pharmacologie Pharmacovigilance en oncologie1 Pharmacovigilance in oncology C. Riche*, D. Carlhant* Définition de la pharmacovigilance 1 La Lettre du Pharmacologue 2008; 22(3):87-91. * Centre régional de pharmacovigilance de Brest, Hôpital de la CavaleBlanche, Brest. La pharmacovigilance est une activité réglementée, encadrée par un certain nombre de textes en France (1-3, 5) et en Europe. En revanche, le terme “pharmacovigilance” est perçu différemment par les divers acteurs de santé (le public, les juges) et recouvre des champs d’application extrêmement différents. On peut classer les définitions successives de la pharmacovigilance selon l’évolution historique du concept, mais aussi selon le développement, au sein du monde médical, des notions de sécurité, de risque, de prévention et de précaution. Historiquement, la pharmacovigilance est apparue avec l’affaire du thalidomide dans les années 1950, utilisé alors pour ses propriétés sédatives, et qui fut retiré du marché mondial suite à l’apparition de malformations chez des enfants nés de mères ayant pris du thalidomide (6). Ces malformations n’avaient pas été évoquées lors du développement du médicament. La mise en évidence et l’existence du lien de causalité avec la prise du médicament ont eu lieu seulement après la commercialisation. À partir de ce dramatique accident s’est développée l’idée que les connaissances sur la sécurité du médicament lors de sa mise sur le marché étaient incomplètes et qu’il était donc nécessaire d’assurer une surveillance postcommercialisation. Le but de cette surveillance était de détecter et de comprendre la survenue d’événements indésirables. Si un lien de causalité se dégageait ou était sérieusement suspecté entre la prise d’un médicament et l’apparition d’événements indésirables, l’objectif était de prendre toute mesure de santé publique destinée à éviter ces situations. 230 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 Cela a conduit à la première définition de la pharmacovigilance, et par là même, à la définition de son champ d’application. La pharmacovigilance est une activité de phase 4 ; elle fonctionne au départ essentiellement sur des méthodes de notification, aboutissant à une accumulation de preuves. La prise de décision est très différente de celle concernant le bénéfice d’un produit. En effet, pour le bénéfice, on réalise des essais thérapeutiques avec une méthodologie qui s’appuie sur une analyse statistique de résultats ; en pharmacovigilance, la prise de décision est plus empirique : elle relève de l’avis d’experts qui, au vu et à l’analyse de cas, émettent un avis sur une relation potentielle entre la survenue de cas et la prise du médicament. À partir de cette analyse, ils conseillent aux autorités de santé les mesures de précaution à prendre vis-à-vis de l’utilisation du produit. Cette situation a été particulièrement vraie avant l’introduction des études de pharmacoépidémiologie, mais de nombreux exemples montrent qu’il reste difficile de décider au vu de la simple notification. Dans les débuts de la pharmacovigilance, le champ cancérologique a été vraisemblablement peu investigué du fait de la gravité du pronostic. Les conséquences de l’évolution naturelle de la maladie conduisent à une acceptation importante du risque, même si le bénéfice est modeste. On constate d’ailleurs de façon générale que ­l’intérêt pour la pharmacovigilance augmente avec l’efficacité des thérapeutiques et avec la multiplicité des choix thérapeutiques pour le prescripteur. Ce phénomène s’est particulièrement vérifié lors de l’apparition des bi- puis des trithérapies dans le domaine du sida. Si, jusqu’à une période récente, la pharmacovigilance avait peu d’impact en cancérologie, en revanche, les cancérologues étaient constamment sensibilisés Résumé L’objectif de cet article est d’interpréter la notion de pharmacovigilance appliquée à la pratique médicale oncologique. Les différences entre pharmacovigilance et iatrogénie médicamenteuse ne sont pas toujours bien comprises par les professionnels de santé. Du fait du profil de risque particulier des médicaments qu’ils utilisent, les oncologues ont une bonne habitude de la lutte contre la iatrogénie médicamenteuse, mais ils envisagent rarement l’activité de pharmacovigilance dans sa dimension de santé publique d’amélioration de l’offre de soins. Pourtant, l’évolution des thérapeutiques en cancérologie permet d’envisager un intérêt croissant pour la pharmacovigilance. L’analyse du rapport bénéfice-risque des nouvelles molécules de la thérapeutique cancérologique dans le cadre des essais cliniques se rapproche de celle des médicaments classiques. La gestion individuelle du risque médicamenteux tend à se compléter d’une gestion populationnelle du risque. La dimension de santé publique de la pharmacovigilance s’exprimera en fonction du gain d’efficacité des nouveaux protocoles. En oncologie, l’offre thérapeutique n’est pas complètement satisfaite par le système d’autorisation de mise sur le marché (AMM). La mise en place d’un encadrement des prescriptions hors AMM (autorisation temporaire d’utilisation [ATU] et protocole temporaire de traitement [PTT]) doit s’accompagner d’une surveillance du profil de risque des médicaments sous la forme d’une pharmacovigilance intensive tout au long de ces expériences cliniques hors AMM. Un certain nombre d’exemples dans la littérature démontrent l’intérêt d’une surveillance à long terme des patients traités par anticancéreux anciens ou plus récemment commercialisés. La pharmacovigilance doit se doter d’outils nouveaux de surveillance des patients anticancéreux pour découvrir et évaluer les signaux de toxicité des nouvelles thérapeutiques ciblées. à la toxicité des médicaments qu’ils utilisaient. À la différence des autres thérapeutes et des autres pathologies, la toxicité était pour les cancérologues une notion connue et habituelle. L’existence de cette toxicité, indissociable de l’utilisation du produit, a contribué à développer la notion de iatrogénie, qui s’est progressivement différenciée de la pharmacovigilance. La iatrogénie conduit à une gestion individuelle des risques pour un patient, dans le cadre d’une vision globale des risques encourus. La pharmacovigilance a, quant à elle, des objectifs de santé publique. L’une de ses priorités est le médicament, et elle mesure spécifiquement le risque d’un produit pharmaceutique et/ou d’une sous-population de patients ciblés. Pour compléter la définition de la pharmacovigilance, il est nécessaire également d’évoquer la notion du rapport bénéfice-risque et son évolution tout au long de la vie du médicament. Une étape importante a été franchie en ce sens lors de la survenue des crises sanitaires qui ont concerné le médicament et qui ont suivi les grandes crises du sang contaminé et du variant de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Toutes ces crises ont eu des conséquences, aussi bien en termes d’organisation du système de santé avec la création des agences, que dans le domaine de la gestion des risques avec la définition du principe de précaution. Lors des problèmes liés au retrait de la cérivastatine, l’importance de la phase de précommercialisation est apparue, avec la nécessité d’organiser un processus permanent d’évaluation entre les phases de précommercialisation et de postcommercialisation. En ce qui concerne l’Europe, cela s’est traduit par un renforcement de l’analyse du dossier de précommercialisation débouchant sur des plans de gestion des risques ; en postcommercialisation, cela a conduit à un accroissement et une intensification de l’analyse des rapports périodiques de sécurité et à la mise en place des mesures prévues dans les plans de gestion des risques, avec en particulier le développement des études de pharmacoépidémiologie. Enfin, rappelons que la définition de la pharmacovigilance peut aussi être appréhendée suivant les acteurs (selon qu’ils sont médecins ou non). Nous ne développerons pas ce point de vue, car il n’existe pas de consensus entre les médias, les patients et le juge sur ce que l’on nomme “pharmacovigilance” et sur ce qui en est attendu. L’utilisation par la justice lors des procès d’avis concernant des observations de pharmacovigilance montre bien qu’il existe une différence importante d’interprétation selon les acteurs. Pour ne donner que quelques exemples, le signifiant des mots “imputation” ou “causalité” n’a pas la même portée selon l’acteur qui emploie ces termes. Dans la suite de cet article, la pharmacovigilance est abordée sous l’angle de la vie du médicament et, dans le cas de la cancérologie, trois aspects particuliers sont mis en exergue : la pharmacovigilance dans les essais cliniques, la pharmacovigilance dans les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et les protocoles temporaires de traitement (PTT), et la pharmacovigilance dans la phase postcommercialisation, tout en suivant la pharmacovigilance en phase aiguë et en envisageant son développement à long terme. Pharmacovigilance dans les essais cliniques L’évaluation du rapport bénéfice-risque dans les essais cliniques des médicaments cancérologiques est, sur le plan réglementaire, identique à celle des autres médicaments (1, 3) à la différence des médicaments dérivés du sang (2). Cela dit, l’évaluation du profil de risque des molécules anticancéreuses a subi un changement radical, avec l’apparition des molécules non cytotoxiques. Avec les anticancéreux classiques, les phases de développement avaient pour objectif de définir un profil de risque composé d’événements indésirables quasi systématiques, le plus souvent en relation avec un mécanisme d’action du cytotoxique. Cet aspect systématique de la toxicité entraînait une banalisation de l’effet indésirable ; on parlait d’ailleurs de “profil iatrogène” , donnant à ce vocable une notion d’irrémédiable. Gérer la toxicité des médicaments anticancéreux était et reste encore le quotidien des thérapeutes en cancérologie. Ces intolérances aux traitements entraînaient, dans les essais comme dans la pratique courante, l’arrêt de la thérapeutique, la réduction de la dose, voire le décès du patient, au pire des cas. Cet Mots-clés Cancérologie Pharmacovigilance Effets iatrogènes Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) Protocole temporaire de traitement (PTT) Highlights The aim of this paper is to explain the concept of pharmacovigilance in oncology. The differences between pharmacovigilance and iatrogenic disorders induced by drugs are not always clearly understood by health professionals. Due to the specific risk of cancer drugs, the oncologists have the capability to detect and correct, when possible, the iatrogenic pathology of drugs, but seldom consider the activity of pharmacovigilance in its aims of public health in order to improve quality of care. However, the evolution of therapeutics in cancer makes possible to consider nowdays an evolution and an improvement of interest for pharmacovigilance. As a matter of fact, the analysis of the benefit-risk ratio of the new molecules used in cancer within the framework of the clinical trials looks like that of drugs used in other pathologies. The individual management of the risk of the drugs tends to being supplemented by a risk management in the population. Public health approach of pharmacovigilance will be improved according to the improvement of effectiveness of the new protocols. In oncology, the therapeutic offer is not completely satisfied by the system of marketing authorization (AMM). The monitoring of medical prescriptions in therapeutic fields not approved by the regulatory authorities (Temporary Authorization of Use [ATU] and Temporary Protocol of Treatment [PTT]) must be accompanied by a monitoring of the profile of risk of the drugs in the form of an intensive pharmacovigilance. Finally, examples in the literature show the interest of a long-term monitoring of patients treated by anti-cancer drugs recently marketed or not. New tools should be applied by the pharmacovigilance system, in order to monitor patients treated by anti-cancer drugs to discover and evaluate signals of toxicity of these new targeted therapeutics. Keywords Oncology Pharmacovigilance Adverse effects Temporary Authorization of Use (ATU) Temporary Protocol of Treatment (PTT) La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 231 pharmacologie aspect iatrogène des médicaments cytotoxiques se traduit dans les marqueurs d’activité par le temps à progression ou la réponse partielle ou complète de survie sans rechute ou de survie globale. La iatrogénie, indissociable des activités thérapeutiques, est le facteur limitant de l’utilisation du produit. L’arrêt de traitement et la réduction de dose pour toxicité, et par voie de conséquence, la perte d’efficacité du traitement, sont deux paramètres différents analysés lors de l’évaluation de l’AMM. Cependant, l’analyse du spectre iatrogène constitue davantage une information et, finalement, l’analyse des courbes de survie emporte la décision, sachant que, chaque fois que l’on doit réduire ou arrêter le traitement, la chance d’efficacité se réduit. Cela se traduit dans la courbe de survie étudiée, où se confondent les échecs par inefficacité ou par résistance au produit (malgré une utilisation pleine et entière de celui-ci) et les échecs en partie liés à une utilisation à dose réduite ou à un arrêt d’utilisation consécutif à la toxicité. L’apparition des drogues non cytotoxiques a partiellement bouleversé ce paysage : la toxicité est devenue plus événementielle, plus “patient-dépendante”, c’est-à-dire moins systématique et donc plus remarquable. Ce contraste est atténué par l’efficacité encore relative de ces médicaments qui, même s’ils ont donné des résultats intéressants dans un certain nombre d’indications, n’ont qu’exceptionnellement bouleversé le devenir des patients. Certes, il existe des produits remar­quables en hématologie, dans le cancer du sein, mais le bévacizumab, le cétuximab, l’alemtuzumab, le rituximab et le trastuzumab restent des thérapeu­tiques complémentaires à des prises en charge encore basées sur des chimiothérapies conventionnelles. Même si le spectre de sécurité de ces nouvelles entités a tendance à les rapprocher des molécules utilisées dans d’autres pathologies, le caractère non systématique de cette toxicité encourage les cancérologues à définir des populations à risque. On peut penser que ces thérapeutiques conduiront la cancérologie à une réflexion identique à celle observée pour les autres médicaments dans leur phase de développement. Il faudra non seulement faire un inventaire de la toxicité, mais aussi rechercher les facteurs de prédisposition qui font qu’une population est plus particulièrement sensible. De même, il faudra définir quelles attitudes de détection ou de prévention avoir vis-à-vis de certains types d’événements indésirables. L’évaluation du risque lors de l’établissement du rapport bénéfice-risque faite au moment de l’AMM devrait ainsi se rapprocher progressivement de celle qui se 232 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 fait pour les autres médicaments, avec l’élaboration de plans de gestion des risques qui ne prennent tous leurs sens que lorsqu’une thérapeutique est curative ou permet du moins une survie suffisamment importante. Pharmacovigilance dans les ATU et les PTT Les PTT peuvent être considérés sur le plan théorique comme des ATU (4). La différence entre ATU et PTT réside dans le fait que ceux-ci sont mis en place pour des médicaments ayant déjà une AMM. L’ATU, en effet, concerne par définition des médicaments qui n’ont pas encore d’AMM et qui sont mis à disposition des prescripteurs dans deux cadres, soit celui de l’ATU nominative qui s’adresse à des patients spécifiquement définis au cas par cas, soit celui de l’ATU dite “de cohorte”, qui s’adresse, moyennant un protocole de prescription et de suivi, à une population particulière. Dans les ATU de cohorte, l’état d’avancement des études cliniques laisse à penser que cette population peut tirer un bénéfice de la thérapeutique concernée. Les PTT relèvent du même principe que les ATU de cohorte. Ils ont été mis en place à la suite du décret sur le contrat bon usage (CBU). La reconnaissance de ces pratiques de prescription hors AMM a au départ une finalité essentiellement financière, afin de permettre la prise en charge du coût de ces traitements par les organismes de remboursement. Mais leur élaboration a aussi été l’occasion de définir, pour un médicament ayant une AMM, un certain nombre d’utilisations, en précisant les données scientifiques sur lesquelles s’appuyer de façon rationnelle pour justifier une prescription dans cette utilisation qui ne fait pas l’objet d’une AMM. En cancérologie, ces PTT sont définis et proposés par l’Institut du cancer (INCa), examinés par l’Afssaps et par la Haute Autorité de santé (HAS). L’Afssaps qui, du fait de sa mission, a accès à des bases de données et à des sources documentaires confidentielles, se prononce sur la validité des arguments avancés et examine tout particulièrement le niveau de sécurité à partir des données de pharmacovigilance observées dans les indications reconnues de l’AMM et dans les publications qui soutiennent l’utilisation hors AMM. La gestion de la pharmacovigilance concernant les médicaments en ATU ou en PTT est, en revanche, différente. Les ATU sont soutenues et demandées par un laboratoire, alors que les PTT sont à l’initiative des prescripteurs pharmacologie qui, faisant référence à des données scientifiques, souhaitent pouvoir utiliser un produit au-delà de son AMM. En outre, les médicaments concernés par les PTT sont ceux d’une liste dite “des médicaments hors GHS” qui comporte environ 100 médicaments et qui est constituée de plus de 50 % de médicaments à visée cancérologique. Comme les PTT, l’ATU est fréquemment utilisée en cancérologie. Elle comporte un suivi de pharmacovigilance codifié et organisé par le laboratoire, et le recueil des événements indésirables est très proche de ce qui se fait dans les essais thérapeutiques. Cependant, le suivi dans le domaine de la sécurité des PTT reste encore à définir. Le PTT peut toutefois intéresser le laboratoire, qui peut y voir un nouveau champ de développement ayant comme objectif final le dépôt d’une AMM. Dans ce cas, on comprend aisément que, sollicité par les autorités réglementaires pour assurer le suivi de sécurité du PTT, le laboratoire aura tout intérêt à colliger les observations de façon à préciser le profil de risque du produit. Ce travail effectué dans le cadre du PTT, viendra compléter les données qui soutiendront l’AMM. En effet, lors de l’examen du dossier AMM, l’analyse porte principalement sur les essais thérapeutiques, mais des analyses complémentaires sont réalisées sur les données des ATU ou sur les données de prescription hors AMM, comme c’est le cas dans les PTT. Le problème sera très différent si le laboratoire n’a pas d’intérêt pour le PTT proposé dans le cadre des référentiels par les trois institutions que sont l’INCa, l’Afssaps et l’HAS. Devant cette situation, il semble évident qu’il faudra que se dégage, au sein des autorités, une procédure permettant de recueillir et d’analyser les événements indési­rables observés lors de l’utilisation du produit dans le cadre du PTT. En effet, ces protocoles temporaires doivent être périodiquement revus et il faudra bien sûr, lors de ces révisions, procéder à un examen de sécurité à partir des données collectées. La mise en place des Observatoires des médicaments, des dispositifs et de l’innovation thérapeutique (OMEDIT), dans le cadre du décret CBU, devrait contribuer à ce travail, en association avec les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), mais tout cela reste encore à préciser. Il s’agit là d’un objectif qu’il faudra remplir à court terme, car un certain nombre de PTT en cancérologie ont déjà été publiés, ou sont sur le point de l’être dans les domaines du digestif, du poumon, du sein, des cancers de l’enfant, etc. Il y a là un point particulièrement important pour la survie du système. Pharmacovigilance en postcommercialisation La pharmacovigilance postcommercialisation est longtemps restée relativement pauvre. Trois événements dans la littérature ont mis en évidence des problèmes de pharmacovigilance susceptibles d’avoir entraîné une modification de l’attitude de la communauté cancérologique vis-à-vis de la détection des effets indésirables. Le premier concerne l’évolution d’enfants traités au Bicnu® pour des tumeurs cérébrales (7-9). Le pronostic à moyen et long termes s’est trouvé particulièrement compromis par la survenue de fibroses pulmonaires qui ont conduit soit au décès, soit à la greffe cardio-pulmonaire. Les séries d’enfants sont petites dans la littérature, et la gravité des tumeurs traitées est telle que cela est resté plus ou moins événementiel et n’a pas eu de grandes conséquences dans la pensée collective. Un autre exemple est celui des insuffisances car­diaques observées chez l’enfant à moyen et long termes, après des traitements par anthracyclines dans le cadre de leucémies (10). Ces insuffisances cardiaques, qui ont parfois entraîné des tentatives de greffe cardiaque, ont aussi constitué un événement fondamental qui a participé à l’ébauche d’une réflexion. Celle-ci s’est concrétisée par la survenue de leucémies secondaires observées à la suite des traitements de cancer du sein par mitoxantrone. Il s’agissait, d’une part, de populations plus importantes, et d’autre part, d’une pathologie très médiatisée. La survenue de ces incidents a abouti à la prise de conscience qu’au-delà du profil iatrogène connu du produit, observé dans l’utilisation immédiate, il pouvait exister des événements indésirables non connus, de survenue plus ou moins tardive. Ces incidents peuvent compromettre de façon gravissime la stabilisation de la maladie, voire, dans un certain nombre de cas, le potentiel de guérison. Le paysage s’est également compliqué avec l’apparition des nouvelles thérapeutiques qui rendent la iatrogénie moins systématique et permettent la définition d’événements plus rares, graves, pouvant parfois mettre en jeu la vie du patient, comme les insuffisances cardiaques sous Herceptin ® ou les colites ischémiques sous Avastin®. Ces modifications de l’arsenal thérapeutique et du pronostic amènent donc à réfléchir différemment le suivi des événements indésirables lors des traitements anticancéreux. En ce qui concerne l’ensemble des chimiothérapies, classiques et non classiques, la notion d’événement indésirable immédiat reste La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 233 pharmacologie toujours présente, mais elle se complexifie avec une toxicité à moyen terme, voire à long terme, ce qui est un réel souci pour les années à venir. Il est nécessaire d’y penser aujourd’hui pour constituer les cohortes de malades, qui devront être suivis avec des techniques adaptées à la pharmacovigilance. En effet, on comprend bien que la notification spontanée, dans ce type d’observations, est relativement inefficace. C’est un sujet de réflexion important qui permettra d’éviter une incompréhension des générations futures et de répondre à toutes les préoccupations de sécurité de notre monde contemporain. Le deuxième point important qui se dégage de ces évolutions est la nécessité pour les cancérologues d’apprendre à gérer le risque en fonction de la thérapeutique. Il est important de savoir faire la différence entre un événement iatrogène courant et un événement sentinelle, surtout quand le degré de gravité est faible. Il peut s’agir d’un signal sur la possibilité de survenue d’événement indésirable non systématique, pouvant rester très acceptable chez certains patients, mais pouvant atteindre un seuil de gravité important et n’apparaissant ou n’atteignant cette gravité que dans une sous-population à risque. Cette nouvelle attitude est compliquée, parce que non habituelle, et la réflexion sur les traitements cancérologiques est fondée sur celle des chimiothérapies cytotoxiques, s’accompagnant donc d’une masse d’événements toxiques importants. Il faut, dans ce cadre, être particulièrement attentif pour isoler dans le bruit de fond les événements annonciateurs d’une toxicité spécifique particulière. Conclusion Après de nombreuses années durant lesquelles la pharmacovigilance est restée un épiphénomène en cancérologie, le souci de la prévention, de la détection précoce et de la correction des événements indésirables graves, à court, moyen ou long termes, est une nouvelle préoccupation et un véritable défi pour le futur. La souplesse dans la prescription, introduite en particulier par les ATU et les PTT, majore la nécessité d’organisation et de réflexion sur ce sujet. La modification de l’arsenal thérapeutique, avec l’apparition des nouvelles thérapeutiques basées sur les anticorps, caractérisés par l’originalité de leur développement (difficulté de les étudier dans des modèles expérimentaux non humains), est un défi important pour les années à venir. Le propre de l’événement indésirable est d’être négligé tant qu’on est dans une phase où le pronostic vital est en jeu, mais son importance croît avec l’amélioration du pronostic. La tolérance médiatique pour les effets néfastes des thérapeutiques est importante lorsque le problème de survie est au premier plan, mais cette attitude a tendance à s’inverser lorsqu’on obtient une certaine efficacité thérapeutique avec un accroissement important de l’espérance de vie, voire lorsqu’on atteint ce que l’on peut appeler un statut de guérison. Il est très important pour la communauté cancérologique de s’organiser pour gérer ce futur. ■ Références bibliographiques 1. Décret n° 95-278 du 13 mars 1995 relatif à la pharmaco­ vigilance. 2. Décret n° 95-566 du 6 mai 1995 relatif à la pharmacovigilance exercée sur les médicaments dérivés du sang humain. 3. Décret n° 2004-99 du 29 janvier 2004 relatif à la pharmacovigilance. 4. Décret n° 94-568 du 8 juillet 1994 relatif aux autorisations temporaires d’utilisation de certains médicaments à usage humain. 5. Arrêté du 28 avril 2005 relatif aux bonnes pratiques de pharmacovigilance. 6. Kohler G, Fisher AM, Dunn PM. Thalidomide and congenital abnormalities. Lancet 1962;1:326. 7. Bouffet E, Khelfaoui F, Philip I et al. High-dose carmustine for high-grade gliomas in children. Cancer Chemother Pharmacol 1997;39:376-9. 8. O’Driscoll BR, Kalra S, Gattamaneni HR et al. Late carmustine lung fibrosis. Chest 1995;107:1355-7. 234 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 9. Chastagner P, Kalifa C, Doz F et al. French society of pediatric oncology (SFOP) pilot study. Outcome of children treated with preradiation chemotherapy for a high-grade glioma: results of a french society of pediatric oncology (SFOP) pilot study. Pediatr Blood Cancer 2006;49:803-7. 10. Sorensen K, Levitt G, Bull C et al. Anthracycline dose in childhood acute lymphoblastic leukemia: issues of early survival versus late cardiotoxicity. J Clin Oncol 1997;15:61-8.