Pharmacovigilance en oncologie 1 PhARmACOLOGIE

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pharmacologie
Pharmacovigilance
en oncologie1
Pharmacovigilance in oncology
C. Riche*, D. Carlhant*
Définition
de la pharmacovigilance
1 La Lettre du Pharmacologue 2008;
22(3):87-91.
* Centre régional de pharmacovigilance de Brest, Hôpital de la CavaleBlanche, Brest.
La pharmacovigilance est une activité réglementée,
encadrée par un certain nombre de textes en
France (1-3, 5) et en Europe. En revanche, le terme
“pharmacovigilance” est perçu différemment par
les divers acteurs de santé (le public, les juges)
et recouvre des champs d’application extrêmement différents. On peut classer les définitions
successives de la pharmacovigilance selon l’évolution historique du concept, mais aussi selon le
développement, au sein du monde médical, des
notions de sécurité, de risque, de prévention et
de précaution.
Historiquement, la pharmacovigilance est apparue
avec l’affaire du thalidomide dans les années 1950,
utilisé alors pour ses propriétés sédatives, et qui
fut retiré du marché mondial suite à l’apparition
de malformations chez des enfants nés de mères
ayant pris du thalidomide (6). Ces malformations
n’avaient pas été évoquées lors du développement
du médicament. La mise en évidence et l’existence
du lien de causalité avec la prise du médicament ont
eu lieu seulement après la commercialisation.
À partir de ce dramatique accident s’est développée l’idée que les connaissances sur la sécurité
du médicament lors de sa mise sur le marché étaient
incomplètes et qu’il était donc nécessaire d’assurer
une surveillance postcommercialisation. Le but de
cette surveillance était de détecter et de comprendre
la survenue d’événements indésirables. Si un lien
de causalité se dégageait ou était sérieusement
suspecté entre la prise d’un médicament et l’apparition d’événements indésirables, l’objectif était de
prendre toute mesure de santé publique destinée à
éviter ces situations.
230 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009
Cela a conduit à la première définition de la pharmacovigilance, et par là même, à la définition de
son champ d’application. La pharmacovigilance est
une activité de phase 4 ; elle fonctionne au départ
essentiellement sur des méthodes de notification,
aboutissant à une accumulation de preuves. La prise
de décision est très différente de celle concernant le
bénéfice d’un produit. En effet, pour le bénéfice, on
réalise des essais thérapeutiques avec une méthodologie qui s’appuie sur une analyse statistique de
résultats ; en pharmacovigilance, la prise de décision
est plus empirique : elle relève de l’avis d’experts
qui, au vu et à l’analyse de cas, émettent un avis sur
une relation potentielle entre la survenue de cas et
la prise du médicament. À partir de cette analyse,
ils conseillent aux autorités de santé les mesures
de précaution à prendre vis-à-vis de l’utilisation du
produit.
Cette situation a été particulièrement vraie avant
l’introduction des études de pharmacoépidémiologie,
mais de nombreux exemples montrent qu’il reste
difficile de décider au vu de la simple notification.
Dans les débuts de la pharmacovigilance, le champ
cancérologique a été vraisemblablement peu investigué du fait de la gravité du pronostic. Les conséquences de l’évolution naturelle de la maladie
conduisent à une acceptation importante du risque,
même si le bénéfice est modeste.
On constate d’ailleurs de façon générale que ­l’intérêt
pour la pharmacovigilance augmente avec l’efficacité
des thérapeutiques et avec la multiplicité des choix
thérapeutiques pour le prescripteur. Ce phénomène
s’est particulièrement vérifié lors de l’apparition des
bi- puis des trithérapies dans le domaine du sida.
Si, jusqu’à une période récente, la pharmacovigilance
avait peu d’impact en cancérologie, en revanche, les
cancérologues étaient constamment sensibilisés
Résumé
L’objectif de cet article est d’interpréter la notion de pharmacovigilance appliquée à la pratique médicale oncologique. Les
différences entre pharmacovigilance et iatrogénie médicamenteuse ne sont pas toujours bien comprises par les professionnels
de santé. Du fait du profil de risque particulier des médicaments qu’ils utilisent, les oncologues ont une bonne habitude de
la lutte contre la iatrogénie médicamenteuse, mais ils envisagent rarement l’activité de pharmacovigilance dans sa dimension de santé publique d’amélioration de l’offre de soins. Pourtant, l’évolution des thérapeutiques en cancérologie permet
d’envisager un intérêt croissant pour la pharmacovigilance. L’analyse du rapport bénéfice-risque des nouvelles molécules
de la thérapeutique cancérologique dans le cadre des essais cliniques se rapproche de celle des médicaments classiques. La
gestion individuelle du risque médicamenteux tend à se compléter d’une gestion populationnelle du risque. La dimension
de santé publique de la pharmacovigilance s’exprimera en fonction du gain d’efficacité des nouveaux protocoles.
En oncologie, l’offre thérapeutique n’est pas complètement satisfaite par le système d’autorisation de mise sur le marché
(AMM). La mise en place d’un encadrement des prescriptions hors AMM (autorisation temporaire d’utilisation [ATU] et
protocole temporaire de traitement [PTT]) doit s’accompagner d’une surveillance du profil de risque des médicaments
sous la forme d’une pharmacovigilance intensive tout au long de ces expériences cliniques hors AMM.
Un certain nombre d’exemples dans la littérature démontrent l’intérêt d’une surveillance à long terme des patients traités par
anticancéreux anciens ou plus récemment commercialisés. La pharmacovigilance doit se doter d’outils nouveaux de surveillance
des patients anticancéreux pour découvrir et évaluer les signaux de toxicité des nouvelles thérapeutiques ciblées.
à la toxicité des médicaments qu’ils utilisaient. À
la différence des autres thérapeutes et des autres
pathologies, la toxicité était pour les cancérologues
une notion connue et habituelle. L’existence de cette
toxicité, indissociable de l’utilisation du produit, a
contribué à développer la notion de iatrogénie, qui
s’est progressivement différenciée de la pharmacovigilance.
La iatrogénie conduit à une gestion individuelle
des risques pour un patient, dans le cadre d’une
vision globale des risques encourus. La pharmacovigilance a, quant à elle, des objectifs de santé
publique. L’une de ses priorités est le médicament,
et elle mesure spécifiquement le risque d’un produit
pharmaceutique et/ou d’une sous-population de
patients ciblés.
Pour compléter la définition de la pharmacovigilance,
il est nécessaire également d’évoquer la notion du
rapport bénéfice-risque et son évolution tout au long
de la vie du médicament. Une étape importante a
été franchie en ce sens lors de la survenue des crises
sanitaires qui ont concerné le médicament et qui
ont suivi les grandes crises du sang contaminé et du
variant de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Toutes ces
crises ont eu des conséquences, aussi bien en termes
d’organisation du système de santé avec la création
des agences, que dans le domaine de la gestion des
risques avec la définition du principe de précaution.
Lors des problèmes liés au retrait de la cérivastatine,
l’importance de la phase de précommercialisation est
apparue, avec la nécessité d’organiser un processus
permanent d’évaluation entre les phases de précommercialisation et de postcommercialisation. En ce qui
concerne l’Europe, cela s’est traduit par un renforcement de l’analyse du dossier de précommercialisation débouchant sur des plans de gestion des
risques ; en postcommercialisation, cela a conduit à
un accroissement et une intensification de l’analyse
des rapports périodiques de sécurité et à la mise en
place des mesures prévues dans les plans de gestion
des risques, avec en particulier le développement
des études de pharmacoépidémiologie.
Enfin, rappelons que la définition de la pharmacovigilance peut aussi être appréhendée suivant les
acteurs (selon qu’ils sont médecins ou non). Nous
ne développerons pas ce point de vue, car il n’existe
pas de consensus entre les médias, les patients et le
juge sur ce que l’on nomme “pharmacovigilance” et
sur ce qui en est attendu. L’utilisation par la justice
lors des procès d’avis concernant des observations
de pharmacovigilance montre bien qu’il existe une
différence importante d’interprétation selon les
acteurs. Pour ne donner que quelques exemples,
le signifiant des mots “imputation” ou “causalité”
n’a pas la même portée selon l’acteur qui emploie
ces termes.
Dans la suite de cet article, la pharmacovigilance
est abordée sous l’angle de la vie du médicament
et, dans le cas de la cancérologie, trois aspects particuliers sont mis en exergue : la pharmacovigilance
dans les essais cliniques, la pharmacovigilance dans
les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et
les protocoles temporaires de traitement (PTT), et
la pharmacovigilance dans la phase postcommercialisation, tout en suivant la pharmacovigilance en
phase aiguë et en envisageant son développement
à long terme.
Pharmacovigilance
dans les essais cliniques
L’évaluation du rapport bénéfice-risque dans les
essais cliniques des médicaments cancérologiques
est, sur le plan réglementaire, identique à celle des
autres médicaments (1, 3) à la différence des médicaments dérivés du sang (2). Cela dit, l’évaluation
du profil de risque des molécules anticancéreuses
a subi un changement radical, avec l’apparition des
molécules non cytotoxiques. Avec les anticancéreux
classiques, les phases de développement avaient
pour objectif de définir un profil de risque composé
d’événements indésirables quasi systématiques, le
plus souvent en relation avec un mécanisme d’action du cytotoxique. Cet aspect systématique de la
toxicité entraînait une banalisation de l’effet indésirable ; on parlait d’ailleurs de “profil iatrogène” ,
donnant à ce vocable une notion d’irrémédiable.
Gérer la toxicité des médicaments anticancéreux
était et reste encore le quotidien des thérapeutes
en cancérologie. Ces intolérances aux traitements
entraînaient, dans les essais comme dans la pratique
courante, l’arrêt de la thérapeutique, la réduction de
la dose, voire le décès du patient, au pire des cas. Cet
Mots-clés
Cancérologie
Pharmacovigilance
Effets iatrogènes
Autorisation
temporaire
d’utilisation (ATU)
Protocole temporaire
de traitement (PTT)
Highlights
The aim of this paper is to explain
the concept of pharmacovigilance in
oncology. The differences between pharmacovigilance and iatrogenic disorders
induced by drugs are not always clearly
understood by health professionals. Due
to the specific risk of cancer drugs, the
oncologists have the capability to detect
and correct, when possible, the iatrogenic
pathology of drugs, but seldom consider
the activity of pharmacovigilance in its
aims of public health in order to improve
quality of care. However, the evolution
of therapeutics in cancer makes possible
to consider nowdays an evolution and
an improvement of interest for pharmacovigilance. As a matter of fact, the
analysis of the benefit-risk ratio of the
new molecules used in cancer within
the framework of the clinical trials
looks like that of drugs used in other
pathologies. The individual management
of the risk of the drugs tends to being
supplemented by a risk management in
the population. Public health approach
of pharmacovigilance will be improved
according to the improvement of effectiveness of the new protocols.
In oncology, the therapeutic offer is not
completely satisfied by the system of
marketing authorization (AMM). The
monitoring of medical prescriptions
in therapeutic fields not approved by
the regulatory authorities (Temporary
Authorization of Use [ATU] and Temporary Protocol of Treatment [PTT]) must
be accompanied by a monitoring of
the profile of risk of the drugs in the
form of an intensive pharmacovigilance.
Finally, examples in the literature show
the interest of a long-term monitoring
of patients treated by anti-cancer
drugs recently marketed or not. New
tools should be applied by the pharmacovigilance system, in order to monitor
patients treated by anti-cancer drugs to
discover and evaluate signals of toxicity
of these new targeted therapeutics.
Keywords
Oncology
Pharmacovigilance
Adverse effects
Temporary Authorization of
Use (ATU)
Temporary
Protocol of Treatment (PTT)
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 231
pharmacologie
aspect iatrogène des médicaments cytotoxiques se
traduit dans les marqueurs d’activité par le temps à
progression ou la réponse partielle ou complète de
survie sans rechute ou de survie globale. La iatrogénie, indissociable des activités thérapeutiques, est
le facteur limitant de l’utilisation du produit. L’arrêt
de traitement et la réduction de dose pour toxicité,
et par voie de conséquence, la perte d’efficacité du
traitement, sont deux paramètres différents analysés
lors de l’évaluation de l’AMM.
Cependant, l’analyse du spectre iatrogène constitue
davantage une information et, finalement, l’analyse
des courbes de survie emporte la décision, sachant
que, chaque fois que l’on doit réduire ou arrêter le
traitement, la chance d’efficacité se réduit. Cela
se traduit dans la courbe de survie étudiée, où se
confondent les échecs par inefficacité ou par résistance au produit (malgré une utilisation pleine et
entière de celui-ci) et les échecs en partie liés à une
utilisation à dose réduite ou à un arrêt d’utilisation
consécutif à la toxicité.
L’apparition des drogues non cytotoxiques a partiellement bouleversé ce paysage : la toxicité est devenue
plus événementielle, plus “patient-dépendante”,
c’est-à-dire moins systématique et donc plus remarquable. Ce contraste est atténué par l’efficacité
encore relative de ces médicaments qui, même s’ils
ont donné des résultats intéressants dans un certain
nombre d’indications, n’ont qu’exceptionnellement
bouleversé le devenir des patients. Certes, il existe
des produits remar­quables en hématologie, dans le
cancer du sein, mais le bévacizumab, le cétuximab,
l’alemtuzumab, le rituximab et le trastuzumab
restent des thérapeu­tiques complémentaires à des
prises en charge encore basées sur des chimiothérapies conventionnelles. Même si le spectre de sécurité
de ces nouvelles entités a tendance à les rapprocher
des molécules utilisées dans d’autres pathologies, le
caractère non systématique de cette toxicité encourage les cancérologues à définir des populations
à risque. On peut penser que ces thérapeutiques
conduiront la cancérologie à une réflexion identique à celle observée pour les autres médicaments
dans leur phase de développement. Il faudra non
seulement faire un inventaire de la toxicité, mais
aussi rechercher les facteurs de prédisposition qui
font qu’une population est plus particulièrement
sensible. De même, il faudra définir quelles attitudes de détection ou de prévention avoir vis-à-vis
de certains types d’événements indésirables. L’évaluation du risque lors de l’établissement du rapport
bénéfice-risque faite au moment de l’AMM devrait
ainsi se rapprocher progressivement de celle qui se
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fait pour les autres médicaments, avec l’élaboration
de plans de gestion des risques qui ne prennent tous
leurs sens que lorsqu’une thérapeutique est curative ou permet du moins une survie suffisamment
importante.
Pharmacovigilance
dans les ATU et les PTT
Les PTT peuvent être considérés sur le plan théorique
comme des ATU (4). La différence entre ATU et PTT
réside dans le fait que ceux-ci sont mis en place pour
des médicaments ayant déjà une AMM.
L’ATU, en effet, concerne par définition des médicaments qui n’ont pas encore d’AMM et qui sont mis à
disposition des prescripteurs dans deux cadres, soit
celui de l’ATU nominative qui s’adresse à des patients
spécifiquement définis au cas par cas, soit celui de
l’ATU dite “de cohorte”, qui s’adresse, moyennant
un protocole de prescription et de suivi, à une population particulière. Dans les ATU de cohorte, l’état
d’avancement des études cliniques laisse à penser
que cette population peut tirer un bénéfice de la
thérapeutique concernée.
Les PTT relèvent du même principe que les ATU de
cohorte. Ils ont été mis en place à la suite du décret
sur le contrat bon usage (CBU). La reconnaissance
de ces pratiques de prescription hors AMM a au
départ une finalité essentiellement financière, afin
de permettre la prise en charge du coût de ces traitements par les organismes de remboursement. Mais
leur élaboration a aussi été l’occasion de définir, pour
un médicament ayant une AMM, un certain nombre
d’utilisations, en précisant les données scientifiques
sur lesquelles s’appuyer de façon rationnelle pour
justifier une prescription dans cette utilisation qui
ne fait pas l’objet d’une AMM.
En cancérologie, ces PTT sont définis et proposés par
l’Institut du cancer (INCa), examinés par l’Afssaps
et par la Haute Autorité de santé (HAS). L’Afssaps
qui, du fait de sa mission, a accès à des bases de
données et à des sources documentaires confidentielles, se prononce sur la validité des arguments
avancés et examine tout particulièrement le niveau
de sécurité à partir des données de pharmacovigilance observées dans les indications reconnues
de l’AMM et dans les publications qui soutiennent
l’utilisation hors AMM. La gestion de la pharmacovigilance concernant les médicaments en ATU ou
en PTT est, en revanche, différente. Les ATU sont
soutenues et demandées par un laboratoire, alors
que les PTT sont à l’initiative des prescripteurs
pharmacologie
qui, faisant référence à des données scientifiques,
souhaitent pouvoir utiliser un produit au-delà de
son AMM.
En outre, les médicaments concernés par les PTT
sont ceux d’une liste dite “des médicaments hors
GHS” qui comporte environ 100 médicaments et
qui est constituée de plus de 50 % de médicaments
à visée cancérologique. Comme les PTT, l’ATU est
fréquemment utilisée en cancérologie. Elle comporte
un suivi de pharmacovigilance codifié et organisé par
le laboratoire, et le recueil des événements indésirables est très proche de ce qui se fait dans les essais
thérapeutiques.
Cependant, le suivi dans le domaine de la sécurité
des PTT reste encore à définir. Le PTT peut toutefois intéresser le laboratoire, qui peut y voir un
nouveau champ de développement ayant comme
objectif final le dépôt d’une AMM. Dans ce cas, on
comprend aisément que, sollicité par les autorités
réglementaires pour assurer le suivi de sécurité du
PTT, le laboratoire aura tout intérêt à colliger les
observations de façon à préciser le profil de risque
du produit. Ce travail effectué dans le cadre du PTT,
viendra compléter les données qui soutiendront
l’AMM. En effet, lors de l’examen du dossier AMM,
l’analyse porte principalement sur les essais thérapeutiques, mais des analyses complémentaires sont
réalisées sur les données des ATU ou sur les données
de prescription hors AMM, comme c’est le cas dans
les PTT. Le problème sera très différent si le laboratoire n’a pas d’intérêt pour le PTT proposé dans le
cadre des référentiels par les trois institutions que
sont l’INCa, l’Afssaps et l’HAS. Devant cette situation, il semble évident qu’il faudra que se dégage,
au sein des autorités, une procédure permettant de
recueillir et d’analyser les événements indési­rables
observés lors de l’utilisation du produit dans le cadre
du PTT. En effet, ces protocoles temporaires doivent
être périodiquement revus et il faudra bien sûr, lors
de ces révisions, procéder à un examen de sécurité
à partir des données collectées.
La mise en place des Observatoires des médicaments, des dispositifs et de l’innovation thérapeutique (OMEDIT), dans le cadre du décret CBU, devrait
contribuer à ce travail, en association avec les centres
régionaux de pharmacovigilance (CRPV), mais tout
cela reste encore à préciser. Il s’agit là d’un objectif
qu’il faudra remplir à court terme, car un certain
nombre de PTT en cancérologie ont déjà été publiés,
ou sont sur le point de l’être dans les domaines du
digestif, du poumon, du sein, des cancers de l’enfant,
etc. Il y a là un point particulièrement important
pour la survie du système.
Pharmacovigilance
en postcommercialisation
La pharmacovigilance postcommercialisation est
longtemps restée relativement pauvre. Trois événements dans la littérature ont mis en évidence des
problèmes de pharmacovigilance susceptibles d’avoir
entraîné une modification de l’attitude de la communauté cancérologique vis-à-vis de la détection des
effets indésirables.
Le premier concerne l’évolution d’enfants traités
au Bicnu® pour des tumeurs cérébrales (7-9). Le
pronostic à moyen et long termes s’est trouvé particulièrement compromis par la survenue de fibroses
pulmonaires qui ont conduit soit au décès, soit à la
greffe cardio-pulmonaire. Les séries d’enfants sont
petites dans la littérature, et la gravité des tumeurs
traitées est telle que cela est resté plus ou moins
événementiel et n’a pas eu de grandes conséquences
dans la pensée collective.
Un autre exemple est celui des insuffisances
car­diaques observées chez l’enfant à moyen et long
termes, après des traitements par anthracyclines
dans le cadre de leucémies (10). Ces insuffisances
cardiaques, qui ont parfois entraîné des tentatives
de greffe cardiaque, ont aussi constitué un événement fondamental qui a participé à l’ébauche d’une
réflexion. Celle-ci s’est concrétisée par la survenue
de leucémies secondaires observées à la suite des
traitements de cancer du sein par mitoxantrone. Il
s’agissait, d’une part, de populations plus importantes, et d’autre part, d’une pathologie très médiatisée. La survenue de ces incidents a abouti à la prise
de conscience qu’au-delà du profil iatrogène connu
du produit, observé dans l’utilisation immédiate, il
pouvait exister des événements indésirables non
connus, de survenue plus ou moins tardive. Ces incidents peuvent compromettre de façon gravissime
la stabilisation de la maladie, voire, dans un certain
nombre de cas, le potentiel de guérison.
Le paysage s’est également compliqué avec l’apparition des nouvelles thérapeutiques qui rendent
la iatrogénie moins systématique et permettent la
définition d’événements plus rares, graves, pouvant
parfois mettre en jeu la vie du patient, comme les
insuffisances cardiaques sous Herceptin ® ou les
colites ischémiques sous Avastin®.
Ces modifications de l’arsenal thérapeutique et du
pronostic amènent donc à réfléchir différemment
le suivi des événements indésirables lors des traitements anticancéreux. En ce qui concerne l’ensemble
des chimiothérapies, classiques et non classiques,
la notion d’événement indésirable immédiat reste
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 233
pharmacologie
toujours présente, mais elle se complexifie avec une
toxicité à moyen terme, voire à long terme, ce qui est
un réel souci pour les années à venir. Il est nécessaire
d’y penser aujourd’hui pour constituer les cohortes
de malades, qui devront être suivis avec des techniques adaptées à la pharmacovigilance. En effet, on
comprend bien que la notification spontanée, dans ce
type d’observations, est relativement inefficace. C’est
un sujet de réflexion important qui permettra d’éviter
une incompréhension des générations futures et de
répondre à toutes les préoccupations de sécurité de
notre monde contemporain.
Le deuxième point important qui se dégage de ces
évolutions est la nécessité pour les cancérologues
d’apprendre à gérer le risque en fonction de la thérapeutique. Il est important de savoir faire la différence
entre un événement iatrogène courant et un événement sentinelle, surtout quand le degré de gravité
est faible. Il peut s’agir d’un signal sur la possibilité
de survenue d’événement indésirable non systématique, pouvant rester très acceptable chez certains
patients, mais pouvant atteindre un seuil de gravité
important et n’apparaissant ou n’atteignant cette
gravité que dans une sous-population à risque. Cette
nouvelle attitude est compliquée, parce que non
habituelle, et la réflexion sur les traitements cancérologiques est fondée sur celle des chimiothérapies
cytotoxiques, s’accompagnant donc d’une masse
d’événements toxiques importants. Il faut, dans ce
cadre, être particulièrement attentif pour isoler dans
le bruit de fond les événements annonciateurs d’une
toxicité spécifique particulière.
Conclusion
Après de nombreuses années durant lesquelles la
pharmacovigilance est restée un épiphénomène en
cancérologie, le souci de la prévention, de la détection précoce et de la correction des événements
indésirables graves, à court, moyen ou long termes,
est une nouvelle préoccupation et un véritable défi
pour le futur. La souplesse dans la prescription, introduite en particulier par les ATU et les PTT, majore
la nécessité d’organisation et de réflexion sur ce
sujet.
La modification de l’arsenal thérapeutique, avec
l’apparition des nouvelles thérapeutiques basées
sur les anticorps, caractérisés par l’originalité de
leur développement (difficulté de les étudier dans
des modèles expérimentaux non humains), est un
défi important pour les années à venir.
Le propre de l’événement indésirable est d’être
négligé tant qu’on est dans une phase où le pronostic
vital est en jeu, mais son importance croît avec
l’amélioration du pronostic.
La tolérance médiatique pour les effets néfastes
des thérapeutiques est importante lorsque le
problème de survie est au premier plan, mais
cette attitude a tendance à s’inverser lorsqu’on
obtient une certaine efficacité thérapeutique avec
un accroissement important de l’espérance de vie,
voire lorsqu’on atteint ce que l’on peut appeler un
statut de guérison. Il est très important pour la
communauté cancérologique de s’organiser pour
gérer ce futur.
■
Références bibliographiques
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