aussi été nationale. Pierre-Victor Tournier, qui a participé aux travaux à ce sujet au Conseil de l’Europe, se prononçait dès 2007 pour la création d’une 113 Pierre-Victor TOURNIER, Les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation : à propos de la recommandation adoptée le 20 janvier 2010, AJ Pénal, 2013, p. 126. 114 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(92)16 du Comité des Ministres aux Etats membres relatives aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, adopté par le comité des ministres le 19 octobre 1992, lors de la 482e réunion des Délégués des ministres. 115 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(97)12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le personnel chargé de l’application des sanctions et des mesures, adopté par le comité des ministres le 10 septembre 1997, lors de la 600e réunion des Délégués des ministres. 116 Conseil de l’Europe. Recommandation n° R(2000)22 du Comité des Ministres aux Etats concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté », adopté par le comité des ministres le 29 novembre 2000, lors de la 731e réunion des Délégués des ministres 51 « contrainte pénale communautaire » (CPC), en substitut au sursis simple, au SME et au sursis-TIG. L’idée serait de disposer enfin d’une peine de probation à part entière, c’està-dire « sans référence à un quantum d’emprisonnement ferme, épée de Damoclès, qui pourrait en définitive être appliqué en cas de nouvelle infraction ou de non-respect des conditions de mise à l’épreuve, mais par un temps de probation entièrement vécu dans la communauté »117. En cas de non-respect de la probation, le condamné serait de nouveau jugé, sans préjudice de la nature de la nouvelle sanction, qui pourrait être ou non la prison. A tel point que la prison deviendrait en quelque sorte la peine alternative à la CPC. Cette revendication d’une peine de probation autonome se retrouvera, à nouveau, au sein des travaux du « groupe de Créteil ». Le foisonnement de recherches à ce sujet va influer sur les politiques publiques : dès août 2012, Christiane Taubira évoque dans Le Monde les termes de contrainte pénale118, avant que le rapport de Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe sur la surpopulation carcérale en janvier 2013 ne l’appelle de ses vœux également119. Les ingrédients étaient réunis pour la mise en place d’un processus législatif. Une Conférence de consensus sur la prévention de la récidive a été mise en place à l’initiative de la Garde des Sceaux le 18 septembre 2012. L’objectif était de susciter une réflexion de fond en interrogeant les professionnels, en mobilisant les connaissances scientifiques et les expériences étrangères. Le comité d'organisation de la Conférence de consensus, composé de 25 personnes, chercheurs et universitaires français et étrangers, élus locaux, représentants d'associations et professionnels judiciaires et pénitentiaires, a planché pendant cinq mois, procédé à des auditions, reçu des contributions. Les 14 et 15 février 2013 s'est tenue la Conférence à proprement parler. Un rapport comprenant douze 117 Pierre-Victor TOURNIER, La contrainte pénale communautaire. Créer une sanction non carcérale qui ne sera pas un sursis à exécution d’une sanction carcérale, AJ Pénal, 2013, p. 127. 118 Le Monde, La révolution Taubira contre la récidive, 20 août 2012. 119 Dominique RAIMBOURG, Sébastien HUYGHE, 2013, op. cit., proposition 36. 52 recommandations a été remis à la Ministre. Cinq principes d’action sont dégagés par le jury : punir dans une société démocratique, repenser le concept de récidive légale, construire un temps de prison utile, refonder l’application des peines, mieux coordonner la recherche120. L’efficacité de la peine de prison est contestée dans l’optique de prévention de la récidive, et le recours à la probation à part entière est fortement encouragé, en fusionnant les différentes peines exécutées en milieu ouvert. Le rapport appelle aussi à fournir plus de moyens aux structures amenées à appliquer ces mesures, et à développer la recherche en la matière. b) Une approche innovante ? Le projet apparaît, à plusieurs égards, novateur. Pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), il fait preuve d’une certaine audace dans l’approche de la sanction121 : des principes tels que l’individualisation des peines, la réinsertion, feraient leur apparition en tant que tels dans le Code pénal. Ce serait une nouvelle façon d’assumer le sens de la peine de probation. Les articles 8 et 9, surtout, retiennent l’attention en créant la « contrainte pénale ». Quelles sont ses modalités d’application ? Le nouvel article 131-4-1 du Code pénal prévoit que la juridiction peut prononcer une peine de contrainte pénale, « lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socioéducatif individualisé et soutenu. ». « La contrainte pénale emporte pour le condamné l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des 120 Conférence de consensus, Rapport du jury de consensus remis au premier ministre, « Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive, Principes d’action et méthodes », Paris, 20 septembre 2013. 121 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, Assemblée plénière, 27 mars 2014. 53 mesures de contrôle et d'assistance ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société. » Les mesures de contrôle évoquées sont celles du SME (article 132-44) tandis que d’autres obligations et interdictions particulières peuvent être mobilisées : celles prévues par le régime du SME, l’obligation d’effectuer un TIG, l’injonction de soins en cas de suivi socio-judiciaire. Enfin, le condamné peut faire l’objet de mesures d’aide à caractère social. La nature probationnaire de la contrainte pénale transparaît alors : contrôle, obligations et suivi. On voit avec la suite de l’article que la contrainte pénale opère même une inversion de la logique probatoire française, qui était foncièrement incomplète. En effet, pour le prononcé d’un SME, la juridiction de jugement fixait elle-même les obligations probatoires. Ici, elle se contente de prononcer la contrainte pénale, et l’enferme dans une durée. Les conditions d’application de cette peine seront fixées par le juge d’application des peines (JAP), après que celui-ci a pris connaissance de l’évaluation du condamné réalisée par un agent de probation. Le JAP devient le « juge naturel » de l’exécution de la contrainte pénale. Comme le souligne Martine Herzog-Evans, la juridiction de jugement ne peut donc fixer que des mesures, interdictions et obligations de type « contrôle social et prévention de la récidive » et non celles « visant à la réinsertion », laissant le travail d’individualisation de la peine, de définition du sens de la peine, au JAP122. Le parcours de la personne condamnée fera aussi l’objet d’une évaluation régulière afin de modifier éventuellement ses obligations – au moins une fois par an, précise le Code de procédure pénale123. En cas de succès même anticipé de la mesure de contrainte pénale, c’est à dire « si le condamné a satisfait aux mesures, obligations et interdictions qui lui étaient imposées pendant au moins un an, que son reclassement paraît acquis et qu’aucun suivi ne paraît plus nécessaire », l’article 713-45 du Code de procédure pénale prévoit que « le juge de l’application des peines peut […] décider de mettre fin de façon anticipée à la peine de contrainte pénale ». 122 Audition du 14 janvier 2014 de M. Herzog-Evans par la CNCDH, in CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, op. cit. 123 Article 713-44 du Code de procédure pénale. 54 A l’inverse, en cas d’inobservation de la mesure de contrainte pénale, l’article 713-47 du Code de procédure pénale prévoit que « le JAP peut […] compléter les obligations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint ». Si cette solution demeure insuffisante, le juge saisit « d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, par requête motivée, le président du tribunal de grande instance ou un juge par lui désigné afin que soit mis à exécution contre le condamné tout ou partie de l'emprisonnement fixé par la juridiction. […] Le président du tribunal ou le juge par lui désigné, qui statue à la suite d'un débat contradictoire public […] fixe la durée de l'emprisonnement à exécuter ». Celle-ci ne peut excéder la durée prévue par la juridiction initialement mais peut faire l’objet d’un aménagement sous le régime de liberté, de placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique. c) Les raisons d’une probation inachevée L’épée de Damoclès de l’emprisonnement est donc toujours présente, ce qui nous permet de remettre en question le caractère autonome de la peine de contrainte pénale. Le contenu de cette peine est toujours défini par référence au régime de l’incarcération mais aussi celui d’autres mesures pénales exécutées en milieu ouvert. Le Ministère de la Justice en convient lui-même : « la contrainte pénale ne se substitue pas aux peines existantes mais s’y ajoute, de sorte que les juges disposeront d’un nouvel outil de réflexion »124. L’emploi du verbe « pouvoir » utilisé dans l’article qui fixe les modalités de prononcé de la peine pour le juge, en témoigne également. On peut également s’interroger sur l’intérêt de restreindre l’utilisation de la contrainte pénale aux délits appelant à une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans. 124 Ministère de la justice, Brochure de présentation de la Réforme pénale, Lutter contre la délinquance, Une réforme pénale au service des citoyens, octobre 2013 55 De fait, cette mesure de suivi renforcé va s’appliquer à des auteurs de délits moins graves, censés donc moins nécessiter ce type de suivi. On assiste donc à une complexification de l’arsenal des peines, et la proximité de la contrainte pénale avec le SME amène même certains organismes à parler de « faux jumeaux ».125 La lisibilité de la politique pénale semble en être affectée. Des dispositions juridiques peuvent en contredire d’autres au point que « du choix encadré par la loi, mais diversifié, on arrive vite à l’embarras du choix »126. Enfin, on peut regretter l’absence de débat contradictoire lors de la détermination des contours probatoires par le JAP. Pourtant les règles 6 et 73 de la recommandation du Conseil de l’Europe127 insistent sur la nécessité de rechercher le consentement éclairé et la coopération de la personne condamnée. En effet, le débat contradictoire participe également de l’adhésion de la personne aux modalités de la contrainte pénale prononcée à son encontre. Les choses auraient-elles pu se passer différemment ? Au Canada, la peine de sursis et la peine de probation sont bien distinctes128. La probation n’y est donc pas la seule exécution, en milieu ouvert, de mesures répressives. En pratique dans le système canadien, l’ordonnance de probation est une peine imposée à une personne pour avoir commis une infraction, au titre de laquelle la personne contrevenante s’engage à respecter un certain nombre d’obligations durant une période fixée. Le non‐respect de l'une de ces obligations constitue en soi une infraction pouvant entraîner une nouvelle peine ou une prolongation ou encore une modification de l'ordonnance de probation par le tribunal, 125 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, op. cit. 126 Jean DANET, Justice pénale : le tournant, Paris, Gallimard, 2006, p. 78. 127 Conseil de l’Europe. Recommandation CM/Rec(2010)1 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, adoptée par le Comité des Ministres le 20 janvier 2010, lors de la 1075e réunion des Délégués des Ministres. 128 Pierre LALANDE, Probation in Canada-Québec, in Martine HERZOG-EVANS (Ed). Transnational Criminology Manual, vol. 3, Nijmegen: Netherland, Wolf Legal Publishers, 2010. 56 mais n’implique pas de recours à une peine d’emprisonnement. L’ordonnance d’emprisonnement avec sursis, quant à elle, est une véritable « solution de rechange à l’incarcération » : les obligations sont exécutées en milieu ouvert mais en cas de nonrespect, le sursis peut être révoqué et le condamné envoyé en prison. Comment expliquer cette non-application en France ? Martine Herzog-Evans parle de « probation ascientifique »129 en France pour déplorer le manque de culture en la matière, et l’inexploitation de ce champ d’étude dans notre recherche. Cela fait écho à la recommandation précédemment évoquée du jury de la Conférence de consensus de développer cette recherche. Ce manque d’attrait pour la probation résulterait aussi d’une permanence des fonctions traditionnelles attachées à la peine, le non-emprisonnement pouvant toujours être considéré comme une forme de laxisme, une non-sanction. Nous avons évoqué ce point au moment de pointer les hésitations de la politique pénale. Plusieurs organes ou personnalités s’en sont fait l’écho : l’Institut Pour la Justice130, think tank réputé pour son « idéologie sécuritaire »131, des syndicats de police ou des responsables politiques132. Le choix des termes même – contrainte pénale à la place de probation pour insister sur la notion de sanction – avait été le fruit d’un âpre arbitrage au sein du gouvernement entre 129 Martine HERZOG-EVANS, Moderniser la probation française. Un défi à relever !, Paris, L’Harmattan, 2013. 130 Institut pour la Justice. Réforme pénale : un arbitrage mensonger, laxiste et dangereux dont les Français feront les frais. 30 août 2013. En ligne. http://www.institutpourlajustice.org/wpcontent/uploads/2013/08/CP-R%C3%A9forme-p%C3%A9nale-un-arbitrage-mensonger-laxiste-etdangereux.pdf 131 Guillaume de DIEULEVEULT, « Pourquoi la réforme pénale inquiète les policiers et les magistrats », Le Figaro Magazine, n°21863, 21-22 novembre 2014. 132 Le Monde.fr, « Les opposants à la réforme pénale s'alarment du "laxisme" du gouvernement ». 30 août 2013. En ligne. http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/30/les-opposants-a-la-reforme-penale-salarment-du-laxisme-du-gouvernement_3469144_3224.html#jzI5eXhkR4Rm1orC.99 57 la Garde des Sceaux et le Premier Ministre133 devant la crainte, peut-être, des répercussions dans l’opinion de la mise en place de telles mesures. La loi elle-même, une fois promulguée le 15 août 2014, avait au cours du processus législatif opéré un changement de nom : après le projet de loi relatif à la lutte contre la récidive et à l’individualisation des peines, nous aboutissions à une loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. L’objectif de « fermeté » était affiché plus nettement pour qu’il ne soit pas permis d’en douter. Christiane Taubira n’avait pas hésité, pendant le processus législatif, à faire état de son impuissance face aux logiques du jeu politique134. Si le projet de réforme pénale a connu un parcours mouvementé, semé d’embûches devant les résistances politiques, il a néanmoins abouti avec la promulgation de la loi et sa publication au Journal Officiel en août 2014. La contrainte pénale a suscité de nombreuses critiques chez les défenseurs de la probation, en ce qu’elle aurait renoncé à certains fondamentaux de la logique probatoire : la menace de l’emprisonnement, par exemple, est toujours présente. Néanmoins, elle creuse un sillon et invite à la réflexion sur l’utilisation de méthodes probatoires. Se pose désormais aussi la question de sa mise en œuvre, particulièrement par les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) qui faisaient aussi l’objet de dispositions dans la réforme pénale. Il convient donc désormais de se pencher sur le fonctionnement de ces SPIP. Conclusion du chapitre 2 De par sa nature même, la probation a une conception différente du sens de la peine de celle défendue par la prison. Elle paraît plus tournée vers la réinsertion sociale du condamné et voit aussi émerger la fonction réparatrice jusque-là peu présente dans 133 Sonya FAURE, Le lexique Valls-Taubira de la réforme pénale. 9 septembre 2013. En ligne. http://www.liberation.fr/societe/2013/09/09/le-lexique-valls-taubira-de-la-reforme-penale_930312 134 http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/christiane-taubira-rencontre-les-etudiants-de- sciencespo-26408.html 58 notre tradition. Nous retenons ainsi les réussites de ce paradigme là où la prison échoue. Toutefois, les critiques ne manquent pas sur les peines alternatives à l’incarcération, dont certaines peuvent expliquer sa mise en œuvre chaotique. Faute d’une culture probatoire réellement assumée, notre probation est inachevée. La schizophrénie pénale contribue à noyer la logique probatoire ou à la dévoyer par des mesures – comme le suivi sociojudiciaire – qui renvoient à des fonctions plus traditionnelles de la peine. La crispation sur la notion de probation au moment de la mise en place de la contrainte pénale a conduit les décideurs politiques à en édulcorer quelque peu la teneur. Cette peine est trop récente pour permettre d’analyser son utilisation ; mais le reste des mesures alternatives est appliqué depuis plus longtemps. La mise en place concrète de ces peines doit donc être étudiée. 59 CHAPITRE 3 : QUELLE MISE EN ŒUVRE DE LA PROBATION ? L’ACTION DES SPIP La mise en œuvre de la probation est étroitement liée aux évolutions institutionnelles, sociales qui l’ont accompagnée. Ainsi, le recul progressif du travail social au profit de l’entrée dans le service pénitentiaire modifie les pratiques des agents, leur conception de la peine de probation et leur prise en charge des condamnés (I). Ce phénomène est en interdépendance avec les logiques de modernisation et de rationalisation administrative (II). L’immixtion de la criminologie joue d’ailleurs le rôle de paravent à ces impératifs gestionnaires (III). I – LA LENTE MUTATION DES SERVICES DE PROBATION ET DE SES EFFECTIFS : DU TRAVAIL SOCIAL A L’INFLUENCE DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE Face à l’émergence et au développement du milieu ouvert en France, les services de probation se sont peu à peu structurés. La veine humaniste et sociale qui avait présidé à leur création n’a pas totalement disparu. Mais elle est en constant recul depuis que ces services sont entrés dans le giron de l’administration pénitentiaire (a). Alors que l’on notait des pratiques et des profils différenciés parmi les acteurs du service (b), les évolutions récentes vont plutôt dans le sens d’une uniformisation des parcours (c). Toutes ces évolutions modifient la conception du sens de la peine attachée à la probation. a) L’ancrage progressif dans l’administration pénitentiaire Les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) s’appellent ainsi depuis une réforme de 1999 qui les a instaurés. Mais il nous apparaît indispensable de retracer le processus qui a mené à cette réforme pour saisir à la fois le changement et les permanences de l’organisation. En effet, une institution ne fait jamais table rase en 60 changeant simplement d’appellation135. Nous avons déjà évoqué les origines des mesures probatoires en France : la liberté conditionnelle (1885) était mise en œuvre par des bénévoles dans des comités de patronage, dans lesquels dominaient une morale religieuse empreinte d’assistance et de charité136. L’après-guerre, avec la réforme Amor (réinsertion sociale des condamnés) ou la création du service social des prisons (1945) est un contexte favorable à la réelle institutionnalisation de la probation en France en tant que peine à visée sociale. Après de premiers balbutiements, l’ordonnance du 23 décembre 1958 crée le juge d’application des peines (JAP), et les Comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL), dirigés par le JAP. Le milieu ouvert se constitue sous la tutelle du judiciaire mais les membres des CPAL réaffirment régulièrement la dimension sociale de leur mission, pour se différencier idéologiquement137. L’activité législative est ambiguë, entre des lois qui ouvrent la voie à des peines de substitution comme celle du 11 juillet 1975, et des lois plus sécuritaires à la suite d’évasions massives des centres pénitentiaires : instauration des mesures de sûreté, restriction des pouvoirs du JAP. Mais l’action de Robert Badinter à son arrivée au ministère de la Justice en 1981 est clairement orientée vers la probation : généralisation des enquêtes sociales préalables au jugement, création du TIG en 1983. La fonction de travailleur social s’épanouit à ce moment, avant que la parenthèse ne se referme. En effet, la période allant de 1986 à 2010 est celle de l’ancrage progressif au sein de l’administration pénitentiaire. Le décret du 14 mars 1986 réorganise les CPAL : ils sont reconnus comme des services de l’administration pénitentiaire à part entière. La loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire confirme ce changement. La rupture n’est pas brutale et uniforme : les travailleurs sociaux ne disparaissent pas du service. Mais le clivage entre ces derniers et ceux qui adhèrent à l’administration pénitentiaire est patent138, et n’a pas disparu. C’est en 1999 que l’insertion dans « la 135 Pierre LASCOUMES, 2006, op. cit., p. 416. 136 Roger-Henri GUERRAND, Marie-Antoinette RUPP, Brève histoire du service social en France (18961976), Toulouse, Privat, 1978. 137 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 26. 138 Alain RUGO, Le milieu ouvert : le tournant 1983-1988, Association de recherches et d’études des politiques sociales, Lyon, 1988, p. 16. 61 pénitentiaire » est parachevée. Les CPAL deviennent les SPIP, suite à leur regroupement avec les services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires, afin de mutualiser les moyens et d’éviter les ruptures dans la prise en charge des sortants de prison. Les JAP perdent tout pouvoir hiérarchique sur les agents désormais sous l’égide des directeurs des services de probation, et ces services sortent des tribunaux pour se redéployer à l’échelle départementale. Les SPIP agissent en milieu fermé : ils sont appelés à lutter contre les effets désocialisants de la prison et à préparer la sortie (via les projets d’aménagement de peine). Mais leur action principale et qui nous intéresse ici se situe en milieu ouvert. Ils remplissent des missions qui s’articulent autour de trois axes : l’insertion des personnes placées sous main de justice, l’aide à la décision judiciaire dans un souci d’individualisation de la peine, et enfin, le suivi et le contrôle des obligations probatoires, imposées dans le cadre d’une mesure alternative (SME, TIG, LC, SSJ contrainte pénale), ou d’un aménagement de peine (placement extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique). C’est cette action qui est mise en avant par l’administration pénitentiaire, au nom du principe de continuité de l’exécution des peines entre milieu ouvert et fermé. De fait, le milieu ouvert représente les deux tiers de l’activité des SPIP139. Il n’a cessé de s’étendre : le stock de mesures en milieu ouvert a augmenté de 50% entre le 1er janvier 2005 et le 1er janvier 2014. Aujourd’hui, les 103 SPIP dispersés sur le territoire national accueillent 55 000 personnes supplémentaires en milieu ouvert par rapport à 2005, pour seulement 8 000 de plus en milieu fermé140. Cependant malgré la place croissante du milieu ouvert, le rapport numérique dans l’administration pénitentiaire est largement défavorable aux services de probation. Le discours de l’administration pénitentiaire à leur égard doit donc être pris avec distance. Comme celui sur le sens à donner à des peines supposément individualisées. Au 1er 139 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 5. 140 Ibid., p. 38. 62 janvier 2015, parmi les 36 535 agents de l’administration pénitentiaire, les personnels des SPIP milieu ouvert et fermé confondus ne comptent que pour 12,4% des effectifs, contre 73,2% de personnels de surveillance141. Ces effectifs des SPIP comprennent à la fois les directeurs de service, des cadres intermédiaires, des personnels administratifs et des agents de probation au sens propre. Dans ces services en saturation, la proportion des agents de probation ne cesse de baisser au profit des postes d’encadrement et des personnels administratifs.142 Si l’on ne prend en compte que le milieu ouvert, un agent de probation serait en charge de 100 justiciables. Certes, le constat était le même et occasionnait déjà des mouvements sociaux dans les années 1970143. Mais cela la question suivi et du sens des peines en milieu ouvert quand la pile de dossiers est trop importante pour l’agent, et qu’il doit se limiter à un contrôle des obligations du probationnaire144. Même dans le SPIP fréquenté pour les entretiens, petite structure de milieu rural, cette moyenne de 100 dossiers par agent se vérifie. Pour la Cour des Comptes en 2010, la situation des ressources humaines des SPIP était « tendue et précaire »145. Ces constats traduisent la place encore très faible qu’occupent les SPIP dans le budget de fonctionnement du service public pénitentiaire : en 2008, le total des crédits consacrés à l’activité des SPIP s’est établi à environ 190 M€, soit environ 8 % du total des crédits consommés au cours de cet exercice sur le programme 107 « Administration pénitentiaire » du budget général de la justice.146 141 Ministère de la Justice, Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2015. 142 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 40 143 Ibid., p. 28. 144 Martine HERZOG-EVANS, Droit de l’exécution des peines, Dalloz Action, n°213-43, 2012. 145 Cour des Comptes, Le service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale, Paris, La Documentation Française, 2010, p. 107 146 Ibid., p. 104. 63 Au-delà de ces considérations statistiques, c’est aussi une approche qualitative qu’il faut retenir. L’accroissement de la charge de travail des agents de probation tient à d’autres facteurs : impératifs bureaucratiques, diversification des missions au gré des évolutions législatives (« des lois qui nous arrivent depuis les années 2000 ont modifié notre travail de façon considérable », explique Monique). Le 19 mars 2008, une circulaire147 a créé la polémique au sein des SPIP et occasionné un mouvement social très suivi à l’échelle nationale. Elle diversifiait les attributions du service et le repositionnait sur le champ de la « prévention de la récidive ». Dès lors, selon Grégory Salle, la revalorisation du milieu ouvert est surtout un outil de légitimation pour l’administration pénitentiaire. Via le discours sur le sens de la peine, se crée une sorte de « vitrine humaniste »148 d’accompagnement social et d’objectif de réinsertion face aux critiques de la situation carcérale. La réinsertion est-elle en effet soluble dans la simple « prévention de la récidive », qui semble plus faire référence à une stratégie d’évitement ? Nous tenterons d’apporter des éléments de réponse par la suite. Toujours est-il qu’à la suite d’âpres négociations, l’administration et les agents sont arrivés à un accord entériné par le décret du 23 décembre 2010 : en échange d’une revalorisation salariale, ces derniers quittaient la filière sociale de la fonction publique pour rejoindre les métiers de la sécurité. De plus, auparavant appelés Conseillers d’Insertion et de Probation (CIP), ils devenaient Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP). L’ajout de l’adjectif était une sorte de parachèvement symbolique d’une évolution de près de trente ans. 147 Circulaire de la DAP n° 113/PMJ1 du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des services pénitentiaires d’insertion et de probation 148 Grégory SALLE, La part d’ombre de l’Etat de droit. La question carcérale en France et en République fédérale allemande depuis 1968, Paris, EHESS, 2009, p. 228. 64 b) Des profils et des pratiques différenciées L’histoire des SPIP, qui puisent leur origine dans le travail social à l’époque des CPAL, puis s’insèrent progressivement dans l’administration pénitentiaire, se reflète dans le profil des agents de probation. Xavier de Larminat en dresse deux idéaux-types149. Comme toute systématisation, ils doivent être utilisés avec précaution. Ce sont des grilles de lecture qu’il faut ensuite affiner pour saisir la réelle complexité des profils. En premier lieu, le travailleur social, style le plus ancien et le plus proche du registre de l’assistance et de l’empathie, voire de la proximité avec le condamné. Il aurait tendance à privilégier la culture de l’oral sur celle de l’écrit. C’est néanmoins un profil qui tend à s’estomper au sein du corps de métier sous l’effet des évolutions de la formation et du recrutement (voir infra). Second profil idéal-typique, le contrôleur. Il se constitue en opposition au premier style, se caractérise par une attitude plus formaliste envers le condamné. Dans la mission qu’il se fixe, le contrôleur estime que « l’assistanat » doit s’effacer devant une mission purement répressive et juridique. Ces deux types d’agents ne se situent donc pas dans le même registre en ce qui concerne le sens de la peine : le travailleur social met l’accent sur la réinsertion. Le contrôleur estime que sa priorité est de veiller au respect des obligations pénales en évoquant le moins possible la trajectoire socioéconomique ou psychosociale de son interlocuteur. Les deux agents rencontrés en entretien s’approchaient de cet idéal-type : après un DEUG de musique, Lionel150 a arrêté les études puis passé le concours de surveillant pénitentiaire qu’il a obtenu. Il a travaillé pendant huit ans en tant que surveillant avant de passer le concours en interne pour devenir CPIP. Il a exercé en milieu fermé comme en milieu ouvert. Il a souvent expliqué que l’action principale de son métier était de « veiller au suivi des obligations » du condamné. Lionel évoquait ses divergences de vue avec une collègue de formation assistante sociale en ces termes : « toute demande du condamné doit se faire par écrit selon moi, alors que ma collègue est plus arrangeante ». Monique, 149 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 126-129. 150 Les noms utilisés sont fictifs pour préserver l’anonymat. 65 quant à elle, après des études en sciences humaines, a passé une formation d’assistante sociale, métier qu’elle a d’ailleurs occupé dans un Conseil général, avant de passer le concours interne également en 2000. Elle a travaillé en milieu ouvert et en maison d’arrêt. Elle voit son métier comme « plus tourné vers l’accompagnement ». Elle déplore souvent les évolutions de son métier vers une culture de l’écrit et une informatisation croissante. Ces deux modèles sont aujourd’hui influencés par un troisième, celui du criminologue, qui s’impose sous l’effet de plusieurs phénomènes concomitants : place grandissante de la criminologie dans la formation des agents, mise en place concrète d’outils inspirés de cette discipline dans les services. La criminologie s’efforce d’expliquer, de décrire et de prévoir le phénomène du comportement délinquant par des « facteurs de risque », en collectant des données et des évaluations qui seront censées identifier ces facteurs, et ainsi prévenir le risque de récidive. Les influences de ce référentiel criminologique seront étudiées plus avant dans la suite de notre propos, mais nous pouvons d’ores et déjà préciser ici qu’il acquiert une importance de plus en plus grande dans l’action des SPIP aujourd’hui. c) L’uniformisation des parcours et des profils La récente évolution du recrutement des agents de probation semble aller dans le sens d’une plus grande uniformisation des parcours et un recul, là encore, des approches issues du travail social. La formation professionnelle des CPIP est désormais réalisée intégralement par l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) et s’étend sur deux ans : une première année sur le campus, une seconde en stage de terrain. L’entrée à l’ENAP se réalise par concours à partir de Bac+2, les recrutements sur dossier ou en détachement d’assistantes sociales ou d’éducateurs spécialisés ayant été abandonnés. Cette évolution précise a eu pour conséquence de renforcer une uniformisation des parcours, le concours externe étant prisé par des femmes jeunes, sans expérience professionnelle préalable151. 151 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 113. 66 Si l’on s’intéresse à la formation pré-concours, au niveau de diplôme, cette uniformisation est encore plus patente. Depuis 2002, près de deux tiers des élèves de chaque promotion d’agents de probation ont suivi un cursus juridique à l’université, une évolution qui opère un retournement majeur comparé aux années 1990 qui n’accordaient pas une telle prépondérance aux formations de droit. Dominique Lhuillier estime que par ce phénomène, « d’autres références et valeurs que celles qui structurent la culture traditionnelle des travailleurs sociaux s’imposent peu à peu »152. C’est peut-être d’ailleurs pour partie un choix, inconscient ou délibéré, de l’administration pénitentiaire que d’avoir recours aux étudiants en droit, comme le prouvent les chiffres : les juristes constituent les deux tiers de reçus alors qu’ils ne comptent que pour un tiers des candidats153. Le phénomène de surqualification, qui n’est pas propre aux agents de probation, est aussi notable. Les diplômés de bac+5 sont aujourd’hui les plus nombreux au sein de chaque promotion.154 L’autre catégorie qui a bénéficié des évolutions en matière de recrutement, est celle des surveillants pénitentiaires. Ces derniers alimentent 30 à 40% des candidats reçus au concours interne. En résumé, on assiste donc à une dualisation des voies d’entrée : pour deux tiers, la voie principale qu’est le concours externe entraîne le recrutement de jeunes femmes titulaires d’un master de droit. Le tiers restant est composé de surveillants de prison qui passent le concours interne, moins diplômés et plus âgés, et où les hommes sont plus représentés bien que toujours minoritaires. Face à la lente perte d’influence des profils issus de l’assistance sociale, certains directeurs de probation s’émeuvent : « il faut diversifier le recrutement des conseillers d’insertion et de probation. Les actuelles 152 Dominique LHUILLIER (dir.), Changements et construction des identités professionnelles. Les travailleurs sociaux pénitentiaires, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2007, p. 10. 153 Laurent GRAS, La socialisation professionnelle des conseillers d’insertion et de probation, Agen, ENAP, 2008, p. 11. 154 ENAP, Observatoire de la formation. Eléments de connaissance sociodémographique des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, Agen, ENAP. 67 promotions avec 80% de juristes tendent à livrer […] des professionnels plus à l’aise avec la norme qu’avec l’assistance. »155 Lorsque ce directeur de probation parle d’agents « plus à l’aise avec la norme qu’avec l’assistance », nous pouvons donc accréditer la thèse selon laquelle la sur-diplomation accroît la distance entre ces agents de l’Etat et les populations qu’ils rencontrent, surtout lorsque celles-ci font ou ont fait l’expérience de la précarité comme c’est le cas de la majorité des condamnés à des peines de milieu ouvert156. L’évolution des effectifs des agents de probation est donc marquée par le recul progressif et constant des profils issus du travail social. Le syndicat majoritaire au sein des agents de probation et interlocuteur privilégié de l’administration pénitentiaire est d’ailleurs le Syndicat National de l'Ensemble des Personnels de l'Administration Pénitentiaire (SNEPAP). Il est issu du droit pénal et se démarque en général des approches issues du travail social157. Il réussit pourtant à séduire même les agents ayant une formation de travailleur social comme Monique rencontrée en entretien et qui en fait partie. En addition à ce recul progressif et constant des approches issues du travail social, se trouvent les mutations de l’action publique. Les fonctions attachées à la peine de probation en sont durablement impactés. 155 Philippe GARREAU, 2007, op. cit., p. 143. 156 Robert SAMPSON, John LAUB, Théorie du parcours de vie et étude à long terme des parcours délinquants, in Marwan MOHAMED (dir.), Les Sorties de délinquance, Paris, La Découverte, 2012. 157 « [Nous ne sommes] sans doute pas des « travailleurs sociaux » à qui nous empruntons pourtant un nombre important de savoirs en matière de techniques d’entretien avec les personnes ou de connaissance de l’environnement socio-économique (par exemple) ; ceux-ci ne suffisent évidemment pas. Les connaissances et grilles de lecture nécessaires à l’exercice de notre mission sont tout à fait particulières en bien d’autres domaines : le droit et, plus particulièrement, la procédure pénale, la criminologie, la psychopathologie, ... Nous devons, en outre, gérer cette relation d’autorité, conférée par le mandat pénal, qui porte, justifie et délimite notre action, qui est étrangère, voire antinomique à la notion même de travail social, et fait de nous les acteurs uniques en matière de prévention de la récidive des crimes et délits. » SNEPAP, Nous ne sommes pas les enfants de la (mère) pénitentiaire !, 2008. 68 II – LES SERVICES DE PROBATION ENSERRES DANS LES LOGIQUES DE MODERNISATION ET DE RATIONALISATION ADMINISTRATIVE L’activité des SPIP est intégrée dans le service public pénitentiaire. Elle est donc influencée par les évolutions du rôle de l’Etat et de l’action publique. En particulier, depuis les années 1980, les réformes s’inspirent de la doctrine du New Public Management158 ; autrement dit, un vaste mouvement de rationalisation administrative s’appuyant sur les principes de fonctionnement du secteur privé : maîtrise des dépenses, gestion des risques et des flux, évaluation des performances. Tout ceci a un impact sur les modes d’intervention des SPIP et peut permettre de relire différemment les objectifs qui leur sont assignés. La division des tâches (a) et l’informatisation (b) nuisent à la prise en charge des condamnés. a) Une taylorisation croissante Les réformes gestionnaires et managériales ont investi les administrations publiques à la fin des années 1990 et au début des années 2000159 : logique de « modernisation », rationalisation institutionnelle et budgétaire. Le champ de l’exécution des peines n’y a pas échappé160 lorsqu’il a fallu augmenter les rendements de traitement des dossiers. Il fallait d’une part, gérer les flux toujours plus importants (de par l’extension du milieu ouvert évoquée supra), et d’autre part, gérer les risques (évaluer les individus les plus « dangereux » pour « prévenir la récidive »). Il faut toutefois conjuguer 158 Philippe BEZES, Réinventer l’Etat. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009. 159 Ibid. 160 Jean-Charles FROMENT, Martine KALUSZYNSKI (dir.), L’administration pénitentiaire face aux principes de la nouvelle gestion publique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2011. 69 cette réflexion « par le haut » à la façon dont l’Etat se redéploie « au concret » pour reprendre l’expression de Jean-Gustave Padioleau161. Les agents rencontrés lors des entretiens l’expliquent, comme Lionel : « il y a une différence entre ce qu’on implante du haut et la mise en place ». Les street level bureaucrats162 réagissent parfois différemment aux réformes et injonctions de la hiérarchie. Ces constats tirés « par le bas » nous permettent ainsi de saisir les mutations à l’œuvre dans le champ des SPIP et la concrétisation réelle des réformes de rationalisation administrative. En effet l’action publique ne doit pas être abordée que par ses finalités affichées, elle doit être repensée dans son ensemble. Nous assistons depuis les années 2000 particulièrement, à une division croissante du travail des agents, réduisant parfois leur rôle à celui de simple exécutant. La prise en charge des condamnés est impactée. Après la création du TIG en 1983, les agents de probation avaient été amenés à s’ouvrir à la société civile (entreprises, associations) pour faire appliquer ces mesures. De plus, ils étaient régulièrement en lien avec la juridiction pour réaliser des enquêtes pré-sentencielles. Ils étaient alors considérés comme des professionnels polyvalents qui suivaient un justiciable du prononcé de sa peine à la fin de celle-ci163. Face à une logique affichée d’efficacité et de rapidité, une spécialisation des tâches et une fragmentation de la prise en charge a ensuite été mise en place. Xavier de Larminat164 montre comment s’est opérée cette division du travail. La répartition géographique des dossiers en a été un premier exemple. Entre les années 1970 et 2000, le processus fonctionnait selon la sectorisation. Un agent, par exemple, travaillait dans une zone précise du département et y suivait l’intégralité des dossiers de chaque justiciable, tout en acquérant une connaissance précise du terrain. L’agent de probation se déplaçait en effet souvent auprès des probationnaires, des associations, loin du rythme administratif du service. 161 Jean-Gustave PADIOLEAU, L’Etat au concret, Paris, PUF, 1982. 162 Michael LIPSKY, 1980, op. cit. 163 Alain RUGO, 1988, op. cit., p. 19. 164 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 68-79. 70 Cette sectorisation a été remise en cause pour deux raisons. D’abord des raisons budgétaires, à cause des frais de déplacement. Ensuite, l’augmentation du stock de mesures prononcées en milieu ouvert a contribué à installer l’idée qu’il fallait recourir à une nouvelle forme d’organisation face aux listes d’attentes qui s’accumulaient. On a donc assisté à la mise en place de pôles spécialisés : l’agent, désormais, est appelé à traiter de manière intensive une seule mesure ou un seul type de délit dans tout le département. Ainsi, un agent va s’occuper de toutes les mesures de placement sous surveillance électronique, un autre de tous les travaux d’intérêt général. La spécialisation remplace donc la polyvalence. La division des tâches se fait aussi sur le mode de la temporalité. En milieu ouvert, les agents interviennent ponctuellement à trois moments de l’exécution des peines : l’avant-jugement (des enquêtes sociales préalables sur le condamné), l’accueil au service (informer le condamné sur la peine prononcée), la modulation (si un aménagement de peine est prononcé, le condamné rencontre l’agent pour établir un projet). Chacune de ces tâches peut être élaborée par des agents différents, selon le planning mis en place par l’administration, présenté comme un moyen d’accélérer le processus mais qui bride l’autonomie des agents. Dans le même but, parfois, l’accueil des condamnés peut être réalisé de manière collective. Ce morcellement des interventions paraît nuire à la prise en charge des condamnés qui peuvent rencontrer plusieurs agents différents ou être mélangés à d’autres profils de probationnaires. Le délai d’application des mesures a aussi pour effet de découper la prise en charge. On peut parler avec Michel Autès de taylorisation165 au sens où les agents se transforment en simples exécutants des mesures dont ils ont la responsabilité. Une rhétorique de l’individualisation des peines s’est mise en place en s’appuyant sur des impératifs d’efficacité et de rapidité. Ceux-ci étaient appelés à fonctionner avec des agents spécialisés. Mais en réalité, en découpant la prise en charge des condamnés, cette nouvelle organisation traduit surtout une volonté de gestion rationnelle des flux et de réduction des coûts alors que ces services arrivent à saturation. 165 Michel AUTÈS, Les paradoxes du travail social, Paris, Dunod, 2 e édition, 2004. 71 b) L’informatisation comme révélateur de la rationalisation L’autre manifestation majeure de la rationalisation administrative à l’œuvre dans les SPIP est le recours croissant à l’informatique. Depuis la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), les pratiques d’évaluation ont acquis une place décisive dans l’administration en étant conçues comme une mesure de la performance166. L’informatisation, technologie supposément neutre et objective, est censée permettre ces gains de performance et d’efficacité167. Son utilisation dans le cadre de l’administration peut toutefois être questionnée dans la mesure où « la création d’instruments d’action publique peut servir de révélateur de transformations plus profondes de l’action publique, de son sens, de son cadre cognitif et normatif et des résultats »168. Monique situe le virage de l’ « évaluation statistique et quantifiable » selon ses termes au tournant des années 2000. Dans les SPIP plus exactement, le logiciel APPI (Application des peines, probation et insertion) déjà utilisé à partir de 2005 a été implémenté par un décret du 7 novembre 2011169. Il consiste en un traitement automatisé de données à caractère personnel sur les condamnés et les modalités d’exécution de leur peine. L’extraction de ces données servira à l’administration pour mesurer la performance des SPIP dans les projets annuels de performance, rapports circonstanciés sur chaque part du budget de l’Etat. Le logiciel est présenté comme ayant 166 Xavier de LARMINAT, « L'informatisation des services de probation. Une mise en abyme des réformes de modernisation », in Charlotte HALPERN et al., L'instrumentation de l'action publique, Presses de Sciences Po « Académique », 2014, p. 450. 167 Xavier de LARMINAT, La technologie de mise à distance des condamnés en France. La centralisation informatique des données socio-judiciaires, Déviance et Société, 2013, n° 3, vol. 37, p. 360 168 Pierre LASCOUMES, Patrick LE GALÈS, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 25. 169 Décret n° 2011-1447 du 7 novembre 2011 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « application des peines, probation et insertion » (APPI), JORF n°0259 du 8 novembre 2011. 72 l’avantage de permettre une meilleure connaissance des justiciables en centralisant les informations : cela faciliterait ainsi des procédures d’évaluation, de recherches statistiques. C’est également un outil de communication entre les agents et les JAP, qui y ont aussi accès. Néanmoins, loin de la neutralité parfois apposée à la technique, celle-ci influe sur le comportement et l’activité des agents, et donc le traitement des condamnés, au point que certains professionnels cherchent à contourner l’instrument. La présence d’un ordinateur durant les entretiens contribue à créer une « barrière matérielle et symbolique »170 entre l’agent et le probationnaire : Lionel dit « ne pas vouloir devenir comme un robot derrière son ordinateur » et « préfère noter sur papier ». Mais la barrière est également symbolique parce qu’en standardisant le traitement des données, le recueillement des informations, l’informatisation contribue à objectiver, à figer la situation du condamné. Une seule réponse est possible (oui/non) et il s’agit alors d’intégrer ces derniers dans des cases préétablies – sans compter que le logiciel n’accorde qu’un nombre limité de caractères – alors que les fiches manuscrites donnaient la possibilité de complexifier l’analyse. Le travail des agents de probation subit une forme de routinisation qui ne leur permet pas d’exploiter réellement leurs compétences. Du côté du condamné, celui-ci ne fait pas tant l’objet d’une individualisation que d’un effet pervers qui l’intègre dans un « groupe-type » d’individus. On peut donc parler d’un « nivellement par le bas du degré de connaissance et de proximité avec les individus »171. La dématérialisation visait à limiter le nombre de dossiers et favoriser la communication entre les différents acteurs. Nous retrouvons là encore une des lignes de force des logiques de « modernisation » de l’action publique, du redéploiement de l’Etat identifiées par Jacques Chevallier pour qui les différents acteurs n’interagissent plus selon des liens verticaux, hiérarchiques mais par « des relations horizontales d’interdépendance »172. Cependant, voyant en quelque sorte leur échapper les dossiers qui peuvent être 170 Xavier DE LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 95. 171 Ibid., p. 98. 172 Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris, LGDJ, 2003. 73 consultés tant par leurs collègues que par l’administration ou le JAP, les CPIP ont tendance à pratiquer une forme de conformisme. « Moi et moi seul peux réellement comprendre ce que j’ai écrit, alors je préfère en dire le moins possible », nous confiait un agent en entretien. Par conséquent ce dernier préférait se limiter à des données mesurables sur le probationnaire, renforçant ainsi le phénomène d’évaluation standardisée et l’appauvrissement du contenu. Certains agents comme Monique dénoncent le fait de devoir « rendre des comptes » à l’administration. L’effet indésirable de l’informatisation est donc que les agents cherchent davantage à paraître performants aux yeux de l’administration qu’à satisfaire leur interlocuteur173. Le traitement par informatique semble contraire à l’individualisation des peines et vise plutôt à favoriser des prises en charge standardisées. Dès lors, pour reprendre l’idéaltype évoqué supra, les « contrôleurs » s’accommodent mieux de cette informatisation. Ils se montrent plutôt bienveillants à l’égard des logiques de modernisation, et de l’usage des ordinateurs auxquels ils sont plus accoutumés. Passer par l’évaluation leur permet d’affirmer une expertise, de se valoriser et « d’échapper à la déconsidération qui prévaut actuellement à l’égard des métiers du social »174. A l’inverse, ceux qui sont les héritiers de cette tradition du « travailleur social » sont plus à même de contester l’utilisation du logiciel. Monique par exemple déplore : « on doit tout rentrer sur le logiciel, c’est assez impressionnant, j’ai beaucoup de mal à respecter, cela nous bride ». Ils jugent que la présence de l’ordinateur est un frein à l’accompagnement social des probationnaires, de par la distance physique et la formalisation des procédures. La routinisation des tâches peut aboutir à la contestation, face à ce que l’on appelle l’aliénation des politiques, à savoir « un état cognitif général de déconnexion psychologique par rapport au programme stratégique mis en œuvre »175: cela occasionne à la fois un sentiment d’impuissance (powerlessness) et une impression de perte de sens 173 Steve JACOB, Opération chloroforme ou la réinvention de l’Etat rationnel : l’évaluation et les données probantes, Criminologie, 2009, vol. 42, n°1, p. 211. 174 Xavier de LARMINAT, 2014, L'informatisation des services de probation, p. 458. 175 Lars TUMMERS, et al., Policy alienation of public professionals : Application in a new public management context, Public Management Review, 2009, vol. 11, n°5, p. 685-706. 74 dans le métier effectué (meaninglessness). Plus largement, le découragement et le manque de reconnaissance sont particulièrement notables. Nous avons pu en prendre conscience, notamment auprès de Monique, qui ne préfère pas parler de son métier à ses proches. Les logiques de rationalisation et de modernisation transforment indéniablement la prise en charge des condamnés et le sens donné aux peines. Derrière l’objectif affiché d’individualisation, se trouvent une division croissante des tâches et une informatisation qui nuisent à la prise en charge des condamnés. Le processus est en effet découpé et standardisé, extrait de toute contingence sociale. Ces évolutions ne peuvent être étudiées sans faire référence à un paradigme qui les irrigue et leur donne une consistance, celui de la criminologie. Il s’inscrit en effet en parfaite adéquation avec les notions telles que la gestion des flux et des risques, la responsabilité individuelle, autant de principes issus du nouveau management public. Ce label criminologique n’est pas exempt de critiques. Il représente pour certains agents une opportunité de trouver une nouvelle légitimité à leur action. Nous nous proposons d’étudier l’influence de ce référentiel criminologique. III – LE REFERENTIEL CRIMINOLOGIQUE COMME PARAVENT AUX IMPERATIFS GESTIONNAIRES D’inspiration nord-américaine, la criminologie prend peu à peu sa place dans la probation française, présente dans la formation des agents (a) et dans leur métier au quotidien par des applications concrètes (b). Le référentiel criminologique, couplé aux impératifs gestionnaires, témoigne de l’avènement d’une rationalité pénale faisant primer l’efficacité sur toute autre considération (c). a) L’émergence d’un paradigme criminologique dans la probation française Nous avons déjà brièvement évoqué la criminologie en parlant des profilstypes d’agents de probation, celui de criminologue faisant son apparition aux côtés du travailleur social et du contrôleur. Pour Raymond Gassin, défenseur historique de la criminologie en France, « la criminologie est la science qui étudie les facteurs et les 75 processus de l’action criminelle et qui détermine […] les moyens de lutte les meilleurs pour contenir et si possible réduire ce mal social »176. La sous-branche de la criminologie qui nous intéresse ici particulièrement, est la criminologie dite clinique, qui est « l’étude du délinquant en tant que personne. Elle cherche à comprendre et à aider l’individu, en visant la prévention de récidive potentielle. Le diagnostic criminologique a pour but de décrire le contrevenant, d'estimer les risques de récidive puis d'élaborer un plan d'intervention approprié. La criminologie clinique étudie aussi l'intervention : le choix d'une mesure qui soit adaptée à un type particulier de délinquant, la mise en œuvre de cette mesure et l'évaluation de son efficacité. »177 Une définition qui vient de l’Université de Montréal dont l’Ecole de Criminologie est citée en exemple par les criminologues français lorsqu’ils appellent au développement de leur discipline178. Au carrefour des sciences juridiques, sociales, psychiques, la scientificité réelle de la criminologie fait aujourd’hui l’objet de controverses majeures, au point que certains s’inquiètent de sa place grandissante prise dans le paysage universitaire français179. Néanmoins, elle contribue à s’institutionnaliser par plusieurs mécanismes au sein de la probation française. Prévention de la récidive, diagnostic, facteurs de risque, intervention et évaluation : autant de piliers de la criminologie clinique qui se donnent aujourd’hui à voir dans l’activité des SPIP. La formation dispensée à l’ENAP pour les agents, en premier lieu, lui accorde une place de choix. Dans la formation initiale se trouve un Département Insertion et Sciences criminelles dont une des unités d’enseignement est décrite comme telle : « Les thématiques sont envisagées sous les 176 Raymond GASSIN, Criminologie, Paris, Dalloz, 6ème éd, 2007, p. 33 177 Ecole de Criminologie, Qu’est-ce que la criminologie ?, site internet de l’Université de Montréal. http://crim.umontreal.ca/notre-ecole/quest-ce-que-la-criminologie/ 178 Laurent MUCCHIELLI, « De la criminologie comme science appliquée et des discours mythiques sur la ‘multidisciplinarité’ et ‘l’exception française’ », Champ pénal, 2010, Vol. VII, p. 1-11. 179 Ibid. 76 angles de la psychologie, la psychocriminologie et la criminologie. Ces cours sont en lien avec la gestion des individus à la fois sur le plan de la sécurité et celui de la prévention de la récidive. Les enseignements relatifs à la connaissance de la personne, de ses comportements et du fait criminel (criminologie clinique, évaluation criminologique, passage à l’acte, agressions sexuelles, ….) sont envisagés sur le plan théorique et pratique. La prévention et le traitement de la violence, la dangerosité, les mises en œuvre des nouvelles méthodologies d’intervention (Programmes de Prévention de la Récidive, Diagnostic à Visée Criminologique) sont traitées […] » La plaquette de formation de la 19e promotion des CPIP (2014-2016) prévoit plusieurs modules avec des intitulés de cours tels que « Criminologie clinique », « Evaluation psycho-criminologique », « Passage à l’acte », « Prévention de la récidive »180. Aux côtés des deux idéaux-types que représentent le travailleur social et le contrôleur, Xavier de Larminat identifie donc l’émergence d’une troisième mouvance parmi les agents de probation : le criminologue181. Les jeunes surdiplômés ayant suivi le concours et la formation à l’ENAP souhaitent se démarquer à la fois du travailleur social (dont l’approche est souvent dépréciée) et du contrôleur (souvent vu comme un simple exécutant des décisions de justice). Cette retraduction du métier d’agent de probation en des termes nouveaux peut être vue sous l’angle d’une re-professionnalisation, autrement dit « le mouvement par lequel un groupe professionnel exprime un désir de reconnaissance » en mobilisant un « ensemble de représentations sociales des rôles et de l'organisation des professions »182[.] La criminologie sert ici cette quête d’expertise, de réflexion, de compétence, dans le contexte de routinisation des tâches et de sentiment de 180 ENAP, Direction de la formation initiale. 19e promotion d’élèves des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, Agen, ENAP. 181 Xavier de LARMINAT, Les agents de probation face au développement des approches criminologiques : contraintes et ressources, Sociologies Pratiques, 2012, n°24, p. 35 182 Jean-Marc CHAPOULIE, Sur l'analyse sociologique des groupes professionnels, Revue Française de Sociologie, vol. 14, n°1, 1973, p. 86-114. 77 distance avec les condamnés précédemment exposé. C’est aussi une opportunité de pallier le manque de reconnaissance. Ce sentiment de stigmatisation est parfois patent et la principale manifestation parvenue dans le débat public de cette frustration a éclaté au moment de l’ « affaire de Pornic »183. Le grand retentissement médiatique de l’affaire avait révélé au grand jour les dysfonctionnements de la chaîne pénale. Pointés du doigt même au plus haut sommet de l’Etat184, les CPIP avaient réagi par un mouvement social. S’il est combattu par des agents qui se réclament héritiers de la tradition du travail social185, le référentiel criminologique constitue un pôle d’attraction même parmi les agents les plus anciens venus de cet héritage. Monique par exemple, s’exprime ainsi : « on commence à aborder la criminologie, des formations se mettent en place, je trouve ça très intéressant. Il y a une autre façon de prendre en charge la personne, cela renvoie à des notions totalement différentes. » Après nous avoir expliqué qu’elle consulte régulièrement des sites de criminologie, Monique évoque même « l’empathie » caractéristique selon elle de cette approche, qui lui permettrait de renouer avec la formation de travailleur social. Mais pour Everett Hughes, « l’observation des gens dans leur travail peut en fait révéler que leur comportement réel dément leurs affirmations sur 183 En janvier 2011, Tony Meilhon, déjà condamné pour divers délits, avait enlevé et assassiné une jeune femme dont on avait retrouvé le corps dans la ville de Pornic. Tony Meilhon était alors en sursis avec mise à l’épreuve, suivi par le SPIP du Nantes qui avait toutefois dénoncé des semaines auparavant le manque de moyens alloués, ce qui l’empêchait d’assurer un suivi suffisant. 184 Nicolas Sarkozy déclarait ainsi le 3 février 2011 : « Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle. » 185 « La réinsertion est l’objectif premier car cela permet de lutter contre la récidive : ensemble ces deux objectifs sont complémentaires. En revanche, lorsque la référence à la prévention de la récidive devient unique, c’est toute la philosophie du métier qui s’en trouve modifiée, faisant basculer les professionnels dans une dimension prédictive. De moteur de soutien dans une dynamique de réinsertion, ils sont voués à devenir de simples filtres entre la prison et le monde libre, au nom d’une dangerosité que tout le monde peine à définir, qu’elle soit criminologique ou psychiatrique. » CGT pénitentiaire, Orientations 20122015, www.ugsp-cgt.org. 78 la valeur qu’ils accordent aux diverses activités ».186 Monique, par exemple, critiquait l’insistance de l’administration sur les « facteurs de risque » alors même que ce site y fait référence abondamment187. L’adhésion aux principes de la criminologie de la part d’un agent issu du travail social est intéressante dans la mesure où nous pouvons voir qu’à de nombreux égards, les deux approches sont incompatibles. b) Une application concrète des principes de la criminologie dans la probation française La circulaire de mars 2008188 sur les méthodes d’intervention des SPIP affiche les objectifs suivants : « évaluer les risques », « adapter la prise en charge ». Pour Xavier de Larminat, cette approche s’inspire du courant utilitariste – trouver ce qui marche (« what works »), qui veut donner toute sa place à l’étude des conditions du passage à l’acte délinquant et à la définition de « bonnes pratiques » de prise en charge afin de prévenir la récidive. Ces « bonnes pratiques » soi-disant neutres et objectives, s’appuient sur le référentiel criminologique. Les grands principes de la criminologie ont déjà trouvé une application concrète au sein de la probation en France, à travers deux instruments : le Diagnostic à Visée Criminologique (DAVC), et les Programmes de Prévention de la Récidive (PPR). Tous deux contiennent des présupposés inséparables du processus de rationalisation administrative et des principes issus du nouveau management public, qui rejaillissent sur la prise en charge des condamnés et le travail des agents. Le DAVC, intégré dans le logiciel APPI à partir de 2008, était un instrument standardisé d’évaluation des risques censé se déployer dans les SPIP après la publication d’une circulaire d’application le 8 novembre 2011189. Il a en effet été abandonné en 2013 à la suite de protestations véhémentes de la part des personnels des SPIP. Il paraît 186 Everett HUGHES, Le regard sociologique, Paris, EHESS, 1997, p. 181. 187 http://psychocriminologie.free.fr/ 188 Circulaire de la DAP n° 113/PMJ1 du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des services pénitentiaires d’insertion et de probation 189 Circulaire du 8 novembre 2011 relative au diagnostic à visée criminologique (DAVC). 79 néanmoins important d’étudier ce qu’il implique, car le recours à une évaluation standardisée des condamnés est « loin d’être abandonné » par l’administration pénitentiaire, comme le confirmaient les agents en entretien. Le modèle du DAVC tel que présenté aux agents de probation se trouve sous la forme de quatre catégories, chacun comportant une batterie d’indicateurs. Une autre catégorie sert de conclusion pour faire la synthèse des résultats et proposer un type d’intervention (cf. annexe). La compilation de données est assez hétérogène, prend parfois la forme de questions fermées ou de cases à cocher. De ce fait, comme pour le logiciel informatique APPI dans son ensemble, le DAVC ne laisse que peu de liberté aux commentaires des agents. Les agents réfractaires à l’outil dénonçaient la charge administrative supplémentaire qu’il occasionnait – aux antipodes de la « modernisation » évoquée. En entretien, Lionel s’exprime au sujet du DAVC : « c’était devant un écran, plein de cases, oui/non/peut-être ». Monique renchérit : « c’est une évaluation et qu’est-ce qu’on en fait après ? » Le fait de remplir l’évaluation consistait d’ailleurs en une tâche répétitive, routinisée, réduisant une nouvelle fois les agents à de simples rouages administratifs. Les PPR, lancés au même moment, sont eux toujours en vigueur et appelés à se développer au sein des SPIP. En rassemblant plusieurs détenus ou probationnaires ayant commis des infractions similaires, ils visent, dans une perspective proprement criminologique, à travailler collectivement sur le passage à l’acte délictueux. Les CPIP animent ces groupes de parole afin de confronter les expériences et de faire évoluer la représentation que se font les intéressés de leur geste afin de prévenir la récidive. « La pédagogie utilisée est d’inspiration cognitivo-comportementale – cognitive parce qu’elle vise à faire prendre conscience aux participants de l’écart existant entre leur analyse de la situation et les conséquences réelles de leurs actes pour les victimes et la société ; et comportementale en ce qu’elle recherche une modification du comportement par l’apprentissage de stratégies d’évitement des situations à risque, et non par l’exploration des causes profondes (souligné par nous). »190 Ce dernier point se montre 190 Emmanuel BRILLET, Une nouvelle méthode d’intervention auprès des personnes placées sous main de justice : les programmes de prévention de la récidive (PPR), Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, 2009, n°31, p. 2. 80 particulièrement important au moment d’évoquer les implications pratiques de ce référentiel criminologique et des instruments qui l’accompagnent. c) Modernisation administrative et rationalité pénale moderne : une recherche de l’efficacité Comme le montre Jean Danet, la notion de dangerosité est constamment présente dans le champ pénal. Elle a ainsi irrigué la réflexion qui a abouti à la mise en œuvre de nouveaux dispositifs judiciaires et pénaux. En retour, ces dispositifs ont sollicité la participation de la psychiatrie.191 Les critères d’évaluation du DAVC façonnent des représentations spécifiques de la récidive et construisent des « profils de risque ». Pour Xavier de Larminat par exemple, le fait d’extraire des faits (les antécédents judiciaires) de leur contexte et de les isoler conduit les agents à les surinterpréter192. Tous ces renseignements vont être érigés en « symptômes » de la délinquance. C’est particulièrement visible avec la deuxième catégorie qui se propose d’étudier le rapport du condamné à la loi, son attitude à l’égard de l’acte qu’il a commis. Cette attitude va être utilisée pour révéler si l’on est en présence d’un individu risquant de récidiver. Un instrument en apparence neutre peut ainsi venir renforcer les préjugés de l’agent par cette évaluation standardisée, simplificatrice. Il faut préciser que cette évaluation se réalise au début de la prise en charge et non de manière dynamique au fil de l’évolution de la situation. Cela peut conduire à accentuer la distance entre le probationnaire et l’agent, celui-ci devant en quelque sorte réaliser une « expertise » sur celui-là au terme de seulement quelques entretiens. Les troisième et 191 Jean DANET, La dangerosité, une notion criminologique séculaire et mutante, Champ pénal, 2008 Vol. V, p. 1-25. 192 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 84. 81 quatrième catégories entendent évaluer « la capacité personnelle au changement » et la « prise en charge médicale ». Les indicateurs utilisés, aux termes très vagues, se focalisent sur l’individu et sa psychologie. Dans le sillage des principes du nouveau management public qui entendent recourir aux défaillances de l’Etat193, l’analyse du DAVC fait peser les facteurs de délinquance sur la responsabilité individuelle des condamnés, plus que sur les causes socioéconomiques. Ses indicateurs tendent en effet à privilégier les approches psychologisantes, à évaluer la « motivation » de l’individu à se « prendre en charge ». L’administration présente ce diagnostic comme utile dans l’objectif d’individualisation des peines et de la prise en charge. En effet, au terme du diagnostic, une décision devra être prise quant au niveau de suivi dont le condamné fera l’objet. Les buts fixés par l’administration pénitentiaire sont affichés comme suit : « Dans une perspective dynamique de prise en charge des personnes placées sous main de justice et d’individualisation des peines, les SPIP doivent différencier les suivis afin de donner un sens et du contenu à l’exécution de décisions judiciaires »194. Une telle grille de suivi a été officialisée par l’administration pénitentiaire elle-même dès 2009195 : suivi allégé, suivi espacé, suivi normal et suivi intensif sont ainsi les quatre modalités de prise en charge des probationnaires. Dans les faits, le suivi différencié peut surtout être lu comme un nouveau moyen de gestion des flux et des risques caractéristique de la modernisation administrative, dans un contexte de moyens financiers et humains limités qu’il faut affecter « rationnellement ». L’objectif est de hiérarchiser et classer les individus en fonction des priorités à gérer. Le principe est le même avec les PPR, dont la prise en charge collective 193 Philippe KERAUDREN, Entre nouveau management public et gouvernance : les spécificités de la réforme de l'administration centrale en Grande-Bretagne, Politiques et management public, 1999, vol. 17 n° 1, pp. 59-92. 194 Circulaire de la DAP du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP. 195 Direction de l’administration pénitentiaire, SPIP : enjeux de la nouvelle organisation, 2009. 82 peut aussi être lue comme une manière de regrouper les interventions et les suivis sur un maximum de personnes simultanément. S’agissant du DAVC, au terme du diagnostic, les condamnés présentant le moins de risques avérés seront suivis de manière allégée. Les individus « à problèmes » vont concentrer tous les moyens d’action. Le risque est d’aboutir au phénomène similaire à celui observé en centre de détention où la même méthode a été appliquée196. A savoir la création d’une prophétie auto-réalisatrice : l’évaluation rigide et routinisée enferme l’individu dans une catégorie dont il aura du mal à se défaire dans la suite de son parcours. Du côté des agents de probation, il est possible que la concentration du travail sur les individus les plus dangereux laisse à penser que ces derniers soient majoritaires alors que les faits démontrent le contraire. Cela occasionne un découragement « à force de se concentrer sur des personnes en situation d’échec répété, ce qui nourrit une vision désabusée de leur intervention »197. Derrière cet écoulement des flux se mettent à jour des logiques de ségrégation que Robert Castel avait déjà identifiées dans les années 1980 : « On constate le développement de modes différentiels de traitement des populations, qui visent à rentabiliser au maximum ce qui est rentabilisable, et à marginaliser ce qui ne l’est pas »198. Les individus pouvant servir à terme de main d’œuvre sur le marché du travail peuvent être pris en charge, les autres sont appelés à rester en marge. Nous pouvons mobiliser ici ce qu’Alvaro Pires appelle la rationalité pénale moderne199 : le but du système pénal n'est plus de répondre à des problèmes sociaux mais de réguler les niveaux de déviance par une gestion systémique, et une efficacité procédurale et organisationnelle de la prévention et de la 196 Jean BERARD, Stéphanie COYE, Régimes de détention différenciés, l’envers du décor, Dedans-Dehors n° 63, 2007, p. 17-34. 197 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 92. 198 Robert CASTEL, De la dangerosité au risque, Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 47-48, 1983, p. 126. 199 Alvaro PIRES, La rationalité pénale moderne, la société du risque et la judiciarisation de l’opinion publique, Sociologie et sociétés, vol. 33, n° 1, 2001, p. 179-204. 83 répression. L'intervention des professionnels de la probation va se limiter à déterminer si la personne, placée sous main de justice, a un degré de risque lui permettant de bénéficier par exemple d'un aménagement de peine. S’amorce ainsi le passage d’un modèle réhabilitatif à une gestion administrative de populations à risques identifiées par des outils de calcul de leur dangerosité : nous assistons à « l'avènement progressif d'une rationalité pénale, non plus orientée vers les individus et leur transformation, mais vers la gestion efficace de populations collectives »200. Le fonctionnement des PPR s’inscrit dans cette rationalité pénale moderne. Deux PPR existaient dans le SPIP où nous avons conduit les entretiens : un premier sur les délinquants sexuels et un second sur les violences conjugales. Monique est animatrice sur ce second PPR. Pour les deux agents rencontrés, la principale vertu du PPR est « la réflexion sur le passage à l’acte » et la « prévention » de celui-ci. En dépit du caractère collectif des interventions, on y pousse les individus à rechercher eux-mêmes les solutions à leur situation. Généralement, les agents corrigent systématiquement les condamnés lorsque ceux-ci tendent à parler en collectif (nous, on) et les enjoignent à utiliser la première personne du singulier201. On en appelle à la responsabilité individuelle et l’autonomie du probationnaire qui doit repérer les « symptômes » ayant précédé le passage à l’acte, non pour solutionner le problème mais pour l’éviter. Ainsi, on décontextualise totalement le passage à l’acte pour le remettre dans les mains de l’individu202. Comme le dit Lionel, « on veut que l’individu réfléchisse sur le sens de la peine. » Comme dit plus haut, nous pouvons rappeler la définition des PPR contenue dans les Cahiers d’études de la DAP elle-même : « l’apprentissage de stratégies d’évitement 200 Gilles CHANTRAINE, Jean-François CAUCHIE, Risque(s) et gouvernementalité, Socio-Logos. Revue de l’association française de Sociologie, n° 1, 2006, p. 13. 201 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 187. 202 Marie-Sophie DEVRESSE, Investissement actif de la sanction et extension de la responsabilité. Le cas des peines s’exerçant en milieu ouvert, Déviance et Société, 2012, vol. 36, n°3, pp. 311-323. 84 des situations à risque, et non […] l’exploration des causes profondes ». Pour citer Robert Castel, nous serions en présence d’ « une sorte de réinterprétation du social comme étant dissous dans le psychologique »203. Conclusion du chapitre 3 La mise en œuvre concrète de la probation au sein des SPIP se devait d’être examinée. Des évolutions sont notables. Le profil des agents de probation semble s’uniformiser ou plutôt se dualiser au vu du recrutement et de la formation. Le point commun à ces évolutions est le recul constant des approches issues du travail social. Les SPIP semblent également se diriger à marche forcée vers des impératifs gestionnaires qui morcellent et systématisent la prise en charge des condamnés. Sous la bannière de la criminologie, la gestion des risques trouve une application dans l’objectif affiché de prévention de la récidive. 203 Robert CASTEL, Eugène ENRIQUEZ, D’où vient la psychologisation des rapports sociaux ?, Sociologies pratiques, n°2, 2008, p. 17. 85 CONCLUSION GÉNÉRALE Nous avons choisi de mettre en exergue une citation de John Augustus au début de ce mémoire. Ce cordonnier de Boston est considéré comme le père de la probation. En 1842, il avait réussi à obtenir du tribunal la sortie de prison d’un délinquant alcoolique, promettant de le placer sous sa propre garde. Il lui avait alors fourni un travail, un logement, l’avait encadré et assisté. Devenu sobre, le délinquant était retourné devant le tribunal pour sa comparution. Ayant apporté la preuve de son amendement – probation vient du latin « probare », prouver –, il s’était alors vu infliger une peine symbolique de un cent. Face au succès de l’opération, le philanthrope bénévole avait ensuite accueilli dans son atelier 1 142 hommes et 794 femmes en renouvelant l’opération. On reconnaît ci-dessus les bases naturelles de la probation, puisque le tribunal confiait à une tierce partie la tâche de veiller au respect des conditions imposées avec l’éventualité d’un retour à la cour si le détenu contrevenait à ces conditions. Quand une sanction est prononcée, que l’expiation de la faute est réalisée, la question immédiate qui s’ensuit est celle de la resocialisation du condamné. C’est une condition sine qua non pour parvenir à une justice acceptée des citoyens, et une société apaisée. A cet égard, la peine d’enfermement semble avoir perdu de son sens. Elle conserve en effet des fonctions traditionnelles attachées à la peine : une vengeance, un symbole. Le grand enfermement n’a pas pris fin, l’arsenal répressif ne s’est pas dégonflé, et les propos de « fermeté » sont couramment réaffirmés. Pourtant, les échecs sont patents. Symbole espéré de progrès social et de pratiques jugées barbares, la prison ne semble pas présenter les vertus qui lui sont attachées : elle n’offre pas de conditions de détention dignes, et elle échoue à resocialiser ceux qu’elle accueille. L’échec de la prison lui est-il inhérent ? Nous pouvons le penser. Dès lors, comment penser la peine autrement ? Preuves d’une certaine schizophrénie, aux côtés de dispositions législatives répressives, ont émergé depuis une trentaine d’années des mesures alternatives à l’incarcération. En effet, si la culture de ce type de mesures peut, nous l’avons vu, remonter à des temps plus anciens, le renouveau théorique et empirique est plus récent. En ce qu’elles préconisent l’utilisation de la prison en dernier recours et visent à réintégrer l’individu dans la société, nous pouvons défendre ces mesures alternatives, les voir comme porteuses d’un nouveau sens de la peine, malgré les critiques. Comme tout discours « optimiste » en effet, celui sur la probation doit être pris avec distance et 86 déconstruit. Mais nous avons choisi de le faire en postulant que les peines de probation relevaient du « bon sens ». Et que, leur efficacité étant prouvée, il fallait interroger la façon dont elles étaient mises en œuvre afin de voir si elles représentaient un horizon souhaitable pour redéfinir le sens de la peine. Le retour brutal de la probation dans le débat public à l’occasion de la réforme pénale de 2013 a en effet réactivé un débat sur le sens de la peine. D’un côté, certains estiment que toute autre sanction que l’enfermement relèverait d’un laxisme. Se joue ici la défense de fonctions plus traditionnelles de la peine. De l’autre, les défenseurs de mesures alternatives sont forcés d’expliquer qu’elles ne sont pas des cadeaux faits aux délinquants. Ils tentent de démontrer à la société, méfiante à leur égard, le caractère contraignant mais néanmoins efficace de ces sanctions. Nous avons donc décidé d’étudier les logiques à l’œuvre dans les services de probation, censés appliquer ces peines efficaces. Le premier constat effectué est le recul progressif de l’influence du travail social au sein de ces services, alors que la définition même de la probation s’appuie sur des notions d’assistance. De plus, ces structures sont touchées par les mutations issues du nouveau management public et l’apparition d’un courant théorique particulier, la criminologie. Ces deux phénomènes agissent simultanément. Les impératifs gestionnaires de rationalisation des dépenses, de gestion des flux et des risques, et la valorisation de la responsabilité individuelle sont en harmonie avec le logiciel criminologique. En effet, ce dernier met l’accent sur l’identification de facteurs de risques et de dangerosité par des évaluations standardisées, et s’intéresse au « passage à l’acte » de l’individu. Trois phénomènes à l’œuvre donc : recul du travail social, impératifs gestionnaires, importation d’un référentiel criminologique. Or, c’est désormais la « prévention de la récidive » qui est aujourd’hui érigée comme la « finalité d’action des SPIP »204. Mais la réinsertion sociale, dont nous maintenons qu’elle est au fondement de la logique probatoire, est-elle soluble dans la prévention de la récidive ? En revenant à sa définition stricte, le terme de « prévention » peut regrouper l’ensemble des dispositions prises pour prévenir un danger, un risque, un 204 Titre I de la circulaire du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP 87 mal que l’on pourrait objectiver et mesurer. Il comporte aussi une dimension thérapeutique, de remède. Dans les services de probation aujourd’hui, au moment de décider du sort des probationnaires, l’accent est mis sur l’efficacité. Efficacité de la prise en charge, en opérant un classement. Efficacité à court-terme pour le délinquant aussi, par l’injonction à bâtir des stratégies d’évitement plus qu’à opérer une contextualisation socioéconomique de la délinquance. Le fait « d’apporter le soutien nécessaire en terme de réinsertion sociale » est présent dans les objectifs fixés par la circulaire. Il se situe à une place respectable (troisième position) mais ne semble plus être la priorité. Nous avions fait le choix de souscrire à l’enthousiasme pour l’efficacité des peines alternatives. Il semble que cela nous ait conduits à un effet pervers. La croyance en l’efficacité se matérialise dans les services en une injonction à l’efficacité. Les peines de probation sont devenues des modes de gestion de l’indignation sociale. Leur sens en est dès lors modifié voire dévoyé. L’objectif ambitieux de projet de réinsertion des condamnés, qui doit concerner l’ensemble de la société, passe par des logiques court-termistes et individualistes de prévention de la récidive. La réforme pénale a prévu 640 créations de postes de CPIP d’ici à 2017. Mais audelà de la question des moyens, c’est donc bien plus l’aspect qualitatif qui interroge. La loi renforce les pouvoirs de la police et de la gendarmerie aux fins de leur permettre de vérifier si les personnes placées sous main de justice en milieu ouvert respectent les obligations et interdictions auxquelles elles sont astreintes. La probation se meut en gestion sécuritaire des risques. 88 Bibliographie/Sitographie Articles et ouvrages - - - - - Alain ABECASSIS, La prison depuis quand ?, Toujours les prisons, Esprit, n° 11, 1979. Paul AMOR, La réforme pénitentiaire en France, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1947, vol. 1, p. 1-30. 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Eléments de connaissance sociodémographique des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, Agen, ENAP. Groupe de Créteil, Prévention de la récidive: Sortir de l’impasse, Pour une politique pénale efficace, innovante et respectueuse des droits, Créteil, 19 mai 2012. Ministère de la justice, Brochure de présentation de la Réforme pénale, Lutter contre la délinquance, Une réforme pénale au service des citoyens, octobre 2013. Observatoire international des prisons, Les conditions de détention en France, (dossier de presse), 7 décembre 2011. Dominique RAIMBOURG, Sébastien HUYGHE, Penser la peine autrement : propositions pour mettre fin à la surpopulation carcérale, Paris, Assemblée Nationale, Rapport n°652, 2013. Documents législatifs - - Circulaire de la DAP du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des services pénitentiaires d’insertion et de probation, 2008. Circulaire du 8 novembre 2011 relative au diagnostic à visée criminologique (DAVC). Décret n° 2011-1447 du 7 novembre 2011 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « application des peines, probation et insertion » (APPI), JORF n°0259 du 8 novembre 2011. Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales. Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire. Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Loi n°2008-174 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Loi du 17 juin 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire et l’injonction de soins. Projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, présenté au nom de M. Jean-Marc AYRAULT, Premier ministre, par Mme Christiane TAUBIRA, garde des sceaux, ministre de la justice, en conseil des ministres le 9 octobre 2013. 94 Ressources statistiques - Bureau des études et de la prospective, Séries statistiques des personnes placées sous main de justice 1980-2012, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2012. Ministère de la justice, Etude d’impact du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, NOR: JUSX1322682L, 7 octobre 2013. Ministère de la Justice. Prévention de la récidive et individualisation de la peine : chiffres clés. 2014. Ministère de la Justice, Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, Paris, Direction de l’administration pénitentiaire, 2015. Articles de presse - Guillaume de DIEULEVEULT, « Pourquoi la réforme pénale inquiète les policiers et les magistrats », Le Figaro Magazine, n°21863, 21-22 novembre 2014. Le Monde, La révolution Taubira contre la récidive, 20 août 2012. Articles numériques - - - - Institut pour la Justice. Réforme pénale : un arbitrage mensonger, laxiste et dangereux dont les Français feront les frais. 30 août 2013. En ligne. http://www.institutpourlajustice.org/wp-content/uploads/2013/08/CP-R%C3%A9formep%C3%A9nale-un-arbitrage-mensonger-laxiste-et-dangereux.pdf Le Monde.fr, « Les opposants à la réforme pénale s'alarment du "laxisme" du gouvernement ». 30 août 2013. En ligne. http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/30/les-opposants-a-la-reforme-penale-salarment-du-laxisme-du-gouvernement_3469144_3224.html#jzI5eXhkR4Rm1orC.99 Sonya FAURE, Le lexique Valls-Taubira de la réforme pénale. 9 septembre 2013. En ligne. http://www.liberation.fr/societe/2013/09/09/le-lexique-valls-taubira-de-la-reformepenale_930312 Alexandre BOUDET, Réforme pénale : la prison est-elle efficace contre la récidive ?, 3 juin 2014. En ligne. http://www.huffingtonpost.fr/2014/06/03/reforme-penale-prison-estelle-efficace-contre-recidive_n_5429927.html Sites internet - Ecole de Criminologie, Qu’est-ce que la criminologie ?, site internet de l’Université de Montréal. http://crim.umontreal.ca/notre-ecole/quest-ce-que-la-criminologie/ Syndicats de l’administration pénitentiaire : www.ugsp-cgt.org. / http://snepap.fsu.fr Lien donné par un agent en entretien : http://psychocriminologie.free.fr/ http://justice.gouv.fr http://conference-consensus.justice.gouv.fr/ 95 Annexe : Modèle du diagnostic à visée criminologique (DAVC)205 Situation pénale et respect des obligations : « Eléments de connaissance factuels et descriptifs » - Antécédents judiciaires, Incarcération antérieure éventuelle Etat des mesures Aménagement(s) de peine(s) antérieur(s) Respect de l’obligation de soins Indemnisation des parties civiles Respect de l’obligation d’exercer une activité Respect des obligations générales ou particulières Appropriation de la condamnation et reconnaissance de l’acte commis : « Degré de compréhension et d’appropriation de sa peine par la personne suivie » - Positionnement par rapport à la condamnation Positionnement par rapport aux faits Positionnement par rapport à la loi Place de la victime dans le discours Environnement social, professionnel et familial et/ou capacités personnelles au changement : « Causes de ruptures, d’échecs mais aussi de réussites de la personne suivie » - Contacts avec l’entourage familial, social : nature des liens La personne dispose-t-elle d’un environnement social structurant ? Positionnement de la famille par rapport à l’infraction et la situation pénale de l’intéressé Hébergement Situation au regard de la scolarité ou de la formation Situation au regard de l’emploi Situation financière Motivation de la personne à évoluer Mobilisation, capacité de la personne à agir Degré d’autonomie Capacité relationnelle Prise en charge médicale : « Identifier, sur information délivrée par la personne suivie, ses éventuelles prises en charge médicales et en déterminer la nature (somatiques, psychologiques, psychiatriques) » - Suivi engagé dans le cadre de l’obligation de soins Démarche de soins volontaires Hospitalisation Existence d’un traitement médicamenteux Orientation vers un partenaire Compatibilité de la problématique médicale avec une prise en charge SPIP Conclusion : « Eléments pouvant constituer des freins ou au contraire des atouts au travail avec la personne suivie » et « hiérarchisation et articulation des différents axes de travail » - Projet de la personne placée sous main de justice Avis, commentaires sur le projet Première analyse de la situation Objectifs de la prise en charge, moyens et modalités d’intervention 205 Xavier de LARMINAT, 2014, Hors des murs, p. 83, d’après la manière dont le DAVC se présentait dans l’application informatique APPI en mars 2012. Les citations entre guillemets sont extraites de la circulaire du 8 novembre 2011 relative à la mise en place du DAVC. 96 Table des matières Remerciements…………………………………………………………………………… iv Sommaire………………………………………………………………………………… vi Introduction générale………………………………………………………..1 Chapitre 1 : La prison, peine en perte de sens………………………………9 I – La consécration de la prison comme peine de référence………………………………….9 a) Avant la prison, le régime suppliciaire.......................................................................9 b) La prison comme progrès social ?............................................................................11 c) La prison, institution de pouvoir…………………………………………………...13 II – Justifier le recours à la prison…………………………………………………………..15 a) La prison : une simple réponse au crime ?................................................................15 b) Le retour du "grand enfermement" : vers un "populisme pénal" ?............................17 c) La prison : une voie vers la réinsertion ?..................................................................21 III – La situation française : la prison à la peine ?..................................................................24 a) Deux constats alarmants : la surpopulation carcérale et les conditions de détention.. …..24 b) L’échec des prisons françaises en matière de récidive : de la nécessité de la réforme ?.......27 c) La réforme de la prison, un mirage ?........................................................................29 Conclusion du chapitre 1…………………………………………………………………..31 Chapitre 2 : La probation, un renouvellement du sens de la peine ?...........32 I – Probation, alternatives… Les contours de la définition…………………………………32 a) Un nouveau sens de la peine : la prison en dernier recours………………………..32 97 b) De quoi la probation est-elle le nom ?.......................................................................35 c) Mesures en milieu ouvert et aménagements de peine………………………………36 - SME, TIG, LC, SSJ : les mesures les plus proches de la probation……...36 - Les aménagements de peine sous écrou………………………………….39 II – La probation : extension du contrôle ou renouveau salutaire ?........................................41 a) Sens des peines alternatives : un remède pire que le mal ?........................................41 b) Quelle mise en œuvre effective de la probation en France : un manque de lisibilité du sens de la peine ?..................................................................................................45 c) Défense de la probation : bienfaits de la peine et renouveau de la réflexion………48 III – La contrainte pénale, consécration totale de la probation en France ?............................51 a) Le processus législatif……………………………………………………………...51 b) Une approche innovante ?........................................................................................53 c) Les raisons d'une probation inachevée…………………………………………….55 Conclusion du chapitre 2…………………………………………………………………..58 Chapitre 3 : Quelle mise en œuvre de la probation ? L’action des SPIP….60 I – La lente mutation des services de probation et de ses effectifs : du travail social à l’influence de l’administration pénitentiaire……………………………………………….60 a) L’ancrage progressif dans l’administration pénitentiaire…………………………60 b) Des profils et des pratiques différenciées…………………………………………..65 c) L’uniformisation des parcours et des profils……………………………………….66 II – Les services de probation enserrés dans les logiques de modernisation et de rationalisation administrative……………………………………………………………...69 a) Une taylorisation croissante……………………………………………………….69 b) L’informatisation comme révélateur de la rationalisation…………………………72 98 III – Le référentiel criminologique comme paravent aux impératifs gestionnaires……...…75 a) L’émergence d’un paradigme criminologique dans la probation française……….75 b) Une application concrète des principes de la criminologie dans la probation française…..79 c) Modernisation administrative et rationalité pénale moderne : une recherche de l’efficacité………………………………………………………………………….81 Conclusion du chapitre 3…………………………………………………………………..85 Conclusion générale………………………………………………………...86 Bibliographie/Sitographie………………………………………………………………..89 Annexe : Le modèle du DAVC…………………………………………………………...96 99