Mise au point/point de vue

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Dépression bipolaire :
éléments de diagnostic
et hypothèses thérapeutiques
J.A. Meynard*, C. Charpin**, N. Jaufari***
Nombre de travaux sur les dépressions, qu’elles soient dites réactionnelles, névrotiques, récurrentes ou
résistantes, ont, par cette nouvelle
lecture appuyée sur l’épidémiologie,
trouvé des pistes de réflexion clinique
vers la bipolarité atténuée, traduite en
hypothèses diagnostiques et en orientations thérapeutiques différentes.
Notre propos est de déterminer si,
dans l’ensemble des signes qui autorisent à porter un diagnostic de dépression, quelques particularités cliniques
peuvent évoquer une définition plus
large et inscrire cette pathologie
dépressive dans le cadre particulier
des dépressions bipolaires.
Si le trouble dépressif, dans sa
description princeps, correspond à un
trouble de l’humeur strictement unipolaire, c’est-à-dire caractérisé par l’apparition, voire même la succession sur
toute une vie d’épisodes exclusivement dépressifs, l’enseignement
apporté par les données de l’épidémiologie clinique ainsi que par la
qualité des réponses aux traitements
fait émerger l’intérêt que l’on doit
porter à l’évolution et aux antécédents
personnels et familiaux des patients
qui présentent ces troubles.
Nous rappellerons en premier lieu les
caractéristiques cliniques du spectre
élargi des troubles affectifs.
* Chef de Service CHS de La Rochelle.
** PH, service du Dr J.A. Meynard,
CHS de La Rochelle.
*** Interne, service du Dr J.A. Meynard,
CHS de La Rochelle.
◗ Bipolaire I : alternance d’accès
maniaques francs et purs avec des
épisodes dépressifs majeurs.
◗ Bipolaire II : forme clinique constituée d’épisodes dépressifs majeurs
récurrents, associés dans leur évolution à la présence d’épisodes hypomaniaques, ou forme clinique constituée
d’une cyclothymie, associée à des
épisodes dépressifs majeurs récurrents.
◗ Cyclothymie : forme atténuée de
bipolarité II caractérisée par la succession d’épisodes d’hypomanie et d’épisodes de dépression légère. C’est un
trouble chronique dont la prévalence
serait de 3 à 7 % environ dans la population générale, avec une majorité de
femmes atteintes. Le caractère atténué
de la symptomatologie fait souvent
situer cette pathologie au niveau d’un
trouble de la personnalité évoluant de
l’irritabilité au comportement antisocial. La plupart des personnes atteintes
de troubles cyclothymiques ont des
vies marquées par l’empreinte de la
pathologie. Les variations brusques et
fréquentes de leur humeur les rendent
hypersensibles au stress avec mauvaise
adaptation de leur réaction. Les
mauvaises fortunes affectives et
professionnelles, les difficultés conjugales et relationnelles, surtout en
phase d’hypomanie, sont légion,
exacerbées encore par l’abus d’alcool
et d’autres substances consommées à
visée d’automédication (plus de 10 %
des cyclothymiques ont une dépendance à une substance illicite).
◗ Bipolaire III : forme clinique constituée d’épisodes dépressifs majeurs
récurrents (pseudo-unipolaires) sans
hypomanie spontanée, survenant sur
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 5, mai 2002
L
es deux dernières décennies se
sont traduites, sur le plan des
troubles bipolaires, par un
élargissement considérable de leur
spectre de définition, qui s’étend
désormais de la dépression jusqu’aux
psychoses schizophréniformes, avec
lesquelles il délimite des frontières
encore assez floues.
un tempérament hyperthymique et/ou
une histoire familiale de bipolarité. Ce
sous-groupe serait caractérisé par la
fréquence de manies ou d’hypomanies
induites par des traitements à visée
antidépressive.
◗ État maniaque (DSM-IV) : il s’agit
d’un état expansif ou irritable de l’humeur qui dure depuis une semaine au
moins et dans lequel le sujet présente
une toute-puissance, des idées de
grandeur, une fuite des idées, une
insomnie, une logorrhée et une hyperactivité confinant à l’agitation psychomotrice dont il ne mesure pas toujours
les conséquences dommageables au
niveau tant social que professionnel.
L’enthousiasme est constant, l’euphorie fréquente, laissant alternativement place à l’irritabilité et à la
causticité. Le patient a généralement
une présentation caractéristique faite
d’un faciès enjoué et hypermimique,
d’un verbe haut, rapide, se voulant
humoristique, distrait par la moindre
stimulation jusqu’à la totale absence
de cohésion dans son discours et ses
actes. Cette incohérence non perçue
quant à ses conséquences, issue d’une
confiance en soi totale, peut entraîner
le sujet dans des actes à forte potentialité dangereuse pour lui-même ou pour
autrui, justifiant le plus souvent son
hospitalisation en milieu spécialisé.
◗ État hypomaniaque : cet état est
difficile à différencier des variations
hyperexpressives normales de l’humeur. On peut cependant retenir
quelques traits caractéristiques :
– un virage ou une modification
brutale de l’humeur vers l’euphorie ;
– une élation de l’humeur, globalement à polarité joyeuse et optimiste ;
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– une disproportion des affects par
rapport à un événement déclenchant ;
– l’existence d’une hostilité à type de
colère ou d’irritabilité ;
– une perturbation du jugement
social ;
– des conséquences relationnelles ou
financières ;
– la prévisibilité, parfois périodique,
des variations et, surtout, l’inquiétude
de l’entourage qui note ces aspects
hyperexpressifs.
La dépression dans le cadre
de la bipolarité
Dans le trouble bipolaire I
L’épisode dépressif se présente de
manière classique et il est généralement décrit comme l’association :
– d’une humeur dépressive, qui est un
vécu pessimiste de soi et du monde
avec sentiments d’infériorité, d’autodévalorisation, d’abandon, d’échec,
d’inutilité, voire de culpabilité ou
d’indignité ;
– d’une anhédonie, c’est-à-dire d’une
incapacité à éprouver du plaisir, avec
perte d’intérêt pour les activités
jusqu’alors investies, anesthésie affective culpabilisée et douloureusement
vécue par le patient ;
– d’un ralentissement psychomoteur,
avec asthénie, difficultés de concentration et d’attention, troubles
mnésiques, appauvrissement de la
pensée pouvant confiner au monoidéisme exprimé d’une voix monocorde. Parfois, l’agitation anxieuse
peut remplacer le ralentissement
psychomoteur protecteur ;
– de symptômes somatiques tels
qu’anorexie, troubles du sommeil,
troubles sexuels, céphalées, rachialgies, lombalgies, etc., auxquels s’ajoutent des sensations de striction thoracique
et des pesanteurs abdominales ;
– d’un désir de mort, qui complète
souvent le vécu dépressif, avec risque
de passage à l’acte accru par une
anxiété associée.
La mélancolie, au sens français du
terme, est l’association au syndrome
dépressif d’idées délirantes de culpabilité et de ruine trouvant leur résolution naturelle dans l’imminence du
passage à l’acte suicidaire.
Dans le trouble bipolaire I, l’épisode
dépressif ne possède pas de caractéristiques cliniques franches qui pourraient le faire qualifier d’emblée par le
clinicien de pathognomonique. Cet
état ne semble toutefois pas poser, a
priori, de problème de reconnaissance,
tant la souffrance est le plus souvent
évidente, le diagnostic de bipolarité I
se faisant sur la connaissance par le
praticien d’épisodes maniaques chez
les patients et aussi des antécédents
personnels et familiaux de troubles
thymiques. Peu d’éléments sémiologiques, en effet, permettent de différencier une dépression unipolaire
simple d’une dépression bipolaire type I.
Quelques éléments, comme l’intensité
des troubles ou l’immixtion de traits
psychotiques, se retrouvent dans les
deux pathologies, même si ces
derniers peuvent laisser soupçonner
une évolution plus lente et surtout plus
cyclique.
Le seul problème réside alors dans
l’accès inaugural de la pathologie,
pour lequel il faudra toujours rechercher des antécédents familiaux de
bipolarité.
Dans le trouble bipolaire type II
À l’opposé, l’épisode dépressif
semble se caractériser par quelques
données cliniques qui, à notre avis,
devraient permettre aux cliniciens
d’en évoquer le diagnostic, bien qu’il
soit plus difficile a priori.
En effet, les états hypomaniaques sont
soit méconnus, soit minimisés, voire
même niés par le patient, car considérés comme une adaptation et un
vécu de guérison par rapport à leur
état antérieur.
La symptomatologie dépressive
permettrait peut-être à elle seule de
faire l’hypothèse d’un trouble bipolaire II sur les arguments suivants :
– les patients, lors de cet épisode
dépressif, se montrent globalement
plus hypersomniaques et plus hyperphagiques ;
– les épisodes dépressifs se manifesteraient dans la vie du patient de façon
plus précoce et de manière plus récurrente ;
– entre les épisodes dépressifs persisterait une instabilité émotionnelle
donnant un aspect caractériel à la
personnalité des patients qui sont alors
étiquetés hystériques, états limites,
psychopathes, etc. ;
– les patients auraient une biographie
plus orageuse, avec ruptures conjugales nombreuses et instabilité socioprofessionnelle ;
– il existerait des troubles cognitifs
intercrises témoignant d’une persistance d’éléments dépressifs dans leur
perception et leur vécu du monde.
Cela relativise la notion d’intervalle
libre classiquement décrit dans la
bipolarité ;
– les patients auraient, de plus, une
propension à abuser de diverses
substances psychoactives dans une
proportion pouvant atteindre 50 % des
cas ;
– il existerait également, et de manière
quasi pathognomonique, une large
gamme de symptômes comorbides à
type d’attaques de panique, de
troubles obsessionnels compulsifs et
de migraines ;
– à cette comorbidité anxieuse invalidante, nettement supérieure à celle des
troubles bipolaires I, s’ajoute un
risque de tentative de suicide et de
décès par suicide plus important ;
– la question de la dépression bipolaire se pose également, à notre avis,
pour un type d’états dépressifs qui
apparaissent influencés par les variations saisonnières. Ces états surviendraient classiquement en automne, le
plus souvent chez des personnes de
sexe féminin et qui, à l’opposé de leur
ordinaire plutôt dynamique, développeraient régulièrement une pathologie
se manifestant essentiellement par une
hypersomnie, une aboulie, un certain
degré de douleur morale pendant les
mois d’hiver, l’arrivée du printemps
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coïncidant généralement avec une
diminution importante du besoin de
sommeil, une augmentation du degré
d’activité et un redressement de l’humeur.
Le traitement de la bipolarité
dépressive
Si la dépression unipolaire bénéficie
de stratégies thérapeutiques à peu près
codifiées, y compris dans le cas de
résistance au traitement (augmentation des posologies, changement de
classe d’antidépresseurs, association
d’antidépresseurs, emploi du lithium,
des hormones thyroïdiennes, sismothérapie, etc.), les stratégies en
matière de dépression entrant dans le
cadre de la bipolarité ne font pas
encore l’objet d’un large consensus.
On énoncera ici quelques points dans
le but d’éclairer la décision thérapeutique lors d’un état dépressif bipolaire.
Bipolaire I
L’utilisation d’antidépresseurs se
justifie pleinement. Ils seront associés
le plus rapidement possible en
première intention au lithium, en l’absence de contre-indication et avec l’assurance d’une compliance de bonne
qualité. Si besoin, d’autres thymorégulateurs, tels que les anticonvulsivants, pourront être préférés. Si
l’efficacité optimale d’une lithiothérapie se situe entre 0,7 et 1 mEq/l, des
études peu nombreuses ont préconisé
la recherche de lithiémies plus élevées
pour le traitement des états
maniaques.
Le choix de l’antidépresseur se fera
préférentiellement vers les molécules
sérotoninergiques (ISRS) réputées
pour induire moins d’effets secondaires.
Un grand nombre d’entre elles sont à
la disposition des prescripteurs depuis
maintenant environ dix ans.
Cependant, devant l’acuité de certains
épisodes, les psychiatres hospitaliers
semblent préférer encore les antidépresseurs tricycliques et, de façon plus
récente, des molécules à potentialité
mixte, bien qu’aucune étude, à notre
connaissance, n’ait montré une efficacité plus spécifique dans la dépression
bipolaire.
Les sismothérapies complètent l’arsenal thérapeutique en cas de résistance, lors de l’imminence d’un
passage à l’acte suicidaire ou lorsque
le pronostic vital est en jeu.
Bipolaire II
La dépression dans ce cadre clinique
ne bénéficie pas encore à l’heure
actuelle, en matière de traitement, de
données scientifiques suffisantes pour
étayer une véritable stratégie formelle.
Cependant, quelques éléments pertinents dans de nombreuses études
méritent d’être retenus.
Si le traitement idéal paraît être celui
de la thymorégulation d’emblée, la
pratique clinique devant la souffrance
morale aiguë impose de traiter ces
patients par des antidépresseurs.
Ces derniers seront choisis préférentiellement dans le groupe des ISRS du
fait du moindre risque switcheur
(inversion de l’humeur), bien que non
encore prouvé, évoqué pour ses molécules.
De nombreuses données ont en effet
suggéré l’hypothèse d’une iatrogénie
des antidépresseurs tricycliques qui
seraient responsables de l’accélération
du rythme des cycles, transformant les
patients, à terme, en bipolaires à
cycles rapides (> 4 cycles par an).
Si le lithium conserve dans la bipolarité de type I une efficience certaine et
reconnue, il apparaît à la lumière de la
littérature que les thymorégulateurs
anticonvulsivants ont, dans la bipolarité de type II comme dans les manies
dysphoriques et les cycles rapides, une
efficacité au moins égale ou supérieure.
Les choix actuels semblent se porter
sur l’acide valproïque, présentant
moins d’effets secondaires et de toxicité que la carbamazépine (inducteur
enzymatique) qui n’en conserve pas
moins d’excellentes propriétés thymorégulatrices.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 5, mai 2002
D’autres thymorégulateurs anticonvulsivants, tels que la lamotrigine, la
gabapentine, le topiramate, etc., font
l’objet actuellement d’études d’efficacité, notamment dans la manie aiguë.
Leur efficacité dans la dépression ou
dans la prévention des rechutes reste
hypothétique et en cours d’évaluation.
Les premières données dans la manie
sont a priori encourageantes.
Il n’existe pas encore à notre connaissance de données sur les antidépresseurs à polarité mixte récents.
Les antipsychotiques récemment émis
sur le marché paraissent, pour certains
d’entre eux, posséder des propriétés
psychostimulantes et également antimaniaques et peut-être thymorégulatrices.
D’ores et déjà, de multiples études
sont en cours avec la rispéridone,
l’olanzapine, la zyprasidone, la quiétapine, etc., afin de déterminer la pertinence scientifique de ces propriétés.
Si le caractère saisonnier – déjà
évoqué – de la dépression paraît manifeste, les patients pourront bénéficier
d’un adjuvant à leur thérapie antidépressive sous la forme de séances de
luminothérapie. Cette association
paraît supérieure à la prescription
d’antidépresseurs seuls.
Dans le cadre d’un trouble bipolaire II,
il faudra savoir adapter le traitement
au caractère saisonnier des troubles,
en utilisant, si possible, moins d’antidépresseurs au printemps et en été et
davantage en automne et en hiver.
Par ailleurs, last but not least, les stratégies thérapeutiques pour une pathologie à caractère chronique et
récurrent sur toute une vie ne peuvent
s’élaborer sans le présupposé de la
prise en charge psychologique des
patients.
L’instabilité émotionnelle interépisodique et l’hyperréactivité aux stresseurs externes qui sont souvent de
mise justifieront pleinement les prises
en charge à vocation psychothérapeutique structurées au long cours,
auxquelles nous pensons qu’il faut
ajouter :
– l’éducation des patients sur la nature
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spectre des troubles thymiques, puisqu’ils participent également de la
normalité.
Les tempéraments en cours d’étude et
de validation depuis quelques années
permettent de donner à l’ensemble des
troubles bipolaires une cohérence
théorique. Leur prévalence dans la
population générale, leur évolution au
cours de la vie et leur relation avec les
différentes pathologies du spectre sont
autant de voies de recherche actuelle.
de leur maladie, son évolution et ses
conséquences, et notamment l’insistance cognitive sur leur comportement
addictif en matière d’alcool et de
substances psychoactives. Des associations de patients bipolaires sont,
dans ce contexte, d’un apport essentiel ;
– des conseils en matière de relations
sociales, affectives et professionnelles
du fait de leur nature impulsive qui
risque, dans les états aigus, de provoquer des dommages irréversibles
(divorce, instabilité professionnelle,
errance sexuelle et ses risques inhérents).
Les tempéraments
Conclusion
L’élargissement du spectre des
troubles bipolaires à des formes de
dépression, perçues antérieurement
comme unipolaires, mais également à
des troubles jusqu’alors considérés
soit comme des troubles de la personnalité, soit comme de simples dépressions réactionnelles, y compris
récurrentes, paraît être une avancée
considérable des vingt dernières
années.
Le regroupement de ces symptomatologies derrière la bannière de la bipolarité est loin de répondre à un souci
uniquement nosographique. En effet,
cette expansion du concept s’accompagne au contraire d’un positionnement en matière thérapeutique propre
à pouvoir faire bénéficier directement
le patient de stratégies nouvelles de
thymorégulation. Ces dernières,
encore en évaluation, sont désormais
d’une grande importance. L’impact de
ces stratégies peut en effet modifier
sur le long terme l’évolution connue
comme catastrophique des dépressions récurrentes et de leur corollaire
suicidaire. Par ailleurs, il nous semble
que ces stratégies ont une influence
quasi fondamentale sur la qualité de
vie des patients et, par extension, sur
celle de leur famille.
Nous conclurons ce propos sur la
dépression bipolaire en évoquant la
notion de tempéraments affectifs qui
constituent vraisemblablement la
limite extrême de l’extension du
Au niveau affectif, Kraepelin avait
déjà considéré la légitimité des tempéraments, s’interrogeant sur leur relation probable avec les troubles
thymiques ultérieurs. H. Akiskal, au
décours des années 1980, a réactualisé
cette notion en l’intégrant dans le
spectre élargi des troubles bipolaires.
Il distingue quatre types de tempéraments : le tempérament hyperactif, le
tempérament dépressif, le tempérament cyclothymique, le tempérament
irritable. Ils peuvent être hypothétiquement interprétés comme soit une
forme atténuée de la maladie, soit un
début de la pathologie soit une cicatrice de l’état morbide.
Le tempérament affectif constitue
vraisemblablement la partie la plus
biologique, la plus génétique et donc
la plus héritable de la vulnérabilité
bipolaire. Il se situe en deçà du caractère, qui représente schématiquement
la rencontre de cette vulnérabilité avec
l’environnement et les interactions
inhérentes à toute vie. La personnalité, dans ce cas de figure, serait la
résultante des compositions multiples
entre la vulnérabilité du tempérament
et le caractère.
L’intérêt d’évoquer une telle notion est
tout d’abord d’intégrer dans les maladies thymiques des états subsyndromiques, voire même asymptomatiques,
dans une logique de compréhension de
la dépression perçue comme une
maladie couvrant toute la vie d’un
patient.
Par ailleurs, la validation en cours de
ces tempéraments, loin d’être simplement académique, permettra, au-delà
d’une incitation à des études épidémiologiques structurées, une lecture
plus explicite des patients bipolaires
atténués, mais également des dépressions récurrentes pour lesquelles les
cliniciens manquaient souvent d’outils
conceptuels.
Nous
les
rappellerons
pour
mémoire…
Tempérament cyclothymique
◗ Début précoce (< 21 ans).
◗ Cycles courts intermittents avec
euthymie peu fréquente.
◗ Troubles biphasiques caractérisés
par des oscillations brutales d’une
phase à l’autre avec manifestations
subjectives et comportementales.
◗ Manifestations subjectives :
– léthargie alternant avec eutonie ;
– pessimisme et ruminations alternant
avec optimisme et attitudes insouciantes ;
– obtusion mentale alternant avec une
pensée aiguë et créative ;
– estime de soi incertaine oscillant
entre une faible confiance en soi et
une confiance excessive, mégalomaniaque.
◗ Manifestations comportementales
(de meilleure valeur diagnostique) :
– hypersomnie alternant avec besoin
réduit de sommeil ;
– repli introversif alternant avec une
recherche sociale désinhibée ;
– restriction de la production verbale
alternant avec logorrhée ;
– pleurs inexpliqués alternant avec des
plaisanteries et facéties excessives ;
– irrégularité qualitative et quantitative marquée dans la productivité
associée à des horaires inhabituellement élevés de travail.
Tempérament hyperthymique
◗ Début précoce indéterminé (< 21 ans).
◗ Traits hypomaniaques “subsyndro-
miques” intermittents avec euthymie
rare.
◗ Courts dormeurs habituels (< 6 heures
même les week-ends).
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◗ Dénégation excessive.
◗ Traits de personnalité hypoma-
niaque :
– irritable, gai, trop optimiste ou
exubérant ;
– naïf, trop confiant, assuré, vantard,
emphatique ou mégalomaniaque ;
– vigoureux, entreprenant, imprévoyant, prodigue, impulsif ;
– bavard ;
– chaleureux, avide de contact, extraverti ;
– intrusif, se mêlant de tout ;
– désinhibé, avide de sensations, avec
promiscuité.
Tempérament dysthymique subaffectif
◗ Début précoce indéterminé
(< 21 ans).
◗ Dépression intermittente de faible
intensité, non secondaire à une pathologie non affective.
◗ Hypersomnolence inhabituelle
(> 9 heures par jour).
◗ Tendance à broyer du noir, anhédonie, inertie psychomotrice, pire le
matin.
◗ Traits de personnalité dépressive :
– sombre, pessimiste, sans humour,
incapable de s’amuser ;
– calme, silencieux, passif et indécis ;
– sceptique, hypercritique et plaintif ;
– préoccupations et ruminations ;
– consciencieux et discipliné ;
– autocritiques, reproches et péjorations sur soi-même ;
– préoccupations pour son inadéquation, les échecs et les événements
négatifs jusqu’à la jubilation morbide
de ses propres échecs.
Tempérament irritable
◗ Début précoce indéterminé (< 21 ans).
◗ Habituellement d’humeur changeante, irritable et colérique avec
euthymie peu fréquente.
◗ Tendance à ruminer, à broyer du noir.
◗ Hypercritique et plaintif.
◗ Mauvaises plaisanteries.
◗ Obstructionnisme.
◗ Agitation dysphorique.
◗ Impulsivité.
◗ Ne remplit pas les critères de personnalité antisociale, de troubles déficitaires de l’attention résiduelle ou de
troubles épileptiques.
L’évolution théorique de cette
nouvelle compréhension des troubles
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 5, mai 2002
bipolaires a conduit H. Akiskal à
proposer récemment une dernière
grille de lecture qui synthétise les
différentes compositions autorisées
par la multitude des formes cliniques
de la dépression bipolaire.
Nous conclurons donc notre propos
sur cette grille toujours évolutive :
" BP 0,5 : trouble schizobipolaire
" BP 1 : trouble bipolaire classique
avec manie
" BP 1,5 : hypomanie réfractaire
" BP 2 : trouble bipolaire avec hypomanie
" BP 2,5 : dépression cyclothymique
" BP 3 : dépression sur tempérament hyperthymique et histoire familiale de BP
" BP 3,5 : bipolarité par utilisation
d’alcool et/ou psychostimulant
" BP 4 : dépression hyperthymique
Etc., ad litteram.
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