
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 231
Résumé
L’objectif de cet article est d’interpréter la notion de pharmacovigilance appliquée à la pratique médicale oncologique. Les
différences entre pharmacovigilance et iatrogénie médicamenteuse ne sont pas toujours bien comprises par les professionnels
de santé. Du fait du profil de risque particulier des médicaments qu’ils utilisent, les oncologues ont une bonne habitude de
la lutte contre la iatrogénie médicamenteuse, mais ils envisagent rarement l’activité de pharmacovigilance dans sa dimen-
sion de santé publique d’amélioration de l’offre de soins. Pourtant, l’évolution des thérapeutiques en cancérologie permet
d’envisager un intérêt croissant pour la pharmacovigilance. L’analyse du rapport bénéfice-risque des nouvelles molécules
de la thérapeutique cancérologique dans le cadre des essais cliniques se rapproche de celle des médicaments classiques. La
gestion individuelle du risque médicamenteux tend à se compléter d’une gestion populationnelle du risque. La dimension
de santé publique de la pharmacovigilance s’exprimera en fonction du gain d’efficacité des nouveaux protocoles.
En oncologie, l’offre thérapeutique n’est pas complètement satisfaite par le système d’autorisation de mise sur le marché
(AMM). La mise en place d’un encadrement des prescriptions hors AMM (autorisation temporaire d’utilisation [ATU] et
protocole temporaire de traitement [PTT]) doit s’accompagner d’une surveillance du profil de risque des médicaments
sous la forme d’une pharmacovigilance intensive tout au long de ces expériences cliniques hors AMM.
Un certain nombre d’exemples dans la littérature démontrent l’intérêt d’une surveillance à long terme des patients traités par
anticancéreux anciens ou plus récemment commercialisés. La pharmacovigilance doit se doter d’outils nouveaux de surveillance
des patients anticancéreux pour découvrir et évaluer les signaux de toxicité des nouvelles thérapeutiques ciblées.
Mots-clés
Cancérologie
Pharmacovigilance
Effets iatrogènes
Autorisation
temporaire
d’utilisation (ATU)
Protocole temporaire
de traitement (PTT)
Highlights
The aim of this paper is to explain
the concept of pharmacovigilance in
oncology. The differences between phar-
macovigilance and iatrogenic disorders
induced by drugs are not always clearly
understood by health professionals. Due
to the specific risk of cancer drugs, the
oncologists have the capability to detect
and correct, when possible, the iatrogenic
pathology of drugs, but seldom consider
the activity of pharmacovigilance in its
aims of public health in order to improve
quality of care. However, the evolution
of therapeutics in cancer makes possible
to consider nowdays an evolution and
an improvement of interest for phar-
macovigilance. As a matter of fact, the
analysis of the benefit-risk ratio of the
new molecules used in cancer within
the framework of the clinical trials
looks like that of drugs used in other
pathologies. The individual management
of the risk of the drugs tends to being
supplemented by a risk management in
the population. Public health approach
of pharmacovigilance will be improved
according to the improvement of effec-
tiveness of the new protocols.
In oncology, the therapeutic offer is not
completely satisfied by the system of
marketing authorization (AMM). The
monitoring of medical prescriptions
in therapeutic fields not approved by
the regulatory authorities (Temporary
Authorization of Use [ATU] and Tempo-
rary Protocol of Treatment [PTT]) must
be accompanied by a monitoring of
the profile of risk of the drugs in the
form of an intensive pharmacovigilance.
Finally, examples in the literature show
the interest of a long-term monitoring
of patients treated by anti-cancer
drugs recently marketed or not. New
tools should be applied by the pharma-
covigilance system, in order to monitor
patients treated by anti-cancer drugs to
discover and evaluate signals of toxicity
of these new targeted therapeutics.
Keywords
Oncology
Pharmacovigilance
Adverse effects
Temporary Authorization of
Use (ATU)
Temporary
Protocol of Treatment (PTT)
à la toxicité des médicaments qu’ils utilisaient. À
la différence des autres thérapeutes et des autres
pathologies, la toxicité était pour les cancérologues
une notion connue et habituelle. L’existence de cette
toxicité, indissociable de l’utilisation du produit, a
contribué à développer la notion de iatrogénie, qui
s’est progressivement différenciée de la pharma-
covigilance.
La iatrogénie conduit à une gestion individuelle
des risques pour un patient, dans le cadre d’une
vision globale des risques encourus. La pharma-
covigilance a, quant à elle, des objectifs de santé
publique. L’une de ses priorités est le médicament,
et elle mesure spécifiquement le risque d’un produit
pharmaceutique et/ou d’une sous-population de
patients ciblés.
Pour compléter la définition de la pharmacovigilance,
il est nécessaire également d’évoquer la notion du
rapport bénéfice-risque et son évolution tout au long
de la vie du médicament. Une étape importante a
été franchie en ce sens lors de la survenue des crises
sanitaires qui ont concerné le médicament et qui
ont suivi les grandes crises du sang contaminé et du
variant de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Toutes ces
crises ont eu des conséquences, aussi bien en termes
d’organisation du système de santé avec la création
des agences, que dans le domaine de la gestion des
risques avec la définition du principe de précaution.
Lors des problèmes liés au retrait de la cérivastatine,
l’importance de la phase de précommercialisation est
apparue, avec la nécessité d’organiser un processus
permanent d’évaluation entre les phases de précom-
mercialisation et de postcommercialisation. En ce qui
concerne l’Europe, cela s’est traduit par un renfor-
cement de l’analyse du dossier de précommercia-
lisation débouchant sur des plans de gestion des
risques ; en postcommercialisation, cela a conduit à
un accroissement et une intensification de l’analyse
des rapports périodiques de sécurité et à la mise en
place des mesures prévues dans les plans de gestion
des risques, avec en particulier le développement
des études de pharmacoépidémiologie.
Enfin, rappelons que la définition de la pharmaco-
vigilance peut aussi être appréhendée suivant les
acteurs (selon qu’ils sont médecins ou non). Nous
ne développerons pas ce point de vue, car il n’existe
pas de consensus entre les médias, les patients et le
juge sur ce que l’on nomme “pharmacovigilance” et
sur ce qui en est attendu. L’utilisation par la justice
lors des procès d’avis concernant des observations
de pharmacovigilance montre bien qu’il existe une
différence importante d’interprétation selon les
acteurs. Pour ne donner que quelques exemples,
le signifiant des mots “imputation” ou “causalité”
n’a pas la même portée selon l’acteur qui emploie
ces termes.
Dans la suite de cet article, la pharmacovigilance
est abordée sous l’angle de la vie du médicament
et, dans le cas de la cancérologie, trois aspects parti-
culiers sont mis en exergue : la pharmacovigilance
dans les essais cliniques, la pharmacovigilance dans
les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et
les protocoles temporaires de traitement (PTT), et
la pharmacovigilance dans la phase postcommer-
cialisation, tout en suivant la pharmacovigilance en
phase aiguë et en envisageant son développement
à long terme.
Pharmacovigilance
dans les essais cliniques
L’évaluation du rapport bénéfice-risque dans les
essais cliniques des médicaments cancérologiques
est, sur le plan réglementaire, identique à celle des
autres médicaments (1, 3) à la différence des médi-
caments dérivés du sang (2). Cela dit, l’évaluation
du profil de risque des molécules anticancéreuses
a subi un changement radical, avec l’apparition des
molécules non cytotoxiques. Avec les anticancéreux
classiques, les phases de développement avaient
pour objectif de définir un profil de risque composé
d’événements indésirables quasi systématiques, le
plus souvent en relation avec un mécanisme d’ac-
tion du cytotoxique. Cet aspect systématique de la
toxicité entraînait une banalisation de l’effet indé-
sirable ; on parlait d’ailleurs de “profil iatrogène” ,
donnant à ce vocable une notion d’irrémédiable.
Gérer la toxicité des médicaments anticancéreux
était et reste encore le quotidien des thérapeutes
en cancérologie. Ces intolérances aux traitements
entraînaient, dans les essais comme dans la pratique
courante, l’arrêt de la thérapeutique, la réduction de
la dose, voire le décès du patient, au pire des cas. Cet