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D I T O R I A L
Modulation du TNFα dans le traitement
de la polyarthrite rhumatoïde
● J. Sany*
L‘
amélioration de nos connaissances dans l’immunopathologie et la pathogénie de la polyarthrite rhumatoïde
(PR), d’une part, les progrès de la biologie moléculaire,
d’autre part, ouvrent de nouvelles possibilités thérapeutiques. À
côté des traitements dits “de fond” anciennement connus, on étudie depuis quelques années des traitements immunomodulants
beaucoup plus sélectifs. Ils sont dirigés contre un médiateur biologique ou une cellule donnée. Ces nouveaux médicaments sont
appelés “biothérapies”, ou parfois “drogues ciblées”. Les traitements modulant le TNFα (tumor necrosis factor α), que l’on peut
considérer comme une cible thérapeutique privilégiée, constituent, parmi ces nouvelles approches, une des plus prometteuses
(1, 2).
Le TNFα, cytokine à forte activité pro-inflammatoire, joue un
rôle important dans le mécanisme des lésions de la PR. Cependant, son action n’est pas isolée. En effet, il existe dans l’articulation rhumatoïde un déséquilibre entre les cytokines à action proinflammatoire comme le TNFα, l’IL1 et l’IL6, qui sont en excès,
et le système anti-inflammatoire représenté par l’IL10, l’IL4, les
récepteurs solubles du TNFα et l’antagoniste du récepteur de
l’IL1 qui, en quantité insuffisante, ne peuvent bloquer l’action
des cytokines pro-inflammatoires. Cela a pour conséquence la
sécrétion par les synoviocytes et les fibroblastes synoviaux de
diverses métalloprotéases qui entraînent les lésions ostéocartilagineuses (3).
Le rôle central joué par le TNFα au cours de la PR a été initialement décrit en 1990 par l’équipe de Maini, à Londres (3). Cette
équipe a montré, dans les modèles animaux d’arthrite au collagène II, que l’administration d’un anticorps monoclonal antiTNFα améliorait l’inflammation et les lésions articulaires. Par
ailleurs, chez les souris transgéniques pour le TNFα humain, on
observe une maladie articulaire érosive sévère qui peut être évitée par un anticorps anti-TNFα. In vitro, le blocage du TNFα
entraîne une inhibition de la synthèse de l’IL1, de l’IL6, du GMCSF et de l’IL8, cytokines à action pro-inflammatoire. Chez le
malade atteint de PR, on trouve des taux élevés de TNFα et de
récepteurs solubles du TNFα dans la synoviale et le pannus rhumatoïde. Toutes ces constatations ont, très logiquement, amené
à proposer le TNFα comme cible thérapeutique.
* Service d’immunorhumatologie, CHU Lapeyronie, 34295 Montpellier
Cedex 5.
4
DEUX MODES PRINCIPAUX DE MODULATION DU TNFα PEUVENT ÊTRE ENVISAGÉS
Le premier consiste à utiliser un anticorps monoclonal anti-TNFα,
l’autre les récepteurs solubles de cette cytokine.
Les anticorps monoclonaux anti-TNFα
Les premiers travaux publiés chez des malades atteints de PR en
1993 ont porté sur un anticorps monoclonal anti-TNFα mis au
point par l’équipe du Kennedy Institute of Rheumatology à
Londres, en collaboration avec le laboratoire Centocor (cA2 :
infliximab ; Remicade). C’est un anticorps chimérique anti-TNFα
administré par voie intraveineuse. Les excellents résultats cliniques et biologiques de la première étude ouverte (4) ont été
confirmés par d’autres travaux effectués en double aveugle contre
placebo (5). Ainsi, dans une série de 73 malades atteints de PR
active, plus de la moitié des sujets traités par 15 mg/kg d’anticorps monoclonal sous forme de perfusion intraveineuse intermittente répondent aux critères de Paulus 50 %. Les réponses cliniques sont impressionnantes, avec une amélioration moyenne
du nombre d’articulations douloureuses ou enflées dépassant
60 %. Parallèlement, le syndrome biologique inflammatoire
régresse. L’amélioration clinique dure 8 à 25 semaines et des traitements successifs s’avèrent possibles. Cependant, la réponse thérapeutique tend à diminuer au fil du temps, surtout lorsqu’on utilise de faibles doses d’anticorps. Cela est dû à l’apparition
d’anticorps dirigés contre l’anticorps monoclonal chimérique. Ce
phénomène semble pouvoir être prévenu par l’association à cet
anticorps de faibles doses de méthotrexate (7,5 mg par semaine),
comme cela a été très récemment rapporté (6).
Des résultats du même ordre, à la fois sur le plan clinique et biologique, ont été publiés avec d’autres anticorps anti-TNFα : l’un
est un anticorps humanisé, le CDP 571, l’autre est un anticorps
totalement humain, le D2E7 (laboratoires Knoll), utilisable
aujourd’hui en injections sous-cutanées (7). Les résultats obtenus avec ce dernier portent sur près de 500 patients, avec un recul
de 18 mois. La réponse clinique est bonne dans 70 % des cas et
rapide (souvent dès la première semaine), avec, chez 44 % des
malades, une diminution du taux de CRP. Cet anticorps particulièrement intéressant est actuellement en cours d’étude. Pour l’instant, aucun de ces produits n’a reçu l’autorisation de mise sur le
marché dans l’indication “polyarthrite rhumatoïde”.
Les effets secondaires sont peu importants : on a signalé quelques
cas d’infection, notamment des voies respiratoires supérieures,
ou parfois des voies urinaires. Seules deux infections graves ont
été observées avec l’anticorps cA2 : une infection oculaire après
La Lettre du Rhumatologue - n° 252 - mai 1999
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chirurgie de cataracte et une septicémie à staphylocoques chez
des patients qui recevaient par ailleurs du méthotrexate (6). On a
noté dans 8 % des cas l’apparition d’anticorps anti-ADN natif et
une observation de lupus, probablement induit, d’évolution favorable. Les anticorps monoclonaux chimériques ou humanisés
(cA2 ou CDP 571) posent le problème de l’induction éventuelle
d’anticorps anti-idiotype qui peuvent, à terme, diminuer ou même
faire disparaître l’efficacité du produit avec la répétition des doses.
Les anticorps anti-TNFα agissent en bloquant les molécules libres
de cette cytokine. Ils ont aussi un effet cytotoxique sur les cellules activées, car ils se fixent sur les molécules de TNFα transmembranaires. De plus, ils inhibent l’IL1 et l’IL8, diminuent la
production des molécules d’adhésion et réduisent la concentration en facteurs angiogéniques (notamment du facteur de croissance endothélial), ce qui a pour conséquence de diminuer la
migration des cellules du sang vers la membrane synoviale (6).
Les récepteurs solubles du TNFα
L’utilisation des récepteurs solubles du TNFα en thérapeutique
humaine ouvre des perspectives d’un grand intérêt. Le TNFα dispose d’un système de régulation constitué de récepteurs cellulaires solubles, qui sont au nombre de deux : le récepteur p55
(parfois appelé p60) et le récepteur p75 (parfois appelé p80). Ils
peuvent quitter la membrane cellulaire et sont alors disponibles
pour bloquer le TNFα circulant.
Les récepteurs solubles du TNFα ont une durée de vie courte, qui
peut être augmentée en constituant par génie génétique une protéine de fusion. Elle associe deux molécules du récepteur soluble
du TNFα et le fragment Fc d’une IgG1 humaine. Le récepteur
soluble p55 (lénercept, Laboratoires Roche) n’a pas poursuivi son
développement.
En revanche, on dispose actuellement du récepteur soluble p75 :
étanercept, qui sera commercialisé sous le nom d’Enbrel (laboratoires Wyeth-Ayerst). Ce produit a été approuvé par la Food
and Drug Administration aux États-Unis, et l’on peut s’attendre
à une commercialisation prochaine en Europe. Il est administré
par voie sous-cutanée, à raison de deux injections par semaine.
La posologie définitive est en cours d’évaluation.
Ce produit a fait l’objet de nombreuses études cliniques internationales parfaitement conduites. Ainsi, Moreland (8, 9), dans une
étude en double aveugle contre placebo portant sur 180 patients
déjà traités sans succès par au moins un traitement de fond, a
observé une réponse clinique ACR 20 % dans 75 % des cas (14 %
avec le placebo) et une réponse clinique ACR 50 % dans 57 %
des cas (7 % avec le placebo) avec une posologie de 16 mg/m2.
Le pourcentage de malades répondeurs à ce traitement, évalué à
6 mois sur 234 patients, est de 59 % pour la réponse clinique ACR
20 % et de 40 % pour la réponse clinique ACR 50 %, ce qui est
considérable. Parallèlement, on note une réduction très significative de la vitesse de sédimentation globulaire et de la CRP. Certains patients ont été suivis pendant deux ans : 79 % sont encore
traités avec de bons résultats cliniques. Dans l’ensemble, la tolérance est bonne, les effets indésirables les plus fréquents étant un
érythème, des douleurs ou un prurit au point de l’injection sousLa Lettre du Rhumatologue - n° 252 - mai 1999
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cutanée (25 % des cas). Il n’a pas été observé d’augmentation de
la fréquence des néoplasies ni d’accident infectieux grave.
UNE ASSOCIATION PROMETTEUSE
L’association Enbrel-méthotrexate est prometteuse. Weinblatt
(10) vient de publier une étude en double aveugle randomisée de
24 semaines portant sur 89 malades traités initialement pendant
au moins 6 mois par du méthotrexate mais insuffisamment améliorés. Ils ont été randomisés pour recevoir soit de l’Enbrel 25 mg
deux fois par semaine, soit un placebo. On constate, à 6 mois,
que 71 % de ceux qui recevaient l’association Enbrel-méthotrexate remplissent les critères de réponse ACR 20 %, contre 27 %
seulement de ceux recevant uniquement du méthotrexate. Trenteneuf pour cent des patients traités par Enbrel répondent aux critères ACR 50 %, contre 3 % de ceux recevant seulement du méthotrexate. La vitesse de sédimentation globulaire s’est normalisée
dans 62 % des cas chez les patients traités par l’association thérapeutique et, chez eux, l’indice HAQ passe de 1,5 à 0,8, ce qui
correspond à une amélioration de 47 %.
Dans cette série, les effets secondaires sont très rares : quelques
réactions bénignes au point d’injection, apparition d’anticorps
anti-ADN natif dans 7 % des cas sans tableau clinique de lupus
et apparition d’anticorps contre la protéine de fusion dans de rares
observations, sans conséquences cliniques. Aucun malade n’a
interrompu l’étude en raison d’un effet secondaire.
UN PROGRÈS MAJEUR, MAIS DES QUESTIONS DEMEURENT
Tous ces travaux confirment l’intérêt majeur de l’immunomodulation thérapeutique portant sur le TNFα au cours de la PR.
Cependant, quelle que soit la modalité utilisée (anticorps monoclonal anti-TNF ou récepteur soluble), un certain nombre de questions demeurent pour l’instant sans réponse.
Les doses ne sont pas encore définitivement arrêtées, pas plus que
la périodicité des traitements. Les effets cliniques observés, parfois spectaculaires, sont avant tout de type anti-inflammatoire.
Des effets systémiques existent aussi. L’asthénie, souvent majeure
chez ces malades, régresse au moins partiellement, tandis que
l’humeur s’améliore très vite, souvent avant les articulations. Les
patients étudiés à ce jour sont en général atteints de PR anciennes.
On ignore si cette approche thérapeutique pourrait influencer
l’évolution radiographique de la PR. Aussi, des études réalisées
au cours de PR débutantes, ou en tout cas peu évoluées, sont indispensables pour apprécier l’éventuel effet chondroprotecteur de
ces traitements (11). On sait en effet que le TNFα est avant tout
la cytokine de l’inflammation, alors que l’IL1, qui agit de façon
synergique avec le TNFα, a un rôle connu dans la destruction
ostéo-cartilagineuse. Le TNFα joue un rôle important dans la
lutte contre l’infection et la prévention de certaines néoplasies.
On manque encore de recul pour apprécier les éventuels effets
secondaires tardifs, notamment infectieux ou néoplasiques.
Concernant ces derniers, il faudra attendre plusieurs années avant
d’avoir une opinion définitive, car l’induction tardive d’une affec5
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tion proliférative est théoriquement envisageable. Cependant, il
ne fait aucun doute que la modulation thérapeutique du TNFα
constitue un progrès majeur dans le traitement de la PR. Des travaux récents suggèrent l’intérêt d’associer le méthotrexate à ces
biothérapies.
thérapies, et notamment celles qui modulent le TNFα, si elles
sont correctement tolérées, prennent un place majeure dans le
traitement des formes graves de PR.
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Les indications de ces traitements ne sont pas encore parfaitement établies. Ce type d’approche pourra être proposé aux PR
sévères mal contrôlées par les traitements de fond habituels, et
probablement aussi aux PR débutantes qui s’accompagnent de
facteurs de pronostic péjoratifs. Les poussées inflammatoires
seront aussi des indications ; ce traitement remplacerait alors les
classiques bolus de corticoïdes. On ignore actuellement comment
on pourrait dépister les malades les plus susceptibles de répondre
à cette modulation thérapeutique. On envisagera certainement à
l’avenir d’associer des biothérapies entre elles, comme par
exemple les agents modulant le TNFα et un antagoniste du récepteur de l’IL1.
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Reste le problème du coût, probablement élevé, de ces biothérapies. Il est temps d’évaluer le rapport coût-bénéfice des traitements de la PR. En effet, il n’est pas exclu qu’un traitement, même
s’il est onéreux, s’avère en fait bon marché dans la mesure où il
évite des hospitalisations répétées et l’évolution vers une invalidité (11).
CONCLUSION
La conception du traitement médicamenteux de la PR est en train
d’évoluer rapidement. Il est probable qu’elle sera dans quelques
années très différente de ce que nous connaissons aujourd’hui.
Après le méthotrexate, qui a constitué un progrès thérapeutique
majeur depuis plus de dix ans, il est possible que certaines bio-
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La Lettre du Rhumatologue - n° 252 - mai 1999
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