La Lettre du Rhumatologue - n° 252 - mai 1999
5
É
DITORIAL
chirurgie de cataracte et une septicémie à staphylocoques chez
des patients qui recevaient par ailleurs du méthotrexate (6). On a
noté dans 8 % des cas l’apparition d’anticorps anti-ADN natif et
une observation de lupus, probablement induit, d’évolution favo-
rable. Les anticorps monoclonaux chimériques ou humanisés
(cA2 ou CDP 571) posent le problème de l’induction éventuelle
d’anticorps anti-idiotype qui peuvent, à terme, diminuer ou même
faire disparaître l’efficacité du produit avec la répétition des doses.
Les anticorps anti-TNFαagissent en bloquant les molécules libres
de cette cytokine. Ils ont aussi un effet cytotoxique sur les cel-
lules activées, car ils se fixent sur les molécules de TNFαtrans-
membranaires. De plus, ils inhibent l’IL1 et l’IL8, diminuent la
production des molécules d’adhésion et réduisent la concentra-
tion en facteurs angiogéniques (notamment du facteur de crois-
sance endothélial), ce qui a pour conséquence de diminuer la
migration des cellules du sang vers la membrane synoviale (6).
Les récepteurs solubles du TNFα
L’utilisation des récepteurs solubles du TNFαen thérapeutique
humaine ouvre des perspectives d’un grand intérêt. Le TNFαdis-
pose d’un système de régulation constitué de récepteurs cellu-
laires solubles, qui sont au nombre de deux : le récepteur p55
(parfois appelé p60) et le récepteur p75 (parfois appelé p80). Ils
peuvent quitter la membrane cellulaire et sont alors disponibles
pour bloquer le TNFαcirculant.
Les récepteurs solubles du TNFα ont une durée de vie courte, qui
peut être augmentée en constituant par génie génétique une pro-
téine de fusion. Elle associe deux molécules du récepteur soluble
du TNFαet le fragment Fc d’une IgG1 humaine. Le récepteur
soluble p55 (lénercept, Laboratoires Roche) n’a pas poursuivi son
développement.
En revanche, on dispose actuellement du récepteur soluble p75 :
étanercept, qui sera commercialisé sous le nom d’Enbrel (labo-
ratoires Wyeth-Ayerst). Ce produit a été approuvé par la Food
and Drug Administration aux États-Unis, et l’on peut s’attendre
à une commercialisation prochaine en Europe. Il est administré
par voie sous-cutanée, à raison de deux injections par semaine.
La posologie définitive est en cours d’évaluation.
Ce produit a fait l’objet de nombreuses études cliniques interna-
tionales parfaitement conduites. Ainsi, Moreland (8, 9), dans une
étude en double aveugle contre placebo portant sur 180 patients
déjà traités sans succès par au moins un traitement de fond, a
observé une réponse clinique ACR 20 % dans 75 % des cas (14 %
avec le placebo) et une réponse clinique ACR 50 % dans 57 %
des cas (7 % avec le placebo) avec une posologie de 16 mg/m2.
Le pourcentage de malades répondeurs à ce traitement, évalué à
6 mois sur 234 patients, est de 59 % pour la réponse clinique ACR
20 % et de 40 % pour la réponse clinique ACR 50 %, ce qui est
considérable. Parallèlement, on note une réduction très signifi-
cative de la vitesse de sédimentation globulaire et de la CRP. Cer-
tains patients ont été suivis pendant deux ans : 79 % sont encore
traités avec de bons résultats cliniques. Dans l’ensemble, la tolé-
rance est bonne, les effets indésirables les plus fréquents étant un
érythème, des douleurs ou un prurit au point de l’injection sous-
cutanée (25 % des cas). Il n’a pas été observé d’augmentation de
la fréquence des néoplasies ni d’accident infectieux grave.
UNE ASSOCIATION PROMETTEUSE
L’association Enbrel-méthotrexate est prometteuse. Weinblatt
(10) vient de publier une étude en double aveugle randomisée de
24 semaines portant sur 89 malades traités initialement pendant
au moins 6 mois par du méthotrexate mais insuffisamment amé-
liorés. Ils ont été randomisés pour recevoir soit de l’Enbrel 25 mg
deux fois par semaine, soit un placebo. On constate, à 6 mois,
que 71 % de ceux qui recevaient l’association Enbrel-métho-
trexate remplissent les critères de réponse ACR 20 %, contre 27 %
seulement de ceux recevant uniquement du méthotrexate. Trente-
neuf pour cent des patients traités par Enbrel répondent aux cri-
tères ACR 50 %, contre 3 % de ceux recevant seulement du métho-
trexate. La vitesse de sédimentation globulaire s’est normalisée
dans 62 % des cas chez les patients traités par l’association thé-
rapeutique et, chez eux, l’indice HAQ passe de 1,5 à 0,8, ce qui
correspond à une amélioration de 47 %.
Dans cette série, les effets secondaires sont très rares : quelques
réactions bénignes au point d’injection, apparition d’anticorps
anti-ADN natif dans 7 % des cas sans tableau clinique de lupus
et apparition d’anticorps contre la protéine de fusion dans de rares
observations, sans conséquences cliniques. Aucun malade n’a
interrompu l’étude en raison d’un effet secondaire.
UN PROGRÈS MAJEUR, MAIS DES QUESTIONS DEMEURENT
Tous ces travaux confirment l’intérêt majeur de l’immunomodu-
lation thérapeutique portant sur le TNFαau cours de la PR.
Cependant, quelle que soit la modalité utilisée (anticorps mono-
clonal anti-TNF ou récepteur soluble), un certain nombre de ques-
tions demeurent pour l’instant sans réponse.
Les doses ne sont pas encore définitivement arrêtées, pas plus que
la périodicité des traitements. Les effets cliniques observés, par-
fois spectaculaires, sont avant tout de type anti-inflammatoire.
Des effets systémiques existent aussi. L’asthénie, souvent majeure
chez ces malades, régresse au moins partiellement, tandis que
l’humeur s’améliore très vite, souvent avant les articulations. Les
patients étudiés à ce jour sont en général atteints de PR anciennes.
On ignore si cette approche thérapeutique pourrait influencer
l’évolution radiographique de la PR. Aussi, des études réalisées
au cours de PR débutantes,ou en tout cas peu évoluées,sont indis-
pensables pour apprécier l’éventuel effet chondroprotecteur de
ces traitements (11). On sait en effet que le TNFαest avant tout
la cytokine de l’inflammation, alors que l’IL1, qui agit de façon
synergique avec le TNFα, a un rôle connu dans la destruction
ostéo-cartilagineuse. Le TNFαjoue un rôle important dans la
lutte contre l’infection et la prévention de certaines néoplasies.
On manque encore de recul pour apprécier les éventuels effets
secondaires tardifs, notamment infectieux ou néoplasiques.
Concernant ces derniers, il faudra attendre plusieurs années avant
d’avoir une opinion définitive, car l’induction tardive d’une affec-