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La Lettre du Gynécologue - n° 276 - novembre 2002
REVUE DE PRESSE
• L’ ovariectomie prophy-
lactique pour les femmes
porteuses d’une mutation
BRCA1 ou BRCA2
Rebbeck TR et al. Prophylactic oophorectomy in carriers of
BRCA1 or BRCA2 mutations. N Engl J Med 2002; 346: 1616-22.
Résumé
✔Introduction. Le but de cette étude était d’évaluer l’intérêt
de l’ovariectomie prophylactique dans la prévention du risque
de cancer de l’ovaire et du sein chez des patientes porteuses
d’une mutation d’un gène BRCA1 ou BRCA2.
✔Méthode. L’étude concernait 551patientes porteuses d’une
telle mutation et identifiées à partir de registres. L’incidence
du cancer de l’ovaire était étudiée dans une population de
259femmes ayant eu une ovariectomie bilatérale prophylac-
tique appariées avec 292femmes témoins n’ayant pas eu
d’ovariectomie prophylactique. L’incidence du cancer du sein
était étudiée dans un sous-groupe de patientes (n=241) n’ayant
pas d’histoire personnelle de cancer du sein ni de mastectomie
prophylactique. Parmi ces 241femmes, 99 avaient subi une
ovariectomie prophylactique et étaient appariées à 142femmes
témoins n’ayant pas eu d’ovariectomie prophylactique. Le
suivi postopératoire était au minimum de 8ans.
✔Résultats. Parmi les 259femmes ayant eu une ovariectomie
prophylactique, 6 (2,3%) avaient un cancer de l’ovaire au stade
I méconnu avant la chirurgie. Deux patientes (0,8%) ont
déve-
loppé une tumeur papillaire séreuse péritonéale 3,8 et 8,6ans
après
l’ovariectomie prophylactique. Parmi les contrôles, 58patientes
(19,9%) ont développé un cancer de l’ovaire après un suivi
moyen de 8,8 ans. En excluant les 6patientes pour lesquelles le
diagnostic de cancer de l’ovaire a été porté au moment de la chi-
rurgie, l’ovariectomie prophylactique diminue significativement
le risque de cancer épithélial de l’ovaire (hazard-ratio 0,04 ;
IC95: 0,01-0,16). Concernant le risque de cancer du sein, 21
(21,2%) des 99 femmes ayant eu une ovariectomie prophylac-
tique ont développé un cancer du sein versus 60 (42,3%) parmi
les 142 contrôles (hazard-ratio 0,47, IC95 : 0,29-0,77).
✔Conclusion. Chez les femmes porteuses d’une mutation
constitutionnelle du gène BRCA1 ou BRCA2, l’ovariectomie
prophylactique diminue significativement le risque de cancer
épithélial de l’ovaire et de cancer du sein.
Commentaire
Une mutation constitutionnelle du gène BRCA1 ou BRCA2
augmente de façon considérable le risque pour une femme de
développer au cours de sa vie un cancer du sein ou de l’ovaire.
Ainsi, une femme porteuse d’une mutation des BRCA1 a 50 à
85 % de risques de développer un cancer du sein au cours de
sa vie et 20 à 40% de risques de développer un cancer de
l’ovaire. Pour BRCA2, le risque de cancer du sein est équiva-
lent à celui de BRCA1, et le risque de cancer de l’ovaire est de
10 à 20 % (1). Lorsqu’une patiente consulte, pour un cancer du
sein le plus souvent, ou plus rarement de l’ovaire, c’est l’accu-
mulation de plusieurs cas familiaux ou le jeune âge au moment
du diagnostic du cancer qui doivent faire évoquer une possible
prédisposition génétique. Si une mutation est identifiée, se
pose alors la question d’une chirurgie prophylactique, pour la
patiente, mais également pour ses apparentées si elles sont por-
teuses de la même mutation (2). Les résultats rapportés par
Rebbeck confirment le bénéfice majeur de l’ovariectomie pro-
phylactique dans cette population à haut risque.
Plusieurs remarques doivent être faites :
✔La première concerne les six cas de cancer de l’ovaire au
stadeI diagnostiqués au moment de la chirurgie. Cela nous
rappelle l’inefficacité actuelle de nos techniques de dépistage
du cancer de l’ovaire à un stade curable. Elle indique égale-
ment la nécessité de réaliser cette chirurgie prophylactique dès
lors que les projets de grossesse sont réalisés, car si l’âge
moyen au diagnostic du cancer dans la population globale était
de 50,8ans, la plus jeune patiente était âgée de 30ans.
✔Une seconde remarque est que l’ovariectomie prophylac-
tique ne supprime pas le risque de tumeur primitive du péri-
toine (liée aux dérivés mülleriens) dont le comportement est
identique à celui des cancers de l’ovaire. Les patientes doivent
être prévenues de cette éventualité, heureusement très rare.
Enfin, dans certains cas, la question de persistance de reliquats
ovariens à l’origine d’un cancer de l’ovaire après ovariectomie
prophylactique a été évoquée.
L’ovariectomie prophylactique diminue non seulement le
risque de cancer de l’ovaire, mais également celui de cancer du
sein. Cette diminution de risque est observée, alors même que
75,8 % des patientes ovariectomisées ont utilisé un traitement
substitutif de la ménopause. Ce résultat est fondamental, car
une castration sans substitution chez des patientes jeunes pour-
rait faire perdre sur le plan de l’ostéoporose, des maladies car-
diovasculaires et des fonctions cognitives ce que l’on aurait
voulu gagner sur le risque carcinologique.
Chez les femmes porteuses d’une mutation de BRCA1 ou de
BRCA2, la mastectomie prophylactique a également montré
son efficacité dans la diminution du risque de cancer du sein
(3). La question est donc de savoir jusqu’où il faut pousser les
gestes de chirurgie prophylactique. Les problèmes se posent un
peu différemment pour le sein et pour l’ovaire, parce que le
retentissement sur l’image corporelle est plus important dans
le cadre de la chirurgie mammaire, et parce qu’un diagnostic
précoce de cancer du sein est possible. Le rôle du praticien
doit être de délivrer les informations les plus précises possible
permettant à chaque patiente de choisir par elle-même. Mais
cette tâche est loin d’être simple.
Y. Ansquer
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1.
Ford D, Easton DF, Stratton M et al. Genetic heterogeneity and penetrance
analysis of the BRCA1 and BRCA2 genes in breast cancer families. Am J Hum
Genet 1998; 62: 676-89.
2.
Burke W, Daly M, Garber J et al. Recommendations for follow-up care of
individuals with an inherited predisposition to cancer. II. BRCA1 and BRCA2.
JAMA 1998; 277: 997-1003.
3.
Meijers-Heijboer H, Van Geel B, van Putten WLJ et al. Breast cancer after
prophylactic mastectomy in women with a BRCA1 or a BRCA2 mutation.
N Engl J Med 2001; 345: 159-64.
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