Cancer Sommaire • Les principaux facteurs de risque : un pas vers la prévention • Annonce du diagnostic : jeter les bases de la communication • Les traitements : de mieux en mieux ciblés • Dénutrition : un élément souvent sous-estimé • La douleur : prendre le temps d’écouter • ASCO : des axes de recherche Préserver la qualité relationnelle En France, le cancer concerne 700 000 personnes. Cancer : un mot encore tabou. Cancer : une maladie parfois évitable et qui, diagnostiquée tôt, a même des chances de guérir. Cependant, soigner un malade atteint de cancer modifie la façon d’appréhender le soin, notamment en respectant sa qualité de vie et en acceptant parfois de soigner sans objectif formel de guérir. Problème : il y a de plus en plus de cancers et de moins en moins de cancérologues. ier maladie mortelle à court terme, le cancer est aujourd’hui considéré comme une affecH tion chronique, même si l’adjectif est rejeté par certains car il dénote un manque d’espoir. Plus de 60 % des patients atteints d’un cancer profitent d’un bon pronostic. En quelques années, la durée de survie moyenne a été augmentée de plus de 5 ans pour 75 % des malades. Le cancer devient donc une maladie chronique, dont la prise en charge demande au personnel soignant de modifier son exercice puisqu’il s’étend désormais sur une durée plus ou moins longue, depuis l’annonce de la maladie jusque dans le suivi des éventuelles rechutes et, parfois, celui d’une issue nécessitant l’accompagnement de soins palliatifs. Les traitements sont souvent lourds et exigeants. Et les soignants doivent gérer une autre façon d’envisager la maladie : soigner sans forcément guérir. Soigner dans le respect d’un patient qui demande désormais de vivre mieux, malgré tout et non en dépit de tout. Épidémiologie Chaque année, 250 000 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués. L’augmentation du taux des maladies détectées est identique en valeur absolue à la diminution de celui de la mortalité, soit annuellement environ 1,5 %. Cependant, un décès sur dix est dû au cancer : il est au premier rang chez l’homme et constitue la première cause de mortalité avant 65 ans tous sexes confondus, avec quelques différences selon les atteintes. Ainsi, le cancer du sein est la première cause de mortalité chez la femme, avec 22 000 nouveaux cas détectés chaque année en France. Très rare avant l’âge de 30 ans, il voit sa fréquence augmenter chez les femmes jusqu’à l’âge de 75 ans et cause environ 10 000 décès par an. Son taux est en moyenne de 35 pour 100 000 ; il passe de 10 pour 100 000 entre 35 et 45 ans à 80 pour 100 000 vers 65 ans et 150 pour 100 000 après 80 ans. L’âge est un facteur de variabilité, mais la géographie également : le gradient est nord-sud, avec des taux plus élevés dans les pays du Nord de l’Europe, mais des pourcentages très faibles au Japon, à Singapour et à Hong Kong. Au sein même de l’Hexagone, on retrouve le même gradient, avec une atteinte moins forte au Sud qu’au Nord, sans différence significative entre les zones urbaines et rurales. Sur tous les nouveaux cas annuels de cancer, 65 % sont des cancers du côlon. Rare avant 50 ans (< 6 % des cas), ce dernier devient fréquent après 70 ans, âge moyen de son diagnosProfessions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 ●●● 21 Cancer ●●● tic. Le taux des décès (15 à 16 000 décès par an) est resté stable ces vingt dernières années malgré une incidence en hausse. Son taux de survie à 5 ans est de 41 %, d’où l’importance de sa détection précoce (Hémocult II, coloscopie). Soixante à 80 % des cancers rectocoliques proviennent de la transformation carcinomateuse d’un adénome : ils se répartissent à parts égales entre le côlon gauche et le côlon droit, un tiers seulement de ceux du côlon droit se “cancérisent”. Après 65 ans, un tiers de la population est atteinte d’adénomes, dont 10 % atteindront 1 cm et 2,5 % deviendront malins. Les adénomes villeux présentent cependant un risque beaucoup plus important de dégénérescence, 15 % contre 1 à 10 % pour les tubuleux. En revanche, ce n’est qu’exceptionnellement que des adénomes de petite taille deviennent carcinomateux, ce qui signifie que l’exérèse coloscopique est un excellent moyen de diminuer l’incidence d’apparition de ce type de cancer et la mortalité. La récidive à trois ans des polypes de plus d’un centimètre est de 3 %. Prédominant chez l’homme, l’incidence annuelle du cancer du poumon est de 70 pour 100 000 ; elle est de 10 pour 100 000 chez la femme. Mais ce dernier taux ne cesse de croître. Rare avant 40 ans, l’âge moyen d’apparition est de 61 ans. Sa gravité est extrême puisque la mortalité à un an, toutes formes confondues, avoisine 75 % et la survie à 5 ans est, elle, inférieure à 10 %. En 1995, ce cancer a été responsable de 23 922 décès, soit un taux brut de 41,2 pour 100 000, 16 % de l’ensemble des décès par tumeurs. Deuxième cause de décès par cancer chez la femme, proche de celui du poumon mais derrière celui du sein, le cancer du col de l’utérus tue encore 2 500 femmes chaque année en France. La mortalité est en baisse mais inégalement répartie selon les âges. En résumé, le cancer du sein en termes de nouveaux cas est le premier, suivi par celui de la prostate, du poumon et du côlon. En termes de morbimortalité, l’ordre est le suivant : poumon, puis côlon, avant le sein et la prostate (AFP 06/2001). Jacques Bidart Les principaux facteurs de risque Un pas vers la prévention Ces dernières années, on a mieux compris les mécanismes de déclenchement des cancers. Ce qui a eu pour effet de mieux adapter les traitements et cerner certaines causes qui, comme le tabac, font l’unanimité. our certains cancers, on connaît mieux les facteurs de risques, qu’ils soient d’origine génétique, environnemental, voire alimentaire. En voici quelques exemples. P Le facteur génétique L’incidence hormonale sur le cancer du sein semble démontrée, mais essentiellement pour les hormones endogènes. Il n’en est pas de même pour les facteurs hormonaux exogènes (que ce soit un traitement contraceptif oral ou un traitement hormonal substitutif appelé THS). Parmi les facteurs endogènes interviennent l’âge de la première grossesse, le nombre de celles-ci, et l’âge de survenue de la ménopause. En effet, plus les premières règles sont apparues tôt (avant 13 ans), plus le risque de cancer est important (deux fois plus). Une première grossesse tardive (après 35 ans) présente également un risque 22 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 plus élevé, ainsi qu’une ménopause après 55 ans. L’allaitement maternel a, lui, un rôle protecteur. L’importance de “la fenêtre œstrogénique” (période comprise entre les premières règles et la ménopause) semble confirmer le rôle hormonal endogène avec une œstrogéno-responsabilité endogène, facteur favorisant de la carcinogenèse. En revanche, aucune démonstration n’a pu être faite d’une quelconque responsabilité d’un apport hormonal exogène, qu’il s’agisse d’une contraception orale, même prolongée au-delà de 10 ans, ou d’un THS (un rôle protecteur est même possible). Certains cancérologues estiment même qu’un THS ne serait pas une contreindication formelle après un cancer du sein. Outre les facteurs génétiques, les facteurs environnementaux sont à considérer, même si, en dehors des radiations ionisantes, aucun n’a pu être réellement identifié. Ainsi, il est troublant de Le facteur environnemental Outre le cancer de la peau, souvent dû à l’exposition solaire ou aux agents agressifs, le cancer bronchopulmonaire est le prototype du cancer dû aux facteurs environnementaux. L’incidence du tabac est formellement démontrée, car, s’il existe une certaine récurrence familiale, 85 % des décès par cancer bronchopulmonaire sont imputables au tabagisme. Ce risque augmente considérablement avec la dose mais surtout avec la durée de l’exposition. Ainsi, une personne ayant fumé 10 cigarettes par jour pendant 20 ans encourt un risque 10 fois plus élevé qu’un sujet ayant fumé 20 cigarettes par jour pendant 10 ans, avec, pourtant, une même consommation globale, égale à 10 paquets-années. En revanche, 15 ans après l’arrêt du tabac, la courbe de survie de l’ancien fumeur rejoint celle du non-fumeur. On ne doit pas non plus occulter le tabagisme passif : les conjoints de fumeurs ont en effet un risque supérieur de 30 % de développer la maladie comparés aux conjoints de non-fumeurs. A © Dr Amar/Phanie constater que les femmes japonaises, peu sensibles à cette forme de cancer au Japon, présentent dès la deuxième génération des taux identiques aux femmes des pays dans lesquels elles ont migré. Un doute persiste sur la prédisposition environnementale contrairement à la prédisposition génétique : le risque ordinaire pour une femme d’être atteinte par la tumeur au cours de sa vie est en moyenne d’un sur neuf, mais il est d’un sur quatre, si sa mère a été atteinte. A ce jour, deux gènes responsables ont été retrouvés sur les chromosomes 13 et 17, BRCA 1 et 2 peutêtre même trois : il s’agirait en fait d’une mutation génétique de gènes suppresseurs de tumeurs à l’état normal. Les mutations, trop nombreuses, entre 300 et 500, en rendent la détection impossible sur une population générale. Le BRCA autosomique dominant se transmet en effet d’une population à l’autre, indifféremment par le père ou la mère. Une mutation familiale doit être suspectée s’il existe, au sein d’une même famille, trois cancers du sein ou de l’ovaire à un âge précoce, chez des parents de premier ou de deuxième degré. côté du tabac, ou plutôt bien loin derrière lui, on retrouve les polluants professionnels comme l’arsenic, l’amiante, les composés du nickel, les goudrons de houille ou le radon. Ils sont aussi “coupables” de déclencher des cancers, mais leur fréquence est bien inférieure. La pollution atmosphérique est plus difficile à incriminer. Un seul fait cependant doit interpeller : la mortalité par cancer bronchopulmonaire est plus élevée en zone urbaine qu’à la campagne. L’origine virale Pour le cancer du col de l’utérus, le virus Papillomavirus est un “présumé coupable”. En cas de dysplasie, ce virus à double brin d’ADN sans enveloppe est très souvent retrouvé. En s’introduisant dans une cellule normale, grâce à deux zones de codage, il transforme une multiplication cellulaire normale en une prolifération anarchique : c’est le début du processus de carcinogenèse. Mais, pour que celle-ci se déclenche, des cofacteurs sont nécessaires tels le tabac ou un déficit immunitaire, comme peuvent l’être également une insuffisance de surveillance gynécologique, mais aussi un premier rapport sexuel très ●●● Un gène suspecté de déclencher le cancer de la prostate Localisé sur le chromosome 1, un gène suspect de causer le cancer de la prostate code une enzyme, la ribonucléase, avec un effet suppresseur tumoral. Sa mutation ferait cesser cette action de nettoyage, laissant alors le processus tumoral se développer. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 23 Cancer ●●● Le facteur alimentaire En ce qui concerne le cancer du côlon, quelles sont les données disponibles sur les relations entre l’alimentation et les cancers colorectaux ? Ce sont en premier lieu l’excès calorique et la sédentarité. Mais il existe aussi une importante corrélation entre une forte consommation de graisses et de protéines animales et la mortalité par cancer colorectal. Corrélation également retrouvée avec une consommation excessive d’alcool et de sucres, mais aussi de tabac. En revanche, un rôle protecteur de la consommation de fruits et de légumes existe. Ce rôle est également attribué aux fibres, dont la meilleure est le son de blé, et aux mucilages. Les vitamines, le calcium, les oligo-éléments semblent aussi bénéfiques, mais de manière moins évidente. jeune et, beaucoup plus infestant, la multiplicité des partenaires. L’origine bactérienne En ce qui concerne le cancer de l’estomac, une démonstration récente tend à prouver que certaines souches de Helicobacter pylori, une bactérie qui peut infecter jusqu’à 50 % de la population, inocule dans les cellules gastriques un facteur de virulence Cag A, qui, par interaction avec une protéine cellulaire SHP-2, peut entraîner une transformation cancéreuse. Helicobacter pylori, qui provoque gastrites et ulcères gastriques, est encore insuffisamment dépisté par les médecins, ce qui est dommageable, car un traitement par inhibiteur de la pompe à protons et par antibiotiques peut éradiquer la bactérie à un pourcentage élevé. J.B. Annonce du diagnostic Jeter les bases de la communication Le traitement des cancers devenant un combat de longue durée, il nécessite donc de ne pas manquer le départ. A ce stade, et tout au long de la thérapie, l’information doit être l’élément essentiel de la communication, dévolue, pour une part importante, à l’infirmière. lusieurs enquêtes le montrent. Le malade a besoin d’informations sur sa maladie, son traitement et l’incidence de ce dernier sur sa qualité de vie et celle de son entourage, et sur ses éventuelles chances de guérison. Un des aspects importants du travail infirmier est la transmission de l’information. Cette communication, pour partir sur des bases saines, ne doit pas faire l’économie de l’annonce de mauvaises nouvelles comme peut l’être celle du diagnostic. Cette nouvelle, donnée à la suite d’une batterie d’examens porteurs de doutes, modifiera radicalement l’avenir du soigné mais ne doit pas modifier la relation à l’intérieur des soins. L’adaptation ultérieure du soigné, sa participation aux soins dépendent en grande partie, selon les psycho-oncologues, de la façon dont le patient vit l’annonce de sa maladie. Les stress du soignant et du soigné vont alors se rejoindre dans un moment douloureusement crucial. Il est souvent préférable que le patient soit accompagné, car l’adhésion de la famille est essentielle. Et l’idéal est de préfigurer dès le début, en équipe, ce que l’on souhaite mettre en place. Le choc à l’annonce du diagnostic peut provoquer plusieurs types de réactions, qu’il faut connaître. Soit, paradoxalement, un soulagement, après de longues semaines de doutes 24 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 © Burger/Phanie P Quelle que soit la réaction à l’annonce, il faut essayer de positiver, de ne pas laisser s’installer un doute lié à un vide de communication, d’information. Il faut immédiatement proposer des solutions à ce qui ne peut être ressenti que comme un grave problème : « Nous allons commencer par des médicaments qui vont faire..., puis ensuite... et, dans un délai de X mois, on fera un point ». Tous ces éléments d’information permettent au patient d’effectuer une mise en perspective et lui offrent un avenir au moment où tout pourrait s’effondrer. En informant correctement le patient, en lui faisant comprendre sa maladie, l’infirmière le rassure et l’amène à une collaboration garante des résultats thérapeutiques. anxiogènes, soit un sentiment de révolte : « Pourquoi moi, qu’ai-je fait pour mériter cela ? » C’est aussi, parfois, une sensation de condamnation à mort, avec une véritable sidération qui fait que plus aucune information ne pourra passer pendant de longs instants. Dans ce cas, le rôle “d’accompagnement” de l’infirmière est essentiel : elle pourra, à l’issue de la consultation, proposer au patient de prendre un café et de discuter un moment, et elle ne le laissera jamais repartir dans un tel état. Une autre forme de réaction est la théâtralisation de l’annonce avec, très vite : « Dites-moi simplement que je suis foutu ». Là encore, l’écoute est essentielle afin de dépister une éventuelle tendance suicidaire. J.B. Les traitements De mieux en mieux ciblés Les progrès thérapeutiques sont constants. La chimiothérapie sera de moins en moins le seul traitement. Elle est déjà associée à la radiothérapie et la chirurgie, et certains malades sont traités avec les anticorps mononucléaux, les modificateurs de l’angiogenèse, les traitements anti-sens, etc. es chimiothérapies orales se développent de plus en plus, remplaçant les perfusions Lconsidérées par les malades comme agressives. matopoïétiques sont autant de traitements qui accompagnent celui de la maladie cancéreuse elle-même. Désormais, le recours à la chirurgie oncologique est moins systématique et, en tout cas, moins mutilante, plus conservatrice. Profitant des progrès de l’imagerie médicale, elle s’associe à d’autres thérapeutiques : chimiothérapie, radiothérapie, radiochimiothérapie (perfusion de chimiothérapie en continu pendant toute la durée de la radiothérapie). Ce qui était un traitement adjuvant de l’acte chirurgical occupe dorénavant une place à part entière. © Voisin/Phanie Les antiémétiques, les biphosphonates, les protecteurs cardiaques, les facteurs de croissance hé- La chimiothérapie Dans les années 80, n’étaient utilisées qu’une vingtaine de thérapies chimiques, que ce soit la doxorubicine, le cyclophosphamide, le cisplatine, la vincristine, le 5-fluoro-uracile (5-FU). Depuis, de nouvelles molécules sont à disposition comme les taxanes, l’oxaliplatine, la gemcitabine, l’irinotécan et le topotécan. La connaissance de leur mécanisme d’action explique leurs effets secondaires. En atteignant l’ADN des cellules tumorales, elles agressent la moelle hématopoïétique, surtout les globules blancs neutroProfessions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 ●●● 25 Cancer ●●● 26 philes. Mais leur atteinte est aussi digestive, avec stomatite et diarrhée. Pour les nausées et vomissements, le mécanisme d’action d’origine à la fois centrale et périphérique est plus complexe. Des neurotoxicités périphériques, des atteintes cardiaques, voire gonadiques, peuvent être aussi observées à plus long cours. Les différentes familles de médicaments disponibles sont réparties en alkylants qui agissent sur l’ADN des cellules. Ils peuvent se présenter sous forme de moutardes azotées ; ils risquent alors d’entraîner une cystite, voire des cancers secondaires. La thiotépa et la mitomycine sont susceptibles de causer une anémie hémolytique et/ou une insuffisance rénale. Lorsque ce sont des nitroso-urées (carmustine, fotémustine, streptozocine et témozolomide), leur risque principal est rénal. Les organoplatines comprennent le cisplatine (néphrotoxique, émétisant, neurotoxique pour l’oreille interne), l’oxaliplatine, la procarbazine et la dacarbazine. A côté des alkylants, les intercalants agissent aussi sur l’ADN. Parmi eux : les inhibiteurs de la topo-isomérase I, dont l’irinotécan qui provoque une toxicité sanguine (neutropénie) et une diarrhée. Le topotécan est myélotoxique. Faisant partie de la même famille, les inhibiteurs de la topo-isomérase II, les anthracyclines (doxorubicine, épirubicine, daunorubicine, pirarubicine) sont surtout cardiotoxiques. Le mitoxantrone et l’étoposide sont, eux, cardiotoxiques et myélotoxiques. Toujours dans la même famille, l’amsacrine est responsable de toxicité pulmonaire. Après les alkylants et les intercalants, les antimétabolites, dont les antipurines et antipyrimidiques, ont une toxicité digestive et rénale. Ces antimétaboliques peuvent être des analogues pyrimidiques : le 5-FU avec le risque de syndrome cutané main-pieds, la cytarabine, la gemcitabine avec des perturbations hépatiques transitoires, mais aussi les analogues des purines (mercaptopurine, fludarabine, cladribine) entraînant des risques de fièvre et d’infections. Il peut s’agir aussi des analogues de l’acide folique : le méthotrexate et son risque de toxicité pulmonaire, le raltitrexed, toxique au niveau hépatique et hématologique avec, éventuellement, une insuffisance rénale péjorative. On retrouve aussi les inhibiteurs de la formation du fuseau mitotique comme les alcaloïdes de la pervenche : la vincristine, la vindésine, la vinblastine, la vinorelbine. S’ils sont peu myélotoxiques, ils sont en revanche neurotoxiques, et veinotoxiques pour la vinorelbine (préférer alors un cathéter veineux central). Comme stabilisaProfessions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 teur du fuseau mitotique, on retrouve le paclitaxel qui n’est pas myélotoxique ; mais il entraîne des myalgies et des arthralgies, et il augmente le risque de cardiopathie quand il est associé à d’autres médications. Le docétaxel est, lui, myélotoxique et provoque un syndrome œdémateux. Enfin, un anticorps humanisé, au rôle mal élucidé, a été développé depuis quelques années : le trastuzumab. Utilisé en monothérapie ou en association, son efficacité est plus grande chez les patientes dont la tumeur présente une surexpression de l’oncogène Her2. Sa toxicité principale est surtout cardiaque, potentiellement aggravée par une association avec le paclitaxel. Comment traiter les effets secondaires ? Quelle que soit la plainte, l’écoute attentive est le premier traitement. Un questionnement précis peut orienter vers des méthodes parfois très pratiques, qui soulagent le patient en dehors des médicaments ; ces derniers existent mais ils agissent différemment selon l’individu. Traiter les nausées et les vomissements n’est pas toujours chose simple : les antiémétiques sont plus efficaces préventivement que curativement. Les femmes ayant eu ce genre de problème lors de leur grossesse, présentant un mal des transports ou un état anxieux chronique, sont plus sujettes à ces troubles. Pour éviter leur survenue, les cocktails associant un anti-5HT3, un corticoïde et un anxiolytique sont utilisés. Survenant entre le 7e et le 10e jour suivant la chimiothérapie, la neutropénie est éventuellement grave si elle est accompagnée de fièvre. Elle devient agranulocytose si elle est inférieure à 0,5 g/l. Le traitement est alors employé à domicile, par injections sous-cutanées, à raison de 5 µg/kg/j. Celles-ci permettent de raccourcir la durée de la période de neutropénie et de limiter les complications infectieuses. Le traitement antibiotique ne se justifie pas en cas de granulopénie isolée, sans fièvre ni signe infectieux. Il est essentiel, en période de granulopénie, de respecter des règles d’hygiène strictes comme un lavage des mains soigneux de tous les personnels soignants, le port de masque et de gants, et un certain isolement par rapport à des patients potentiellement contaminants. Des complications peuvent survenir aux points d’injection des chimiothérapies, comme une phlébite sur veine périphérique. Celle-ci sera alors traitée par des anti-inflammatoires locaux et prévenue par la pose d’un cathéter veineux central. Ce dernier n’est pas non plus exempt de ●●● Cancer ●●● risque de complications (thromboses ou infections) qui doivent être détectées à temps, en sachant que le risque est lui-même majoré par l’action thrombogène des cancers. Par ailleurs, la chimiothérapie facilite les infections nosocomiales. L’anémie survient au décours du traitement chimiothérapique, surtout si celui-ci comprend des sels de platine. Même si son origine est souvent multifactorielle (inflammatoire, toxique), il importe de s’assurer de l’absence de carence martiale chez un patient trop souvent dénutri, écœuré par l’alimentation. Il ne faut pas hésiter à vérifier, avec le patient, l’état de son réfrigérateur. La thrombopénie est souvent la suite de traitements aux sels de platine ou nitroso-urés, en cas de radiothérapie étendue ou de métastases multiples. Si la thrombopénie est < 25 g/l, des transfusions plaquettaires sont nécessaires. Incontournable, fréquente et mal acceptée, l’alopécie est prévenue par l’utilisation d’un casque réfrigérant pendant la perfusion, si le patient le supporte. Bloquer la signalisation cellulaire Jusque récemment, deux grands types de médicaments étaient utilisés pour soigner les cancers. Les uns interagissaient avec l’ADN, soit directement, en s’attaquant à lui, soit indirectement, en empêchant sa synthèse ou sa réplication. Les autres empêchent le bon déroulement de la division cellulaire en inhibant une protéine essentielle, la tubuline. Les cellules tumorales étant capables de s’adapter, donc de résister, l’efficacité de la chimiothérapie se trouve limitée dans certains cas. De nouvelles méthodes de traitement issues de la recherche en biologie moléculaire et cellulaire ont été mises au point. Les recherches ont notamment permis de découvrir de nombreux gènes et protéines dont on connaît mieux le rôle. Des protéines impliquées dans la signalisation cellulaire ont été identifiées. L’idée est donc née de contrôler les cancers en bloquant les voies de signalisation cellulaire. Il existe plusieurs molécules. Le cétuximab (nom de code : C225) bloque les récepteurs du facteur de croissance EGF (epidermal growth factor) de type R1 (en association à la chimiothérapie, côlon). L’Herceptin® (trastuzumab) bloque les récepteurs de l’EGF de type c-erb B2 (sein). L’Iressa® (ZD1839) bloque la partie intracellulaire de ces deux types de récepteurs (poumon). Le Glivec® (imatinib mésilate) bloque les récepteurs du facteur de croissance PDGF (platelet derived growth factor), il concerne les leucémies myéloïdes chronique et les sarcomes du tube digestif. 28 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 La diarrhée est un effet secondaire lié aux doses thérapeutiques utilisées : il suffit parfois de diminuer les doses du produit incriminé, que ce soit l’irinotécan ou le 5-FU, pour la faire cesser. Sinon, les antidiarrhéiques classiques peuvent être utilisés. Associées à des vomissements, de la fièvre, une neutropénie et une diarrhée peuvent faire craindre une complication infectieuse, notamment si une diverticulose colique préexiste. La stomatite est une complication fréquente, aux causes multiples : infectieuse, mycosique, toxique. Son traitement repose sur les bains de bouche au bicarbonate, aux anti-infectieux, aux antimycosiques. Un traitement per os est plus rarement utile. Ce traitement curatif est souhaitable en préventif et sera administré plusieurs fois par jour. Une toxicité rénale aiguë est possible avec le cisplatine. Afin de prévenir les effets secondaires des chimiothérapies, il est possible d’administrer des chimioprotecteurs. En ce qui concerne l’angiogenèse, il est possible d’inhiber la croissance des cellules tumorales en empêchant la transmission du signal de prolifération par blocage du récepteur membranaire au VEGF (vascular endothelial growth factor : facteur de croissance des cellules endothéliales) ou inhibition d’une kinase sous-membranaire. La radiothérapie Si la radiothérapie est centenaire, ses progrès sont surtout marqués depuis quelques années. Sont essentiellement utilisés les accélérateurs d’électrons et le télécobalt. Les photons émis par le cobalt ou l’accélérateur pénètrent en profondeur, irradiant moins les tissus superficiels. En dehors de la radiothérapie transcutanée, la curiethérapie implante, sous forme de fils, de tubes ou d’aiguilles, des corps radioactifs in situ (iridium ou césium). Les doses d’irradiation sont mesurées en grays (Gy). Au début d’une radiothérapie, le fractionnement des doses (nombre de séances) et la durée totale du traitement doivent être définis. Habituellement, au cours d’une radiothérapie, une dose de 10 Gy par semaine, en 4 à 5 séances, est ainsi délivrée. Les progrès sont liés surtout au développement de l’imagerie en trois dimensions et de l’informatique, rendant possible la mise au point d’une radiothérapie ciblée ou conformationnelle. Celle-ci permet de déterminer un champ d’irradiation très proche de la conformation de la tumeur, épargnant mieux les tissus sains du voisinage. L’irradiation est produite par plusieurs faisceaux, souvent concentriques. Les réglages directionnels, en forme comme en dimension, sont choi- ●●● © P. Garo/Phanie Cancer ●●● sis pour optimiser l’irradiation sur la cible tumorale. Cette irradiation fait suite à un repérage radiologique couplant, si nécessaire, scanographie et résonance magnétique. Le volume tumoral défini détermine les réglages. Seule une limitation du nombre des appareils freine cette radiothérapie appelée à remplacer dans un avenir proche la radiothérapie classique. La protonthérapie utilise, elle, un faisceau de protons pour les tumeurs touchant des organes fragiles (le cyclotron de Nice produit ce type de protons). La chimioradiothérapie permet d’améliorer les résultats thérapeutiques, notamment des tumeurs localement très évoluées (cancers du larynx, des bronches, de l’œsophage). Radiothérapie et soins infirmiers Les complications aiguës de la radiothérapie sont essentiellement cutanées. Elles apparaissent surtout pour des irradiations supérieures à 30 Gy par semaine et sont fréquentes au niveau des plis inguinaux et fessier, du sillon mammaire. Plus le rayonnement est de haute énergie (cobalt, accélérateur), moins elles sont importantes. En cours d’irradiation, il faut éviter de porter des vêtements trop serrés, des sous-vêtements en matière synthétique. On doit aussi éviter l’application de toute solution alcoolique au niveau de la peau, que ce soit en lotion (après-rasage) ou en parfum. Le savon de Marseille est à préférer. Il convient également d’éviter l’utilisation d’adhésifs sur des zones irradiées et, cela va de soi, l’exposition solaire. Les pommades et crèmes, qui favorisent la macération, irritent, et sont donc à bannir. Plus gênantes, au point de causer un arrêt de la radiothérapie, les complications muqueuses peuvent provoquer une mucite oropharyngée débutant par une hypersalivation. Elle est vite douloureuse, avec une dysphagie et le développement d’un érythème avec enduit purulent. 30 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 38 - juin-juillet 2002 En cas d’irradiation médiastinale, une œsophagite est à craindre contre laquelle sont efficaces les antisécrétoires, les pansements, voire si besoin, les anesthésiques locaux. Diarrhée et vomissements sont possibles dans les minutes mais aussi les heures qui suivent l’irradiation. Dans ce cas, il faut peser le malade pour apprécier le retentissement du traitement et conseiller préventivement un régime pauvre en résidus, en graisses et en laitages. Un ulcère gastrique aigu comme un syndrome occlusif imposant l’arrêt de tout traitement peuvent se déclarer. En cas d’irradiation pelvienne, une cystite ou une surinfection microbienne vésicale sont à craindre. De même, une rectite avec ténesmes fréquents et écoulements glaireux est pénible, nécessitant des lavements aux corticoïdes et à la vitamine A. En cas d’irradiation de métastases osseuses, on peut observer, au début du traitement, une exacerbation des douleurs. Pendant les huit premiers jours critiques, il est alors nécessaire d’accentuer les doses d’antalgiques. En fonction du volume irradié, on doit, par une formule sanguine hebdomadaire, détecter une atteinte hématologique toujours possible. En cas d’irradiation céphalique, un œdème cérébral est prévenu par la prescription de corticoïdes. Des complications tardives sont souvent définitives comme une atteinte du goût, de la salive. Préventivement, un bilan stomatologique préalable est indispensable avec, si nécessaire, les avulsions dentaires. Le port de gouttières fluorées est fortement recommandé. Pouvant survenir trois ans après l’irradiation, la myélite commence par des troubles sensitifs des extrémités et peut se compléter jusqu’à la paraplégie spasmodique. L’atteinte radique du cristallin est cause de cataracte (utiliser des caches oculaires en plomb). Une fibrose pulmonaire postradique est possible, de même qu’une médiastinite, une péricardite ou encore une hypothyroïdie. L’observation et l’écoute du patient peuvent aider à détecter à temps ces pathologies douloureuses qui l’affaiblissent. J.B. Le ganglion sentinelle Comme pour les cancers du sein ou le mélanome, en cas de cancer colique, l’envahissement d’un ganglion sentinelle (N+) justifie la prescription d’une chimiothérapie adjuvante. L’atteinte du premier relais lymphatique entraînera, pour le sein, un curage ganglionnaire chirurgical. Cette notion permet d’optimiser la recherche essentielle de micrométastases.