Chapitre 1 it Lecture historique du patrimoine d’une ville e s s � MANUEL, PAGES 22-57 ◗ Présentation de la question champ du patrimoine. Le patrimoine matériel englobe monuments historiques, œuvres d’art, mais aussi témoignages des systèmes productifs industriels et agricoles. Le patrimoine immatériel est l’ensemble des traditions, célébrations, fêtes, traditions orales et culinaires qui définissent les identités d’un lieu. Tous les patrimoines étudiés dans ce chapitre sont donc devenus tels au terme d’un processus qui, comme celui lié aux mémoires, a conduit à donner une valeur particulière à certains éléments. Les patrimoines sont ainsi liés à la question de l’identité des différents lieux et des sociétés qui les habitent. • Faire une lecture historique du patrimoine d’une ville ne se résume pas à illustrer chaque période de l’histoire par des exemples d’œuvres et de monuments. Il ne s’agit pas non plus de réaliser un inventaire des éléments marquants du patrimoine. Il s’agit de proposer à l’élève des clés pour comprendre, à partir de ses connaissances historiques, combien un lieu peut être porteur de sens, d’identités complexes. Chacune des trois villes proposées à l’étude par le programme permet d’explorer tout le champ des notions qui viennent d’être explicitées. • Jérusalem est la ville sainte des trois monothéismes qui s’y rencontrent et qui s’y sont affrontés. Elle est le lieu de l’Alliance pour le judaïsme, de la résurrection du Christ pour les chrétiens, de la chevauchée nocturne de Mahomet pour les musulmans. Le mur occidental, l’église du Saint-Sépulcre, le Dôme du Rocher en témoignent encore. Destruction du Temple par les Romains, croisades, conflits du XXe siècle : le patrimoine de Jérusalem est un résumé de la géopolitique complexe du ProcheOrient. Ce sont les patrimoines de la ville qui font son intérêt géopolitique. Cependant, la proximité géographique, voire la superposition des lieux saints de chacune des religions donne un sens profondément unifié aux héritages de la cité. o B it e s s o B • La notion de patrimoine s’est construite, affirmée et précisée depuis plusieurs siècles. Une double page lui est consacrée (pp. 18-19) au début de la première partie, pour permettre aux élèves d’en saisir les enjeux avant d’étudier l’une des trois villes. • Le mot est né au XIIe siècle pour désigner un héritage qu’il convenait de préserver pour pouvoir le transmettre à son tour. Dans son acception actuelle, le concept date du XVIIIe siècle. Dans leur étude fondamentale sur la question, La notion de patrimoine, Jean-Pierre Babelon et André Chastel ont montré comment, au XVIIIe siècle, cette notion s’élargit. Elle recouvre désormais tous les « monuments », c’est-à-dire les éléments transmis par les siècles passés à une société donnée (en latin, le terme monumentum signifie « ce qui rappelle » et désigne un édifice commémoratif). Ces « monuments » peuvent être des édifices, mais aussi des éléments d’archives ou des œuvres d’art. Avec la Révolution, le patrimoine devient un enjeu lié à la mémoire nationale. La nation souveraine doit faire un choix sur les œuvres à préserver et sur le sens à leur donner. Par ailleurs, de nouveaux lieux patrimoniaux apparaissent. Des musées sont créés pour abriter les œuvres, et des orateurs comme l’abbé Grégoire justifient leur conservation. Cette approche française du patrimoine s’est diffusée en Europe aux XIXe et XXe siècles, à mesure que des États-nations s’y créaient. Le patrimoine est donc intimement lié à la notion de mémoire. Des études fondamentales comme celles de Pierre Nora ou Jean-Michel Leniaud ont récemment permis de préciser ces enjeux et d’ouvrir de nouvelles perspectives. • Le patrimoine évolue sans cesse, il reflète les dynamiques collectives mais aussi les récupérations identitaires et les manipulations politiques. Le processus de patrimonialisation a élargi le • 14 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Le centre historique de Rome montre comment la ville a su garder, de l’Antiquité à nos jours, une place spécifique. L’héritage de la capitale impériale a constitué un patrimoine archéologique et monumental tout à fait unique au cœur d’une grande métropole, avec les forums, le Palatin, le Capitole. Ce patrimoine a également entretenu le mythe de la Rome antique après l’Antiquité, à travers le regard des peintres et des écrivains. Par ailleurs, la ville a gardé un rayonnement important grâce à son statut de siège de la papauté. La Rome chrétienne et sa mise en scène architecturale et artistique ont permis la transmission d’une partie de l’héritage antique, mais elles lui ont donné un nouveau sens. Les grandes places, comme la place Navone ou la place d’Espagne en témoignent. Enfin, la ville est aussi devenue en 1871 la capitale de l’Italie unifiée et son patrimoine reflète les grandes étapes de la vie de la nation, notamment sous le régime fasciste, qui utilisa le mythe de la grandeur romaine et réalisa la voie des Forums impériaux. • Paris est la ville où la problématique du patrimoine est plus difficile à poser. Le patrimoine de Paris se prête à une double lecture historique. La première montre le rapport entre ville et pouvoir depuis le choix de Paris comme capitale : l’espace urbain a été façonné par les différents régimes pour servir de cadre à l’exaltation de la monarchie puis de la république (places royales, lieux de la Révolution, statuaire républicaine, grands chantiers présidentiels, etc.). La seconde lecture montre comment s’est construite l’identité de la ville, à travers un patrimoine matériel et immatériel. L’innovation artistique, le souci de définir des styles qui signent l’identité de la ville furent une constante du Moyen Âge à nos jours : Paris fut l’un des berceaux de l’art gothique, de l’art classique, des grandes innovations du XIXe et du XXe siècle. L’identité parisienne doit beaucoup au XIXe siècle, avec l’haussmannisation et la tour Eiffel. it C. Boito, Conserver ou restaurer. Les dilemmes du patrimoine, Les éditions de l’imprimeur, 2000. A. Chastel, Architecture et patrimoine, Inventaire général, 1994. F. Choay, L’Allégorie du patrimoine, Éditions du Seuil, 1992. F. Furet, Patrimoine, temps, espace. Patrimoine en place, patrimoine déplacé, Fayard, 1997. G. Giovannoni, L’Urbanisme face aux villes anciennes, Éditions du Seuil, 1995. J. Le Goff (dir.), Patrimoines et passions identitaires, Fayard, 1998. J.-M. Léniaud, Chroniques patrimoniales, Norma, 2001. J.-M. Léniaud, Les Archipels du passé, Fayard, 2002. J. Limouzin et F. Icher (dir.), Regards sur le patrimoine, SCÉRÈN, 2009. P. Nora (dir.), Science et conscience du patrimoine, Fayard, 1994. e s s o B it e s s o B ◗ Bibliographie Ouvrages généraux J.-P. Babelon, La Notion de patrimoine, Liana Lévi, 1994. F. Bercé, Des monuments historiques au patrimoine, du XVIIIe siècle à nos jours, ou les « égarements du cœur et de l’esprit », Flammarion, 2000. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Ouvrages sur Jérusalem F. Encel, Géopolitique de Jérusalem, Flammarion, coll. Champs, 2008. J.-Y. Leloup, Dictionnaire amoureux de Jérusalem, Plon, 2010. Ouvrages sur Rome F. Coarelli, Guide archéologique de Rome, Hachette, 1994. P. Grimal, Nous partons pour Rome, PUF, 1983. P. Grimal, Églises de Rome, Imprimerie nationale, 1997. Ouvrages sur Paris Y. Carbonnier, Paris, une géohistoire, Doc. Photo n° 8068, mars-avril 2009. A. Fierro, Histoire et dictionnaire de Paris, Robert Laffont, 1996. M.-F. Hoffbauer, Paris à travers les âges. Éditions Inter-Livres, Tours 1995 (1re éd. 1872). B. Rouleau, Paris, histoire d’un espace, Éditions du Seuil, 1997. D. Chadych et D. Leborgne, Atlas de Paris, Parigramme, 1999. P. Pinon, Atlas du Paris haussmannien, Parigramme, 2002. E. Mullaly, Guide de Paris au Moyen Âge, Biro & Cohen / Éditions du patrimoine, 2011. 15 • G. Jollivet, M.-C. Bouaré-des Déserts et I. Cardot, Paris dans l’histoire de France, Sudel, 2004. Sitographie http://whc.unesco.org/fr/list/ http://www.european-heritage.net/sdx/herein/ national_heritage/select_country.xsp www.icomos.org http://www.towerofdavid.org.il/English/ General/french http://www.unicaen.fr/cireve/rome/index.php http://www.paris.fr/loisirs/paris-loisirs/ histoire-et-patrimoine/p8495 http://www.culture.gouv.fr/culture/inventai/ patrimoine/ it Arts étudie le Dôme du Rocher, œuvre fondamentale de l’art islamique qui s’inscrit dans le patrimoine de la ville. Le deuxième cours montre que le patrimoine antique de Rome est resté un enjeu essentiel jusqu’à aujourd’hui. Avec le troisième cours on voit comment la papauté a mis en scène l’espace urbain, notamment au moyen de l’art baroque. Une étude est ensuite consacrée à un phénomène très frappant à Rome et qui permet aux élèves de comprendre comment le patrimoine se renouvelle sans cesse : la réutilisation des monuments antiques. Une double page Histoire des Arts est consacrée à un tableau d’Hubert Robert, ce qui conduit à montrer que le patrimoine de Rome vit aussi à travers la méditation des peintres (ou des écrivains) sur les ruines antiques. Le quatrième cours montre comment Paris, capitale de la France, a été façonnée par les différents pouvoirs. Puis le cinquième cours analyse la constitution progressive de l’identité parisienne, du paysage urbain. Une étude est ensuite consacrée au Louvre : cet édifice né comme palais royal et devenu musée permet en effet une lecture historique complète des rapports entre patrimoine et pouvoir. Enfin, une dernière étude, consacrée à la tour Eiffel, révèle comment un édifice controversé et éphémère accède au statut de patrimoine emblématique de la ville. e s s o B it e s s o B ◗ Plan du chapitre Le chapitre présente successivement les trois villes. Pour chacune d’elles, on commence par une double page Repères comprenant : le plan actuel de la ville avec les grands éléments de son patrimoine, une petite carte de situation et des photographies de monuments emblématiques. Le premier cours présente Jérusalem, structure autour de son triple héritage juif, chrétien et musulman. Une étude est ensuite consacrée au mont du Temple, un des lieux clés du patrimoine de Jérusalem, sacré à la fois pour les juifs et les musulmans. Une double page Histoire des Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL PAGES 22-23 Doc. 1. Jérusalem : la ville sainte de trois religions Sur cette photographie prise depuis l’est, on peut voir l’ensemble de la partie centrale de la vieille ville. L’héritage des trois monothéismes apparaît d’emblée. Au premier plan, on voit le soubas­ sement de l’esplanade du Temple. Sur l’espla• 16 nade s’élève le Dôme du Rocher, monument emblématique de l’islam. Plus loin, on remarque les deux coupoles de l’église du Saint-Sépulcre. On notera la cohérence du bâti de la vieille ville, qui contraste fortement avec la ville moderne s’élèvant à l’arrière-plan. La sainteté de la ville a permis sa patrimonialisation. Doc. 2. Rome : la « Ville éternelle » Cette vue de Rome explicite le surnom de « ville éternelle » donné à Rome, avec la superposi© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 tion spectaculaire des différentes strates de son patrimoine. La photographie est centrée sur l’espace des forums impériaux. La colonne de Trajan, que l’on distingue à gauche, apparaît comme noyée dans la ville moderne et rappelle l’emplacement du cœur de la cité antique. À l’arrière-plan, sur la colline de l’Esquilin, la basilique Sainte-Marie-Majeure témoigne de la christianisation de la ville à la fin de l’Antiquité. Surplombant les marchés de Trajan, la tour du Grillo symbolise la Rome médiévale, contrôlée par les seigneurs. La multitude des dômes baroques montre la façon dont le paysage de Rome fut remanié par les papes, à l’époque de la Réforme catholique. À droite de l’image, sur le flanc de la colline du Capitole, la masse blanche du « Vittoriano » montre comment lors de l’unité italienne, achevée en 1871, l’Italie contemporaine souhaita raviver le mythe de la grandeur de la Rome antique. it 1. Jérusalem, ville trois fois sainte e s s � MANUEL, PAGES 26-27 Doc. 1. Le Saint-Sépulcre • Question. Avec la basilique du Saint-Sépulcre, on constate que le patrimoine peut diviser les chrétiens. Le lieu même où se trouve le tombeau vide, qui aurait abrité le corps du Christ avant sa résurrection, est un facteur de tensions entre les différentes confessions chrétiennes. En effet, presque toutes les familles du christianisme catholique et orthodoxe possèdent un espace réservé au sein de la basilique du Saint-Sépulcre. Cependant, cette partition du monument montre que la cohabitation entre ces chrétiens est difficile. Il n’a pas été possible de définir de nombreux espaces communs à ces communautés qui se sont longtemps considérées réciproquement comme schismatiques et hérétiques, à l’exception des espaces de circulation. Le fait que les clés aient été confiées à des musulmans montre qu’un arbitrage extérieur à la communauté chrétienne a été nécessaire pour éviter des incidents, même si ceux-ci se produisent régulièrement jusqu’à nos jours. o B it e s s o B Doc. 3. Paris : capitale de la France à travers tous les régimes Cette image montre combien le patrimoine de Paris permet de lire les continuités dans l’histoire de la ville. Au centre, la Seine apparaît comme l’axe structurant le long duquel est née la ville. À droite, sur l’île de la Cité, la cathédrale Notre-Dame témoigne de la vitalité de la ville à l’époque médiévale et de l’importance de l’art gothique, né en Île-de-France au XIIe siècle. À gauche de l’image, les quartiers de la rive gauche montrent que la juxtaposition de différents éléments patrimoniaux n’empêche pas la constitution d’un paysage urbain typique de la capitale. Le bâti a conservé une cohérence car des règlements ont empêché la construction d’immeubles de grande hauteur. Les monuments rappellent les moments clés de l’histoire de la ville. On voit les clochers médiévaux de Saint-Séverin et Saint-Germain-des-Prés, le dôme classique des Invalides, réalisation emblématique dans le Paris de Louis XIV et la tour Eiffel, qui marque l’emplacement du Champ-de-Mars. Ce lieu emblématique de la Révolution française, où eut lieu la fête de la Fédération en 1790, fut choisi en 1889 pour voir s’élever la tour qui était alors la plus haute du monde. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 2. Les murailles de Jérusalem Les murailles de Jérusalem ont été réalisées à partir de 1520, sous la période ottomane. Elles définissent les limites de la vieille ville. Leur construction incorpore des éléments clés de la cité antique comme la tour de David, qui a servi d’élément central pour la construction de la nouvelle citadelle. Le sultan Soliman le Magnifique souhaitait ainsi honorer la ville sainte en réunissant les lieux saints des trois monothéismes. L’islam a en effet incorporé certains héritages du judaïsme et du christianisme, comme les figures de Moïse ou de Jésus. Ainsi, une légende populaire raconte que Soliman aurait fait pendre l’architecte chargé de la construction des remparts parce que celui-ci avait laissé en dehors de l’enceinte de la ville le tombeau de David et le lieu supposé du cénacle, où Jésus aurait célébré son dernier repas. Doc. 3. Le retour des juifs à Jérusalem • Question. Pour les sionistes, comme Jacob de Haas, Jérusalem représente le lieu central de l’identité juive, le point de départ de son histoire. À plusieurs reprises dans leur histoire, les 17 • juifs ont perdu cette ville : en 587 avant notre ère, lorsqu’ils sont déportés à Babylone, d’où la citation biblique qui conclut le texte, puis en 135 (ligne 9), lorsque les Romains répriment la révolte des juifs. Selon l’auteur, le peuple juif doit aspirer à retrouver Jérusalem. Outre l’identité religieuse du peuple juif, qui a pu se perpétuer dans le cadre de la diaspora, c’est bien une identité nationale que mentionne Jacob de Haas (lignes 9 à 12). Ces aspirations contribuent au développement d’une immigration juive venue d’Europe en Palestine (alors dominée par l’Empire ottoman), où ils deviennent progressivement plus nombreux que les communautés juives déjà présentes dans ce territoire. Le sionisme, selon l’auteur, permet aux juifs de revenir d’où ils sont partis, « comme un boomerang lancé par les mains de l’histoire ». it Le mur n’est pas un monument à proprement parler, mais une partie – rendue accessible par le déblaiement, à l’époque contemporaine, des édifices qui y étaient adossés – du mur de soubassement sur lequel se trouvait le parvis du temple. Dans son dernier état, il date de l’époque d’Hérode (Ier siècle avant notre ère). Sur l’esplanade elle-même, on trouve le Dôme du Rocher, qui occupe l’emplacement de l’ancien temple de Salomon, reconstruit lui aussi par Hérode et détruit par les Romains en 135. Construit en 691, il occupe l’emplacement de la pierre de fondation du Temple, qui serait, d’après les traditions musulmanes, aussi le lieu du sacrifice d’Abraham et de l’élévation au ciel de Mahomet durant sa chevauchée nocturne. La mosquée Al Aqsa est, quant à elle, la plus ancienne mosquée construite à Jérusalem, à la fin du VIIe siècle. Leur proximité pose le problème de la cohabitation de lieux saints musulmans et juifs dans le contexte du statut de territoire occupé de la vieille ville depuis 1967 (voir chapitre 9). L’accès à ces lieux de culte est donc réglementé. Les Israéliens interdisent l’accès de l’esplanade des moquées aux musulmans de moins de 50 ans, pour limiter le risque de manifestations violentes et les musulmans interdisent l’entrée du lieu aux non-musulmans. 2. On voit sur la photographie la portion de mur occidental (Kotel) rendue accessible aux pèlerins juifs par le déblaiement des édifices qui s’y étaient adossés au Moyen Âge. La foule se presse en avant du mur pour effectuer des prières faisant partie du pèlerinage juif à Jérusalem. Certaines prières sont ensuite rédigées sur des papiers glissés dans les fentes entre les pierres du mur. L’appellation même du mur pose problème. Le terme de « mur des Lamentations » a été forgé par les Britanniques et n’est pas employé par les juifs et les musulmans. Ces derniers lui donnent le nom de El-Bourak, nom du cheval de Mahomet lors du voyage nocturne. Pour les juifs, ce mur représente la mémoire de l’ancien temple et il est pour eux le lieu accessible le plus proche du lieu où se trouvait le « Saint des saints », partie du temple où était conservée l’arche d’alliance, là où se trouve actuellement le Dôme du Rocher. 3. L’archéologie est hautement conflictuelle tout d’abord par la localisation des lieux qu’elle e s s o B it e s s o B Doc. 4. Jérusalem, patrimoine mondial • Question 1. Le classement de Jérusalem au titre du patrimoine mondial est justifié par l’ancienneté et la richesse du centre historique, qui abrite des témoignages sur des civilisations disparues et des monuments essentiels pour les trois grandes religions monothéistes. Deux monuments majeurs sont cités : l’église du Saint-Sépulcre et le Dôme du Rocher. La première a servi de modèle à de nombreuses églises à plan centré, notamment celles édifiées par les templiers en Europe. Le second s’est inspiré de la première, et est l’un des premiers monuments de l’islam. Son décor a exercé une influence majeure sur l’art islamique, notamment sur la grande mosquée de Damas. • Question 2. Ce classement n’est pas lié seulement aux aspects artistiques, puisque Jérusalem est avant tout la ville des trois monothéismes et que les croyants sont attirés dans cette ville non seulement par ses monuments, mais aussi par son patrimoine « immatériel », c’est-à-dire par tout ce qu’elle représente dans leur religion. ◗ Étude Le mont du Temple : un lieu saint disputé � MANUEL, PAGES 28-29 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. Les principaux monuments présents sur le mont du Temple sont le mur occidental (le Kotel), le Dôme du Rocher et la mosquée Al Aqsa. • 18 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 fouille. Il s’agit en effet de la zone du temple, lieu saint à la fois pour les juifs et pour les musulmans et qui engendre de nombreuses tensions. La poursuite des fouilles nécessiterait de creuser sous les édifices musulmans (lignes 3132). Or, dans l’islam, le sol placé sous un lieu de culte est considéré comme « waqf », sacré et inviolable. C’est pour éviter cela que les autorités musulmanes font, d’après l’auteur de l’article, détruire les vestiges archéologiques qui s’y trouvent (lignes 21-22). L’archéologie pourrait par ailleurs permettre de prouver l’ancienneté de l’occupation juive de Jérusalem, qui pourrait être utilisée pour appuyer des revendications israéliennes sur les lieux saints. C’est ce qu’on appelle « la guerre du passé ». 4. Le tunnel hasmonéen crée des tensions, car il constitue un passage emprunté par les visiteurs se rendant vers le mur occidental ; et ce tunnel passe à proximité des lieux saints de l’islam. D’un côté, on invoque la légitimité de l’ouverture au public d’un vestige archéologique, de it l’autre une provocation visant à restreindre l’espace réservé au culte musulman. Ces tensions se sont exacerbées en 1996 avec le percement d’un nouvel accès au tunnel, très proche des lieux saints de l’esplanade des mosquées. 5. Le mont du Temple est un patrimoine complexe, car il est fortement lié à des identités religieuses rendues très conflictuelles par le contexte politique. Pour les juifs, la lecture historique consiste à affirmer une présence juive ancienne de la ville, un héritage qu’il convient de réaffirmer avec le retour des juifs en Palestine depuis la fin du XIXe siècle, la création de l’État d’Israël en 1948 et l’occupation de la vieille ville en 1967. Pour les musulmans, il s’agit de montrer au contraire que l’islam a intégré la ville dans une nouvelle civilisation, qui doit être considérée comme l’aboutissement de son histoire. e s s o B it e s s o B ◗ Histoire des Arts Le Dôme du Rocher � MANUEL, PAGES 30-31 Analyse de l’œuvre Observer 1. Les formes géométriques utilisées sont le cercle et l’octogone, dérivé du carré. La partie centrale de l’édifice est circulaire, et ses deux déambulatoires sont de plan octogonal. Il en résulte un plan centré parfaitement composé. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Interpréter Ce plan a été choisi pour plusieurs raisons. La première consiste à vouloir rivaliser avec l’église du Saint-Sépulcre, elle aussi construite sur un plan centré, mais entièrement circulaire, en rotonde. Le calife Abd el-Malik souhaitait en effet construire dans la ville un édifice témoignant du triomphe de l’islam sur les autres religions. Il s’agit de récupérer un héritage patrimonial pour le dépasser. Ses formes constitutives ont également une grande force symbolique. Le cercle évoque la figure du ciel, le carré – d’où dérive l’octogone – celle de la Terre. Ceci correspond parfaitement à un édifice souhaitant commémorer la montée au ciel de Mahomet ou encore l’intervention de Dieu sur la terre lors du sacrifice d’Abraham. Cet édifice montre de la part de ses constructeurs une très bonne maîtrise de la géométrie, tant l’articulation de la partie circulaire et de la partie octogonale est bien composée. Il en va de même pour la mise en œuvre de l’édifice qui montre une très bonne maîtrise technique. Il est fort probable que le calife a employé des architectes et des bâtisseurs locaux, chrétiens ou récemment convertis à l’islam, formés à l’architecture dans le cadre de l’Empire byzantin. 19 • it 2. Pour le décor extérieur, les matériaux employés sont le marbre dans la partie basse, en placages ou bien pour les colonnes. Il s’agit de remplois provenant d’édifices antiques ou byzantins. La partie haute du soubassement et le tambour du dôme sont décorés de céramiques polychromes à dominante bleue. Il s’agit d’un apport ottoman du XVIe siècle. La coupole est, quant à elle, dorée à la feuille. L’effet produit par ces matériaux est celui d’une abondance décorative doublée d’une richesse chromatique. Les forts contrastes entre le blanc, le bleu et l’or contribuent à mettre en évidence le monument dans le paysage urbain. 3. Le décor intérieur frappe par sa grande richesse, par ses contrastes chromatiques et par l’omniprésence de dorures. On constate la présence de colonnes de marbre à chapiteaux dérivés du corinthien, des arcs brisés composés d’une alternance de pierre noire et de marbre blanc. Au-dessus, les mosaïques dorées dominent. On peut y voir des motifs végétaux sous la forme de rinceaux stylisés. Au-dessus de l’étage des fenêtres en plein-cintre, la coupole est très ouvragée et couverte d’or. Sur un bandeau noir court une inscription calligraphiée. Les artistes, sans doute là encore des Byzantins ou des convertis de fraîche date, se sont adaptés aux prescriptions de l’islam en excluant toute représentation figurée des êtres vivants. Même les formes végétales sont utilisées de façon stylisée et presque abstraite. L’écriture calligraphiée devient elle-même une œuvre d’art, la force spirituelle de son contenu s’associant à sa beauté esthétique. La contrainte a ainsi permis l’apparition d’un nouvel art, où l’abstraction, les formes géométriques et stylisées, associées à une grande richesse des couleurs, donne du sens aux œuvres même si elles ne figurent aucun être vivant. 2. Rome : les enjeux du patrimoine antique o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 34-35 Doc 1. Le Forum romain (Photographie du Forum romain depuis le Capitole.) Cette vue du Forum romain, prise depuis le Capitole, permet de comprendre la superposition de la ville antique et de la ville actuelle. Le niveau du sol antique se situe en effet 5 mètres en dessous de celui de la ville actuelle. Cette place a été le centre de la vie publique romaine sous la royauté et la république. Sous l’empire, la construction des vastes forums impériaux, plus au nord, en fait surtout un espace commémoratif et sacré, où se trouve toujours la curie où se réunit le Sénat. Le Forum est le terme de la Via Sacra, parcourue par le cortège des généraux victorieux. Au Moyen Âge, les monuments antiques laissés pour la plupart sans usage, tombent en ruines, leurs matériaux étant souvent récupérés pour la construction des premières basiliques chrétiennes. Certains sont réutilisés comme églises et profondément transformés. Progressivement remblayée, la place devient le Campo vaccino, c’est-à-dire un marché aux bestiaux. À partir du XVIIIe siècle, l’image de ce Forum est largement diffusée par les peintres appelés « védutistes » et les graveurs. • 20 e s s Parallèlement, ils représentent des vues idéalisées du Forum dans son premier état, tel qu’ils se l’imaginaient alors. Aux XIXe et XXe siècles, des campagnes archéologiques sont entreprises qui dégagent le sol primitif et font du Forum un espace dédié à l’archéologie. • Question. On trouve aujourd’hui sur le Forum plusieurs types d’édifices. Parmi les édifices antiques, on distingue des édifices publics, comme la basilique de Maxence, des édifices dédiés au culte, avec le temple des Dioscures (Castor et Pollux divinisés), le temple de Vesta où brûle le feu sacré de la ville, entretenu pas le collège des vestales, ou encore, le temple d’Antonin et Faustine, dédié à un empereur divinisé et à son épouse. Viennent ensuite des monuments commémoratifs comme l’arc de Titus, rappelant la prise de Jérusalem par les Romains en 70, ou encore les colonnes commémoratives visibles au premier plan. À l’arrière-plan, on distingue le Colisée, nom populaire donné à l’amphithéâtre flavien. Par ailleurs, on voit également des églises chrétiennes fondées à la fin de l’Antiquité sur ou dans des monuments antiques et qui ont été préservées lors du dégagement de l’espace archéologique aux XIXe et XXe siècles, en raison de leur intérêt historique ou de leur rôle dans la Rome chrétienne. Elles sont ainsi restées les seuls témoignages postérieurs à l’Antiquité dans cet espace. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 it Parmi les monuments antiques remployés comme églises, on peut citer l’église San Lorenzo in Miranda. L’église s’est installée dans la cella du temple dédié à Antonin et Faustine. Le pronaos du temple a ainsi été conservé comme porche de l’église, à l’arrière duquel s’élève une façade baroque érigée au XVIIe siècle. l’avenue et les maisons des quartiers médiévaux qui s’étaient installés sur les ruines de forums sont impitoyablement démolies par le Duce luimême, comme des témoins gênants de l’époque d’une prétendue décadence, où l’empire que Mussolini rêvait de recréer avait disparu. Doc. 2. Auguste et Rome 3. La Rome des papes • Question. Auguste mena une politique d’évergétisme, afin de laisser une trace mémorielle durable de sa politique, à la fois en construisant de nouveaux édifices et en préservant la ville par des travaux d’urbanisme. La construction du Forum d’Auguste permit d’agrandir l’espace public. À côté du vieux Forum romain, hérité de la royauté et de la république, César avait déjà édifié un nouveau Forum. Auguste en bâtit un autre encore plus vaste, organisé autour d’un temple et bordé de portiques. Des basiliques, où se déroulaient les procès, suppléaient celles des forums plus anciens, devenus insuffisants. Pour isoler ce Forum du quartier mal famé de Subure, tout proche, Auguste fit construire un très haut mur séparant ces deux espaces. Il suscita également un mouvement d’émulation dans son entourage pour que les membres des familles les plus notables contribuent à ce renouvellement urbain et patrimonial. On peut citer l’action de Mécène, dont le nom substantivé par la suite montre l’importance. Par ailleurs, pour préserver la ville, Auguste agit contre les deux fléaux menaçant son patrimoine : les incendies récurrents et les crues du Tibre, sans vraiment réussir à empêcher qu’ils se produisent à nouveau. Doc. 3. Fascisme et patrimoine e s s o B it e s s o B (Une de La Domenica del Corriere, 3 mars 1935.) • Question. Dans cette image, le patrimoine de Rome est traité de façon politique. Mussolini apparaît comme celui qui, par son geste, symbolise le retour à un passé romain exalté et réutilisé dans un but de propagande. Les monuments romains antiques – colonne de Trajan, ruines des forums impériaux – et modernes – le Vittoriano exaltant l’unité retrouvée de la nation italienne – sont utilisés pour border un axe triomphal nouvellement créé : l’avenue des Forums impériaux. Cette lecture du patrimoine s’oppose à une approche respectueuse de la diversité des héritages : une partie des forums est recouverte par © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 � MANUEL, PAGES 36-37 Doc. 1. La basilique Sainte-Marie-Majeure • Question. Les éléments de décor qui rappellent l’Antiquité sont d’une part l’emploi de colonnes monolithes en granite surmontées de chapiteaux d’ordre ionique. L’entablement qu’elles portent reprend les portiques de l’architecture impériale. D’autre part, l’emploi de mosaïques est aussi une permanence, cette technique ayant été employée dans des monuments romains à fonction résidentielle ou destinés à l’usage public. L’usage chrétien de la basilique apparaît principalement avec la présence d’un autel situé à la jonction entre la nef et le transept. Il est surmonté d’un baldaquin réalisé au XVIIe siècle afin de rendre plus visible la présence de l’autel. L’abside, qui en forme l’arrière-plan, est l’élément le plus décoré, avec des mosaïques sur fond d’or. Doc. 3. La basilique et la place Saint-Pierre • Question. La place possède une forme qui témoigne de l’inventivité et de la maîtrise de la géométrie de son concepteur, le Bernin. Elle met en valeur la basilique en formant deux bras de colonnades venant comme enserrer les fidèles en avant de sa façade. Elle se compose tout d’abord d’un espace elliptique centré sur l’obélisque et les fontaines. Le jeu des axes de perception donne l’illusion d’un espace en expansion. Il en va de même pour la seconde partie de la place, en avant de la basilique, qui donne l’impression d’une longueur accrue, car elle n’est pas rectangulaire mais ses côtés sont légèrement fuyants. Ainsi, l’ouverture du monument sur la ville procède d’une volonté de théâtralisation du monument. Doc. 4. La fontaine de Trevi • Question. Le choix fait par Federico Fellini est celui d’utiliser la ville comme un décor. Il le fit 21 • dans La Dolce Vita en 1960, puis dans Fellini Roma en 1972. Le cinéaste, qui tourna la plupart de ses films en studio, sut utiliser Rome comme un cadre visant à multiplier les effets. La grande fontaine baroque, un des lieux les plus célèbres de Rome, sert ici à montrer comment la beauté plastique de l’actrice et celle de la sculpture baroque peuvent entrer en symbiose et se renforcer l’une l’autre, le patrimoine de la ville mettant en valeur le caractère érotique de la situation. Audelà de sa signification au XVIIe siècle, le sens du décor baroque de la ville évolue en fonction de son emploi par les artistes postérieurs. ◗ Étude � MANUEL, PAGES 38-39 1. Le Panthéon se prêtait à une réutilisation comme église, d’abord pour des raisons pratiques. En effet, à la différence de nombreux autres temples, il possédait une cella très vaste, qui permettait d’abriter un nombre important de fidèles. Les temples grecs ou romains n’étaient pas des lieux de culte, l’autel se situait à l’extérieur ; alors que les églises chrétiennes, qui abritent l’autel, doivent être plus vastes, pour accueillir les fidèles. Des raisons symboliques peuvent également être évoquées. La forme circulaire de l’édifice symbolise la perfection divine. Enfin, la coupole, considérée dès la fin de l’Antiquité comme une prouesse technique, a pu inciter à préserver l’édifice en lui donnant une nouvelle destination. C’est désormais au service du christianisme qu’est voué un des monuments • 22 e s s o B it e s s o B Un patrimoine en renouvellement constant Réponses aux questions it majeurs de la ville : malgré le changement de religion, l’héritage culturel de Rome demeure. 2. Dans l’espace romain, le stade de Domitien a survécu de façon particulière. Il ne reste aucun vestige visible en élévation. Cependant, la forme du stade est demeurée en négatif dans la trame urbaine de la ville médiévale puis baroque. À l’extérieur des gradins, une rue marque les limites extérieures de l’ancien édifice. À l’intérieur, dans la piste, une vaste place a été aménagée. Elle a pris son aspect baroque lors des travaux effectués au XVIIe siècle. Le Bernin y réalisa la fontaine des Quatre Fleuves et Borromini l’église Sant’Agnese in Agone. 3. Le théâtre de Marcellus (doc. 3) servait bien sûr à des représentations théâtrales. Sa construction s’inscrit dans le cadre des grands travaux entrepris par Auguste (voir doc. 2 p. 35). Il en reste aujourd’hui les deux premiers niveaux d’arcades superposées. Le château Saint-Ange (doc. 4) était à l’origine un tombeau construit par Hadrien à partir de 123 et destiné à abriter les urnes funéraires des empereurs. Il en reste un vaste cylindre en pierre, à l’origine recouvert de marbre, qui formait sa partie basse. 4. Au-dessus des deux étages d’arcades du théâtre de Marcellus (doc. 3) a été construite au Moyen Âge la résidence d’une famille noble, les Savelli, transformée en palais de style Renaissance au XVIe siècle. La partie supérieure du mausolée d’Hadrien (doc. 4), qui était constituée par un grand cône de terre arborée surmonté d’un temple, a été remplacée par un ensemble fortifié au Moyen Âge, dans lequel une résidence a été à son tour aménagée à l’époque baroque. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 5. Monuments Date de construction Usage au moment de la construction e s s Période de transformation Transformations esthétiques Presque aucune, installation d’un mobilier chrétien. it Nouvel usage Doc. 1 : Le Panthéon 118-125 Temple dédié à tous les dieux 609 Doc. 2 : La place Navone 81-96 Stade Moyen Âge puis époque baroque, vers 1645 Disparition du monument d’origine. Installation de trois fontaines monumentales et d’un obélisque, reconstruction de l’église Sainte-Agnès par Borromini, avec une coupole. Place monumentale Doc. 3 : Le théâtre de Marcellus 13 av. J.-C. Théâtre Moyen Âge puis XVIe siècle Adjonction de deux étages destinés à l’habitation. Palais Doc. 4 : Le château Saint-Ange 123 Mausolée impérial Moyen Âge puis époque baroque Adjonction de structures fortifiées puis d’une résidence. Forteresse destinée à la protection du pape Église catholique o B it e s s o B 6. En s’inspirant du tableau ci-dessus, on peut montrer comment les monuments de la Rome antique ont été paradoxalement conservés en prenant d’autres fonctions. 7. La basilique Sainte-Marie-des-Anges est installée dans une ancienne salle des plus vastes thermes de Rome, les thermes de Dioclétien. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Laissée sans usage, mais relativement préservée, elle fut transformée en église par Michel-Ange en 1562 pour le pape Pie IV. Elle constitue la seule salle thermale conservée dans son intégralité à Rome et un des seuls monuments où un artiste de la Renaissance a ainsi travaillé dans un authentique édifice antique. 23 • ◗ Histoire des Arts e s s Ruines romaines avec le Colisée de Hubert Robert (1798) it � MANUEL, PAGES 40-41 Analyse de l’œuvre Observer Interpréter 1. Les éléments visibles sur le tableau sont bien des monuments de la Rome antique se trouvant sur le Forum ou à proximité : on reconnaît ainsi le Colisée, les trois colonnes du temple des Dioscures et le pronaos du temple d’Antonin et Faustine. Mais ils ne sont pas disposés de la même façon que dans la réalité. La statue d’Hercule, qui ressemble à celle dite l’Hercule Farnèse, ne s’est jamais trouvée sur le Forum, de même que les éléments lapidaires présents en bas à gauche. Hubert Robert ne cherche pas à représenter la réalité des ruines du Forum, mais à évoquer l’effet produit par celles-ci sur le visiteur. Il s’agit d’une idéalisation des ruines antiques. 2. On trouve dans le tableau deux personnages dans le pronaos du temple d’Antonin et Faustine, un dans l’ombre de la statue d’Hercule, et trois autres près de la vasque de la fontaine. Les personnages portent des costumes du XVIIIe siècle. Les costumes aux couleurs vives sont ceux de personnes d’origine populaire, alors que l’homme dans l’ombre de la statue est habillé de noir, évoquant l’amateur d’art. Ces personnages semblent relever d’une échelle réduite par rapport à celle des ruines. La statue d’Hercule donne un point de comparaison (sur son piédestal, on voit la signature du peintre) : le décor est de proportions colossales, comparé à l’échelle humaine. Les hommes semblent, dans ces ruines, confrontés aux restes d’une civilisation dont les valeurs dépassent leur finitude. Ils sont inscrits dans une temporalité, à la différence du cadre qui les abrite. Ces personnages errants semblent en quête de sens. Le patrimoine leur donne des repères, indique d’où vient leur identité, mais le personnage en noir, dans l’ombre, symbolisant l’artiste, est le seul à être conscient du fossé séparant le temps présent de la grandeur antique. 3. Tout comme Hubert Robert, Chateaubriand propose une vision personnelle du patrimoine romain. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’un inventaire visant l’exactitude, mais d’une réflexion sur un ressenti devant le spectacle des ruines antiques. En revanche, Chateaubriand évoque également la Rome chrétienne (le chemin de croix, le son des cloches) et sa rencontre avec les héritages antiques (le Colisée), tous deux absents du tableau de Robert. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une vision poétique, où les émotions sont mises en valeur. La mélancolie des ruines antiques chez Robert est montrée par la présence de la végétation. Les jeux de clair-obscur du tableau renvoient à l’évocation du soleil couchant chez Chateaubriand. Le recours aux sens est également important : outre la vue, le bruit de l’eau est suggéré chez Robert par la fontaine et peut être rapproché du son de la cloche chez Chateaubriand : tous deux prennent du sens pour le spectateur. Ces deux œuvres sont ainsi des témoignages sur l’image de Rome dans le cadre de la naissance du romantisme. Les œuvres littéraires et picturales diffusent ainsi en Europe non seulement une vision exacte de la Rome antique, mais aussi une vision profondément affective. Ces œuvres enrichissent le patrimoine lié à Rome tout comme elles en diffusent une image mythique, correspondant au climat artistique de leur temps. o B it e s s o B • 24 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 4. Paris : patrimoine et pouvoir � MANUEL, PAGES 44-45 Doc. 1. La Sainte-Chapelle, église royale • Question. La Sainte-Chapelle est à la fois un patrimoine religieux et politique, car ces deux aspects sont profondément liés au Moyen Âge et peuvent difficilement être dissociés. Le programme de ses vitraux est en partie consacré aux rois d’Israël. Les rois de France se considèrent eux aussi comme des rois régnant par la volonté de Dieu, comme le montre la cérémonie du sacre. Cependant, les rois de l’Ancien Testament, comme David, sont aussi considérés par les chrétiens comme des ancêtres du Christ, ce qui convient à une église qui a été bâtie pour abriter les reliques de la Passion acquises par Saint Louis. Doc. 2. Place de la République e s s o B it e s s o B (Présentation de la Constitution de la V République par de Gaulle, place de la République, 4 septembre 1958.) e it pour la sépulture des « grands hommes ». Les régimes politiques se revendiquant des principes de la Révolution valorisèrent cet usage, comme la monarchie de Juillet (doc. 3c). En revanche, les régimes cherchant à s’appuyer sur la religion catholique ou à chercher un compromis avec elle, rendirent l’édifice au culte. Ce fut le cas de l’Empire (doc. 3b). Les derniers changements de destination du Panthéon intervinrent sous le Second Empire, où il redevint église, puis sous la IIIe République, où il devint définitivement Panthéon. • Question. La place de la République est un élément important du patrimoine parisien. Son nom lui a été donné sous la IIIe République. Cette grande place, tracée lors des grands travaux d’Haussmann, est la plus vaste de l’est de Paris, là où l’ancrage républicain était le plus marqué au XIXe siècle. Le grand monument réalisé par Léopold et Charles Morice en 1883 est une allégorie de la République fondée sur le suffrage universel. Le général de Gaulle présente donc ici la Constitution de la Ve République, non seulement à cause du nom de la place, mais aussi pour montrer qu’il souhaite rassembler tous les Français. La statue est placée au centre du décor, surmontant la tribune d’où s’exprime le chef de l’État. Doc. 3. De l’église Sainte-Geneviève au Panthéon • Question. Le Panthéon a été commencé en 1755. À cette époque, il devait être la nouvelle église Sainte-Geneviève, destinée à abriter les reliques de la sainte patronne de Paris. L’architecte Soufflot projeta un édifice alors très novateur, un des premiers édifiés en style néoclassique. Cet édifice a cependant plusieurs fois changé de destination. Lors de la Révolution (doc. 3a), la sacralité catholique est remplacée par la sacralité nationale : l’édifice devient un panthéon © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 5. La constitution de l’identité parisienne � MANUEL, PAGES 46-47 Doc. 1. Le paysage haussmannien (Avenue de l’Opéra, soleil, matinée d’hiver, huile sur toile de Camille Pissaro, 1898.) • Question. Ce tableau de Camille Pissarro met en évidence plusieurs aspects du Paris haussmannien. Le premier est la présence de nouvelles voies rectilignes et larges. Celles-ci permettent la création de perspectives urbaines polarisées sur des monuments importants, comme ici l’Opéra. Dans ces nouvelles voies, la circulation, malgré son intensité, peut s’opérer facilement. Le peintre a ainsi porté une attention toute particulière à la représentation des voitures à cheval et des piétons. L’aspect esthétique de la ville haussmannienne est aussi mis en valeur, avec le choix d’immeubles de même hauteur et répondant tous à un même schéma directeur quant à leur élévation. Enfin, un mobilier urbain est mis en place, avec fontaines mais aussi réverbères à gaz, une des innovations qui confirma à Paris son nom de « ville lumière ». Doc. 2. Haussmann défend ses travaux • Question 1. On distingue une première approche du patrimoine, qui s’oppose à celle d’Haussmann et qui considère qu’il faut préserver l’intégralité du tissu urbain ancien de Paris, indépendamment de son état de conservation ou de son adaptation aux nécessités du temps. L’approche d’Haussmann consiste à utiliser le patrimoine comme un des éléments d’une ville, qui doit être modernisée selon des impératifs comme la circulation, la salubrité, l’aération. 25 • Cela nécessite dans les faits une sélection entre les éléments anciens « digne(s) d’intérêt » et d’autres qui peuvent être démolis. • Question 2. Haussmann compte mettre en valeur les édifices anciens en les isolant par la démolition des immeubles qui les enserraient, puis en les plaçant au terme des grandes perspectives urbaines qu’il crée en ouvrant de nouvelles voies. Doc. 3. Un projet très audacieux • Question. Le « plan Voisin » est fondé sur une approche radicale du traitement du patrimoine au centre de Paris. Il s’agissait de ne conserver que les monuments historiques classés du centre-ville, pour faire place à une ville adaptée aux contraintes du XXe siècle : circulation automobile, avec la création de voies larges et rectilignes, et logement collectif de grande hauteur. La création d’un patrimoine nouveau passe pour Le Corbusier par une sélection stricte des éléments anciens à sauvegarder. La comparaison de cette maquette avec le plan de Paris peut faire prendre conscience aux élèves de la radicalité de ce projet, en plein cœur du centre historique. Le Louvre : du palais royal au musée national � MANUEL, PAGES 48-49 Doc. 1. Le musée le plus visité au monde (Photographie aérienne du Louvre, vu de l’ouest.) Cette photographie aérienne du Louvre montre un palais d’une remarquable homogénéité architecturale. Pourtant, le palais a mis plus de cinq siècles à être achevé. Il se compose de la cour carrée, la plus ancienne, et de la vaste cour du Carrousel, laissée ouverte par la démolition du palais des Tuileries après la Commune. La pyramide atteste la poursuite des travaux au Louvre jusqu’à la fin du XXe siècle. Doc. 2. Un palais bâti durant des siècles Le plan phasé de l’édifice permet de suivre les différentes étapes de cette construction, qui a pour matrice le Louvre médiéval, entrepris sous Philippe II Auguste. Réponses aux questions 1. Le Louvre, au XVe siècle, tel qu’il apparaît sur l’illustration des Très riches heures du duc • 26 e s s o B it e s s o B (Le Corbusier, maquette du « plan Voisin », 1925.) ◗ Étude it de Berry est un château hybride. Il a conservé le plan carré avec tours d’angles et portes fortifiées, ainsi que le donjon, la « grosse tour », symbole du pouvoir féodal du roi, de la forteresse de Philippe Auguste. Sa transformation en résidence sous Charles V est visible par la présence de toitures ornées de cheminées et d’épis de faîtage dorés, ainsi que par l’ouverture d’assez larges fenêtres sur les courtines. 2. Le palais du Louvre résulte de plusieurs phases de construction. De la Renaissance, il demeure l’idée de reconstruire la cour carrée. Cette décision est prise en 1546, à l’extrême fin du règne de François Ier. Sous les derniers Valois, Catherine de Médicis fait construire non loin du Louvre, mais en dehors de l’enceinte de Paris, le palais des Tuileries, qu’on entreprend de relier au Louvre. C’est seulement sous Henri IV que fut achevée cette « galerie du bord de l’eau ». Cette première phase de la construction fut suivie d’une seconde, œuvre de Louis XIII et Louis XIV. Il s’agit alors de quadrupler la surface de la cour carrée. En 1665, la façade orientale est construite suivant le projet de Claude Perrault : c’est la fameuse colonnade du Louvre. La phase suivante du chantier a consisté, au XIXe siècle, à relier le Louvre aux Tuileries par une galerie parallèle à celle du bord de l’eau, au nord. Napoléon Ier entreprit cette extension, qui fut achevée sous Napoléon III. Peu de temps après, en 1871, le palais des Tuileries est incendié pendant la Commune. Avec la dernière phase de construction, achevée en 1989, le palais s’ouvre à l’architecture contemporaine avec le « Grand Louvre » et sa pyramide. 3. Deux éléments majeurs du palais ont disparu. Le premier est le Louvre médiéval, dont seuls demeurent des éléments archéologiques visibles en sous-sol. Le second est le palais des Tuileries (voir question 2). 4. La vocation du Louvre comme musée est antérieure à 1793 car, depuis le XVIIe siècle, le palais était déjà largement dévolu aux arts. Les Bourbons, qui délaissèrent le palais comme résidence royale, choisirent par étapes successives d’en faire le centre d’une véritable politique culturelle à leur gloire, au cœur de la capitale. Depuis 1608, des artistes y sont logés dans des appartements qui leur sont réservés. Les collections royales de statues antiques y sont présen© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 tées. Sous Louis XIV, les académies y étant logées, la peinture, la sculpture et la littérature ont au Louvre leur institution la plus prestigieuse. Parmi les expositions organisées, la plus célèbre est, depuis le XVIIIe siècle, celle qui se tient dans le salon du palais. Le terme de « salon » naît de cette tradition. Par ailleurs, les collections royales sont accessibles à tous les amateurs motivés. L’ouverture au public en 1793 est donc le couronnement d’une longue tradition où le pouvoir destine le Louvre aux arts. 5. Les grandes étapes de l’aménagement du musée sont tout d’abord sa création pendant la Révolution française, avec le décret de création du Muséum, prise le 16 septembre 1792. Le 12 août de l’année suivante, le muséum ouvre ses portes, installé dans le palais du Louvre. Au XIXe siècle, le musée approfondit sa vocation et enrichit ses collections. Le nom de musée du Louvre l’emporte sur celui de Muséum en 1848 et le Louvre devient musée national en 1882. À cela s’ajoute la dernière étape : l’inauguration du « Grand Louvre » en 1989, après les travaux impulsés par François Mitterrand. 6. La réponse peut s’articuler en deux temps : la politique de mécénat des rois, qui fait du palais un centre artistique ; la création du musée proprement dit par la Révolution et son organisation progressive. ◗ Étude e s s o B it e s s o B La tour Eiffel : naissance d’un patrimoine � MANUEL, PAGES 50-51 Réponses aux questions it ne saurait former un ensemble harmonieux avec les édifices hérités des siècles précédents. 3. Gustave Eiffel répond à ses détracteurs que la Tour sera authentiquement belle, car le principe d’une belle architecture est d’être parfaitement adaptée à sa fonction. De là procèdent des lignes qui ont un caractère résolument esthétique : la courbe élégante de la construction lui donne un caractère élancé. Ceci étant – et Eiffel ne le dit pas –, les ingénieurs chargés par Eiffel de dessiner la Tour n’avaient pas prévu cette courbe, c’est un architecte qui suggéra cette forme dans un but essentiellement esthétique. 4. Le débat sur la tour Eiffel est représentatif de deux approches différentes de la notion de patrimoine. La première (doc. 1) considère que le patrimoine est mis en valeur par une homogénéité d’échelle et une unité de style. La seconde approche (doc. 4) considère que l’innovation technique et stylistique permet de réaliser des édifices radicalement nouveaux, mais qui sont appelés à leur tour à marquer le patrimoine. 5. Delaunay peint la tour Eiffel parce qu’elle illustre la modernité architecturale, tout comme luimême est l’un des peintres les plus novateurs de son époque. Il souhaite mettre en valeur l’aspect à la fois géométrique et élancé de la Tour. Le choix de couleurs vives permet à l’artiste de donner une interprétation personnelle de cet édifice, qui apparaît ainsi comme rayonnant et irradiant le ciel. 6. La réponse peut s’articuler en trois temps : d’abord la construction de la tour Eiffel dans le cadre de l’exposition universelle et les critiques dont elle fait l’objet ; ensuite la défense de l’architecture moderne par Eiffel ; enfin, la « patrimonialisation » du monument, illustrée ici par le fait qu’elle devienne un objet d’inspiration des peintres. 1. La tour Eiffel est un monument d’un genre nouveau par son matériau. Le fer était depuis longtemps utilisé dans la construction. Cependant, l’idée de construire avec ce matériau une tour entière et qui plus est la plus haute du monde était une innovation radicale. La rapidité de sa construction (doc. 3) est également une nouveauté. 2. Les arguments des détracteurs de la Tour sont tout d’abord d’ordre esthétique. Son matériau même, le métal laissé apparent, exclurait toute possibilité d’accéder à la beauté. D’autre part, on souligne son défaut de proportions. Enfin, son intégration dans le paysage parisien serait problématique, car la Tour rompt avec l’échelle des autres monuments. Par son style et son gigantisme, elle © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ BAC Étude critique de document Étudier un texte de manière critique � MANUEL, PAGES 54-55 RÉPONSES AUX QUESTIONS des encadrés Sujet : Le patrimoine du centre historique de Paris. 1. Car c’est sous Louis XIV qu’est construit le Louvre classique qui répond aux canons de beauté retenus par Voltaire. 27 • 2. Voltaire fait référence aux quartiers centraux de Paris, qui conservent en grande partie leur aspect médiéval. 3. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on cherche à dégager des espaces au sein de la ville, et des places royales à la gloire des monarques sont créées. 4. Les éléments cités sont construits après le XVe siècle. 5. Voltaire a aussi un souci d’urbanisme, voire hygiéniste. Il est en cela un précurseur. 6. C’est Haussmann qui va mettre en œuvre ce programme proposé par Voltaire. 7. La Rome moderne est celle de la Renaissance. La basilique Saint-Pierre est érigée à partir de 1506. ◗ BAC • Composition Analyser un sujet it • Composition Sujet 1 : L’historien face au patrimoine de la veille ville de Jérusalem. e s s En quoi le patrimoine de Jérusalem est-il pour l’historien une des clés de compréhension des problèmes contemporains de la région ? Proposition de plan : I. La capitale du judaïsme. II. Le lieu saint du christianisme. III. La troisième ville sainte de l’islam. o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 56-57 Sujet : Lecture historique du patrimoine de la ville de Rome. Ce sujet correspond très exactement à l’intitulé du programme. Proposition de plan : I. Le patrimoine d’une capitale politique majeure pendant l’Antiquité. II. La signification spirituelle du patrimoine de la capitale du catholicisme. III. Les usages politiques contemporains du patrimoine au XXe siècle. • 28 BAC BLANC Sujet 2 : Pouvoir et patrimoine à Paris. Ce sujet invite à étudier de quelle manière le pouvoir a façonné le patrimoine parisien. Proposition de plan : I. La capitale royale depuis l’époque mérovingienne. II. Pouvoir et patrimoine parisien de la Révolution française à 1871. III. Paris capitale de la République depuis 1871. • Étude critique de documents Sujet : Le patrimoine de la vieille ville de Jérusalem. La miniature du document 1 rappelle que le but premier des croisades est la prise de la ville sainte du christianisme, lieu de la Passion du Christ. Le document 2, qui lui, présente un point de vue arabe sur les croisades, montre que la reprise de la même ville moins d’un siècle plus tard a aussi un objectif qui religieux. En effet, le premier geste de Saladin est de faire « remettre les édifices dans leur état ancien », c’est-à-dire d’en ôter les symboles chrétiens, considérés comme des « souillures ». Ces deux documents montrent donc à quel point le patrimoine spirituel de Jérusalem est un enjeu important pour les communautés qui s’y succèdent et y cohabitent. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Chapitre 2 it Les historiens et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale e s s � MANUEL, PAGES 58-79 ◗ Présentation de la question été parfois douloureux et polémique, au point d’engager les plus hauts responsables de l’État à s’exprimer officiellement sur des épisodes vieux de plus d’un demi-siècle. • La France n’a pas été le seul pays à devoir affronter certains épisodes sombres de son histoire. Italiens et Allemands ont dû s’interroger sur les responsabilités de leurs compatriotes dans la montée du fascisme et du nazisme. Les Soviétiques ont longtemps refusé de reconnaître les crimes perpétrés par Staline dès 1939, notamment en Pologne (Katyn). Les États-Unis n’ont que tardivement reconnu les injustices commises à l’encontre des Nippo-américains. En France, le souvenir conflictuel de la Seconde Guerre mondiale est essentiellement lié à l’existence du régime de Vichy, et par conséquent au maintien, sous l’occupation allemande, d’un État qui s’est placé au service de l’occupant pour faire la chasse aux résistants et déporter les juifs. C’est en ce sens qu’il y a bien un « syndrome de Vichy ». • L’enjeu majeur de la question est ainsi de faire comprendre aux élèves pourquoi, jusqu’à ces dernières années, la Seconde Guerre mondiale n’a pas pu faire l’objet de la même commémoration unitaire que la Première. Il conviendra donc de repérer, au cours de la période, l’expression de différentes mémoires de la guerre, concurrentes et parfois conflictuelles : – Les mémoires de groupe sont portées par les acteurs et les victimes de la guerre. Elles militent chacune à leur manière contre l’oubli, d’où l’importance qu’elles accordent au témoignage ; mais elles sont par définition sélectives dans leur commémoration du passé. Ici se place, comme l’a bien souligné Robert Frank, la spécificité de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale : « La France éclatée de l’époque a vu se multiplier les groupes d’acteurs, et aucun d’entre eux n’a véritablement réussi à faire prévaloir sa mémoire o B it e s s o B • Depuis 1984, le programme de terminale prend en compte l’importance croissante qu’occupe désormais l’histoire de la mémoire dans l’historiographie. Il répond également à une forte demande sociale, exprimée tant par les associations de résistants et de victimes de la guerre que par les pouvoirs publics ; elle a donné lieu ces dernières années à une multiplication des actes de commémoration et des lieux de mémoire consacrés au souvenir de la Seconde Guerre mondiale. • Le programme comprend deux dimensions principales : on étudiera, d’une part, l’évolution de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale depuis l’époque de la Libération, et, d’autre part, la contribution propre des historiens à la transmission de cette mémoire. S’il faut choisir entre la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie, certains recoupements pourront être fructueux, lorsqu’il s’agira d’évoquer, par exemple, le procès Papon, le rôle des « indigènes » dans la libération de la France ou le débat sur les « lois mémorielles ». • Comment aborder l’histoire de la mémoire ? Henry Rousso propose de la définir comme « l’étude de l’évolution des représentations du passé, entendues comme des faits politiques, culturels ou sociaux ». Comme le suggère Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire, on étudie « non pas les événements pour eux-mêmes, mais leur construction dans le temps, l’effacement et la résurgence de leurs significations ; non le passé tel qu’il s’est passé, mais ses réemplois successifs ». On ne reviendra donc pas ici sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en tant que telle : l’histoire de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ne se confond pas avec l’histoire de la guerre. Il s’agira de montrer comment certains faits ont pu être occultés ou réinterprétés, d’expliquer pourquoi ce retour sur le passé a © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 29 • auprès de la collectivité ». Robert Frank évoque ainsi la « mémoire repliée » des prisonniers de guerre ; la « mémoire motrice » des résistants, qui a longtemps occupé la plus grande part de l’espace commémoratif ; la « mémoire blessée » des déportés, au sein de laquelle une mémoire spécifiquement juive de la guerre ne s’est que tardivement manifestée ; enfin la « mémoire défensive » de groupes qui, pour des raisons très différentes, mènent depuis la guerre une véritable « bataille de la mémoire » : « déportés du travail », « malgré-nous » alsaciens et lorrains, homosexuels, mais aussi défenseurs de la mémoire du maréchal Pétain. Le film Indigènes a fait beaucoup pour raviver le souvenir longtemps occulté de la participation des troupes coloniales aux combats de la Libération. – La mémoire officielle, prise en charge par l’État, s’exprime par des discours et des commémorations. Les pouvoirs publics se sont efforcés d’instituer une commémoration aussi consensuelle que possible de la guerre, au prix souvent d’une édulcoration de ses aspects les plus controversés. Le mythe d’une France unanimement résistante, propagé par le pouvoir gaulliste, a eu ainsi un effet inverse à celui qui était recherché, puisqu’il a réactivé les manifestations du syndrome de Vichy à la fin des années 1960. – Une mémoire plus diffuse de la guerre se transmet dans les familles et dans la société, avec là encore ses blessures et ses tabous, comme par exemple au sujet des 50 000 enfants nés de l’union de femmes françaises et de soldats allemands, ou des femmes tondues à la Libération. Les manifestations de cette mémoire diffuse, plus difficiles à saisir, peuvent être analysées notamment à partir d’œuvres de fiction littéraires, cinématographiques, voire musicales (la chanson de Gérard Lenorman, Warum mein Vater, Pourquoi mon père ?, évoque la liaison de sa mère avec un soldat allemand). Les sondages d’opinion sont également très révélateurs de l’évolution de la perception rétrospective de la guerre par les Français. – On distingue enfin une mémoire savante de la guerre, qui est principalement l’œuvre des historiens : si ces derniers ont tenu à préserver leur autonomie par rapport aux témoins et aux acteurs de la guerre, ils n’en sont pas moins pleinement impliqués dans le processus d’élaboration de la mémoire collective, du fait de la place it accordée à l’enseignement de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale au collège et au lycée. • Jusqu’aux années 1960, l’histoire savante s’est montrée fort « peu contestataire » (O. Wieviorka) par rapport à la politique mémorielle suivie par les gouvernements de la IVe et de la Ve République. L’histoire scientifique du conflit a été confiée à un organisme public, le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, issu en 1951 de la fusion entre la Commission d’histoire de l’Occupation et de la Libération et le Comité d’histoire de la guerre, fondés en 1944-45. Sous l’impulsion du résistant et historien Henri Michel, le Comité privilégie l’histoire proprement militaire de la guerre et celle de la Résistance. La Résistance constitue alors un « mythe si puissant », explique O. Wieviorka, que les historiens se gardent bien de l’écorner. Les manuels scolaires ne sont pas en reste. La Seconde Guerre mondiale est inscrite pour la première fois au programme de terminale en 1962-1963. Mais les manuels distinguent un Vichy-Pétain et un Vichy-Laval, jugé seul responsable de la collaboration : une version popularisée avec succès par Robert Aron dans son Histoire de Vichy (1954). La politique antisémite de l’État français, engagée dès 1940, est passée sous silence. Le Concours national de la Résistance, institué en 1961, placé sous l’égide de l’Éducation nationale en étroite concertation avec les associations de résistants, contribue également à entretenir le mythe officiel d’une France très largement résistante. • L’ouvrage de l’historien américain Robert Paxton, publié aux éditions du Seuil en 1973, opère de ce point de vue un renversement complet, d’où l’écho qu’il rencontre tant dans l’opinion qu’au sein de la communauté des historiens. Le titre de l’ouvrage lui-même, La France de Vichy, pouvait alors paraître provocateur : Vichy n’est plus seulement associé à un régime nul et non avenu, mais à une certaine France, ce qui brise la représentation unitaire qu’avait voulu en donner le général de Gaulle. R. Paxton montre clairement que la Révolution nationale et la politique de collaboration ont été des initiatives françaises, assumées par Pétain comme par Laval. Paxton n’innovait pourtant pas entièrement : dans La France dans l’Europe de Hitler, publié quelques années auparavant, l’historien allemand Ebehard Jäckel avait ouvert la voie e s s o B it e s s o B • 30 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 à une réécriture de l’histoire de l’Occupation, en s’appuyant, comme Paxton ensuite, sur des archives allemandes (les archives françaises restant à cette époque inaccessibles). Mais le livre de Jäckel était passé complètement inaperçu ; le succès de celui de l’historien américain, en revanche, témoigne de la sensibilité nouvelle de l’opinion sur ce sujet, un an après le déclenchement de l’affaire Touvier. Certes, avec près de 25 000 exemplaires vendus de 1973 à 1985, l’ouvrage de Paxton s’est bien moins vendu que celui de Robert Aron entre 1954 et 1981 (53 000 exemplaires), mais ses thèses ont été largement relayées dans la presse. Elles ont par ailleurs imposé une réécriture des manuels scolaires qui, à partir de 1980, consacrent désormais de larges développements au régime de Vichy et à sa politique antisémite. • Sur l’ensemble de la période, estime cependant O. Wieviorka, « le travail des historiens n’a que partiellement pesé dans les configurations mémorielles ». Comme pour les associations de résistants ou de déportés, « les historiens n’influencèrent la mémoire que lorsque l’opinion se montra réceptive ». La mémoire savante des historiens a généralement suivi l’évolution de la mémoire collective des Français, plus qu’elle ne l’a précédée. C’est ainsi que la « mythologie résistante » ne s’est effondrée que lorsque la « magie gaulliste » a cessé d’opérer. L’intérêt de l’opinion pour le passé vichyste de François Mitterrand ne s’est manifesté qu’avec les déceptions enregistrées sous son second mandat, d’où l’écho rencontré par le livre du journaliste Pierre Péan (Une jeunesse française), qui ne disait pourtant pas grand-chose de plus que ce qu’on savait déjà. • Quel est, en définitive, le rôle des historiens dans la transmission du souvenir de la Seconde Guerre mondiale ? Il convient de bien dégager le rôle spécifique de la mémoire et de l’histoire. Au « devoir de mémoire » revendiqué par les associations de victimes et institutionnalisé par de nombreuses commémorations, les historiens ont opposé la notion de « devoir d’histoire ». La mémoire veut abolir la distance entre le passé et le présent, elle s’exprime principalement au travers de témoignages et de commémorations, qui visent à susciter l’émotion de ceux qui se souviennent. Comme l’écrit Paul Ricœur, le devoir de mémoire est « le devoir de rendre jus- it tice, par le souvenir, à un autre que soi ». Toute mémoire, même la plus légitime, est sélective et procède, comme l’écrit Henry Rousso, d’« une organisation de l’oubli ». Le métier d’historien répond à d’autres exigences : il implique une mise à distance du passé afin de replacer les faits historiques dans le contexte qui leur donne sens. L’historien se place sur le terrain de la connaissance, et non pas sur celui de la morale ou de la justice (d’où les réserves émises par certains historiens sur les enjeux du procès Papon). Confondre l’histoire et la mémoire exposerait au double danger de la sacralisation et de la banalisation du passé : comme le montre Tzvetan Todorov, le passé, s’il est sacralisé, « ne nous rappelle rien d’autre que lui-même » ; le passé banalisé « nous fait penser à tout et à n’importe quoi ». L’autonomie revendiquée par les historiens par rapport aux témoins et aux acteurs de la guerre ne signifient pas qu’ils soient « neutres » : c’est en intégrant le témoignage à la connaissance historique que l’historien en démultiplie la portée, en contribuant de la sorte à ce que la parole des témoins, restée longtemps inaudible après la guerre, puisse être non seulement transmise, mais comprise par les générations futures. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Bibliographie Pour une première approche de la question P. Burrin, « Vichy », in P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, T. 2, Gallimard, 1997. J.-P. Azéma, « Vichy et la mémoire savante », in J.-P. Azéma et F. Bédarida (dir.), Le Régime de Vichy et les Français, Fayard, 1992. R. Frank, « La mémoire empoisonnée », in J.-P. Azéma et F. Bédarida (dir.), La France des années noires : de l’Occupation à la Libération, vol. 2, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 2000. H. Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Éditions du Seuil, 1990. O. Wieviorka, La Mémoire désunie : le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, Éditions du Seuil, 2010. Ouvrages complémentaires S. Barcellini et A. Wieviorka, Passant, souvienstoi. Lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Plon, 1995. 31 • F. Cochet, Les Exclus de la victoire : histoire des prisonniers de guerre, déportés et STO (19451985), SPM, 1992. É. Conan et H. Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Gallimard, coll. Folio Histoire, 1996. A. Finkielkraut, L’Avenir d’une négation : réflexions sur la question du génocide, Éditions du Seuil, 1982. J.-N. Jeanneney, Le Passé dans le prétoire : l’historien, le juge et le journaliste, Éditions du Seuil, 1998. P. Lagrou, Mémoires patriotiques et Occupation nazie, Complexe, 2003. O. Lalieu, « L’invention du “devoir de mémoire” », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 69, janvier-mars 2001. S. Lindeperg, Les Écrans de l’ombre : la Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français (19441969), CNRS Éditions, 1998. P. Nora et F. Chandernagor, Liberté pour l’histoire, CNRS Éditions, 2008. P. Ricœur, La Mémoire, l’histoire et l’oubli, Éditions du Seuil, 2000. J.-P. Rioux (dir.), Nos embarras de mémoire : la France en souffrance, Lavauzelle, 2008. H. Rousso, La Hantise du passé, Textuel, 1998. P. Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, La Découverte, 1991. A. Wieviorka, Déportation et génocide : entre la mémoire et l’oubli, Plon, 1992. A. Wieviorka, L’ère du témoin, Plon, 1998. « La mémoire, entre histoire et politique », Les Cahiers français n° 303, La Documentation française, juillet-août 2001. CD Rom it R. Antelme, L’Espèce humaine, Gallimard, 1996. C. Bourdet, L’Aventure incertaine : de la Résistance à la restauration, Le Félin, 1998. C. Delbo, Une connaissance inutile, Les Éditions de Minuit, 1995. D. Rousset, L’Univers concentrationnaire, Pluriel, 2011 (rééd.). J. Semprun, L’Écriture ou la vie, Gallimard, coll. Folio, 1996. e s s o B it e s s o B J.-P. Husson, Histoire et mémoire des deux guerres mondiales, CRDP ChampagneArdenne, 2002. Mémoires de la déportation, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, 1998. • 32 Témoignages Filmographie René Clément, La Bataille du rail, 1946. Alain Resnais, Nuit et Brouillard, 1956. Gérard Oury, La Grande Vadrouille, 1966. Marcel Ophüls, Le Chagrin et la pitié, 1969. Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres, 1969. Louis Malle, Lacombe Lucien, 1974. Jean-Marie Poiré, Papy fait de la résistance, 1983. Claude Lanzmann, Shoah, 1985. Rachid Bouchareb, Indigènes, 2006. ◗ Plan du chapitre On peut distinguer trois grandes périodes dans l’évolution de la mémoire collective et des politiques mémorielles : de 1945 à 1958, la mémoire résistante s’impose, mais la Seconde Guerre mondiale ne donne pas lieu, à la différence de la Première, à une commémoration unitaire. De 1958 à 1980, le mythe gaullien d’une France unanimement résistante se désagrège, les mémoires occultées de la guerre se réveillent. Depuis 1981, les conflits de mémoire liés au souvenir de Vichy n’ont pas disparu, mais se sont apaisés. Trois études complètent le cours, sur la mémoire de la Résistance, la mémoire de la Shoah en France et le rôle des historiens dans la transmission de la mémoire. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 it Commentaire des documents et réponses aux questions 1. Une mémoire désunie (1945-1958) � MANUEL, PAGES 62-63 Doc. 1. Les tentatives de réhabilitation du maréchal Pétain (Brochure diffusée par la revue d’extrême droite Aspects de la France après la mort du maréchal Pétain, 1951.) e s s germanophobe, qui s’appuie sur le rôle majeur que les communistes ont joué dans la Résistance. L’affiche évoque les trois guerres qui ont conduit à l’occupation de la France par l’Allemagne, en 1870-1871, en 1914-1918 et en 1940-1945. On y voit un soldat allemand menaçant un village français en ruine et peint aux couleurs tricolores : allusion au massacre des habitants du village d’Oradour-sur-Glane, en juin 1944, par les soldats de la division SS Das Reich. En incrustation sur son casque, d’autres soldats allemands sont dessinés, portant l’uniforme des dernières guerres, notamment le fameux casque à pointe des armées prussiennes. La CED est dénoncée comme une nouvelle menace du « militarisme » allemand. Le PCF cherche ainsi à mobiliser, au-delà de sa propre audience électorale, tous les « patriotes » qui continuent de voir dans l’Allemagne un danger pour la France. C’est au contraire au nom de la réconciliation francoallemande, nécessaire à la cohésion de l’Europe occidentale, que les « pères de l’Europe » militent à cette époque en faveur de l’unification européenne. o B it e s s o B • Question. Cette affiche de propagande destinée à réhabiliter la mémoire du maréchal Pétain a été publiée dans l’organe officiel de l’Action française Aspects de la France, autorisé à reparaître depuis 1947. Quelques mois après la mort du maréchal, en 1951, l’un de ses défenseurs, Jacques Isorni, fonde l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain. L’affiche emprunte à la tradition des images d’Épinal pour héroïser les grands moments de la vie du maréchal, accompagnés de légendes hagiographiques et falsificatrices. Pétain est ainsi représenté : en 1916, en vainqueur de Verdun au milieu des poilus ; en 1940, faisant « don de sa personne à la France » en plein désastre (représentation de l’exode de juin 1940 en arrière plan) ; en 1945, seul dans sa prison, en victime expiatoire ; en 1951, à l’annonce de sa mort, ses partisans lui rendent hommage sur la tombe du soldat inconnu et le texte demande le transfert de ses cendres à l’Ossuaire de Douaumont. Le mythe du vainqueur de Verdun, se sacrifiant pour la patrie en 1940, occulte les lourdes responsabilités de celui qui fut aussi le chef d’un régime dictatorial, raciste et collaborationniste de 1940 à 1944. Doc. 2. Le souvenir de la guerre à l’heure de la guerre froide (Affiche du Parti communiste contre la CED, 1953.) • Question. En 1953, le PCF mène une campagne contre la ratification des accords de Bonn et de Paris qui instituent une Communauté européenne de défense. Cette dernière prévoit en effet le réarmement de la RFA dans le cadre d’une armée européenne, afin de renforcer la défense de l’Europe occidentale face à l’URSS. Les communistes, alors complètement alignés sur la politique extérieure soviétique, s’opposent fermement à l’atlantisme. Mais la propagande communiste puise dans un registre patriotique et © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 3. Vichy et les persécutions antisémites (Photogramme de Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, 1956.) • Question. Dans les années 1950, les responsabilités propres du régime de Vichy dans la déportation des juifs de France sont occultées. Il apparaît donc choquant de découvrir dans le film d’Alain Resnais l’image d’un gendarme français gardant, en 1941, le camp de Pithiviers, l’un des lieux où les juifs avaient été internés en application des mesures antisémites de l’État français, et ce, avant même que l’Allemagne nazie ne décide de les déporter pour les exterminer. La Commission de contrôle, chargée de la censure des films de cinéma, a cherché à obtenir le retrait de la photographie ; elle a été finalement maintenue, mais censurée par un gros trait noir, afin de masquer le képi du gendarme. Le film Nuit et Brouillard est le premier film français consacré à l’évocation du génocide des juifs. Contrairement au cinéma polonais, allemand ou tchèque, le cinéma français ne s’était pratiquement pas intéressé au sujet jusque là. 33 • Ce documentaire, mis en image par le cinéaste Alain Resnais sur un texte écrit par un ancien déporté, Jean Cayrol, est une commande du très officiel Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, qui faisait suite à l’exposition « Résistance-Libération-Déportation » organisée à l’occasion du 10e anniversaire de la Libération. L’univers concentrationnaire y est évoqué à la fois par des images d’archives et par des prises de vue contemporaines, tournées en couleur sur les lieux de l’extermination. Nuit et Brouillard reçut le prix Jean Vigo et fut sélectionné pour représenter la France au Festival de Cannes en 1956. À la demande de la République fédérale d’Allemagne, le film fut projeté seulement hors compétition, le privant d’une fort probable palme d’or. Il n’en connut pas moins une diffusion exceptionnelle pour un court-métrage documentaire, en salle puis dans les ciné-clubs. Le film se verra reprocher, dans les années 1980, d’occulter le sort spécifique des victimes juives de la Shoah en l’amalgamant avec celui de l’ensemble des déportés (le décret Nacht und Nebel n’a aucun rapport avec la « solution finale » et le mot « juif » n’est prononcé qu’une fois dans le film). Le reproche était injuste car jusqu’à nos jours, l’œuvre d’Alain Resnais est bel et bien associée au génocide des juifs. À l’initiative de la LICRA, le film fut ainsi projeté sur toutes les chaînes de télévision le 14 mai 1990, au lendemain de la profanation du cimetière juif de Carpentras. En 1992, le ministère de l’Éducation nationale demanda également à tous les professeurs d’histoire de projeter le film en classe, après le verdict de non-lieu obtenu dans un premier temps par l’ancien milicien Paul Touvier. it On relève au bas de l’affiche le nom des quatre grandes associations qui se sont entendues pour organiser ensemble les Journées nationales du souvenir à Compiègne en août 1946. L’initiative en revient au ministre communiste des Anciens combattants et victimes de guerre de l’époque, Laurent Casanova. Le prétexte en est fourni par le retour en France, dans la clairière de Rethondes, près de Compiègne, de la stèle qui commémorait la signature de l’armistice du 11 novembre 1918 dans un wagon. Lors de leur retraite, les Allemands avaient emporté avec eux à Berlin, et la stèle, et le wagon, ce dernier ayant été détruit peu après. Ces Journées du souvenir visent ainsi à célébrer la solidarité entre toutes les catégories de combattants et de victimes de guerre. Cet œcuménisme associatif n’a pas duré. Le discours prononcé par le ministre Laurent Casanova en l’honneur des « déportés du travail » heurta de nombreux résistants, s’indignant qu’on puisse accorder le titre de déportés aux requis du STO. En 1950, les requis du STO obtinrent un droit à l’indemnisation, au même titre que les autres catégories de déportés, mais pas le droit de porter le titre de « déportés du travail ». La longue bataille engagée en justice par leur Fédération dura jusqu’en 1992, date à laquelle la Cour de Cassation la débouta définitivement de ses prétentions. De leur côté, ni les prisonniers de guerre, ni les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale ne purent occuper, dans l’espace mémoriel, la place qui avait été celle des poilus survivants après 1918. Leurs Fédérations respectives se replièrent sur des revendications catégorielles, à défaut de pouvoir inspirer la politique du souvenir, monopolisée par les résistants. Enfin, dès 1948, l’Assemblée nationale adopta deux statuts distincts, l’un sur les « déportés et internés de la résistance », l’autre sur les « internés et déportés politiques » : on établissait ainsi un distinguo entre les résistants et les « politiques », euphémisme de l’époque pour désigner avant tout les déportés juifs. Les logiques corporatistes, doublées des divisions politiques (entre communistes et non communistes surtout), empêchèrent les associations de présenter « une vision sinon commune, du moins universelle de la Seconde Guerre mondiale » (O. Wieviorka). e s s o B it e s s o B Doc. 4. Une mémoire solidaire ? (Affiche pour les Journées nationales du souvenir, 1946.) • Question. Les quatre personnages de l’affiche représentent, de gauche à droite, un déporté dans son uniforme rayé, un ancien combattant dans sa tenue militaire, un « déporté du travail » coiffé de la casquette emblématique de l’ouvrier et un prisonnier de guerre avec sa vareuse. Résistants, anciens combattants et victimes de la guerre se sont en effet regroupés, dès la Libération, dans des associations, en vue d’obtenir la reconnaissance d’un statut et une indemnisation matérielle à la mesure du préjudice subi. • 34 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 2. Le réveil des mémoires (1958-1980) � MANUEL, PAGES 64-65 Doc. 1. Jean Moulin au Panthéon • Question. Ministre d’État chargé des Affaires culturelles depuis 1959, André Malraux fut chargé de prononcer le discours officiel d’hommage à Jean Moulin à l’occasion du transfert de ses cendres au Panthéon en 1964. À cette époque, le grand écrivain, qui s’était engagé aux côtés des républicains espagnols en 1936 et avait participé activement à la Résistance à partir d’avril 1944, est devenu le chantre officiel du gaullisme. À travers Jean Moulin, qui n’était pas encore devenu une figure légendaire de la Résistance, c’est en effet le rôle historique de l’homme du 18 juin que Malraux entend magnifier. Jean Moulin, c’est l’homme qui a unifié la Résistance sous l’autorité du général de Gaulle. La Résistance, avec la majuscule, devient un tout supérieur à la somme de ses parties, les divers mouvements de résistance (« ils voulaient cesser d’être des Français résistants, et devenir la Résistance française »). « Le général de Gaulle seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l’union entre eux ». La mémoire gaulliste de la guerre évacue ici ce qui faisait la diversité politique et idéologique de la Résistance (ce que les résistants eux-mêmes n’ont pas toujours apprécié). Pour Malraux, la Résistance a un caractère essentiellement militaire. C’est le sens du parallèle esquissé entre le héros de la 2e DB, le général Leclerc (enterré aux Invalides en 1947, maréchal de France à titre posthume en 1952) et Jean Moulin, héros-martyr d’une armée de l’ombre : au même titre que les Forces françaises libres, la Résistance intérieure a combattu une puissance occupante pour « la survie de la France ». La mémoire gaulliste de la guerre s’attache à commémorer une France victorieuse et à effacer le souvenir des affrontements qui ont opposé la France résistante à l’autre France, restée à Vichy. Les « affreuses files de Nuit et Brouillard » n’évoquent pas ici le génocide des juifs, mais la répression qui s’est abattue sur ceux qui, à l’instar de Jean Moulin, sont morts en combattant l’occupant allemand (le décret Nacht und Nebel de décembre 1941 ordonne la déportation et la mise au secret de tous les « ennemis du Reich »). it Doc. 2. Les mutations du « paysage mémoriel » dans les années 1970 e s s • Question. L’historien Olivier Wieviorka met bien en évidence le retournement qui s’opère dans l’opinion après 1969, date de la démission du général de Gaulle. Le « mythe résistancialiste » (Henry Rousso) s’effondre, et avec lui une mémoire sélective de la guerre, héroïsant la Résistance, réduisant l’œuvre de Vichy à une poignée de traîtres et niant la spécificité de la Shoah. L’opinion ne se satisfait plus de la vision rétrospective et rassurante d’une France unanimement résistante. C’est aussi qu’on assiste à cette époque à l’affirmation d’autres mémoires de la guerre, refoulées ou ravalées au second plan jusque là : c’est le cas, en particulier, de la mémoire juive de la déportation. O. Wieviorka relève ici deux conséquences majeures de cette évolution : – La figure du héros tend à s’effacer devant celle de la victime dans la mémoire collective et dans les commémorations du souvenir de la Seconde Guerre mondiale. – La célébration de la France combattante perd sa faculté à rassembler les Français autour d’une mémoire commune ; elle laisse place à l’affirmation de mémoires distinctes, voire concurrentes de la guerre. o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 3. Vers une autre histoire de l’Occupation : la France de Vichy • Question. À la Libération, priorité a été donnée à la reconstruction de l’unité nationale. La « parenthèse » de Vichy doit donc être refermée au plus vite, une fois ses principaux responsables condamnés. Comme le dira plus tard le président Pompidou, « il convient d’oublier ces temps où les Français ne s’aimaient pas ». À l’occultation de l’État français correspond l’exaltation de la France résistante. La responsabilité de la collaboration est attribuée à Laval, et non au maréchal Pétain, considéré à tort comme une potiche manipulée par une poignée de traîtres. Le rôle de Vichy dans la déportation des juifs est passé sous silence. L’accès aux archives demeure fermé aux historiens ; c’est l’exploitation des archives allemandes qui permet à E. Jäckel puis à Robert Paxton de renouveler l’histoire du régime de Vichy. La politique mémorielle des pouvoirs publics entretient le souvenir d’une France unanimement résistante : c’est sous l’aiguillon d’une 35 • opinion moins friande de légende et plus soucieuse de vérité que les historiens ont été incités à reconsidérer l’histoire de l’Occupation. Doc. 4. La « déshéroïsation » de la guerre au cinéma (Lacombe Lucien de Louis Malle, 1974 et Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophüls, 1969.) • Question. Deux grands événements cinématographiques traduisent la rupture qui s’opère à partir du début des années 1970 : Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophüls, tourné en 1969 et sorti en salle en 1971, et Lacombe Lucien, de Louis Malle en 1974. Ces deux films ont en commun d’avoir des auteurs qui appartiennent à la génération d’après-guerre, contemporaine de celle de mai 1968 : la vision de l’Occupation qui s’en dégage se démarque de celle que le pouvoir gaullien s’était attaché à diffuser par les commémorations organisées en l’honneur de la France combattante. Le Chagrin et la pitié innove d’abord par sa forme : un documentaire composé non plus principalement d’images d’archives, mais de récits de témoins, célèbres (comme Pierre Mendès France) ou anonymes, qui ont passé une partie de la guerre dans la région de Clermont-Ferrand. Le style se démarque ainsi de celui des œuvres de la période précédente, épiques (La Bataille du rail) ou démonstratives (Nuit et Brouillard). Sur le fond, le film offre une présentation de l’Occupation très différente de celle qui avait encore cours à cette époque. Il se présente comme une chronique d’une ville française sous l’Occupation, Clermont-Ferrand, qui était alors située en zone « libre » jusqu’en 1942 : l’occupant allemand est ainsi relégué à l’arrière-plan. Le film fait une large place à l’antisémitisme français, alors que l’antisémitisme était essentiellement mis au compte des persécutions nazies jusque là. Le témoignage filmé d’anciens collaborateurs, comme Christian de la Mazière, renvoie une autre image du « collabo », en montrant que la collaboration a pu relever non seulement de l’intérêt ou de la vengeance de traîtres sans scrupule, mais aussi d’un choix idéologique faisant primer la lutte contre le communisme. Enfin, et ce fut à l’époque l’aspect le plus provocateur du film, la Résistance y apparaît comme un engagement somme toute minoritaire et ses deux principales composantes, la gaulliste et la communiste, en it sont évacuées. Rétrospectivement, le film tombe d’un excès dans l’autre : à l’image d’une France unanimement résistante se substitue celle d’une France quasi-unanime dans l’indifférence ou la lâcheté. Le film a été pour cette raison censuré à la télévision pendant dix ans : Simone Veil elle-même, alors membre du conseil d’administration de l’ORTF en 1971, s’est opposée à sa diffusion. Le film avait été pourtant salué par la critique, y compris dans L’Humanité. Le scénario de Lacombe Lucien a été écrit par Patrick Modiano, qui, dès ses premiers romans, avait affiché une prédilection toute particulière pour la période de l’Occupation (c’est alors la mode rétro), campant des personnages ambigus, au comportement transcendant la frontière du bien et du mal. Le film de Louis Malle prend à l’époque un aspect provocateur, parce qu’il donne le premier rôle non plus à un héros positif, le résistant, mais à un jeune voyou qui finit par s’engager dans la Milice. Par ailleurs, le film choisit sciemment d’évacuer toute la dimension politique et idéologique de la guerre : Lacombe Lucien devient collabo par hasard, le personnage se situe en deçà de toute conscience morale ou politique. Cette représentation désidéologisée, apolitique de la guerre brisait par elle-même un tabou. e s s o B it e s s o B • 36 3. Une mémoire apaisée (depuis 1981) ? � MANUEL, PAGES 66-67 Doc. 1. Shoah et le « devoir de mémoire » (Affiche de Shoah de Claude Lanzmann, 1985.) • Question. Depuis les années 1960, on a assisté, en France comme dans tous les pays occidentaux, à l’affirmation d’une mémoire juive, qui a cherché à ce que la singularité de la Shoah soit mieux reconnue. Deux événements représentent un tournant de ce point de vue : le procès Eichmann (1961), parce qu’il donne pour la première fois la parole aux témoins, et la guerre des Six-Jours (1967), qui a fait planer la menace d’une destruction de l’État d’Israël. En France, les associations juives, comme celle des époux Klarsfeld, se sont également battues, afin de briser le silence entretenu sur la politique antisémite de Vichy. Ce réveil de la mémoire juive est intervenu au moment où, le mythe résistancialiste s’étant effondré, l’opinion publique s’est © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 montrée plus réceptive au drame vécu par les juifs de France sous l’Occupation. Le film de Claude Lanzmann témoigne de la position centrale qu’occupe désormais la Shoah dans la mémoire de la guerre. Après bien des difficultés, il parvient à mener à terme la réalisation d’un film de plus de neuf heures entièrement consacré à la Shoah. C’est ce film qui a contribué à répandre l’usage de ce mot hébreu pour désigner le génocide des juifs, préféré au mot « holocauste », qui reste employé dans les pays anglo-saxons. Shoah est un film sur la mémoire de la Shoah, bien plus que sur la Shoah elle-même. Ses personnages principaux sont les témoins de la tragédie, ce sont eux qui, par leur récit, font remonter le passé à la surface et éveillent l’émotion du spectateur, parfois jusqu’à l’insoutenable. La distance entre le passé et le présent est abolie : Claude Lanzmann a écarté les documents d’archives, les personnages sont filmés sur les lieux actuels. L’affiche de Shoah représente le conducteur polonais, interviewé dans le film, qui acheminait les wagons de déportés de la gare de Treblinka (à droite sur l’affiche) jusqu’au camp de mise à mort. Ce primat accordé à la Shoah a parfois été mal perçu par les autres acteurs de la guerre (résistants ou prisonniers de guerre), au point d’entretenir parfois une sorte de concurrence mémorielle. Mais « parle-t-on trop de la Shoah » aujourd’hui, se demande O. Wieviorka dans La Mémoire désunie. Il rappelle que « pendant de nombreuses décennies, la destruction des juifs d’Europe avait été non seulement oubliée, mais dans une certaine mesure euphémisée par l’État ». Les morts n’avaient pas reçu de sépulture, leur nombre même n’était pas connu avec certitude, de même que leur nom, et ce, avant que Serge Klarsfeld n’entreprenne, avec des moyens dérisoires, la publication du Mémorial de la déportation des juifs de France (1978). Jusqu’en 1970, les déportés juifs perçoivent encore des pensions très inférieures à celles qui sont versées aux déportés résistants. Ainsi s’explique l’« activisme » des associations juives : « face à l’ampleur du traumatisme subi, face, également, aux silences, voire aux dénégations de la puissance publique, une action énergique s’imposait », conclut O. Wieviorka, pour qui it « l’excédent mémoriel » ou la repentance excessive déplorés par certains n’ont fait que combler le vide, jusqu’aux années récentes, de la politique mémorielle de l’État. e s s Doc. 2. Les responsabilités de la SNCF • Question. Six ans après que le président de la République Jacques Chirac a reconnu le rôle de l’État et de l’administration française, et non plus du seul régime de Vichy, dans la déportation des juifs de France, Guillaume Pépy choisit à son tour d’assumer le passé de la SNCF. Certaines organisations juives américaines ont, par ailleurs, fait pression sur l’entreprise en ce sens, alors qu’elle négociait des contrats aux États-Unis. Le président de la SNCF rappelle donc que ce sont bien des trains français qui ont déporté les juifs. Mais il ajoute aussitôt que c’est sous la contrainte de l’occupant et du régime collaborateur de Vichy que la SNCF a dû s’exécuter pour acheminer les trains « jusqu’à la frontière », et non jusqu’à l’entrée des camps de la mort. Tout en s’inclinant devant la mémoire des victimes, le président de la SNCF a également voulu rendre hommage à la résistance très active des cheminots, immortalisée dès les lendemains de la guerre dans le film de René Clément, La Bataille du rail (1946). o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 3. Se souvenir sans se repentir • Question. Le candidat à la présidence Nicolas Sarkozy s’oppose à ce qu’il appelle la « mode de la repentance » pour deux raisons principales. – Elle ouvre la voie à la concurrence des mémoires. Sur ce point, N. Sarkozy pense probablement surtout aux mémoires concurrentes et encore conflictuelles de la guerre d’Algérie (entre Français d’Algérie, harkis et Algériens vivant en France). Mais l’appel à la repentance pour les crimes commis à l’encontre des juifs a pu aussi irriter certains acteurs de la guerre, résistants ou militants gaullistes de la première heure, qui ont toujours considéré Vichy comme nul et non avenu. – Pour N. Sarkozy surtout, la repentance donne aux Français une mauvaise image de l’histoire de leur pays. Le souvenir de 1940 ne doit pas recouvrir celui de 1789, la France demeure avant tout la « Grande Nation » qui a « inventé » les droits de l’homme (une invention que les 37 • Britanniques et les Américains contesteraient volontiers au futur chef de l’État !) et qui a le plus combattu pour la libération des peuples (ici encore, certains partenaires de la France ne partageraient pas forcément cette vision rétrospective des guerres livrées par la France en Europe ou en Afrique). N. Sarkozy tient donc à rappeler que la France n’est pas l’Allemagne et que tous les Français, en dépit des circonstances (la défaite et l’Occupation), n’ont pas démérité, puisqu’il y a eu les héros de la Résistance pour libérer la France et les Justes des Nations pour sauver des juifs. On relève que, de manière significative, le parallèle opéré par N. Sarkozy occulte le fait que Vichy ait édicté de sa propre autorité une législation antisémite dès 1940, sans que l’immense popularité dont jouissait à cette époque le maréchal Pétain ait été encore entamée, y compris dans certains milieux de la Résistance. En des termes certes moins nuancés, N. Sarkozy rejoint en partie son prédécesseur : dans son discours de 1995 (voir p. 71), Jacques Chirac avait lui aussi évoqué « la France des Lumières et des droits de l’homme », les Justes et les Français libres, agissant au nom d’une certaine idée de la France qui n’a « jamais été à Vichy ». Mais Jacques Chirac avait parlé de « faute collective », une formule de repentance par rapport à laquelle N. Sarkozy a voulu se démarquer. Nicolas Sarkozy a inauguré son mandat par des gestes appuyés en faveur de la mémoire résistante, par exemple en faisant lire dans tous les établissement scolaires la lettre du jeune militant communiste Guy Môquet, fusillé en 1941 (qui n’était sûrement pas le meilleur symbole de la Résistance d’un strict point de vue historique.) (Voir p. 79). Plus fondamentalement, N. Sarkozy fait sienne la fonction traditionnelle assignée à l’histoire de France depuis la IIIe République : comme chez Ernest Lavisse naguère, elle doit entretenir l’amour que les Français doivent ressentir pour leur pays. L’histoire de France participe de la mission intégratrice dévolue à l’école de la République. Cette conception transcende largement les clivages politiques. Jean-Pierre Rioux estime ainsi « inconcevable de laisser mettre en “mémoire“ chez [certains élèves] une représentation négative de la France, sous peine de les voir it intérioriser la “haine“ de ce qu’ils sont au spectacle d’une telle avalanche de crimes imputés à la patrie qui s’offre à eux. Comment pourraientils alors se reconnaître dans cette marâtre ? Leur intégration serait alors compromise, bien loin des objectifs de l’école dont la finalité, on le sait, est l’émancipation personnelle de chaque élève et son intégration civique ». Au-delà des polémiques sur le terme de « repentance », l’enjeu est ici de s’interroger sur le rôle qui doit être celui de l’histoire dans la transmission de la mémoire nationale et la formation du citoyen. e s s o B it e s s o B • 38 Doc. 4. Une reconnaissance tardive : les « indigènes » de la République (Affiche du film Indigènes de Rachid Bouchareb, 2006.) • Question. Sorti en salle en 2006, le film Indigènes est venu rappeler la participation des troupes coloniales aux campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne, afin de réparer l’oubli dont elle avait fait l’objet jusqu’aux années récentes. Le succès du film, également dû à la popularité et au talent des acteurs, a ainsi permis de réintégrer les « indigènes de la République » dans la mémoire nationale. Le film visait aussi à dénoncer l’ingratitude de la France envers ses soldats des colonies, qui ne percevaient jusque-là qu’une pension ridicule, très inférieure à celle versée aux anciens combattants français. Depuis 1960, l’État français avait en effet décidé de bloquer l’augmentation des pensions, à charge pour les anciennes colonies parvenues à l’indépendance de prendre le relais : ce qu’on appelle la « cristallisation des pensions ». Au terme d’une longue procédure, le Conseil d’État a supprimé la cristallisation, mais en vertu du principe d’équité, les anciens combattants ne percevaient que l’équivalent dans leur pays du pouvoir d’achat garanti aux Français. Ainsi, pour 100 € versé à un Français, un Marocain percevait 12 € et un Algérien 15 €. Devant l’émotion suscitée par le film, Jacques Chirac s’est engagé à accélérer le processus en cours de décristallisation, dont 27 000 anciens combattants ont pu bénéficier. Après 2007, un Marocain percevait désormais une pension de 495 €, contre seulement 60 € avant la décristallisation. Cette reconnaissance tardive n’a toutefois guère rencontré d’écho dans les anciennes colonies © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 françaises, en particulier en Algérie, où la participation des « Indigènes » reste considérée comme une manifestation de la domination coloniale. On est donc encore loin de l’instauration d’une « mémoire partagée » de la guerre sur les deux rives de la Méditerranée. ◗ Étude La mémoire de la Résistance e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 68-69 Réponses aux questions it brûle une flamme permanente. Sous la croix s’ouvrent deux portes en bronze : l’une débouche sur l’escalier qui mène au parcours du souvenir, l’autre donne accès à la crypte funéraire, où les cercueils des seize combattants ont été transférés. 2. Par l’hommage rendu aux fusillés de Châteaubriant, le PCF entretient la mémoire des nombreux militants communistes qui se sont engagés dans la Résistance et qui ont donné leur vie pour libérer la France de l’occupation nazie. C’est à la suite de l’attentat perpétré contre le lieutenant-colonel Hotz, chef de la Feldkommandantur de Nantes, le 20 octobre 1941, que les Allemands ont décidé de fusiller 50 otages. 48 furent exécutés, dont 27 dans la carrière de la Sablière, près de Châteaubriant (Loire-Atlantique) : des militants communistes pour la plupart (le PCF occulta la présence de deux trotskystes parmi les victimes), comme le député Charles Michels, le syndicaliste JeanPierre Timbaud et Guy Môquet. Un monument provisoire y est inauguré dès la Libération, en octobre 1944, lors d’une cérémonie œcuménique à laquelle ont participé les communistes Fernand Grenier et Henri Rol-Tanguy, le démocrate-chrétien et gaulliste Maurice Schumann et le commissaire de la République Michel Debré. Au lendemain de la guerre, le PCF se présente comme le « parti des 75 000 fusillés », chiffre assurément très exagéré puisque le nombre des fusillés pour faits de résistance n’excède pas 30 000, mais qui témoigne bien du rôle majeur qui a été le sien dans la Résistance. À travers la Résistance, le PCF s’enracine dans la tradition patriotique et jacobine de la gauche française, celle des sans-culottes de l’an II et des communards de 1871. C’est devant une carte de France peinte aux trois couleurs du drapeau que s’effondre le corps du fusillé. Cette commémoration a aussi longtemps permis au PCF d’occulter sa part d’ombre : son approbation du pacte germano-soviétique d’août 1939 et le caractère tardif de son engagement dans la Résistance en juin 1941, même si bon nombre de ses militants ne l’avaient pas attendu pour le faire. Le plus célèbre des fusillés de Châteaubriant, le jeune Guy Môquet, n’a pas été arrêté en octobre 1940 pour acte de résistance, mais parce qu’il était le fils d’un député com- 1. La croix de Lorraine, sculptée à l’entrée du mémorial du mont Valérien, a été l’emblème de la France libre, puis de tous les mouvements politiques gaullistes par la suite. Le choix de la croix de Lorraine aurait été suggéré au général de Gaulle par le vice-amiral Muselier, premier officier général à avoir rejoint la France libre. L’emblème fut d’abord apposé sur les navires de la France libre, puis adopté par l’ensemble des Forces françaises libres. Il fut repris par l’Ordre de la Libération. Le mont Valérien est en effet l’un des principaux lieux de mémoire gaullistes. Le Gouvernement provisoire décida d’ériger un monument commémoratif de la Seconde Guerre mondiale sur le site du fort du mont Valérien, sur la colline de Suresnes, où de nombreux otages avaient été fusillés. Quinze combattants morts pour la France y furent inhumés le 11 novembre 1945, dont neuf soldats tombés sous uniforme (trois durant la campagne de 1940, un en 1942, cinq en Italie et en France en 1944) et trois résistants. Un prisonnier de guerre a été sélectionné, mais pour avoir été fusillé pour rébellion. N’y figurent aucun déporté juif ni aucun ancien combattant alsacien-lorrain. Un seizième corps fut ajouté en 1952, un Français résistant d’Indochine exécuté par les Japonais. Une cérémonie y est organisée chaque 18 juin sous l’égide de la chancellerie de l’Ordre de la Libération, lui aussi créé en 1945, sur le modèle de la Légion d’honneur. Le général de Gaulle y inaugura un Mémorial de la France combattante en 1960. Érigé près de la clairière des Fusillés, il se compose de seize hauts-reliefs en bronze, œuvres de sculpteurs différents, qui rappellent, par des allégories, l’héroïsme des combattants. Au centre, figure une croix de Lorraine de 12 mètres de haut devant laquelle © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 39 • muniste, arrêté en octobre 1939, à une date où le Parti communiste avait été dissous pour avoir soutenu le pacte germano-soviétique. Le 22 octobre 1941 toutefois, le PCF a bien jeté toutes ses forces dans la Résistance et ses militants ont sans doute payé le plus lourd tribut à la lutte intérieure contre l’occupant et le régime de Vichy. L’hommage rendu aux fusillés de Châteaubriant a perdu son caractère rassembleur dans le climat anticommuniste de la guerre froide. En 1950, le monument définitif fut inauguré sans la participation du préfet. En 1955, les fusillés de Châteaubriant reçurent le statut d’internés politiques, et non d’internés résistants. Sur intervention de Tanguy-Prigent, Guy Môquet se vit néanmoins attribuer la qualité d’interné résistant en 1956. 3. Qu’elle soit gaulliste ou communiste, la mémoire de la Résistance prend appui sur le culte des héros qui ont sacrifié leur vie pour libérer le pays dans la France libre ou la résistance intérieure. Elle a ainsi une forte dimension patriotique, mais aussi politique, puisqu’elle entretient la très large audience dont ces deux courants politiques bénéficient alors auprès de l’opinion. 4. Pour des raisons différentes, gaullistes et communistes ont contribué à forger le mythe d’une France unanimement résistante, qui a relégué le souvenir de Vichy dans l’ombre. Pour les gaullistes, le général de Gaulle a incarné durant la guerre la seule France légitime, celle qui a continué le combat en 1940. Pour les communistes, la Résistance est présentée comme une vaste insurrection populaire, héritière des jacobins de l’an II et des communards de 1871, dont le PCF revendique l’héritage. Dans les deux cas, l’audience recueillie par la Résistance française dans l’opinion est majorée, tandis que celle du régime de Vichy est minorée, en dépit de la grande popularité qui avait été celle du maréchal Pétain. Or, les travaux des historiens ont bien montré depuis que si la très grande majorité de l’opinion a souhaité la victoire de l’Angleterre, puis des Alliés, dès 1941, elle n’a pas pour autant basculé tout entière du côté de la Résistance. La mémoire résistante tend par ailleurs à marginaliser les autres mémoires de la guerre : aussi bien les mémoires combattantes (anciens combattants de 1940 et prisonniers de guerre, « malgré-nous » enrôlés de force dans l’armée it allemande, troupes coloniales, mais aussi résistants ni gaullistes ni communistes) que les mémoires non combattantes (requis du STO, déportés juifs). 5. À l’instar de Lucie Aubrac, bon nombre d’hommes et de femmes de la Résistance ont cherché, non plus seulement à en commémorer le souvenir par des cérémonies officielles, mais à témoigner en personne de leur combat et des valeurs au nom desquelles ils l’ont mené. Pour Lucie Aubrac, le témoignage parle davantage aux jeunes générations que les commémorations. Jusqu’à sa mort, elle a elle-même beaucoup donné de sa personne par ses multiples interventions dans les établissements scolaires. Lucie Aubrac considère de ce point de vue le procès Barbie comme un tournant. On pourrait dire que ce procès a eu, en France, un effet similaire à celui d’Eichmann 25 ans plus tôt en Israël : c’était en effet la première fois depuis la guerre, en France, qu’un procès offrait l’occasion de donner la parole aux témoins, venus déposés contre l’ancien « boucher de Lyon ». Certes, l’ancien chef de la Gestapo de Lyon n’était plus accusé, en 1987, que de crimes contre l’humanité (en particulier pour la déportation des enfants juifs d’Izieu), mais les résistants, dont Lucie Aubrac, furent également appelés à témoigner contre lui. Ce sont aussi les valeurs de la Résistance que certaines de ses grandes figures, fortement engagées à gauche, ont voulu réactualiser, dans un appel aux jeunes générations lancé en 2004. Parmi les signataires : les époux Aubrac, Marie-José Chombart de Lauwe, présidente de la Fondation pour la mémoire de la déportation, Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, Georges Séguy, ancien secrétaire général de la CGT ou Stéphane Hessel, auteur en 2010 du célèbre manifeste Indignez-vous ! Dans une Europe en crise, les auteurs s’insurgent devant la remise en cause des grandes conquêtes sociales de la Libération et s’inquiètent de la poussée des mouvements d’extrême droite, notamment au sein de la jeunesse. Ils saisissent l’occasion du soixantième anniversaire du programme adopté par le Conseil national de la Résistance, adopté en 1944, pour énoncer les mesures de démocraties économiques et sociales qui ont contribué à refonder une société plus juste, plus libre et plus solidaire au lendemain de la Seconde Guerre e s s o B it e s s o B • 40 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 mondiale. Pour les signataires de ce manifeste, la mémoire de la Résistance ne doit pas seulement prendre appui sur l’hommage rendu aux héros et aux victimes de la barbarie nazie, mais sur la transmission et la défense des valeurs pour lesquelles les résistants ont donné leur vie. 6. La mémoire résistante domine l’espace mémoriel jusqu’aux années 1960. Au-delà de leurs divergences politiques, gaullistes et communistes enracinent le culte d’une France massivement résistante. Cette mémoire tend à la fois à refouler le souvenir du régime de Vichy et à marginaliser les autres mémoires, combattantes ou non combattantes, de la guerre. Depuis la fin des années 1960, la mémoire résistante a dû en partie céder la place à d’autres mémoires de l’Occupation, et en particulier à celle des victimes juives de la déportation, livrées à l’Allemagne par les autorités légales de l’État français. Dans l’opinion, l’hommage aux victimes a tendu à prendre le pas sur la vénération des héros. Toutefois, la voix de la Résistance parle toujours par la bouche ou la plume de ses grands témoins : les nombreux témoignages qu’ils ont livrés continueront de parler pour eux après leur disparition. La mémoire de la Résistance reste également très présente dans l’espace public, à travers de nombreuses commémorations, lieux de mémoire ou musées, ainsi que dans les programmes scolaires. ◗ Étude La mémoire de la Shoah en France e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 70-71 Réponses aux questions it Simone Veil, rencontre l’incrédulité. En évoquant les « regards fuyants qui nous rendaient transparents », Simone Veil suggère également le malaise que bon nombre de Français pouvaient ressentir devant l’évocation du génocide des juifs, dans un pays où l’antisémitisme s’était largement diffusé depuis la fin du XIXe siècle et qui, même s’il faut tenir compte du traumatisme de la défaite de 1940, avait accueilli dans l’indifférence le statut des Juifs promulgué par le régime de Vichy. À cela s’ajoutent les difficultés de la vie quotidienne, qui font qu’à la Libération, les Français ont bien d’autres préoccupations. Par ailleurs, l’opinion ne fait pas encore la différence entre le sort des déportés politiques et celui des personnes déportées, enfants et vieillards compris, en raison de leur origine juive. Au procès de Nuremberg, c’est une déportée résistante, Marie-Claude Vaillant-Couturier, que la partie française cite à comparaître afin qu’elle livre son témoignage sur le camp d’Auschwitz. 2. L’historienne Annette Wieviorka a bien montré dans sa thèse sur la mémoire de la Shoah en France que, contrairement à ce que l’on a souvent affirmé, les survivants ont été nombreux, dès les années d’après-guerre, à vouloir témoigner de l’horreur du génocide, mais ce n’est que bien plus tard que l’opinion s’est montrée réceptive à l’évocation de cette tragédie. À la Libération en effet, tous les Français estiment avoir souffert de la guerre à un titre ou à un autre. La souffrance des juifs n’apparaît pas spécifique. Les survivants eux-mêmes n’ont pas immédiatement voulu dissocier leur sort de celui des autres déportés. Selon Annette Wieviorka, c’est le procès Eichmann, en 1961, qui a marqué le réveil de la mémoire juive, en France comme dans d’autres pays. Pour la première fois, un procès est entièrement consacré au génocide, ce qui n’avait pas été le cas lors du procès de Nuremberg ; il est d’emblée conçu comme une leçon d’histoire décernée à la postérité. Les audiences sont enregistrées et surtout, les témoins sont appelés nombreux à la barre. Le procès Eichmann consacre l’avènement du témoin. En France, il faut attendre les années 1980 pour que les premiers procès pour crimes contre l’humanité, déclarés imprescriptibles, soient organisés, contre le SS Klaus Barbie (1987), le milicien Paul Touvier 1. Ce texte, extrait des mémoires récemment publiés de Simone Veil, revient sur les difficultés éprouvées par les survivants de la Shoah, dans les années qui ont suivi la guerre, pour faire connaître le sort réservé aux juifs par les nazis. Parmi les déportés revenus de l’enfer concentrationnaire, les juifs sont très minoritaires (2 500, sur environ 40 000). Beaucoup d’entre eux doivent surmonter le sentiment de culpabilité d’avoir survécu, alors que leurs proches ont été exterminés dès leur arrivée dans les chambres à gaz d’Auschwitz. Les souffrances qu’ils ont endurées paraissent tellement inouïes que le récit de leur détention, comme en témoigne © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 41 • (1994) et le haut fonctionnaire de Vichy Maurice Papon (1998). Donnant la parole aux témoins, ces procès ont été très largement médiatisés. Les historiens se sont toutefois montrés sceptiques sur leur impact pédagogique. Au lendemain de la guerre, souligne Annette Wieviorka, les rescapés de la Shoah n’étaient pas encore en mesure de donner à leur expérience individuelle la signification universelle que l’évocation de leur souffrance a prise par la suite. 3. Depuis les années 1960, et en particulier depuis le procès Eichmann en Israël, les témoins ont pris la parole et ont joué un rôle essentiel dans la transmission de la mémoire de la Shoah. Le film de Claude Lanzmann (manuel p. 67), Shoah, est entièrement construit sur le témoignage de survivants ou de certains de leurs bourreaux. Par ailleurs, en France comme en Europe et aux États-Unis, de nombreux lieux de mémoire ont été inaugurés récemment en hommage aux victimes juives du génocide, comme le Mémorial de la Shoah à Paris. Ce Mémorial a été inauguré en 2005 sur le site du Mémorial du martyr juif inconnu, édifié en 1956 à l’initiative d’Isaac Schneersohn. Ce dernier avait fondé dès avril 1943 à Grenoble le Centre de documentation juive contemporaine, afin de réunir les preuves de la persécution des juifs devant la justice après la guerre. La documentation réunie par le CDJC fut ainsi utilisée pour préparer le procès de Nuremberg. À partir de 1950, Isaac Schneersohn milita pour ériger un tombeau-mémorial consacré aux victimes de la Shoah. Le projet suscita les réserves d’une partie de la communauté juive, qui redoutait à l’époque de dissocier les victimes juives des autres victimes de la guerre. Le Mémorial du martyr juif inconnu fut inauguré le 30 octobre 1956 en présence de 50 délégations venues du monde entier, avant que l’État d’Israël ne fasse édifier un autre Mémorial à Jérusalem (Yad Vashem). Le Mémorial est constitué d’un parvis et d’une crypte où ont été déposées les cendres en provenance des camps d’extermination et du ghetto de Varsovie. Classé monument historique en 1991, il a été récemment rénové, avec notamment l’érection du Mur des noms ici représenté (doc. 5). La liste des noms des victimes françaises de la Shoah it a pu être reconstituée grâce à l’énorme travail accompli par l’avocat Serge Klarsfeld, fondateur de l’Association des fils et filles des déportés juifs de France, qui en publie une première version dans le Mémorial de la déportation des juifs de France (1978). L’appel des noms des défunts revêt dans de nombreuses religions une dimension rituelle. C’est le cas dans la religion juive, comme l’indique ce verset d’Isaïe (56, 5) : « Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un mémorial (Yad) et un nom (Shem) qui ne seront pas effacés » (d’où le nom de Yad Vashem donné au Mémorial de la Shoah à Jérusalem). 4. Pour François Mitterrand, la France, c’est la République, et Vichy, qui a sabordé la République en 1940, n’est donc pas la France. C’était déjà la raison pour laquelle le général de Gaulle avait refusé de proclamer solennellement le rétablissement de la République à l’Hôtel de Ville lors de la Libération de Paris, la République n’ayant pour lui jamais cessé d’être. Quelles que soient les révélations qui ont été faites sur la jeunesse de François Mitterrand à Vichy avant qu’il ne s’engage dans la Résistance – un itinéraire qui n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel chez d’authentiques résistants –, sa condamnation de l’État français est sans équivoque. Mais en tant que président de la République, il se refuse à reconnaître la responsabilité de la France dans les déportations juives ordonnées par Vichy. Reconnaître cette responsabilité impliquerait précisément d’officialiser rétrospectivement un régime considéré comme illégal et illégitime par tous les gouvernements français qui se sont succédés depuis la fin de la guerre. Or, cette position officielle, qui avait été celle des autorités françaises depuis la Libération, a été de plus en plus fragilisée par les travaux historiques qui se sont multipliés sur cette période et qui ont contribué à faire évoluer la mémoire de la guerre dans l’opinion. C’est bien, en effet, à l’issue d’un vote de l’Assemblée nationale que les députés et les sénateurs présents à Vichy en juillet 1940 conférèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, même si les actes instituant le régime de Vichy ne furent ensuite jamais ratifiés par le Parlement. Pour la grande majorité des Français, y compris ceux qui, comme François Mitterrand, purent ensuite s’engager dans la Résistance, l’État français représentait e s s o B it e s s o B • 42 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 donc bien l’autorité légale en France et c’est à ce titre que les agents de l’administration française, jusqu’aux grands corps de l’État, ont continué de le servir, à quelques exceptions près. La République avait certes été abattue, mais l’État, lui, avait bel et bien survécu à la « débâcle ». Comprendre que des fonctionnaires, des policiers et des gendarmes aient pu continuer à obéir aux ordres d’un État qui a accepté de livrer des juifs aux autorités allemandes, et reconnaître officiellement que ces actes engagent la responsabilité de la France, impose donc au préalable d’admettre l’idée que Vichy n’a pas été qu’une simple parenthèse dans l’histoire de France, qu’il y eut bien une « France de Vichy », même si cette dernière fut érigée sur les ruines de la France républicaine et combattue par la France résistante. 5. Dans son allocution prononcée en 1995 (doc. 4), Jacques Chirac tranche avec l’attitude de ses prédécesseurs. Alors que ces derniers avaient constamment cherché à évacuer le souvenir d’un temps où « les Français ne s’aimaient pas », Jacques Chirac choisit au contraire d’assumer ces « moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays ». C’est bien « par des Français, par l’État français » que les juifs ont été arrêtés pour être déportés, même si le crime en incombe d’abord, rappelle Jacques Chirac, à « la folie criminelle de l’occupant ». L’expression « État français » ne renvoie plus seulement à Vichy, puisqu’un peu plus loin, le président déclare « reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État ». Jacques Chirac choisit donc de reconnaître, au nom de la continuité de l’État, les fautes commises par l’administration française sous l’autorité du gouvernement de Vichy (« sous l’autorité de leurs chefs »). Le président Chirac va jusqu’à parler de « faute collective », expression qui a été et reste fort débattue, car peut-on faire reporter sur l’ensemble de la collectivité nationale la responsabilité des actes accomplis sous l’autorité d’un régime dont l’existence n’a jamais été soumise au suffrage populaire ? Pour autant, il refuse, comme ses prédécesseurs, d’identifier la France au régime de Vichy. S’il y eut effectivement une « France de Vichy », la vraie France était incarnée par le général de Gaulle (« une certaine idée de la France », revendiquée par le chef de la it France libre à la première page de ses Mémoires de guerre), ainsi que par ces nombreux anonymes qui risquèrent leur vie pour sauver les juifs de France. Cette reconnaissance officielle, parfois abusivement qualifiée de « repentance » car elle relève de considérations historiques et politiques et non de motivations religieuses, a aussi permis de rendre un hommage plus appuyé que par le passé aux nombreux Français qui ont sauvé des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Une plaque a été apposée à cette fin dans la crypte du Panthéon et le souvenir des Justes de France est désormais associé (depuis 2000) à la mémoire des « victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français », célébrée chaque année le 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vel’d’Hiv. 6. Au retour des rares survivants de la Shoah, la société française découvre l’horreur des camps d’extermination nazis. Toutefois, les premiers témoignages sur le génocide des juifs ne rencontrent encore qu’un écho restreint dans l’opinion. Les victimes juives de la guerre sont confondues avec les autres victimes de la déportation. La complicité des autorités de Vichy est largement occultée. C’est à partir des années 1960 que s’affirme une mémoire spécifiquement juive de la Shoah. Témoins, commémorations, lieux de mémoire en assurent la transmission. L’opinion est davantage sensibilisée au rôle joué par le régime de Vichy et par l’administration française dans la mise en œuvre des déportations. En reconnaissant progressivement « les fautes commises par l’État », les plus hauts dirigeants de l’État ont encouragé un travail de mémoire dont l’objet est non seulement de rendre hommage aux victimes, mais de transmettre aux générations futures les valeurs fondatrices de la démocratie et de la nation françaises. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude Les historiens et la transmission de la mémoire � MANUEL, PAGES 72-73 Réponses aux questions 1. Ces extraits de deux manuels d’histoire de l’enseignement primaire (doc. 1) mettent bien en évidence les effets de la « révolution paxtonienne » sur la manière d’aborder la période 43 • de l’Occupation à l’école. Le manuel de 1964 évoque, certes, la mise en place du régime de Vichy après la défaite de 1940, mais rien n’est dit de sa politique et de l’aide qu’il a apportée à l’occupant. La torture, la déportation et les exécutions des résistants sont mises au seul compte des Allemands. La résistance passive (« la majorité des Français refusaient d’obéir aux Allemands ») et active (« beaucoup de patriotes décidèrent de leur résister ») est présentée comme une attitude très largement répandue. Les victimes civiles ne sont évoquées qu’à propos du massacre d’Oradour. La déportation des juifs n’est pas mentionnée, mais seulement celle des résistants dans les camps de Dachau et d’Auschwitz. Comme le manuel de 1964, celui de 1997 évoque à son tour les privations dont ont souffert les Français durant l’Occupation, mais c’est pour affirmer que « la plus grande partie de la population cherche avant tout à survivre », et non plus à résister. La déportation et l’extermination des juifs dans les camps de concentration est désormais clairement mentionnée ; la politique de collaboration du régime de Vichy également, et le texte précise bien qu’elle est conduite par le maréchal Pétain. « Certains » collaborent, « d’autres » résistent : collaboration et résistance sont présentées comme deux formes d’engagement minoritaires, et d’une ampleur égale en somme (une simplification d’ailleurs contestable, surtout si l’on se place en 1943-1944). R. Frank (doc. 3) relève que la mémoire savante des historiens a donc bien un impact direct sur la mémoire collective des Français : les plus jeunes générations ont une perception « moins mythique » et plus « réaliste » de la période de l’Occupation. Un sondage effectué en 1990 l’illustre parfaitement. Il compare les réponses d’un échantillon de 600 personnes représentatives de la population française de 18 à 44 ans et celles de 40 étudiants et lycéens des classes de première et de terminale, par conséquent plus jeunes et plus instruits que les précédents. À la question de savoir quelle a été la préoccupation principale de la majorité des Français pendant l’Occupation, 50 % des premiers considèrent qu’elle a été de résister à l’occupant, contre seulement 26 % des seconds. 63 % des jeunes répondent que l’attitude majoritaire a été « de ne pas s’engager », it contre seulement 33 % des 18-44 ans. 63 % des étudiants et lycéens savaient par ailleurs que la rafle du Vel’d’Hiv a été conduite par des policiers français, contre 44 % pour les 18-44 ans. Les jeunes étaient également plus nombreux à juger « nuisible » le rôle de Pétain (67 %) que la moyenne des Français (55 %). 2. Dominique Borne met en garde contre la tentation de jouer sur l’émotion pour enseigner l’histoire de la Shoah. Deux effets pervers peuvent en effet en résulter. – À force de vouloir susciter la compassion, on risque de nourrir un sentiment de culpabilité que les élèves chercheront à refouler, par l’oubli ou le rejet. – L’approche purement émotionnelle, « spectaculaire », si l’on peut oser ce terme, de la Shoah, ne permet pas de comprendre comment l’extermination de 6 millions de personnes a été rendue possible dans une société qui, même dans une Allemagne en guerre, n’était pas si différente de la nôtre ; une société où, comme le suggère D. Borne, les citoyens les plus ordinaires ont pu se muer en bourreaux. L’enseignement de la Shoah doit certes viser à dégager la « singularité » de l’événement. Cette singularité ne tient pas toutefois seulement dans le caractère monstrueux des méthodes employées pour exterminer les juifs (dont certaines n’étaient d’ailleurs en rien nouvelles, y compris l’assassinat par le gaz), mais dans le processus de désignation des victimes, jugées indignes de vivre par le seul fait d’être nées. C’est en cela que la Shoah peut être enseignée, comme l’écrit Elie Wiesel, comme une « tragédie juive unique aux dimensions universelles ». 3. Depuis l’ouvrage pionnier de Robert Paxton, le rôle des dirigeants du régime de Vichy et du maréchal Pétain a été réévalué en profondeur. Il est bien établi désormais que le régime de Vichy a pu disposer, jusqu’en 1942, d’une marge de manœuvre non négligeable, exceptionnelle, même dans l’Europe occupée. Ses dirigeants ont pu croire qu’ils pouvaient amorcer le redressement de la France avant même que la guerre ne soit terminée. La Révolution nationale (y compris dans son volet antisémite, avec le statut des Juifs que les Allemands n’avaient pas demandé) et la collaboration sont des initiatives françaises. En voulant amener l’Allemagne à traiter la e s s o B it e s s o B • 44 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 France en partenaire, et non plus en vaincue, les dirigeants de Vichy ont même pu aller jusqu’à en devancer les exigences. On ne peut plus distinguer, comme le faisait Robert Aron dans les années 1950, un Vichy-Pétain et un VichyLaval : entre Pétain et Laval, les différends ont porté sur les modalités, non sur le bien-fondé de la collaboration. Le maréchal Pétain n’a jamais joué double jeu dans l’attente de la libération de la France, qui ne pouvait conduire selon lui qu’à une subversion communiste. Enfin, Robert Paxton a ruiné la thèse d’un Vichy-bouclier : les Français ne doivent pas à Vichy d’avoir été plus épargnés que les autres peuples européens, au contraire, la France a été le pays le plus exploité au service de la machine de guerre nazie. Mais les historiens ont également remis en cause le mythe résistancialiste. Comme a pu l’écrire l’historien Philippe Burrin dans La France à l’heure allemande, l’occupation allemande n’a pas commencé avec Oradour-sur-Glane. Tout en souhaitant la victoire des Alliés dès 1941, la majeure partie de l’opinion s’est cantonnée dans une posture attentiste, en cherchant à « s’accommoder » de la présence de l’occupant allemand. La mémoire savante des historiens a pu ainsi contribuer, rappelle R. Frank, à modifier la vision rétrospective des « années noires » dans les jeunes générations scolarisées après les années 1980. Il faut toutefois ajouter que la « démythification » entreprise par les historiens répond aussi aux attentes d’une opinion qui, depuis la fin des années 1960, avait déjà commencé à prendre ses distances par rapport au « mythe gaullien ». 4. Dans la préface de son livre, l’historien Pierre Vidal-Naquet explique pourquoi, en dépit de ses réticences initiales, il a finalement décidé d’enquêter sur le négationnisme. Il ne s’agit pas, explique-t-il, de répondre aux négationnistes comme on le ferait avec de vrais historiens dans une controverse scientifique. Pierre VidalNaquet entend au contraire démonter la prétention des négationnistes à « réviser » l’histoire, à user d’un discours pseudo-scientifique pour nier l’existence des chambres à gaz, et au-delà, la réalité du génocide perpétré contre les juifs par l’Allemagne nazie. Face au délire antisémite des négationnistes, qui poursuivent sur le terrain de la mémoire des victimes l’œuvre d’extermination des nazis, on ne discute pas une thèse, on com- it bat un mensonge. Et ce, en montrant comment les négationnistes manipulent les sources pour émettre de faux doutes sur la Shoah. L’enquête a également pour objet de tenter de comprendre pourquoi les élucubrations sans fondement de quelques antisémites continuent de trouver malgré tout un certain écho dans le monde actuel. 5. La publication du manuel franco-allemand d’histoire consacre le processus de réconciliation engagé dès les années 1950 entre les deux pays. Les historiens y ont pris une part active : l’Association des professeurs d’histoire géographie côté français, l’Institut de recherche sur les manuels scolaires, fondé par Georg Eckert, côté allemand. Il s’agissait au départ d’expurger des manuels scolaires les stéréotypes nationalistes qui, au XIXe siècle, avaient fait de la France et de l’Allemagne des « ennemis héréditaires ». Le manuel franco-allemand prolonge ces initiatives en proposant un regard croisé sur l’histoire de l’Europe et du monde. Son élaboration a montré qu’il n’y avait aujourd’hui aucune divergence entre Allemands et Français sur l’enseignement de la Seconde Guerre mondiale. Et si débats il peut y avoir sur telle ou telle question, ils n’ont rien de spécifiquement franco-allemands. Plus généralement, la publication du manuel franco-allemand participe de la diffusion d’une « mémoire partagée » de la Seconde Guerre mondiale : d’où la dimension internationale de certaines commémorations, comme celle du débarquement de Normandie, à laquelle un chancelier allemand, Gerhard Schröder, a été invité pour la première fois en 2004. 6. Voir p. 29 la présentation de la question. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ BAC Étude critique de documents Confronter deux textes � MANUEL, PAGES 76-77 Réponses aux questions des encadrés Sujet : « Lois mémorielles » et histoire de la Seconde Guerre mondiale. 1. L’extrait qui s’oppose au point de vue de Klarsfeld : « des lois successives […] ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites. » 45 • 2. L’auteur fait référence aux thèses négationnistes qui ont commencé à émerger dans les années 1980. 3. Les textes s’accordent sur le fait que l’histoire est une science qui établit des faits. Klarsfeld cherche à prouver la rigueur de sa démarche d’historien en montrant qu’il a été capable de revoir à la baisse le bilan des déportés raciaux de France. Il veut montrer que l’analyse des lois mémorielles n’est pas seulement celle d’un fils de déporté. 4. Pour l’association « Liberté pour l’histoire », le seul fait que le Parlement ait légiféré sur l’histoire est liberticide. Pour Klarsfeld, il s’agit seulement de « poser des bornes de morale politique », au même titre que le choix de commémorer des jours fériés. BAC BLANC Sujet : La mémoire communiste de la Résistance. e s s o B it e s s o B Ce document permet de mettre en valeur que, s’il existe bien une mémoire de la Résistance dès les lendemains de la Libération, celle-ci n’est pas unanime. Le PCF élabore une mémoire officielle de la Résistance et célèbre ses héros, ses martyrs. L’objectif est politique : le parti « veut être et sera le grand parti de la Renaissance française ». La France, en pleine période d’épuration et gouvernée par le GPRF, se cherche des institutions. Le PCF est à l’époque le premier parti national, fort de 380 000 adhérents en janvier 1945 et plus de 800 000 à la fin de 1946. Dans L’Humanité du 11 octobre 1944 apparaît pour la première fois le thème du « Parti des 75 000 fusillés ». Si ce chiffre est resté dans la mémoire collective, c’est que les adversaires politiques du PCF l’ont utilisé en raison de son caractère outrancier pour dénoncer les erreurs historiques du PCF. Le PCF lui-même l’emploie de manière inégale. Le chiffre n’est pas précisé sur cette affiche mais sera répété de nombreuses fois lors de la campagne électorale de 1946. Parler de « dizaines de milliers » reste cependant excessif : on estime à 30 000 le total des civils fusillés par les Allemands, et à 20 000 les résistants tombés au combat, communistes inclus. D’ailleurs, le PCF ne fait pas de distinction entre fusillés, déportés, ou ceux qui ont succombé au combat ou sous la torture. Les croix qui occupent le haut • 46 it de l’affiche et évoquent un cimetière militaire les assimilent tous à des soldats, morts au champ d’honneur. S’il est certain que le PCF a payé un très lourd tribut pendant la guerre, il rejoint la Résistance tardivement et doit donc faire oublier la période 1939-1941 qui précède l’entrée en guerre de l’URSS au côté des alliés. Enfin, l’affiche précise que « le parti des fusillés » est l’expression d’un écrivain de la Résistance. C’est Elsa Triolet qui semble à l’origine de la formule qu’elle fait prononcer à un des personnages d’une nouvelle parue clandestinement en 1943. ◗ BAC • Composition Formuler une problématique � MANUEL, PAGES 78-79 Sujet : Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France depuis 1945. Proposition de plan : I. Les troubles de la mémoire collective jusqu’à la fin des années 1960. II. Le réveil de la mémoire des années 1970 à nos jours. BAC BLANC • Composition Sujet 1 : La mémoire de la Shoah en France depuis 1945. Proposition de plan : I. Une société relativement indifférente aux témoignages des survivants du génocide (1945années 1960). II. Une mémoire juive qui s’affirme (des années 1960 aux années 1980). III. Une mémoire plus consensuelle qui rencontre aujourd’hui un large écho dans la société (depuis les années 1990). Sujet 2 : L’État, la mémoire et l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en France. Proposition de plan : I. Un État qui organise l’amnistie et l’amnésie (de 1945 aux années 1950). II. L’État face au lent réveil d’une mémoire qui reste sélective (années 1960 et 1970). III. Une relative acceptation par l’État du rôle de la France dans la guerre à partir des années 1980. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Étude critique de documents Sujet : La mémoire de la Résistance. L’intérêt de la confrontation de ces documents réside dans l’utilisation conjointe qui est faite de Guy Môquet, présenté comme un héros de la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement de Nicolas Sarkozy et le PCF. Les consignes envoyées par le ministre de l’Éducation nationale Xavier Darcos afin de commémorer le souvenir de Guy Môquet dans les lycées font suite à une annonce faite par le candidat Sarkozy lors de la campagne électorale de 2007. La présentation des activités résistantes de Guy Môquet sont très partiales. Sans minimiser le courage du jeune homme, son engagement « pour la liberté au point de sacrifier sa propre vie » célébré par le gouvernement UMP est en fait plutôt politique. Il est arrêté pour son activité de militant communiste à une époque où le PC est interdit et son combat est avant tout social it plus qu’anti-allemand. À l’époque, l’URSS et l’Allemagne sont toujours liées par un pacte de non-agression. Guy Môquet est en revanche bien fusillé en représailles d’un acte de Résistance. L’affiche du PCF, elle, met l’accent sur le combat du jeune homme, sans préciser de quoi il relève, mais le montage de photographies militantes qui crée le visage de Guy Môquet incite à penser que le PCF insiste sur son engagement communiste. On notera une faute : il s’agit de Châteaubriant et non Châteaubriand. Cette décision de Nicolas Sarkozy a fait polémique. Une partie de la classe politique avait dénoncé une volonté de récupération politique. Les partis de gauche dénonçaient l’occultation de l’engagement politique de Guy Môquet et une « instrumentalisation de l’histoire ». Dès 2008, la lecture de la lettre s’est faite plus discrète et a été intégrée à la Semaine de l’Europe à l’école. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 47 • Chapitre 3 L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie e s s it � MANUEL, PAGES 80-103 ◗ Présentation de la question – Faire comprendre aux élèves la différence entre la mémoire et l’histoire et ainsi leur expliquer pourquoi les mémoires (nécessairement plurielles) entrent fréquemment en conflit avec l’histoire (qui prétend parvenir à un récit univoque et consensuel). – Insister sur le rôle à la fois central, nécessaire et contesté de l’État dans l’élaboration tant de l’histoire que de la mémoire, qui explique bien souvent la confusion qui tend à se faire entre ces deux registres de rapport au passé. – Montrer enfin comment la mémoire constitue un objet d’histoire à part entière, en ce que l’historien peut en étudier les évolutions dans les temps et tenter d’y apporter des explications. • Il convient de mettre en lumière la différence fondamentale entre ces deux types de rapport au passé, l’histoire et la mémoire, mais sans pousser à outrance leur séparation. Il faut montrer comment la distinction entre les deux, théoriquement radicale, est souvent concrètement plus complexe à mettre en œuvre. On ne peut donc se contenter de présenter l’historien comme un acteur purement objectif et insensible, qui se situerait dans une sorte de juste milieu surplombant. Il faut au contraire montrer que l’historien ne peut pas ne pas tenir compte du contexte mémoriel dans lequel il évolue et dont il ne peut totalement s’abstraire. La manière dont la demande sociale influence la production éditoriale suffit à le démontrer. Le rapport biographique souvent direct des historiens avec le sujet qu’ils traitent en est une autre preuve. De même, le nombre d’historiens de la guerre et de ses mémoires qui interviennent avec régularité dans le débat public (par voie de pétition, d’entretiens à la presse, etc.) contredit le cliché de l’historien protégé des soubresauts de la société par la tour d’ivoire dans laquelle il serait confiné. • Concernant le rôle de l’État, il est remarquable en ce qu’il est à la fois le principal commandi- o B it e s s o B • Dans le cadre d’une question sur les rapports entre histoire et mémoire, elle-même inscrite dans un thème plus général sur le rapport des sociétés à leur passé, le professeur est invité à choisir entre une étude sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale et une autre sur celles de la guerre d’Algérie. • L’intérêt de l’étude des mémoires du conflit algérien par rapport à celles de la Seconde Guerre mondiale tient à deux spécificités de la question. D’abord, elle est transnationale, alors que le programme limite l’étude des mémoires de la Seconde Guerre mondiale à la France. Cette plus large extension permet de voir comment les mémoires cheminent séparément, mais interagissent aussi fréquemment, de part et d’autre de la Méditerranée. De plus, la guerre d’Algérie est un sujet encore brûlant et fortement clivant, ce qui est de moins en moins le cas des mémoires françaises de la Seconde Guerre mondiale, devenues plus apaisées. Aussi les élèves ont-ils à propos de la guerre d’Algérie et de ses mémoires beaucoup plus de préjugés qu’ils ne peuvent en avoir à propos de la Seconde Guerre mondiale. Il est salutaire de déconstruire ceux-ci, en montrant la complexité d’un sujet auquel les propos péremptoires et les jugements de valeurs manichéens ne conviennent guère. • Le sujet est ample et nécessite le rappel de certains aspects du conflit en lui-même, mais il est tout à fait traitable dans le temps imparti par le programme, à condition de bien en respecter l’esprit. Il ne s’agit en effet pas de dresser un tableau exhaustif des différentes mémoires de la guerre et de retracer l’intégralité de leur évolution, mais de se demander en quoi l’existence, l’évolution et la confrontation de ces différentes mémoires a un impact sur le travail des historiens. Dans cette optique, trois grandes problématiques doivent être abordées : • 48 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 it taire de la recherche historique, à tout le moins en France, et l’un des plus puissants producteurs de mémoire. Par la commémoration, l’enseignement ou la loi, il ne cesse de produire de la mémoire. Ce faisant, il ne fait pas que la perpétuer, mais la renouvelle. Toutefois, là encore, il faut se garder de représenter l’État comme un acteur mémoriel souverain et indépendant. Les faits montrent au contraire qu’il ne fait la plupart du temps qu’agir sous la pression contradictoire de groupes porteurs de mémoires souvent divergentes. C. Liauzu, Colonisations, migrations, racismes, Syllepses, 2009. B. Stora, La Gangrène et l’oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991. B. Stora, Le Transfert d’une mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-arabe, La Découverte, 1999. B. Stora, Les Guerres sans fin, Stock, 2008. P. Vermeren, Misère de l’historiographie du « Maghreb » postcolonial (1961-2012), Publications de la Sorbonne, 2012. ◗ Bibliographie ◗ Plan du chapitre e s s o B it e s s o B R. Bertrand, Mémoires d’empire : la controverse autour du « fait colonial », Éditions du Croquant, 2006. P. Blanchard et N. Bancel (dir.), Culture postcoloniale 1961-2006, traces et mémoires coloniales en France, Autrement, 2006. F. Besnaci-Lancou, B. Falaize et G. Manceron (dir.), Les Harkis. Histoire, mémoire et transmission, Éditions de l’Atelier, 2010. C. Bonafoux, L. de Cock-Pierrepont et B. Falaize, Mémoire et histoire à l’école de la République, quels enjeux ?, Armand Colin, 2007. Collectif, La France et l’Algérie : leçons d’histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, INRP, 2008. Collectif, « La France et l’Algérie : mémoire de la guerre et guerre des mémoires », dossier de la revue Maghreb-Macherck n° 197, Éditions Choiseul, 2008. Collectif, « Algérie-France, une communauté de destin », dossier de la revue Hommes et Migrations n° 1295, CNHI éditions, 2012. C. Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Agone, 2009. J.-J. Jordi, Un silence d’État, les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Soteca, 2011. D. Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006. G. Manceron et H. Remaoun, D’une rive à l’autre. La guerre d’Algérie de la mémoire à l’histoire, Syros, 1993. E. Savarese (dir.), L’Algérie dépassionnée. Audelà du tumulte des mémoires, Syllepses, 2008. E. Savarese, Algérie, la guerre des mémoires, Éditions Non Lieu, 2007. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Comme tous les chapitres du manuel, on débute par une double page d’ouverture qui, par la confrontation de deux images, permet de poser les grandes problématiques du cours, en l’occurrence le caractère encore polémique des mémoires de la guerre, et le rôle crucial des États et des groupes de pression mémoriels dans la construction de celles-ci. Suit une double page Retour sur… présentant les grandes étapes et les principaux enjeux de la guerre d’Algérie, et qui a pour objectif de permettre un rapide rappel des principales connaissances acquises par les élèves en première et qui sont indispensables à la compréhension du chapitre de terminale. Deux doubles pages de cours suivent, consacrées respectivement aux mémoires de la guerre en Algérie et en France. Viennent ensuite deux études consacrées à deux des acteurs les plus influents dans l’élaboration des mémoires de la guerre : les pieds-noirs d’une part, et les combattants de l’autre, qu’ils soient français ou algériens, militaires de carrière, appelés ou maquisards. Une double page est ensuite consacrée à la manière dont les monuments, en France et en Algérie, mettent en mémoire la guerre et en perpétuent certains clivages. Vient enfin une dernière étude qui s’inscrit dans une logique conclusive par rapport aux précédentes : cellesci étudiaient les différentes mémoires en présence, celle-là montre en quoi elles compliquent le travail des historiens du conflit, tant en France qu’en Algérie. Une double page d’Histoire des Arts se penche sur la manière dont la guerre a influencé la chanson française depuis les années 1960 jusqu’à nos jours. 49 • it Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 80-81 Doc. 1. Une mémoire qui s’apaise peu à peu entre les États… (Photographie des présidents Chirac et Bouteflika au milieu de la foule à Oran en mars 2003, à l’occasion d’une visite du président français.) e s s mots clés et les chiffres qui sont nécessaires à une bonne intelligence des enjeux mémoriaux entourant ce conflit. 1. Les mémoires de la guerre en Algérie � MANUEL, PAGES 84-85 o B it e s s o B Cette photographie, ainsi mise en exergue, peut laisser penser que la guerre d’Algérie fait l’objet d’une mémoire apaisée et consensuelle en France comme en Algérie ainsi qu’entre les deux pays. On y voit en effet les présidents des deux pays respectifs, qui ont tous deux participé à la guerre dans des camps rivaux, tout sourire au milieu d’une foule joyeuse. Drapeaux français et algériens se côtoient en signe d’amitié. Doc. 2. … Mais qui demeure conflictuelle dans la société française (Photographie d’une manifestation de rapatriés d’Algérie à Marseille le 13 mai 2008.) Par contraste avec le document 1, cette photographie montre que non seulement la guerre d’Algérie est loin d’être un passé désormais apaisé et consensuel, mais qu’elle est à la source de fortes tensions au sein même de la société française. Elle permet d’emblée de faire comprendre aux élèves que retracer l’histoire des mémoires du conflit algérien, ce n’est pas simplement opposer une mémoire française à une mémoire algérienne, mais bien étudier des mémoires conflictuelles dans chacun des deux pays. ◗ Retour sur… La guerre d’Algérie � MANUEL, PAGES 82-83 Cette double page n’a pas vocation à retracer l’histoire de la guerre d’Algérie, mais de permettre aux élèves, qui l’ont étudiée en première, de s’en remémorer les événements importants, qui sont au cœur des conflits mémoriaux actuels, et les acteurs qui perpétuent souvent la guerre en se constituant par la suite en groupes de pression mémoriels. Elle a donc été conçue comme une boîte à outil, dans laquelle les élèves pourront rapidement se remémorer les faits, les dates, les • 50 Doc. 1. La guerre enseignée (Extrait du manuel unique de 4e publié par le ministère algérien de l’Éducation nationale, 2006.) Cette page est extraite de l’unique manuel scolaire algérien de 4e, rédigé sous étroit contrôle étatique. Elle insiste dans sa présentation du conflit sur les exactions dont l’armée française s’est rendue coupable au cours de la guerre d’Algérie et sur la contradiction entre celles-ci et les idéaux prétendument défendus par la France. Elle passe en revanche sous silence les exactions similaires dont le FLN s’est rendu coupable et les divisions du camp algérien. • Question. Un manuel d’histoire n’est pas nécessairement objectif. D’abord parce qu’il est astreint au respect des programmes scolaires qui sont fixés par l’État. Ensuite parce que, dans certains pays comme l’Algérie, il n’est pas rédigé par des auteurs et publié par des éditeurs indépendants, mais entièrement réalisé sous contrôle de l’État qui y diffuse donc la vision du passé qu’il souhaite transmettre à sa jeunesse. Doc. 2. La mémoire officielle (Timbres algériens célébrant en 1999 le « déclenchement de la Révolution », et en 1997 l’indépendance.) Ces timbres algériens ont été émis en 1997 et en 1999. Des timbres de ce type sont régulièrement émis par la Poste algérienne, et l’évolution de leur contenu constitue un reflet de celle du rapport entretenu par l’État et la société algérienne à l’égard de la guerre d’indépendance. • Question. Ces timbres présentent une image de la guerre fidèle au récit porté par le FLN depuis sa prise du pouvoir en 1962, mais fort éloignée de la réalité historique. Les deux timbres du haut montrent le combat inégal entre la force de frappe d’une armée riche et moderne, ici dotée de moyens aériens, et les combattants de l’ALN (en tenue militaire) soutenus par des civils en armes. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Ceux-ci viennent finalement à bout de l’hélicoptère français. Le FLN se pose ainsi en vainqueur des opérations militaires, ce qui est contraire à la réalité : si le FLN a gagné la guerre, c’est sur le terrain politique, mais il a été militairement défait par l’armée française. Le timbre du bas insiste quant à lui sur la joie unanime du peuple algérien à l’annonce de l’obtention de son indépendance. Il passe sous silence le fait que tous les Algériens n’ont pas milité pour celle-ci, et surtout l’existence de sanglantes rivalités entre les différents groupes indépendantistes algériens et au sein même du FLN, rivalités qui ont précisément donné lieu au moment de l’indépendance à de violentes luttes pour le pouvoir. it les difficultés propres à l’étude de la guerre d’Algérie. • Question. Parce qu’il concerne un épisode dont les mémoires demeurent conflictuelles et dont nombre des acteurs sont toujours en vie, le travail des historiens sur la guerre d’Algérie est particulièrement sensible. C’est ce qu’illustrent les menaces de mort dont, parmi tant d’autres, l’historien Benjamin Stora fut l’objet, le contraignant à s’exiler en Asie pendant plusieurs années. Le fait que les origines possibles de ces menaces soient nombreuses montre la multiplicité des groupes mémoriels liés à ce conflit, et la difficulté pour l’historien de faire entendre sereinement sa voix au milieu de ces tirs croisés. La position de Benjamin Stora est d’autant plus compliquée qu’en plus d’être un historien, il est un acteur des événements puisqu’il a quitté l’Algérie à la fin du conflit. Il peut donc être assimilé par les uns ou par les autres à un membre d’un des groupes de mémoire issus du conflit (pieds-noirs, juifs) ou au contraire être accusé de trahison à leur égard. e s s o B it e s s o B Doc. 3. Reconnaître les crimes du passé Dans cette tribune publiée dans le quotidien algérien francophone El Watan en 2009, le romancier Anouar Benmalek, né en 1956 au Maroc et qui possède la double nationalité algérienne et française, exprime ses reproches à l’égard de la politique mémorielle du FLN. • Question 1. Pour Anouar Benmalek, il existe un lien entre la guerre d’indépendance et la guerre civile algérienne. Les non-dits relatifs aux excès auxquels donna lieu la première auraient selon lui permis la répétition de ceux-ci au cours de la seconde. En refusant de reconnaître et de condamner les pratiques inhumaines qui ont pu être les siennes durant certains épisodes de la guerre d’indépendance, le FLN entacherait son action pourtant juste. Surtout, il laisserait entendre que la juste cause (l’indépendance) permet tous les excès de violence, argument qui peut ensuite être repris à leur compte par les islamistes dans leur lutte contre le même FLN. Celui-ci est bien en peine pour condamner les massacres commis par les islamistes puisqu’il n’a jamais renié ceux commis par certains des siens durant la guerre. • Question 2. Au travers de ce rapprochement entre les deux guerres d’Algérie, on mesure en quoi il est essentiel de regarder le passé avec lucidité. En effet, le passé sert souvent d’inspiration aux acteurs du présent. En glorifiant tel ou tel personnage, on le donne en modèle. Il convient donc de ne pas le faire à la légère. Doc. 4. Les difficultés de l’historien Cet extrait d’un livre de l’historien français Benjamin Stora, né en Algérie en 1950, illustre © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 2. Les mémoires de la guerre en France � MANUEL, PAGES 86-87 Doc. 1. Le mécontentement des harkis (Manifestation de harkis, Perpignan, 1976.) Cette photographie d’une manifestation de harkis a été prise à Perpignan en 1976. À l’époque, de nombreux harkis rapatriés vivent encore dans des camps situés pour la plupart dans le SudOuest de la France. L’un des plus célèbres et des plus grands d’entre eux est précisément situé à Rivesaltes, en périphérie de Perpignan. • Question. Ces harkis manifestent contre l’État français qui, depuis quatorze ans, les maintient dans des camps à l’écart de la société française. Cette situation est d’autant plus vécue comme une injustice que ces hommes se sont battus pour la France ; ils estiment donc que celle-ci leur est redevable. Doc. 2. Le travail de mémoire de l’État français Nicolas Sarkozy, né en 1955, est le premier président de la Ve République à n’avoir pas vécu à l’âge adulte la guerre d’Algérie, à l’égard de laquelle il peut donc prendre plus de recul que ses prédécesseurs qui y furent d’une manière 51 • ou d’une autre mêlés. Il est aussi l’un des présidents de la Ve République qui a le plus joué des références historiques pour légitimer son action. Apôtre du « roman national », il s’est à plusieurs reprises exprimé contre la « repentance » de la France à l’égard de son passé colonial. Il a pourtant également prononcé plusieurs discours condamnant fermement le colonialisme, à l’image de celui-ci prononcé à l’occasion d’une visite à Constantine, en 2007. • Question 1. Nicolas Sarkozy condamne sans appel la présence française en Algérie, qu’il qualifie d’« entreprise d’asservissement et d’exploitation » génératrice de « douleurs » et de « souffrances ». Il prend cependant soin de distinguer le système colonial français des Français venus en Algérie qui « n’avaient l’intention d’asservir ni d’exploiter personne ». • Question 2. Les « douleurs » et les « souffrances » causées par la colonisation française ne l’ont, d’après Nicolas Sarkozy, pas été par les Français d’Algérie. Parmi les populations de l’Algérie coloniale, il n’oppose pas des bourreaux à des victimes, mais met sur le même plan toutes les catégories de populations, qui sans exception furent selon lui victimes du système colonial. Ainsi, il a un mot de compréhension à l’égard des différentes communautés concernées par le conflit : les pieds-noirs qui « étaient de bonne volonté et de bonne foi », les nationalistes algériens qui « sont tombés les armes à la main pour que le peuple algérien soit de nouveau un peuple libre » ou les harkis « qui ont dû tout abandonner ». it aux enseignants une vérité historique officielle, ce qui entre en contradiction avec le fondement même de leur travail, qui est de porter un regard critique et sans cesse renouvelé sur le passé. • Question 2. Selon les historiens signataires de la pétition, l’écriture de l’histoire de la colonisation doit d’abord s’abstraire du souci qui est celui de la loi de 2005 de juger de ce qui est « positif » ou « négatif ». Selon eux, il faut plus modestement encourager la multiplication des recherches en France comme en Algérie, pour tenter de dégager une perception plus fine du conflit, vision nécessairement plus complexe que les jugements de valeurs manichéens portés par les initiateurs de la loi. Enfin ils insistent sur l’importance de l’enseignement, afin de relayer et de diffuser les résultats de la recherche auprès de la société. e s s o B it e s s o B Doc. 3. La mobilisation des historiens Cette pétition, initiée par l’historien de la colonisation Claude Liauzu, fait suite à la loi du 23 février 2005 dont un alinéa demandait aux enseignants de souligner le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». L’alinéa en question a finalement été abrogé à la demande du président Chirac. • Question 1. Ces historiens s’opposent à cette loi pour deux raisons : d’abord parce qu’elle est mensongère et non conforme à la réalité historique, passant sous silence les nombreuses exactions provoquées par la colonisation. Ensuite parce qu’elle tente d’imposer aux historiens et • 52 Doc. 4. Le réveil des mémoires (Une du quotidien Le Monde du jeudi 3 mai 2001.) • Question 1. Presque quarante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la question de la torture fait la une d’un grand quotidien national. Cela peut sembler étonnant dans la mesure où l’existence de la torture est connue et dénoncée depuis l’époque du conflit lui-même. C’est la publication d’un livre de mémoires du général Paul Aussaresses, dans lequel il reconnaît avoir commandité des actes de torture, qui explique ce retour sur le devant de la scène médiatique. Celui-ci s’explique aussi par l’absence d’une reconnaissance et d’une condamnation claire de l’État dans ce dossier, ce qui entretient la polémique qui rebondit ainsi d’année en année. • Question 2. Le travail des historiens sur la question de la torture est particulièrement difficile pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est un sujet qui met en cause l’État et l’armée française et qui suscite l’émotion de l’opinion publique. Ensuite parce qu’il y a une distorsion entre le temps de la recherche et celui des médias. Alors que les historiens s’attachent à établir des faits, qui pour beaucoup sont connus de longue date, les médias sont en quête de « scoops » et tendent fréquemment à présenter comme des révélations des faits déjà connus. On a par ailleurs ici un bel exemple de la différence de statut accordé au témoignage : celui du général Aussaresses est livré par le journal comme une vérité indubitable sans guère plus de © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 recul, alors que le réflexe premier de l’historien aurait été de le soumettre à une analyse critique, qui passe notamment par la confrontation avec d’autres sources. ◗ Étude Les pieds-noirs et la mémoire de la guerre d’Algérie � MANUEL, PAGES 88-89 réponses aux questions it 4. Il n’existe pas une communauté pied-noire unanime, mais certains pieds-noirs ont su très tôt se regrouper au sein de groupes de pression particulièrement puissants. Ils sont capables de mobiliser régulièrement leurs militants pour participer à des manifestations et faire entendre leur voix. C’est par exemple le cas du Comité national d’action des rapatriés qui, par cet autocollant de 1973, incite ses partisans à rester unis pour obtenir une « réparation » de l’État, notamment en faisant pression sur les élus. La communauté piednoire a en effet pour particularité d’être fortement concentrée dans le sud-est de la France, où elle constitue donc un électorat que les élus locaux mais aussi nationaux ne peuvent pas négliger. 5. Ce pied-noir s’étonne du fait que de nombreux Algériens, une fois devenus indépendants, aient décidé de venir s’installer en France, voire de devenir français, alors qu’ils venaient d’obtenir ce pour quoi ils avaient tant lutté. Il estime que l’immigration algérienne en France atteint un niveau excessif, laissant entendre qu’il trouve regrettable que les mêmes Algériens qui ont poussé les pieds-noirs à l’exil viennent aujourd’hui s’installer en France. 6. Cette manifestante brandit une pancarte sur laquelle on voit, sous une casquette militaire symbolisant le général de Gaulle, une citation de celui-ci affirmant que de son vivant, « jamais le drapeau FLN ne flottera sur Alger ». Elle dénonce donc la trahison dont elle s’estime victime de la part du général de Gaulle et plus généralement de l’État français dont il était alors le chef. 7. Dès leur arrivée en métropole, où ils furent le plus souvent mal accueillis, certains pieds-noirs ont développé des réseaux communautaires destinés d’une part à faire jouer la solidarité entre rapatriés pour faciliter leur insertion dans leur nouvelle vie, et d’autre part à faire pression sur les pouvoirs publics pour faire entendre leurs revendications. Très tôt, des associations se sont constituées, qui publient des bulletins d’information, organisent des rassemblements festifs ou revendicatifs, et se posent en interlocuteurs des pouvoirs publics. L’un des principaux outils dont usent les groupes de pression pieds-noirs est le poids électoral qu’ils constituent dans certaines parties du sud de la France. 8. L’historien n’a pas à se positionner par rapport aux revendications des pieds-noirs, même e s s o B it e s s o B 1. La mémoire des pieds-noirs, qui est loin d’être monolithique, trouve sa source dans trois événements fondateurs : – La guerre elle-même, avec son cortège de violences, qui marque profondément les esprits de ceux qui l’ont vécue (doc. 2). – Les incompréhensions et les tensions auxquelles la guerre a donné lieu entre les piedsnoirs et l’État français, accusé par certains de les avoir abandonnés (doc. 5). – L’expérience douloureuse de l’exil et les difficultés de l’adaptation à leur nouveau cadre de vie à partir de 1962 (doc. 1). 2. Le témoin ne bénéficie pas du recul de l’historien par rapport aux faits qu’il a vécus. Il est capable de donner des détails très précis sur ce qu’il a vu et ressenti, mais faute de pouvoir comparer avec ce qu’ont vu et ressenti les autres acteurs du même événement, il ne peut en produire une synthèse complète et équilibrée. Par ailleurs, le témoin peut être tenté, plus ou moins consciemment, de se mettre en valeur en s’attribuant des faits héroïques ou au contraire en cachant certains détails peu à son avantage. Enfin le témoignage comporte nécessairement une forte dose d’affectif, alors que le récit de l’historien cherche avant tout à décrire, expliquer et comprendre. 3. Les pieds-noirs revendiquent avant tout la reconnaissance du préjudice subi du fait de l’exil de la majeure partie d’entre eux. En conséquence, ils attendent de l’État, jugé responsable de leur sort, qu’il les indemnise des biens qu’ils ont dû laisser derrière eux, et les aide à se loger et à retrouver un travail dans leur nouveau pays. Par ailleurs, dès 1963, on voit que la question des disparus, c’est-à-dire des pieds-noirs enlevés et le plus souvent tués, notamment après le cessez-le-feu, est un élément central de la mémoire pied-noire. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 53 • s’il peut lui arriver d’être pris pour cible par certains de ceux-ci qui l’accusent de ne pas relayer dans ses écrits leur vision du conflit algérien. Pour l’historien, la mémoire des pieds-noirs n’est intéressante que lorsqu’elle constitue une source qu’il peut confronter à d’autres pour construire son analyse, et que si elle constitue un objet d’histoire à part entière dont il peut retracer les évolutions. ◗ Étude � MANUEL, PAGES 90-91 1. Houria Hicham porte un regard désabusé sur la guerre d’indépendance à laquelle sa famille a pris part. Elle constate que la victoire si chèrement acquise « d’un pays colonisé qui avait de faibles moyens contre une nation extrêmement puissante » n’a pas permis de concrétiser les espoirs portés par les combattants. L’indépendance n’a en effet pas été synonyme de liberté, bon nombre de combattants ayant été victimes des luttes intestines qui ont divisé le camp nationaliste durant tout le conflit et qui n’ont fait que s’accroître une fois la victoire acquise. Citant sa mère, elle parle d’un « écœurement » à l’égard de ce qu’est devenue l’Algérie indépendante. 2. La guerre d’Algérie a constitué un événement marquant pour des centaines de milliers de jeunes Français qui ont été contraints d’y prendre part. La première cause en est le déracinement que représente le passage de la métropole à l’Algérie, où, loin de leurs proches, ils découvrent un environnement (des odeurs, des paysages des bruits) qui leur était jusqu’alors inconnu. La seconde cause, plus traumatisante, est la découverte de la guerre, une guerre particulièrement brutale. Nombre d’appelés ont vu des camarades mourir en Algérie, souvent dans des conditions atroces, et certains ont également donné la mort, parfois de manière cruelle. 3. Dès la fin de la guerre, les anciens appelés d’Algérie constituent des associations dont la principale est la Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie (FNACA). Par des manifestations, ils réclament le statut d’anciens combattants (qui leur donnerait droit à une pension de retraite). Or ce statut ne leur est pas reconnu, • 54 e s s o B it e s s o B Des vies marquées par la guerre : la mémoire des combattants réponses aux questions it puisque l’État français n’admet pas alors l’existence d’une guerre en Algérie. Ce n’est qu’en 1974 que le statut d’ancien combattant est accordé aux appelés d’Algérie, décision confirmée par la reconnaissance parlementaire, en 1999, de l’existence d’une « guerre d’Algérie ». 4. La question de la torture est particulièrement sensible, car elle a divisé la société française dès l’époque de la guerre d’Algérie. Certains militaires, engagés ou appelés, s’y sont opposés, d’autres l’ont pratiquée avec conviction ou à contrecœur. Les officiers signataires du manifeste de 2000 en minimisent l’ampleur et surtout en justifient l’usage. Ils insistent sur le fait que la torture, qualifiée de « dérive […] marginale » n’aurait été qu’une réponse à la terreur exercée par le FLN et était destinée à y mettre un terme. Les exactions commises par le FLN à l’égard de populations civiles innocentes auraient été plus graves que les tortures qu’ont pu commettre des militaires français à l’égard de membres du FLN. 5. De nombreux combattants de la guerre d’Algérie éprouvent, des années après les faits, le besoin de livrer leur récit. Cela s’explique d’abord par le fait qu’ils ont été marqués par la guerre et qu’ils veulent parler, se libérer de ce poids. L’âge venant, ils estiment aussi qu’il leur faut laisser un témoignage afin que leur mémoire ne disparaisse pas avec eux. Enfin, ils réagissent souvent aux déclarations d’autres anciens combattants, d’historiens ou de journalistes, estimant qu’ayant participé à la guerre, ils savent mieux que quiconque comment celle-ci s’est déroulée, et qu’il est donc de leur devoir de corriger ce qu’ils estiment être des erreurs ou des mensonges dans les discours sur la guerre. 6. Une guerre est un événement marquant pour tous ceux qui y ont pris part. Elle l’est d’autant plus dans le cas de la guerre d’Algérie que la plupart de ceux qui y ont participé n’étaient pas des militaires de métier et sont retournés à la vie civile une fois celle-ci terminée. La guerre conserve pour ces combattants, qu’ils soient français ou algériens, une dimension fondatrice. Elle a constitué une expérience marquant le passage à l’âge adulte pour les appelés, de la soumission à l’indépendance pour les indépendantistes. 7. Face à un ancien combattant de la guerre d’Algérie, la première chose à faire est de lui demander quand et où il y a exactement pris part. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 On peut ensuite lui demander dans quel cadre il y a pris part (était-il dans le camp français ou algérien ? engagé ou appelé ?) et quel était alors son avis sur le conflit. On peut ensuite lui demander de raconter quelques épisodes marquants du conflit. Ce témoignage constitue l’illustration de ce qu’est une mémoire de la guerre d’Algérie, mais il ne faut pas oublier qu’il en existe plusieurs, souvent contradictoires. Il est donc nécessaire de confronter ces réponses à nos connaissances historiques pour en évaluer l’exacte portée et les limites. ◗ Étude Commémorer la guerre d’Algérie e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 92-93 réponses aux questions it tues perpétuent le mythe entretenu par le FLN d’un soulèvement spontané des masses rurales algériennes et d’une victoire militaire de l’ALN, mythe qui légitime le pouvoir du parti unique. 4. Les monuments de Perpignan et de Marignane, contrairement à ceux de Paris et d’Alger, n’ont pas été érigés par des États, mais par des associations privées, en l’occurrence des associations de pieds-noirs. Elles sont d’ailleurs toutes deux situées dans le sud de la France, où réside une forte communauté rapatriée. Elles rendent toutes deux hommages à une partie seulement des victimes de la guerre : les civils disparus (Perpignan) et les partisans de l’Algérie française (Marignane). 5. La commémoration est destinée à entretenir la mémoire d’une cause, à la fois en créant un lieu de rassemblement pour ceux qui s’en considèrent comme les porteurs, et en inscrivant celle-ci dans l’espace public. Il s’agit de rendre hommage à des acteurs de l’histoire considérés comme dignes de mémoire, ce qui suppose une sélection : on rend hommage à certains et pas à d’autres. Au contraire, l’historien s’intéresse à l’ensemble des acteurs concernés par le conflit en n’en négligeant aucun. Il n’a pas pour objectif de rendre hommage aux uns ou de dénoncer les autres, mais d’expliquer les ressorts des agissements qui furent ceux des uns et des autres. 6. Loin de concourir à l’apaisement des conflits mémoriels, les monuments sont souvent à l’origine de tensions entre groupes porteurs de mémoires rivales. Ainsi la stèle de Marignane a-telle été retirée sur décision de justice. Plutôt que de se réunir autour d’un monument commun permettant de commémorer ensemble les victimes de la guerre, françaises et algériennes, civiles et militaires, chacun des groupes concernés préfère construire son propre monument qui est autant un hommage aux « siens » qu’une condamnation des « autres ». 1. Le Mémorial du martyr d’Alger a été inauguré en 1982, pour la célébration des vingt ans de l’indépendance du pays. Deux ans après le « printemps berbère », il constitue un symbole du rassemblement national voulu par le FLN. Le Mémorial national parisien a lui été inauguré en 2002, à l’occasion des quarante ans de la fin de la guerre. 2. L’érection d’un tel monument pose à l’État français de nombreux problèmes. D’abord, il s’agit de commémorer une défaite, ce qui est a priori plus compliqué qu’une victoire. Le choix du lieu est particulièrement symbolique, et peut faire l’objet de multiples contestations : faut-il le construire à Paris, la capitale, ou dans le sud de la France, où vivent de nombreux acteurs du conflit ? Surtout, c’est la forme (ici volontairement assez dépouillée) et le contenu du monument qui peuvent faire l’objet de débats : faut-il y inscrire le nom des seuls militaires tués en Algérie ou de tous ceux qui y ont combattu ? Des engagés ou des appelés ? Des harkis ? Des victimes civiles ? 3. Les trois statues qui ornent le Mémorial d’Alger représentent une certaine vision de la guerre. On y voit d’abord un paysan algérien en tenue traditionnelle, muni d’un maigre fusil de chasse, qui semble se rebeller. On le voit dans un deuxième temps dans une tenue militaire, lourdement armé et sûr de sa force. Enfin, on le voit triomphant dans un bel uniforme, délaissant son arme de la main droite et tendant une flamme de la main gauche, symbole de liberté. Ces sta© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude Écrire l’histoire de la guerre d’Algérie � MANUEL, PAGES 94-95 réponses aux questions 1. Les premières études historiques sur la guerre d’Algérie sont le fruit de recherches menées par des historiens anglo-saxons. Cela s’explique par 55 • le fait que ces pays n’ayant pas été impliqués directement dans le conflit, il était plus facile pour leurs historiens de s’y consacrer, car ils n’étaient pas soupçonnés d’être partisans des uns ou des autres. L’éloignement géographique leur donnait en quelque sorte le recul qu’il était plus compliqué pour les historiens français d’avoir quelques années seulement après le conflit. On retrouve ici un phénomène classique : qu’on songe au rôle fondateur des travaux de l’Américain Robert Paxton dans la connaissance du régime de Vichy. 2. En France comme en Algérie, les historiens de la guerre sont confrontés à de nombreuses difficultés. D’abord, l’accès aux archives du conflit n’est que partiel. Ensuite, l’État, qui est le principal pourvoyeur de fonds pour la recherche historique, les dissuade par divers procédés de se pencher sur cette question. Enfin les nombreux groupes de pression mémoriels, tant en France qu’en Algérie, créent un climat d’intimidation propre à détourner les historiens de ce terrain brûlant où il y a plus de coups à prendre que de reconnaissance institutionnelle à espérer. 3. Les historiens de la guerre d’Algérie entretiennent des rapports ambigus à l’égard des pouvoirs politiques. D’une part, ils sont attachés à leur indépendance et n’entendent pas laisser l’État leur dicter ce qu’ils ont à faire. D’un autre côté, ils sont souvent des fonctionnaires et sont donc dépendants de l’État. Par ailleurs, ils interpellent fréquemment les pouvoirs publics pour leur demander d’ouvrir l’accès à certaines archives ou de reconnaître officiellement tel ou tel événement passé. Nombre d’historiens de la guerre d’Algérie sont des intellectuels engagés qui n’hésitent pas à prendre position dans le débat public de leur pays respectif, comme ici Benjamin Stora qui s’affiche aux côtés it d’hommes politiques de gauche lors d’une commémoration du 17 octobre 1961. 4. Les historiens entretiennent des rapports complexes avec les acteurs de la guerre. Certains d’entre eux, comme Mohamed Harbi (doc. 3), ont d’ailleurs été acteurs avant d’être historiens, ce qui suppose la capacité d’adopter un recul critique vis-à-vis de sa propre action. Car pour les historiens, la parole des acteurs, qui sont d’abord des témoins, est une source essentielle de leur travail. Mais il leur faut toujours porter un regard critique sur ces témoignages en les confrontant à d’autres sources. Comme le souligne Daho Djerbal, ce sont souvent les non-dits qui sont les plus parlants. Mais l’objectivité dont se réclame l’historien n’est pas synonyme d’indifférence : Benjamin Stora rend ainsi publiquement hommage aux victimes de la répression d’octobre 1961. 5. Les historiens français et algériens entretiennent de bonnes et étroites relations. La plupart des historiens algériens fréquentent d’ailleurs régulièrement les universités et centres d’archives français. De nombreux colloques et publications collectifs témoignent de la vigueur et de l’efficacité de cette coopération qui fait fi des « nationalismes d’État » et cherche à élaborer un récit commun des événements. 6. Le travail des historiens est un préalable indispensable à l’élaboration d’une mémoire commune de la guerre d’Algérie. Tant que des récits violemment contradictoires du conflit continuent de prospérer, une réconciliation des mémoires est impossible. Le rôle des historiens est donc de produire un récit précis, juste et dépassionné de cet épisode, puis d’en diffuser le contenu dans la société, afin de préparer le terrain à l’émergence d’une mémoire apaisée. e s s o B it e s s o B ◗ Histoire des Arts Les mémoires de la guerre d’Algérie dans la chanson française � MANUEL, PAGES 96-97 Analyse des œuvres Observer Interpréter 1. Le narrateur de la chanson d’Enrico Macias quitte son pays du fait de cette peur du vide qui a poussé près de 800 000 pieds-noirs à fuir l’Algérie en 1962. Les causes de son départ ne sont cependant pas explicitées L’histoire coloniale et migratoire a créé des liens complexes entre les deux rives de la Méditerranée. On trouve de part et d’autre des populations d’origines et de religions diverses, et ceci sur plusieurs générations. • 56 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 dans le texte, ce qui explique que cette chanson, écrite par un juif algérien, a pu être reprise à leur compte par des pieds-noirs, des harkis ou des immigrés algériens. Le narrateur de la chanson de Médine quitte son pays en guerre pour fuir les violences et trouver un travail au « pays des employeurs ». e s s 2. Le narrateur de la chanson d’Enrico Macias se dirige vers la France car il en possède la nationalité et qu’il y bénéficie du statut de rapatrié. Celui de la chanson de Médine choisit la France, car il est lui aussi citoyen français (en 1961) et qu’il peut compter sur la solidarité d’une importante communauté algérienne déjà installée en métropole. Il pense pouvoir y trouver un emploi pour sortir de la « misère du Maghreb ». it o B it e s s o B 3. Bien qu’ils quittent l’Algérie pour des raisons très différentes, les narrateurs des deux chansons éprouvent un même sentiment de déchirement et de regret. Dans les deux chansons, il est question de pleurs, d’« adieu », de « pincement dans le cœur ». Tous deux auraient préféré rester en Algérie si les circonstances le leur avaient permis. 4. Chacun des deux narrateurs considère l’Algérie comme son pays qu’il quitte pour une terre étrangère. Mais alors que la chanson d’Enrico Macias fait référence à « mon pays », celle de Médine parle de l’« Algérie française », manière d’insister sur la dépossession de la souveraineté nationale des Algériens à ce moment. 5. La chanson de Médine fait référence au massacre du 17 octobre 1961 au cours duquel des manifestants algériens partisans du FLN ont été violentés par les forces de l’ordre françaises à Paris. Les lois discriminatoires dont il est question font référence au couvre-feu imposé en région parisienne aux seules personnes d’origine nord-africaine. Chacun des deux narrateurs se considère comme un Algérien, et pourtant, tous deux quittent ce pays sans doute définitivement. Leurs parcours témoignent de la difficulté à définir l’identité algérienne : doit-elle intégrer les juifs ? Les pieds-noirs ? Les Kabyles ? Le FLN victorieux tentera de régler cette question en imposant une définition de l’identité nationale centrée sur l’islam et l’arabité, qui provoquera en retour le soulèvement berbère de 1980. La mémoire de la guerre d’Algérie demeure très forte en France car y vivent encore de nombreuses personnes qui ont connu la guerre dans des camps différents. Qui plus est, ces mémoires concurrentes sont relayées d’une génération à l’autre. Synthèse 6. La chanson d’Enrico Macias donne de la guerre l’image d’un vaste gâchis qui a renversé une société à l’identité pluriséculaire, contraignant une partie de son peuple à l’exil. La chanson de Médine est un réquisitoire contre les exactions commises par les autorités françaises à l’occasion de la guerre d’Algérie. Elle insiste également sur les difficultés rencontrées par les immigrés algériens en France, ce qui l’inscrit dans les problématiques de la génération « beure » dont est issu Médine. 7. La chanson, surtout lorsqu’elle a connu un succès important, est une source utile pour l’historien, car elle traduit les sentiments qui à un moment donné ont été partagés par un groupe de personnes, par une génération. Elle permet de se replonger dans l’atmosphère d’une époque, de saisir « l’air du temps ». 8. Prises isolément, ces chansons ne permettent pas d’écrire une histoire de la guerre d’Algérie. Elles expriment les sentiments d’acteurs du conflit, mais n’expliquent pas les causes et le déroulement de celui-ci. Ce sont en revanche des sources de premier ordre pour l’historien des mémoires du conflit, car elles témoignent de la façon dont, dans différentes communautés et à différentes époques, a été perçu le conflit. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 57 • ◗ BAC ◗ BAC BLANC Étude critique de document Étudier un discours politique � MANUEL, PAGES 100-101 RÉPONSES AUX QUESTIONS DES ENCADRÉS Sujet : L’État français et la mémoire de la guerre d’Algérie. 1. En 1999, Jacques Chirac reconnaît pour la 1re fois officiellement que la France a mené une guerre en Algérie. 2. Les harkis sont membres des forces supplétives musulmanes engagées au côté de l’armée française. Ils sont à peu près 200 000. 50 000 gagnent la France à la fin de la guerre et sont regroupés dans des camps. Parmi ceux restés en Algérie, 60 000 à 70 000 sont massacrés par le FLN. 3. Chirac fait allusion aux enfants issus de l’immigration, cette « génération beur » stigmatisée par le Front national à partir des années 1980. 4. Chirac évoque la guerre d’Algérie, déchirement entre Français et Algériens mais aussi double guerre civile. 5. Ces ombres font écho aux méthodes employées de part et d’autre et notamment à l’usage de la torture. 6. Il s’agit ici d’honorer à la fois les soldats français (armée de métier, appelés et rappelés du contingent) mais aussi les harkis. 7. Non, voir réponse 1. BAC BLANC • Composition Sujet 1 : Les États français et algérien face à la mémoire de la guerre d’Algérie. Il semble pertinent de traiter ici séparément l’usage qui est fait de la guerre d’Algérie par l’État algérien dans une première partie, puis dans une deuxième partie de l’attitude de l’État français et de son évolution vis-à-vis du conflit. o B it e s s o B Sujet : La mémoire de la guerre d’Algérie. Ce discours de Bouteflika est représentatif de la manière dont le FLN a instrumentalisé l’histoire de la guerre d’Algérie. Il n’est question ici que de la gloire de l’ALN et du FLN. Aucune mention n’est faite du GPRA et des groupes nationalistes rivaux du FLN comme le MNA de Messali Hadj. Le discours glorifie une lutte du « peuple dans son ensemble », en niant l’existence des Algériens qui avaient fait le choix de la France. Enfin, lorsque Bouteflika explique que le FLN « imposa à la France des négociations à ses conditions », c’est oublier que la France obtient des avantages substantiels notamment dans les clauses annexes, comme le droit de rester au Sahara cinq années de plus pour terminer ses essais nucléaires. • 58 e s s it � MANUEL, PAGE 103 Sujet 2 : Guerre d’Algérie, guerre des mémoires ? Ici, on peut envisager un plan à plusieurs échelles, en étudiant d’abord la guerre des mémoires entre la France et l’Algérie, puis l’affrontement au sein de chaque pays de mémoires communautaires contradictoires. • Étude critique de documents Sujet : La guerre d’Algérie et les Français au début du XXIe siècle. Ces documents montrent avec force la présence encore très importante de la guerre d’Algérie dans les mémoires françaises. Un an après la reconnaissance officielle de la guerre par le président Chirac, l’appel des « 12 intellectuels » demande à ce que l’État reconnaisse l’usage de la torture par l’armée française, dont Henri Alleg, un des signataires, a d’ailleurs été victime, ce qu’il relate dans son livre La Question. Un de leurs arguments est qu’en Algérie « se dessine la mise en cause de pratiques condamnables ». Cependant il ne faut pas exagérer le mea culpa d’un régime qui cherche l’apaisement au cœur d’une guerre civile sanglante (1992-2002) et qui ne remet en aucun cas en cause l’action du FLN pendant la guerre. Aujourd’hui, ce mea culpa n’a pas encore eu lieu de l’autre côté de la Méditerranée. En France, le sondage effectué en 2003 montre que la guerre d’Algérie évoque de nombreux souvenirs douloureux et qu’un sentiment de culpabilité domine en ce qui concerne le sort fait aux harkis et aux pieds-noirs, de même que l’usage de la torture par exemple. Il est aussi particulièrement intéressant de constater que pour 60 % des Français, la guerre pèse sur l’intégration des jeunes issus de l’immigration algérienne. Signe d’un passé qui ne passe pas. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Chapitre 4 it Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875 � MANUEL, PAGES 106-131 ◗ Présentation de la question e s s découper la période allant de 1875 à nos jours en quatre grands moments, lesquels correspondent chacun à une certaine configuration entre socialisme, communisme et mouvement syndical. 1. L’essor de la social-démocratie et du mouvement ouvrier dans le contexte de l’industrialisation de l’Allemagne unifiée, de 1875 à 1918. Entravé par l’absence d’un État unifié jusqu’en 1871, le mouvement ouvrier prend véritablement son essor à partir du dernier tiers du XIXe siècle : en 1871 se constituent les premiers syndicats libres, en 1875 lors du congrès de Gotha naît le premier parti d’Allemagne qui prend le nom de SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, parti social-démocrate d’Allemagne) en 1891. Il est soutenu par les syndicats qui se structurent en une puissante centrale en 1892. Dès cette époque, le SPD associe un ancrage marxiste, une stratégie révolutionnaire et des propositions réformistes. Durant cette période, les socialistes font face à une farouche opposition de la part de Bismarck, dont ils sortent vainqueurs. Avec les syndicats et, souvent au terme de grèves importantes, ils obtiennent d’importantes avancées : conventions collectives, baisse du temps de travail, augmentation des salaires. Le SPD devient à la veille de la Première Guerre mondiale la première formation politique d’Allemagne. En 1914, bien que divisé sur la question, il participe à l’Union sacrée, ce qui provoque une scission et la création de l’USPD (Unabhängige sozialistische Partei Deutschlands, parti socialiste indépendant d’Allemagne) en 1917 ; réformisme et pragmatisme d’un côté représentés par Eduard Bernstein, révolution et idéalisme de l’autre incarnés par Rosa Luxemburg, divisent la famille socialiste. 2. De la fin de la Première Guerre mondiale à l’interdiction, 1918-1933. Il s’agit d’une période de très fortes divisions. En 1919, le KPD (Kommunistische Partei Deutschlands, parti communiste d’Allemagne) o B it e s s o B La question à traiter porte sur « Socialisme et mouvement ouvrier » à travers l’exemple du « Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875 ». • Maîtriser l’histoire des représentations, des croyances religieuses, des idéologies est nécessaire à la compréhension des sociétés. Le deuxième thème général du programme qui s’intitule « Idéologies, opinions et croyances en Europe et aux États-Unis de la fin du XIXe siècle à nos jours » vise à donner aux élèves de terminale L et ES un certain nombre d’outils à cette fin. • La présente question invite à aborder l’histoire du mouvement ouvrier selon deux dimensions majeures : l’idéologie socialiste et l’action ouvrière, portée par les syndicats et les partis qui s’en réclament. Le cadre de l’Allemagne est particulièrement pertinent. En effet, elle a été à la fois la terre de naissance de Marx, une grande puissance industrialisée qui a vu l’essor des premiers mouvements ouvriers, le cadre d’un affrontement entre un socialisme démocratique et un communisme aligné sur Moscou, et enfin le pays où s’est élaborée récemment la tentative d’un « socialisme libéral » divisant le mouvement ouvrier lui-même. De façon générale, l’Allemagne est le pays d’Europe occidentale dans lequel l’affrontement entre socialisme réformiste et révolutionnaire est le plus ancien et le plus fort. • Ce chapitre sur « socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875 » doit permettre de dégager les caractéristiques majeures du mouvement ouvrier en Europe, tout en soulignant les spécificités allemandes. Plus largement, l’étude de la tension au sein des gauches entre réforme et révolution, propre à la plupart des démocraties européennes actuelles, doit être riche d’enseignements pour les futurs bacheliers français. • Pour aborder ces questions, il est commode de • 60 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 issu de l’USPD est né, dans le contexte d’une vague révolutionnaire dont le soulèvement spartakiste est le moment le plus violent. Alors même que d’importantes lois sociales sont obtenues (journée des 8 heures, comités d’entreprises) et que le SPD devient le parti pivot de la nouvelle république de Weimar, la lutte entre les deux gauches amène à une division du mouvement ouvrier. Tandis que le KPD se bolchévise et adopte en 1928, sous l’influence du Komintern, la tactique « classe contre classe » qui assimile les sociaux-démocrates à « l’avant-garde du fascisme », le SPD peine à endiguer la montée de la droite nationaliste. Cette division irrémédiable entre socialistes et communistes, qui est européenne à l’époque, a de graves répercussions en Allemagne en rendant impossible un front des gauches face à Hitler. En 1933, en quelques mois, SPD, KPD et syndicats sont interdits. C’est le début d’une parenthèse de 12 ans pour le mouvement ouvrier allemand. 3. L’époque des deux Allemagnes et des deux socialismes : social-démocratie à l’Ouest, communisme à l’Est (1945-1989). C’est l’une des grandes singularités allemandes : les deux pôles du socialisme, l’un socialdémocrate et réformiste, l’autre communiste et révolutionnaire, se sont développés séparément dans le contexte de la guerre froide et de la division de l’Allemagne. En RFA, le SPD confirme son adhésion à la voie réformiste en abandonnant officiellement toute référence au marxisme lors du congrès de Bad-Godesberg en 1959 ; les syndicats ouest-allemands le suivent dans ce mouvement. Cette nouvelle orientation débouche sur son arrivée au pouvoir de 1969 à 1982 – avec Willy Brandt de 1969 à 1974 puis Helmut Schmidt de 1974 à 1982. En RDA, sous le nom de SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, parti socialiste unifié d’Allemagne), c’est bien un pouvoir communiste, aligné sur Moscou, qui s’impose. Bien que le multipartisme demeure officiellement, le SED dispose de la réalité du pouvoir, les syndicats lui sont inféodés, la grève interdite, les manifestations matées, comme celle de juin 1953. 4. Le mouvement social allemand dans l’Allemagne réunifiée (de 1990 à nos jours). Avec la réunification, les forces de gauche se sont recomposées et les lignes de force au sein du it mouvement social se sont déplacées. D’anciens partisans du SED, aidés de militants déçus de l’évolution du SPD, donnent naissance à un influent pôle à gauche des sociaux-démocrates, die Linke (« la gauche »). Quant au SPD, il a accédé au pouvoir de 1998 à 2005 avec le chancelier Gerhard Schröder. Ce dernier a procédé à des réformes sociales impopulaires qui visaient à rendre le marché de l’emploi plus flexible afin de redonner à l’Allemagne de la compétitivité. Cette politique a heurté les syndicats, braqué une parti des militants sociaux-démocrates et a conduit à une déroute électorale. La chancelière conservatrice Angela Merkel a d’ailleurs rendu hommage à la politique de son prédécesseur social-démocrate. Si le communisme est mort, l’opposition entre deux polarités au sein du mouvement social – l’une pragmatique, l’autre radicale – subsiste en se renouvelant. Commune à l’ensemble des partis et des syndicats européens, cette tension adopte une forme d’autant plus singulière que l’Allemagne est le pilier économique d’une UE qui peine aujourd’hui à trouver un modèle économique, entre politiques libérales et politiques sociales. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Bibliographie Ouvrages généraux sur l’Allemagne H.-A. Winkler et O. Demange, Histoire de l’Allemagne, XIXe-XXe siècle : le long chemin vers l’Occident, Fayard, 2005. J. Rovan, Histoire de l’Allemagne des origines à nos jours, Éditions du Seuil, 1999 (rééd.). A. Wahl, L’Allemagne de 1945 à nos jours, Armand Colin, 2009. Manuels franco-allemands sous la direction de P. Geiss, D. Henri et G. Le Quintrec : « L’Europe et le monde du congrès de Vienne à 1945 » (Première) et « L’Europe et le monde depuis 1945 » (Terminale), Nathan, 2006 et 2009. Ouvrages spécifiques J.-P. Gougeon, La Social-démocratie allemande (1830-1996) : de la révolution au réformisme, Aubier, 1996. D. Herbet, Actes du colloque, Culture ouvrière, mutations d’une réalité complexe en Allemagne du XIXe au XXIe siècle, Septentrion, collection « mondes germaniques », 2011. S. Kott, A. Lattard et M.-B. Vincent, Histoire de la 61 • société allemande au XXe siècle, La Découverte, 2011. T. 1 : « Le premier XXe siècle », T. 2 : « La RFA, 1949-1989 », T. 3 : « La RDA, 1949-1989 ». A. Wahl, Les forces politiques en Allemagne, XIXe-XXe siècles, Armand Colin, 1999. Filmographie La question peut facilement être abordée à partir d’un certain nombre de films dont notamment : • Metropolis (1927) sur la société industrielle. • Good Bye Lenin (2003) sur la transition entre RDA et RFA. • The Edukators (2004) sur la permanence des idées socialistes radicales. • La vie des autres (2006) sur la société est-allemande. ◗ Plan du chapitre it tion, essor de la classe ouvrière et des premiers partis socialistes, unité allemande) et les notions fondamentales (socialisme, communisme, social-démocratie, syndicats), nécessaires à la compréhension du chapitre. Le premier cours couvre la période allant de 1875 à 1918 et traite de la naissance et l’affirmation du socialisme. Le deuxième cours aborde la question du socialisme et du communisme d’une guerre à l’autre (1918-1945). Il est complété par une étude sur le moment clé de 1918-1919 et par une double page d’Histoire des Arts consacrée à Grosz et à sa peinture de critique sociale. Le troisième cours traite des deux Allemagnes et des deux socialismes, de 1945 à 1989. Il est suivi d’une étude sur la place des femmes dans le mouvement ouvrier. Le dernier cours envisage les questions du socialisme, du syndicalisme et de la réforme sociale depuis 1990 dans le contexte de la mondialisation. Une dernière étude est consacrée à la semaine de travail au cœur des luttes sociales (de 1919 à aujourd’hui). e s s o B it e s s o B Le plan du chapitre suit un plan chronologique, fondé sur les quatre moments évoqués plus haut dans la présentation de la question. Au préalable, la double page Retour sur… met en place les grands repères chronologiques (industrialisa- Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL PAGES 106-107 Doc. 1. Marx, père du communisme et père spirituel de l’Allemagne de l’Est (Rassemblement des Jeunesses communistes de RDA devant le Karl Marx Monument à Karl Marx Stadt, octobre 1971.) Cette photographie présente toute l’ambiguïté entre la figure fondatrice du socialisme allemand, dont le SED se réclame en Allemagne de l’Est (la photo a été prise à Chemnitz qui s’appelait en 1971 Karl Marx Stadt, littéralement la « ville Karl Marx ») et la pratique du « socialisme réel » comme on l’appelait en RDA, un régime autoritaire et inféodé à Moscou. Le monument érigé • 62 devant l’université de la ville fige dans la pierre une pensée complexe, érigée en dogme officiel et au nom duquel, les droits des travailleurs étant théoriquement acquis, la grève est interdite. Doc. 2. La social-démocratie entre centre et gauche (Affiche électorale du SPD pour les élections législatives du 22 septembre 2002. Couverture du Spiegel, 18 novembre 2002 : « Camarade Schröder. Du nouveau centre au chancelier des syndicats. ») Le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, élu en 1998, a infléchi sa politique vers un social-libéralisme qu’il a assumé lors des élections législatives de 2002 en se proclament le « chancelier du centre ». Au même moment, l’hebdo© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 madaire de gauche Der Spiegel (« le miroir ») rappelait à Schröder ses origines populaires (il est né en 1944, n’a jamais connu son père mort durant la guerre, et a suivi des cours du soir pour obtenir ses diplômes de droit) et l’ancrage de son parti à gauche. Le sous-titre du journal incite le chancelier réélu à s’éloigner « du nouveau centre » pour (re)devenir « le chancelier des syndicats ». Vœu pieux, puisque durant les années qui suivent, son gouvernement adopte les très impopulaires « réformes Hartz » qui libéralisent le marché de l’emploi et suscitent la vive opposition des syndicats et de nombreux partisans du SPD. À partir de l’analyse des trois documents, il est possible de poser les questions proposées page 106 en insistant sur la tension permanente au sein de la famille socialiste entre théorie et pratique, radicalisme et réformisme, idéalisme et pragmatisme. 1. Naissance et affirmation du socialisme (1875-1918) it (1891) et les syndicats ont a nouveau droit de cité : leur action rencontre alors un indéniable succès. La première décennie du XXe siècle qui voit triompher les idées socialistes (le SPD devient la première formation politique allemande en 1912) est celle des grandes victoires syndicales, notamment celles de grèves de la Ruhr de 1905 où le nombre de grévistes a dépassé 350 000 et où la grève a été la plus dure (plus de 5 millions de journées de travail perdues sur l’année). Il peut être intéressant de corréler ce document avec le document 4 qui illustre précisément le mouvement de 1905. e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 110-111 Doc. 1. Bismarck contre le socialisme (Caricature du journal britannique Punch, 1878.) • Question. Ce dessin humoristique, publié dans le journal conservateur britannique Punch, évoque la loi dite « antisocialiste » adoptée par le « chancelier de fer » en 1878. Bismarck a interdit partis, syndicats et manifestations afin d’étouffer le mouvement social naissant. Le dessin assimile le socialisme à la fois à une tentation infantile mais aussi à un danger (la figure du jeu pour enfants a tous les traits d’un épouvantail que Bismarck s’efforce de maîtriser). Doc. 2. Luttes syndicales et grèves en Allemagne • Question. Ce document illustre par une série de relevés l’évolution du nombre de mouvements de grèves et leur réussite de la fin du XIXe siècle (1890) jusqu’à l’entrée en guerre (1915). Selon les ouvriers, la lutte syndicale a été de plus en plus efficace, puisque la grève est considérée comme un succès par un pourcentage croissant (moins de 30 % en 1890 ; 75 % en 1915). À partir du moment où Bismarck quitte le pouvoir, en 1890, le parti socialiste reconstitué en SPD © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 3. Pas de réformes sans révolution ! Le SPD depuis ses origines comporte deux ailes, tout en se réclamant d’un même marxisme. Selon Eduard Bernstein, le SPD doit rechercher le pouvoir pour instaurer la réforme par des lois, en reconnaissant de fait le suffrage universel et la démocratie bourgeoise. Selon les partisans de l’aile gauche du parti, les futurs spartakistes de 1919 comme Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, l’ordre social bourgeois, jugé injuste, ne peut être transformé que par la révolution. • Question. Dans ce texte rédigé en 1898, Rosa Luxemburg cherche donc à articuler les deux notions qui travaillent le parti. Elle y développe l’idée que réforme et révolution sont indissociables, parce que pour elle la réforme est un moyen qui permet d’atteindre le but : la révolution sociale qui renversera l’ordre inégalitaire bourgeois. Elle reproche à Bernstein d’oublier la révolution au profit d’un programme réformiste qui améliorerait le sort des travailleurs sans changer de régime. Ce document fait apparaître les profondes divisions qui parcourent déjà le SPD. Il permet de mieux comprendre la scission de 1917 par laquelle s’est créé l’USPD, duquel est issu le mouvement spartakiste dont Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht étaient les leaders en 1919. À cette date précisément, la rupture entre réformistes – incarnés par le président SPD de la république de Weimar, Friedrich Ebert – et révolutionnaires est passée du terrain idéologique au terrain politique de l’affrontement. Doc. 4. Les mineurs de la Ruhr (Couverture de l’hebdomadaire Der Wahre Jacob, 21 février 1905.) 63 • Ce document fait écho au document 2, puisqu’il illustre les grandes grèves de 1905, les plus importantes d’Allemagne de l’avant-guerre. La Ruhr est une région située à l’ouest du pays. Foyer de la révolution industrielle, elle était riche en charbon. Elle est le fief de quelques grandes dynasties patronales allemandes dont les Krupp et les Thyssen. • Question. L’hebdomadaire social-démocrate Der Wahre Jacob illustre la grève de façon spectaculaire : la mort sur son cheval fouette les mineurs réduits en esclavage et tirent un char en or dans lequel siègent deux grands patrons de l’époque, Hugo Stinnes et August Thyssen. À l’arrière-plan, les usines sidérurgiques de la Ruhr tournent à plein, comme l’indiquent leurs cheminées, d’où s’échappent les vapeurs des hauts fourneaux. Cette mise en scène illustre parfaitement les idées de Marx : ce sont les détenteurs du capital, les patrons, qui exploitent la force de travail du prolétariat, pour en tirer leurs profits – figurés ici par des sacs d’or entreposés dans le char. La mort symbolise le thème de « l’appauvrissement du prolétariat » : selon Marx, les capitalistes sont amenés à payer toujours moins leurs ouvriers pour conserver leurs profits dans un contexte de concurrence accrue. 2. Socialisme et communisme � MANUEL, PAGES 112-113 L’accord Stinnes-Legien a été obtenu dans le contexte singulier de la défaite de 1918. Le grand patron Hugo Stinnes, craignant une vague révolutionnaire dans le pays un an après la révolution bolchévique en Russie et en pleine agitation spartakiste, se rapproche du chef de la puissante ADGB, Carl Legien. Les deux hommes signent un accord historique : contre d’importantes concessions faites aux syndicats, Legien s’engage à modérer les ouvriers et à chercher à les détourner de la révolution. • Question. Les principaux acquis de l’accord pour les ouvriers sont : la reconnaissance des syndicats, de leurs représentants et leur libre exercice (articles 1 et 2), l’ouverture de négociations visant à déboucher sur des conventions collectives par secteur (article 6), la fixation de • 64 e s s Doc. 2. Le coup de poignard dans le dos (Affiche électorale du DNVP, 1924.) Les années 1920 sont marquées par une montée du nationalisme représenté notamment par le DNVP, le Parti national du peuple allemand, qui conteste la république de Weimar et l’ordre issu du traité du Versailles. • Question 1. L’affiche représente deux personnages ; en rouge, un ouvrier masqué poignarde dans le dos un soldat allemand portant le drapeau de l’empire. Ce dessin fait écho à la thèse répandue dans les milieux nationalistes, selon laquelle l’Allemagne aurait pu gagner la guerre si les « rouges » ne s’étaient pas ligués contre elle. Par « rouges », il faut entendre aussi bien les sociaux-démocrates (le premier acte politique de la République proclamée par le social-démocrate Philipp Scheidemann le 9 novembre a été de signer l’armistice le 11) que les membres de l’USPD, les communistes, les spartakistes qui ont cherché à mener la révolution fin 1918-début 1919. • Question 2. Aux yeux des nationalistes, ces forces se coalisent pour détruire l’unité du pays. Ils cherchent ainsi à discréditer la République social-démocrate en établissant l’idée que le socialisme nuit à l’Allemagne. La campagne du DNVP est payante puisque le parti passe de 12 % des voix en 1920 à près de 20 % en 1924. La coalition menée par le SPD est affaiblie, même si elle parvient à garder le pouvoir. o B it e s s o B d’une guerre à l’autre (1918-1945) Doc. 1. L’accord Stinnes-Legien it la journée de travail à 8 heures. Quant à l’article 10, il instaure l’idée d’une gestion paritaire des entreprises entre salariés et représentants du patronat ; il est l’un des fondements du modèle économique ouest-allemand de la seconde partie du XXe siècle (cf. cours 3). Doc. 3. La social-démocratie selon l’Internationale communiste Le Komintern, ou IIIe Internationale, a été fondé par Lénine en mars 1919 à Moscou ; il vise à fédérer tous les partisans du bolchévisme. Le Komintern, réuni en congrès une fois par an, adopte un certain nombre de résolutions qui orientent la politique des partis communistes hors d’URSS. • Question. Les deux documents présentés traitent des rapports entre communistes, sociauxdémocrates et régimes bourgeois. Les communistes s’attaquent frontalement à la social© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 démocratie, qui est, selon la résolution de 1924, assimilable au capitalisme, lui-même identifié au fascisme (Mussolini est au pouvoir en Italie depuis 1922). La résolution de 1928 précise ce jugement : la condamnation ne concerne que les élites social-démocrates, coupables d’être de « vils serviteurs de l’impérialisme ». En revanche, les travailleurs sociaux-démocrates sont considérés comme des victimes de leurs leaders, qui les abusent ; ils « se trompent avec sincérité ». Ce document trace ainsi la stratégie du parti communiste en Allemagne : lutter contre le SPD, chercher à siphonner ses partisans. Cette conduite a affaibli la gauche face au danger nazi. Doc. 4. Le SPD face au péril nazi ◗ Étude it Spartakistes contre sociaux-démocrates : le mouvement ouvrier divisé e s s � MANUEL, PAGES 114-115 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. Le 9 novembre 1918, l’empereur Guillaume II abdique. Philipp Scheidemann, l’un des dirigeants du SPD, proclame sans attendre la République, de peur d’être débordé sur sa gauche par les spartakistes. Afin d’éviter cette perspective, il s’adresse à tous les partisans de gauche, qu’ils aient été favorables à l’Union sacrée ou pas, ménageant une place pour l’USPD. Il demande aux « travailleurs et travailleuses » allemands de s’unir pour reconstruire le pays après une défaite dont il attribue la responsabilité au Kaiser (« ce jour a vu la libération du peuple. L’empereur a abdiqué… »). 2. Les spartakistes sont issus de l’aile gauche de l’USPD qui avait été défavorable à la stratégie d’Union sacrée. Tel Spartakus, l’esclave antique qui s’était rebellé contre le pouvoir romain, les spartakistes luttent contre les ennemis qui, selon eux, oppriment le peuple allemand. Ils sont représentés sous la forme d’un dragon. Les figures de l’empereur et des souverains allemands sont baissées car, début 1919, l’Empire est tombé. Restent alors à abattre des représentants de l’ordre traditionnel : les nationalistes militaristes (« neuer Militarismus », un nouveau militarisme qui refuse la défaite), la bourgeoisie d’affaires (« Kapitalismus ») et la noblesse terrienne (« Junkertum », le terme « Junker » désigne en allemand les grands propriétaires terriens). Une quatrième tête, non nommée, semble symboliser la religion (le personnage porte un col d’ecclésiastique). 3. Les spartakistes considèrent que le nouveau pouvoir dirigé par le social-démocrate Friedrich Ebert est traître à la cause des ouvriers. Arguant du fait que le SPD a soutenu l’Union sacrée durant la guerre, les spartakistes considèrent qu’Ebert est un serviteur de l’ordre bourgeois (« ils ont soutenu la bourgeoisie pendant quatre ans, ils ne pourront faire autrement que de continuer »). Ils se décrivent a contrario comme les seuls porteurs d’une véritable « paix socialo-prolétarienne » et d’une dynamique révolutionnaire capable de porter le peuple au pouvoir. o B it e s s o B (Affiche du SPD pour la campagne législative de 1932.) La fin de la décennie 1920 a été dramatique pour l’Allemagne. Touchée de plein fouet par la crise de 1929, sa situation économique est catastrophique : le chômage touche 6 millions d’Allemands (plus de 25 % de la population active, et il faut y ajouter le chômage partiel), le pays ne peut plus rembourser ses dettes et l’extrême droite prospère. Le SPD est à la fois affaibli sur sa gauche avec un KPD à 15 % dans une stratégie d’opposition frontale (cf. document 3) et à sa droite par une opposition nationaliste dont le NSDAP d’Adolf Hitler est devenu la principale force. Insignifiant en 1928 avec 2,6 % des voix, il a atteint 18,3 % en 1930 et s’apprête à connaître une victoire en 1932 avec 37,4 % des voix. • Question. Les ouvriers étant les premiers touchés par la crise, le SPD craint qu’une partie d’entre eux ne soient tentée par le vote extrémiste. L’affiche présentée est une mise en garde contre cette tentation : ce qui attend l’ouvrier dans « l’empire de la croix gammée », c’est la mort figurée sous la forme d’une crucifixion. Le SPD veut rappeler que le NSDAP est depuis toujours l’ennemi du socialisme, du monde ouvrier et que les discours d’Hitler ne sauraient apporter les bonnes réponses à la crise sociale et économique. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 65 • 4. La déclaration de Scheidemann s’enracine dans le courant réformiste et pragmatique du SPD. Récusant toute révolution (« la propriété doit être protégée des atteintes arbitraires »), prévenant que tout manque de respect à la loi sera puni, il appelle le peuple à soutenir la paix civile et la reconstruction. Il dessine les contours d’un socialisme de gouvernement reconnaissant les valeurs de la démocratie libérale. Les spartakistes défendent quant à eux un socialisme révolutionnaire qui s’inspire du mouvement bolchévique. Tel Lénine en Russie un an auparavant, ils espèrent mettre à bas le régime bourgeois (en supprimant notamment le Parlement, le Reichstag) qui les a précédés et donner le pouvoir à des « conseils des ouvriers et des soldats ». L’opposition entre réformistes et révolutionnaires, qui travaillait le SPD depuis sa création, s’exprime pour la première fois nettement à cette période. Elle prend un tour tragique dès lors que Friedrich Ebert décide de mater l’insurrection spartakiste. La rupture entre les deux tendances socialistes est alors consommée. ◗ Histoire des Arts it 5. Célèbre graveur allemande, proche du socialisme, Käthe Kollwitz a représenté la mort de Karl Liebknecht, leader spartakiste. Sa gravure sur bois rapproche Liebknecht de la figure des saints, mort pour une noble cause. Bien que la scène puise sa source dans la tradition chrétienne, le cadre est entièrement laïcisé. Même si le blanc entourant la tête de Liebknecht peut rappeler une auréole, les personnages présents sont tous des ouvriers. Le Stabat mater est devenu un Stabat populus. 6. Il est possible de construire la réponse à cette question en trois paragraphes. Le premier mettrait en place le contexte de novembre 1918 et l’instauration de la république proclamée par les socialistes, entérinant alors leur vocation à exercer le pouvoir dans un cadre libéral et démocratique. Le second analyserait le discours politique du KPD, radical et communiste. Le troisième mettrait en place l’abime qui sépare alors le SPD des spartakistes en insistant sur le fait qu’il réplique un antagonisme ancien au sein du mouvement social. e s s o B it e s s o B Les Piliers de la société de George Grosz (1926) � MANUEL, PAGES 116-117 Analyse de l’œuvre Observer 1. L’aristocrate porte un costume, un monocle, une épée, une chope de bière et une croix gammée sur sa cravate. Sur son crâne, on reconnaît un cavalier de l’armée allemande avec le drapeau de l’ancien empire. Le journaliste tient un crayon, des journaux, une palme ensanglantée et des lunettes. Sur sa tête, un pot de chambre est une parodie du casque militaire de l’armée de la république de Weimar. Le bourgeois politicien, est gras, rougeaud, il porte également des lunettes, le même drapeau que le petit cavalier sur la tête de l’aristocrate et un slogan ironique envers le socialisme. Dans sa tête, on reconnaît des excréments fumants qui montrent la corruption de la classe dirigeante. • 66 Interpréter Le peintre cherche à les ridiculiser et les accuser. Pour cela, il utilise des symboles comme le drapeau, l’épée, la palme qui ont un sens fort. Il utilise également la caricature, en exagérant les traits et en utilisant des éléments irréels comme ceux qui sortent des têtes des personnages. Grosz s’attaque à toute la classe dirigeante et à tous les hommes de pouvoir : clergé, armée, politiciens (y compris les socialistes si le politicien est Ebert), journalistes. Il insiste particulièrement sur la violence des officiers, l’hypocrisie des journalistes et les opinions politiques proches du parti nazi des aristocrates (croix gammée). En cela il affiche ses idéaux politiques communistes. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 2. Au second plan, sur la gauche, on voit un ecclésiastique (prêtre ou pasteur), les yeux fermés, souriant, qui semble prêcher devant une ville où les immeubles sont en feu. À droite, le peintre a représenté des soldats qui semblent furieux et agressifs, avec des armes pleines de sang à la main. it Le peintre dénonce une atmosphère de tension, de peur, de violence et de destruction, où l’on n’est pas en sécurité. Les reproches du peintre faits à l’armée peuvent renvoyer au moment de la révolution spartakiste en 1919 avec l’assassinat de Rosa Luxemburg et de militants socialistes notamment par les corps francs. Grosz dénonce l’aveuglement du clergé, car il représente le prêtre les yeux fermés devant la ville à feu et à sang. Celui-ci ne veut pas voir ce qui se passe, ni prendre parti. e s s 3. Grosz choisit principalement des couleurs violentes Tout le choix des couleurs concourt à dresser un poret sinistres : des dégradés de bruns et de gris, ainsi que trait négatif de ces « piliers de la société ». La peau des du rouge. personnages est souvent grisâtre ou rouge, couleurs qui suggèrent l’alcoolisme, la maladie, un caractère malsain et antipathique. Ils sont habillés de couleurs sombres, parfois sales comme la veste kaki de l’aristocrate ou celle, ocre, du journaliste. Le politicien et le prêtre sont en noir, couleur du deuil. Enfin le rouge, distillé par touches subtiles mais bien précises, indique la violence de tous les protagonistes : rouge sang sur les armes, la palme, les journaux, rouge du col du soldat, rouge des visages et rouge enfin du feu qui s’échappe de l’immeuble. o B it e s s o B 3. D eux Allemagnes, deux socialismes (1945-1989) � MANUEL, PAGES 118-119 Doc. 1. Erich Honecker, élu secrétaire général du SED (1971) (Journée du Parti socialiste unifié, 15 juin 1971.) La RDA a été proclamée en 1949. De 1950 à 1971, son dirigeant était le secrétaire général du SED (« parti socialiste unifié »), Walter Ulbricht. En 1971, affaibli par l’âge et par une opposition montante au sein du parti, il est contraint au retrait. Leonid Brejnev, le leader soviétique, impose à la tête du SED Erich Honecker qui reste au pouvoir jusqu’en 1989, à la veille de la chute du mur de Berlin. Honecker incarne une ligne pro-soviétique fidèle à la doxa communiste comme le montrent à l’arrière-plan les trois portraits de Marx, Engels et Lénine. Doc. 2. La « démocratie populaire » n’a pas d’opposition • Question. Ce document extrait du journal officiel de la RDA de 1957 répond à une question souvent posée à l’Est : pourquoi n’y a-t-il pas d’opposition politique ? La question est d’autant plus forte que l’Allemagne de l’Est a connu en juin 1953 un soulèvement populaire contre le régime au cours duquel les manifestants avaient © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 réclamé des élections libres. Le document apporte trois types d’arguments : – L’opposition dans les démocraties libérales n’est pas au service des ouvriers car elle divise la classe ouvrière (dont les voix se répartissent sur plusieurs partis) plutôt que de lutter pour ses droits (« une démocratie n’existe pas là où la classe ouvrière est divisée »). – L’opposition telle qu’elle existe en RFA abrite, sous couvert de démocratie, des forces conservatrices (le patronat) voire criminelles (il était fréquent en RDA d’affirmer que le SED, héritier du parti communiste de l’entre-deux-guerres avait été la seule force résistante au nazisme tandis que les partis formés en RFA au lendemain de la guerre avaient été plus ou moins favorables au fascisme. Le texte laisse entendre que le personnel politique de RFA a partie lié avec le régime nazi). – L’argument le plus retors est le dernier : le texte affirme que s’il existait une opposition en RDA, elle contesterait, du fait même de sa tendance à s’opposer, les acquis sociaux accordés aux citoyens est-allemands. Doc. 3. Bad-Godesberg, la réforme du SPD (1959) Le congrès de Bad-Godesberg constitue un tournant majeur dans l’histoire du SPD. Dans 67 • le contexte d’une bipolarisation accentuée par le repoussoir est-allemand, les sociaux-démocrates abandonnent définitivement la référence au marxisme. Le nouveau SPD, en rupture avec Marx, reconnaît ouvertement le capitalisme libéral (« la libre entreprise et la libre concurrence sont des éléments importants de la politique économique sociale-démocrate ») dans la mesure où ses effets sont atténués par la planification et l’action de l’État (« la concurrence autant que possible, la planification autant que nécessaire ! »). Dans le même temps, le SPD se réclame de la vraie tradition socialiste en reprochant aux communistes – le texte s’adresse directement aux dirigeants du SED – d’avoir falsifié les idéaux du mouvement ouvrier et d’avoir instauré une dictature. • Question. Le programme de Bad-Godesberg constitue à la fois une rupture idéologique avec le marxisme, une condamnation politique du communisme et une clarification au sein de la gauche allemande : le débat entre réformisme et révolution est clos, le SPD assumant désormais la voie réformiste au sein d’une économie capitaliste. Méthodologiquement, il peut être intéressant de coupler l’analyse des documents 2 et 3 pour montrer comment évoluent les deux partis de gauche, de part et d’autre du rideau de fer dans les années 1950-1960. ◗ Étude it Le mouvement ouvrier et les femmes e s s � MANUEL, PAGES 120-121 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. Le Parti communiste était attentif au sort des familles ouvrières. Souffrant d’un manque d’éducation, elles ne savaient réguler les naissances. L’affiche dépeint une femme enceinte aux traits tirés, épuisée, tenant par la main un enfant, portant un autre dans ses bras. Elle suggère que trop d’enfants est une charge impossible dans les milieux modestes, évoquant au passage le sort des femmes seules. Le KPD fait de l’avortement un droit pour les ouvrières, la possibilité d’échapper à la misère du nombre. Le mari de Käthe Kollwitz était médecin. L’artiste avait été sensibilisée durant des années au sort de ces femmes enceintes sans l’avoir voulu, qui défilaient dans le cabinet de son époux. 2. En 1928, le parti nazi n’a obtenu que 2,6 % des suffrages. Mais la crise a changé la donne. Le SPD qui a senti la montée de l’extrême droite cherche à mettre en garde son électorat contre toute tentation populiste. La cible de cette affiche est l’électorat féminin. Le SPD met l’accent sur le caractère traditionnaliste et réactionnaire du nazisme ; les femmes y sont considérées avant tout comme des mères et des servantes, leur place est au foyer au service de leur mari (le Reich a d’ailleurs édité durant les années 1930 un « ABC de la femme allemande » rappelant à ces dernières leurs devoirs envers leur mari et leur pays). 3. Le régime est-allemand développe deux types d’arguments justifiant le travail des femmes. Le premier est moral : les femmes sont égales aux hommes, par conséquent elles doivent pouvoir exercer un emploi rémunéré. Le second est économique : en travaillant, les femmes contribuent à leur enrichissement et à celui du régime (les affirmations selon lesquelles les femmes ne sont pas faites pour travailler « freinent le développement de la femme et de toute notre société »). Au début des années 1960 et malgré les succès revendiqués, l’économie est-allemande peine à se développer. Le régime poursuit une croissance extensive en augmentant le nombre de bras au travail. La question de l’égalité homme-femme est largement un prétexte. o B it e s s o B Doc. 4. La cogestion en Allemagne de l’Ouest • Question. La cogestion est née avec les accords Stinnes-Legien de 1918, mais elle ne se généralise, en RFA seulement, qu’après la Seconde Guerre mondiale. Dans toutes les grandes entreprises allemandes, le conseil de surveillance – il s’agit d’un organe non exécutif chargé de veiller au bon fonctionnement de l’entreprise – est composé à parité de représentants des salariés et des actionnaires. La cogestion est à la base du modèle allemand de gouvernance, qui associe étroitement les travailleurs et les syndicats à la vie de l’entreprise. Le schéma fait écho au document 3 : à partir des années 1950, le SPD et les syndicats allemands reconnaissent ouvertement le capitalisme, ils cherchent davantage à l’aménager qu’à le révolutionner. C’est ce qui explique que la négociation et le dialogue soient valorisés, contrairement au modèle français où le rapport de force s’exerce davantage dans la rue. • 68 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 4. L’extrême gauche a fait de la question féminine l’un de ses thèmes les plus forts. Dans ce discours, Helke Sander lie la libération féminine à la transformation des structures sociales. Selon elle, le modèle économico-social allemand repose sur une alliance entre capitalisme et patriarcat. Le seul moyen pour la femme de s’émanciper est l’accès à la vie publique et aux responsabilités politiques (« [Les femmes] ne peuvent accéder [à leur identité] que par la solidarité entre elles et la politisation »). Il s’agit de briser une tutelle qui passe notamment par l’éducation. Le but à poursuivre n’est rien moins qu’une révolution tant politique que sociale. 5. Pour des raisons non seulement liées à la Seconde Guerre mondiale mais aussi à la guerre froide et à la présence de troupes étrangères sur le sol allemand, l’antimilitarisme est très répandu en Allemagne. À gauche, il est traditionnel. Lorsque l’affiche est publiée, la crise des euromissiles en Europe fait rage, l’antimilitarisme est à son comble : il a poussé Helmut Schmidt à la démission en 1982. Dans ces circonstances, les femmes du SPD récusent toute participation à l’armée. L’affiche laisse entendre en outre que l’appel aux femmes pour de grandes causes (la famille, l’entreprise, la santé, la défense) les relègue toujours aux seconds rôles. Autant de raisons de récuser l’appel des femmes sous le drapeau. 6. Il peut être intéressant de souligner combien la question féminine a préoccupé les forces de gauche en Allemagne dès le début du XXe siècle. Montrer également que l’approche varie en fonction de la famille de gauche (SPD, SED, féministes). Enfin et que malgré tout, l’obtention de l’égalité est une lutte difficile dans laquelle les préjugés misogynes demeurent. it 2002 pour sa réélection sur un programme de « nouveau centre ». Afin de ne pas effaroucher une partie de ses électeurs, le SPD réaffirme son attachement à ses valeurs fondatrices. Ainsi, l’affiche met en avant que le « centre » dont se réclame Schröder et le SPD reste bien « rouge ». C’est la couleur du SPD depuis sa fondation ; elle rappelle le drapeau rouge des socialistes du XIXe siècle et le radicalisme qui s’y rattache. En Allemagne, chaque parti a sa couleur. Celles du drapeau allemand correspondent aux trois grands partis allemands ; noir pour la droite conservatrice (CDU-CSU), jaune pour la droite libérale (FDP) et rouge pour le SPD. L’affiche cherche à rassurer les électeurs de gauche : certes les réformes conduites par Schröder sont libérales, mais elles sont faites au service de la croissance et de la prospérité. e s s o B it e s s o B 4. Socialisme, syndicalisme, réforme sociale depuis 1990 � MANUEL, PAGES 122-123 Doc. 1. Un nouveau SPD (Affiche électorale du SPD pour les élections législatives de septembre 2002.) • Question. Ce document fait écho à l’affiche du chancelier Schröder située dans la double page d’ouverture. Après une première victoire en 1998, le chancelier SPD fait campagne en © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 2. Angela Merkel juge la politique de Gerhard Schröder • Question. Angela Merkel prononce ce discours au lendemain de sa victoire électorale contre le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder en novembre 2005. Elle rend un hommage appuyé à son prédécesseur d’une façon particulièrement embarrassante pour le SPD et les syndicats. Selon elle, le pays étouffe sous le poids de la bureaucratie – comprendre de la dépense publique – et les entreprises manquent de compétitivité en raison des salaires élevés. Or, il s’agit d’un constat que dressait déjà le gouvernement précédent et auquel il avait donné une réponse libérale, les lois Hartz. Merkel a beau jeu de tirer son chapeau à Schröder – « il a rendu de grands services à notre pays » – au lendemain d’une élection qui a mis le SPD en déroute. L’hommage de Merkel n’est pas seulement tactique : sur le fond, elle et le chancelier Schröder partageaient la même analyse des difficultés économiques du pays. Leurs mesures ont contribué à augmenter la compétitivité de l’Allemagne, à lui assurer d’importants excédents commerciaux tout en limitant fortement la consommation intérieure. Doc. 3. Contre les lois « Hartz » • Question. Les lois de flexibilisation du marché de l’emploi, connues sous le nom de lois « Hartz », ont été adoptées par le chancelier Schröder au lendemain de sa victoire électorale 69 • de 2002. Elles ont rencontré une forte hostilité au sein de son propre parti – Oskar Lafontaine, numéro 2 du parti, est allé fonder die Linke – ainsi que chez les syndicats et les autres composantes de la gauche allemande. Ainsi, le PDS, héritier du SED est-allemand, a organisé de nombreuses manifestations, essentiellement dans les Länder de l’ex-RDA où il était implanté, pour contester l’orientation libérale des lois défendues par le SPD. Cette photo témoigne de la permanence de deux courants à gauche : celui du SPD, réformiste et libéral, celui du PDS et de la majorité des syndicats alors, social et plus radical. Les premières années du XXIe siècle voient ainsi rejouer l’opposition qui avait divisé le mouvement social au début du XXe siècle. ◗ Étude it La semaine de travail au cœur des luttes sociales e s s � MANUEL, PAGES 124-125 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. L’affiche est à mettre en relation avec les accords Stinnes-Legien, qui ont prévu une durée légale de travail de 8 heures par jour fin 1918. L’affiche fête l’obtention d’une revendication syndicale ancienne. 2. Le Parti communiste (KPD) publie cette affiche en pleine crise. Il voit dans la baisse du temps de travail (7 heures par jour pour une semaine de quarante heures) la solution aux problèmes des ouvriers allemands. L’ouvrier allemand porte un drapeau soviétique. L’URSS est le point de mire du KPD. À l’époque, Staline se plaisait à affirmer qu’il n’y existait pas de chômage en Union soviétique. La révolution reste l’horizon indépassable du KPD. 3. En 1953, la production est-allemande stagne. Le régime décide alors d’augmenter la charge de travail de 10 % sans augmentation de salaire. Afin d’imposer cette idée, le régime use de la propagande (Commentaire du syndicat FDGB) en arguant qu’il s’agit d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs et non de baisser leur revenu horaire. Sans succès. 4. La révolte du 17 juin 1953 est paradoxale à double titre. D’abord, elle est menée par des ouvriers contre un régime censé les représenter et les protéger. En outre, alors que le pouvoir se targue d’être une « République démocratique », les manifestants réclament des élections libres, soulignant l’absence d’opposition et le caractère autoritaire du SED. La répression sanglante de la révolte par les chars de Moscou et l’armée est-allemande a témoigné du mépris du pouvoir communiste pour le peuple, donnant dramatiquement raison à ce dernier. 5. IG Metall pointe les limites du fordisme : il permet une hausse de la productivité, des salaires et du pouvoir d’achat, mais il se révèle « usant » pour les ouvriers. Aussi la revendication des 40 heures dans la sidérurgie apparaît pour le syndicat aussi importante que la hausse des salaires (qui est d’ailleurs régulièrement consentie à l’époque). La deuxième justification apportée par IG Metall renvoie à l’avènement de o B it e s s o B Doc. 4. Die Linke, un renouveau du socialisme allemand ? • Question. Après avoir été l’un des leaders du SPD, Oskar Lafontaine a quitté son parti pour fonder die Linke en 2005. Ce parti socialiste se situe à la gauche de la gauche. Lafontaine définit ce mouvement à partir de son identité : il s’agit, selon lui, d’un véritable mouvement ouvrier, qui reviendrait aux idéaux premiers du socialisme : que la politique prime l’économie, que le peuple contrôle l’économie plutôt que de la subir, puisque l’économie procède de choix (« s’il n’est pas possible d’empêcher l’installation du pouvoir économique, il faut le contrôler démocratiquement, sinon nous n’aurons pas de société démocratique ! »). Die Linke conteste donc le tournant libéral pris par le SPD tout autant que la mondialisation telle qu’elle fonctionne (d’où l’appel du pied aux altermondialistes). En ce sens, die Linke participe à une radicalisation des gauches qui a été commune à toute l’Europe au début du XXIe siècle. L’acceptation, tacite ou pas, de la mondialisation libérale par les partis sociaux-démocrates a suscité sur leur gauche une réaction critique qui a pris la forme de nouveaux mouvements, partis politiques (le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon en France, les Indignés aux États-Unis ou en Europe). La tension entre gauche pragmatique et gauche radicale continue de structurer le mouvement social depuis ses origines. • 70 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 la société de consommation et de loisir : le temps libre. 6. En RDA, le FDGB est aux ordres du pouvoir. Il ne défend pas tant les conditions de travail des ouvriers est-allemands que la prééminence du SED. En RFA, même proches du pouvoir (en 1966, une grande coalition gouverne, au sein de laquelle le social-démocrate Willy Brandt est vice-chancelier), les syndicats conservent leur puissance de revendication. À vrai dire, la grande différence entre les pays tient au fait qu’en RDA, le syndicat est une courroie de transmission du pouvoir tandis qu’en RFA, leurs interlocuteurs sont les entreprises, non le pouvoir. Société centralisée contre société libérale. 7. Au début du XXIe siècle, dans un contexte de faible croissance, de mondialisation et d’exacerbation de la concurrence, les syndicats ont accepté de revoir à la baisse les conditions de travail en Allemagne. Ainsi, la durée hebdomadaire du travail a augmenté sans contreparties salariales dans l’industrie ou la banque. En outre, la flexibilité a été introduite. Le but des syndicats est avant tout de préserver l’emploi en Allemagne et empêcher les délocalisations. 8. Il peut être commode de diviser en trois temps la réponse à cette question. La chronologie, les documents 1, 2 et 4 montrent que les conditions de travail ont été au centre des revendications des syndicats. Les documents 3 et 4 permettent d’opposer le fonctionnement des syndicats et leur rapport au pouvoirs politique et économique en RFA et RDA. Enfin, le document 5 et la chronologie mettent l’accent sur le caractère réversible des acquis relatifs au temps de travail. it 3. Il s’agit du KPD, le parti communiste. L’étoile à cinq branches représente l’unité des travailleurs des cinq continents. 4. Le rouge est la couleur de la gauche, le signe le plus évident de reconnaissance entre les révolutionnaires. 5. Le poing serré est aussi un des signes d’appartenance à la gauche. Signe surtout antifasciste, il s’oppose aux troupes du bras tendu. 6. Ces trois flèches sont au départ conçues pour barrer les croix gammées inscrites sur les murs. 7. En absence d’alliance de la gauche, le SPD n’obtient que 20,4 % des voix. Hitler remporte les élections bien qu’il perde 34 sièges. e s s o B it e s s o B BAC BLANC Sujet : Le socialisme en Allemagne à la fin du XIXe siècle Ce document permet d’aborder la naissance du socialisme à travers le témoignage d’August Bebel, une des figures majeures du mouvement. La loi de Bismarck qui voit dans le socialisme un danger révolutionnaire, permet de mettre hors la loi les militants. Bismarck fait prolonger ces lois anti-socialistes d’exception jusqu’à son retrait de la vie politique en 1890. Cependant, cette loi interdisait l’agitation militante sans toucher aux droits des parlementaires socialistes. Et comme l’explique l’auteur ces initiatives sont contre-productives. Elles renforcent la solidarité entre les ouvriers et le socialisme progresse clandestinement. ◗ BAC BLANC � MANUEL, PAGE 131 ◗ BAC BLANC • Composition Étude critique de document Étudier une affiche Sujet 1 : Le mouvement ouvrier en Allemagne depuis 1875. � MANUEL, PAGES 128-129 RÉPONSES AUX QUESTIONS Sujet : La gauche allemande au début des années 1930. 1. Il s’agit d’associer le chancelier à l’aristocratie et plus largement à la grande bourgeoisie. 2. La crise économique a favorisé l’émergence du parti nazi. Aux élections législatives de juillet 1932 il a déjà obtenu plus de 37 % des voix et est devenu le premier groupe parlementaire. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Un plan chronologique semble adapté pour mettre en valeur une périodisation nette. Afin de ne pas dépasser trois parties, on peut envisager de traiter la naissance et l’affirmation du mouvement ouvrier (1875-1918) dans une première partie, puis la période 1919-1945, de l’entredeux-guerres à la période nazie. Enfin, dans une troisième partie traiter la période qui court de 1945 à nos jours, la période communiste et division de l’Allemagne à son évolution après la chute du bloc Est. 71 • Sujet 2 : Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1945. • Proposition de plan : I. L’Allemagne communiste de 1945 à 1989. II. Le socialisme dans l’Allemagne libérale de 1945 à 1989. III. L’évolution des forces sociales dans l’Allemagne réunifiée depuis 1989. • Étude critique de documents e s s o B it e s s o B Sujet : Socialisme et condition féminine en Allemagne au XXe siècle. Ce sujet complète l’étude du manuel consacrée aux femmes dans les mouvements socialistes. • 72 it L’affiche 1 appelle les femmes à voter pour la première Assemblée nationale constituante, dite Assemblée de Weimar. C’est aussi pour elles le premier scrutin puisqu’elles ont obtenu le droit de vote la même année. Plus qu’une véritable volonté d’émancipation, cette affiche témoigne de l’apparition d’un tout nouveau électorat qu’il s’agit pour le SPD de conquérir. L’affiche 2, en revanche, va beaucoup plus loin puisqu’il ne s’agit pas d’affirmer l’égalité des droits, acquise en théorie, mais l’égalité sociale. En RDA, les mesures prises pour émanciper les femmes sont réelles, sur le modèle de celles prises en URSS. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Chapitre 5 it Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques depuis l’affaire Dreyfus � MANUEL, PAGES 132-157 ◗ Présentation de la question e s s La Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques 1871-1968, celles « qui sont en rapport direct avec la forme gouvernementale du pays remise par elles en question », à savoir l’affaire Dreyfus, le 6 février 1934, le 10 juillet 1940, mai 1958, avril 1961, mai 1968. • L’affaire Dreyfus, qui ouvre l’étude, permet de mettre en valeur le rôle de la presse, véritable acteur de la démocratie. Elle lance l’affaire et l’alimente. Son rôle est tel qu’elle se substitue en partie aux institutions républicaines défaillantes (justice, parlement). • L’étude du 6 février 1934 permet d’avoir un autre exemple du règne d’une presse qui, encadrée par la loi très libérale de 1881, connaît très peu de limites, et dont la violence va amener aux émeutes. • On a choisi de considérer l’ensemble de la période 1940-1944 comme une crise politique majeure. Cela permet d’étudier la guerre de l’opinion qui oppose la France libre à la France occupée et de Vichy. Si la presse joue encore un grand rôle, notamment à travers les titres clandestins, la guerre des ondes est un aspect nouveau : chaque camp a compris le profit qu’il pouvait tirer de la radio, et aussi le danger que celle-ci pouvait représenter entre les mains de l’ennemi. • Les crises de mai 1958 et avril 1961 permettent d’étudier l’usage qui est fait des médias pendant la guerre d’Algérie. On met l’accent sur la manière dont de Gaulle instrumentalise l’audiovisuel pour résoudre les crises. Cette grande crise politique engendrée par la guerre d’Algérie permet aussi de montrer comment la presse tente de résister à la pression étatique qu’elle subit pendant les guerres coloniales. • La crise de mai 1968 permet d’aborder à la fois la question du contrôle étatique sur l’ORTF et le rôle des radios périphériques et des médias contestataires nés pendant la révolte. Les acteurs o B it e s s o B • Ce chapitre s’inscrit dans le thème « idéologies, opinions et croyances en Europe et aux États-Unis de la fin du XIXe siècle à nos jours ». Il s’agit d’étudier l’interaction de l’opinion publique et des médias en prenant les crises politiques en France comme terrain d’observation. • Au XIXe siècle, l’avènement de la République et du suffrage universel a fait de l’opinion un acteur majeur de la vie politique. L’opinion publique est devenue une donnée essentielle pour des gouvernements soucieux de légitimer leur pouvoir et de satisfaire leur électorat. Parallèlement, les innovations techniques et l’essor du capitalisme ont provoqué un développement et une diversification des médias sans précédent dans l’histoire. Considérés comme reflet de l’opinion, mais aussi comme agissant sur elle, les médias intéressent l’État, qui cherche à les contrôler et à les encadrer, surtout en période de crise politique. Aujourd’hui, la généralisation des sondages et l’émergence de nouveaux médias comme Internet ont fait profondément évoluer la notion même d’opinion publique. • Il ne s’agit pas ici de traiter des instruments de communication dans leur ensemble, l’esprit du programme invite à définir les médias de manière très restrictive. Dans le manuel, il n’est donc question que des supports chargés d’offrir à leurs publics des représentations de l’actualité : la presse écrite, la radio, le cinéma (pour ses actualités), la télévision et Internet. • Dans la mesure où l’étude ne peut être exhaustive, le programme se concentre sur les moments clés de l’histoire de la France à l’époque contemporaine que sont les grandes crises politiques. Pour Michel Winock, les crises politiques sont « de grandes perturbations qui ont mis en danger le système de gouvernement républicain, qui ont exercé une véritable menace sur l’organisation des pouvoirs. » Il retient ainsi dans son ouvrage © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 73 • de ce mois de crise font de la liberté d’expression une revendication majeure. • Enfin, nous avons décidé d’intégrer la crise du 21 avril 2002 dans la réflexion. Cela permet de ne pas arrêter l’étude en 1968 et d’analyser deux éléments qui bouleversent les médias traditionnels et la notion d’opinion publique : l’arrivée d’Internet et l’utilisation massive des sondages dans la vie politique. On peut se demander si les médias restent représentatifs de Français dont le vote les a surpris. On peut aussi étudier la remise en cause des sondages, qui auraient échoué à prévoir les résultats du premier tour. Bref, cette crise permet de conclure en se demandant ce qu’il advient de la notion même d’opinion publique dans une société, où, avec les TIC, chacun peut se prétendre journaliste. • Une des difficultés majeures de ce chapitre est qu’il suppose des élèves qu’ils aient déjà des acquis solides pour comprendre toutes les crises politiques dont il est question. Le professeur n’a pas le temps de revenir sur chacune d’elles, la plupart sont supposées connues depuis la classe de première. D’autre part, bien qu’il ne s’agisse pas de faire une histoire des médias, le professeur ne peut faire l’économie d’un certain nombre de repères fondamentaux. Par exemple, il est essentiel que les élèves puissent situer l’apparition des médias audiovisuels, radio puis télévision, la manière dont ils prennent le dessus sur la presse et dont ils se libèrent peu à peu du contrôle gouvernemental. ◗ Bibliographie Ouvrages généraux sur l’opinion et les médias e s s o B it e s s o B C. Delporte, J.-Y. Mollier, J.-F. Sirinelli (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, PUF, coll. Quadrige, 2010. « L’opinion publique », TDC n° 941, octobre 2007. F. d’Almeida, C. Delporte, Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours, Flammarion, collection Champs Histoire, 2010 (rééd.). J.-N. Jeanneney (dir.), L’Écho du siècle. Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France, Hachette Littératures, 2001 (rééd.). E. Cazenave, C. Ulmann-Mauriat, Presse, radio et télévision en France de 1631 à nos jours, Hachette, 1995. • 74 it F. Barbier, C. Bertho Lavenir, Histoire des médias de Diderot à Internet, Armand Colin, 2009 (rééd.). C. Bellanger et al (dir.), Histoire générale de la presse française, PUF, 5 volumes, 1969-1976. C. Méadel, Histoire de la radio des années trente : du sans-filiste à l’auditeur, Anthropos, 1994. P. Laborie, « Opinion publique », in C. Delacroix et alii. (dir.), Historiographies, II. Concepts et débats, Gallimard, Folio histoire, 2010, pp. 803-813. P. Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas », Questions de sociologie, Éditions de minuit, 1984. Ouvrages sur les crises politiques M. Winock, La Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques 1871-1968, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 2009 (rééd.). D. Tartakowsky, Le Pouvoir est dans la rue : crises politiques et manifestations en France, Aubier, 1998. Ouvrages sur l’affaire Dreyfus P. Birnbaum, L’Affaire Dreyfus : la République en péril, Gallimard, coll. Découvertes, 1994. P. Boussel, L’Affaire Dreyfus et la presse, Armand Colin, coll. Kiosque, 1960. V. Duclert, Dreyfus est innocent ! Histoire d’une affaire d’État, Larousse, 2006. L. Blum, Souvenirs sur l’Affaire, coll. Folio Histoire, Gallimard, 1993. C. Charle, Le Siècle de la Presse (1830-1939), Éditions du Seuil, coll. L’Univers historique, 2004. A. Pagès, « J’accuse… Un cri pour la rue », (En ligne), Mis en ligne le 20 novembre 2007. Disponible sur : http://www.item.ens.fr/index. php?id=187360 Ouvrages sur le 6 février 1934 M. Chavardès, Une campagne de presse : la droite française et le 6 février 1934. Flammarion, coll. Questions d’histoire, 1970. S. Berstein, Le 6 février 1934, Gallimard, coll. « Archives », 1975. Ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale H. Eck (dir.), La Guerre des ondes. Histoire des radios de langue française pendant la Deuxième Guerre mondiale, Armand Colin, 1985. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 J. Pessis, Les Français parlent aux Français, Omnibus, 2 volumes, 2010-2011. A. Callu, P. Eveno, H. Joly (dir.), Culture et médias sous l’Occupation. Des entreprises dans la France de Vichy, CTHS Histoire, 2009. P. Laborie, L’Opinion française sous Vichy : les Français et la crise d’identité nationale, 19361944, Éditions du Seuil ; coll. Points histoire, 2001 (rééd.). Ouvrages sur la guerre d’Algérie et sur de Gaulle et les médias Mai 1968, affiches, Tchou, 1968. Ouvrages sur la crise du 21 avril 2002 C. Delporte, Images et politique en France au XXe siècle, Nouveau Monde Éditions, 2006. R. Cayrol et P. Delannoy, La Revanche de l’opinion : médias, sondages, Internet Éditions Jacob Duvernet, 2007. Sitographie e s s o B it e s s o B J.-N. Jeanneney, « Le Canard enchaîné se joue de la censure », L’Histoire n° 367, novembre 2011. M. Winock, « Ce qu’on savait vraiment », L’Histoire n° 292, novembre 2004. M. Ferro, L’Information en uniforme : propagande, désinformation, mensonges, Ramsay, 1991. Fondation Charles de Gaulle, De Gaulle et les médias, Fondation Charles de Gaulle / Plon, 1994. J. Bourdon, Histoire de la télévision sous de Gaulle, Anthropos-INA, 1990. Ouvrage sur mai 1968 it « De Gaulle et les médias », sur le site de la Fondation Charles de Gaulle : http://www. charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiersthematiques/1958-1970-la-ve-republique/degaulle-et-les-medias.php « Esprit(s) de mai 1968 », site de l’exposition de la BNF : http://expositions.bnf.fr/mai68/index.htm « Mai 1968 illustré », ensemble documentaire sur le site de Sciences Po : http://bibliotheque. sciences-po.fr/fr/produits/bibliographies/mai68 http://www.ina.fr/fresques/jalons/accueil : « Jalons pour l’histoire du temps présent », site pédagogique de l’INA. « Dreyfus réhabilité », sur le site de l’Assemblée nationale. Disponible sur : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/dreyfus/dreyfus-chrono.asp © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Plan du chapitre Les trois cours sont conçus de manière chronologique, en posant les jalons d’une histoire des médias et de l’opinion publique. Chaque cours est suivi de deux études présentant les crises politiques de la période considérée et les médias concernés. Le premier cours (1881-1939) est centré sur l’âge d’or de la presse écrite : le journal devient un objet central de la vie sociale et politique dans un cadre législatif très libéral. Les études sur l’affaire Dreyfus et le 6 février 1934 montrent le rôle majeur de la presse dans les crises politiques. Le deuxième cours (1939-1967) analyse la montée en puissance des médias audiovisuels et le contrôle que l’État exerce sur eux. Il est suivi par les études sur la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie. Le troisième cours (de 1968 à nous jours) traite d’une période marquée par la libéralisation des médias, l’apparition d’Internet et la démultiplication de l’offre médiatique. La manière d’apprécier l’opinion publique connaît elle aussi de fortes évolutions. Au début de la période, les journaux en sont le principal outil. Mais à la fin du siècle, les sondages finissent par s’identifier à la notion même d’opinion publique. Les études portent sur mai 1968 et avril 2002. 75 • it Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 132-133 Doc. 1. La presse au cœur de l’affaire Dreyfus (« L’âge du papier », dessin de Félix Vallotton paru dans Le Cri de Paris, n° 52, 23 janvier 1898.) e s s 1. Médias de masse et crises politiques (1881-1939) � MANUEL, PAGES 134-135 Doc. 1. Un ton nouveau dans la presse Le Canard enchaîné est un journal satirique fondé en 1915 par Maurice et Jeanne Maréchal et le dessinateur H.P. Gassier. Pour préserver son indépendance, il refuse toute publicité. Bien qu’il reprenne le titre d’un journal de tranchée, il n’en est pas un. Sa ligne éditoriale est claire dès le départ : il s’agit de dénoncer tous les scandales publics, et en tout premier lieu la censure. La une du premier numéro comprend d’ailleurs une bande dessinée, Pour faire un journal en 1915, dont l’héroïne est Madame Anastasie (nom donné à la censure). • Question 1. Le ton de cet éditorial est humoristique et nettement ironique. L’auteur utilise l’antiphrase (« Chacun sait que la presse française ne communique à ses lecteurs, depuis le début de la guerre, que des nouvelles implacablement vraies »), le comique « énorme » (contrat avec une agence de Berlin) et les jeux de mots (« par fil spécial barbelé »). • Question 2. Les fondateurs du Canard enchaîné y dénoncent la censure et le bourrage de crâne, en tentant de ne pas tomber eux aussi sous les ciseaux d’Anastasie. o B it e s s o B Le titre du journal, Le Cri de Paris, renvoie à la vente à la criée, les journaux étant encore vendus dans la rue par des vendeurs ambulants. Fondé en 1897, le journal est un complément hebdomadaire de la Revue Blanche, revue culturelle et artistique d’avant-garde, nettement dreyfusarde. Félix Vallotton (1865-1925) est un artiste d’avant-garde (membre du groupe des Nabis), qui contribue régulièrement à la Revue et au journal. Étranger en France (il est suisse, naturalisé français en 1900), il se tient généralement à l’écart de la politique (mais il est proche des intellectuels anarchistes). Le Cri de Paris vise un lectorat de classe moyenne moins cultivé que la Revue et bien que son bandeau rouge ne laisse aucune ambiguïté sur sa couleur politique, il évite tout sujet y ayant trait. Ce document permet de mettre en valeur le règne de la presse écrite à la fin du XIXe siècle. Le nombre de titres, le tirage, l’importance de son lectorat sont sans commune mesure avec l’époque actuelle. Pendant l’affaire Dreyfus, la presse est la seule source d’information des Français. Ce dessin est publié quelques jours après le « J’accuse » de Zola, qui est représenté au premier plan. Doc. 2. Le « choc du 21 avril » en direct à la télévision (Les écrans de télévision à 20 heures, le 21 avril 2002, soir du premier tour de l’élection présidentielle.) Ce document permet de mettre en valeur la domination de la télévision au début du XXIe siècle, au détriment de la presse papier qui a vu son lectorat diminuer considérablement. Il permet de montrer que c’est à travers ce média que l’immense majorité des Français a été tenue informée des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, vécu comme une crise de la démocratie. Le document montre aussi l’importance des sondages. • 76 Doc. 2. La presse et l’affaire Salengro (Une du Populaire, 19 novembre 1936.) Le quotidien Le Populaire est fondé en 1916 par Jean Longuet, petit fils de Karl Marx. Il devient l’organe officiel de la SFIO en 1921 – en remplacement de L’Humanité qui se rallie au PCF après le Congrès de Tours. Il est sous la direction de Léon Blum depuis 1927. • Question 1. La « feuille infâme » rendue responsable de la mort de Salengro est le journal d’extrême droite Gringoire, fondé par Horace de Carbuccia, gendre du préfet de police Chiappe. La campagne de diffamation menée contre Salengro l’accusait notamment de désertion pendant la Première Guerre mondiale. Ce déchaînement de haine, qu’alimente aussi L’Action française, provient notamment de son action © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 contre les ligues d’extrême droite alors qu’il est ministre de l’Intérieur du Front populaire. • Question 2. Le Populaire, dirigé par Léon Blum, président du Conseil mais aussi ami de Roger Salengro, est révolté par ce suicide et en rend l’extrême droite responsable. Salengro qui s’est tué par asphyxie dans sa cuisine a d’ailleurs étalé sur la table deux exemplaires de Gringoire avec deux lettres testamentaires, dont l’une, destinée à Léon Blum, est reproduite ici en une. Salengro accuse nommément cette presse lorsqu’il précise : « S’ils n’ont pu réussir à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort ». it trahi la France comme Judas a trahi le Christ (cf. l’expression « Judas Dreyfus » dans la légende). Il est coiffé d’un casque à pointe, emblème de l’Allemagne, pour renforcer l’accusation de trahison. La Libre Parole est un quotidien politique antisémite fondé en 1892 par Édouard Drumont, journaliste et député de 1892 à 1902. Cette une de journal montre que cette presse profite de l’affaire pour étayer une thèse rabâchée depuis longtemps, comme l’explique la légende. Les accusations ici se fondent sur un antijudaïsme chrétien très ancien. Le fait que le procès n’ait pas encore eu lieu ne dissuade pas la presse de désigner Dreyfus comme coupable. Les campagnes de presse antisémites influencent d’ailleurs fortement le Conseil de guerre qui ne veut pas qu’on lui reproche une éventuelle douceur envers les juifs. 2. En 1898 la presse antidreyfusarde est très largement majoritaire et le reste même après la grâce de Dreyfus. On observe cependant une augmentation du nombre de journaux en faveur de Dreyfus ou tout du moins en faveur de la révision de son procès, même si en termes de tirage ils restent très minoritaires. Cette réticence de la presse à changer de point de vue permet d’en déduire que l’opinion publique reste longtemps majoritairement antidreyfusarde. Entre l’hiver et l’été 1898, les titres favorables à la révision sont passés de 5 à 32 %. Le « J’accuse » et le procès de Zola en sont en grande partie la cause. Cependant, l’action de Zola ne peut pas tout : il est considéré comme un personnage sulfureux, on lui reproche de faire parler de lui par le scandale. 3. Ce journal paraît le 30 janvier 1898 quelques jours après la publication du « J’accuse » de Zola (13 janvier), qui a mis en cause l’armée après l’acquittement d’Esterhazy par le Conseil de guerre (11 janvier). Le Petit Journal est un quotidien d’information à très grand tirage qui se veut objectif et neutre. Il n’en est pas moins très antidreyfusard, même après le deuxième procès de Dreyfus en 1899. Cette presse est soumise aux lois du marché et les enjeux économiques sont pour elle énormes. Il s’agit de ne pas choquer le lectorat voire de le conforter dans ses préjugés. Cependant, l’attaque contre Dreyfus reste ici subtile. Elle passe par une simple glori- e s s o B it e s s o B Doc. 3. Tirage des 10 premiers quotidiens parisiens (novembre 1910) Ce document permet de mettre en valeur l’importance des tirages de l’époque et mérite d’être comparé aux chiffres de 2009 présentés dans le document 1 page 147. Le Petit Parisien, par exemple, fondé en 1876 par Louis Andrieux, député radical, atteint même les deux millions d’exemplaires à la fin de la Première Guerre mondiale, tirage le plus élevé du monde. Mais la puissance de la presse décline pendant l’entre-deux-guerres, notamment face à la concurrence naissante de la radio comme source d’information. Le Petit Parisien devient un organe de la propagande allemande pendant la Seconde Guerre mondiale et ne s’en relève pas à la Libération. Doc. 4. La presse et les milieux dirigeants L’Opinion est un journal fondé par le radical Paul Doumer en 1908, plusieurs fois ministre d’État et député, président de la Chambre puis du Sénat, et enfin de la République en 1931. • Question. C’est la presse d’information qui est ici visée. Paul Doumer lui reproche de se dire neutre, alors que ses collusions avec le monde politique et les milieux d’affaires sont nombreuses, comme le font voir les scandales qui émaillent l’entre-deux-guerres. ◗ Étude Le rôle de la presse dans l’affaire Dreyfus � MANUEL, PAGES 136-137 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. Dreyfus est présenté sur cette image comme un traître (le mot est inscrit sur son front) qui a © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 77 • fication de l’armée, quelques jours après qu’elle a été mise en cause. 4. La presse antidreyfusarde étant largement majoritaire, les dreyfusards ont une position difficile à tenir, et doivent en permanence se défendre contre des accusations fausses. Ils utilisent la presse pour faire connaître l’affaire et y avancer preuves et arguments. Zola prend le risque d’être poursuivi pour diffamation lorsqu’il publie « J’accuse » dans L’Aurore en janvier 1898. Son procès est relaté dans plusieurs journaux au jour le jour, ce qui permet aussi de médiatiser l’affaire. Jaurès recommence en publiant « Les preuves » dans La Petite République. Le document 4 montre que des journaux se créent pendant l’affaire dans l’unique but de contrer les organes antidreyfusards. Ils utilisent la caricature et l’humour. 5. La crise provoquée par l’affaire Dreyfus met en évidence le rôle nouveau de la presse dans la société et la vie politique sous la IIIe République. Les journaux sont les vecteurs privilégiés du scandale et de la mobilisation de l’opinion. L’affaire est tout d’abord montée par la presse, notamment par La Libre Parole. Alors que la nouvelle de l’inculpation est théoriquement secrète, elle paraît dans le journal dès le 1er novembre 1894. Le journal entame alors un feuilleton judiciaire dans lesquels d’autres journaux s’engouffrent. Mais la presse permet aussi de faire avancer la cause de Dreyfus. Le Matin, par exemple, en publiant le fac-similé du bordereau permet d’identifier le vrai coupable, et bien sûr L’Aurore en publiant le « J’accuse » de Zola fait véritablement éclater le scandale. Le numéro est tiré de manière exceptionnelle à 200 000 exemplaires. Certains organes de presse se créent uniquement dans le cadre de l’affaire. C’est le cas de Psst… ! hebdomadaire de quatre pages uniquement composé de caricatures lancé par Forain et Caran d’Ache en février 1898 pour lutter contre l’idée de révision. Ibels, ami personnel de Zola, réplique en fondant Le Sifflet sur le même modèle que le précédent quelques jours plus tard. Les dreyfusards multiplient aussi les campagnes de pétitions dans les milieux intellectuels et les publient dans les journaux. C’est à partir de cette année 1898 que la presse, autrefois presque unanime contre Dreyfus com- it mence à se diviser. Elle reste cependant largement antidreyfusarde, notamment parce qu’elle ne veut pas choquer son lectorat. Les journaux ne sont pas indépendants et leur fragilité économique ne les incite pas à prendre de risques. La presse sert ainsi à la mise en scène des deux camps. Devant l’incapacité du parlementarisme à résoudre la crise, elle devient une sorte de substitut à la démocratie directe. Entre journaux dreyfusards et antidreyfusards s’affrontent deux visions du monde politique, de la France et de la nation, du rôle des intellectuels et de la presse dans la démocratie. Les journalistes s’engagent et certains comme Clemenceau et Drumont vont jusqu’à se battre en duel. L’affaire mène aussi à une réflexion sur la nécessaire moralisation du métier de journaliste. Certains remettent en cause la loi de 1881 qui ne sanctionne pas vraiment la diffamation. D’autres lui reprochent la corruption par l’argent et la soumission aux affairistes. La création par Jaurès de L’Humanité en 1904 participe de cette volonté d’un journalisme respectant une plus grande déontologie. Le nouveau déchaînement de violence observé pendant les années 1930 dans la presse d’extrême droite montre cependant que ces principes sont encore loin d’être devenus la norme. 6. Le 13 janvier 1898, Émile Zola relance l’affaire en publiant dans L’Aurore une lettre à Félix Faure, président de la République : « J’accuse ». L’article de Zola fait progresser considérablement le tirage. Le 19 janvier 1898, Le Siècle publie les lettres de Dreyfus à son épouse. L’Aurore et Le Siècle accueillent aussi de nombreuses pétitions d’intellectuels en faveur de Dreyfus. Le 10 août 1898 commence dans La Petite République une série d’articles, « Les Preuves », dans laquelle Jaurès démontre les illégalités commises depuis 1894 dans l’affaire Dreyfus et son innocence. Il marque un tournant dans l’affaire. e s s o B it e s s o B • 78 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude Le 6 février 1934 et la presse d’opinion � MANUEL, PAGES 138-139 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. Le Canard enchaîné est un « journal satirique » comme le signale son sous-titre (cf. commentaire du document 1 page 135). Le titre en une, parmi les plus connus de l’hebdomadaire, suggère clairement que Stavisky a été assassiné. Sa mort permet de laisser dans l’ombre des complicités gênantes dans les milieux de la politique, de la police, de la presse et de la justice. Le dessin à droite suggère, lui, que le préfet de police Chiappe avait des relations amicales avec Stavisky et n’a pas fait tout ce qu’il pouvait pour l’arrêter. 2. L’Action française appelle ses lecteurs à manifester devant la Chambre des députés. Le journal, dirigé par Charles Maurras, est royaliste et veut la chute de la IIIe République. Le ton employé est insultant. Les députés et le gouvernement sont traités de « vendus », de « voleurs ». Rappelons que L’Action française tire à 40 000 exemplaires en décembre 1933, à 165 000 le 12 janvier 1934 et 186 000 le 28 janvier 1934. 3. Le Populaire (cf. commentaire du document 2 page 135) est un quotidien socialiste. Tandis qu’il voit dans la manifestation de la veille une tentative de coup d’État fasciste avorté, L’Action française n’y voit, elle, qu’une « révolte des honnêtes gens » étouffée délibérément par « la garde mobile » qui « a tiré sur la foule ». Le gouvernement, de voleur est devenu « assassin ». Le Populaire, lui, y voit un acte d’autodéfense, car ce sont pour lui les ligues qui ont « attaqué avec une sauvagerie inouïe le service d’ordre ». Les deux journaux ne s’accordent pas sur le nombre de victimes. 50 morts et des milliers de blessés pour L’Action française, 39 morts dont plusieurs membres des forces de l’ordre pour Le Populaire. Dans les deux cas le bilan est largement surévalué. Ces divergences s’expliquent par une opposition idéologique complète des deux quotidiens et un manque de recul par rapport aux événements de la veille. 4. Selon Léon Bonnevay, les journaux, leurs dirigeants et rédacteurs ont « surexcité jusqu’au paroxysme la foule » pendant plus d’un mois. Ils sont responsables des violences. Cette analyse it du président de l’enquête parlementaire est plutôt objective. On peut en effet affirmer que les événements du 6 février 1934 sont imputables à la campagne de presse de l’extrême droite. 5. Le rôle de la presse dans la crise du 6 février 1934 peut être analysé en trois temps : la révélation de l’affaire Stavisky, les appels à la violence de la presse d’extrême droite, les interprétations divergentes des événements. 6. Le 9 janvier 1934, L’Humanité titre « Le gouvernement se débarrasse de Stavisky en le faisant abattre à Chamonix ». Le 6 février 1934, le journal appelle aussi à la manifestation « Aux usines, aux chantiers, dans les gares, Manifestez ! ». Le journal réclame la dissolution des ligues fascistes et appelle les anciens combattants à se réunir au rond point des Champs Élysées. Le journal communiste rejoint Le Canard enchaîné et L’Action française dans leur analyse du scandale Stavisky et de la corruption du gouvernement. Il appelle aussi à se mobiliser, mais pour faire contrepoids aux ligues fascistes et donc aux lecteurs de L’Action française. L’Ouest-Éclair (quotidien régional républicain du matin) écrit le 9 janvier 1934 : « Découvert dans une villa à Chamonix, Stavisky se tire une balle dans la tête au moment où on allait l’arrêter ». Ce titre, qui ne remet pas en doute la version de la police, rappelle que la presse régionale reste, elle, largement acquise à la République et étrangère aux débordements parisiens. Ce point de vue se confirme le 8 février 1934 : « Après une nuit de sanglantes émeutes dans Paris où l’on compta de nombreux morts et blessés, le ministère Daladier décide de démissionner ». Le quotidien reste très factuel et ne prend pas position. Cette attitude est celle de la grande majorité de la presse régionale, restée très respectueuse du gouvernement. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 2. L’État et les débuts de la révolution audiovisuelle (1939-1967) � MANUEL, PAGES 140-141 Doc. 1. La presse clandestine de la Résistance (Une de Libération, 18 mai 1942.) En juin 1941, Emmanuel d’Astier crée le mouvement Libération-Sud. En juillet paraît le premier numéro du journal éponyme, un des titres clandestins les plus diffusés avec Combat. 79 • • Question. L’objectif de cette une est d’une part de donner des consignes à la Résistance intérieure et d’autre part de faire connaître et accepter le général de Gaulle comme le chef de celleci. La presse de la Résistance a donc un double rôle, militaire et politique. Doc. 2. L’Humanité après saisie administrative (7 mars 1961) Entre 1955 et 1960, L’Humanité est saisie 15 fois, et 6 fois en 1961. Le journal est d’autre part interdit en Algérie pour toute la durée de la guerre. Les raisons des saisies sont multiples. On reproche au quotidien la remise en cause de la guerre et de la mobilisation des rappelés ainsi que la dénonciation de la torture. Face à cela, les journalistes mettent au point des stratégies de contournement en publiant des numéros bis, comme celui-ci. Ces numéros se vendent moins bien mais permettent de signaler aux lecteurs les raisons de la saisie. Les journaux laissent alors des blancs à la place des articles censurés ou publient des éditoriaux de protestation. En une de ce numéro on pouvait lire des témoignages d’Algériens victimes de tortures ainsi que trois photographies dans lesquelles ils exposaient leurs blessures. • Question. Cette censure s’explique parce que le journal remet en cause la politique du gouvernement français dans la guerre d’Algérie et dénonce le comportement de certains militaires français. it importante : moins de la moitié des Français sont équipé des téléviseurs. e s s ◗ Étude La Seconde Guerre mondiale, une guerre des ondes � MANUEL, PAGES 142-143 RÉPONSES AUX QUESTIONS o B it e s s o B Doc. 3. Télévision et campagne électorale La mise en ballottage du général de Gaulle en 1965 est en partie attribuée à la place que prend la télévision dans la campagne électorale de cette première élection présidentielle au suffrage universel direct. De Gaulle n’a pas mesuré toute la puissance de ce média et n’utilise pas tout son temps d’antenne, alors que Jean Lecanuet, très télégénique, sait en faire un atout. On découvre l’influence de ce média sur le comportement politique des Français. • Question. Le candidat n’occupe que le tiers gauche de cette affiche. Les télévisions les deux autres tiers : c’est elle la véritable nouveauté de cette campagne. L’affiche est conçue comme une grille des programmes très précise pour aider le spectateur à s’y retrouver. Notons que la radio (bas de l’affiche) continue à occuper une place • 80 1. La radio est utilisée dans cette école parce que le régime de Vichy cherche à conquérir les jeunes esprits. L’écoute des discours de Pétain peut être imposée en classe. Radio Paris a aussi conçu des programmes destinés aux enfants. 2. Pour discréditer Pierre Dac, Philippe Henriot développe sans surprise un argumentaire antisémite et xénophobe. Très bon orateur, il n’hésite pas à faire des jeux de mots. Pierre Dac, humoriste de son métier, se défend en opposant le patriotisme de sa famille, notamment le sacrifice de son frère mort pour la France pendant la Première Guerre mondiale, à la trahison de Henriot, suppôt des Allemands. 3. Le général de Gaulle est reconnaissable à son uniforme de général et à sa grande taille. Le bas de son corps évoque les ondes de radio. Il est voûté et juste griffonné comme s’il n’existait qu’à peine. Il tourne le dos au lecteur, donc aux Français (tandis que Pétain, lui, leur fait face). La voix de Radio Londres s’exprime sous la contrainte de Churchill. Le dirigeant britannique, célèbre pour ses cigares, est représenté en John Bull (le personnage symbolisant l’Angleterre). De Gaulle semble se plier sans résistance à ses ordres, sous les coups de son gourdin. Le dessinateur veut le faire apparaître à la solde des Anglais, mais aussi lâche et faible. Ainsi, Radio Londres ne diffuse que « Rumeurs et prophéties » autant dire des mensonges et des bruits de couloirs inspirés par l’étranger. 4. Pour Vichy comme pour la France Libre, la radio est la voix de la France. Elle est un moyen de propagande pour l’un et de contre-propagande pour l’autre. Pour les deux, elle est un instrument essentiel de légitimation : Pétain et de Gaulle affirment en effet incarner la France, et chacun dénie à l’autre sa qualité de représentant légitime du pays. 5. Radio Londres aide la Résistance intérieure grâce aux messages personnels, qui donnent des © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 indications précieuses pour organiser les opérations. Ici, le message attendu prévient de l’arrivée de l’avion. 6. La « guerre des ondes » fait rage dès 1940. C’est à la radio que Pétain annonce l’armistice le 17 juin, et c’est bien sûr à la radio que de Gaulle réplique le lendemain pour lancer son appel de la BBC. De Londres, la radio permet d’organiser la résistance mais aussi de soutenir le moral des Français et de leur dire tout ce que la propagande et la censure de Vichy leur cachent. Il s’agit aussi pour elle de convaincre une opinion publique au départ majoritairement pétainiste. Même si l’écoute de la BBC ne fait pas de la majorité des Français des résistants, elle les a familiarisés avec des valeurs, des arguments et des modèles qui n’étaient pas ceux de Vichy. Vichy, de son côté, fait de la radio un instrument officiel de propagande. Le maréchal l’utilise pour s’adresser aux Français très régulièrement. Mais c’est Philippe Henriot, secrétaire d’État chargé de l’Information du régime de Vichy qui en est le meilleur symbole. Il tient une chronique biquotidienne sur tous les réseaux des deux zones. Orateur exceptionnel, son audience est énorme. 40 % de son temps d’antenne est consacré à dénoncer les « terroristes » maquisards et 20 % les « massacreurs anglo-saxons » qui bombardent les villes de France. Il est abattu par des résistants le 28 juin 1944. Les Allemands ne sont pas dupes du pouvoir de Radio Londres et tentent d’en brouiller les ondes. Un arsenal législatif pour punir les auditeurs est aussi mis en place mais doit être abandonné : même les fonctionnaires de Vichy écoutent Radio Londres pour se tenir informés. Les Allemands tentent aussi d’intoxiquer l’adversaire en créant des « radios noires », déguisant leur origine. Radio Humanité par exemple, qui émet dès février 1940, se prétend communiste mais est le fait des nazis. À partir de 1944, les Allemands provoquent des coupures de courant entre 20 heures et 21 heures, pour éviter que les messages personnels ne passent. Mais le « Berce mon cœur d’une langueur monotone » diffusé par la BBC le soir du 5 juin 1944 donne cependant le signal du débarquement. Enfin, le 20 août 1944, lorsque les FFI occupent les locaux de Radio Paris, ils lancent La it Marseillaise sur les ondes puis tous les quarts d’heure le message : « Français, l’heure de la Libération a sonné, Français, debout, tous au combat. ». e s s ◗ Étude De Gaulle et l’audiovisuel dans la crise algérienne � MANUEL, PAGES 144-145 o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. De Gaulle annonce qu’il met en œuvre l’article 16 de la Constitution, qui lui permet d’obtenir des pouvoirs exceptionnels. Pour donner plus de poids à sa déclaration, il a revêtu son uniforme de général. Cet uniforme rappelle le rôle qu’il a joué comme chef de la France Libre, et c’est aussi une manière de légitimer l’ordre de désobéissance qu’il adresse aux soldats. De Gaulle s’exprime au nom de la France et se présente à nouveau en sauveur. Il demande aux Français de l’aider. Il cherche ici à obtenir leur adhésion complète et n’hésite pas à être lyrique (« Françaises, Français ! Aidez-moi ! ») et à dramatiser la situation en évoquant le « malheur qui plane sur la patrie », « la menace pour la République ». 2. La radio était, avant l’apparition du transistor, un meuble encombrant qui obligeait à une écoute collective et fixe. Le transistor est petit et portable. Il peut être alimenté par piles et son coût le rend accessible au plus grand nombre. Il permet aux soldats d’écouter le discours du général de Gaulle et de suivre les événements partout où ils sont et en toute discrétion. C’est ce qui a permis aux soldats d’entendre l’appel du Président et de choisir de ne pas suivre les putschistes. Le transistor est devenu une arme politique. 3. Dès le 4 mai, Tim, caricaturiste de L’Express, met en valeur l’arme politique que représente le transistor. De Gaulle porte en écharpe cette radio portable. Elle est devenue un des attributs de son pouvoir de président, qui est d’ailleurs plutôt représenté comme un monarque ici. La légende « Président du gouvernement transistoire de la République française », avec le jeu de mots transitoire/transistor, est à nouveau une référence au rôle du général de Gaulle pendant la guerre (président du GPRF). 4. Alain Peyrefitte, ministre de l’Information d’avril 1962 à janvier 1966 (par intermittence) 81 • du gouvernement Pompidou, veut faire évoluer le statut de la radiotélévision vers « un statut correspondant à celui d’une démocratie en paix », c’est-à-dire probablement diminuer le contrôle gouvernemental et alléger la censure que fait peser la RTF. Mais, pour de Gaulle, la guerre n’est pas finie. Les accords d’Évian (mars 1962) ne signent pas la fin des violences, qui selon lui, vont s’exacerber dans les mois qui viennent. De Gaulle, au contraire, veut que la gauche, qui selon lui dirige la télévision, en soit écartée. Ce point de vue n’est pas celui de l’opinion publique, qui, sondée à l’automne 1963, trouve à 82 % que le JT est trop orienté par le gouvernement. 5. On peut montrer que de Gaulle utilise l’audiovisuel pendant la crise algérienne à la fois pour mobiliser l’opinion publique derrière lui et pour dissuader les soldats de suivre les généraux putschistes. 6. France Inter nous apprend que Radio Alger est aux mains des insurgés et que la situation est donc difficile à établir puisqu’elle est « la seule source ». Les correspondants d’agences ne peuvent se référer qu’à Radio Alger pour envoyer leurs dépêches. 7. Les journalistes préparent les auditeurs au discours que tiendra de Gaulle à 20 heures, en annonçant d’ores et déjà que le Président va appliquer les pouvoirs exceptionnels prévus par l’article 16 de la Constitution. Ils expliquent l’article en question et insistent sur le fait que de Gaulle respecte la légalité constitutionnelle et qu’il a bien consulté ceux qui devaient l’être. Ils reviennent sur l’ensemble du déroulé de la journée du Président dans les moindres détails. En effet, il ne faut pas que les Français s’inquiètent de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels qui viennent s’ajouter à l’état d’urgence décrété le matin même. it 1910. Seuls deux titres se sont maintenus tout au long du siècle : l’organe communiste L’Humanité et le journal catholique La Croix. La limite de cette comparaison tient au fait que le tableau de 1910 ne présente que les quotidiens parisiens. On peut aussi remarquer que la presse régionale se maintient bien mieux que la presse nationale au XXIe siècle. Ouest-France a remplacé L’OuestÉclair, fondé en 1899 et qui avait disparu en 1944 pour faits de collaboration mais n’avait jamais atteint les chiffres de son successeur. e s s o B it e s s o B 3. Libéralisation et multiplication des médias depuis 1968 � MANUEL, PAGES 146-147 Doc. 1. La presse écrite • Question. La comparaison des tirages de 1910 et de 2009 permet de montrer la chute importante du lectorat. Le tirage cumulé des trois principaux quotidiens nationaux généralistes en 2009 n’atteint même pas le tirage du seul Petit Parisien en • 82 Doc. 2. Les Français jugent leurs journalistes • Question. Ce document permet de mettre en valeur une méfiance forte des Français envers les journalistes. Les courbes, irrégulières, montrent que ce jugement est en grande partie dépendant de l’actualité immédiate. De manière générale, les Français se méfient davantage des collusions des journalistes avec le monde politique que de leur vénalité. On observe une méfiance renforcée vis-à-vis du pouvoir et des partis depuis 2008, avec un pic en 2010, où moins de 30 % des Français jugeaient que leurs journalistes en étaient indépendants. Les liens du président Nicolas Sarkozy avec de grands groupes médiatiques comme Lagardère ou Bouygues ne sont pas étrangers à cette opinion. Doc. 3. Les sondages mesurent-ils l’opinion ? • Question. Pour Pierre Bourdieu, les sondages ne sont que la « sommation additive d’opinions individuelles », ce qui ne forme pas une opinion publique. Les opinions publiques sont le fait de « rapports de forces » de « groupes constitués ». En situation de crise, ce n’est pas la somme d’opinions individuelles exprimées, même si elle se révèle majoritaire dans les sondages, qui va permettre d’en déduire quoi que ce soit du point de vue de l’action collective. D’autre part, le sondage « invente » l’opinion, en posant au sondé des questions auxquelles il n’aurait peut-être jamais pensé et qui sont souvent en dehors de sa compétence et de son savoir. C’est pourquoi cette « opinion sondagière » est un artefact, un phénomène artificiel. Doc. 4. « Couper le cordon ombilical entre le gouvernement et l’audiovisuel public » • Question. Jean-Noël Jeanneney considère la création de la Haute Autorité comme « un acte © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 de courage » de la part du gouvernement socialiste, car, en créant cette institution indépendante qui a pour but de garantir l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle, le pouvoir se dessaisit volontairement d’une arme politique majeure. C’est la première fois depuis leur création que la radio et la télévision ne sont plus au service de l’État. ◗ Étude e s s o B it e s s o B Mai 1968 : crise politique, crise des médias � MANUEL, PAGES 148-149 Réponses aux questions it particuliers (D’Almeida, Delporte, Histoire des médias en France). 4. Les journalistes de l’ORTF réclament « la liberté d’information et l’autonomie de l’ORTF », parce qu’ils ne veulent plus être les instruments de la censure mise en place par le gouvernement. Ils aspirent à faire leur métier librement. 5. L’ORTF est une des principales cibles de la révolte étudiante. Cependant ses salariés sont aussi des acteurs de mai 1968. Journalistes, réalisateurs, producteurs, personnels administratifs se mettent en grève dès le 13 mai pour dénoncer la censure dont ils sont victimes et réclamer de pouvoir couvrir correctement les événements. Seule une vingtaine de non grévistes assure encore un JT acquis au pouvoir. Les autres défilent en silence autour de la Maison de la radio, c’est « l’opération Jéricho ». En juin, les sanctions tombent : plusieurs émissions sont supprimées, plus de 60 journalistes licenciés. À la rentrée 1969 cependant, le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas les réintègre. (Jeanneney, L’écho du siècle) 6. Les rapports entre l’État et les médias sont tendus, car l’État contrôle l’audiovisuel public et cherche à empêcher les radios périphériques de contourner la censure. 7. Pendant la crise de mai-juin 1968, les médias sont fortement contestés, accusés d’être des outils de propagande aux mains du gouvernement. Mais ils sont aussi utilisés par les acteurs de la révolte, avec la création de journaux contestataires et la grève des personnels de l’ORTF. 1. Ces affiches dénoncent la censure et le contrôle gouvernemental sur les médias. Une seule vise la presse, qui jouit de davantage de liberté que l’audiovisuel. En effet, l’ORTF, principale cible des affiches, est considérée, à juste titre, comme présentant l’information de manière très favorable au pouvoir. 2. L’Enragé est un journal contestataire d’obédience anarchiste. C’est un journal révolutionnaire, qui se décrit comme une arme de combat. Il se veut très différent des autres titres de presse : il est distribué hors des circuits traditionnels et paraît de manière irrégulière. Il se vante de ne rien censurer, « rien n’est interdit », si les propos tenus ne sont pas de droite. 3. Les radios périphériques sont les seules à pouvoir se rendre sur le terrain, puisque l’ORTF est, lui, soumis à la censure. RTL et Europe n° 1 envoient des journalistes avec leurs micros dans la foule, parmi les étudiants, et permettent à toute la France de suivre les événements en direct. Leurs récits attirent au Quartier latin « quantité de gens qui sans cela seraient restés chez eux ». Mais ces radios ont un effet pervers, car elles permettent aux autorités d’être « alertées sur un incident ». La police écoute aussi la radio, qui lui permet d’être renseignée sur « les lignes adverses ». C’est pour cela que Maurice Grimaud est contre leur interdiction, mais aussi parce qu’il pense qu’il vaut mieux utiliser cet outil pour « calmer et rassurer les esprits ». Le pouvoir tente cependant d’empêcher les radios d’émettre sous prétexte qu’elles brouillent les fréquences des hôpitaux. Les journalistes, interdits de voitures et de motos émettrices, continuent leur travail grâce aux cabines téléphoniques et postes © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude La démocratie d’opinion et la crise du 21 avril 2002 � MANUEL, PAGES 150-151 Réponses aux questions 1. Les intentions de vote sont assez stables dans les sondages pour les candidats Chirac et Jospin, le premier oscillant autour de 20 % et le second autour de 18 %. En revanche, pour Le Pen, elles augmentent sensiblement pour finir à 14 % l’avant-veille du scrutin. Les résultats ont sousévalué son score et surévalué celui de Jospin. 2. Roland Cayrol explique que la courbe ascendante de Le Pen avait été prévue, et qu’elle « s’est logiquement poursuivie » dans les trois jours qui 83 • ont suivi l’arrêt des sondages le jeudi. D’autre part, il précise qu’aucun sondage ne peut prévoir les résultats « dans un tel mouchoir de poche ». Pour lui, la responsabilité de la surprise incombe aux médias, qui ont refusé d’anticiper cette possibilité, « tant on s’attendait depuis quatre ans, au match Chirac-Jospin ». 3. Libération est un quotidien national de gauche. Le journal marque son refus du candidat d’extrême droite et n’hésite pas à appeler clairement à voter Chirac. 4. La mobilisation sur Internet est le fait de simples citoyens, souvent jeunes. Ils prennent des initiatives individuelles comme la création de logos, de tracts ou de bannières qui sont destinés aux sites Web, mais aussi à être imprimés et distribués ou affichés. Le slogan « voter avec des gants » exprime la nécessité de voter pour le candidat Chirac afin de battre le candidat du Front National tout en montrant qu’il ne s’agit pas d’un vote d’adhésion au président sortant. Cette initiative n’a cependant pas de suite, car il est interdit par la loi d’exprimer par un signe distinctif son intention de vote. 5. Les journalistes du Monde constatent qu’Internet est devenu un « agitateur du débat politique ». Au delà des initiatives déjà citées, c’est surtout pour « relayer les actions des mouvements de contestation » qu’il joue un rôle. Cependant, il ne faut pas surestimer son importance pendant la crise de 2002. Le Monde remarque que certains sites n’ont pas reçu plus de « 500 visites ». Finalement, les médias traditionnels – tels que ce quotidien national – sont encore nécessaires pour médiatiser toutes ces initiatives. Le journalisme citoyen sur le Web reste un épiphénomène à l’époque. L’apparition des réseaux sociaux change la donne dans la décennie qui suit, en permettant une réelle autonomie des internautes, qui ne sont plus dépendants des anciens médias. 6. La crise du 21 avril 2002 est le symbole d’une scission entre l’opinion publique et les médias. Le Pen rassemble 16,9 % des électeurs, alors même qu’aucun média n’est lepéniste. Les journalistes n’ont pas été à l’écoute de tous les milieux. L’échec des médias dans cette crise est double : ils n’ont pas réussi à alerter l’opinion, mais ne l’ont pas représentée non plus (Roland Cayrol, La revanche de l’opinion). Le rôle de la presse a donc profondément évolué depuis it une crise comme celle de l’affaire Dreyfus, où l’extrême droite était largement représentée. Les médias, au lendemain du premier tour, prennent peur et se muent en militants antifascistes. Ce véritable divorce des médias et de la nation vient aussi de la place prise par les sondages dans la société. Ce sont à présent eux qui sont supposés rendre compte de l’opinion publique. Leur échec à prévoir les résultats est alors violemment reproché aux instituts de sondages, véritables boucs émissaires, qui eux-mêmes renvoient les médias à leurs responsabilités. Autre nouveauté de la crise : l’apparition d’Internet comme acteur de la vie politique. Pour la première fois, le Web est utilisé comme outil de campagne et chaque candidat crée son site. Entre les deux tours, le Web devient un instrument pour organiser la riposte, notamment par la création de visuels, qui rappellent la vague créatrice de mai 1968 (Delporte, Images et politique en France). Pour beaucoup de Webmasters, très jeunes, il s’agit de la première expérience d’engagement politique. Cependant il ne faut pas surestimer leur rôle (voir ci-dessus, réponse à la question 5). e s s o B it e s s o B • 84 ◗ BAC Étude critique de documents Confronter deux documents aux points de vue opposés � MANUEL, PAGES 154-155 réponses aux questions Sujet : Presse et opinion publique pendant l’affaire Dreyfus. 1. Zola est au sommet de sa gloire à cette époque. Les vingt volumes des Rougon-Macquart ont été publiés dans des dizaines de pays. Il s’adresse directement au président de la République Félix Faure. 2. L’article occupe une espace exceptionnel de deux pages (4 500 mots). Il est très long. Le titre du « J’accuse… ! » de Zola a été trouvé par Clemenceau. Le journal se vend à la criée et son titre original « Lettre à M. Félix Faure, président de la République », n’était pas assez « énergique » raconte Vaughan dans ses souvenirs. 3. Zola sait qu’il s’expose à des poursuites pour diffamation. Il en prend le risque car il souhaite utiliser son procès comme une tribune pour mé© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 diatiser et permettre un nouvel examen public de l’Affaire. 4. Psst… ! est créé par Forain et Caran d’Ache, parmi les plus talentueux caricaturistes de l’époque, le 5 février 1898, en réaction au « J’accuse… ! » sur lequel ils calquent leur titre, par dérision. Même la typographie (le titre est en minuscules) répond avec dédain aux majuscules arrogantes du titre de Zola. 5. Zola est accusé de servir le lobby juif, luimême à la solde des allemands. it 1944. Dans cette guerre totale le contrôle des esprits est un enjeu essentiel. Pour Hitler, mais également pour Vichy et la France Libre, la Seconde Guerre mondiale est donc aussi une bataille de l’opinion acharnée (suite de l’introduction page 156). e s s BAC BLANC • Composition Sujet 1 : La presse et l’opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus. o B it e s s o B BAC BLANC Sujet : La télévision et l’État pendant la crise algérienne en 1958. Le site Jalons pour l’histoire du temps présent propose une étude de l’extrait proposé à l’adresse suivante : http://www.ina.fr/fresques/jalons/fiche-media/ InaEdu00069/l-arrivee-au-pouvoir-de-charlesde-gaulle-en-1958.html L’extrait proposé dans le manuel, très court, permet de mettre en valeur le parti pris des médias. Le président René Coty « digne et courageux » s’en remet à de Gaulle, véritable sauveur de la France pour la deuxième fois. La référence à son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale est très explicite. Finalement, si les circonstances sont dramatiques, elles sont aussi présentées comme un chance, « un immense espoir », car elles permettent le retour du général au pouvoir. Les médias présentent aussi cet appel à de Gaulle comme une manifestation claire de la part des Européens mais aussi des « musulmans d’Algérie » de la volonté de rester Français, ce qui n’est rien moins que de l’aveuglement ou du mensonge. Les médias, en l’occurrence ici la RTF, sont donc clairement au service de l’État et de son point de vue sur les événements algériens. ◗ BAC • Composition Rédiger une introduction � MANUEL, PAGES 156-157 Sujet : Les médias et l’opinion publique de 1940 à 1944 en France. Lorsque les nazis occupent Paris en juin 1940, tous les médias, de la presse à l’audiovisuel passent sous leur contrôle, qui ne s’achèvera qu’à la Libération en © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Proposition de plan : I. L’âge d’or de la presse d’opinion (de l’affaire Dreyfus au 6 février 1934). II. Une presse concurrencée par de nouveaux médias mais qui continue à jouer un rôle majeur (Seconde Guerre mondiale et guerre d’Algérie). III. Déclin du lectorat et remise en cause de la presse comme reflet de l’opinion (mai 1968 et avril 2002). Sujet 2 : État et médias dans les grandes crises politiques en France au XXe siècle. Proposition de plan : I. Un État qui cherche à contrôler les médias et l’opinion lors des grandes crises politiques. II. Un État remis en cause par les médias lors de ces mêmes crises. • Étude critique de documents Sujet : Médias et opinion publique à la veille de la crise de mai-juin 1968. Grand journaliste politique, Pierre VianssonPonté, après avoir travaillé à l’AFP puis participé à la fondation de L’Express, est chef du service politique du Monde à la date où il écrit cet article devenu célèbre. Son titre est emprunté à Lamartine qui avait déjà employé la formule sous la monarchie de Juillet. L’étude des liens entre médias et opinion a différentes dimensions ici. Cet article permet d’étudier le rôle de la presse écrite, qui prend le pouls de l’opinion mais peut aussi l’avoir influencée. Il permet de surcroît d’interroger la place de la télévision dans la société, place que l’auteur considère comme importante (la télévision est citée quatre fois dans cet extrait) mais qu’il semble fortement déplorer (elle endort les Français, éteint leur conscience politique). Cet éditorial se veut le reflet de l’opinion de l’époque. D’abord, l’auteur met l’accent sur la 85 • jeunesse. Celle-ci, issue du baby-boom, compose plus d’un tiers des Français. Les étudiants sont particulièrement visibles : plus nombreux qu’ils n’ont jamais été et plus divers socialement qu’avant. Ils n’aspirent selon lui qu’à une libération sexuelle (les filles de Nanterre et d’Antony), qui est en effet une des revendications de mai 1968. Mais Viansson-Ponté évoque aussi les Français qui n’ont pas profité des Trente glorieuses « les chômeurs », les « petits paysans », les « vieillards ». Cette frange de la population est aussi un produit des transformations de la société, et, elle, n’a pas le loisir de s’ennuyer. Mais c’est à la télévision que cet article fait le plus souvent référence. L’auteur rappelle à l’envi que celle-ci est l’organe du gouvernement : on y répète que la France est enfin en paix, que le gouvernement est enfin stable. Il pointe aussi la it futilité des programmes proposés aux Français, qui sont faits « pour distraire » : tiercé, vie des personnalités, état du trafic. Viansson-Ponté semble déplorer cette soumission et le manque de politisation de la jeunesse. Ce qui fait en grande partie le retentissement de cet article est son côté presque prophétique. L’article publié deux mois avant les événements de mai 1968 acquiert un sens inattendu, comme si l’embrasement social et la crise politique qui suit étaient prévisibles, ou tout du moins explicables par le refus des étudiants de cet ennui mortel. En cela, l’éditorial du Monde peut être considéré comme un reflet de l’opinion publique de l’époque, et on peut se demander dans quelle mesure il n’a pas aidé à provoquer une prise de conscience de la jeunesse. e s s o B it e s s o B • 86 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Chapitre 6 it Religion et société aux États-Unis depuis les années 1890 e s s � MANUEL, PAGES 158-185 ◗ Présentation de la question cohabité dans l’aventure américaine. Il est évidemment impossible dans ce chapitre de revenir sur les nombreuses expériences politicoreligieuses des XVIIe et XVIIIe siècles (en évoquant par exemple les Quakers de Pennsylvanie ou de Rhode Island, république fondée sur la séparation de l’Église et de l’État). • La diversité religieuse a régné dès la fondation des colonies américaines, avec de multiples courants protestants, mais aussi des catholiques et des juifs. Cette diversité a conduit à proclamer la neutralité de l’État fédéral (Constitution de 1787 et premier amendement en 1791). Mais la laïcité est moins évidente au niveau des États fédérés, qui conservent une marge d’autonomie importante (jusqu’en 1947). L’immigration massive du XIXe siècle, qui renforce les religions non protestantes (juifs, catholiques), rend encore plus nécessaire la laïcité de l’État fédéral tout en créant une réaction de rejet chez certains protestants. Pour ces nativistes, le protestantisme est un élément clé de l’identité américaine, qui serait donc menacée par les autres religions issues de l’immigration. Récemment, c’est l’islam qui a focalisé l’attention, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain. • Une sorte de compromis entre l’esprit de religion et l’esprit de laïcité s’est peu à peu construit, qu’on appelle la « religion civile » américaine. Cette notion est théorisée à la fin des années 1960 par Robert N. Bellah, un spécialiste d’histoire comparée des religions. La séparation des Églises et de l’État n’empêche pas les Américains de « communier » dans un certain nombre de cérémonies et de rites, autour de leur Nation guidée par Dieu. Un Dieu qui ne s’identifie à aucune religion ou dénomination précise, mais qui est bien présent, y compris sur les billets de banque où s’affiche la devise adoptée dans les années 1950 (In God we trust). Cette o B it e s s o B • Dans le cadre d’une réflexion sur religion et société, le programme nous demande d’étudier les États-Unis de la fin du XIXe siècle à nos jours. Si le cas américain est très intéressant, il est cependant difficile de le considérer comme caractéristique. Au contraire, c’est la problématique de l’exception américaine qui s’impose : les États-Unis constituent le seul exemple d’une société occidentale qui échappe largement au processus de sécularisation. Les comparaisons avec d’autres pays peuvent être utiles (cf. doc. 2 page 162 du manuel), mais c’est pour faire apparaître la spécificité américaine. • Le temps imparti à cette question exclut de faire l’histoire des religions aux États-Unis sur plus d’un siècle. Il s’agit de faire comprendre aux élèves, d’une manière synthétique, comment la religion imprègne la société américaine. La difficulté est que cela suppose des connaissances minimales sur l’histoire américaine en général (les institutions fédérales, la question afro-américaine, l’immigration, etc). Certains aspects sont cependant connus des élèves, pour avoir été traités dans les programmes précédents (l’immigration en classe de seconde) ou parce qu’ils relèvent de leur culture générale (les États-Unis sont très présents à travers le cinéma, la télévision et la musique notamment). • L’histoire américaine est marquée dès l’origine par deux tendances largement contradictoires : – Un projet théocratique, qui cherche à faire du Nouveau Monde une communauté idéale, élue de Dieu et régie par la morale puritaine, la Cité de Dieu sur terre. – Un projet de liberté et de tolérance, porté par des protestants fuyant les persécutions religieuses et souvent inspiré ensuite par la philosophie des Lumières. « L’esprit de religion » et « l’esprit de laïcité » (Camille Froidevaux-Metterie) ont d’emblée © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 87 • problématique est difficile à comprendre pour des Français habitués à une définition extrêmement rigide de la laïcité, liée bien sûr à une histoire différente (la lutte des républicains contre la droite cléricale). Ce compromis, comme tous les compromis, est d’ailleurs susceptible d’évolutions et de contestations. Les conservateurs – fondamentalistes protestants, nativistes, bien implantés dans la Bible Belt – critiquent la laïcité, parce qu’ils estiment que l’Amérique est « naturellement » fondée sur les valeurs protestantes et l’identité WASP. Les progressistes – liberals, c’est-à-dire intellectuels de gauche, militants de l’ACLU (American Civil Liberties Union) – réclament une laïcité plus stricte (plus « française »). La limite entre la religion civile et le nativisme n’est pas toujours évidente à tracer. L’interprétation des textes peut varier selon l’orientation des juges de la Cour suprême. • On doit donc faire comprendre aux élèves l’originalité d’une société américaine marquée à la fois par l’identité protestante, une extrême diversité religieuse et la neutralité de l’État. Que le président des États-Unis ait coutume de prêter serment sur la Bible n’est pas contradictoire avec la laïcité de l’État fédéral, conçue comme respect de la diversité religieuse. Si la société américaine baigne dans la religiosité, les prières sont interdites dans les écoles publiques. Pour comprendre tout cela, il faut avoir quelques notions sur le protestantisme américain, un univers plutôt mal connu et exotique pour les Français. Il est bien sûr hors de question de faire une histoire détaillée de ses multiples courants et dénominations. L’important est de maîtriser la typologie utilisée aujourd’hui dans les statistiques de sociologie religieuse, qui répartit les protestants en trois catégories : les évangéliques, les mainline churches et les Églises noires. Il faut donc expliquer ce qu’est la mouvance évangélique, surtout implantée dans la Bible Belt et souvent proche du fondamentalisme sans s’y identifier totalement (il existe des évangéliques progressistes). Enfin, il faut évoquer le rôle essentiel des Églises dans l’identité afro-américaine (et même américaine tout court, puisque le gospel a largement dépassé la communauté noire) et dans la lutte des Noirs pour leur émancipation. Le principal leader noir, Martin Luther King, était un pasteur baptiste et l’islam n’a pas it réussi à détrôner les Églises protestantes comme porte-parole de la communauté afro-américaine. • La question doit être étudiée « depuis les années 1890 » : cette période n’est pas une césure marquante dans les relations entre religion et société aux États-Unis. La chronologie de l’ensemble du thème 2 s’est imposée à cette question, sans correspondre ici à un vrai tournant. e s s ◗ Bibliographie o B it e s s o B • 88 Ouvrages généraux C. Froidevaux-Metterie, Politique et religion aux États-Unis, La Découverte, coll. Repères, n° 529, 2009. [De loin le meilleur manuel, à partir d’une bonne bibliographie américaine.] I. Richet, La Religion aux États-Unis, PUF, coll. Que sais-je ?, 2001. D. Lacorne, De la religion en Amérique : essai d’histoire politique, Gallimard, coll. L’esprit de la cité, 2007. S. Fath, Dieu bénisse l’Amérique, la religion de la Maison-Blanche, Éditions du Seuil, 2004. Recueils de documents J.-P. Martin, La Religion aux États-Unis, Presses universitaires de Nancy, 1989. [Histoire thématique des États-Unis, un précieux recueil de documents en anglais.] É. Zoller, Les Grands Arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Dalloz, 2010. [Très utile pour les débats sur la laïcité, avec les textes traduits en français et commentés]. F. Robert, L’Histoire américaine à travers les présidents américains et leurs discours d’investiture (1789-2001), Ellipses, 2001. [Une anthologie commode des discours d’investiture, en anglais.] M. Luther King, « Je fais un rêve ». Les grands textes du pasteur noir, trad. Marc Saporta, Bayard, 2008 (rééd.). Ouvrages spécialisés G. Golding, Le Procès du singe. La Bible contre Darwin, Éditions Complexe, 2006 (rééd.). D. Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, PUF, coll. Quadrige, 2007 (rééd.). « Charles Darwin », Télérama, hors série, 2009. S. Fath, Militants de la Bible aux États-Unis. Évangéliques et fondamentalistes du Sud, Autrement, 2004. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 S. Fath, Billy Graham, pape protestant ?, Albin Michel, 2002. S. Fath, Dieu XXL, la révolution des megachurches, Autrement, 2008. R. Neher-Bernheim, Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël. Faits et documents, Éditions du Seuil, 2002. [Deux chapitres consacrés aux États-Unis, avec des documents traduits.] Sitographie e s s o B it e s s o B www.pewforum.org : site de The Pew Forum on Religion and Public Life (antenne du think tank américain The Pew Forum), qui fournit une riche documentation sur les religions aux États-Unis. www. thearda.com : site de l’ARDA (Association of Religion Data Archive). ◗ Plan du chapitre it constitue l’un des fondements de la société étatsunienne. On enchaîne avec l’étude « Science, religion et enseignement aux États-Unis » qui pose la question des rapports du protestantisme au monde moderne, à travers le cas du darwinisme. Puis l’étude « La religion et l’émancipation des Afro-Américains » permet de montrer le rôle central de la religion dans le combat politique des Noirs. Elle joue aussi un rôle central dans l’identité culturelle des Afro-américains, étudiée dans la double page Histoire des arts consacrée aux Negro spirituals et au gospel. Le deuxième cours présente le pluralisme religieux, à travers les grandes religions qui se sont implantées aux États-Unis : catholicisme, judaïsme et islam. L’étude « Immigration et tensions religieuses aux États-Unis » permet ensuite d’analyser les crispations engendrées par ce pluralisme, qui n’a jamais été idyllique. Le nativisme s’est en effet vivement opposé aux religions considérées comme des menaces pour une identité américaine qui serait fondée sur le protestantisme. Le troisième cours explique en quoi consiste le modèle original de laïcité qui caractérise les États-Unis. Ou comment concilier le fond protestant de l’identité américaine et le pluralisme religieux étudiés dans les deux premiers cours. L’étude « La séparation des Églises et de l’État en débat » montre ensuite que ce modèle est une synthèse assez instable, qui a évolué dans le temps et toujours suscité des contestations. Un plan chronologique est difficile à concevoir et il aurait impliqué de nombreuses redites. Il n’y a en effet pas de césures nettes qui permettraient de problématiser une évolution. Nous avons donc choisi une approche thématique, qui se déploie en trois grandes séquences (autour des trois cours). Au préalable, la double page Retour sur… permet de replacer le thème dans le temps long d’une histoire américaine que les élèves connaissent sans doute mal. Puis une carte permet de situer la réflexion dans l’espace des États-Unis. Le premier cours est consacré au protestantisme américain, qui est un monde à lui tout seul et qui © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 89 • it Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 158-159 Doc. 1. Une tradition chrétienne omniprésente (Photographie de la prestation de serment de Barack Obama, le 20 janvier 2009.) e s s sulmans (voile de la fillette, bonnet du garçon), brandissent un drapeau américain (étrangement tenu à l’envers) avec la célèbre formule God bless USA. Ce Dieu qui bénit l’Amérique peut bien s’appeler Allah pour les musulmans américains. Cette manifestation a lieu le 11 septembre 2010, pour soutenir le projet d’une mosquée/ centre culturel musulman à proximité de Ground Zero. On sait que ce projet rencontre de fortes oppositions (voir manuel page 175) et on peut faire réfléchir les élèves sur les conséquences des attentats du 11 septembre pour la communauté musulmane des États-Unis, et notamment de New York. o B it e s s o B Lors de la cérémonie d’investiture (Inauguration Day), le nouveau président des États-Unis prête serment devant le Chief Justice (président de la Cour suprême) : « Je jure solennellement que j’exercerai loyalement mes fonctions de président des États-Unis et que je préserverai, protégerai et défendrai la Constitution des ÉtatsUnis au mieux de mes capacités ». La prestation de serment a lieu à Washington, sur les marches du Capitole (siège du Congrès). Le fait de prêter serment sur la Bible est une coutume et en rien une obligation constitutionnelle. En 1825, John Quincy Adams, partisan d’une stricte laïcité, prêta serment sur un recueil de lois. En 1960, Kennedy a prêté serment sur une version catholique de la Bible. Barack Obama a prêté serment sur la Bible utilisée en 1861 par Lincoln, le président qui a aboli l’esclavage. Les députés et sénateurs sont aussi soumis à une prestation de serment : le premier à l’avoir fait sur le Coran est Keith Ellison en 2007 (cf. doc. 1 page 185 du manuel). Cette coutume de prêter serment sur la Bible est caractéristique de la laïcité à l’américaine. Cette photographie montre que la religion (la Bible), associée ici à la famille (l’épouse et les filles de Barack Obama), se mêle à la vie politique (le Capitole, l’entrée en fonctions du président) sans que cela ne choque personne. On peut d’emblée faire réfléchir les élèves sur la différence avec la France, qui a une définition différente de la laïcité. Doc. 2. Une société ouverte à toutes les religions (Photographie de deux enfants participant à une manifestation de soutien à la construction d’un centre culturel musulman à New York, 11 septembre 2010). Cette photographie montre bien le rôle croissant que joue l’islam dans la société américaine. Les deux enfants, aisément identifiables comme mu• 90 ◗ Carte Les religions aux États-Unis � MANUEL, PAGES 162-163 Il faut savoir que l’administration américaine (Bureau du Census) ne publie aucune statistique sur les religions. Tous les chiffres sont donc des estimations réalisées par divers instituts. Le document 1 est ainsi un sondage réalisé par le Pew Forum on Religion and Public Life sur un� échantillon d’adultes. 1. Le protestantisme américain � MANUEL, PAGES 164-165 Doc. 1. Les évangéliques (Une du magazine Time, 7 février 2005.) • Question. Cette une nous apprend que les évangéliques exercent une très grande influence aux États-Unis. Celle-ci s’exerce ouvertement, elle ne choque personne : il n’est pas question ici de dénoncer une influence occulte, mais de présenter une sorte de hit parade des « 25 évangéliques les plus influents en Amérique ». On reconnaît, occupant la partie droite de la croix, les photos de Billy Graham, le plus célèbre prédicateur évangélique (proche de tous les présidents américains depuis Eisenhower) et de son fils Franklin Graham. Cette couverture nous apprend aussi que l’influence des évangéliques est politique, qu’ils ont beaucoup compté dans l’élection de George © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 W. Bush (« Que leur doit Bush ? ») et qu’ils sont moins proches des démocrates (« Les démocrates ont-ils besoin de plus de religion ? »). On sait qu’il existe une aile « progressiste » dans la mouvance évangélique, qui a soutenu les présidents Carter puis Clinton, et que Barack Obama tente de séduire. Doc. 2. La religion au coin de la rue • Question. Cette église ressemble à une boutique, dont la vitrine a été remplacée par des vitraux représentant le Christ. À gauche de cette « église de devanture », on aperçoit une officine de prêt (« prêts gagés sur les manteaux de fourrure, les pardessus, les costumes ») et de gardemeubles. L’église est comme une « boutique de religion » offrant aux passants l’aide de Dieu… Doc. 3. Le fondamentalisme it soir qui permettent d’accéder à des emplois plus qualifiés). • Question 2. Cet évêque épiscopalien insiste sur « l’atmosphère américaine » qui a transformé l’immigré irlandais en capitaliste américain. Il entend par là l’ensemble des valeurs qui imprègnent la société des États-Unis, cette morale protestante de la réussite individuelle toujours possible grâce au travail et au talent. Baigné dans cette atmosphère, un Irlandais catholique, qui ne montre au départ « pas le moindre signe d’intelligence, de vivacité ou d’ambition » (!), est devenu un capitaliste prospère. L’histoire est particulièrement frappante, parce que son héros, l’Irlandais, est considéré a priori comme inassimilable ; la force de « l’atmosphère américaine » est d’autant plus remarquable. e s s o B it e s s o B • Question. L’auteur voit le monde qui l’entoure d’une manière très négative. Selon lui, la « civilisation chrétienne » est « en péril », les « agents du Diable » ont commencé leur « carrière de destruction ». Les changements qui affectent le société en ce début du XXe siècle sont donc condamnés par P. Mauro, dans une perspective paranoïaque et obsidionale. On peut souligner le style emphatique de l’auteur, qui multiplie les formules chocs et les citations bibliques. Il insiste sur trois aspects : – l’évolutionnisme scientifique, c’est-à-dire les théories de Darwin ; – la démocratie, présentée explicitement comme un mauvais régime, où le peuple choisit de mauvais dirigeants ; – l’enseignement, où, dans un système démocratique, le peuple est formé par de mauvais professeurs. Doc. 4. Morale et richesse • Question 1. La richesse est présentée par l’auteur comme un don de Dieu, la récompense d’un comportement moral (« c’est seulement l’homme moral qui devient riche. Nous croyons à l’harmonie du Monde créé par Dieu »). L’histoire de l’Irlandais vise à montrer qu’il est devenu riche « sans aucun piston », grâce à ses qualités (que l’on peut relever précisément dans le texte) : le travail, l’épargne (il ouvre un compte à la caisse d’épargne et épouse une femme économe), la volonté de progresser sans cesse (les cours du © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude Science, religion et enseignement aux États-Unis � MANUEL, PAGES 166-167 Réponses aux questions 1. Les anti-évolutionnistes reprochent à la théorie de Darwin de constituer « une attaque contre la Bible » (doc. 3), en contredisant le récit de la Genèse, de vouloir descendre « de ces hauteurs où Dieu a installé l’homme » (doc. 2) pour ramener l’humanité au rang des animaux. Et en remettant en question la Bible, le darwinisme menacerait la morale et tout l’ordre social : il faciliterait le « détachement vis-à-vis des valeurs morales traditionnelles » (doc. 3), il pousserait les enfants à « se moquer de la religion de leurs parents » (doc. 2). On voit bien ici que le fondamentalisme, fondé sur l’idée que la Bible est infaillible, considère toute distance vis-à-vis de celle-ci comme une révolte contre l’ordre divin. 2. Les anti-évolutionnistes s’opposent à l’enseignement des théories de Darwin de plusieurs manières. Ils ont constitué un lobby, un groupe de pression, l’Anti-evolution League (doc. 1), qui diffuse ses thèses en publiant des livres (comme ceux de Martin et Bryan). Le premier objectif de ce lobby à partir de 1919 est de « faire promulguer des lois interdisant l’enseignement de cette théorie dans les écoles publiques » (doc. 3). C’est tout l’objet du « procès du singe » en 1925, qui porte sur la loi Butler interdisant l’enseigne91 • ment du darwinisme dans les établissements publics du Tennessee. « Les parents peuvent quand même exiger que nul enseignant rémunéré par leurs impôts ne prive leurs enfants de la foi en Dieu » s’exclame Bryan, héraut de l’anti-évolutionnisme et procureur au procès (doc. 2). La loi Butler est restée en vigueur dans le Tennessee jusqu’en 1967 et c’est seulement en 1968 que la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle l’interdiction d’enseigner la théorie de l’évolution. L’anti-évolutionnisme a ensuite pris la forme du créationnisme, en se présentant comme une science et en réclamant d’être enseigné à égalité avec le darwinisme. « On commence à employer couramment le terme “créationnisme“ vers 1965 » note le document 3. La stratégie devient plus subtile : il ne s’agit plus de réclamer l’interdiction de l’enseignement du darwinisme, mais de prétendre le contredire sur son propre terrain, celui de la science. Mais, en 1987, la Cour suprême a jugé contraire à la Constitution l’obligation d’enseigner le créationnisme dans les écoles publiques. Le dernier avatar du créationnisme pseudoscienfitique est la théorie du « dessein intelligent » (intelligent design) qui attribue l’évolution des espèces à un plan divin. Les défenseurs de cette théorie ne demandent plus l’enseignement du créationnisme, mais la possibilité de « débattre » de la théorie de l’évolution. Un projet de loi en ce sens a été adopté en 2012 par l’État du Tennessee. 3. L’anti-évolutionnisme est particulièrement actif dans le Sud des États-Unis, puisque le procès du singe a lieu dans le Tennessee et que l’Arkansas, en 1981, a voulu mettre sur le même pied le darwinisme et le créationnisme (doc. 3). Cette implantation sudiste s’explique aisément : le Sud, surnommé la Bible Belt, est le bastion du protestantisme évangélique, où la sensibilité fondamentaliste est très présente. 4. Le singe est omniprésent dans les débats sur le darwinisme (cf. le nom de « procès du singe » donné au procès Scopes de 1925), et notamment dans les caricatures, parce qu’il semble résumer la théorie de l’évolution pour le grand public. Si l’homme n’a pas été créé par Dieu mais est le produit d’une évolution des espèces, alors l’homme « descend du singe », qui est l’espèce animale la plus proche. Pour les anti-évolutionnistes, Darwin ravale l’homme au niveau de it l’animalité (cf. doc. 2), de la bestialité. Le singe devient ainsi le père de Darrow, l’avocat favorable à l’évolution (doc. 4). On peut cependant rappeler que Darwin n’a jamais dit : « l’homme descend du singe ». La théorie de l’évolution attribue un ancêtre commun aux hommes et aux singes, ce qui est différent. 5. L’enseignement des théories de Darwin est en débat aux États-Unis depuis un siècle, parce que celles-ci entrent en contradiction avec la Genèse. Or la Bible est le fondement du protestantisme, majoritaire aux États-Unis, et elle est considérée comme infaillible par les fondamentalistes. Ceux-ci considèrent donc que le darwinisme est une menace contre la religion, la morale et l’ordre social. Ils luttent contre le darwinisme en tentant d’abord d’en interdire l’enseignement dans les établissements publics, puis de le contester sur son propre terrain scientifique avec le « créationnisme ». 6. Récemment, le fondamentalisme islamique a combattu la théorie de l’évolution. Ainsi, en 2007, L’Atlas de la création a été diffusé en France : il est signé par Harun Yahya, pseudonyme du prédicateur musulman turc Adnan Oktar, et prétend réfuter le darwinisme. On peut faire travailler les élèves sur les débats suscités par la diffusion de cet ouvrage en France et sur les liens qui peuvent exister entre les fondamentalistes évangéliques américains et les fondamentalistes musulmans. e s s o B it e s s o B • 92 ◗ Étude La religion et l’émancipation des Afro-Américains � MANUEL, PAGES 168-169 Réponses aux questions 1. Les objectifs du mouvement dirigé par King sont d’« éliminer les barrières de la ségrégation et de la discrimination » et d’obtenir « l’intégration complète [des Noirs] à la vie américaine » (doc. 2). Le « rêve » du pasteur King en 1963 est de faire régner la fraternité entre les Noirs et les Blancs aux États-Unis (doc. 1). L’égalité entre les hommes, considérés comme des frères, est bien sûr un principe de base du christianisme. Sur le plan juridique, cela implique que les Noirs puissent jouir de leurs droits civiques, et notamment du droit de vote. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Ces objectifs sont loin d’être atteints à cette date, puisqu’une ségrégation légale règne dans les États du Sud et que des discriminations sociales existent dans le reste des États-Unis, où les Noirs vivent dans des ghettos. 2. Pour faire avancer la cause des Noirs, King veut « stimuler une action des masses, directe et non violente » (doc. 2). Il s’agit de créer un mouvement de masse (réunissant les Noirs et les Blancs qui les soutiennent), faisant pression sur les autorités en utilisant les « techniques de la non-violence » (inspirées de celles employées en Inde par Gandhi contre le colonisateur britannique). On peut citer en exemple le boycott des bus de Montgomery lancé en décembre 1955 après que Rosa Parks a refusé de céder sa place à un Blanc comme le règlement l’exigeait. 3. King critique certains responsables religieux parce qu’ils se sont opposés au mouvement d’émancipation des Noirs ou parce qu’ils ne l’ont pas soutenu. Il vise les représentants blancs des grandes religions « dans le Sud » : catholiques (« les prêtres »), juifs (« les rabbins ») et protestants (« les pasteurs »). Il reproche à beaucoup d’entre eux de s’être accommodés de la ségrégation. Et il attribue le succès de l’islam dans la communauté noire à « l’échec des chrétiens qui n’ont pas su vivre en accord avec les préceptes du christianisme ; car il n’y a rien dans le christianisme ni dans la Bible qui justifie la ségrégation raciale » (doc. 2). 4. La Nation de l’Islam refuse « l’intégration » parce qu’elle la considère comme une « offre hypocrite » (doc. 3), une « tromperie [qui] a pour but d’empêcher les Noirs de réaliser que le moment historique de la séparation avec les Blancs de cette nation est arrivé ». Les Black Muslims pensent que le passif de l’esclavage et de la discrimination est trop lourd pour permettre une cohabitation égalitaire et harmonieuse entre les descendants des esclaves et les descendants des esclavagistes. L’intégration est vue comme une sorte de dernière ruse des Blancs pour empêcher la vraie émancipation des Noirs. Les leaders noirs qui prônent l’intégration sont considérés comme des alliés des Blancs, et le christianisme est discrédité pour avoir trop longtemps toléré l’esclavage. C’est pourquoi les Black Muslims prônent la « séparation » des communautés : ils réclament it le droit de « créer notre État ou territoire », et, en attendant, des mesures immédiates assurant l’égalité. La rupture avec la société blanche chrétienne passe par l’adoption de l’islam et « l’interdiction des mariages mixtes et du mélange des races ». 5. Cette photographie peut créer un choc dans l’opinion américaine. Cassius Clay est à cette date un boxeur déjà célèbre (champion olympique en 1960), qui aime se faire appeler « The Greatest ». Mais c’est Allah qui est désormais le plus grand si l’on en croit l’affiche collée sur le mur derrière le boxeur. Il a officiellement rejoint la Nation de l’Islam après avoir remporté le titre de champion du monde des poids lourds à Miami en février 1964, en battant Sonny Liston (cette photographie a été prise quelques jours avant le combat). La référence à l’islam, alliée à la pose martiale de ce boxeur charismatique, peut faire comprendre à l’opinion américaine que des changements se préparent dans la communauté noire. On sait que le sport était l’un des rares domaines (avec la musique) pouvant assurer la promotion sociale et médiatique des Noirs. Il peut donc être mis au service de la cause des Noirs. On peut penser aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, quand les deux athlètes afroaméricains vainqueurs du 200 mètres (Tommie Smith et John Carlos) levèrent un point ganté pour protester devant l’opinion mondiale contre la situation des Noirs aux États-Unis. 6. Le projet de King et celui de la Nation de l’Islam ont en commun leurs objectifs : abolir les discriminations, assurer l’égalité entre les Noirs et les Blancs aux États-Unis, émanciper et promouvoir sur tous les plans la communauté noire. Les deux projets diffèrent sur les moyens : King veut intégrer les Noirs dans la société américaine au nom d’une religion chrétienne commune ; la Nation de l’Islam veut séparer les Noirs des Blancs en créant une communauté musulmane noire sur un territoire autonome. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 93 • ◗ Histoire des Arts Negro spirituals et gospel : la musique religieuse afro-américaine e s s it � MANUEL, PAGES 170-171 Analyse des documents Analyser Interpréter 1. La source d’inspiration des negro spirituals et du gospel est la Bible, plutôt l’Ancien Testament pour les premiers et le Nouveau Testament (l’Évangile) pour le second, comme son nom l’indique. C’est typique du protestantisme, puisque celui-ci recentre la religion chrétienne sur la Bible, considérée comme la seule source de la vérité et que le croyant est invité à lire pour nourrir sa foi. 2. Ce chant évoque l’histoire de Moïse venu libérer les Hébreux installés en Égypte, qui ont été réduits en esclavage par le pharaon. Celui-ci finit par laisser partir les Hébreux (après que l’Égypte a été frappée par dix fléaux, non évoqués ici), puis lance son armée à leur poursuite. Dieu ouvre un passage aux Hébreux à travers la mer Rouge, puis celle-ci se referme et engloutit les Égyptiens. Moïse peut guider son peuple vers le Sinaï (où il reçoit les Tables de la Loi) puis vers la Terre promise… Cette histoire touche les Afro-Américains parce qu’ils peuvent s’identifier aux Hébreux. Les esclaves africains ont été déportés en Amérique et réduits en esclavage pour « peiner sur la terre étrangère », comme les Hébreux en Égypte. Ils ont été opprimés par les planteurs blancs, comme les Hébreux par le pharaon. Ils peuvent espérer être libérés de cette oppression, comme les Hébreux l’ont été par Moïse, guidé par Jéhovah. Le peuple persécuté deviendra le peuple élu et gagnera la Terre promise. En s’inspirant de l’histoire des Hébreux, la foi chrétienne peut ainsi entretenir l’espoir d’une émancipation des Afro-Américains. o B it e s s o B 3. Au-delà de sa dimension religieuse, le gospel est devenu un élément de la culture américaine. Il a en effet inspiré toute la musique populaire américaine, aussi bien celle des Noirs (soul) que celle des Blancs (rock ’n’roll), comme le montre le témoignage d’Elvis Presley (doc. 2b). Dans une société imprégnée par le protestantisme, et donc par la Bible, les thèmes du gospel sont familiers à tous. Et la communauté noire discriminée s’identifie immédiatement aux Hébreux persécutés ou aux premiers chrétiens opprimés : le gospel c’est pour elle la réalité quotidienne, comme le dit le romancier James Baldwin (doc. 2a). 2. Le pluralisme religieux � MANUEL, PAGES 172-173 Doc. 1. L’échec du premier candidat catholique à l’élection présidentielle • Question 1. L’échec d’Al Smith s’explique par l’hostilité des protestants, majoritaires dans l’électorat, au catholicisme. Celui-ci est considéré comme une sorte de corps étranger, de menace : « trop de gens s’effrayaient à l’idée […] que l’Église de Rome pourrait mettre la main sur les États-Unis s’il devenait président ». Ce « préjugé » contre les papistes est particulièrement fort, comme le dit Frances Perkins, dans les régions rurales du Sud et du Middle West, où le protestantisme domine (et où Smith est en plus perçu comme un homme de la ville). Même dans l’État de New York, où le catholicisme est bien implanté et dont Smith est le gouverneur, on ne souhaite pas l’élire à la présidence. • 94 • Question 2. Le texte permet de comprendre qu’en 1928, les protestants américains identifient un catholique à deux signes distinctifs : le signe de croix et le chapelet. En effet, les protestants ignorent ce geste de piété qu’est le signe de croix et cet objet de piété qu’est le chapelet (utilisé pour réciter des prières). On voit ici que la différence entre protestants et catholiques se marque dans les pratiques quotidiennes et que la majorité protestante ne veut pas voir « un homme dire son chapelet à la Maison-Blanche » selon la propre formule d’Al Smith. Doc. 2. Un juif de New York • Question. Cet immigrant juif appartient au milieu ouvrier des quartiers pauvres de New York. La fin du texte montre qu’il travaille « dans une boutique sale » pour un « patron » qualifié de « suceur de sang », ce qui laisse entrevoir des conditions de travail difficiles et des relations tendues © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 avec son employeur. Cet homme vit certainement dans le quartier juif du Lower East Side, où les immigrés logent dans des tenements (immeubles) et travaillent dans des ateliers de confection étriqués (surnommés sweatshops). Cet homme dit fréquenter des « gens progressistes » et lire des « journaux progressistes » : il est proche des milieux socialistes et syndicalistes. La religion représente pour lui le monde de son enfance, dont il est nostalgique. Il est né « dans un shtetl de Russie », c’est-à-dire dans une communauté juive de l’Empire russe (sans doute dans la Pologne ou la Lituanie d’aujourd’hui), où il a reçu une éducation religieuse. Arrivé à New York, il a rompu avec le judaïsme, sous l’influence des progressistes, et il est devenu un « libre-penseur ». Mais son identité juive n’a pas disparu et elle resurgit lors des fêtes. La nostalgie le ramène à la synagogue, ou parmi ses « compatriotes », il oublie la difficulté de la vie quotidienne. On voit bien ici comment la religion est un marqueur identitaire pour ces immigrants déracinés, même s’ils se proclament libres-penseurs. it Dearborn, ville emblématique de l’islam américain, l’émission veut montrer qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les valeurs musulmanes et les valeurs américaines. On peut demander aux élèves de chercher d’autres images emblématiques issues de cette émission, comme celles où l’on voit les joueurs d’une équipe de football américain faire la prière musulmane. e s s ◗ Étude o B it e s s o B Doc. 3. D’où viennent les musulmans vivant aux États-Unis ? • Question. La croissance de la communauté musulmane aux États-Unis s’explique de deux façons : – par un facteur endogène : l’implantation de l’islam dans la communauté afro-américaine ; – par un facteur exogène : l’immigration aux États-Unis de musulmans venant surtout du Moyen-Orient et d’Asie du Sud. Doc. 4. La vie des musulmans américains • Question. Cette émission de télé-réalité vise à faciliter l’intégration des musulmans dans la société américaine, en luttant contre les préjugés dont ils sont victimes. Le titre de l’émission est déjà tout un programme, puisqu’il affirme que l’ont peut être à la fois un musulman et un « bon Américain ». Le graphisme joue sur les couleurs américaines (rouge et bleu) et mélange les symboles musulman (croissant) et américain (étoile). Les deux personnages sont identifiables comme musulmans (le foulard pour la femme, la barbiche pour l’homme), mais offrent en même temps l’image rassurante du couple américain. En scénarisant la vie de cinq familles de © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Immigration et tensions religieuses aux États-Unis � MANUEL, PAGES 174-175 Réponses aux questions 1. Le catholicisme est vu par cette organisation comme une religion fondée sur « l’ignorance et le fanatisme » et une Église qui opprime ses fidèles en leur imposant « l’obéissance aveugle » (doc. 1). Les protestants américains sont très hostiles à la hiérarchie de « l’Église catholique romaine » et au « pouvoir du pape » et ils sont persuadés que les catholiques américains en sont prisonniers, qu’il faut les libérer de cet esclavage. 2. Cette organisation compte lutter contre le catholicisme en promouvant « les intérêts de tous les protestants » aux États-Unis et dans le monde et en s’efforçant de « briser le pouvoir du pape » (doc. 1). Concrètement, elle propose des mesures de boycott à l’encontre des catholiques aux États-Unis dans tous les domaines : – l’emploi : « ne jamais employer un catholique romain dans un emploi quelconque si je peux me procurer les services d’un protestant » ; – le financement des églises et institutions religieuses : « ne jamais aider à construire ou à entretenir […] une église catholique romaine ou toute institution relevant de leur secte » ; – la politique et l’administration : « ne pas approuver la nomination […] d’un catholique romain pour toute fonction à la discrétion du peuple américain et ne pas voter […] pour un catholique romain ». On sait que les Américains ne votent pas seulement pour élire les représentants politiques, ils élisent également les sénateurs et les grands électeurs du président, mais aussi des officiers de justice comme le shérif (au niveau du comté). 3. Cette photographie (doc. 2) nous apprend que dans les années 1920, le KKK n’est pas une 95 • organisation clandestine implantée seulement dans les anciens États esclavagistes du Sud. On voit ici les membres du Klan qui défilent au grand jour, à visage découvert, dans les rues de Washington (on aperçoit au fond le Capitole). Cette démonstration de force dans la capitale fédérale révèle la large implantation du KKK dans tous les États-Unis. 4. Ces dirigeants juifs considèrent la loi de 1924 comme discriminatoire parce qu’elle établit des quotas au sein de l’immigration européenne en fonction des « pays d’origine, mais aussi [de] l’origine raciale et [des] croyances religieuses » (doc. 3). La loi limite l’immigration à 2 % de chaque groupe « national » présent aux États-Unis en 1890. Le choix de cette année de référence n’est pas dû au hasard : à cette date, l’immigration originaire de l’Europe du Sud et de l’Est était encore faible. Autrement dit, la loi favorise « ceux qui viennent d’Europe du Nord et de l’Ouest », parce qu’ils « sont supposés être anglo-saxons, répondre à une mythique origine nordique et être majoritairement protestants ». Les immigrants proches du modèle WASP sont jugés plus faciles à intégrer. Inversement, « ceux qui viennent de l’Europe du Sud et de l’Est » sont considérés comme moins « assimilables » parce qu’ils « sont d’une origine raciale et d’une croyance religieuse différente ». Sont surtout visés ici les catholiques italiens et les juifs de l’Europe orientale. La loi, implicitement fondée sur la promotion d’un certain « modèle ethnicoreligieux » (WASP), crée donc des discriminations à l’intérieur de la société américaine. 5. L’islamophobie d’une partie de l’opinion américaine a pour fondements l’assimilation de l’islam au terrorisme islamiste et l’insistance sur certains aspects de la Charia. La combinaison de ces deux aspects fait que l’islam est souvent perçu comme une religion violente et arriérée, « une religion de haine et de guerre » selon Franklin Graham (doc. 4), fils du plus célèbre prédicateur évangélique. Les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont évidemment renforcé l’amalgame entre islam et terrorisme. Le projet de construction d’une mosquée près de Ground Zero a ensuite été perçu par une partie de l’opinion comme une véritable provocation. La photo des manifestants hostiles à ce projet (doc. 5) est significative : à côté d’un écriteau rappelant les attentats contre le World it Trade Center (à droite de l’image : « 9/11 Never Forget »), on voit surtout des pancartes où le mot Sharia est écrit en lettres de sang. La loi islamique est ainsi considérée en soi comme barbare et l’islam assimilé à la violence des terroristes. 6. Le nativisme fonde l’identité américaine sur le protestantisme : les « vrais » Américains sont pour lui des WASP. Il cherche donc à protéger l’Amérique de l’influence des autres religions, par divers moyens (propagande, manifestations, boycott, restriction de l’immigration). Au cours de l’histoire américaine, les nativistes ont d’abord combattu les catholiques irlandais ; puis les catholiques italiens et les juifs d’Europe orientale (immigration massive à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle) ; et plus récemment les musulmans (reprise de l’immigration à la fin du XXe siècle). e s s o B it e s s o B • 96 3. Un modèle original de laïcité � MANUEL, PAGES 176-177 Doc. 1. Une megachurch (Photographie de Willow Creek Church, à South Barrington dans la banlieue de Chicago.) • Question. Cette église ressemble à une immense salle de spectacle, avec des gradins couverts de fauteuils, une scène, des écrans géants. Si on ne savait pas qu’il s’agit d’un office religieux, on pourrait penser que le public assiste à un show musical. On peut en conclure que la religion aux États-Unis ne se distingue pas forcément des activités « profanes ». Les différentes Églises, en concurrence les unes avec les autres, n’hésitent pas à utiliser les méthodes modernes de marketing et de communication pour « séduire » les fidèles. Doc. 2. La compassion et la charité • Question. George Bush veut donner à la religion une nouvelle place dans le domaine social, en complément de l’action de l’État. « La compassion est l’affaire de la nation, et pas seulement du gouvernement » affirme le président nouvellement élu, qui laisse entendre que la législation doit prendre en compte le rôle des Églises dans la société. On notera qu’il ne fait pas seulement référence au christianisme, mais évoque la religion d’une manière générique (« l’église et la charité, la synagogue et la mosquée »). Pour les évangéliques conservateurs © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 it dont George Bush est proche, la séparation des Églises et de l’État n’empêche nullement celles-ci de bénéficier de fonds publics quand elles œuvrent dans le domaine social. Ce programme des Faith based and community initiatives s’inspire de Marvin Olasky, théoricien du « conservatisme compassionnel ». Dans son livre The Tragedy of American Compassion (1992), Olasky affirme que les organisations confessionnelles sont plus efficaces que l’État dans la lutte contre la pauvreté et que l’État doit leur déléguer une partie de l’action sociale. Ce programme de George Bush n’a pas vraiment été appliqué : il a été critiqué, y compris au sein du camp républicain, comme remettant trop en cause la laïcité. – le Veterans’Day, en l’honneur des anciens combattants (de la Première Guerre mondiale, puis de toutes les guerres). Il y a enfin le National Day of Prayer : institué de manière ponctuelle (en 1775, 1798, 1863), cette cérémonie était tombée en désuétude. Elle est rétablie en 1952, dans le contexte de la guerre froide, et contestée depuis par les défenseurs de la laïcité. Il s’agit d’une prière consensuelle, sans référence à une religion précise, pour le salut de la nation et de l’humanité. On voit ici comment la religion civile peut être considérée par certains comme contraire à la séparation des Églises et de l’État. Doc. 3. Le calendrier de la religion civile La devise « In God we trust » n’est pas jugée contraire à la laïcité par la plupart des Américains parce qu’elle ne fait référence à aucune religion ou dénomination particulière. La présence de cette devise sur les billets de banque, à côté du nom du pays (The United States of America) et des symboles de l’État fédéral (la Maison-Blanche ici, sur le billet de 20 dollars ; le Capitole sur le billet de 50 dollars) ne choque que les défenseurs les plus sourcilleux de laïcité. La grande majorité des Américains considèrent que leur pays a une « destinée manifeste » à accomplir et que chacun, quelle que soit sa religion, doit croire en Dieu pour qu’il bénisse l’Amérique (« God bless America », selon le titre d’une chanson écrite en 1918 et devenue une sorte d’hymne officieux des États-Unis). On imagine mal un billet de banque français portant ce genre de devise à côté de Marianne ou du palais de l’Élysée ! On peut ainsi facilement faire comprendre aux élèves la grande différence entre la France et les États-Unis dans la définition de la laïcité et les ambiguïtés de la « religion civile » américaine. e s s o B it e s s o B • Question. Ce calendrier permet d’analyser les différentes composantes de la religion civile américaine. On peut dresser une brève typologie des célébrations et commémorations. Il y a d’abord les événements fondateurs de la nation américaine, dans l’ordre chronologique de l’histoire des États-Unis : – Thanksgiving, qui rappelle la première récolte des « Pères fondateurs » (et les relations alors bonnes avec les Amérindiens) ; – la Fête de l’Indépendance, qui commémore la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, en rupture avec la métropole britannique ; – la Fête des Présidents, qui célèbre l’anniversaire de deux grands présidents (Washington, héros de l’Indépendance, et Lincoln, qui mit fin à l’esclavage) et plus généralement l’ensemble des présidents ; – le souvenir de Martin Luther King, leader du combat pour les droits civiques des AfroAméricains dans les années 1950 et 1960. Cette commémoration est une manière de mieux intégrer les Noirs dans la communauté américaine. Elle a été instaurée en 1983, mais certains États (sudistes) ont mis du temps à introduire ce jour férié dans leur législation. Elle est célébrée le 3e lundi de janvier, date proche de l’anniversaire de la naissance de Martin Luther King (le 15 janvier). Il y a ensuite les commémorations en l’honneur des Américains ayant combattu pour la patrie : – le Memorial Day, en l’honneur des Américains morts au combat (dans la guerre de Sécession, puis dans toutes les guerres) ; © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 4. Dieu et l’Amérique ◗ Étude La séparation des Églises et de l’État en débat � MANUEL, PAGES 178-179 Réponses aux questions 1. Selon la Cour suprême, le New Jersey ne viole pas le 1er amendement parce que celui-ci n’interdit pas « de dépenser des fonds publics pour payer le transport par bus des élèves des écoles privées, en application d’un programme général 97 • prévoyant le transport gratuit des élèves fréquentant des écoles publiques ou autres » (doc. 2). La neutralité de l’État est ici définie dans un sens très large : « le pouvoir étatique ne doit pas plus être utilisé pour gêner les religions que pour les favoriser ». Financer le transport des élèves des écoles publiques, mais pas celui des écoles privées pourrait revenir à pénaliser les catholiques, à gêner une partie des citoyens du New Jersey « dans le libre exercice de leur propre religion ». Le tribunal prend bien soin de préciser que sa décision vaut pour toutes les religions : « cet État ne peut exclure des catholiques, des luthériens, des musulmans, des baptistes, des juifs, des méthodistes, des athées, des presbytériens ou des adeptes d’une autre religion, des bénéfices de la législation sociale ». La liste comprend non seulement les catholiques, les grands courants protestants, les juifs et les musulmans, mais même les athées ou les « adeptes d’une autre religion » oubliée par le tribunal (hindouistes, bouddhistes, fidèles des NMR, etc). 2. L’État de New York a tenté de concilier la prière dans les écoles publiques avec la séparation des Églises et de l’État de deux manières : – en proposant une « prière neutre confessionnellement » (doc. 3), c’est-à-dire qui invoque Dieu d’une manière générale sans faire référence à une religion précise ; – en rendant la prière facultative : elle n’est pas obligatoire, « son observation par les élèves [est] volontaire ». 3. Pour faire appliquer le 1er amendement, l’État fédéral se heurte à deux obstacles : – D’abord au pouvoir des États fédérés, qui ont une large autonomie administrative et qui jusqu’en 1947 ont organisé comme ils l’entendaient leurs relations avec les Églises. L’arrêt Everson vs Board of Education of the Township of Ewing, en 1947, affirme clairement pour la première fois que le 1er amendement doit être appliqué par les États : « Le New Jersey ne peut pas, conformément à la clause d’établissement d’une religion du 1er amendement, contribuer au soutien d’une institution qui enseigne les principes et la foi d’une Église avec des fonds publics ». – Ensuite au caractère assez vague du 1er amendement, dont les deux clauses peuvent se prêter à des interprétations asses contradictoires. it C’est la combinaison de ces deux obstacles qui rend la tâche difficile. Ainsi, les États de la Bible Belt comme la Floride (doc. 4) mettent en avant la seconde clause (liberté d’exercice) pour légitimer la présence de la religion dans la sphère publique (comme ces Tables de la Loi à l’entrée du tribunal de district). Inversement, les militants de la laïcité, nombreux dans le NordEst (New Jersey pour le doc. 2, New York pour le doc. 3), font appel à la Cour suprême parce qu’ils estiment que la première clause (établissement d’une religion) n’est pas respectée dans leur État. 4. Barack Obama, dans ce discours qu’il prononce en 2006 en tant que sénateur (doc. 5), conçoit les rapports entre l’État et les religions d’une manière équilibrée. Il renvoie dos-à-dos les partisans d’une laïcité plus stricte (« l’embarras dans lequel toute trace de religiosité plonge certains progressistes ») et les adversaires de la séparation de l’Église et de l’État (certains conservateurs qui prônent le « sectarisme », c’est-à-dire une présence plus nette de la religion – protestante évangélique – dans l’espace public). Au fond, Barack Obama défend ici le modèle américain de la laïcité, qu’il explique au deux camps. À son propre camp, celui des « progressistes », c’est-à-dire des démocrates, Obama rappelle que « les Américains sont un peuple religieux » et que « nous avons besoin de chrétiens au Capitole, de juifs au Capitole, de musulmans au Capitole ». La religion doit aider à la résolution des grandes questions, qui doivent être posées « en termes moraux ». Au camp républicain, celui des « conservateurs », Obama rappelle « le rôle crucial que la séparation de l’Église et de l’État a joué en préservant non seulement notre démocratie, mais aussi la force de notre pratique religieuse ». La neutralité de l’État garantit la démocratie (en empêchant l’établissement d’une Église officielle), mais aussi la pratique religieuse (en protégeant l’exercice de toutes les religions) : on voit très bien ici comment le modèle américain de laïcité concilie neutralité de l’État et engagement religieux. 5. Ce que Barack Obama qualifie de « sectarisme », c’est donc la tendance de certains conservateurs à bafouer la neutralité de l’État au bénéfice de la religion. Il vise ici l’aile droite du parti républicain, proche des évangéliques fon- e s s o B it e s s o B • 98 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 damentalistes. Contre le « sectarisme », Obama rappelle que la société américaine est pluri-religieuse : « Nous ne sommes plus seulement une nation chrétienne ; nous sommes aussi une nation juive, une nation musulmane, une nation bouddhiste, une nation hindoue et une nation de non-croyants ». Ignorer ou remettre en cause cette diversité serait menacer la démocratie américaine. Obama pousse ensuite plus loin son argumentation contre les conservateurs, en expliquant que même s’il n’y avait que des chrétiens aux États-Unis et qu’on voulait enseigner le christianisme dans les écoles, il serait impossible de se mettre d’accord sur une version du christianisme. Obama fait mine de raisonner comme les fondamentalistes protestants, pour mieux ironiser sur le « sectarisme » : « Quels passages de l’Écriture devraient guider notre politique ? Le Lévitique, qui accepte l’esclavage et considère comme une abomination de manger des crustacés ? Le Deutéronome, qui recommande de lapider votre enfant s’il s’éloigne de la foi ? ». Contre les fondamentalistes, qui défendent « l’infaillibilité » de la Bible, Obama montre que celle-ci ne saurait guider la politique des États-Unis. L’État doit donc respecter la diversité des sensibilités religieuses (y compris au sein du christianisme). 6. À travers ces documents, on voit que la laïcité n’est pas toujours évidente à définir aux États-Unis, parce qu’elle est autant fondée sur la défense du pluralisme religieux que sur la neutralité de l’État. Il n’est pas facile de fixer le seuil au-delà duquel le pluralisme serait en danger. On le voit bien aux divisions entre les juges de la Cour suprême en 1947 (doc. 2). La majorité des juges a fini par donner raison à l’État du New Jersey en incluant les écoles privées dans la problématique du financement du transport des élèves, ce qui est contestable. La laïcité est d’autant plus difficile à faire respecter que ces différences d’interprétation se répercutent au niveau des États fédérés, qui jouissent d’une autonomie législative non négligeable. ◗ BAC Étude critique de document Étudier un texte littéraire e s s it � MANUEL, PAGES 182-183 RÉPONSES AUX QUESTIONS des encadrés Sujet : Religion et société dans le sud des États-Unis au XXe siècle. 1. Le courant méthodiste est le premier groupe protestant dans les années 1930. Il met l’accent sur la foi individuelle et la conversion. 2. Les esclaves affranchis ont eux-mêmes financé la construction de leur église. Cependant il semble que l’entretien en soit difficile pour des raisons financières. 3. Il s’agit d’un discours moralisateur et austère. 4. Ce puritanisme est en effet commun à toutes les Églises protestantes aux États-Unis. 5. La narratrice découvre des pratiques qui lui sont inconnues. Cet extrait ne retient pas qu’elle est aussi très impressionnée par les chants (gospels) qu’elle entend pour la première fois. 6. Cette quête, qui a pour but de soutenir une famille en difficulté, permet de mettre en valeur le rôle social joué par cette Église afro-américaine. o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 BAC BLANC Sujet : Religion et société aux États-Unis au début du XXe siècle. Cet extrait permet de mettre en valeur l’originalité d’un protestantisme très divers, dont les Églises sont en concurrence tout en se revendiquant toutes des mêmes Écritures. Il permet aussi de montrer le rôle social structurant qu’elles jouent dans la communauté. La vie mondaine et culturelle dépend des Églises. Le texte est très ironique, les quelques lignes qui précèdent l’extrait présenté ici sont mêmes provocatrices : « L’église et la maison close arrivèrent dans l’Ouest simultanément. Et chacune aurait été horrifiée de savoir qu’elle n’était qu’une facette des mêmes besoins. Car, en réalité, elles poursuivaient le même but : les chants, les rites, la poésie de l’église offraient à l’homme l’oubli de sa tristesse ; le bordel, lui offrait d’autres oublis. » Ensuite, à l’emplacement de la dernière coupe, Steinbeck fait apparaître une figure de pasteur très irrévérencieuse : « Lorsque le révérend Billing fut arrêté, on s’aperçut qu’il était 99 • voleur, adultère, libertin et zoophile, mais cela ne changeait rien au fait qu’il avait communiqué beaucoup de bonnes choses à un grand nombre de fidèles. On arrêta Billing, mais ce que l’on n’arrêta jamais, ce fut ce qu’il avait libéré. Et il importe peu qu’il ait obéi à des mobiles impurs. Son matériau était bon et ce qu’il construisit tient encore debout. Je ne cite le cas de Billing que comme un exemple extrême. » ◗ BAC BLANC it États-Unis depuis la fin du XXe siècle. Tous deux montrent un aspect de l’intégration des musulmans américains, dans l’armée ou la politique. Keith Ellison est né dans une famille catholique et s’est converti à l’islam à 19 ans. Il fait sensation en prêtant serment sur un Coran. Mais il est intéressant de noter que ce Coran est celui ayant appartenu à Thomas Jefferson. On retrouve là l’idée d’une religion civique. Cependant, il ne s’agit pas ici de sa prestation de serment officielle, qui se déroule en groupe et sans livre, mais d’une des traditionnelles cérémonies non officielles qui suit et pendant lesquelles sont prises les photos. Le député déclare : « J’ai mis ma main sur le livre qui est la base de ma foi, l’islam, et je pense que c’est une chose merveilleuse pour notre pays. Je veux envoyer un message aux Américains. Il ne faut pas avoir peur des différences religieuses. Mais maintenant que je l’ai fait, passons à autre chose. » Sa décision a provoqué une polémique, dénoncée par la droite conservatrice comme « un blasphème à la Constitution ». Certains ont appelé à voter une loi contraignant tous les élus à utiliser la Bible. L’appartenance de Keith Ellison pendant une période au groupe radical Nation of Islam, qui défend des thèses antisémites, a aussi alimenté la controverse et l’a mené à présenter des excuses publiques. Sur la photographie, il est accompagné de sa femme et de Nancy Pelosi, chef de file du Parti démocrate à la Chambre des représentants depuis 2002. e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGE 185 • Composition Sujet 1 : Les tensions religieuses aux ÉtatsUnis au XXe siècle. I. Immigration et pluralisme religieux sources de tensions depuis le début du XXe siècle (dont le nativisme). II. Un protestantisme qui se sent parfois menacé par la modernité (fondamentalisme). III. L’accroissement de la diversité religieuse (dont l’islam) à la fin du XXe siècle et apparition de nouvelles tensions. Sujet 2 : Le protestantisme dans la société américaine depuis les années 1890. Proposition de plan : I. Une religion dominante mais très diverse. II. Une religion face au défi du pluralisme religieux et de la modernité. • Étude critique de document Sujet : Religion et société aux États-Unis au début du XXIe siècle. Ces deux documents permettent d’étudier la diversification religieuse que connaissent les • 100 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Chapitre 7 it Les États-Unis et le monde depuis 1918 � MANUEL, PAGES 188-221 ◗ Présentation de la question • Le programme, dans le cadre d’une réflexion sur la puissance, demande d’étudier les relations entre les États-Unis (puis la Chine) et le monde depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Le temps imparti (environ 6 heures pour les ÉtatsUnis) exige un format synthétique : il s’agit ni de faire une histoire des États-Unis, ni une histoire des relations internationales. Il est même impossible d’étudier en détail la politique extérieure américaine au XXe siècle, qui fait l’objet d’une bibliographie immense. Le chapitre est donc centré sur la notion de puissance, tout en restant dans une démarche historique (il ne s’agit pas d’un cours de géopolitique). • Il faut envisager avec les élèves les différentes dimensions de la puissance que les États-Unis ont su conjuguer : politique, militaire, économique, culturelle. Les États-Unis ont été une puissance économique et culturelle (aux prémices de la Première Guerre mondiale) avant d’être une puissance politique. Cela s’explique par l’histoire particulière des États-Unis, qui se sont consacrés pendant plus d’un siècle à la conquête de leur territoire (la fin officielle de la « Frontière » est proclamée en 1890) et qui, après avoir rompu avec la métropole britannique, ont souhaité s’isoler du Vieux Continent. Les ÉtatsUnis ont mis du temps à s’assumer comme une puissance politique, à se doter d’une conscience et d’une doctrine de la puissance. Avant de se tourner vers l’extérieur, ils ont attiré les immigrants du monde entier, pour construire les bases (démographiques, économiques) de leur future puissance. Cette attractivité et cette capacité à faire rêver le monde entier (le rêve américain), à se donner en modèle de liberté et de modernité, ont fait très tôt des États-Unis une puissance culturelle. Il n’est pas étonnant que le soft power ait été théorisé par un Américain, Joseph Nye. • Il faut aussi envisager les théâtres d’affirmation, les échelles de la puissance. Une puissance e s s mondiale est d’abord généralement une puissance régionale. Les États-Unis ont commencé par affirmer leur puissance sur le continent américain. La doctrine Monroe, formulée dès 1823, entend laisser « l’Amérique aux Américains » et éliminer les puissances européennes de « l’hémisphère occidental ». À cette date, les ÉtatsUnis n’ont d’ailleurs pas les moyens de rivaliser en Amérique latine avec les puissances européennes comme la Russie (présente en Alaska) et surtout le Royaume-Uni (très présent sur le plan économique). Les États-Unis ont mis du temps à rendre effective la doctrine Monroe. Il faut souligner l’ambiguïté de celle-ci et de la terminologie qui la sous-tend : « l’Amérique aux Américains » peut se comprendre aussi bien comme un manifeste panaméricain que comme une affirmation du leadership des États-Unis sur le continent. L’autre volet de la doctrine Monroe, c’est la non-ingérence des États-Unis dans les affaires européennes. C’est la base de ce qu’on appelle « l’isolationnisme américain » ; il faut bien faire comprendre aux élèves que cet isolationnisme est relatif à double titre : parce que les États-Unis sont une puissance régionale très active dans le continent américain ; et parce que la non-ingérence politique n’exclut nullement des relations économiques avec l’Europe. • Il faut enfin envisager les grandes étapes de l’affirmation de la puissance américaine. Un plan chronologique est de ce point de vue quasiment inévitable, tant la période est marquée par de nettes évolutions. • La date de 1918, avec les 14 points de Wilson, marque une rupture franche avec la période précédente : les États-Unis sont entrés en guerre en 1917 aux côtés de la France et du Royaume-Uni, en contradiction avec la doctrine Monroe ; et ils se sont érigés en organisateurs de la paix, proposant au monde de rebâtir les relations internationales sur de nouveaux principes. La « Destinée manifeste » des États-Unis change de sens : il ne s’agit plus d’apporter la liberté et la civili- o B it e s s o B • 102 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 sation au continent américain seulement, mais au monde entier. Toutefois le Sénat américain ne suit pas le président Wilson, en refusant de ratifier le traité de Versailles et donc de faire entrer les États-Unis dans la SDN. L’Amérique ne s’assume pas encore vraiment comme une puissance politique mondiale. La nouvelle doctrine interventionniste se heurte à une opinion américaine encore très isolationniste. • Il faut attendre Roosevelt et la Seconde Guerre mondiale pour que le pas soit définitivement franchi. L’effort de guerre fait des États-Unis une grande puissance économique et aussi militaire pour la première fois de leur histoire. L’après-guerre est décisif, puisque cette fois-ci les États-Unis participent à l’ONU et s’engagent dans la reconstruction du monde. La guerre froide renforce cet engagement américain, même si elle en change le sens : les États-Unis ne seront pas le modèle du monde, mais le leader du « monde libre » face au communisme. La guerre froide correspond à l’apogée de la puissance américaine face au repoussoir qu’est l’autre superpuissance, l’URSS. Surveillant leur chasse gardée latino-américaine, ils nouent des liens privilégiés avec l’Europe occidentale. Ils sont également la première puissance militaire en Asie orientale et au Moyen-Orient. • La fin de la guerre froide ouvre une période d’incertitudes, voire de désillusions. Les ÉtatsUnis, vainqueurs de la confrontation Est-Ouest, apparaissent d’abord comme une « hyperpuissance » capable de fonder un « nouvel ordre mondial ». Mais ce projet se heurte rapidement aux réalités d’un monde où se multiplient les nouvelles formes de conflictualité. Les États-Unis ne peuvent être les seuls gendarmes du monde, d’autant que leur économie est de plus en plus concurrencée par d’autres puissances. Les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain révèlent la vulnérabilité de la première puissance mondiale aux nouveaux risques comme le terrorisme. Cela conduit les États-Unis, sous la direction de George W. Bush, à adopter une stratégie d’unilatéralisme qui avive les critiques à leur encontre, y compris parmi leurs alliés lors de l’intervention en Irak en 2003. Depuis 2009, Barack Obama a amorcé un retour vers le multilatéralisme, tout en affirmant que les États-Unis conserveraient leur leadership mondial. ◗ Bibliographie e s s it la politique extérieure des États-Unis D. Artaud, La Fin de l’innocence, les États-Unis de Wilson à Reagan, Armand Colin, 1985. Y.-H. Nouailhat, Les États-Unis et le monde au XXe siècle, Armand Colin, 2e édition, 2000. P. Mélandri et J. Vaïsse, L’Empire du Milieu : Les États-Unis et le monde depuis la fin de la guerre froide, Odile Jacob, 2001. P. Hassner et J. Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une superpuissance, CERI/ Autrement, 2003. M. Lefebvre, La Politique étrangère américaine, PUF, coll. Que sais-je ?, n° 3714, 2e édition, 2008. P. Mélandri et S. Ricard (dir.), Les États-Unis entre uni- et multilatéralisme. De Woodrow Wilson à George W. Bush, L’Harmattan, 2008. o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Revues « La puissance américaine », Questions internationales n° 3, septembre-octobre 2003. « Les défis de la présidence Obama », Questions internationales n° 39, septembre-octobre 2009. « Géopolitique des États-Unis. La fin de l’empire américain ? », Diplomatie, Les grands dossiers n° 3, juin-juillet 2011. Instruments de travail G. Dorel, Atlas de l’empire américain, Autrement, 2006. P. Sicard, Chronologie des États-Unis, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 2011. P. Milza, Les Relations internationales de 1918 à 1939, Armand Colin, coll. Cursus, 1995. M. Vaïsse, Les Relations internationales depuis 1945, Amand Colin, coll. U, 12e édition, 2011. « Atlas des Amériques », L’Histoire n° 376, mai 2012. Recueils de documents F. Robert, L’Histoire américaine à travers les présidents américains et leurs discours d’investiture (1789-2001), Ellipses, 2001. Histoire documentaire des États-Unis, dirigée par J.-M. Bonnet et B. Vincent, Presses Universitaires de Nancy : Tome 6 : Y.-H. Nouailhat, L’Amérique, puissance mondiale (1897-1929), 1987. Tome 7 : C. Fohlen, De la crise à la victoire (1929-1945), 1988. 103 • Tome 8 : M.-F. Toinet, L’Amérique triomphante (1945-1960), 1994. Tome 9 : C.-J. Bertrand, Les Années soixante (1961-1974), 1989. Tome 10 : P. Mélandri, La Crise d’identité (1974-1988), 1992. Sitographie Sites des think tanks traitant de la politique étrangère américaine : http://www.brookings.edu/about/programs/ foreign-policy : Foreign Policies Studies/ Brookings Institution. http://www.cfr.org : Council on Foreign Relations. http://www.ceip.org : Carnegie Endowment for International Peace. ◗ Plan du chapitre e s s o B it e s s o B Les leçons sont organisées selon un plan chronologique, qui semble incontournable. L’articulation avec les études est assez souple, puisque beaucoup d’entre elles sont transversales et couvrent toute la période. La double page Retour Sur… permet de revenir sur les moments-clés de l’émergence de puissance américaine jusqu’en 1918. On y trouvera aussi un lexique et un organigramme des acteurs de la politique extérieure des États-Unis. Une première étude, consacrée au « rêve américain », permet de cerner une dimension essen- • 104 it tielle de la puissance américaine : le soft power. Le premier cours montre qu’entre 1918 et 1932 les États-Unis assument encore mal leur rôle mondial. Il est complété par une étude sur le rapport ambigu des Européens à la modernité américaine dans la même période. Le deuxième cours explique comment les ÉtatsUnis se sont convertis à l’interventionnisme entre 1933 et 1946, une période décisive marquée par la présidence de Franklin D. Roosevelt et la Seconde Guerre mondiale. Une double page de cartes et le troisième cours sont centrés sur la guerre froide, qui a fait des États-Unis une superpuissance. Une étude analyse ensuite la perception de cette superpuissance par les Européens au début de la guerre froide. Et une double page Histoire des Arts, consacrée au portrait de Marilyn Monroe par Andy Warhol, traite du rayonnement culturel des États-Unis dans les années 1960. Le quatrième cours traite de l’après guerre froide, qui a vu les États-Unis passer du statut d’hyperpuissance à un déclin relatif. Suivent deux études portant sur toute la période et centrées sur deux dimensions de la puissance : la dimension régionale (rapport avec l’Amérique latine) et la dimension militaire. Le chapitre se termine avec une carte qui offre une vision synthétique de la puissance américaine au début du XXIe siècle. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 it Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre e s s ◗ Étude � MANUEL PAGES 188-189 Le rapprochement de ces deux photographies marines permet de mettre en valeur deux aspects majeurs de la puissance américaine. Le rêve américain � MANUEL, PAGES 192-193 Réponses aux questions o B it e s s o B Doc. 1. Le rêve américain : liberté, prospérité, modernité (Photographie du port de New York, 1954.) Cette photographie rassemble tous les ingrédients du rêve américain, dans ce port de New York qui a été la porte d’entrée de l’Amérique pour des millions d’immigrants. La statue de la Liberté semble saluer le paquebot qui quitte le port, à une époque où l’avion n’est pas encore un moyen de transport de masse et où le bateau assure la liaison transatlantique. La skyline du sud de Manhattan symbolise la modernité et la prospérité de New York, capitale économique des États-Unis et pôle majeur de la mondialisation. Doc. 2. Une réalité plus brutale : la première puissance militaire (Photographie de l’exercice « Valiant Shield » dans l’océan Pacifique, juin 2006.) Par cet exercice réalisé près de la base de Guam en 2006, les États-Unis affirment leur suprématie militaire. Une grande puissance militaire doit aujourd’hui être capable de projeter des forces à distance, ce qui nécessite de gros moyens aériens et navals. Les États-Unis disposent de 11 porteavions, alors que les autres puissances navales n’en ont généralement qu’un seul. Parmi les avions, on reconnaît le spectaculaire bombardier furtif B-2 Spirit (intervenu au Kosovo en 1999, en Afghanistan à partir de 2001, en Irak en 2003, en Libye en 2011). Les États-Unis sont la seule puissance capable d’entretenir en permanence des flottes sur tous les océans. Cet exercice dans le Pacifique peut être interprété comme un signal envoyé à la Chine, dont on connaît les ambitions maritimes. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 1. Selon Roosevelt, des millions d’Européens sont venus aux États-Unis pour y trouver « la liberté d’avoir sa chance, la liberté de pensée, la liberté de culte » (doc. 1 : « freedom of opportunity, freedom of thought, freedom to worhsip God »). Prononçant son discours sur Liberty Island, devant la statue de la Liberté, Roosevelt affirme que l’Amérique est « la terre de la seconde chance » pour tous les Européens qui étaient privés de liberté sur le Vieux Continent. Cette liberté a plusieurs dimensions : – sociale : l’Amérique offre sa chance à chacun, alors que dans la vieille Europe, les sociétés seraient plus hiérarchisées, plus fermées. La « freedom of opportunity », expression difficile à traduire, est un élément essentiel du rêve américain, qui est un rêve d’ascension sociale, de réussite (nourri par l’histoire des self made men). – politique : la liberté de pensée était mal assurée dans certains pays européens avant 1914 (l’Empire russe par exemple). – religieuse : la liberté de culte, on le voit bien ici, est un élément essentiel du modèle américain (cf. chapitre 6). Les États-Unis ont été fondés par des dissidents protestants fuyant les persécutions et l’immigration a ensuite conduit en Amérique des Européens opprimés à cause de leur religion (catholiques irlandais, juifs fuyant les pogroms en Europe orientale). 2. Les États-Unis ont connu deux grandes périodes d’immigration massive (doc. 2) : – entre 1900 et 1914, les années records étant 1907 (1 285 349 immigrants légaux) et 1914 (1 218 480). Le mouvement est enrayé par la Première Guerre mondiale, puis stoppé par les lois instituant des quotas en 1921 et surtout en 1924. – à la fin du XXe siècle, avec une pointe en 1991 (1 826 595). Le mouvement est lancé par la loi de 1965 qui allège le système des quotas et il conti105 • nue jusqu’à aujourd’hui. On trouve cette courbe sur le site http://www.migrationinformation. org (rubrique « US in Focus » puis « Historical trends »). Les chiffres précis, année par année, sont ceux de l’administration : http://www.dhs. gov/files/statistics/publications/yearbook.shtm. 3. Quand Roosevelt prononce ce discours, l’immigration aux États-Unis se situe à son niveau le plus bas (doc. 2), du fait de la loi des quotas adoptée en 1924 et aussi de la crise économique mondiale (le nombre d’immigrants légaux est tombé à 34 956 en 1935 et 36 329 en 1936). Roosevelt parle des immigrants en termes élogieux, parce que l’immigration est violemment critiquée par le courant nativiste (cf. chapitre 6). Le président des États-Unis veut en quelque sorte réhabiliter les immigrants, lutter contre une tendance de la société américaine à les rabaisser : « On n’a pas assez souligné, dans l’enseignement de notre histoire, que l’écrasante majorité de ceux qui venaient des nations du Vieux Monde […] n’étaient pas les traînards, les timorés, les ratés » (doc. 1). Ces termes sont certainement empruntés au discours nativiste. S’élevant contre celui-ci, Roosevelt rend un vibrant hommage aux immigrants, à leur « courage » et à leur « force morale ». 4. Ce film est un document sur le rêve américain, car il montre que les États-Unis représentent l’espoir d’une vie meilleure pour ces Grecs persécutés par les Turcs. Le titre du fim – America, America ! – est un cri d’espoir. Sur l’image reproduite ici, on voit la joie, l’espérance des immigrants quand leur bateau entre dans le port de New York et passe à proximité de la statue de la Liberté. 5. Le pentecôtisme diffuse un élément essentiel du rêve américain : l’espoir de réussite sociale, celle-ci étant présentée comme une récompense accordée par Dieu. Les prédicateurs pentecôtistes affichent les signes de leur réussite – « leurs belles voitures et leurs costumes coûteux » (doc. 4) – pour défendre la « conception d’une religion où la foi peut apporter la richesse et le succès ». Venue des États-Unis, diffusée dans des pays pauvres (Amérique latine, Afrique), cette religion apparaît en quelque sorte comme un moyen de faire fortune en adoptant les valeurs américaines dans leur formulation protestante (le mérite récompensé par Dieu). it 6. Cette pochette de disque révèle une grande influence des États-Unis sur la culture populaire française. Le titre même de la chanson est significatif, puisque le chanteur se rêve en « Américain ». L’étui de sa guitare est décoré du drapeau des États-Unis et il est habillé à la mode américaine (blue jean, chemise un peu « western »). Jean-Jacques Goldman, adossé à un mur crasseux, semble un voyageur en partance, avec sa guitare pour seul bagage. Le texte de la chanson confirme cette hypothèse, puisqu’il évoque les immigrants : Dans sa pauvre valise, ses maigres affaires Une histoire banale d’homme et de misère Il tient dans sa chemise ses ultimes richesses Ses deux bras courageux, sa rude jeunesse Et tout contre sa peau comme un trésor inca Son nom sur un visa pour les USA But long is the road Hard is the way Heavy my load But deep is my faith Long is the road Par ailleurs, la musique populaire elle-même, à commencer par celle de Jean-Jacques Goldman, est fortement influencée par celle des États-Unis (blues, gospel, rock’n’roll). 7. Le rêve américain présente les États-Unis comme une terre promise où règne la liberté et où chacun a la possibilité de réussir. On peut parler de soft power puisque les États-Unis apparaissent ainsi comme un modèle, un pays qui à la fois attire des immigrants et diffuse dans le monde entier ses valeurs. e s s o B it e s s o B • 106 1. Un rôle mondial mal assumé (1918-1932) � MANUEL PAGES 194-195 Doc. 1. Les 14 points de Wilson (1918) • Question. Wilson veut tout changer dans les relations internationales ! Il propose un nouveau système qui s’oppose point par point à celui qui régissait les relations internationales jusqu’en 1914. (On peut rappeler cependant que des efforts de réforme avaient eu lieu auparavant : deux conférences de la paix réunies à La Haye en 1899 et en 1907 ont réclamé le désarmement et créé la Cour permanente d’arbitrage ; les États-Unis y ont participé.) © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • La sécurité collective contre le concert des puissances : Le monde était régi par quelques grandes puissances, qui se reconnaissaient des sphères d’influence (aux dépens des États moins puissants) et des empires coloniaux, qui réglaient leurs différends par la diplomatie (secrète) ou par la guerre. Wilson propose un système fondé sur l’égalité entre les États (toute nation « doit être assurée d’être traitée en toute justice et loyauté par les autres nations, et non exposée à la violence et aux agressions égoïstes ») et sur une diplomatie transparente (point 1). Le concert des puissances doit être remplacé par « une association générale des nations » garantissant « l’intégrité territoriale aux petits comme aux grands États » (point 14). La paix, fondée sur le droit, remplacera la guerre. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes remplacera la logique de puissance, la logique impériale. • Le désarmement contre la course aux armements : En contraste avec la période qui a précédé la Première Guerre mondiale – marquée par la rivalité franco-allemande, la course aux alliances militaires et aux armements (compétition navale entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, perfectionnement de l’artillerie, allongement du service militaire en France, etc.) – Wilson propose que les « armements de chaque pays [soient] réduits au minimum compatibles avec la sécurité intérieure » (point 2). • Le colonialisme remis en cause : Si le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est surtout valable pour l’Europe, il ne peut pas être totalement bafoué sur le terrain colonial. Le point 5 demande que, dans ce domaine, « les intérêts des populations en jeu [pèsent] d’un même poids que les revendications équitables du gouvernement dont le droit sera à définir ». La formulation est prudente, mais elle remet quand même en cause la toute-puissance des métropoles coloniales. On sait que la SDN a créé le statut de mandats pour les colonies des pays vaincus (Allemagne, Empire ottoman), avec l’idée que ces territoires devaient être conduits progressivement à l’indépendance. • Le libre-échange contre le protectionnisme et les chasses gardées : Pour Wilson, la paix doit être fondée sur le droit et aussi sur le commerce, la liberté des nations a it une forte dimension économique (de même que, dans la doctrine libérale, la liberté individuelle est autant économique que politique). Avant guerre, protestant contre le partage de la Chine en sphères d’influence, les États-Unis demandaient déjà la « porte ouverte » (voir p. 190). Le point 3 propose la « suppression, autant que possible, de toutes les barrières économiques ». Le point 2 y ajoute la liberté des mers, qui avait été remise en cause par l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale (attaque des navires neutres, guerres sous-marines à outrance). e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 2. Les réticences des républicains • Question. Une partie de l’opinion américaine a peur de la Ligue des Nations parce que celleci pourrait amoindrir la souveraineté des ÉtatsUnis. Les réserves formulées par les républicains reflètent ces inquiétudes en soulevant une série de points sensibles : • Les États-Unis veulent conserver leur pleine souveraineté sur toutes les affaires intérieures, y compris l’immigration et les droits de douane, deux questions qui ont une dimension internationale et qui pourraient donc relever de la SDN. • Les États-Unis veulent conserver leur indépendance extérieure et continuer à pratiquer « cette politique établie depuis longtemps que l’on appelle communément la doctrine Monroe » ; bref, ils veulent agir comme ils l’entendent dans « l’hémisphère occidental ». • Les États-Unis ne veulent engager aucune dépense en faveur de la SDN sans l’accord du Congrès. Le contrôle du budget est un pouvoir fondamental du Congrès, comme le rappelle la Constitution : « Aucune somme ne sera prélevée sur le Trésor, si ce n’est en vertu d’une ouverture de crédits par une loi » (art. Ier, sect. 9, al. 7). • Les États-Unis ne veulent être liés par aucun traité de désarmement en cas de menace ou de guerre. Doc. 3. Le pacte Briand-Kellogg (1928) (Le Petit Journal – Supplément illustré, 9 septembre 1928.) • Question. Cette image permet de relativiser l’isolationnisme américain, puisqu’elle montre l’activité diplomatique des États-Unis, en la personne du secrétaire d’État. Celui-ci est présent à Paris, au Quai d’Orsay (salon de l’Horloge), pour signer le pacte auquel il a donné son nom 107 • avec Aristide Briand. Le dessinateur du journal a surimposé à la cérémonie de signature (connue par les photographies), une allégorie de la Paix (tenant dans une main un rameau d’olivier et dans les autres les drapeaux de l’Allemagne et de la France, la Paix ramène le beau temps en Europe, dissipant les ténèbres de la guerre). Par le Pacte Briand-Kellogg, les États signataires « condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux, et y renoncent en tant qu’instrument de la politique nationale dans leurs relations mutuelles ». On voit ainsi que les États-Unis, même s’ils ne participent pas à la SDN, en partagent et en diffusent les valeurs. Et la présence de Kellogg en Europe montre bien que la doctrine Monroe a perdu de sa valeur (elle stipulait que les États-Unis ne devaient pas s’ingérer dans les affaires européennes). ◗ Étude La modernité américaine, un modèle pour les Européens ? 1. L’auteur de ce livre veut développer en France la productivité : « pour surproduire avec une main-d’œuvre très diminuée, il faut que la France organise une production intensive » (doc. 1). Il s’agit de l’organisation scientifique du travail (OST), telle qu’elle a été mise en place aux États-Unis par Taylor et Ford. L’auteur parle de « nouveaux rendements » et veut « développer ces dispositions nouvelles dans toutes les branches de l’activité nationale : agriculture, industrie, commerce, transports ». Pour ce faire, l’auteur propose d’importer en France les méthodes de production américaines. « Il ne manque pas de Français au courant des progrès de l’industrie américaine qui essayent ou qui ont essayé d’introduire chez eux les nouvelles méthodes ». Le texte fait allusion à l’organisation de la production dans le contexte de la Grande Guerre (« orienter vers les industries de la paix ce qui a été créé pour les industries de la guerre »). Mais il faut aller plus loin, lancer « un effort d’ensemble englobant patrons, ouvriers et administration », notamment en organisant aux États-Unis des voyages d’études, qui concerneraient « un grand nombre de Français, de toutes les classes de la société ». • 108 e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 196-197 Réponses aux questions it Le but est de sauver la France du déclin : « si l’on ne se décide pas à produire, la France tombera au niveau de l’Espagne ». La modernisation est un impératif de survie, pour une France très endettée. « Après la guerre, la France se trouvera en face de formidables dettes extérieures ; il faudra pour les payer qu’elle exporte des marchandises ». Le service de la dette publique représente 44 % des dépenses en 1920, contre 20,6 % en 1913. On voit bien ici que les États-Unis sont considérés comme un modèle économique et technologique et la solution aux problèmes de la France. Sous une fiction épistolaire – les conseils d’un « vieil Américain » francophile – l’auteur est bien un Français qui veut imiter la modernité américaine. 2. L’événement qui a accéléré la montée en puissance de l’économie américaine est la Première Guerre mondiale. Le document 1 y fait allusion en évoquant la dette extérieure de la France, contractée vis-à-vis du Royaume-Uni (3 milliards de dollars) et des États-Unis (4 milliards de dollars). Le document 3 est plus explicite quand il affirme : « Les États-Unis sont devenus […] les créanciers du monde ». André Siegfried écrit ceci en 1927 et il ajoute : « Il y a une douzaine d’années tout au plus, les plus grands financiers américains s’occupaient chez eux de chemins de fer […] ; mais les transactions à l’extérieur demeuraient, dans leur activité, un élément tout à fait secondaire ». Autrement dit, vers 1912, avant la guerre, les États-Unis ne jouaient pas un rôle financier international, celui-ci était réservé aux « banquiers anglais ». Désormais, « les banquiers de New York ont […] des créances précises dans toutes les parties du monde ». L’Europe était la créancière du monde en 1914, elle est devenue débitrice des États-Unis après la guerre. 3. L’automobile américaine représente pour les Français le fleuron de la modernité industrielle. La « belle Américaine » est considérée comme un must automobile, même si la France a été un pionnier dans ce domaine. Ici, la publicité insiste sur le luxe, le raffinement, la technologie à la pointe du progrès. L’image donne une impression d’élégance, de puissance et de vitesse. La légende parle d’un « chef-d’œuvre de la construction automobile » – comparant cette voiture au « chef-d’œuvre » réalisé par les meilleurs ouvriers de France (« comme autrefois l’ouvrier signait son œuvre »). D’une manière © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 un peu paradoxale, l’industrie américaine n’est pas présentée ici sous l’angle de la production de masse mais sous celui de l’artisanat, de la « mécanique de précision ». Et la publicité compare la Lincoln aux temples asiatiques (tradition millénaire), sans faire référence à la modernité américaine. Mais c’est normal, puisqu’il s’agit de la marque haut de gamme du groupe Ford. 4. André Siegfried décrit le rôle des États-Unis dans le monde en 1927 d’une manière admirative et un peu inquiète. Il évoque « une hégémonie, probablement sans précédent dans l’histoire », un « impérialisme de forme inédite », les financiers américains pouvant dicter leurs conditions aux gouvernements. On peut penser notamment aux plans aménageant les réparations allemandes dans les années 1920, qui doivent leur nom à deux financiers américains : Dawes et Young. Cet impérialisme financier a une « forme inédite et subtile », parce qu’il n’est pas clairement assumé. Les États-Unis ont acquis cette puissance « à vrai dire sans l’avoir cherché ». Elle ne s’accompagne pas d’une doctrine interventionniste claire. Cet impérialisme peut prendre une forme moraliste, en accord avec un certain complexe de supériorité des protestants américains qui se sentent investis d’une mission (cf. chapitre 6) : l’Amérique serait prompte à « juger du haut d’une supériorité morale » et à donner des leçons. 5. Georges Duhamel dresse un tableau très sombre des États-Unis, puisqu’il les présente comme la nation qui s’est le plus « adonnée aux excès de la vie industrielle » (doc. 4). Les « scènes de la vie future » que l’auteur a observées en Amérique sont littéralement des scènes infernales, dantesques : il évoque la « mort », « l’enfer », « un monde misérable et dément », des « images forcenées », un « brouillard empesté ». À cette civilisation industrielle démentielle, cauchemardesque, il oppose « le sourire d’une civilisation antique, noble et savante » ; le « jardin d’Île-de-France » est l’antithèse de la ville américaine avec ses buildings. 6. Dans cette planche, Hergé met en avant plusieurs éléments de la modernité américaine, symbolisée par la ville de Chicago, où se déroule une partie de l’intrigue de Tintin en Amérique. – D’abord l’architecture verticale, avec les buildings si caractéristiques de la ville américaine (cf. it Duhamel dans le doc. 4 ou Céline, dans le Voyage au bout de la nuit : « New York c’est une ville debout »). On sait que les premiers gratte-ciel ont été construits à Chicago, qui est un laboratoire de l’architecture contemporaine. Le cadrage de l’image met en valeur la verticalité de la ville. – Ensuite l’automobile et la vitesse : Tintin se trouve à bord d’une voiture, qui double un tramway, dans une rue où la circulation est intense. De l’image se dégagent l’ambiance trépidante de la ville moderne et la puissance de l’automobile. – Enfin une certaine violence, puisqu’on comprend qu’il s’agit d’une scène de poursuite en voiture, Tintin étant armé d’un pistolet braqué vers la voiture poursuivie, hors-cadre (ce qui accentue l’effet de mouvement). On sait que Chicago est la capitale de la pègre à l’époque de la Prohibition (1919-1932) et que le gangster est un personnage clé du cinéma hollywoodien. Al Capone apparaît d’ailleurs en personne dans Tintin en Amérique. 7. Dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, la puissance américaine s’affirme sur le plan économique et technologique. Les États-Unis sont devenus les créanciers du monde et Wall Street symbolise leur puissance financière. L’industrie américaine est en avance dans l’organisation scientifique du travail, et l’automobile est une vitrine du progrès technique. 8. Pour les Européens, les États-Unis symbolisent la modernité. Celle-ci est souvent connotée positivement : progrès technique permettant une meilleure productivité industrielle et une vie plus facile (automobile, logement, etc.). Mais elle peut être aussi perçue négativement, la « civilisation industrielle » (Duhamel) américaine menaçant le mode de vie des Européens (la ville moderne comme lieu de l’uniformisation, de l’aliénation), tandis que les États du Vieux Continent tombent sous la tutelle financière de Wall Street. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 2. Vers l’interventionnisme (1933-1946) � MANUEL, PAGES 198-199 Doc. 1. Le « discours de la quarantaine » (1937) • Question 1. La métaphore de la mise en quarantaine utilisée par Roosevelt consiste à présenter comme des malades les États qui ne respectent plus les règles internationales (« le 109 • caractère sacré des traités et le respect de la moralité internationale »). Sans les nommer, Roosevelt vise bien sûr l’Allemagne nazie, l’Italie mussolinienne et le Japon. Le « règne actuel de la terreur et du mépris du droit international a commencé il y a quelques années » : on peut y voir des allusions aux violations du traité de Versailles par Hitler (réarmement commencé en 1935, remilitarisation de la Rhénanie en 1936), à l’invasion de l’Éthiopie par Mussolini (1935), à l’offensive japonaise en Chine (déclenchée en juillet 1937). Ces États sont responsables d’un début d’« anarchie internationale » qui menace la paix du monde comme une épidémie. « Quand une épidémie se déclare, la communauté approuve la mise en quarantaine des malades, afin de protéger sa santé de la contagion ». La communauté internationale doit donc mettre en quarantaine les pays contagieux : Roosevelt insiste sur l’existence de cette communauté, quand, dans un contexte de crise, une nation pourrait être tentée « de s’isoler des perturbations économiques et politiques du reste du monde ». • Question 2. Il prépare ainsi l’opinion américaine à un changement de politique. En effet, c’est bien l’isolationnisme que Roosevelt commence à remettre en cause : les États-Unis ne peuvent pas rester en-dehors des perturbations du monde, ils doivent sauver la paix, « adopter toutes les mesures pratiques pour éviter l’implication dans une guerre ». Même si le président des ÉtatsUnis reste vague et ne cite aucune mesure précise, il amorce l’engagement de son pays aux côtés des démocraties contre les dictatures agressives. Doc. 4. Les libérateurs e s s o B it e s s o B • Question. L’armée américaine a diffusé ce livre pour expliquer leur mission aux soldats envoyés combattre en France. Il s’agit d’abord d’exposer les buts de guerre des États-Unis dans une période exceptionnelle, la conscription n’étant pas une tradition américaine. Les GI doivent savoir pourquoi ils combattent (cf. la série de films documentaires réalisés à partir de 1942 par F. Capra, intitulée Pourquoi nous combattons). Chaque soldat doit être motivé : « vous constituerez un rouage essentiel ». L’intervention des États-Unis est légitimée à la fois sur le plan stratégique (premier paragraphe) et sur le plan politique et moral : les démocraties doivent être solidaires, « nous • 110 it sommes tous embarqués sur le même bateau ». Il s’agit d’ensuite de faciliter les relations entre les GI et la population française. « Vous recevrez probablement un accueil très chaleureux de la part des Français ». Le souvenir de la Première Guerre mondiale, à la génération précédente, a déjà suscité la gratitude des Français. Les Américains seront accueillis comme des libérateurs par le « Français loyal » (celui qui ne collabore pas avec l’Allemagne, trahissant ainsi sa patrie). L’essentiel du livre explique aux Américains ce qu’est la France, son histoire, ses mœurs, ses usages, et comment ils doivent se comporter. À la fin se trouve un glossaire, avec les mots utiles (et leur transcription phonétique simplifiée). 3. Une superpuissance dans la guerre froide (1947-1989) � MANUEL, PAGES 202-203 Doc. 1. La doctrine Truman • Question 1. Truman définit la politique extérieure des États-Unis comme « une politique d’aide aux peuples libres qui résistent actuellement aux manœuvres de certaines minorités armées ou à la pression extérieure ». Les ÉtatsUnis se présentent ainsi comme les leaders du « monde libre » face au communisme qui « s’appuie sur la terreur et l’oppression ». La « pression extérieure » dont parle Truman est celle que l’URSS exerce sur les pays européens qu’elle veut intégrer dans sa sphère d’influence. Les « minorités armées » désignent les communistes qui agissent dans certains pays. Truman pense surtout à la Grèce, où s’est déclenchée en 1946 une guerre civile entre les partisans communistes et le gouvernement soutenu par les Britanniques (et bientôt les Américains). Cette aide aux peuples libres « doit se manifester en tout premier lieu sous la forme d’une assistance économique et financière » : celle-ci est annoncée le 5 juin 1947 dans un discours à Harvard par le secrétaire d’État George Marshall (European Recovery Program ou Plan Marshall). Cette orientation de la politique extérieure est nouvelle pour les États-Unis, cela pour plusieurs raisons, étroitement liées : – parce que les États-Unis assument clairement leur leadership et leur puissance, contrairement à ce qui s’était passé dans les années 1919-1937 ; © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 – parce que les États-Unis entrent dans une logique de guerre froide, en rupture avec la Grande Alliance et les espoirs de paix mondiale des années 1944-1946. Dans ce discours, Truman décrit clairement un monde coupé en deux camps et dénonce l’URSS comme une puissance oppressive ; – parce que les États-Unis s’engagent nettement en Europe, enterrant définitivement la doctrine Monroe par laquelle ils s’interdisaient d’intervenir dans les affaires du Vieux Continent ; – parce que les États-Unis entrent dans une logique d’alliance en temps de paix. Il ne s’agit pas encore d’une alliance militaire, autorisée par le Sénat le 11 juin 1948 (résolution Vandenberg). Mais il s’agit déjà d’une alliance idéologique, politique (soutien au « monde libre »), et bien sûr économique (aide financière). • Question 2. Dans la dernière phrase de cet extrait, Truman veut précisément convaincre l’opinion américaine qu’il faut assumer cette politique nouvelle, cette rupture définitive avec la tradition isolationniste. « Si nous hésitons dans notre leadership » : cette éventualité qu’il veut conjurer est celle d’un réflexe de repli, comme les États-Unis l’ont connu en 1920 quand le Sénat a refusé de ratifier le traité de Versailles et de suivre Wilson dans sa politique interventionniste. « Nous pourrions mettre en danger la paix dans le monde », en laissant l’URSS accroître sa sphère d’influence et mener une sorte de « lutte des classes » mondiale. « Et nous mettrons certainement en danger cette nation », puisque les États-Unis sont le leader naturel du monde libre, une nation fondée sur les idéaux libéraux combattus par l’URSS. it les Américains prétendent défendre la paix, en fait, avec l’OTAN, ils installent des bases militaires en Europe. L’image dénonce une sorte de double discours, mais qui ne trompe personne puisque le soldat américain est beaucoup plus grand et plus visible que le speaker. La place de celui-ci, dans la poche arrière du soldat, à côté d’un revolver et d’une liasse de billets, en dit long : la radio, la propagande, est un instrument de la puissance américaine, au même titre que les armes et les dollars. e s s o B it e s s o B Doc. 2. La puissance américaine vue de Moscou (« Des phrases et… des bases », affiche soviétique de 1952.) • Question. Le titre de la caricature joue, dans la langue russe comme dans la traduction française, sur la proximité, la rime, entre les mots « phrases » et « bases ». Toute l’image est construite autour de ce jeu de mots. Les phrases sont celles prononcées par le petit speaker de radio installé dans la poche arrière du soldat américain. Il brandit un rameau d’olivier et dit : « Paix, défense, désarmement ». Les bases sont celles que les Américains installent en Europe et que le soldat américain est en train de localiser sur la carte. Le message est clair : pendant que © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 3. Kennedy à Berlin-Ouest (Photographie du 26 juin 1963.) • Question 1. Kennedy a choisi de se rendre à Berlin pour manifester la solidarité des ÉtatsUnis avec la partie occidentale de la ville, qui constitue, depuis la construction du Mur en 1961, une sorte d’enclave du « monde libre » enfermée au cœur du bloc communiste. Cette solidarité s’affiche à travers les trois drapeaux déployés devant l’Hôtel de ville de Berlin-Ouest (le drapeau allemand, le drapeau américain et le drapeau de Berlin ; les couleurs tricolores audessus de la tribune sont celles des États-Unis). • Question 2. Ce geste a une grande portée symbolique et politique : vis-à-vis de l’URSS, que Kennedy vient en quelque sorte provoquer, au pied du rideau de fer ; vis-à-vis des Berlinois de l’Ouest surtout, et au-delà des Allemands et de tous les Européens atlantistes, pour les rassurer en marquant la détermination de l’Amérique face à l’URSS. Lors de la construction du Mur en 1961, les États-Unis ont réagi assez mollement, car ils ne voulaient pas prendre le risque d’un affrontement avec l’Armée rouge (pour la seule fois de la guerre froide, des chars américains et soviétiques se sont retrouvés face à face). En 1962, lors de la crise de Cuba, Kennedy a négocié « au bord du gouffre » et réussi à faire reculer Khrouchtchev. En 1963, il tient à affirmer la solidité des liens transatlantiques qui unissent les États-Unis à l’Europe occidentale, dont BerlinOuest est un avant-poste. Doc. 4. Le rôle de l’Amérique selon Nixon • Question 1. Ce discours de Nixon révèle explicitement les limites de l’engagement américain, dès la première phrase : « Il est important de comprendre à la fois la nécessité et les limites du rôle de l’Amérique dans le maintien de la 111 • paix ». Le président s’adresse à la fois à l’opinion américaine et aux alliés des États-Unis pour annoncer ou confirmer un désengagement relatif de Washington. « Le temps est passé où l’Amérique faisait sien le conflit de chaque nation, faisait de l’avenir de chaque nation sa responsabilité… ». Les États-Unis ne peuvent plus assurer à eux seuls la défense du « monde libre », ils appellent leurs alliés à « partager le fardeau » selon l’expression consacrée. Depuis 1969, Nixon a accéléré le retrait des troupes américaines du Vietnam et il s’apprête à signer les accords de Paris mettant fin au conflit (27 janvier 1973). Il souhaite aussi un rééquilibrage au sein de l’OTAN, pour que les alliés européens contribuent davantage au financement de leur défense, alors que la crise économique s’annonce (fin du système de Bretton Woods en 1971 : voir manuel p. 354). • Question 2. Les quatre guerres dont parle Nixon sont la Première Guerre mondiale (à partir de 1917 pour les États-Unis), la Seconde Guerre mondiale (engagement direct à partir de décembre 1941), la guerre de Corée (19501953) et la guerre du Vietnam (1964-1973). Voir les effectifs mobilisés par les États-Unis dans ces quatre conflits p. 212 du manuel (doc. 1a). ◗ Étude � MANUEL, PAGES 204-205 1. Churchill attend des États-Unis qu’ils assument leur « grande responsabilité vis-à-vis de l’avenir » (doc. 2) en tant que première puissance mondiale, en s’engageant, aux côtés du Commonwealth (c’est-à-dire du Royaume-Uni et de ses anciennes colonies) pour « qu’un équilibre mal assuré des pouvoirs ne laisse le champ libre à l’ambition ou à l’aventure ». Cette phrase un peu alambiquée désigne l’expansionnisme soviétique, sans le nommer directement. Churchill vient d’évoquer le rideau de fer qui coupe l’Europe en deux et la « sphère soviétique » dont il redoute l’élargissement. Un engagement des États-Unis « sera une formidable assurance de sécurité ». Mais Churchill semble craindre un retour des États-Unis à l’isolationnisme. Il se félicite de la • 112 e s s o B it e s s o B Les Européens et la puissance américaine au début de la guerre froide Réponses aux questions it participation des États-Unis à l’ONU, par opposition à la SDN, mais il craint une hésitation à aller plus loin. Il rappelle que, si les États-Unis se sont engagés dans la guerre – en 1917 et en 1941 –, c’est parce qu’ils y ont été « entraînés par des forces irrésistibles » et « seulement après que d’horribles massacres et dévastations ont eu lieu ». Churchill, qui s’exprime devant le président des États-Unis, sur le sol américain, veut pousser l’Amérique à assumer enfin un rôle mondial, en rompant définitivement avec la tradition isolationniste. On peut souligner que ce discours date seulement de mars 1946, alors que la guerre froide n’a pas encore vraiment commencé. Pour emporter l’adhésion, Churchill dresse un tableau noir de l’URSS, qui n’est plus un membre de la « Grande Alliance » contre Hitler, mais une puissance oppressive. 2. La métaphore du rideau de fer est rarement explicitée et la traduction ici nous semble plus exacte que celle qui est couramment proposée : « on a baissé un rideau de fer à travers tout le continent » (doc. 2). Le rideau de fer est la fermeture métallique de la devanture d’un magasin ; baisser le rideau de fer, c’est fermer boutique. La métaphore est celle d’une barrière coupant l’Europe en deux et aussi d’une Europe orientale qui est désormais « fermée », coupée du reste du monde, plongée dans l’obscurité. La caricature de 1948 (doc. 3) n’est pas exactement fidèle à cette métaphore, puisqu’elle se contente de représenter une barrière, sous la forme d’une palissade en bois. 3. Ce dessin, publié dans le journal canadien anglophone The Gazette (Montréal), présente l’action des États-Unis en Europe comme bénéfique. L’oncle Sam, en effet, sème les graines du plan Marshall (ERP = European Recovery Program), c’est-à-dire des dollars, qui vont produire des fruits grâce à l’arrosoir de « l’Union occidentale ». Celle-ci désigne la « coopération de 16 nations » avec les États-Unis, soit les bénéficiaires du plan Marshall, membres de l’OECE (16 pays, parce que la RFA n’existe pas encore et n’est pas encore comptée). Staline tente de saboter l’action bénéfique de l’oncle Sam, en jetant dans l’Europe occidentale les « mauvaises herbes du Kominform » représentées sous la forme du symbole soviétique (la faucille et le marteau). L’opposition entre « seeds » et « weeds » (qui rap© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 pelle un peu la métaphore biblique du bon grain et de l’ivraie) dit bien que le bon camp est celui des États-Unis. 4. Les pays d’Europe qui ont bénéficié de l’aide américaine sont ceux qui n’appartiennent pas à la sphère d’influence soviétique en train de se constituer et qui partagent l’idéologie américaine (capitalisme libéral, anticommunisme). En effet, l’URSS a interdit à ses satellites de participer au plan Marshall, opposant ainsi en juillet 1947 son veto à la Tchécoslovaquie (qui souhaitait y participer). Les « autres pays » du schéma (doc. 1) sont l’Islande, la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Irlande, la Suisse, le Portugal et la Turquie. 5. Les inconvénients de l’aide américaine, selon de Gaulle, sont une dépendance trop forte à l’égard des États-Unis et donc une perte de souveraineté. Il définit l’OTAN comme un « système de sécurité suivant lequel Washington disposait de la défense, par conséquent de la politique et, même, du territoire des alliés » (doc. 4), ce qui fait référence à l’installation de bases militaires américaines en Europe occidentale, et notamment en France. La nécessité de la protection militaire fait des pays alliés des satellites des ÉtatsUnis : de Gaulle emploie le terme « protectorat » (qui s’applique souvent à domination coloniale indirecte). C’est pourquoi les alliés ne contestent jamais la politique américaine : « Il n’advenait donc jamais qu’un gouvernement appartenant à l’OTAN prît une attitude divergente de celle de la Maison-Blanche ». Pour éviter ces inconvénients, de Gaulle, entend « dégager la France, non pas de l’Alliance atlantique […] mais de l’intégration réalisée par l’OTAN, sous commandement américain ». C’est ainsi que la France a quitté en 1966 le commandement intégré de l’OTAN et fermé les bases américaines sur son territoire. De Gaulle présente sa politique comme une restauration de it la puissance française, rendue possible par son retour au pouvoir en 1958. Il fustige au passage « la docilité atlantique que la République d’hier pratiquait en mon absence ». 6. Les communistes présentent la puissance américaine comme un danger pour le monde. Jdanov affirme : « Le but que se pose la nouvelle politique expansionniste des États-Unis est l’établissement de la domination mondiale de l’impérialisme américain » (doc. 6). L’affiche du Parti communiste français représente les ÉtatsUnis sous la forme d’une pieuvre géante qui sort de l’Atlantique et étend ses tentacules sur la France. Le PCF appelle les Français à refuser cette « colonisation » et à chasser les Américains. Les communistes insistent sur la dimension économique de la puissance américaine. Sur l’affiche, le symbole du dollar apparaît dans les yeux de la pieuvre américaine. Le texte de Jdanov développe la théorie léniniste de l’impérialisme, « stade suprême du capitalisme ». La domination mondiale est d’abord un « monopole des États-Unis sur les marchés », après la disparition ou l’affaiblissement de leurs concurrents. Le plan Marshall a pour but « d’asservir l’Europe au capital américain » et il conduit les pays bénéficiaires de l’aide américaine à se plier aux « directives de Washington ». La dépendance économique est renforcée par des alliances militaires (qui préfigurent l’OTAN). 7. La réponse peut procéder en trois temps : les États-Unis sont après la Seconde Guerre mondiale une puissance incontournable pour une Europe affaiblie ; cette puissance est perçue positivement par de nombreux pays, qui se félicitent de l’aide économique américaine (plan Marshall) ; elle est perçue négativement par l’URSS, qui dénonce un projet de domination mondiale, et, sur un mode différent, par de Gaulle, qui critique une trop forte dépendance de l’Europe à l’égard des États-Unis. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 113 • ◗ Histoire des Arts Marilyn Monroe peinte par Andy Warhol e s s it � MANUEL, PAGES 206-207 Analyse de l’œuvre Observer Interpréter 1. Ce tableau est un portrait. Ce n’est pas un genre nouveau. Le portrait est l’un des genres classiques de la peinture occidentale depuis la Renaissance. o B it e s s o B 2. Le tableau représente Marilyn Monroe. Warhol a choisi Marilyn parce qu’elle est sans doute la star américaine la plus connue dans le monde. Elle vient de mettre un terme à sa carrière d’actrice en se suicidant (5 août 1962), ce qui ajoute à sa notoriété un caractère dramatique. Warhol travaille sur les symboles de la société de consommation américaine, qu’il s’agisse d’objets courants (la bouteille de CocaCola, la boîte de soupe Campbell) ou de vedettes de l’industrie musicale et cinématographique (Elvis Presley, etc.). 3. L’élément de base du tableau est une photographie de Marilyn Monroe réalisée en 1953 pour la promotion du film Niagara (doc. 2). La technique utilisée par Warhol consiste à reproduire 50 fois cette photographie au moyen de la sérigraphie. La partie droite du diptyque reste en noir et blanc ; la partie gauche, ici reproduite, est en couleurs. Warhol a utilisé la peinture acrylique pour cette partie gauche. Cette méthode est révolutionnaire parce que l’artiste utilise des « images préconçues » (doc. 1) et les retravaille. La photographie est multipliée, retouchée, coloriée, pour produire une œuvre originale, un portrait d’un genre nouveau. 4. Le peintre utilise ici des couleurs acidulées, très vives. « Tu as choisi des couleurs criardes : jaune citron, orange vif […]. Comme du Technicolor surexposé » (doc. 1). Warhol est ici influencé par la culture de masse américaine, il utilise les couleurs vives de la publicité, du cinéma, des bandes dessinées, pour évoquer et détourner l’ambiance de l’Amérique des années 60. 4. De l’hyperpuissance au déclin relatif (1990-2012) � MANUEL, PAGES 208-209 Doc. 1. Les États-Unis et le monde après la guerre froide • Question 1. Bill Clinton décrit le monde de l’après guerre froide comme « plus libre, mais moins stable » ; c’est « un monde réchauffé par le soleil de la liberté, mais menacé encore par de vieilles haines et de nouveaux fléaux ». Les espoirs soulevés par la fin de la confrontation Est-Ouest et la libération du bloc soviétique sont tempérés par de nombreuses inquiétudes. La guerre froide maintenait une forme d’ordre dans le monde, la disparition du système a logiquement engendré de l’instabilité. Les « vieilles • 114 haines » auxquelles fait allusion Bill Clinton sont notamment les nationalismes exacerbés qui ont ressurgi en Europe (dans l’ex-Yougoslavie et l’ex-URSS). Parmi les « nouveaux fléaux », Clinton évoque lui-même les atteintes à l’environnement, la pandémie de Sida et la prolifération des armements. • Question 2. Dans ce monde nouveau, les ÉtatsUnis doivent continuer à jouer un rôle très actif selon Bill Clinton. « C’est clair, l’Amérique doit continuer à diriger ce monde que nous avons tant contribué à bâtir ». Pas question de se replier sur les problèmes intérieurs, sous prétexte que les États-Unis traversent une crise économique et sociale. Le nouveau président semble vouloir conjurer la tentation d’un retour à l’isolationnisme. Il affirme clairement que les États-Unis © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 doivent intervenir, y compris par la force, si leurs « intérêts vitaux sont menacés » ou si « la volonté et la conscience de la communauté internationale sont défiées », c’est-à-dire pour faire respecter les décisions de l’ONU et les valeurs humanitaires. Doc. 2. Une Amérique qui a oublié ses valeurs ? (Photographie d’une manifestation le 11 janvier 2012 à Washington, demandant la fermeture de la prison de Guantanamo.) it – le « partage du fardeau » avec les « alliés et partenaires », à l’exemple de l’intervention en Libye en 2011 où Washington a laissé l’initiative à la France et au Royaume-Uni ; – la fin des « guerres actuelles », c’est-à-dire le retrait progressif des troupes américaines d’Irak puis d’Afghanistan ; – le reformatage de l’armée américaine, autrement dit la diminution de ses effectifs ; – le développement des aspects non militaires de la puissance : diplomatie, renseignement, aide au développement. Ces changements sont liés aux difficultés économiques traversées par les États-Unis, auxquelles le président fait allusion (« les choix fiscaux auxquels nous sommes confrontés sont difficiles »). • Question 2. Mais Barack Obama affirme que les États-Unis doivent continuer à jouer le premier rôle dans le monde, pour garantir « un ordre international juste et durable ». « Et dans ce monde changeant qui réclame notre leadership, les États-Unis d’Amérique resteront la plus grande force pour la liberté et la sécurité que le monde ait jamais connue ». Le président des États-Unis entend ainsi montrer – à ses alliés comme à ses adversaires – que la puissance américaine n’est nullement en déclin. e s s o B it e s s o B • Question. Une telle manifestation peut produire un effet très fort sur l’opinion américaine et mondiale et ternir l’image des ÉtatsUnis. Portant la tenue sinistre des détenus de Guantanamo, les manifestants se trouvent devant la Maison-Blanche, qui symbolise partout dans le monde les États-Unis. Ils font ainsi apparaître la contradiction entre le discours des États-Unis, qui se présentent comme les défenseurs des droits de l’homme, et leurs actes dans cette zone de non-droit qu’est la base américaine de Guantanamo sur l’île de Cuba. Doc. 3. L’économie américaine concurrencée • Question. La part des États-Unis dans les exportations mondiales de marchandises a nettement reculé en un demi-siècle. En 1953, ils étaient au premier rang, avec 18,8 %. En 2010, ils n’assurent plus que 8,6 % des exportations mondiales, devancés par la Chine (10,6 %) et talonnés par l’Allemagne (8,5 %). Entre 1953 et 1983, les États-Unis ont d’abord été concurrencés par le Japon, qui passe de 1,5 à 8 % en 1983, et par l’Allemagne, qui passe de 5,3 à 9,2 % en 1983. La France a progressé plus modestement dans la même période, le Royaume-Uni a régressé. Dans la période suivante (1983-2010), les États-Unis sont confrontés au décollage spectaculaire de la Chine (de 1,2 à 10,6 %) et du reste de l’Asie (de 9,9 à 15,8 %). Cette dernière catégorie inclut les économies dynamiques de l’Asie du Sud-Est (Corée du Sud, Taïwan, Singapour, etc.). Le Japon, lui, est distancé. L’Europe maintient ses positions si on la considère (d’une façon un peu théorique) comme un bloc économique, l’UE. Doc. 4. « Maintenir le leadership des ÉtatsUnis » • Question 1. Barack Obama annonce plusieurs changements importants : © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude Les États-Unis, une puissance régionale très active � MANUEL, PAGES 210-211 Réponses aux questions 1. La politique de « bon voisinage », annoncée en 1933 par Roosevelt, constitue un changement important dans les relations entre les États-Unis et le reste du continent. La carte (doc. 4) monte qu’il n’y a plus d’intervention des États-Unis dans leur « arrière-cour » après 1934 et avant le début de la guerre froide (1947). Les États-Unis étaient souvent intervenus entre 1912 et 1934, en Amérique centrale (Honduras, Nicaragua) et dans les Caraïbes (Cuba, Haïti, République dominicaine), menant la politique du « gros bâton » (voir pp. 190-191). En 1934 (voir repères chronologiques), les États-Unis évacuent Haïti et renoncent au protectorat qu’ils exerçaient sur Cuba depuis 1901. En signant la convention de Montevideo (doc. 2), les États-Unis renoncent 115 • à « intervenir dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre État » (art. 8), à pratiquer l’occupation militaire et à utiliser la force, même indirectement et temporairement, contre un autre État américain (art. 11). Cette politique de « bon voisinage » entend privilégier les « méthodes pacifiques » pour régler les différends entre États (art. 10). C’est une véritable rupture par rapport à la période précédente. 2. La guerre froide affecte le continent américain en poussant les États-Unis à mettre un terme à la politique de « bon voisinage ». La carte (doc. 4) montre que la guerre froide est marquée par de nombreuses interventions des États-Unis, soit directes (Guatemala en 1954, République dominicaine en 1965, Grenade en 1983), soit indirecte (soutien aux forces anticommunistes à Cuba en 1961, au Nicaragua et au Salvador dans les années 1980). Comme le dit John F. Dulles (doc. 3), l’OEA a adopté en 1954 la déclaration de Caracas, qui affirme : « la domination ou le contrôle des institutions politiques d’un État américain par le mouvement communiste international constituerait une menace sur la souveraineté et l’indépendance politiques des États américains, mettant en danger la paix en Amérique ». Autrement dit, tout gouvernement qui se rapprocherait du socialisme mettrait en danger la sécurité des États-Unis, dès lors autorisés à intervenir. C’est ainsi que Dulles justifie l’intervention militaire des États-Unis pour appuyer le coup d’État au Guatemala contre J. Arbenz, présenté comme soumis aux « agents communistes ». La guerre froide réactive la doctrine Monroe dans sa version dure : toute forme de socialisme est considérée comme une ingérence étrangère dans « l’hémisphère occidental », qui doit être combattue par les États-Unis. 3. John F. Dulles se défend ici de l’accusation selon laquelle « les États-Unis n’auraient qu’un objectif, protéger les intérêts économiques américains » (doc. 3). Il reconnaît l’existence de « tensions entre le gouvernement du Guatemala et la Compagnie United Fruit », mais il les minimise : « c’est un fait assez secondaire ». Les États-Unis ne sont pas intervenus, selon lui, pour protéger les intérêts du capitalisme américain, menacés par la réforme agraire, mais pour conjurer « le péril que fait peser le communisme international sur la paix et la sécurité de cet hémisphère ». Les it organisateurs de la réforme agraire seraient en fait des agents communistes visant à déstabiliser le Guatemala. 4. Hugo Chavez décrit les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine en termes de domination. Il accuse les États-Unis d’être une puissance impérialiste qui a « mis le grappin sur notre Amérique pour imposer leur modèle » et qui l’a empêché de « forger son propre destin au cours du XXe siècle ». Il décrit les États-Unis comme une puissance agressive, dirigée par les militaires (« le Pentagone »). Il évoque deux interventions militaires des États-Unis : contre Arbenz au Guatemala en 1954 et contre Castro à Cuba en 1961 (la baie des Cochons). La vision de Chavez est diamétralement opposée à celle de Dulles (doc. 3). Le président du Venezuela diabolise les États-Unis, une puissance oppressive « réduisant à feu et à sang l’espoir et la lutte de nombreux peuples ». Le secrétaire d’État américain, lui, présente les ÉtatsUnis comme une puissance protectrice, qui veille sur « la paix et la sécurité de cet hémisphère ». 5. L’Amérique latine a limité sa dépendance économique vis-à-vis des États-Unis en développant son commerce avec d’autres partenaires. La part de l’Amérique du Nord (Mexique compris) dans les exportations a fortement diminué entre 2005 et 2010, passant de 36 à 24 %. Le premier rang est occupé en 2010 par le commerce intra-régional, entre les pays d’Amérique du Sud, d’Amérique centrale et des Caraïbes. La part de l’Europe reste assez stable (18-19 %), tandis que celle de l’Asie-Pacifique a fortement augmenté (de 13 à 23 %). 6. Les États-Unis sont toujours restés la puissance régionale dominante dans le continent américain, qu’ils appellent « l’hémisphère occidental » et qu’ils prétendent protéger des ingérences extérieures au nom de la doctrine Monroe. La domination économique se double d’une hégémonie politique, les États-Unis n’hésitant pas à intervenir militairement, surtout dans la zone caraïbe qu’ils considèrent comme leur « arrièrecour ». Les relations sont devenues plus équilibrées avec la politique de « bon voisinage » préconisée en 1933 par Roosevelt, mais la guerre froide a poussé de nouveau les États-Unis à intervenir, pour protéger le continent américain du communisme. Aujourd’hui, malgré la fin de la e s s o B it e s s o B • 116 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 guerre froide, le sentiment anti-américain reste vif en Amérique latine, notamment au Venezuela et à Cuba, frappé d’embargo par les États-Unis depuis 1962. L’Amérique latine cherche à limiter sa dépendance vis-à-vis des États-Unis en développant le commerce intra-régional et les relations avec l’Europe et l’Asie. ◗ Étude Les États-Unis, puissance militaire e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 212-213 Réponses aux questions it « une influence injustifiée » et « menacer nos libertés et nos processus démocratiques ». Plus précisément, il s’inquiète du fait que les programmes de recherche soient largement dirigés et financés par l’État. D’où un double risque, soit celui de voir la recherche totalement contrôlée par l’État, soit celui de voir la politique tomber aux mains d’une « élite technico-scientifique ». Une sorte de technocratie militaro-industrielle pourrait menacer la démocratie américaine. 4. En ce début de XXIe siècle, les États-Unis restent de très loin la première puissance militaire du monde. En valeur absolue, leurs dépenses militaires (687 milliards de dollars, doc. 4a) représentent 42 % du total mondial et 6 fois celles de la Chine, qui arrive en deuxième position. En % du PNB, les dépenses militaires américaines restent très élevées (4,8 %), bien au-dessus de la Chine (2,1 %) ou des puissances européennes (2,3 % pour la France, 2,7 % pour le Royaume-Uni). Par ailleurs, l’industrie de l’armement des États-Unis ne se contente pas d’équiper l’armée américaine, elle est au premier rang mondial pour les exportations d’armes (doc. 4b). Les États-Unis réalisent 53,7 % des exportations d’armes, loin devant le RoyaumeUni (12,5 %) et la Russie (8,2 %). La Chine ne figure pas dans ce tableau, car elle ne publie pas de statistiques fiables. 5. Aujourd’hui, selon Barack Obama, il existe deux menaces majeures : la prolifération nucléaire et le terrorisme. La « course à l’armement atomique » concerne notamment la Corée du Nord et l’Iran, évoqués explicitement par le président des États-Unis. Les « armes les plus mortifères » dont parle B. Obama sont le nucléaire, mais aussi les armes chimiques et bactériologiques. L’allusion aux « réseaux terroristes » vise avant tout Al-Qaida, ennemi n° 1 de l’Amérique. Les deux menaces peuvent d’ailleurs se conjuguer, puisque B. Obama envisage un scénariocatastrophe où « un terroriste [ferait] l’acquisition d’une bombe ». Pour combattre ces menaces, B. Obama veut développer la coopération internationale, notamment entre les États-Unis et la Chine, deux grandes puissances nucléaires. Il propose de renforcer le système de non-prolifération, en réservant l’usage du nucléaire à des fins civiles et en poursuivant le désarmement nucléaire (amorcé 1. Les deux guerres mondiales ont été des étapes essentielles pour la puissance militaire des États-Unis. En effet, en entrant en 1917 dans la Première Guerre mondiale, les ÉtatsUnis ont été obligés d’établir la conscription pour mobiliser près de 3 millions d’hommes (doc. 1a). Jusque-là les États-Unis n’avaient pas d’armée comparable aux grandes puissances européennes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont rétabli la conscription et mobilisé plus de 10 millions d’hommes. Surtout, avec le Victory Program de Roosevelt, ils ont décidé de devenir « l’arsenal des démocraties » par « la mobilisation totale de leur économie » selon la formule de Jean Monnet (doc. 2). Ils ont alors produit des quantités extraordinaires d’avions, de tanks, de navires et d’armements divers. C’est alors, comme le souligne Eisenhower (doc. 3) que les États-Unis ont été « obligés de créer une industrie d’armement permanente sur une grande échelle ». C’est la naissance du « complexe militaro-industriel » américain. 2. La guerre froide a encore renforcé la puissance militaire américaine. La conscription a été utilisée pour mobiliser des centaines de milliers d’Américains dans la guerre de Corée puis dans celle du Vietnam (doc. 1a). Le complexe militaro-industriel s’est alors considérablement développé, dans le cadre de la course aux armements avec l’URSS et de la « révolution technologique » de la seconde moitié du XXe siècle (doc. 3). « Cette conjonction d’énormes effectifs militaires et d’une grande industrie d’armement est inédite dans l’histoire américaine », affirme Eisenhower. 3. Eisenhower a peur du complexe militaroindustriel, parce que celui-ci pourrait acquérir © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 117 • par les États-Unis et la Russie). Il propose aussi à la Chine une coopération militaire dans le domaine de la lutte anti-terroriste (la Chine est elle aussi concernée par les attentats islamistes, dans le Xinjiang). 6. Les États-Unis sont devenus au XXe siècle la première puissance militaire en plusieurs étapes. La Première Guerre mondiale a entraîné l’établissement de la conscription. La Seconde Guerre mondiale a engendré un gigantesque effort de guerre. Les États-Unis se sont ainsi dotés d’une industrie d’armement. La guerre froide a encore renforcé le « système militaroindustriel ». Les États-Unis restent au début du XXIe siècle la première puissance militaire du monde et le premier exportateur d’armes. Pour faire face aux nouvelles menaces comme le terrorisme et la prolifération nucléaire, ils proposent une coopération internationale, notamment à la Chine, qui est une puissance militaire en pleine affirmation. ◗ BAC Étude critique de document Étudier une photographie e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 218-219 RÉPONSES AUX QUESTIONS des encadrés Sujet : Les États-Unis, une puissance régionale très active au début du XXIe siècle. 1. La présence des Marines et du char permet d’évoquer la puissance militaire inégalée des États-Unis. 2. Cette photo n’est pas posée, elle semble prise sur le vif. Les personnages photographiés n’ont peut-être même pas conscience de la présence du photographe. 3. La brouette transporte du Coca-Cola et du Seven Up, deux boissons symboliques de la puissance économique américaine et de l’influence de son modèle culturel. 4. Le mode de transport mais aussi les éléments de décors visibles au fond de la photographie permettent d’évoquer la pauvreté du pays. BAC BLANC Sujet : La puissance américaine contestée au début du XXIe siècle. Ce document n’est pas à proprement parler une photographie mais un photogramme, c’est-à• 118 it dire la plus petite unité de prise de vue d’une séquence vidéo. George Bush est accompagné du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki à Bagdad le 14 décembre 2008. Le Président effectue une visite surprise d’adieu. C’est la quatrième fois qu’il vient en Irak et la dernière puisqu’il quitte ses fonctions le 20 janvier pour laisser la place à Barack Obama. Sa visite intervient après de difficiles négociations d’accords de sécurité entre les États-Unis et l’Irak qui prévoient le retrait des troupes américaines d’ici à 2011. Le journaliste Munthadhar al-Zaidi de la chaîne sunnite al-Bagdadia, qui diffuse à partir du Caire, a bondi en criant « c’est le baiser d’adieu espèce de chien » et lancé ses chaussures, l’une après l’autre, sur le président américain. Le journaliste a été évacué en criant : « Vous êtes responsables de la mort de milliers d’Irakiens ! ». Il est condamné à 3 ans de prison ramenés à 1 an en appel et est libéré en septembre 2009 au bout de neuf mois pour bonne conduite. Il devient un symbole de la résistance à l’impérialisme américain dans le monde arabe. ◗ BAC • Composition Rédiger et présenter une composition � MANUEL, PAGES 220-221 Sujet : La puissance américaine dans le monde depuis 1947. Proposition de plan : I. Une superpuissance dans la guerre froide 1947-1990. II. Les hésitations de la puissance américaine depuis 1991. BAC BLANC • Composition Sujet 1 : Les États-Unis et le monde depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Proposition de plan : I. L’entrée en scène d’une grande puissance mondiale (1918-1946). II. Une superpuissance dans la guerre froide (1947-1990). III. Les hésitations de la puissance américaine depuis 1991. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Sujet 2 : La puissance américaine depuis la fin de la guerre froide. Proposition de plan : I. L’espoir et l’échec d’un nouvel ordre mondial (1991-2001). II. La tentation de l’unilatéralisme (2001-2008). III. Un leadership plus souple (2009-…). • Étude critique de document Sujet : La puissance américaine s’adapte à l’après guerre froide. it « l’action concertée des Nations unies ». En effet, l’ONU n’est plus bloquée par l’opposition des deux Grands puisque à présent l’URSS de Gorbatchev partage la vision du monde des Américains comme la conférence d’Helsinki l’a prouvé. Ce discours, très optimiste sur la possibilité d’atteindre la sécurité collective, annonce une ère du multilatéralisme qui sera cependant de courte durée. Ce nouvel ordre mondial prôné par G. Bush doit cependant exister sous le leadership des ÉtatsUnis. Cet extrait, dont c’est une des principales limites, ne permet pas de le mettre en valeur. Les États-Unis y apparaissent comme une « des nations du monde », sans spécificité, alors que pour G. Bush il est clair que l’Amérique doit continuer à « diriger le monde », pour reprendre les termes de Bill Clinton lors de son discours d’investiture (voir p. 209 du manuel). e s s o B it e s s o B Le document permet de mettre en valeur l’émergence de l’hyperpuissance américaine à l’issue d’une guerre froide gagnée par les États-Unis. La « confrontation Est-Ouest » n’existe plus. Bush annonce un nouvel ordre mondial qu’il présente comme une rupture majeure, « un moment unique et extraordinaire », « une période historique de coopération », « plus sûre dans la recherche de la paix » et qui se fondrait sur © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 119 • Chapitre 8 it La Chine et le monde depuis le « mouvement du 4 mai 1919 » e s s � MANUEL, PAGES 222-253 ◗ Présentation de la question rité d’un empire qui s’étend sur près de douze millions de kilomètres carrés. Consciente de la supériorité de sa civilisation, la Chine se voit alors comme le centre de tout « ce qui est sous le ciel », car elle se considère comme la seule partie vraiment civilisée de la Terre. • Cependant l’Empire chinois s’affaiblit progressivement à partir de la fin du XVIIIe siècle. Ce déclin provient de difficultés intérieures liées à une trop forte croissance démographique. Le système politique et administratif sclérosé ne parvient pas à gérer les énormes densités humaines et les problèmes économiques et sociaux qu’elles engendrent. L’Empire chinois souffre du poids de la tradition confucéenne, d’une centralisation excessive, de règles trop strictes qui interdisent aux fonctionnaires toute initiative. L’administration est rongée par la corruption. Les ambitions des pays occidentaux portent alors un coup fatal à la puissance chinoise. Les Occidentaux, qui ont acquis sur la Chine une nette supériorité grâce à la révolution industrielle au XIXe siècle, contraignent les Chinois à s’ouvrir aux cultures lointaines, à ne plus considérer l’étranger comme un « barbare » et à remettre en question leur conception du monde. • Au XIXe siècle, la Chine passe en effet du statut de puissance dominante à celui de pays sous tutelle. Commence alors le « siècle de la honte », celui des défaites militaires et des traités inégaux, des zones d’influence et des concessions étrangères au cœur du territoire chinois. Incapable de se moderniser en raison du poids des forces conservatrices, ce grand pays, pourtant riche d’un impressionnant héritage technique et culturel, devient au début du XXe siècle l’un des plus pauvres et des plus misérables au monde. Le mécontentement général lié aux difficultés alimentaires et aux défaites militaires entraîne alors la chute de la dynastie Qing et la proclamation de la République en janvier 1912. o B it e s s o B • La Chine, deuxième puissance économique de la planète en 2010, est désormais un des principaux moteurs de la croissance mondiale. Ce dynamisme, son poids démographique et ses ambitions militaires et diplomatiques en font l’acteur majeur des relations internationales avec les États-Unis. Cette émergence de la Chine en tant que grande puissance représente un des plus remarquables renversements de situation qu’ait connus l’histoire mondiale. • La Chine occupe en effet une place particulière dans l’évolution de l’humanité. La civilisation chinoise née il y a près de 5 000 ans, est l’une des plus anciennes civilisations au monde. En 221 av. J.-C., l’empereur Qin Shi Huang, fondateur de la dynastie Qin (qui a donné son nom à la Chine) unifie une première fois le territoire occupé par les Hans. Les dynasties suivantes organisent progressivement un État qui donne très tôt à la Chine une unité politique durable, un appareil administratif solide et capable de gérer un vaste territoire. La Chine est alors le plus grand pays d’Asie. Cet État devient le garant et le promoteur des valeurs et de la civilisation chinoise en Asie orientale. En effet, l’Empire chinois domine cette région en satellisant des peuples voisins qui lui paient un tribut et qui parfois adoptent une partie de sa culture. Le Vietnam lui appartient pendant un millénaire, la Corée pendant quatre siècles, le Tibet passe sous sa tutelle dès 1260, etc. L’influence chinoise s’étend au Japon, en Asie du Sud-Est et en Asie centrale. Les Chinois entretiennent aussi des relations avec l’Asie occidentale (l’Iran) ou l’Inde. • La Chine atteint son apogée sous une dynastie d’origine mandchoue, les Qing, qui prennent le pouvoir en 1644. Au XVIIIe siècle, des conditions économiques très favorables et les efforts faits par le pouvoir impérial mandchou pour se rallier les élites chinoises expliquent la prospé• 120 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Le pays se trouve désormais devant un immense défi : il lui faut refaire son unité mise à mal par les pratiques des seigneurs de la guerre qui se sont emparés du pouvoir dans certaines régions, trouver un chemin pour se moderniser afin de sortir sa population de la misère, retrouver sa souveraineté et se libérer de l’emprise occidentale. En ce début de XXe siècle se multiplient les critiques sur la culture traditionnelle. En 1915, un groupe d’intellectuels de Pékin fonde une revue au titre significatif : Xin Qingnian, Nouvelle Jeunesse. Ils remettent en question le confucianisme et voient dans la science et les idées occidentales les instruments du salut de la Chine. • Ces hommes sont en 1919 les principaux animateurs du « mouvement du 4 mai ». Celui-ci n’est pas seulement une contestation contre un traité de Versailles qui attribue officiellement au Japon les territoires allemands du Shandong. Le « mouvement du 4 mai » veut véritablement « sauver la Chine ». Il mobilise des masses considérables à travers tout le pays : des étudiants, à Pékin et dans d’autres grandes villes, des ouvriers grévistes, surtout à Shanghai, des marchands qui boycottent les produits japonais. À première vue, la portée politique immédiate du mouvement est réduite, les manifestants obtiennent seulement la non ratification du traité de Versailles par la Chine et le renvoi de ministres pro-japonais. Mais en fait sa signification profonde est considérable. Il marque la première intervention conjointe dans la vie politique chinoise des forces sociales qui soutiennent la modernisation du pays : les intellectuels, les ouvriers et la bourgeoisie. C’est aussi un mouvement de la jeunesse qui réclame l’émancipation des femmes, veut propager la science moderne et s’inspire d’idées nouvelles venues de l’étranger. Pour la première fois, le salut du pays est donc associé au thème du progrès et ne s’exprime pas en valorisant le glorieux passé du pays. C’est donc une rupture avec le confucianisme qui imprègne les mentalités chinoises et qui met en avant la sagesse des vieillards et la valeur exemplaire des traditions millénaires. C’est pourquoi, pour beaucoup, ce mouvement est la première étape de la naissance de la Chine en tant que nation moderne. • Ce nationalisme chinois s’incarne par la suite de deux manières : Chen Duxiu et Li Dazhao it d’anciens leaders du « mouvement du 4 mai 1919 » sont séduits par les solutions marxistes, ils fondent le Parti communiste chinois en 1921. Par ailleurs, le Guomindang créé en 1912 par Sun Yat Sen, après la révolution qui a renversé l’empire, adopte dans les années 1920 les « Trois Principes du Peuple » : démocratie, socialisme et nationalisme anti-impérialiste. • En 1928, le Guomindang s’empare du pouvoir, mais sous la direction de Jiang Jieshi instaure un régime de parti unique, mêlant le confucianisme au fascisme. Jiang Jieshi échoue alors dans sa volonté de faire de la Chine un État fort et indépendant. Son régime est miné par la corruption, la croissance économique n’est pas suffisante et l’économie reste sous le contrôle des grandes entreprises étrangères. Surtout le pays ne peut pas faire face aux ambitions japonaises : la Mandchourie est annexée par le Japon en 1931, les autres régions littorales du pays sont envahies à partir de 1937. Grâce à l’aide américaine et à l’appui des communistes de Mao, le Guomindang parvient à éviter l’occupation totale du territoire chinois. La république de Chine est même reconnue officiellement par les ÉtatsUnis comme un membre de la Grande Alliance dès 1941. Cette reconnaissance permet au pays d’obtenir la fin des traités inégaux et un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU en 1945. • Mais le pays retombe dès 1946 dans la guerre civile qui oppose les troupes du Guomindang, aidées par les États-Unis, aux communistes qui ont profité de la guerre pour se renforcer et contrôler de nombreuses régions du territoire chinois. La victoire des communistes en 1949 entraîne la partition du pays. Le gouvernement nationaliste réfugié à Taiwan est le seul reconnu par la majorité de la communauté internationale. La nouvelle République populaire de Chine (RPC) ne contrôle que le continent et ses seuls alliés sont l’URSS et les autres pays communistes. Malgré cette difficulté, la Chine parvient à construire un État fort et à devenir un acteur majeur des relations internationales. L’alliance avec l’URSS qui lui fournit une aide notable, lui permet de se doter d’une industrie lourde moderne et d’une armée assez puissante pour tenir en échec les États-Unis dans la guerre de Corée (1950-1953). Forte de ces succès, la e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 121 • Chine supporte de plus en plus mal l’hégémonie soviétique sur le camp communiste. La rupture définitive avec l’URSS est consommée dans les années 1960. Désormais, la Chine veut incarner un modèle communiste original. Elle cherche à accroître son influence dans le monde : elle mène une intense propagande en Occident, elle apporte une aide technique à certains pays du Tiers-Monde nouvellement indépendants, elle appuie des mouvements ou rébellions communistes (Khmers rouges au Cambodge, etc.). Elle renforce aussi sa puissance militaire en se dotant de l’arme atomique en 1964 et se sent assez forte pour tenir tête militairement à ses plus puissants voisins (conflit avec l’Inde en 1962, affrontements sur la frontière sino-soviétique en 1969, etc.). Ses efforts diplomatiques lui permettent d’obtenir enfin la reconnaissance de plusieurs régimes occidentaux à partir des années 1960. Les États-Unis se rapprochent même de la Chine pour contrer l’influence soviétique en Asie au début des années 1970. La République populaire connaît alors son plus grand succès diplomatique, elle reprend à la Chine nationaliste de Taiwan le siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. • À la mort de Mao en 1976, la Chine est donc redevenue une grande puissance, cependant son influence reste essentiellement asiatique et elle ne dispose ni d’un poids économique ni d’un poids militaire suffisant pour s’affirmer davantage à l’échelle mondiale. • À partir de 1978, la Chine, de plus en plus consciente de la faiblesse de son appareil productif, s’engage dans la voie des réformes économiques. Elle décide de libéraliser son système de production, de s’ouvrir aux investissements étrangers, de s’intégrer dans les échanges internationaux. Elle connaît alors trente années de très forte croissance et devient en 2010, la deuxième puissance économique de la planète. Ce nouveau statut renforce son influence politique sur la scène internationale et d’abord en Asie. Elle a en effet remplacé le Japon comme moteur de la croissance et comme centre géopolitique en Asie orientale. Elle tente de s’appuyer sur l’importance de la diaspora chinoise dans la zone. Elle affirme avec plus de force ses ambitions territoriales dans la région (revendications sur Taiwan ou sur la mer de Chine). L’énorme it effort budgétaire qu’elle fait pour moderniser son armée inquiète d’ailleurs de plus en plus ses voisins. • Mais la Chine n’est pas seulement une puissance asiatique, son aire d’influence est désormais mondiale : ses investissements sur les autres continents ne cessent de croître, elle est devenue un marché incontournable pour les multinationales occidentales. Son objectif semble être de concurrencer voire de supplanter les États-Unis, notamment dans le domaine spatial, économique et diplomatique. Cependant, on ne peut pas considérer que la Chine a atteint le niveau d’une superpuissance. Ses moyens militaires restent insuffisants, son influence politique est limitée par le caractère non démocratique de son régime, et par la mauvaise image que lui vaut dans l’opinion publique la répression au Tibet ou les massacres de la place Tian’anmen en 1989. De plus, la Chine du XXIe siècle doit faire face à de nombreux défis internes : notamment la corruption, mais surtout le développement de contestations contre la priorité donnée par le régime à la croissance économique au détriment des conditions de vie ou de l’environnement. e s s o B it e s s o B • 122 ◗ Bibliographie M. Aglietta, Y. Landry, La Chine vers la superpuissance, Économica, 2007. M.-C. Bergère, L. Bianco, J. Domes, La Chine au XXe siècle, Fayard, 2 tomes, 1989-1990. J.-L. Domenach, Comprendre la Chine d’aujourd’hui, Perrin, 2007. J.-L. Domenach et P. Richer, La Chine, éditions du Seuil, 2 tomes, 1987-1995. J. K. Fairbank, La Grande Révolution chinoise 1800-1989, Flammarion, 1989. F. Gipouloux, La Chine du XXIe siècle : une nouvelle superpuissance ?, Armand Colin, 2005. C. Pina-Guerassimoff, La Chine dans le Monde : panorama d’une ascension, les relations internationales depuis 1949, Ellipses, 2011. A. Roux, La Chine contemporaine, coll. Cursus, Armand Colin, 5e éd., 2010. T. Sanjuan, Le Défi chinois, La Documentation photographique, juillet-août 2008. Questions internationales n° 48, mars-avril 2011 : « La Chine et la nouvelle Asie ». © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Sitographie www.frstrategie.org/barreFRS/publications/ colloques/20040914/20040914.pdf : l’émergence d’une superpuissance. « La Chine : partenaire ou adversaire ? » www.geochina.fr : le site de Thierry Sanjuan, professeur à l’université de Paris I et chercheur spécialisé sur la Chine. www.geopolitis.net/STRATEGIES/CHINE %20 PUISSANCE %20OU % 20SURPU ISSANCE. pdf : « La Chine : puissance ou superpuissance ? » www.cecmc.ehess.fr : Centre d’étude sur la Chine moderne et contemporaine. ◗ Plan du chapitre it Enfin, le troisième cours dévoile comment la mort de Mao en 1976 entraîne un tournant majeur dans l’essor chinois. En s’ouvrant aux investissements étrangers et en libéralisant son économie, elle atteint en effet, en une trentaine d’années, le rang de deuxième puissance économique mondiale. Ce statut lui permet de prétendre à un rôle politique plus important sur la scène internationale et d’avoir des ambitions qui inquiètent d’ailleurs de plus en plus les autres États de la planète. Ces trois cours s’appuient sur une série d’études, toutes construites autour de la notion de puissance. La première étude propose d’analyser des documents sur le « mouvement du 4 mai 1919 » qui marque le réveil du nationalisme chinois. Ensuite deux études font réfléchir les élèves sur la manière dont la Chine de Mao tente d’acquérir une plus grande influence sur la scène internationale en s’affirmant comme une puissance militaire lors de la guerre de Corée, en parvenant à rendre séduisant son modèle idéologique auprès de certains intellectuels occidentaux. Enfin, les trois dernières études s’intéressent à la période allant de la mort de Mao à nos jours. Deux d’entre elles insistent sur deux aires d’influence que la Chine semble privilégier (l’Asie et l’Afrique). La troisième étude montre dans quelle mesure l’image de la Chine a souffert des tragiques évènements de la place Tian‘anmen. Une double page Carte permet ensuite de mesurer la puissance chinoise à l’échelle de la planète en ce début de XXIe siècle. Ce chapitre se conclut sur l’analyse d’une œuvre d’art particulièrement significative, Mao et la fillette blonde de Yu Youhan. L’ouverture de la Chine sur le monde a en effet permis aux artistes de ce pays de se détacher des canons d’un art officiel communiste qui s’inspirait du réalisme soviétique. e s s o B it e s s o B Comme le veut le programme, le chapitre explique comment la Chine est redevenue un acteur majeur sur la scène internationale. Il s’interroge donc essentiellement sur les origines, l’évolution, les étapes et les manifestations de la puissance de la Chine. On remonte d’abord le temps grâce à la page Retour sur pour évoquer la place particulière que la Chine a tenu dans l’histoire mondiale et pour exposer comment ce grand empire qui dominait l’Asie orientale est passé sous la tutelle de grandes puissances étrangères. Le premier cours peut alors entrer dans le vif du sujet et évoquer la situation de l’entre-deux-guerres. Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, la Chine commence un réveil qui la conduit à se libérer de la tutelle étrangère et à retrouver sa pleine souveraineté en 1945. Le deuxième cours montre ensuite comment la victoire des communistes en 1949 marque le début d’une nouvelle étape dans l’histoire de la Chine. La République populaire, en se plaçant dans l’orbite soviétique, parvient à construire un État fort qui développe son influence surtout en Asie. Puis elle se détache de la tutelle de l’URSS, et tente de s’affirmer comme un des leaders du monde communiste. Elle met aussi fin à son relatif isolement diplomatique en obtenant son entrée à l’ONU et en se rapprochant de l’Occident. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 123 • it Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 222-223 Doc. 1. Une Chine archaïque et dominée : le dragon endormi (Caricature américaine, vers 1900.) o B it e s s o B Chaque nation est ici représentée sous la forme de l’animal qui traditionnellement la symbolise : le dragon pour la Chine, l’aigle à tête blanche pour les États-Unis, un aigle à une tête pour l’Allemagne, un autre aigle mais à deux têtes pour l’Empire austro-hongrois, une louve pour l’Italie, le coq gaulois pour la France, un ours pour l’Empire russe, un lion pour le Royaume-Uni et un léopard pour l’empire du Japon. Cette caricature évoque la situation de la Chine aux lendemains de la révolte des Boxers (1898-1901). À partir de 1898, des sociétés secrètes mystiques et nationalistes, désignées sous le nom de « Poings de la justice et de la concorde » (ou « Boxers ») multiplient les attaques contre les étrangers. Le pouvoir impérial chinois décide de soutenir les Boxers, car ils sont considérés comme des armes contre la domination étrangère. Les grandes puissances forment alors l’Alliance des huit nations comprenant l’Empire austro-hongrois, la France, l’Empire allemand, le royaume d’Italie, l’empire du Japon, l’empire de Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Cette alliance intervient militairement en Chine. En réaction, les autorités impériales chinoises lui déclarent la guerre, mais subissent une défaite militaire et doivent se retourner contre les Boxers. L’Empire chinois sort de cette crise humilié car il est alors mis sous tutelle étrangère. La fin de la révolte des Boxers marque aussi le début de nombreuses réformes ayant pour objectif de moderniser le pays : l’étude des classiques confucéens est remplacée par celle des mathématiques occidentales, de la science, de la mécanique et de la géographie ; la Chine commence à envoyer sa jeunesse en Europe et au Japon pour étudier les sciences nouvelles, telles que l’économie, et l’élite est séduite par de nouveaux modes de pensée, comme le marxisme ; en 1910, une Assemblée consultative nationale, démocratiquement élue, est même établie. • 124 e s s Ce processus de modernisation suscite de fortes aspirations politiques parmi les élites. Ajoutées au discrédit d’un pouvoir impérial humilié lors de la révolte des Boxers, elles conduisent à la chute de la dynastie Qing et à la proclamation de la république de Chine. Doc. 2. La Chine, une puissance mondiale : le réveil du dragon (Caricature suédoise d’Olle Johansson, 2010.) On retrouve ici le dragon qui symbolise la Chine. En 2010, elle est devenue la deuxième puissance économique du monde en dépassant le Japon. Selon certains économistes, le dragon chinois pourrait dépasser les États-Unis vers 2027. C’est ce qu’évoque cette caricature en montrant les inquiétudes de l’oncle Sam, emblème des ÉtatsUnis. Il est encore sur la première marche du podium mais il regarde avec une certaine frayeur son challenger chinois représenté beaucoup plus grand que lui. C’est ici une allusion à l’importance de la population chinoise : la Chine est l’État le plus peuplé de la planète avec 1,3 milliard d’habitants, les États-Unis n’ayant que 309 millions d’habitants. 1. La Chine, en quête d’indépendance (1914-1945) � MANUEL, PAGES 226-227 Doc. 1. « L’Appel à la Jeunesse » (Chen Duxiu, éditorial du premier numéro de la revue Qingnian zazhi, sous-titrée en français La Jeunesse, 15 septembre 1915.) Cette revue, fondée à Shanghai en septembre 1915 par Chen Duxiu, ancien étudiant au Japon, joue un rôle fondamental dans l’introduction des idées occidentales en Chine au début du XXe siècle. La revue est très vite lue par la majorité des étudiants chinois (parmi lesquels Mao Zedong). Elle est très francophile. Un article de Chen Duxiu dans le premier numéro, « Les Français et la civilisation moderne », attribue à la civilisation française trois dons faits à l’humanité : les concepts des droits de l’homme (avec La Fayette), de l’évolution (avec Lamarck) et du socialisme (avec Babeuf, suivi de Saint-Simon et Fourier). © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Question. Le premier article de Chen est cet « Appel à la jeunesse », où il confronte la morale confucéenne au modernisme occidental. L’auteur de cet appel exprime son admiration pour la « réussite de la race blanche », c’est-àdire des Occidentaux. Il souhaite que les Chinois abandonnent leurs « coutumes traditionnelles » car elles « sont des survivances du féodalisme ». Pour lui, le poids de ces traditions en Chine est la cause essentielle « de son inadaptation à la vie dans le monde moderne ». it nomique Shanghai et de la quasi-totalité des régions littorales, qui sont les parties les plus riches et les plus peuplées du territoire chinois. Cependant ils échouent à vaincre totalement les armées chinoises et à s’emparer de la totalité du pays. Le gouvernement nationaliste réussit ainsi à se replier sur Chongqing. e s s • Question 2. En 1937, les communistes chinois ne contrôlent vraiment que la région de Yanaan. En 1945, leur influence a beaucoup progressé et de nombreuses régions de l’est de la Chine notamment à proximité de Beijing et de Shanghai sont désormais sous leur domination. o B it e s s o B Doc. 2. Des Chinois sont enterrés vivants par des soldats japonais au cours du massacre de Nankin, 1937 Le 13 décembre 1937, Nankin, alors capitale de la république de Chine, tombe entre les mains des Japonais. Suivent alors six semaines de massacre au cours desquelles des centaines de milliers de civils et de soldats désarmés sont assassinés tandis que des femmes et des enfants sont violés par les soldats de l’armée japonaise. Une estimation précise du nombre de victimes du massacre n’est pas possible car la plupart des rapports militaires japonais sur les tueries ont été détruits délibérément ou gardés secret peu après la reddition du Japon en 1945. Le tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient estime à plus de 200 000 le nombre de victimes. • Question. Au premier plan de cette photographie, on distingue une fosse dans laquelle sont disposés des prisonniers chinois encore vivants qui sont solidement attachés. À l’arrière, des soldats japonais impassibles assistent à l’opération, certains ont les mains dans les poches. Cette photographie est donc particulièrement révélatrice des atrocités commises par les Japonais lors de la Seconde Guerre mondiale. Doc. 3. L’invasion japonaise (1931-1945) Le 7 juillet 1937, un incident entre des soldats japonais et chinois fournit au Japon le prétexte pour reprendre sa politique d’expansion territoriale en Chine. Le 28 juillet, la guerre est officiellement déclarée. Les villes de Beijing et Tianjin sont prises début août. Malgré quelques succès, les forces chinoises subissent une série de désastres. Elles ne parviennent pas à empêcher les Japonais de conquérir une grande partie du territoire chinois. • Question 1. Les Japonais s’emparent de la capitale politique Nankin, de la capitale éco© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 4. La Chine, membre de la Grande Alliance (Affiche de propagande appelant les Américains à faire des dons en faveur de la Chine, 1942.) Dès mars 1941, le gouvernement des ÉtatsUnis fournit à la Chine 1,6 milliard de dollars de matériel dans le cadre d’un accord lend-lease (prêt-bail) signé en mars 1941. À la fin 1941, après l’attaque de Pearl Harbor, la république de Chine est officiellement admise parmi les Alliés, ce qui intensifie l’aide américaine. À partir du printemps 1942, l’armée américaine s’engage en Chine et installe des bases sur son territoire, tandis que les troupes chinoises interviennent aux côtés des Américains dans la campagne de Birmanie. L’organisation humanitaire new-yorkaise United China Relief, à l’origine de cette affiche, est fondée en 1941 pour apporter un soutien aux victimes civiles de la guerre mais aussi à la guérilla active dans le nord de la Chine. United Relief organise alors des campagnes pour lever des fonds. Lors de sa campagne d’appel aux dons de 1942, cette association parvient à recueillir 7 millions de dollars. • Question. Pour inciter les Américains à donner leur argent, cette affiche tente de les apitoyer en montrant des Chinois qui, victimes de la guerre, n’en restent pas moins des héros. Sur cette image, l’Oncle Sam (allégorie des États-Unis) vient en aide à une mère au visage déterminé qui, lors d’un bombardement japonais, sauve son enfant. Au premier plan, un combattant blessé mais qui semble vouloir à tout prix poursuivre le combat, porte un fusil sur son épaule. 125 • ◗ Étude Le « mouvement du 4 mai 1919 » et l’affirmation du nationalisme chinois � MANUEL, PAGES 228-229 Réponses aux questions 1. Ce sont les étudiants pékinois qui sont à l’origine de la contestation. Dès le 4 mai 1919, ils sont environ 3 000 à manifester contre le gouvernement et à tenter de mobiliser leurs compatriotes par des discours enflammés. Leurs revendications sont marquées par un fort senti­ment nationaliste. Ils veulent préserver « l’intégrité territoriale » de la Chine et combattre pour la « souveraineté » de leur pays. Ils s’opposent ainsi aux ambitions des Japonais qui ont obtenu le contrôle du Shandong. Ils veulent que leur gouvernement refuse de signer le traité de Versailles qui entérine cette mainmise du Japon sur l’ancienne zone d’influence allemande. Ils veulent aussi en finir « avec la clique qui vend la nation ! », car le gouvernement chinois a accepté à l’avance la cession du Shandong en contrepartie d’un prêt japonais. Pour obtenir satisfaction, les étudiants tentent de mobiliser leurs compatriotes, ils appellent notamment les travailleurs à organiser « des réunions civiques pour combattre ». 2. Le mouvement prend rapidement une ampleur considérable. En effet, les principales villes de la Chine orientale sont touchées, notamment la capitale Nankin et le principal centre écono5. Causes et revendications • Le 4 mai 1919, 3 000 étudiants manifestent à Pékin devant la porte Tian’anmen. (doc. 2) • « Finissons-en avec la clique qui vend la nation ! » • « Ne signons pas le traité de Versailles ! » • « Combattons pour la souveraineté de notre nation ! » (doc. 4) • « La conférence de paix, à Paris, s’apprête à accepter la demande du Japon d’occuper et de contrôler le Shandong ! » (doc. 4) • « Nous souhaitons que les gens travaillant dans l’industrie, les entreprises et tous les secteurs de la vie dans tout le pays organisent des réunions civiques pour combattre. » (doc. 4) • 126 it mique Shanghai. En outre, aux manifestations étudiantes s’ajoutent des grèves dans les usines et les commerces ainsi qu’un mouvement de boycott des produits japonais. D’après le témoignage de John Dewey, « il y a environ 10 000 grévistes dans la seule ville de Pékin » et « plus d’un millier d’étudiants ont été arrêtés ». 3. Le gouvernement chinois a d’abord choisi de réprimer le mouvement. Il a fait encercler l’université par les soldats afin de la transformer en une vaste prison « pour les étudiants qui troublent la paix en prononçant des discours ». Certains étudiants ont même été brutalisés, ils ont « été emmenés dans les bureaux de la police et fouettés sur le dos ». Cependant le mouvement est d’une telle ampleur que le gouvernement finit par céder. Le 10 juin 1919, John Dewey constate ainsi que « les étudiants ont gagné le match. ». Il semblerait que ce retournement de situation soit lié à l’amplification de la contestation, c’està-dire non seulement à la « grève des commerçants » mais surtout à la « crainte d’un ralliement des soldats aux étudiants ». 4. Ce mouvement est un évènement marquant de l’histoire de la Chine selon John Dewey car il s’agit de « la naissance d’une nation, et les naissances sont toujours difficiles ». Ce témoignage montre bien que le « mouvement du 4 mai 1919 » est marqué par le réveil du sentiment national parmi une grande partie de la population chinoise. e s s o B it e s s o B Déroulement Portée • Manifestations et grèves d’étudiants, boycott des produits japonais, grève des commerçants, manifestations et grèves ouvrières.Toutes les grandes villes de la Chine orientale touchées. (doc. 1) • « Nous assistons à la naissance d’une nation, et les naissances sont toujours difficiles. » (doc. 3) • Cette agitation se poursuit jusqu’en juin : le 1er juin, « l’université a été transformée en prison et encerclée par des tentes militaires. […] Plus de deux cents étudiants enfermés dans le bâtiment de la faculté de droit, deux étudiants ont été emmenés dans les bureaux de la police et fouettés sur le dos. » (doc. 3) • « Les étudiants ont gagné le match. » (doc. 3) • 28 juin 1919 : La Chine refuse de signer le traité de Versailles. (Repères chronologiques) • « Un millier d’étudiants qui ont été arrêtés. Il y a environ 10 000 grévistes dans la seule ville de Pékin. […] » (doc. 3) • Crainte d’un ralliement des soldats aux étudiants. (doc. 3) © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 it 6. Le « mouvement du 4 mai 1919 » est un moment fort dans l’essor du nationalisme chinois d’abord parce que c’est une révolte contre le système des traités inégaux, des concessions, et des zones d’influence, en particulier contre la mainmise par le Japon sur le Shandong. Ensuite l’ampleur du mouvement montre que le sentiment national se réveille non seulement dans l’élite intellectuelle mais aussi chez les ouvriers et les commerçants. Ce sont en effet les forces vives de la nation qui protestent et les villes les plus actives de la Chine orientale qui sont touchées par les grèves et les manifestations. Enfin, les manifestants ont contraint le gouvernement chinois à reculer et à refuser finalement la cession du Shandong. Ce relatif succès a sans doute renforcé l’aura des nationalistes chinois. 7. Voir notamment : • www.chine-informations.com/actualite/lachine-celebre-le-e-anniversaire-du-mouvementdu-mai_12906.html • amities-populairesfrance-chine.over-blog.com/ article-le-mouvement-du-4-mai-1919-riche-denseignements-au-plan-mondial-49759365.html • www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2011/ 07/04/chine-une-super-production-sur-la-fondation-du-pc-fait-naitre-des-vocations-de-revolutionnaires_1544701_3216.html • www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/vi deo/CAC89044101/manifestation-en-chine. fr.html • Question 1. Au premier plan de l’affiche, deux hommes sourient et se serrent amicalement la main. À gauche, un expert soviétique d’âge mûr, à droite un jeune Chinois. Cette différence d’âge symbolise l’écart économique entre les deux pays et le fait que l’URSS, grande puissance, apporte à la Chine, jeune nation en voie de développement, tous les enseignements de sa longue expérience. 2. Les débuts de la Chine communiste • Question. Le PCC reproche au PCUS d’avoir osé critiquer la politique de Staline lors de son XXe Congrès. Pour les Chinois, Staline reste « un grand marxiste léniniste » et « un grand révolutionnaire prolétarien ». Ils refusent aussi la politique de coexistence pacifique menée par l’URSS de Khrouchtchev. Pour le PCUS, elle aboutit « à sacrifier les intérêts du camp socialiste et du mouvement communiste international ». La crise de Cuba est pour les Chinois « l’exemple frappant » du « capitulationnisme » soviétique. En effet, pour éviter un affrontement avec les États-Unis, l’URSS a accepté de retirer les missiles nucléaires qu’elle avait installés sur l’île. (1945-1976) e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 230-231 Doc. 1. L’amitié entre la Chine et l’URSS (Affiche chinoise, 1953.) Après sa conquête du pouvoir, le Parti communiste chinois choisit d’entrer dans le camp soviétique. Le 16 décembre 1949, Mao rencontre Staline à Moscou. Les négociations sont difficiles mais elles aboutissent à la signature en février 1950 d’un traité d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle sino-soviétique, valable trente ans. L’URSS accorde un prêt modeste de 300 millions de dollars à la Chine et envoie de nombreux conseillers russes pour aider à son industrialisation. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Question 2. À l’arrière-plan apparaît un vaste complexe industriel en construction (grues, usines, etc.), qui montre bien que la Chine suit la voie soviétique d’industrialisation fondée sur la priorité à l’industrie lourde. Les Chinois choisissent en effet ce modèle de développement dans les années 1950. Doc. 2. Les raisons de la rupture sino-soviétique (« Les divergeances entre la direction du PCUS et nous – leur origine et leur évolution », article du Quotidien du Peuple, 6 septembre 1963.) À la fin des années 1950, l’URSS prend de plus en plus ses distances vis-à-vis de la Chine et de son « Grand Bond en avant ». En juin 1959, elle abroge unilatéralement le traité de 1957 de coopération nucléaire avec la Chine. En 1960, l’URSS rappelle ses 1 300 experts. Mais la rupture officielle entre le PCUS et le PCC n’intervient que fin 1962. Dès décembre 1962, le Quotidien du peuple inaugure en effet une série d’articles critiques à l’égard du PCUS dont celui-ci n’est qu’un exemple. 127 • Doc. 3. La Chine populaire entre à l’ONU (Résolution 2 758 de l’Assemblée générale de l’ONU, 25 octobre 1971.) • Questions. La Chine populaire devient en 1971 un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Elle remplace ainsi la Chine nationaliste de Taiwan qui occupait cette place malgré la fondation du régime communiste chinois en octobre 1949. Cette résolution est un grand triomphe diplomatique pour le gouvernement de Mao qui obtient ainsi d’être reconnu comme la seule autorité chinoise légitime par l’ONU. La Chine a aussi désormais un droit de veto sur toutes les décisions du Conseil de sécurité. it Coréens et aux Occidentaux que le contrôle d’une bande de terre autour de la ville de Pusan. Mais fin 1950, les forces occidentales reprennent Séoul et les Nord-Coréens sont repoussés au-delà du 38e parallèle. Fin novembre, certaines unités occidentales atteignent le Yalu, fleuve de la frontière chinoise. Elles semblent donc avoir triomphé. Cependant, les Chinois contreattaquent et font battre en retraite les troupes de l’ONU, inférieures en nombre. Les communistes s’emparent à nouveau de Séoul le 4 janvier 1951. L’offensive communiste n’est stoppée que le 15 janvier au sud de Séoul. Les Occidentaux reprennent alors l’offensive le 21 janvier. Sous la pression d’une puissance de feu supérieure, les Chinois doivent se retirer, Séoul est reprise le 14 mars. Le 22 avril, les forces occidentales occupent des positions un peu au nord du 38e parallèle, le long d’une ligne qui reste stable jusqu’à la fin de la guerre. L’intervention chinoise a donc sauvé la Corée du Nord du désastre. 2. La Chine populaire justifie l’intervention de volontaires chinois en soulignant que les forces américaines ont violé son intégrité territoriale « en bombardant ses paisibles villes et villages ». Elle ajoute aussi que l’intervention occidentale menace « la sécurité de la République populaire de Chine » ; en effet les troupes américaines sont désormais proches de sa frontière et le gouvernement des États-Unis est accusé de réaliser « méthodiquement l’encerclement militaire de la Chine en vue d’attaquer plus tard ce pays et de provoquer une troisième guerre mondiale ». Les États-Unis sont donc désignés comme les principaux agresseurs. Le général Mac Arthur, commandant en chef du corps expéditionnaire de l’ONU, est même présenté sur l’affiche comme un tortionnaire qui n’hésite pas à poignarder une mère et un enfant chinois de ses propres mains. 3. À cette époque, le gouvernement de la République populaire de Chine n’est pas reconnu officiellement par la communauté internationale. C’est la Chine nationaliste (Taiwan) qui dispose du siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. En invitant un représentant de la Chine populaire à une réunion sur la guerre de Corée, le Conseil de sécurité de l’ONU reconnaît le gouvernement de Mao comme un acteur majeur des relations internationales. Cette invitation est donc un tournant e s s o B it e s s o B Doc. 4. La première visite d’un président américain en Chine La cohésion apparente du bloc communiste est mise à mal avec la rupture sino-soviétique de 1960. Désormais les deux régimes communistes s’affrontent sur le terrain idéologique et diplomatique. Le risque d’une guerre entre ces deux géants devient sérieux en 1969, année pendant laquelle se produisent d’importants incidents frontaliers. Conscient que la proximité géographique de l’URSS rend le danger plus grand que celui représenté par les États-Unis et que Pékin ne peut affronter à la fois Moscou et Washington, Mao décide de se rapprocher des Américains. Afin d’affaiblir l’URSS dans le monde communiste, les États-Unis profitent de l’occasion. Le président Nixon, invité par Mao, se rend en Chine en février 1972. La visite du président américain suscite un grand étonnement car la guerre du Vietnam, qui voit s’affronter les troupes communistes soutenues par la Chine et le régime de Saïgon appuyé par les États-Unis, n’est pas finie. Au terme de son séjour, le 28 février, Nixon déclare : « Nous avons passé une semaine ici. C’est une semaine qui a changé la face du monde. » ◗ Étude La Chine et la guerre de Corée (1950-1953) � MANUEL, PAGES 232-233 Réponses aux questions 1. La guerre débute le 25 juin 1950, quand l’armée nord-coréenne franchit le 38e parallèle et envahit la Corée du Sud. Malgré l’arrivée des forces occidentales en Corée, les Nord-Coréens s’emparent de Séoul et ne laissent aux Sud• 128 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 pour Pékin ; le pays le plus peuplé de la planète fait son retour dans le concert des nations. 4. Le président des États-Unis refuse de déclarer la guerre à la Chine et d’aider « les troupes nationalistes chinoises à débarquer sur la partie continentale de la Chine ». Il ne veut pas prendre le risque de « commencer une guerre générale » ; il craint en effet que l’URSS ne décide de venir en aide à la Chine, ce qui provoquerait une « troisième guerre mondiale ». Le 11 avril 1951, Mac Arthur, qui voulait bombarder la Chine, est désavoué par Truman et remplacé par le général Rigdway. 5. Ce tableau révèle que la Chine a mobilisé beaucoup de moyens humains dans son intervention en Corée et ses pertes sont considérables. D’après le Pentagone, les soldats chinois tués, blessés ou disparus sont 907 000 (soit 60 % de l’ensemble des soldats du camp communiste). Même si les Chinois tentent de minimiser leurs pertes, on peut se rendre compte que leurs chiffres représentent également 60 % des pertes communistes. C’est donc la Chine qui a fait le principal effort dans cette guerre contre le corps expéditionnaire commandé par les États-Unis. Avec la guerre de Corée, la Chine joue à nouveau un rôle majeur en Asie ; elle devient une puissance militaire non négligeable et un acteur important dans la guerre froide. En outre, le fait que les troupes chinoises soient parvenues d’abord à repousser les troupes occidentales puis à résister à leur contre-offensive est une revanche sur les humiliations du passé (traités inégaux). Cette guerre est pour les Chinois une étape majeure dans l’affirmation de leur pays en Asie orientale et même sur la scène internationale. 6. L’armistice de Panmunjom (juillet 1953), qui met fin à la guerre de Corée, est négocié avec la participation d’une délégation chinoise dirigée par le commandant des volontaires du peuple chinois. La présence de représentants de Pékin entraîne une reconnaissance de facto du nouveau régime par la communauté internationale. ◗ Étude it La Chine de Mao, un rayonnement international ? e s s � MANUEL, PAGES 234-235 Réponses aux questions 1. La Chine fait connaître « sa révolution » en publiant des magazines de propagande à l’étranger, notamment en Occident. Le mensuel La Chine en construction est publié en différentes langues, ici le français et l’anglais. Ce périodique met l’accent sur la façon dont le régime parvient à mobiliser des masses enthousiastes et souriantes. Sur les deux couvertures, on aperçoit en effet un rassemblement de Chinois qui brandissent des symboles du maoïsme, le drapeau rouge ou le petit livre rouge. Ces photographies sont aussi conçues à la gloire de Mao Zedong qui apparaît comme le chef suprême de la Chine communiste, celui qui galvanise les foules. Sur le document 3a, sa photographie et sa statue apparaissent à l’arrière-plan ; sur le document 3b, des gardes rouges se rassemblent autour du drapeau chinois où un portrait de Mao a été collé. 2. François Mitterrand insiste d’abord sur le développement économique, rapide et phénoménal que connaît la Chine populaire. Elle est désormais capable de « produire plus, mieux, moins cher et plus vite », de « nourrir une population qui s’accroît actuellement d’une demi-France par an » ou d’« entreprendre de grands travaux ». François Mitterrand est aussi sensible à la manière dont le régime a transformé la société chinoise et à l’effort de formation qui a été fait, le régime communiste ayant été capable d’éduquer « des cadres par centaines de milliers ». Il dispose désormais d’« ingénieurs qui sondent les profondeurs du sol, réinventent un équipement ultramoderne, rationalisent le rendement ». 3. M.-A. Macciocchi présente une image très positive de la Révolution culturelle. Pour elle, « c’est une révolution qui a profondément régénéré le Parti communiste chinois ». La mobilisation des masses « dirigée d’en haut par Mao a permis d’éliminer les élites politiques et technocratiques, la bureaucratie, les hiérarchies et les privilèges… ». Elle reprend en fait le discours de propagande du régime communiste tel qu’il apparaît au travers des couvertures des magazines qui célèbrent cet enthousiasme des masses pour les idées de Mao. o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 129 • it 4. Elle refuse de voir que cette révolution culturelle s’est déroulée dans une grande violence et a fait de nombreuses victimes innocentes. Simon Leys dit en effet avoir vu « le fleuve Jaune charrier des cadavres » pendant son séjour en Chine lors de la Révolution culturelle. 5. Cette photographie montre l’influence du maoïsme auprès de la jeunesse française. En effet, les étudiants qui occupent la Sorbonne en mai 1968 ont accroché sur les murs de l’université un gigantesque portrait de Mao Zedong et des slogans communistes tel que « servir le peuple ». 6. Ce dossier documentaire insiste sur le rayonnement idéologique du communisme chinois. La propagande maoïste en Occident notamment en Europe marque les esprits des élites intellectuelles et politiques ainsi que ceux de la jeunesse. Grâce à cette intense propagande reposant sur la traduction en plusieurs langues du petit livre rouge, à la publication de magazines à la gloire de la Chine populaire, le régime de Mao sait donner une image très positive de ce qu’il appelle la « Révolution culturelle ». De nombreux occidentaux croient alors que le gouvernement communiste réussit à mobiliser les masses pour sortir la Chine de son sous-développement chronique et pour en faire un pays moderne où règne une grande justice sociale. La Chine supplante ainsi l’URSS comme modèle à suivre dans l’esprit de nombreux Européens de gauche. Ils rêvent d’adopter ce système dans leur pays ; ils ne veulent pas voir que le régime maoïste est tout aussi autoritaire que celui d’URSS et que les violences sont nombreuses. l’ensemble du littoral qui est concerné dès 1988. Enfin au début des années 1990, l’intérieur du pays est progressivement autorisé à recevoir des capitaux étrangers. La totalité du territoire chinois est donc aujourd’hui ouvert aux investissements des multinationales. • Question 2. Cette politique a entraîné un important écart de richesse entre la côte et l’intérieur du territoire chinois. Les régions de Chine qui ont le plus fort PIB par habitant sont celles qui ont été ouvertes aux investissements étrangers dès les années 1980. L’intérieur du pays garde un PIB par habitant généralement inférieur à la moyenne nationale. 3. Modernisation et ouverture (Une de Courrier international, 21-27 juillet 2011.) e s s o B it e s s o B sur le monde (1976-2011) � MANUEL, PAGES 236-237 Doc. 1. L’ouverture de la Chine • Question 1. En 1980, pour attirer les investisseurs étrangers, sont d’abord créées quatre zones économiques spéciales sur la côte sud-est de la Chine, notamment celle de Shenzhen à proximité de Hong Kong. Le succès de l’opération est tel que le gouvernement chinois décide d’ouvrir aux investissements étrangers d’autres villes portuaires comme Shanghai en 1984. Puis c’est • 130 Doc. 2. Trafic et corruption (Nin-Nin, Pas de larmes pour Mao, 1989.) • Question. La « réouverture de la Chine au commerce étranger » permet à certains Chinois de s’enrichir très rapidement. Dans ce texte, il est question d’un jeune Pékinois qui, après avoir fait ses études à l’étranger, développe « un trafic de voitures et de motos ». Ce Chinois utilise aussi ses relations dans l’administration pour vendre ses services à d’autres hommes d’affaires, et leur permettre d’« obtenir plus rapidement et à coup sûr des autorisations d’importation de matériel ». Ces pratiques de corruption sont typiques de comportements mafieux. Des bandes rivales s’organisent, ce qui entraîne des violences : le frère de Hewei qui a voulu s’emparer des « bonnes affaires » d’un groupe concurrent est ainsi pris en otage. Une rançon doit être payée pour sa libération. Doc. 3. La presse face à l’essor des investissements chinois à l’étranger • Question. Cette couverture de Courrier interna­ tional exprime l’appréhension des Occidentaux face à la puissance économique chinoise. Elle présente un gigantesque panda, toutes griffes dehors, qui semble sur le point de s’emparer de l’Europe. Le titre, « Si la Chine rachète l’Europe », rend encore plus explicite ce message. Désormais, les entreprises chinoises sont devenues si dynamiques et si prospères qu’elles peuvent espérer racheter les sociétés en difficulté d’une Europe qui connaît elle, un important ralentissement économique depuis 2007 (voir chapitre 12). © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude L’Occident et la Chine après les massacres de la place Tian’anmen � MANUEL, PAGES 238-239 Réponses aux questions 1. Ces images parues dans la presse occidentale mettent l’accent sur la violence de la répression subie par les manifestants de la place Tian’anmen. La couverture de Newsweek évoque un « règne de la terreur » et montre, au premier plan, deux femmes. L’une d’entre elles, peut-être blessée, pleure, le bras en l’air, le visage ravagé par la douleur ; l’autre la soutient. À l’arrièreplan, on distingue une autre personne qui se tient la tête entre les mains. Sur le dessin paru dans le Sun figure Deng Xiaoping, principal dirigeant de la Chine populaire. Hilare, il porte sur le dos un sabre ensanglanté et veut rejoindre le podium sur lequel sont placés les « bouchers de l’histoire », Hitler et Staline. 2. Le président américain soutient les manifestants parce qu’ils réclament « des droits fondamentaux, la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté d’association ». Pour les pays du G7, ils ne font que « revendiquer leurs droits légitimes à la démocratie et à la liberté ». Dans ces conditions, les grandes puissances occidentales, qui sont toutes des démocraties, ne peuvent tolérer que les autorités chinoises aient choisi de réprimer aussi violemment ce mouvement pacifique. 3. Les États-Unis décident de suspendre « toutes les exportations d’armes » en direction de la Chine et toutes les « rencontres entre des dirigeants américains et les chefs militaires chinois ». Ils veulent permettre aux étudiants chinois qui le désirent de « prolonger leur séjour aux États-Unis » et offrir « une assistance humanitaire et médicale à travers la Croix-Rouge aux personnes blessées lors de la répression ». Le G7 reprend la plupart des sanctions décidées par les États-Unis en en étendant certaines : le commerce des armes avec la Chine est aussi suspendu, mais il met également fin à tous les « contacts ministériaux bilatéraux » et pas seulement aux relations avec les chefs militaires ; enfin les prêts de la Banque mondiale sont « ajournés ». Ces sanctions sont très limitées, il n’est pas question, par exemple, d’interdire, même provisoirement, les relations commerciales avec la it Chine. Le marché chinois est en effet devenu un débouché essentiel pour les produits des nations industrialisées. En outre, ces mesures ne sont que temporaires : dès 1990, une partie des sanctions est levée et en 1992, les rencontres entre les dirigeants chinois et occidentaux reprennent. 4. Jim Munson prononce ce discours à l’occasion du 20e anniversaire du massacre de la place Tian’anmen. Il exige des autorités chinoises qu’elles donnent des nouvelles des victimes de la répression et des manifestants qui ont été arrêtés. Pour le sénateur canadien, le régime chinois doit reconnaître sa responsabilité dans ce massacre et présenter des excuses, c’est seulement à cette condition que la Chine pourra prétendre jouer un rôle moteur dans les relations internationales et devenir « un leader ». Pour lui, la puissance économique ne suffira pas à la Chine pour devenir un partenaire respectable et respecté. 5. Cette étude présente trois types de réaction : – celles de la presse occidentale qui réagit à l’actualité immédiate, qui veut émouvoir l’opinion publique mondiale en mettant l’accent sur les violences subies par les manifestants et qui condamne sans hésitation le régime chinois. – celles plus diplomatiques et modérées des gouvernements qui, sous la pression de leur opinion publique, réagissent au nom des grands principes démocratiques, mais qui ne peuvent sanctionner trop sévèrement et trop longtemps un pays qui est devenu un partenaire économique incontournable. – celles d’une personnalité qui tente d’entretenir la mémoire de ces atrocités dans l’opinion publique afin d’obliger la Chine à mettre fin à son silence sur le sort des manifestants et à reconnaître ses erreurs et sa responsabilité dans ce massacre. 6. Les organisations des droits de l’homme tentent d’entretenir le souvenir de ces événements en organisant des manifestations spectaculaires pour frapper les esprits, notamment lors de chaque anniversaire des massacres de la place Tian’anmen. Amnesty International a ainsi organisé des rassemblements dans plusieurs États du monde lors des 20 ans de ces événements. L’association ne cesse de réclamer la libération des manifestants arrêtés alors. Voir www.amnesty.org/ e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 131 • ◗ Étude La Chine en Asie : l’ascension d’une puissance régionale � MANUEL, PAGES 240-241 Réponses aux questions 1. La Chine est un sujet d’inquiétude pour ses voisins en raison d’abord de ses revendications territoriales. Ses rapports avec l’Inde sont rendus difficiles par l’existence de litiges frontaliers dans l’Himalaya. En Asie du Sud-Est, Pékin refuse d’accepter l’indépendance de Taiwan et considère que l’île fait toujours partie de son territoire national. La RPC voudrait aussi pouvoir contrôler une plus large portion de la mer de Chine méridionale. Il faut comprendre que la Chine considère cette mer comme une sorte de zone d’influence naturelle, selon une conception impériale de son pouvoir. La puissance militaire grandissante de la Chine est l’autre sujet d’inquiétude des pays d’Asie méridionale. En effet, les Chinois disposent de l’arme nucléaire et d’importantes bases navales dans la région. La Chine « a modernisé ses forces militaires, grâce à une forte et constante hausse du budget de la défense », elle a développé « principalement sa force nucléaire, ses missiles, ainsi que sa marine et son armée de l’air ». La Chine multiplie les opérations navales que ce soient des « exercices d’entraînement », « des activités de collecte d’informations », ou « des activités de surveillance ». 2. Les États-Unis, qui sont la plus grande puissance militaire au monde, peuvent apparaître comme particulièrement menaçants pour la Chine. En effet, ils disposent d’un grand nombre de bases militaires encerclant le territoire chinois. En outre, de nombreux pays de la zone sont des alliés de Washington. 3. On constate que les relations économiques entre la Chine et l’Asie n’ont cessé de s’intensifier depuis 1992. Le commerce extérieur de la Chine avec cette région a été multiplié par près de 9 ; l’Asie représente désormais 45 % du total du commerce extérieur chinois. 4. Les partenaires économiques privilégiés de la Chine en Asie aujourd’hui sont le Japon (23 % du commerce chinois avec l’Asie) et les pays d’Asie du Sud-Est (64 % du commerce chinois avec l’Asie). Pour développer ses relations commerciales, Pékin a signé des accords de libre- it échange avec ses principaux partenaires, notamment avec 6 pays de l’ASEAN. 5. La Chine est une puissance majeure en Asie du Sud-Est parce qu’elle est une puissance économique en essor constant. Son PIB est le plus important de la région depuis 2010, sa croissance économique est phénoménale depuis 1992 (le PIB a été multiplié par 13), et elle entretient d’intenses relations commerciales avec l’Asie, en particulier le Japon et l’Asie du Sud-Est. Récemment, elle a développé des liens avec l’Asie centrale (Organisation de coopération de Shanghai). Sa puissance militaire est grandissante : elle détient l’arme nucléaire, son budget de la défense ne cesse de croître. Elle multiplie les opérations militaires, notamment navales, dans la zone. La Chine dispose aussi dans cette zone de relais d’influence. En effet, la diaspora chinoise est importante dans la région. Dans certains pays résident plus de 1 million d’habitants d’origine chinoise : Singapour, Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Philippines, Myanmar, Vietnam. Ces personnes constituent 80 % de la population de Singapour, 25 % de celle de la Malaisie, 10 % de celle de la Thaïlande. Mais les obstacles et les limites à l’affirmation de la puissance chinoise restent nombreux : il y a des faiblesses politiques internes, notamment les revendications nationalistes au Tibet et au Xinjiang. La Chine entretient de mauvaises relations avec certains pays voisins à cause de litiges frontaliers ou de revendications de zones maritimes. Des foyers de crise existent à ses frontières ou à proximité (Afghanistan, Corée du Nord notamment). Enfin la forte présence militaire et diplomatique des États-Unis dans la zone freine les ambitions chinoises. e s s o B it e s s o B • 132 ◗ Étude La Chine populaire et l’Afrique � MANUEL, PAGES 242-243 Réponses aux questions 1. On peut dire que les objectifs de la Chine sont d’abord politiques dans les années 1960 parce que la Chine a appuyé le mouvement de décolonisation africain. Elle a soutenu notamment des mouvements marxistes en Angola et au Mozambique (contre la domination portugaise) et en Namibie (contre l’Afrique du Sud). © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 L’affiche montre que Mao voulait alors apparaître comme « le grand libérateur des peuples révolutionnaires de la planète ». Selon le président chinois actuel, cette politique a permis à son pays d’obtenir l’appui total des amis africains au rétablissement de la République populaire de Chine dans son siège légitime aux Nations unies. 2. Les relations commerciales de la Chine avec l’Afrique ont connu un important essor. Quasiment insignifiant en 1956, ce commerce représente 127 700 millions de dollars en 2010. Il s’est surtout développé depuis le début des années 2000. La Chine achète des matières premières à l’Afrique, notamment du pétrole ; elle lui vend des produits manufacturés, en particulier des armes. 3. 10,3 % des exportations africaines sont à destination de la Chine. Les partenaires économiques privilégiés de la Chine sont l’Angola, l’Afrique du Sud, le Soudan, le Nigeria, la Guinée équatoriale, le Congo Brazzaville, l’Algérie, la Libye, l’Égypte. Souvent, il s’agit de pays producteurs de pétrole, énergie dont la Chine a un énorme besoin vu la vitesse de son développement. 4. Les Chinois investissent de plus en plus en Afrique, ils cherchent notamment à contrôler des terres arables pour pouvoir se fournir facilement en produits agricoles. Ils octroient aussi aux pays africains une aide au développement. Le président Chinois veut notamment annuler des dettes gouvernementales, envoyer des ingénieurs agronomes, aider à la construction d’hôpitaux et d’écoles. Des soldats chinois participent aussi aux opérations de l’ONU dans la région. Enfin, la Chine finance l’installation sur ce continent de nombreux instituts Confucius pour accroître son influence culturelle et sans doute aussi pour permettre la formation de cadres parlant chinois qui sont nécessaires au développement des relations économiques. On peut dire que la présence chinoise est encore limitée parce que la Chine n’est pas le plus important partenaire commer- it cial de l’Afrique. L’Union européenne reste encore la principale destination des exportations chinoises (38,9 %). 5. Les Occidentaux reprochent à la Chine de ne se soucier que de ses intérêts économiques. D’après le dessin de Chappatte, elle cherche essentiellement à écouler sa production, à signer des contrats. L’auteur fait d’ailleurs dire à un homme d’affaires chinois que « le seul truc qu’on essayera pas de vous vendre, c’est la démocratie ». La Chine n’hésite donc pas à passer des accords avec les pires dictateurs de la région. Le dessinateur suggère, par un cœur placé au-dessus de deux dirigeants africains, que c’est une des raisons des récents succès chinois en Afrique. 6. Dans les années 1960, les relations sino-africaines étaient peu développées. La Chine s’intéressait surtout au continent africain pour assurer le rayonnement de son modèle idéologique et pour obtenir l’appui des pays nouvellement indépendants alors qu’elle était isolée sur la scène internationale. Depuis le début des années 2000, la situation a fortement changé. Le continent africain est devenu un débouché non négligeable pour les produits chinois, il est surtout devenu un important fournisseur de matières premières (en particulier de pétrole) et de produits agricoles. La Chine ne cesse donc de renforcer ses liens avec les pays de la région : elle multiplie les investissements, accorde une importante aide au développement en annulant une partie des dettes, en envoyant des ingénieurs, en construisant des hôpitaux, etc. Elle accroît aussi sa présence militaire et culturelle sur le continent. Cette présence chinoise de plus en plus forte inquiète les Occidentaux qui lui reprochent de vouloir dominer économiquement le continent et de soutenir les pires dictatures. Ces craintes apparaissent exagérées ; malgré l’essor rapide des relations sino-africaines, c’est l’Europe qui reste le principal partenaire de l’Afrique. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 133 • ◗ Histoire des Arts Mao et la fillette blonde de Yu Youhan � MANUEL, PAGES 246-247 e s s Analyse de l’œuvre Observer it Interpréter 1. Cette œuvre date de 1992. Elle a été peinte par Yu Youhan. Yu Youhan, né en 1943 à Shanghaï, est un des principaux représentants du political pop art. ➞ Cette toile a été peinte alors que la Chine est en plein essor économique et s’ouvre massivement aux capitaux étrangers. Les relations politiques, économiques et culturelles avec les pays occidentaux ne cessent de se développer. 2. Le personnage principal de cette toile est un homme au visage souriant, il salue le spectateur en levant une de ses mains. Il porte un costume de coupe assez austère et une casquette décorée d’une étoile de couleur rouge. ➞ En comparant avec l’affiche de propagande, on reconnaît immédiatement le dirigeant communiste Mao Zedong qui a fondé la RPC en octobre 1949 et l’a dirigée jusqu’en 1976. Il fait le même geste, porte le même costume, une casquette similaire et affiche aussi un visage souriant. 3. L’autre personnage de la toile est une fillette blonde de type caucasien qui nous tourne le dos mais nous jette un regard complice. Elle montre un visage souriant. Elle porte une jupe blanche courte et une veste de couleur bleu marine. C’est en fait la tenue typique de certaines écolières américaines, tenue reprise dans des écoles asiatiques (chinoises, japonaises, etc.) voulant paraître modernes et donc occidentales. ➞ C’est le stéréotype de la petite fille américaine pour un Chinois. Ce personnage symbolise donc les États-Unis, chef de file des pays occidentaux. Or la Chine, depuis 1978, se modernise à toute vitesse en abandonnant peu à peu le communisme et en adoptant le libéralisme et la société de consommation de type occidental. 4. Le peintre utilise des couleurs vives, des traits simples, des graffitis entourent les personnages et leur figuration est plane (sans relief). Le corps de Mao est une mosaïque, il apparaît divisé en formes géométriques simples (briques, carrés, losanges) de couleurs différentes, son visage est pixelisé comme une image numérique de mauvaise qualité. ➞ Ce type de figuration est typique du pop art (voir vocabulaire p. 248 et Histoire des Arts p. 206). Cette manière de peindre est très éloignée du style plus conventionnel des affiches de propagande qui tendent à présenter Mao sous son meilleur jour. Mao, même s’il reste le personnage principal, semble ici presque disparaître, s’effacer, se diluer dans les couleurs et les formes. o B it e s s o B ◗ BAC Étude critique de document Étudier des documents statistiques � MANUEL, PAGES 250-251 Sujet : La puissance économique chinoise en Asie au XXIe siècle. RÉPONSES AUX QUESTIONS DES ENCADRÉS 1. Le Japon est encore la deuxième puissance économique mondiale et la première puissance régionale à la date de ce document. 2. Le Japon, la Corée du Sud et Taiwan, tous en Asie orientale, ont une dépendance plus forte • 134 vis-à-vis de la Chine que l’Inde et la Russie dont les partenaires économiques sont plus diversifiés (par exemple l’Europe pour la Russie). 3. La Chine est le premier partenaire commercial du Japon à la fois pour les importations mais aussi pour les exportations à hauteur d’1/5, ce qui est une dépendance très importante. 4. 1992 : reconnaissance diplomatique mutuelle entre la Corée du Sud et la RPC (voir page 240). 5. En 2010, la Chine occupe le deuxième rang économique mondial (page 236). 6. En 1997, le Royaume-Uni a rétrocédé Hong Kong à la Chine. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 7. Ces deux territoires sont considérés par la RPC comme en faisant partie intégrante. BAC BLANC Sujet : La Chine et le monde depuis 1978. Mao Zedong meurt en 1976 et le début des réformes économiques a lieu en 1978, date à laquelle démarre la série statistique présentée dans ce tableau. Le PIB de la Chine a été multiplié par près de 30 en trois décennies. Encore plus spectaculaire est la hausse des chiffres du commerce extérieur qui montre le choix de l’extraversion et de la libéralisation économique fait à la fin des années 1970. Les exportations ont été multipliées par 144 et les importations par 102 entre 1978 et 2008. La balance commerciale, légèrement déficitaire, est ainsi devenue très largement excédentaire. Cette situation s’explique par la volonté de développer les industries d’exportation qui a poussé la Chine à créer les ZES, puis à ouvrir tout son littoral aux capitaux étrangers. Effectivement, le tableau montre qu’en 1978 ces IDE étaient nuls mais s’élèvent à 138 milliards de dollars en 2007. Cette ouverture au monde s’accompagne d’une modernisation de la Chine qui se traduit, par exemple, par une nette augmentation de la consommation énergétique mais aussi par l’utilisation d’Internet. Si la progression des utilisateurs est rapide et importante, elle n’en est pas moins très inférieure à celle des pays développés et permet de montrer qu’une large part de la population chinoise, notamment dans les zones rurales, est encore en marge de cette modernisation. it traité des neuf puissances signé en 1922 par plusieurs pays européens ainsi que par les États-Unis et le Japon était supposé garantir l’intégrité territoriale du pays. C’est à cette même date que la Chine récupère le Shandong, que les Japonais occupaient depuis la Première Guerre mondiale. Les États-Unis, inquiets des ambitions japonaises, ont œuvré dans ce sens. La couverture du Rire de janvier 1938 montre ainsi un soldat japonais éventrant un Chinois représenté avec une natte (que les Hans ne portent plus depuis 1911, mais qui permet au lecteur occidental d’identifier le personnage). Il tient à la main le traité qui est supposé garantir la souveraineté chinoise, et le soldat japonais piétine les drapeaux américains et britanniques, puissances supposées garantir son application. Cette situation explique que Mao Zedong, à l’instar du Guomindang, voit dans « les envahisseurs japonais » leurs principaux ennemis et recherche une alliance avec les Alliés. Mais à l’inverse du Guomindang, Mao Zedong veut « faire des distinctions » ; il ne veut pas traiter tous les pays, « à l’exception du Japon », sur un pied d’égalité ». Ainsi, l’URSS est une meilleure alliée que les pays capitalistes, ce qui est logique pour le chef du PC chinois. Ensuite, une distinction est faite entre les pays alliés du Japon (Allemagne et Italie) et les autres (Royaume-Uni et États-Unis), malgré leur impérialisme. Enfin, Mao prend en compte l’évolution des positions de ces deux derniers États, qui s’inquiètent à présent de l’impérialisme japonais au point de vouloir soutenir les Chinois alors qu’ils les avaient abandonné à leur sort quelques années plus tôt, « à l’époque du Munich d’Extrême-Orient ». e s s o B it e s s o B ◗ BAC BLANC � MANUEL, PAGE 252 • Étude critique de documents Sujet : La Chine et le monde dans la première moitié du XXe siècle. À la date de ce texte, la Chine est dans une situation très difficile. Le PCC et le Guomindang sont en guerre civile depuis 1927. Profitant de ce désordre, « les impérialistes japonais qui ont entrepris une agression contre la Chine » se sont emparés de la Mandchourie en 1927 et de la Chine littorale en 1937. Ils mettent ainsi fin à une indépendance politique acquise depuis peu et que rappelle le document 2. Le © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ BAC BLANC � MANUEL, PAGE 253 • Composition Sujet 1 : La Chine dans les relations internationales depuis 1919. Suggestion de plan : I. La Chine à la recherche de son indépendance (1919-1945) II. La Chine populaire s’impose sur la scène internationale (1945-1976) III. Une grande puissance qui se modernise et s’ouvre sur le monde (1976-2011) 135 • Sujet 2 : La puissance chinoise au début du XXIe siècle (réalités et limites). Suggestion de plan : I. Un géant économique : une puissance régionale et mondiale. II. Les autres relais de la puissance chinoise. Une puissance politique ? • Étude critique de document Sujet : La Chine et le monde au lendemain de la Première Guerre mondiale. it était sous contrôle allemand depuis 1897, quand les Japonais profitent du conflit pour l’occuper. La Chine entre en guerre en 1917 aux côtés de l’Entente dans l’espoir de récupérer le Shandong qu’une clause du traité de Versailles accorde cependant aux Japonais, à qui sont « transférés les droits allemands ». Cette décision est d’une portée importante. Elle provoque une révolte nationaliste, « une protestation dans toute la Chine », et de la diaspora chinoise, que désigne l’expression de « population chinoise du monde entier ». La délégation chinoise était pourtant prête au compromis puisqu’elle se serait contentée de faire insérer des « réserves », voire de les annexer au traité. Ce refus du compromis provoque le rejet du traité dans son ensemble. Le Guomindang s’appuie sur ce réveil nationaliste pour asseoir son influence et placer le pays sous son autorité. En 1922, la Chine récupère le Shandong grâce à l’aide des États-Unis. e s s o B it e s s o B En 1919 au sortir de la Première Guerre mondiale, la Chine a subi de graves humiliations qui provoquent un réveil de la conscience nationale. Cet extrait de la déclaration officielle de la délégation chinoise à la presse le 28 juin 1919 en est un des meilleurs exemples. En effet, la délégation annonce ici son refus de « signer l’intégralité » du traité de paix « au vu de l’injustice du règlement de la question du Shandong ». La région • 136 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Chapitre 9 it Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis 1918 e s s � MANUEL, PAGES 254-287 ◗ Présentation de la question • La mise en œuvre du nouveau programme soulève deux difficultés principales. Il faut présenter, dans un volume horaire réduit (six heures environ), une synthèse cohérente des nombreux conflits qui ont ensanglanté la région du MoyenOrient au XXe siècle. Il est par ailleurs indispensable d’appréhender l’histoire du conflit israéloarabe de manière équilibrée, en neutralisant les tensions qu’il peut susciter en France, et ce, bien au-delà des communautés juives et musulmanes. Ce n’est pas toujours aisé, car la bibliographie disponible en français est souvent orientée dans un sens plutôt défavorable à Israël. Ce sont pourtant des historiens israéliens qui, en s’appuyant sur les archives de leur pays, ont pu remettre en cause certains mythes fondateurs de l’État d’Israël. Il est d’autant plus difficile d’historiciser le conflit israélo-arabe que le souvenir des drames intervenus dans le passé – la question des réfugiés palestiniens notamment – empêche toujours l’établissement d’une paix durable. Georges Corm a ainsi choisi d’introduire son essai sur Le Proche-Orient éclaté par une réflexion sur les conflits mémoriels : « Se sont cristallisées, pour ce qui est de l’histoire du Proche-Orient, des visions totalement contradictoires, basées sur des mémoires historiques conflictuelles et des revendications inconciliables de patrimoines civilisationnels ». On a par ailleurs assisté, poursuit Georges Corm, à un retour du religieux dans les trois grandes religions monothéistes au cours des vingt-trente dernières années. « Plus qu’ailleurs dans le monde, ce retour du religieux contribue à aggraver les tensions au Proche-Orient, terre de naissance des trois grands monothéismes ; ces derniers, en effet, constituent le soubassement essentiel de la vision prédominante de l’organisation du monde en civilisations susceptibles de s’affronter avec violence ». Le rôle de l’historien est précisément de relativiser la part du fait religieux dans le déclenchement des conflits du Proche-Orient : dans ses origines comme dans son déroulement, le conflit israélo-arabe n’est en rien une guerre de religion moderne. • D’autant que les conflits au Moyen-Orient ne se réduisent pas au seul conflit israélo-arabe. L’intitulé du programme précise bien que l’espace comprend le Proche et le Moyen-Orient, afin de lever toute ambiguïté sur l’aire géographique considérée. En réalité, la distinction entre ces deux expressions n’est pas toujours très claire. On rappelle à ce propos dans le manuel (p. 258) que l’expression « Moyen-Orient » vient de l’anglais « Middle East » : elle est employée pour la première fois en 1902 par l’amiral américain Alfred T. Mahan dans un article sur « le golfe Persique et les relations internationales » publié dans The National Review. Elle désigne selon lui « cette portion de la route de Suez à l’Extrême-Orient qui s’étend entre Aden et Singapour et dont le golfe Persique est un trait saillant » : soit toutes les régions situées sur la « route des Indes », qui commande alors la défense de l’Empire britannique : « Le MoyenOrient, si je puis adopter un terme que je n’ai encore jamais vu, aura besoin quelque jour de son Malte autant que de son Gibraltar… La Marine britannique devrait avoir les moyens de concentrer des forces, si l’occasion s’en présente, autour d’Aden, de l’Inde et du Golfe ». Le Moyen-Orient comprend ainsi l’Égypte, l’Asie arabe, la Perse devenue l’Iran, le Pakistan, et sur ses marges, la corne de l’Afrique (la Somalie) et l’Afghanistan. Au sens strict, le Proche-Orient correspond à ce que l’on appelait autrefois le Levant, à savoir les régions situées sur les rives orientales de la Méditerranée, de la Turquie à l’Égypte. Mais en français, on parle souvent indifféremment du Proche et du Moyen-Orient pour désigner le même espace géographique. • On a ainsi choisi à dessein d’ouvrir le chapitre par deux photographies faisant référence non pas aux guerres israélo-arabes, mais à l’enjeu stratégique majeur que représente le pétrole extrait au Moyen-Orient, et à la menace que les conflits régionaux représentent pour la paix et la sécurité internationales. o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 137 • • Cinq grands repères permettent ensuite de replacer l’histoire contemporaine du MoyenOrient dans la longue durée : – La prise de Constantinople en 1453 vient rappeler qu’en 1914, les régions du Proche-Orient sont placées depuis le XVe siècle sous l’autorité des Turcs ottomans dont le souverain, le sultan, exerce aussi la dignité religieuse de calife. – Le débarquement de troupes françaises à Beyrouth, en 1860, pour porter secours aux chrétiens d’Orient, évoque le rôle de protectrice que la France a longtemps revendiqué au Levant. – L’inauguration du canal de Suez, en 1869 : il a été construit par le Français Ferdinand de Lesseps, mais d’emblée, la flotte britannique, qui domine les mers, en a été la principale bénéficiaire. Le canal de Suez, et par conséquent l’Égypte, jouent désormais un rôle essentiel dans la défense de la « route des Indes ». – La fondation de Degania, premier kibboutz en Palestine en 1909, où est né le général Moshe Dayan, le héros israélien de la guerre des SixJours : il permet de revenir brièvement sur la naissance du sionisme en Europe au XIXe siècle dans les milieux juifs ashkénazes de Russie. Bien que laïc, le sionisme réactualise l’espérance messianique d’un retour des juifs en Terre promise. Jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les immigrants juifs en Palestine sont donc principalement des Européens, fuyant dès la fin du XIXe siècle les persécutions dont ils sont victimes sur le vieux continent. Ces juifs originaires d’Europe, dont certains sont des socialistes athées, sont totalement étrangers à la société et à la culture arabo-musulmanes qu’ils découvrent en Palestine. Mais il est essentiel de souligner par ailleurs qu’à cette époque, juifs et Arabes cohabitent pacifiquement depuis des siècles au Moyen-Orient (85 000 juifs en Irak et en Palestine en 1917, 60 000 en Égypte, 100 000 en Turquie) et au Maghreb (où la présence juive est attestée bien avant la conquête arabe). Au Maroc, les juifs sont même proportionnellement plus nombreux à parler l’arabe que les musulmans, où beaucoup sont berbérophones (en 1960, 88 % des juifs marocains parlaient l’arabe contre 64 % seulement de musulmans). L’un des aspects du drame qui s’est joué après 1948 est justement d’avoir rompu les liens traditionnels entre les deux communautés, une grande par- it tie des juifs sépharades ayant été contraints au départ. – Enfin, l’entrée en guerre de l’Empire ottoman aux côtés de l’Allemagne, en octobre 1914, est l’événement décisif qui bouleverse la situation politique établie depuis des siècles au MoyenOrient. Comme le montre la carte de la région en 1914, les grandes puissances européennes, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l’Italie n’ont cessé, depuis la fin du XVIIIe siècle, date de l’expédition d’Égypte, d’étendre leur influence au détriment de l’Empire ottoman, en accaparant ses territoires, en contrôlant ses finances et de larges pans de son économie, en obtenant des privilèges d’exterritorialité pour leurs ressortissants et leurs protégés. Dans ce contexte, les dirigeants nationalistes jeunes-turcs ont choisi de s’allier à l’Allemagne, qui n’avait pas d’ambitions coloniales dans la région. Ce choix s’est avéré fatal pour l’Empire ottoman par la suite. • Deux double pages cartes (pp. 258-261), ainsi qu’un tableau récapitulatif des principales communautés religieuses du Moyen-Orient (p. 257), donnent un aperçu géopolitique du MoyenOrient actuel. Elles doivent permettre aux élèves de se défaire de quelques idées préconçues et d’acquérir sur la région des notions élémentaires et générales pour la compréhension des conflits. Carrefour de civilisations, selon l’expression consacrée, le Moyen-Orient abrite les lieux saints des trois grandes religions monothéistes. Mais, comme l’illustre le tableau de la page 257, aucune de ces trois grandes religions ne forme chacune un ensemble homogène. Les communautés ashkénazes et sépharades n’ont pas les mêmes héritages historiques et culturels et, du reste, l’intégration des communautés sépharades dans le nouvel État d’Israël, longtemps dominé par les élites politiques ashkénazes, ne s’est pas faite sans difficulté. Les juifs orthodoxes ont, quant à eux, longtemps dénoncé le sionisme comme une idéologie athée. Chrétiens latins et orthodoxes se sont longtemps affrontés pour la garde des lieux saints, conflits intercommunautaires qui, instrumentalisés par la France et la Russie furent, par exemple, à l’origine de la guerre de Crimée (1853-1855). Les musulmans sont également très divisés : le principal clivage est bien sûr celui qui oppose les sunnites et les chiites, clivage qui a pris une dimension poli- e s s o B it e s s o B • 138 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 tique surtout depuis la révolution iranienne de 1979. Jusque là en effet, les chiites, qui ne sont majoritaires qu’en Iran, demandaient surtout à voir leurs droits de minorité religieuse reconnus. Depuis 1979, l’Iran s’est appuyé sur les communautés chiites pour accroître son influence dans la région, d’autant que les lieux saints du chiisme sont principalement situés en Irak, avec lequel l’Iran a un lourd contentieux frontalier. Mais par ailleurs, l’islam wahhabite, prôné par la dynastie des Saoud en Arabie, a longtemps été perçu comme hérétique par les autres musulmans sunnites. • On a également trop souvent tendance à confondre le Moyen-Orient avec le monde arabomusulman. Indépendamment même du cas particulier d’Israël, il convient de rappeler que la région a été dominée par les Turcs et que l’Iran, autre grande puissance régionale, est de peuplement persan. À partir de la fin du XIXe siècle, le nationalisme arabe s’est d’abord affirmé contre les Turcs. Aujourd’hui encore, l’Iran représente une menace tout aussi redoutable pour les monarchies pétrolières arabes du golfe Persique que pour Israël, d’où le soutien qu’elles ont apporté à l’Irak dans sa longue guerre contre le régime islamique de Téhéran. Il n’est pas inutile de rappeler enfin que tous les Arabes ne sont pas musulmans, notamment au Liban ou en Palestine, même si l’islam est pratiqué par 95 % des habitants de la région. Les précurseurs du nationalisme arabe furent aussi parfois des chrétiens, comme Michel Aflak, l’un des fondateurs du parti Baas. • Le Moyen-Orient présente ainsi l’aspect d’une mosaïque de peuples et de communautés religieuses. L’une des causes principales de la conflictualité dans la région provient de la non correspondance entre le tracé des frontières nationales et celui des frontières ethniques ou religieuses. Deux cas de figure peuvent se présenter : 1. Les États voient leur unité minée ou fragilisée par la coexistence de plusieurs minorités ethniques ou religieuses, le meilleur exemple étant celui du Liban ou de l’Irak, longtemps dominé par la minorité arabe sunnite et comprenant de fortes communautés chiites et kurdes. C’est aussi le cas d’Israël dans ses frontières d’avant 1967, puisque les Arabes qui sont restés en Israël après 1948 sont des citoyens israéliens. it 2. Réciproquement, certains peuples se sont retrouvés divisés par la création de plusieurs États après la dislocation de l’Empire ottoman : c’est avant tout le cas de la nation arabe. Les Kurdes, présents en Irak, en Iran et en Turquie, ont demandé à disposer d’un État dès le lendemain de la Première Guerre mondiale. C’est enfin le cas des Palestiniens, présents en Jordanie (la majorité de la population jordanienne se compose de Palestiniens, réfugiés ou non), au Liban, en Israël dans ses frontières de 1948, dans les territoires de l’Autorité palestinienne aujourd’hui évacués en tout ou en partie par Israël, ou bien encore dans les États arabes de la région du golfe Persique. • Le nationalisme palestinien ne s’est toutefois que tardivement émancipé de la cause du nationalisme arabe en général. La Palestine, province ottomane jusqu’en 1918, n’a jamais formé un État ; le mot désigne depuis l’Antiquité une entité géographique (le pays des Philistins : les Romains ont ainsi renommé la province romaine de Judée après l’une des révoltes juives qu’ils avaient réprimées). Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Arabes palestiniens ont d’abord revendiqué leur indépendance par rapport à la Grande-Bretagne dans le cadre d’un État arabe qui devait aussi comprendre la Syrie et/ou la Transjordanie. C’est surtout après la guerre des Six-Jours que s’affirme un mouvement national palestinien indépendant, personnifié par Yasser Arafat, dont le mouvement (le Fatah) prend alors le contrôle de l’OLP. Mais là encore, rien n’est simple, car le combat engagé par l’OLP contre l’État d’Israël se double de profondes rivalités avec les autres États arabes de la région : l’expulsion des bases de l’OLP de Jordanie en 1970 (« septembre noir ») aurait fait près de 10 000 morts de source palestinienne (3 500 selon les Jordaniens), soit plus de victimes que les deux Intifadas réunies. • Le deuxième grand facteur d’instabilité dans la région tient à l’inégale répartition des richesses en eau et en hydrocarbures, que l’on peut étudier à partir de deux cartes sur l’or noir et l’or bleu (pages 260-261). La gestion des ressources hydrauliques est à l’origine de fortes tensions entre la Turquie, l’Irak et la Syrie à propos du débit du Tigre et de l’Euphrate, et entre les États riverains du Jourdain (les rivalités entre e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 139 • l’Égypte et le Soudan sur les eaux du Nil sont aux marges du programme). Le pétrole a fait la richesse des monarchies de la péninsule arabique (85 % du pétrole extrait au Moyen-Orient vient de la région du golfe Persique, 65 % pour la seule Arabie Saoudite) : peu peuplées, elles ont fait appel à une immigration massive et elles dépendent, comme l’a montré la première guerre du Golfe, de la protection des puissances occidentales qui sont leurs principales clientes. En revanche, l’Égypte, qui regroupe à elle seule le tiers de la population arabe du Moyen-Orient, a été bien moins nantie de ce point de vue. • Enfin, l’ingérence des grandes puissances constitue un dernier facteur d’instabilité politique dans la région : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale surtout, les conflits du MoyenOrient peuvent en effet avoir des conséquences économiques ou politiques dans le monde entier (cours du pétrole, exportation du terrorisme, prolifération nucléaire) ; ils présentent donc un risque d’internationalisation bien plus élevé que dans les autres parties du monde. Dès le début du XXe siècle, le pétrole représente un intérêt stratégique important pour la marine de guerre britannique, avant qu’il ne devienne vital, dans les années 1950, pour l’approvisionnement énergétique des pays occidentaux. Le MoyenOrient concentre plus de la moitié des réserves mondiales de pétrole connues, plus du tiers des réserves mondiales de gaz et le tiers des réserves mondiales de phosphates. • Tout au long du XXe siècle, les grandes puissances extérieures à la région n’ont cessé d’y renforcer leur présence, parfois en instrumentalisant des conflits locaux afin d’y ménager leurs intérêts. La France et la Grande-Bretagne ont tracé des frontières qui sont restées longtemps contestées (au Liban par la Syrie, au Koweït par l’Irak par exemple). La crise de Suez, en 1956, a permis aux Américains et aux Soviétiques d’évincer définitivement les vieilles puissances européennes de la région. En 1973, la guerre du Kippour a menacé de dégénérer en affrontement généralisé impliquant l’URSS et les États-Unis, soutiens respectifs des pays arabes et d’Israël. Toutefois, les conflits du Moyen-Orient ne relèvent pas simplement d’une logique de guerre froide. On a trop souvent tendance à présenter rétrospectivement l’État d’Israël comme un it pilier de l’impérialisme américain au MoyenOrient. Or, depuis 1945, les États-Unis se sont avant tout appuyés sur l’Arabie saoudite et sur l’Iran (jusqu’en 1979) pour étendre et préserver leurs intérêts dans la région. En 1948, la création de l’État d’Israël apparaît comme une défaite de l’impérialisme britannique. Elle a donc été reconnue également par l’URSS ; ce sont les livraisons d’armes de la Tchécoslovaquie, un satellite soviétique, qui ont permis à Israël de sortir vainqueur de la première guerre israéloarabe de 1948-1949. Le principal allié militaire d’Israël a ensuite été la France, lorsqu’elle affronte elle aussi le nationalisme arabe au Maghreb, et ce jusqu’en 1967, lorsque le général de Gaulle condamne l’attaque préventive israélienne et engage une politique de rapprochement en direction du monde arabe. Si les États-Unis deviennent par la suite les principaux soutiens d’Israël et perdent celui de l’Iran, ils conservent des relations privilégiées avec les États arabes modérés, y compris l’Égypte. C’est pourquoi ils sont aussi les seuls à pouvoir jouer un rôle efficace d’arbitrage dans les négociations de paix. L’URSS n’a donc jamais été en mesure d’égaler l’influence des États-Unis au Moyen-Orient, où ces derniers ont déployé un dispositif militaire impressionnant (voir carte p. 259). L’éviction de l’URSS et la fin de la guerre froide n’ont d’ailleurs pas permis de faire régresser la conflictualité régionale : bien au contraire, de nouvelles menaces sont apparues dans la période récente. e s s o B it e s s o B • 140 ◗ Plan du chapitre • Le temps imparti pour traiter le programme impose de se démarquer d’un récit chronologique détaillé. Mais un plan rigoureusement thématique contraindrait à survoler l’ensemble du siècle à plusieurs reprises et à multiplier les allusions factuelles décontextualisées. On a donc opté pour une périodisation permettant de replacer les grands conflits du Moyen-Orient dans le contexte historique qui leur donne sens. L’étude du conflit israélo-arabe nous a paru justifier des analyses plus approfondies : elle fait l’objet de pages de cours distinctes pour chacune des périodes considérées. Cinq études sont insérées dans le chapitre et permettent d’aborder des thèmes essentiels : le pétrole, les rapports entre islam et politique, le problème palestinien, les enjeux et les blocages © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 du processus de paix, le conflit libanais (et ce, en raison des liens historiques et culturels privilégiés que la France entretient avec le Liban). • On peut aisément distinguer trois phases dans l’évolution des conflits au Moyen-Orient. La chronologie retenue pour le nouveau programme permet désormais de bien montrer que ces conflits trouvent en grande partie leur origine dans le règlement – ou l’absence de règlement – de la Première Guerre mondiale, et non de la Seconde. La Première Guerre mondiale provoque la dislocation de l’Empire ottoman dont les Français et les Britanniques se partagent les dépouilles sous formes de mandats. Mais dès cette époque, les vieilles puissances coloniales européennes sont confrontées à l’essor des nationalismes, turc, arabe et sioniste principalement. • De 1949 à la fin des années 1970, c’est bien le conflit israélo-arabe qui constitue un risque de déstabilisation majeur, à une époque où les approvisionnements en pétrole du Moyen-Orient sont devenus vitaux pour les pays occidentaux. La période est également marquée, après la crise de Suez, par l’éviction des anciennes puissances européennes et l’implication croissante de l’URSS et surtout des États-Unis, qui s’imposent comme les principaux médiateurs dans les conflits du Proche-Orient. • Depuis la fin des années 1970, l’islamisme a pris le relais du nationalisme arabe dans l’opposition aux puissances occidentales et à Israël. Au Liban comme dans les Territoires palestiniens, certains conflits se sont « islamisés » avec l’essor de mouvements islamistes radicaux. De nouvelles conflictualités sont apparues depuis la fin de la guerre froide. En dépit des accords négociés à Oslo, le processus de paix au ProcheOrient reste toujours dans l’impasse. Or, si le conflit israélo-palestinien est loin d’être le seul conflit menaçant les équilibres politiques dans la région, aucune paix durable ne peut être envisagée au Moyen-Orient sans un règlement de ce conflit. À la fin du chapitre, une étude s’efforce de présenter de manière équilibrée le point de vue des diverses parties prenantes dans le processus de paix. ◗ Bibliographie e s s Atlas it J.-P. Chagnollaud, S.-A. Souiah, P. Blanc, Atlas des Palestiniens : un peuple en quête d’un État, Autrement, 2011. F. Encel, A. Nicolas, Atlas géopolitique d’Israël : les défis d’une démocratie en guerre, Autrement, 2012. M. Guidère, L. Franjié, C. Levasseur, Atlas des pays arabes : des révolutions à la démocratie ?, Autrement, 2012. T. Josseran, F. Louis, F. Pichon, Géopolitique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord du Maroc à l’Iran, PUF, 2012. Y. Lacoste, Géopolitique : la longue histoire d’aujourd’hui, Larousse, 2009 (rééd.). A. Sellier, J. Sellier, A. Le Fur, Atlas des peuples d’Orient : Moyen-Orient, Caucase, Asie centrale, La Découverte, 2004. P. Vallaud, X. Baron, Atlas géostratégique du Proche et du Moyen-Orient, Perrin, 2010. o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Ouvrages généraux V. Cloarec, H. Laurens, Le Moyen-Orient au XXe siècle, Armand Colin, coll. U, 2003. G. Corm, Histoire du Moyen-Orient : de l’Antiquité à nos jours, La Découverte, 2007. A. Defay, Géopolitique du Proche-Orient, PUF, coll. Que sais-je ?, 2011 (rééd.). A. Dieckhoff, Le Conflit israélo-arabe, Armand Colin, 2011. A. Gresh, D. Vidal, Les 100 clés du ProcheOrient, Pluriel, 2011. Ouvrages complémentaires G. Corm, Le Proche-Orient éclaté 1956-2010, Gallimard, coll. Folio Histoire, 2010. A.-L. Dupont, C. Mayeur-Jaouen, C. Verdeil, Le Moyen-Orient par les textes : XIXe-XXIe siècles, Armand Colin, coll. U, 2011. F. Encel, « Jérusalem : capitale frontière », dans B. Giblin, Les Conflits dans le monde, Armand Colin, 2011. G. Kepel, Jihad, Gallimard, coll. Folio Actuel, 2003. H. Laurens, L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, coll. U, 2002 (rééd.). H. Laurens, Paix et guerre au Moyen-Orient : l’Orient arabe et le monde de 1945 à nos jours, Armand Colin, 2005 (rééd.). 141 • B. Morris, Victimes : histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Éditions Complexe, 2003. Périodiques • La revue Questions internationales (La Documentation française) a publié plusieurs numéros sur le programme : « Moyen-Orient : zone de conflits » (n° 1, épuisé), « Le pétrole : ordre ou désordre mondial » (n° 2, épuisé), « Guerre et paix en Irak » (n° 16), « Islam, islams », (n° 21), « L’Iran » (n° 25), « Israël » (n° 28). • Plusieurs hors-série ou numéros spéciaux de la revue L’Histoire : « L’islam et le Coran. Un livre, une religion, des empires » (Collections de l’Histoire n° 30, voir notamment O. Roy, « Les trois âges de la révolution islamiste »), « Israël-Palestine » (Collections de l’Histoire, n° 39), it « De la Perse à l’Iran. Géopolitique d’une puissance régionale » (Collections de l’Histoire n° 42), « Méditerranée. Guerre et paix depuis 5 000 ans » (Collections de l’Histoire, n° 47), « D’où viennent les révolutions arabes ? 150 ans de combats politiques » (Collections de l’Histoire n° 52), « Juifs et Arabes, Mille ans de cohabitation, cent ans d’affrontement » (n° 243), « Les guerres du pétrole » (n° 279), « Les origines de la guerre d’Irak » (n° 308), « Les chrétiens d’Orient » (n° 337). • L’actualité du Moyen-Orient est régulièrement couverte par la revue Moyen-Orient (voir par exemple « Bilan géostratégique. Le monde arabe en transition », n° 11, juillet-septembre 2011). e s s o B it e s s o B Filmographie Otto Preminger, Exodus, 1960. David Lean, Lawrence d’Arabie, 1962. Eran Kolirin, La Visite de la fanfare, 2007. Eran Riklis, Les Citronniers, 2008. Commentaire des documents et réponses aux questions 1. Une région dominée par les grandes puissances (1914-1945) � MANUEL PAGES 262-263 Doc. 1. Le Moyen-Orient de 1918 à 1945 • Question. La Première Guerre mondiale entraîne la dislocation de l’Empire ottoman, qui s’était engagé aux côtés des pays de l’Entente en 1914. Le traité le concernant est signé dans le salon de la manufacture de Sèvres, le 10 août 1920. L’Empire ottoman n’y est plus désigné que sous le nom de Turquie, ce qui montre bien que le traité constitue d’abord l’acte de dissolution de l’Empire ottoman. Il entérine par ailleurs ses pertes territoriales en Europe et en Asie. La Turquie déclare renoncer à tous ses droits sur • 142 l’Égypte, la Libye et le Hedjaz, elle reconnaît également l’annexion de Chypre par la GrandeBretagne. Les Détroits doivent rester ouverts à tous les bâtiments, de commerce ou de guerre, et ce, en temps de guerre comme en temps de paix. Le traité officialise le partage, entre la France et la Grande-Bretagne, des territoires arabes de l’ex-Empire en mandats de la SDN. La GrandeBretagne reçoit la Mésopotamie et la Palestine, la France la Syrie, dont elle détache ensuite le Liban. Le traité de Sèvres provoque l’indignation en Turquie, en raison principalement des concessions faites aux Grecs. La guerre a en effet provoqué une radicalisation du nationalisme turc, dont le génocide des Arméniens de 1915 est la © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 conséquence. Ce nationalisme turc est incarné par Mustafa Kemal, qui obtient une révision du traité de Sèvres à Lausanne en 1923 : outre le règlement du conflit gréco-turque, il prévoit la restitution à la Turquie de la région d’Alexandrette (revendiquée ensuite par la Syrie et qui ne reviendra à la Turquie qu’en 1939). Les Turcs continuent également de revendiquer la région de Mossoul, à la frontière avec le futur État irakien (c’est par le traité d’Ankara, en 1926, que la Turquie accepte de reconnaître la souveraineté irakienne sur le vilayet de Mossoul). La zone des Détroits est démilitarisée, mais non neutralisée. Les Détroits sont libres de passage par mer et par les airs, une zone de 15 à 20 km de large est démilitarisée de part et d’autre du Bosphore, de la mer de Marmara et des Dardanelles. Le traité prévoit une clause de limitation du passage des navires de guerre : l’application de cette clause sera contrôlée par une commission internationale émanant de la SDN. Mustafa Kemal fait de la Turquie un État laïque inspiré du modèle de l’État-nation occidental. Il abolit le sultanat et surtout le califat, la plus haute dignité religieuse dans le monde musulman. Symboliquement, il installe sa capitale à Ankara, au cœur de l’Anatolie, aux dépens de Constantinople qui devient officiellement Istanbul. Après 1925, le régime kemalien est imité par Reza Khan en Perse, pays qui devient l’Iran en 1935. La Première Guerre mondiale voit également l’affirmation des deux nationalismes, juif et arabe. La Grande-Bretagne cherche à prendre appui sur les dirigeants arabes modérés, en particulier sur les deux fils du souverain hachémite du Hedjaz, Hussein : Fayçal, chassé de Syrie par la France, devient roi d’Irak (1920-1933), Abdallah prend le titre d’émir puis de roi de Transjordanie (1921-1949 ; il devient roi de Jordanie en 1949 jusqu’à son assassinat par un Palestinien, en 1951). La Grande-Bretagne accorde également une indépendance formelle à l’Irak dès 1932, premier État arabe à entrer à la SDN, puis à l’Égypte en 1936. Par la déclaration Balfour, la Grande-Bretagne a également promis au mouvement sioniste l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. L’augmentation de l’immigration juive en Palestine provoque des affrontements de plus en plus violents au lendemain de la guerre. it Enfin, la Première Guerre mondiale révèle pour la première fois l’importance stratégique des puits de pétrole du Moyen-Orient pour ravitailler la marine de guerre et ces nouveaux engins de combat baptisés précisément du nom de « réservoirs » (tanks) (rappelons que dès lors, en effet, les plus grandes batailles terrestres du XXe siècle sont des batailles de chars). e s s Doc. 2. L’essor du nationalisme arabe o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Questions 1 et 2. En janvier 1919, Fayçal dirige l’une des trois délégations arabes envoyées à Paris dans le cadre de la conférence de la paix (à côté d’une délégation syrienne et d’une délégation libanaise). Il est le fils d’Hussein, émir du Hedjaz, qui, avec l’appui des Britanniques, a soulevé les tribus arabes contre l’Empire ottoman pendant la guerre. Fayçal est conseillé par le célèbre colonel Lawrence (« Lawrence d’Arabie »). En échange de leur participation à la guerre contre les Turcs, les dirigeants nationalistes arabes attendent des alliés la création d’un État arabe indépendant. Pour Fayçal, cet État arabe comprendrait un vaste ensemble englobant la Syrie, le Liban, la Palestine, l’Irak actuels, ainsi que la péninsule arabique, soit l’ensemble du monde arabe du Moyen-Orient moins l’Égypte, car celle-ci formait déjà une entité à part à l’époque ottomane. Il est révélateur que Fayçal fonde l’unité de la nation arabe sur la possession d’une langue et d’une culture communes, et non sur la religion islamique : les premiers nationalistes arabes furent aussi des chrétiens, comme Michel Aflak, fondateur du parti Baas. Fayçal appuie cette revendication sur le refus pluriséculaire des Arabes de se faire « absorber » par les Turcs : en réalité, l’Empire ottoman n’a jamais eu un tel projet d’assimilation (durant l’expédition d’Égypte de 1798, par exemple, le discours de propagande de Bonaparte à destination des Arabes n’avait guère été entendu). C’est surtout depuis la fin du XIXe siècle que s’est affirmé un nationalisme arabe ouvertement dirigé contre l’Empire ottoman, à un moment où l’ottomanisme, à savoir une politique globalement respectueuse des minorités de l’Empire, tend à céder la place à un nationalisme turc. Fayçal évoque également les « principes généraux » énoncés par les États-Unis, et acceptés par les « Alliés », à savoir les Français et les Britanniques (rappelons que les États-Unis ne 143 • sont pas alliés, mais « associés » à ces derniers durant la guerre) : allusion transparente aux 14 points du président Wilson (voir doc. 1 p. 195 du manuel) et au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Fayçal revendique enfin pour son père la direction de ce nouvel État : outre l’appui militaire qu’il a apporté aux Britanniques, ce qui leur a permis de s’emparer de Jérusalem et de Damas, il invoque en sa faveur le prestige de la famille des Hachémites et sa qualité de chérif de La Mecque : les Hachémites sont en effet issus d’une dynastie prestigieuse descendant en droite ligne du prophète. Depuis le Xe siècle jusqu’en 1924, les chérifs de La Mecque, qui ont la garde des lieux saints de l’islam, sont des Hachémites. Ces revendications arabes n’ont que très partiellement abouti. Plusieurs États arabes se sont créés dans l’entre-deux-guerres, consacrant la division politique de la nation arabe jusqu’à nos jours. Deux souverains hachémites, les deux fils d’Hussein, ont été portés au pouvoir, grâce à l’appui britannique, en Transjordanie et en Irak. Mais les Britanniques n’ont jamais eu l’intention d’inclure la Palestine dans un État arabe indépendant, estimant que cette région était indispensable à la défense de l’Égypte et du canal de Suez. Par ailleurs, les Français ont cherché à maintenir une tutelle sur leur mandat syrien : dès 1920, ils expulsent Fayçal de Syrie et créent une entité libanaise, distincte du reste de la Syrie. Les Arabes sont restés eux-mêmes très divisés : ni les dirigeants nationalistes syriens, ni l’émir wahhabite Ibn Saoud ne sont prêts à reconnaître l’hégémonie des Hachémites sur la nation arabe. En 1924, Ibn Saoud s’empare de La Mecque et du Hedjaz et en chasse le roi Hussein. Ajoutons que la région d’Alexandrette (le « sandjak ») fut annexée par les Turcs en 1939 : c’est alors un petit territoire de 5 000 km2, mais qui a une grande importance stratégique puisqu’Alexandrette est l’unique port d’Alep et forme un nœud ferroviaire vers l’Anatolie, Badgad, la Palestine et Médine. Y vivent un peu plus de 200 000 habitants, dont 39 % de turcophones, une majorité d’arabophones et d’importantes communautés arménienne, kurde et juive. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’unité politique du monde arabe était donc encore largement à faire. it Doc. 3. Le canal de Suez dans la Seconde Guerre mondiale e s s • Question. Depuis le XIXe siècle, le canal de Suez représente un enjeu stratégique majeur pour la suprématie britannique en Méditerranée et le contrôle de la route des Indes. En mars 1941, la Grande-Bretagne reste seule en guerre face aux forces de l’Axe. L’invasion de la Grèce et l’opération aéroportée de l’Allemagne en Crète menacent la zone du canal de Suez et les approvisionnements en pétrole du golfe Persique. À cette époque, les Britanniques parviennent à déloger les troupes de Vichy du Liban et de Syrie, avec l’appui d’un contingent de la France libre commandé par le général Catroux. Mais le rappel de ces événements offre au général de Gaulle l’occasion d’insister plus globalement sur l’importance du canal de Suez pendant la guerre : il fait en effet allusion rétrospectivement aux conséquences de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne en juin 1941. Comme le souligne le général de Gaulle, le canal de Suez est doublement menacé : en Égypte même, par l’envoi de l’Afrika Korps du maréchal Rommel, épaulé par les troupes italiennes, en Cyrénaïque, mais aussi en Asie Mineure, car la percée allemande en territoire soviétique fait craindre une invasion du Moyen-Orient par le Caucase. L’Iran est alors occupé conjointement par la GrandeBretagne et l’URSS jusqu’à la fin de la guerre. Dès juin 1941, alors que les États-Unis ne sont toujours pas entrés en guerre, des troupes américaines aident les Britanniques à sécuriser la région. Le général de Gaulle rappelle également que la possession du canal de Suez commande la reconquête de toute l’Afrique du Nord et de la Méditerranée (Italie et sud de la France). C’est en effet au lendemain de la victoire du général Montgomery sur les troupes italo-allemandes à El-Alamein, en novembre 1942, que les Alliés débarquent en Afrique du Nord (opération Torch). C’est en juillet 1939 que la Grande-Bretagne forme le « théâtre d’opérations Moyen-Orient », intégrant l’Égypte, le Soudan, la Palestine, la Transjordanie et Chypre, zone de commandement militaire étendue par la suite aux pays du Golfe, à la Libye, à la corne de l’Afrique et aux Balkans. André Laurens relève que l’expression « Moyen-Orient » fait alors tomber en désuétude o B it e s s o B • 144 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 l’expression « Proche-Orient » dans les communiqués militaires des forces britanniques. 2. Juifs et Arabes en Palestine (1917-1948) � MANUEL PAGES 264-265 Doc. 1. La création de l’État d’Israël • Question. En 1947, la Grande-Bretagne, qui détient encore le mandat sur la Palestine, s’en remet à l’ONU pour tenter de trouver une issue négociée aux affrontements de plus en plus violents entre juifs et Arabes. Depuis la fin du XIXe siècle, le mouvement sioniste veut créer un « État des juifs » en Palestine, titre de l’ouvrage publié par Theodor Hertzl en 1896. En 1917, par la déclaration Balfour, la Grande-Bretagne se déclare favorable à la formation d’un « foyer national » juif en Palestine. Après 1945, la tragédie de la Shoah renforce plus que jamais la revendication sioniste d’un État refuge pour les juifs du monde entier. Les Arabes palestiniens revendiquent quant à eux le départ des Britanniques et la formation d’un État arabe indépendant, au sein duquel les juifs ne disposeraient que d’un statut de minorité. Les Britanniques ont échoué à mettre en place un État binational au sein duquel puissent coexister pacifiquement les deux communautés. Ils sont incapables de maintenir la paix civile et essuient des attentats terroristes perpétrés par des groupes juifs extrémistes, l’Irgoun et le groupe Stern (attentat contre l’hôtel King David de Jérusalem en 1946, quartier général de l’armée britannique). Ils s’en remettent à l’ONU, qui décide la création en avril 1947 d’une commission d’enquête, l’UNSCOP (United Nations Special Committee on Palestine). L’affaire de l’Exodus conduit l’UNSCOP à se prononcer unanimement sur la fin du mandat britannique en Palestine. 8 membres sur 11 proposent le partage de la Palestine en deux États, un arabe et un juif, plus une tutelle internationale pour Jérusalem et Bethléem. Les deux États formeraient une union économique. La Grande-Bretagne assurerait la transition pendant 2 ans et 150 000 juifs seraient autorisés à immigrer. Entre-temps, la GrandeBretagne annonce le retrait de toutes ses troupes en Palestine au plus tard pour le 1er août 1948. Après d’ultimes tractations territoriales (les juifs it devaient recevoir le Néguev, tandis que Jaffa deviendrait une enclave arabe), l’ONU établit un plan de partage : l’État juif occuperait 55 % de la superficie du territoire palestinien (mais désertique dans toute sa partie méridionale), avec une population de 500 000 Juifs et 400 000 Arabes. Pour être adopté, le plan doit recevoir l’approbation des deux tiers des membres de l’ONU. Les États-Unis font pression sur les petits États pour qu’il soit voté (la Grèce notamment, qui se voit menacée de perdre les subventions américaines). La résolution n° 181 est finalement adoptée par 33 pays, à trois voix près donc, 13 contre (les États arabes et musulmans) et 10 abstentions (la Grande-Bretagne notamment). L’URSS et ses satellites votent pour. Les Arabes ont protesté qu’on leur fasse ainsi payer le prix d’un génocide dont ils n’étaient pas responsables et annoncent que le partage conduit à la guerre. Dès septembre 1947, la Ligue arabe décide la mise sur pied d’une armée de Libération arabe. Dès 1947, la Haganah se prépare également à la guerre et devient, en 1948, Tsahal, l’acronyme hébreu de Forces de défense d’Israël. Le jour du retrait des troupes britanniques de Palestine, Ben Gourion proclame la naissance de l’État d’Israël, immédiatement reconnu à la fois par les États-Unis et par l’URSS. Le nouvel État est immédiatement attaqué par une coalition d’États arabes (la Syrie, la Transjordanie, l’Égypte, le Liban et l’Irak, plus quelques contingents envoyés par le Yémen et l’Arabie saoudite). Contre toute attente, Israël parvient à l’emporter en mars 1949, non grâce au soutien des États-Unis (qui ont décrété l’embargo sur les ventes d’armes à destination des belligérants), mais grâce à la livraison d’armes par la Tchécoslovaquie, un satellite soviétique. Les armées arabes ont également manqué de cohésion face à des soldats israéliens mieux entraînés et fortement motivés. Israël a agrandi le territoire qui lui était initialement attribué par le plan de partage, territoire d’où plusieurs centaines de milliers d’Arabes palestiniens ont été expulsés. Mais la Transjordanie s’est également emparé de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), qui est annexée (la Transjordanie devient alors la Jordanie). L’Égypte occupe la bande de Gaza où se sont établis de nombreux camps de réfugiés palestiniens. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 145 • La fin des hostilités ne met pas un terme à l’état de belligérance entre juifs et Arabes : seuls des armistices sont signés à Rhodes, non des traités de paix, à la suite de négociations bilatérales entre Israël et ses différents adversaires, sous l’égide de l’ONU. Ainsi, l’Égypte ne reconnaît pas les annexions israéliennes et ferme l’accès d’Israël à la mer Rouge (le détroit de Tiran). L’Irak a même refusé de signer un armistice. Les frontières d’Israël sont donc des frontières de fait, qui n’ont pas été reconnues par les États arabes du Moyen-Orient. it 6 % de la superficie totale de la Palestine. Selon Benny Morris, « c’est probablement un sentiment de culpabilité qui amena au moins certains dirigeants arabes à se lancer dans des diatribes à l’encontre du sionisme ». On peut relever qu’à aucun moment dans le texte n’interfèrent des arguments religieux, la référence à l’islam notamment. La grande révolte arabe de 1936-1939 fut un échec sanglant pour les dirigeants nationalistes palestiniens. En 1939, le Livre blanc présenté par les Britanniques leur donne pourtant en partie satisfaction : il prévoit une nouvelle réduction de l’immigration juive à 75 000 personnes sur cinq ans et une limitation des achats de terres par les juifs. Il invalide par ailleurs les propositions de la Commission Peel, réunie en 1937, qui avait envisagé pour la première fois un partage de la Palestine en deux entités, juive et arabe. Le Livre blanc de 1939 en revient à la solution d’un État unitaire, qui accéderait à l’indépendance au terme d’une période de transition durant laquelle les Britanniques créeraient les conditions d’une participation des deux communautés à la direction du pays. e s s o B it e s s o B Doc. 2. La révolte des Arabes de Palestine contre le mandat britannique • Question. La révolte des Arabes palestiniens de 1936 a principalement un motif : le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne leur a pas été appliqué au lendemain de la Première Guerre mondiale. En vertu de ce principe, ils exigent de la puissance mandataire, la GrandeBretagne, le droit à disposer d’un État, selon le même processus appliqué par les Britanniques en Irak et par les Français en Syrie et au Liban. En effet, le statut de mandat implique que les puissances qui en ont été chargées par la SDN créent les conditions pour amener les peuples concernés à prendre en main leurs propres affaires dans le cadre d’un État indépendant. Pour les Arabes palestiniens, il ne peut y avoir qu’un seul État en Palestine, le leur : ils exigent donc de la Grande-Bretagne qu’elle revienne sur les engagements de la déclaration Balfour et qu’elle renonce à installer un foyer national juif, perçu comme une menace pour l’identité arabe de la Palestine. Le Haut Comité arabe prend soin toutefois de préciser que le nouvel État arabe de Palestine disposerait d’une représentation de « toutes les composantes nationales » : les juifs disposeraient donc d’une représentation minoritaire. C’est pourquoi le Haut Comité arabe exige également l’arrêt de l’immigration juive et des ventes de terres aux juifs. Le terme de « transfert » ne doit pas prêter à confusion : les terres ont été achetées à leurs propriétaires arabes, d’où une hausse du prix de la terre de 5 000 % en Palestine entre 1910 et 1944 ! Le conflit arabosioniste a ici également des causes économiques et sociales. L’étendue des terres possédées par les juifs a doublé dans les années 1920 ; en 1945, elle ne représente toutefois qu’un peu plus de • 146 Doc. 3. La déclaration Balfour • Question. La déclaration de Lord Balfour, ministre des Affaires étrangères de la GrandeBretagne, est adressée à Lord Rothschild, grand banquier anglais, qui est alors l’un des dirigeants du mouvement sioniste. En 1917, la Palestine reste, avec la Mésopotamie, l’un des derniers points vulnérables sur la « route des Indes ». Le général Allenby est chargé de s’emparer de la Palestine et de Jérusalem, prise le 9 décembre 1917. L’année précédente, les accords SykesPicot ont prévu un partage de la Palestine en deux zones d’influence, britannique et française. Dès 1914, Balfour avait noué des contacts avec Chaïm Weizmann, dirigeant sioniste et par ailleurs chimiste réputé (il est l’inventeur d’un nouveau procédé de fabrication d’explosifs ; il deviendra le premier président de l’État hébreu, en 1948). En 1917, il déclare officiellement envisager favorablement l’établissement d’un « foyer national » juif en Palestine. Il n’est pas encore question d’un État, mais le terme de « foyer » (home en anglais) reprenait une revendication émise avant la guerre par le mouvement sioniste. Surtout, les sionistes obtiennent par ce © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 document ce que Theodor Herzl avait toujours recherché avant la guerre : la reconnaissance officielle du mouvement sioniste par les grandes puissances de l’époque. Herzl estimait en effet que ce soutien international était un préalable indispensable à la formation d’un « État des juifs » dans le futur. Certes, les Britanniques prennent soin de préciser que la création de ce foyer national ne doit pas porter préjudice aux droits civils et religieux des collectivités non juives en Palestine : mais les Arabes ne sont pas explicitement nommés. On peut se demander pourquoi les Britanniques prennent un tel engagement envers les sionistes, alors qu’au même moment, ils appuient les revendications nationalistes arabes contre les Turcs. En réalité, la déclaration Balfour n’est pas contradictoire avec le soutien apporté par la GrandeBretagne à la cause du nationalisme arabe. La Grande-Bretagne espère ainsi influencer en sa faveur, par le relais de l’opinion juive internationale, les États-Unis et la Russie en révolution, où elle pense que les nationalistes juifs sont très influents. Comme l’écrit André Laurens, « la cause sioniste apparaît alors comme un moyen idéal permettant de conjuguer un prétexte noble, la renaissance politique du peuple juif, avec les intérêts bien compris de l’Empire britannique, puisque les Britanniques ne peuvent qu’être les tuteurs du foyer national juif à établir en Palestine ». Elle offre également le moyen d’évincer définitivement les Français de la région. Enfin, les Britanniques n’ont jamais eu l’intention d’inclure la Palestine dans un futur État arabe indépendant. La Grande-Bretagne n’est pas parvenue ensuite à concilier les promesses ainsi faites aux Arabes et aux juifs en Palestine. it la Haganah affrète un navire qu’elle rebaptise Exodus 1947, qui manifeste l’aspiration des juifs à retourner en Terre promise. Le navire appareille dans le sud de la France, avec à son bord 4 500 réfugiés juifs. Quelques jours plus tard, le navire est intercepté au large de Gaza et remorqué par la marine britannique jusqu’au port de Haïfa. Les passagers sont transbordés sur trois autres navires et refoulés vers la France. Indignées, les autorités françaises refusent de coopérer avec leurs homologues anglais. L’Humanité dénonce le sort infligé aux passagers de cet « Auschwitz flottant ». Les Britanniques renvoient les passagers ayant refusé de débarquer jusqu’au port de Hambourg, où ils sont débarqués manu militari. La Grande-Bretagne s’est placée dans une situation intenable, en renvoyant des rescapés des camps de la mort sur les lieux mêmes de leur persécution, en Allemagne. Cette affaire achève de discréditer la puissance mandataire : c’est dans ce contexte que l’UNSCOP se prononce unanimement en faveur de la fin du mandat britannique en Palestine. e s s o B it e s s o B Doc. 4. L’épopée de l’Exodus (1947) • Question. L’affaire de l’Exodus suscite une vive émotion dans l’opinion internationale parce que ses passagers sont des juifs européens qui, après avoir échappé à la barbarie nazie, veulent immigrer en Palestine. Or la Grande-Bretagne a pris des mesures drastiques pour empêcher l’immigration clandestine dans la Palestine mandataire : 12 000 réfugiés juifs sont internés dans des camps à Chypre, qui affichent complet. Les Britanniques procèdent au sabotage des bateaux affrétés par la Haganah pour transporter les immigrants clandestins. En juillet 1947, © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 3. Le conflit israélo-arabe (1949-1979) � MANUEL PAGES 266-267 Doc. 1. Les Israéliens dans la vieille ville de Jérusalem (1967) • Question. Jérusalem est ville sainte à la fois pour les juifs, les chrétiens et les musulmans (voir chapitre 1). En 1947, le plan de partage de l’ONU prévoit un statut international pour Jérusalem et Bethléem. Le premier conflit israéloarabe invalide ce plan et consacre la division de la ville en deux parties : en 1949, JérusalemOuest est annexée par Israël qui en fait la capitale du nouvel État hébreu (siège de la Knesset et du gouvernement) ; cette décision n’a pas été reconnue par la communauté internationale (la plupart des ambassades, dont celle de la France et des États-Unis, sont encore de nos jours situées à Tel-Aviv). Jérusalem-Est, qui comprend la Vieille Ville et ses lieux saints, a aussi été unilatéralement annexée par la Jordanie en 1950. Les négociations secrètes engagées entre Israéliens et Jordaniens échouent après l’assassinat du roi Abdallah en 1951. Jusqu’en 1967, les juifs n’ont plus accès au Mur occidental du Temple (« mur des Lamentations »). 147 • Lors de la guerre des Six-Jours, Israël s’empare de Jérusalem-Est. La ville, réunifiée de facto depuis 1967, est proclamée capitale « éternelle et indivisible » de l’État d’Israël en 1980, décision condamnée la même année par les résolutions 476 et 478 de l’ONU. Les tensions n’ont jamais cessé depuis, Israël menant une politique active pour implanter des colons juifs dans de nouveaux quartiers de la ville. it envisage le retrait de tous les territoires occupés, y compris Jérusalem. e s s Doc. 3. La guerre des Six-Jours • Question. À l’issue de la guerre des Six-Jours, Israël conquiert le Golan sur la Syrie, la bande de Gaza et le Sinaï sur l’Égypte, la Cisjordanie et Jérusalem-Est sur la Jordanie. L’État hébreu dispose désormais d’une profondeur stratégique plus importante en cas d’attaque. L’occupation du plateau du Golan lui confère le contrôle des ressources en eau douce qui alimentent le lac de Tibériade. Surtout, la guerre des Six-Jours bouleverse la situation des réfugiés palestiniens qui, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, sont désormais placés sous un régime d’occupation militaire israélien. Enfin, Israël occupe JérusalemEst, conférant à sa victoire une grande portée symbolique, les juifs pouvant de nouveau se rendre au Mur occidental. o B it e s s o B Doc. 2. La résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) • Question. La résolution 242 des Nations unies reste aujourd’hui LE texte de référence d’une solution négociée au conflit israélo-arabe. On n’en retient souvent que le premier article (1, a) : le texte exige le retrait des territoires occupés par Israël à l’issue de la guerre des Six-Jours (Golan, Sinaï, Gaza, Cisjordanie et Jérusalem-Est). Mais l’ONU réclame aussi la reconnaissance de la souveraineté de tous les États de la région : elle engage ainsi les États arabes à reconnaître l’existence de l’État d’Israël, ce qu’aucun d’entre eux n’avait encore accepté de faire après la signature de l’armistice de Rhodes en 1949. Le texte ne fait pas explicitement référence à la création d’un État palestinien (la Cisjordanie a été annexée par la Jordanie en 1950). Il est seulement vaguement question d’un « juste règlement du problème des réfugiés ». En souhaitant que la liberté de navigation dans les eaux internationales soit garantie, l’ONU enjoint implicitement l’Égypte à rouvrir le canal de Suez (qui restera fermé de 1967 à 1975), ainsi que le détroit de Tiran (la fermeture de ce détroit, qui commande l’accès des navires israéliens au golfe d’Aqaba, avait été à l’origine du déclenchement de la guerre des Six-Jours). L’ONU recommande enfin la création de zones démilitarisées : il s’agit d’empêcher les incursions de combattants palestiniens en territoire israélien, qui s’étaient multipliées depuis les années 1950. On relève que la version anglaise de la résolution 242 est plus ambiguë que la version française : « from occupied territories » peut se comprendre par retrait « de » ou « des » territoires occupés. Après le retrait israélien du Sinaï, l’État hébreu pourra arguer avoir respecté l’application de la résolution 242, alors qu’il n’avait toujours pas été reconnu par les États arabes, à l’exception de l’Égypte d’Anouar el-Sadate. Il est évident toutefois que, dans son esprit, la résolution 242 • 148 Doc. 4. Une paix fragile : les accords de Camp David (mars 1979) (Cérémonie officielle de signature des accords devant la Maison-Blanche, 26 mars 1979.) • Question. Les accords de Camp David ont été salués comme une grande avancée en faveur de la paix. Pour la première fois, un dirigeant arabe accepte de reconnaître le droit pour les juifs de disposer d’un État en Palestine. En 1977, Anouar el-Sadate accepte de se rendre en Israël, et même à Jérusalem, pour y prononcer un discours devant la Knesset. Menahem Begin est, quant à lui, un ancien membre de l’Irgoun, organisation ultra-nationaliste juive qui avait organisé des attentats terroristes en Palestine avant 1948. En échange de sa reconnaissance par l’Égypte, Israël accepte de lui restituer le Sinaï et de démanteler ses colonies. En dépit de leur grande portée symbolique, ces accords sont toutefois fort incomplets. Ils ne règlent pas le problème palestinien : il n’est que vaguement question d’un processus d’autonomie palestinienne, qui sombre rapidement dans l’impasse. En dehors du Sinaï, il n’est pas question pour Menahem Begin, qui dirige le premier gouvernement de droite d’Israël depuis sa création, de négocier la restitution d’autres territoires en échange d’un accord de paix plus global. Bien au contraire, la politique d’implantation de colonies juives dans les territoires pa© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 lestiniens est renforcée. De leur côté, les autres États arabes dénoncent fermement les accords de Camp David : l’Égypte est exclue de la Ligue arabe et Anouar el-Sadate est assassiné au Caire deux ans plus tard, en 1981, par des terroristes appartenant au Jihad islamique égyptien. ◗ Étude Le pétrole au Moyen-Orient, richesse ou malédiction ? e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 268-269 Réponses aux questions it On relève ensuite sur la courbe les brusques flambées de prix consécutives aux conflits dans la région, qui peuvent avoir des répercussions, réelles ou supposées, sur l’approvisionnement des pays occidentaux (ainsi durant la crise de Suez, ou lors des deux guerres du Golfe). Chaque conflit engendre ainsi des comportements spéculatifs, qui font grimper le prix du pétrole sur le marché libre. Les conflits du Moyen-Orient ont ainsi provoqué deux « chocs pétroliers » : en 1973, lors de la guerre du Kippour, les pays arabes exportateurs de pétrole décident de réduire la production de 5 % et décrètent un embargo sur les pays soutenant Israël, les États-Unis au premier chef. Cette décision provoque un quadruplement du prix du pétrole brut. Ce sont dès lors les pays producteurs qui parviennent à imposer leur prix aux grandes compagnies pétrolières, les majors. En 1979, la révolution iranienne est à l’origine d’un second choc pétrolier, en raison du déclenchement de la guerre Iran-Irak qui implique deux gros pays producteurs et perturbe la circulation des navires dans le golfe (40 % du commerce mondial de pétrole transite par le détroit d’Ormuz). Dans les années 1980, les pays consommateurs se sont efforcés de réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis des exportations de pétrole du Moyen-Orient : par des économies d’énergie, l’extraction du pétrole off-shore (Alaska, mer du Nord) ou le développement de nouvelles sources d’énergie comme le nucléaire. Les divisions entre pays producteurs au sein de l’OPEP, au sein de laquelle l’Arabie saoudite s’attache à ménager les intérêts américains, ont accentué la tendance à la baisse, au point de provoquer un « contre-choc » pétrolier. On note toutefois que les prix sont repartis en forte hausse depuis la fin des années 1990, principalement en raison de la forte croissance des pays émergents (en 2003, la Chine a dépassé le Japon comme 2e importateur mondial d’énergie). Les deux chocs pétroliers ont entraîné dans l’ensemble des pays industrialisés un fort ralentissement de la croissance économique. La hausse du prix du pétrole n’est toutefois pas la seule cause de la crise économique des années 1970 : elle n’est que le symptôme d’une crise plus générale qui a contraint les pays occidentaux à repenser des mécanismes de croissance fondés depuis la guerre sur le bas prix de l’énergie. 1. Le Moyen-Orient doit sa richesse à l’abondance de son sous-sol en hydrocarbures, La région renferme en effet plus de la moitié des réserves mondiales de pétrole. En 2010, le Moyen-Orient représente un peu moins d’un tiers de la production pétrolière mondiale. Comme l’illustre le graphique 1 a, c’est à partir des années 1950 que la part du Moyen-Orient dans la production mondiale de pétrole s’accroît fortement, parallèlement à l’accroissement des chiffres de production. Les pays industrialisés remplacent alors le charbon par le pétrole à bas prix comme source principale de leur énergie. Les États-Unis, euxmêmes gros producteurs de pétrole, économisent leurs réserves en s’approvisionnant au MoyenOrient. Les pays occidentaux sont ainsi devenus fortement dépendants du pétrole du MoyenOrient pour leur approvisionnement en énergie. Depuis l’entre-deux-guerres, l’extraction, le raffinage et la commercialisation du pétrole du Moyen-Orient sont assurés par de grandes compagnies multinationales, dominées principalement par des intérêts anglo-saxons. Ces activités leur assurent des bénéfices substantiels, même si, après 1945, elles ont dû rétrocéder une part croissante des profits tirés de la production pétrolière (« royalties ») aux États de la région. 2. En longue durée, les prix du pétrole ont fortement augmenté depuis les années 1960. En 1960, les pays producteurs de pétrole ont constitué un cartel, l’OPEP (Organisation des pays producteurs de pétrole), afin d’obtenir un relèvement du prix facturé aux pays consommateurs. Les monarchies pétrolières du Golfe se sont en outre rassemblées au sein de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP) en 1968. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 149 • 3. L’importance stratégique des gisements de pétrole du Moyen-Orient est apparue dès la Première Guerre mondiale : le pétrole, principalement utilisé au XIXe siècle pour l’éclairage, est désormais indispensable à la propulsion des navires (substitution du fuel au charbon), des véhicules et des blindés. Les États-Unis n’ayant pas ratifié les traités de paix, notamment ceux qui concernent le statut des territoires de l’exEmpire ottoman, il a fallu renégocier le partage de ces territoires dans les années 1920, d’autant que sont alors découverts d’imposants gisements en Irak. Les accords sont négociés en Écosse en 1928 dans le château d’Achnacarry entre les « sept sœurs », à savoir les majors anglo-saxonnes qui constituent le cartel du pétrole : la Standard Oil of New Jersey, la Royal Dutch Shell, l’Anglo-Persian Oil Company (qui devient l’Anglo-Iranian, puis la British Petroleum ou BP ; la Perse était jusque là la seule région productrice de pétrole du MoyenOrient), ainsi que quatre autres compagnies américaines (Mobil, Texaco, Gulf Oil et Standard Oil of California). Les majors s’entendent d’abord sur l’exploitation du pétrole irakien : la Turkish Petroleum Company, fondée en 1911 à cette fin, est remplacée par l’Iraq Petroleum Company, un consortium comprenant les compagnies américaines, la Shell et l’Anglo-Persian. La France obtient son entrée dans ce consortium : c’est à cette fin qu’est créée la Compagnie française des Pétroles (qui deviendra Total par la suite). Une part de 5 % est accordée au financier arménien Calouste Gulbenkian (« Monsieur 5 % »), l’un des pionniers de la prospection pétrolière au MoyenOrient (il vend ses parts dans les gisements de Mossoul en échange d’une part de 5 % dans l’Iraq Petroleum Company). Un autre accord dit de la ligne rouge étend les dispositions adoptées sur l’Irak à l’ensemble des anciens territoires ottomans : les compagnies s’engagent à exploiter en commun les nouveaux gisements découverts, dans le cadre du consortium formé par l’Iraq Petroleum Company. À l’extérieur du périmètre délimité par la ligne rouge, la prospection reste libre. Enfin, toujours en 1928, les sept sœurs ont négocié un accord de cartel : elles s’entendent pour fixer le prix mondial du pétrole en référence au prix du pétrole extrait dans le golfe du Mexique, it le plus cher, ajouté au prix du transport. Les compagnies fixent également des quotas qui leur permettent de se partager les marchés de consommation. Ces accords ne sont toutefois pas respectés par les compagnies américaines non signataires, qui, par la suite, exploiteront pour leur propre compte le pétrole saoudien. L’auteur de l’article, Ihsân al-Jabrî, est, avec Chékib Arslan, le fondateur de La Nation arabe en 1930, revue en langue française éditée à Genève, qui devient l’un des principaux organes du nationalisme arabe. Il dénonce le pillage colonial des ressources de l’Irak, à la tête duquel les Britanniques avaient placé le roi Fayçal, l’un des fils du chérif de La Mecque Hussein. En 1930, un accord anglo-irakien prévoit d’accorder l’indépendance à l’Irak. Mais pour al-Jabrî, cette indépendance ne peut être que formelle, puisque les accords de 1928 placent d’emblée le futur État arabe sous l’étroite tutelle économique des compagnies pétrolières occidentales. 4. En 1951, le Premier ministre iranien Mossadegh entre en conflit avec le shah : il nationalise l’Anglo-Iranian Oil Company. La plainte déposée par la Grande-Bretagne auprès de la Cour internationale de justice est déboutée en 1952. Pour résister aux pressions occidentales, Mossadegh se rapproche de l’URSS. En pleine guerre froide, les Américains s’inquiètent de voir l’Iran basculer dans l’orbite soviétique. C’est pourquoi ils cherchent dès cette époque à prendre le relais de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient. Le texte rappelle que l’Iran est devenu l’un des principaux États producteurs de pétrole de la région. Il est situé dans la région stratégiquement ultra-sensible du golfe Persique. L’Iran avait été conjointement occupé par l’URSS et la Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale et Staline avait tardé à évacuer le pays après la défaite de l’Axe. Pour les Soviétiques, le contrôle de l’Iran leur donnerait un accès aux « mers chaudes ». Ce contrôle constituerait une menace pour les intérêts occidentaux au Moyen-Orient, de la Turquie (membre de l’OTAN) au Pakistan. C’est au vu de ce rapport qu’en 1953, les États-Unis, avec l’appui des Britanniques, renversent le gouvernement Mossadegh par un coup d’État organisé par la CIA. e s s o B it e s s o B • 150 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 5. Dès la période de l’entre-deux-guerres, les États-Unis entendent bien exercer au MoyenOrient un rôle à la mesure de la grande puissance économique et navale qu’ils sont devenus. Ils participent ainsi activement au partage de l’exploitation des gisements de pétrole négocié à Achnacarry en 1928. L’Arabie saoudite devient dans les années 1930 une chasse gardée des compagnies pétrolières américaines, qui forment l’ARAMCO en 1944. Durant la Seconde Guerre mondiale, la crainte que l’Allemagne nazie mette la main sur le pétrole du Moyen-Orient via le Caucase amène les Alliés à accélérer le débarquement de leurs troupes en Afrique du Nord. Au retour de Yalta en 1945, le président Roosevelt rencontre le roi Ibn Saoud à bord du navire de guerre américain Quincy. L’Arabie saoudite devient ainsi l’un des principaux points d’appui des États-Unis au MoyenOrient. L’ARAMCO négocie pour la première fois avec un pays producteur de la région, l’Arabie saoudite, un partage à égalité – fifty-fifty – des profits pétroliers. À partir des années 1950, l’une des priorités américaines est d’endiguer la progression soviétique au Moyen-Orient. En 1953, les services secrets américains renversent le gouvernement Mossadegh en Iran, gros pays producteur qui devient à son tour un allié des États-Unis. Cependant, la présence des ÉtatsUnis dans la région ne vise pas seulement à garantir la sécurité de leurs approvisionnements et les intérêts de leurs majors : c’est aussi pour préserver la stabilité d’une région devenue vitale pour l’ensemble des pays se réclamant de l’économie de marché. 6. L’enjeu pétrolier constitue un double facteur d’internationalisation des conflits du Moyen-Orient : • Il amène les grandes puissances à accroître leur influence dans la région et cette intervention est en partie la cause d’un certain nombre de conflits, en Palestine dans l’entre-deux-guerres, comme en Irak plus récemment. • Certains conflits ont des répercussions directes sur l’économie mondiale, en raison de la menace qu’ils font peser sur les exportations de pétrole : c’est notamment le cas lors des événements qui ont déclenché les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979. it 4. Le Moyen-Orient dans les relations internationales depuis 1979 e s s � MANUEL PAGES 270-271 Doc. 1. L’Irak : un État à reconstruire • Question. Comme d’autres États du MoyenOrient, l’Irak est composé de plusieurs communautés ethniques ou religieuses : les Arabes sunnites dans le centre du pays, notamment autour de la capitale Bagdad (18 %), les Kurdes sunnites (18 %), regroupés au nord dans la région riche en pétrole de Mossoul, les Arabes chiites dans le sud du pays. À partir de 1958, date du coup d’État qui renverse la monarchie hachémite, la cohésion du pays a été maintenue par la dictature du parti Baas, qui s’appuie sur la minorité arabe sunnite. Saddam Hussein n’a pas hésité à employer des armes chimiques contre les Kurdes. De 1980 à 1988, il s’engage dans une longue guerre avec l’Iran, en raison de l’influence que ce dernier peut exercer auprès des chiites irakiens. Les principaux lieux saints du chiisme se situent en effet en Irak (voir carte p. 258). La cohésion du pays a volé en éclats au lendemain de la seconde guerre du Golfe en 2003. Le renversement de la dictature de Saddam Hussein a fait place à de violents affrontements entre sunnites et chiites. Quant aux Kurdes, ils se sont placés depuis 1991 sous la protection des États-Unis. Après la chute de Saddam Hussein, ils se sont vus reconnaître une très large autonomie par la Constitution fédérale, qui leur accorde le droit d’avoir leur propre armée, leur drapeau, leur parlement, ainsi que des représentations diplomatiques à l’étranger. La communautarisation du système politique fragilise ainsi l’État irakien, même si le recul de la violence a permis aux États-Unis d’évacuer leurs derniers soldats du pays à la fin de l’année 2011. o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 2. La guerre en Irak (2003) • Question. Comme souvent dans le discours politique américain, la guerre engagée entre l’Irak en 2003 est justifiée en termes manichéens : les États-Unis sont les défenseurs du Bien contre le Mal, incarné durant la guerre froide par l’URSS et dorénavant par le terrorisme islamiste, responsable des attentats du 11 septembre 2001, dans lesquels ont péri plusieurs milliers de personnes. Le président Bush avance deux motifs principaux à la guerre lancée contre le régime de 151 • it Saddam Hussein : l’Irak est accusé d’avoir servi de base arrière au terrorisme d’Al-Qaida et d’avoir cherché à se constituer un arsenal d’armes de destruction massive, chimiques et nucléaires. Le président américain cherche à se justifier d’avoir mené cette opération sans l’aval de l’ONU, contrairement à celle qui avait été engagée en 1991 pour libérer le Koweït envahi par l’Irak. En parlant de « coalition de pays », le président Bush fait allusion à l’appui que lui a apporté le Royaume-Uni dans ce conflit. En évoquant les « difficultés » et les « problèmes » du peuple irakien, il minimise le chaos dans lequel l’intervention américaine, mal préparée, a plongé le pays : il considère que c’est le prix à payer pour l’instauration de la démocratie. Il estime enfin que le renversement du régime de Saddam Hussein, qui s’était doté d’une puissante armée (parfois présentée, à tort, comme la quatrième du monde), a éliminé l’une des principales menaces pour la paix et la sécurité du Moyen-Orient dans son ensemble. La guerre en Irak a en effet permis d’éliminer l’une des dictatures les plus sanglantes de la planète. Toutefois, les États-Unis n’ont jamais pu apporter la preuve que l’Irak aurait soutenu les terroristes d’Al-Qaida. Le parti Baas est un parti nationaliste laïque, dont l’idéologie est aux antipodes de celle qui inspire les mouvements islamistes. Dans sa longue guerre contre l’Iran, en 1980-1988, l’Irak était apparu bien au contraire comme le principal adversaire du seul pays où une révolution islamique a pu triompher. Par ailleurs, aucune enquête n’a pu retrouver la trace de la présence d’armes de destruction massive en Irak à la veille de l’intervention américaine de 2003. Tout indique au contraire que la puissance militaire irakienne avait été fortement entamée depuis la défaite irakienne essuyée lors de la première guerre du Golfe. par 189 pays, dont l’Iran. En 2006, les pays occidentaux soupçonnent l’Iran d’utiliser ses installations nucléaires civiles à des fins militaires. Le Conseil de sécurité a ainsi mandaté l’AIEA pour enquêter sur le terrain. L’Iran est appelé à coopérer avec les enquêteurs de l’AIEA, afin qu’ils puissent vérifier la nature pacifique des installations nucléaires iraniennes. Le Conseil de sécurité déclare privilégier la recherche d’une « solution diplomatique négociée ». Depuis 2006, la mauvaise volonté de l’Iran à coopérer d’une part, les investigations de l’AIEA d’autre part, ont amené le Conseil de sécurité à envisager des sanctions. L’accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire risquerait en effet d’accélérer la prolifération nucléaire et les risques d’instabilité dans l’ensemble de la région. L’Iran ne représente pas seulement une menace pour Israël, dont la possession de l’arme nucléaire est un secret de polichinelle, mais aussi pour les États arabes de la région. Pour autant, même en Israël, les partisans de sanctions sévères allant jusqu’à une éventuelle intervention militaire contre l’Iran ne font pas l’unanimité. Doc. 3. La menace nucléaire iranienne Islam et politique au Moyen-Orient e s s o B it e s s o B • Question. L’Agence internationale de l’énergie atomique a été créée en 1957, sous l’égide de l’ONU, afin de lutter contre la prolifération des armes nucléaires. Elle remet un rapport annuel à l’Assemblée générale de l’ONU et peut diligenter certaines enquêtes à la demande du Conseil de sécurité. Depuis 1968, l’AIEA est chargée de superviser l’application du Traité sur la nonprolifération des armes nucléaires (TNP), ratifié • 152 Doc. 4. Le « printemps arabe » : une chance pour la paix ? (Manifestation sur la place Tahrir au Caire, le 8 avril 2011.) • Question. Les manifestants égyptiens de la place Tahrir affichent leur solidarité envers les autres peuples arabes en lutte contre la dictature de leur pays : celle de Bachar el-Assad en Syrie et celle d’Ali Abdallah Saleh au Yémen. Contrairement à l’Égypte, ces deux pays ont basculé dans une guerre civile restée jusqu’ici sans issue (en dépit du retrait du président Saleh au Yémen). ◗ Étude � MANUEL, PAGES 272-273 Réponses aux questions 1. Jusqu’aux années 1960, la diffusion de l’islamisme est principalement à mettre à l’actif du mouvement des Frères musulmans, association fondée en Égypte par Hassan al-Bannâ en 1928. Le mouvement se radicalise dans l’opposition au régime nassérien. Dans les années 1960, Sayyid © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Qotb est en prison quand il écrit ses ouvrages qui demeurent jusqu’à nos jours une référence pour les islamistes, toutes tendances confondues. Il est pendu en 1966. L’extrait proposé de Jalons sur le chemin (1964) permet de bien mettre en évidence l’un des thèmes majeurs de l’idéologie islamiste. Selon Qotb, le monde moderne en est revenu au stade où il en était avant la révélation du Coran : une « jahiliyya », terme arabe qui veut dire ignorance, traduit ici par « société de l’ignorance antéislamique » ; le terme désigne en effet, dans le Coran, l’état dans lequel vivaient les Arabes avant la révélation de Mohammed. Ce monde moderne, qui tourne le dos aux valeurs et à l’enseignement de l’islam, comprend bien sûr les « sociétés communistes », qui professent un matérialisme athée, les sociétés polythéistes d’Asie et les sociétés occidentales (« juives et chrétiennes »). Mais Sayyid Qotb considère que les sociétés musulmanes constituent elle aussi une « jahiliyya », car, bien qu’elles « prétendent être musulmanes […], elles ne sont pas au service de Dieu l’unique dans l’organisation de la vie ». Comme le souligne Gilles Kepel dans Jihad, l’islamisme opère une « révolution culturelle » par rapport au nationalisme. Pour les dirigeants nationalistes formés à l’école européenne (en Turquie comme dans les pays arabes), l’accession à l’indépendance devait marquer une rupture avec le passé. Cette rupture serait le prélude à la modernisation de la société musulmane. Pour les idéologues islamistes, au contraire, l’histoire moderne des pays musulmans depuis les indépendances est dévalorisée. Comme les Arabes à la veille de la prédication du prophète, les musulmans ignorent l’islam, ils sacrifient à ces nouvelles idoles que sont le parti, le socialisme ou la nation. Pour les islamistes comme S. Qotb, l’action menée par les dirigeants nationalistes arabes depuis l’indépendance est doublement condamnable : qu’ils se tournent vers le modèle libéral ou le modèle socialiste pour accélérer la modernisation de leur pays, ils sapent les fondements de la société musulmane ; le nationalisme contribue également à exacerber les divisions entre les États musulmans. En conséquence, l’islamisme prône l’application intégrale de la loi islamique, la Charia, dans tous les domaines de la vie sociale. Seul ce retour à la Charia permettra it de recréer l’Umma, la communauté originelle et idéale des croyants, par-delà les divisions nationales. Le texte de Qotb fait apparaître un dernier point essentiel : une société authentiquement musulmane ne reverra pas le jour « avant que ne se forme une communauté d’hommes décidés à servir Dieu ». Comme l’indique également G. Kepel, Qotb s’adresse aux jeunes gens nés après l’accession des pays musulmans à l’indépendance, qui deviennent très nombreux à cette époque en raison de la croissance démographique. Ces jeunes sont aussi davantage scolarisés et sont plus citadins que leurs parents. Qotb prophétise ainsi l’émergence d’une « nouvelle génération coranique », qui pourra bâtir une nouvelle communauté islamique sur les ruines du nationalisme. Qotb choisit de s’adresser de manière privilégiée à ce jeune public en adoptant un style simple et dépouillé, accessible à un vaste public populaire, contrairement à la rhétorique compliquée des oulémas. « Qotb se met à la portée de ses lecteurs en s’emparant de ce vecteur de communication qu’est la langue écrite moderne pour en faire l’outil de sa prédication » (G. Kepel), exactement comme ensuite les groupes islamistes se saisiront de l’Internet. 2. Fondé en 1987, le réseau islamiste radical Al-Qaida prône la guerre sainte (jihad) contre l’Occident, accusé de livrer une nouvelle croisade contre l’islam (« les envahisseurs juifs et croisés »), mais aussi contre les dirigeants musulmans, qualifiés d’apostats, qui acceptent de négocier « une solution pacifique et démocratique » aux conflits dans lesquels ils sont impliqués. L’affiche de propagande représente Oussama Ben Laden en croisé des temps modernes, vêtu de l’habit traditionnel porté dans le monde arabe : une longue robe blanche (taoub, ou dishdash, ou gandoura) et coiffé d’un keffieh (selon un hadith du prophète, « Dieu aime les vêtements blancs »). L’arrière-plan de l’affiche évoque la première guerre sainte livrée par Ben Laden en Afghanistan contre l’URSS : à cheval, armé d’un fusil d’assaut Kalachnikov et, en bas à gauche, d’un lance-missile américain Stinger, le chef d’Al-Qaida combat l’aviation et les blindés soviétiques. Après l’évacuation de l’Afghanistan par l’armée soviétique, Al-Qaida s’est retourné contre ses e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 153 • anciens alliés américains. La guerre sainte prend dès lors la forme d’attentats terroristes visant les Occidentaux partout dans le monde, y compris sur le sol américain, le 11 septembre 2001. Comme S. Qotb dans les années 1960, Ben Laden s’adresse en priorité à la jeunesse musulmane, en révolte contre les dictatures ou les oligarchies au pouvoir, accusées de pactiser avec les Occidentaux. Il vise en particulier les gouvernements égyptiens et jordaniens, ainsi que les dirigeants de l’OLP qui, comme Mahmoud Abbas, ont accepté de reconnaître l’État d’Israël et de négocier avec lui. Le texte fait allusion à l’implication du réseau Al-Qaida dans les affrontements qui se déroulent en Irak après l’intervention américaine de 2003. Il dénonce le gouvernement de Hamid Karzaï qui, avec le soutien des occidentaux, combat les talibans en Afghanistan. Ce sont enfin les principes mêmes de la démocratie libérale qui sont considérés comme contraires à « la loi de Dieu ». 3. En organisant une conférence sur « le monde sans le sionisme » en 2005, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad veut placer son pays à la pointe de la lutte contre l’État d’Israël. À travers le sionisme, ce n’est pas seulement la politique de tel ou tel gouvernement israélien qui est visée, mais l’existence même de l’État d’Israël, qui résulte du projet sioniste. Certes, il est apparu récemment que M. Ahmadinejad n’avait pas parlé de « rayer Israël de la carte », selon pourtant la traduction du persan à l’anglais proposée par l’agence de presse officielle iranienne. Le président iranien se serait contenté de citer l’ayatollah Khomeiny : « L’imam a annoncé que le régime occupant Jérusalem devait disparaître de la page du temps », allusion au fait que, comme le régime du shah ou le régime soviétique, l’État d’Israël n’était pas forcément éternel… Quoi qu’il en soit, le président iranien n’a jamais officiellement démenti par la suite avoir envisagé la destruction de l’État d’Israël. Il est également peu contestable que l’antisionisme est utilisé comme une forme déguisée et réactualisée d’antisémitisme. En 2006, M. Ahmadinejad organise une nouvelle conférence sur « la réalité de l’Holocauste », à l’occasion de laquelle il qualifie la Shoah de « mythe » et accueille des individus connus pour leurs opinions négationnistes. it Cette propagande antisioniste vise à étendre l’influence de l’Iran, qui n’est pas un pays arabe, auprès des populations arabes où l’hostilité à l’encontre d’Israël fait office de dénominateur commun. L’Iran apporte ainsi son appui à des mouvements islamistes comme le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais. La République islamique cherche aussi à renforcer son influence au sein des minorités chiites des États arabes du Golfe, où l’Iran est perçu comme une menace depuis la révolution de 1979. Enfin, l’antisionisme du président iranien répond aussi probablement à des considérations de politique intérieure, dans la lutte qui oppose les « durs » et les « modérés » du régime de Téhéran face aux États-Unis et à leurs alliés. 4. L’Organisation de la conférence islamique est fondée en 1969 à l’instigation de l’Arabie saoudite, afin de contrecarrer l’audience du nationalisme nassérien au Moyen-Orient. C’est ainsi au nom de l’islam, non plus de la nation arabe, que sa charte revendique la création d’un État palestinien, avec pour capitale Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam (art. 7). La Charte de l’Organisation de la conférence islamique lui assigne pour but de renforcer la cohésion du monde musulman (art. 1.1), la défense de l’islam (art. 1.12), l’action humanitaire et l’assistance des populations les plus fragiles (art. 1.14). À la différence des mouvements islamistes radicaux, la Charte prône toutefois la tolérance et le dialogue entre les religions : elle se réfère explicitement à un islam « modéré » (art. 1.11 et 12). Elle dénonce clairement le recours au terrorisme et appelle les États à coopérer entre eux pour le combattre (art. 1.18). Enfin, la Charte islamique déclare respecter les principes de la Charte des Nations unies (art. 2.1), et plus généralement les principes fondateurs de la démocratie : les droits humains, les libertés fondamentales et l’État de droit (art. 2.7). Dans bon nombre d’États toutefois, ces principes démocratiques sont loin d’être respectés, qu’il s’agisse de la liberté de la presse et d’opinion, voire de la tolérance envers les communautés non musulmanes. Le statut des femmes demeure souvent très inégalitaire dans de nombreux pays du Moyen-Orient : qu’il s’agisse de leur accès à l’instruction, de leur place dans la famille et dans la société, où la ségrégation hommes-femmes est de rigueur. e s s o B it e s s o B • 154 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 5. L’appel au jihad lancé par les islamistes radicaux compromet les efforts entrepris par les dirigeants arabes modérés pour dégager une solution négociée aux conflits du Moyen-Orient, en particulier sur le dossier palestinien. Les attentats terroristes perpétrés par les groupes islamistes alimentent en Israël les surenchères sécuritaires des partisans d’une politique de force. La propagande anti-israélienne de l’Iran et son manque de transparence dans le domaine nucléaire contribuent également à dégrader le climat international au Moyen-Orient. L’écho rencontré par les islamistes radicaux auprès de la jeunesse déshéritée peut déstabiliser des États dont les assises nationales demeurent fragiles. Toutefois, l’islamisme ne se réduit pas à sa composante radicale, même si l’on peut redouter qu’en Égypte par exemple, le printemps arabe n’amène à remettre en cause la paix conclue en 1978 avec Israël. e s s o B it e s s o B 5. Le processus de paix israélopalestinien (1979-2011) it mettent tout en œuvre pour empêcher la création à terme d’un État palestinien qui soit viable. D’autant que la politique d’implantations juives a été poursuivie en Cisjordanie, la question des colonies ayant été soigneusement écartée des négociations d’Oslo. À cela s’ajoute la décision prise par Israël d’édifier une « barrière de séparation » pour empêcher les attentats-suicides sur son territoire : le tracé de cette barrière s’étend parfois au-delà de la ligne verte de 1949, ce qui témoigne de l’intention de conserver à terme les implantations juives en Cisjordanie et d’en annexer environ 10 % du territoire. Côté israélien, le maintien d’une forte présence israélienne en Cisjordanie et la construction du mur de séparation sont justifiés par des impératifs de sécurité. Pour Israël, le passage éventuel de l’Autorité palestinienne à un État palestinien dépend fondamentalement de sa capacité à tenir sa population et à faire cesser les attaques en territoire israélien. Les accords d’Oslo n’ont pas permis non plus de régler la question du statut de Jérusalem, ainsi que celle des réfugiés palestiniens (voir p. 278-279). � MANUEL PAGES 274-275 Doc. 1. Israël et les territoires palestiniens en 2011 • Question. En 1993, les accords d’Oslo prévoient la création d’une Autorité palestinienne sur Gaza et une partie de la Cisjordanie. En 2005, Israël s’est retiré de la bande de Gaza et y a démantelé ses colonies. Tel n’est pas le cas en Cisjordanie, où trois zones ont été distinguées : – une zone A : elle est placée en principe sous l’entière responsabilité de l’Autorité palestinienne, notamment en ce qui concerne le maintien de l’ordre. Elle comprend les principales agglomérations de Jénine, Ramallah, Naplouse ou Bethléem, soit environ 20 % de la population. – une zone B : elle est placée sous responsabilité partagée de l’Autorité Palestinienne (l’administration) et d’Israël (la sécurité). – une zone C : elle reste placée sous contrôle israélien, en particulier pour assurer la sécurité des nombreuses colonies juives dispersées en Cisjordanie Les territoires contrôlés par l’Autorité palestinienne sont donc très morcelés, d’où leur aspect en « peau de léopard » sur la carte. Pour certains, c’est la preuve que les dirigeants israéliens © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 2. La Charte du Hamas (août 1988) • Question. Comme pour l’OLP en 1968, l’objectif du Hamas est d’aboutir par la lutte armée à la destruction de l’État d’Israël. Pour l’OLP cependant, la lutte contre Israël est présentée comme un mouvement de libération nationale, qui se revendique du nationalisme arabe. Le Hamas se présente lui comme un mouvement islamiste, agissant au nom de principes politicoreligieux. Les initiatives de paix sont jugées contraire aux intérêts de l’islam. En prônant le jihad contre Israël, le Hamas condamne l’évolution de l’OLP qui, sous l’impulsion de Yasser Arafat, a reconnu l’existence de l’État d’Israël et accepté de négocier avec lui. En Palestine comme dans d’autres pays du Moyen-Orient, l’islamisme a pris le relais du nationalisme arabe, en particulier dans les catégories les plus jeunes de la population. Doc. 3. L’Intifada : les Palestiniens en révolte (Dessin de l’un des enfants pris en charge par le Centre de traitement des troubles psychologiques de Gaza, 10 janvier 2005.) • Question. Ce dessin d’enfant représente l’Intifada telle qu’elle est vécue du côté des 155 • Palestiniens : un affrontement inégal entre une armée régulière dotée d’armes modernes (des blindés à droite du dessin) et de jeunes manifestants aux visages masqués pour ne pas être reconnus, armés de simples frondes : allusion à la « guerre des pierres ». L’un d’entre eux brandit le drapeau palestinien. Le décor est celui d’une guérilla urbaine : des immeubles à l’arrière-plan, un affrontement dans un terrain vague, où des pneus ont été incendiés. Ces affrontements font des victimes civiles : en bas à gauche du dessin, un homme porte le corps d’un enfant blessé. Du côté israélien, on ferait cependant valoir que Tsahal ne fait bien souvent que riposter aux tirs de roquettes ou aux attentats-suicides qui font aussi de nombreuses victimes civiles dans la population israélienne. Les autorités israéliennes accusent par ailleurs le Hamas de disperser sciemment ses combattants au milieu des populations civiles. Quoi qu’il en soit, un tel dessin, diffusé par une agence de presse, montre comment l’image d’Israël s’est renversée dans l’opinion internationale depuis le déclenchement de la première Intifada, en 1987 : jusqu’à la guerre de Six-Jours, c’est Israël qui faisait figure de David dans son affrontement avec les pays arabes, tous coalisés contre lui. Désormais, c’est le sort des Palestiniens qui suscite la sympathie d’une partie de l’opinion publique internationale, la force étant désormais du côté de l’État hébreu. Doc. 4. La « feuille de route » (2003) e s s o B it e s s o B • Question. La feuille de route, élaborée en 2003 par la communauté internationale, vise à relancer le processus d’Oslo et à créer les conditions progressives d’une paix définitive entre Israéliens et Palestiniens. Pour cela, elle prévoit qu’Israël obtienne des garanties pour sa sécurité : les Palestiniens doivent ainsi renoncer sans condition à toute forme de violence, et ce, avant même que les négociations aient abouti. De son côté, Israël doit aider l’Autorité palestinienne à s’imposer auprès de sa population, en apportant la preuve concrète que la négociation est préférable à la violence : Israël doit donc « normaliser la vie des Palestiniens », c’est-à-dire améliorer leur situation économique et sociale, précarisée par le bouclage récurrent des territoires. Surtout, la feuille de route engage Israël à geler sa politique d’implantations juives en Cisjordanie et à • 156 it Jérusalem-Est. Il lui est enfin demandé, dans la phase II, d’accepter, avant la conclusion d’un accord définitif, la formation d’un État palestinien indépendant, doté de réels attributs de souveraineté (l’Autorité palestinienne ne dispose pas d’une armée par exemple, mais seulement de forces de maintien de l’ordre). La feuille de route reste pour l’heure lettre morte : une partie des Palestiniens, derrière le Hamas, n’a pas renoncé à la violence. Les Israéliens ont repris leur politique d’implantations et condamné la proclamation de la création d’un État palestinien par Mahmoud Abbas, en 2012. ◗ Étude L’évolution du problème palestinien depuis 1948 � MANUEL, PAGES 276-277 Réponses aux questions 1. Les réfugiés palestiniens résident principale­ment : – dans les territoires occupés par Israël après 1967 et administrés partiellement par l’Autorité palestinienne depuis les accords d’Oslo, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie ; – dans les pays voisins d’Israël, en Jordanie et au Liban. Une partie de ces réfugiés vit dans les camps gérés par l’UNRWA, organisme des Nations unies créé en 1948. Le nombre de ces réfugiés, qui comprend aussi les enfants des familles des réfugiés de 1948, s’est considérablement accru du fait de la forte croissance démographique : le taux de fécondité par femme palestinienne est l’un des plus élevés au monde, 8 en Cisjordanie, 9 à Gaza. La population croît ainsi au rythme de 5 % par an. 2. On relève d’emblée la signification très différente que revêt naturellement la guerre de 1948 pour les Israéliens et les Palestiniens. Dans la version israélienne, la guerre de 1948 est présentée comme une guerre d’indépendance, qui consacre l’idéal sioniste d’un retour des juifs en terre promise, au lendemain d’un génocide qui a conduit à l’extermination de 6 millions de juifs européens. Dans la version palestinienne, la guerre de 1948 est la Nakba, la « Catastrophe », puisque des centaines de milliers de réfugiés © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 palestiniens ont dû quitter leur terre et que le peuple palestinien a été privé depuis du droit de posséder un État en Palestine. Pour les mêmes raisons, la participation des États arabes dans cette guerre est envisagée de manière très différente. Dans la version israélienne, la création de l’État d’Israël a été arrachée de haute lutte contre les pays arabes agresseurs. Dans le texte palestinien, les pays arabes sont accusés d’avoir sacrifié la cause palestinienne sur l’autel de leurs propres intérêts nationaux. La fin du texte fait allusion à l’annexion de la Cisjordanie par la Jordanie, dont le roi Abdallah est assassiné deux ans plus tard par un Palestinien. Mais on relève certains points de convergence sur la question des expulsions. La version israélienne – dont il faut rappeler qu’elle a été rédigée par des enseignants pacifistes qui ne sont pas représentatifs de l’opinion israélienne dans son ensemble – prend en compte les travaux effectués ces dernières années par les « nouveaux historiens » israéliens, comme Benny Morris par exemple. Ces recherches, fondées sur les archives israéliennes et occidentales, ont remis en cause la thèse officielle d’Israël, qui a été longtemps de nier les expulsions et d’affirmer que les Arabes palestiniens avaient fui volontairement ou y avaient été incités par les États arabes. Les responsables arabes ont au contraire prétendu que ces expulsions avaient fait partie d’un plan prémédité, en particulier dans le cadre du plan Daleth, lancé en avril 1948 pour sécuriser les frontières du nouvel État juif institué par l’ONU, en prévision de l’attaque fort probable des pays arabes. Le texte israélien évoque donc lui aussi, comme le texte palestinien, les expulsions d’Arabes palestiniens, en reprenant l’argumentation nuancée des « nouveaux historiens ». Au début de la guerre, la plupart des départs ont été volontaires. C’est ensuite, dans le cadre de la prévention de l’attaque arabe, qu’il y a eu des expulsions intentionnelles : la version israélienne admet donc la responsabilité des dirigeants sionistes dans ces expulsions, ainsi que leur volonté de réduire au maximum l’effectif de la minorité arabe qui continuerait de vivre dans les frontières du nouvel État juif. Mais, « tous les Arabes ne furent pas chassés, et il n’y eut pas d’instructions officielles dans ce sens ». Comme a pu l’établir en it effet l’historien Benny Morris, il y a bien eu « des expulsions brutales » et un « harcèlement délibéré » pour contraindre les populations arabes au départ, d’abord dans le cadre du plan Daleth, puis au lendemain de l’invasion des armées arabes. « De toute évidence, conclut B. Morris, Ben Gourion voulait que demeurent à l’intérieur de l’État juif le moins d’Arabes possible. Mais il n’y avait toujours pas de politique systématique d’expulsion ». On relève cependant que la version palestinienne évoque les massacres de civils palestiniens, comme celui de Deir Yassine, (massacres également mentionnés dans le texte israélien dans un passage non reproduit dans le manuel), en omettant de rappeler cependant les massacres également perpétrés par des Arabes contre des civils juifs. Enfin, les deux versions s’accordent pour rappeler qu’au lendemain de la guerre, les réfugiés furent systématiquement empêchés de revenir chez eux, les autorités israéliennes effaçant toutes les traces d’une présence arabe antérieure. La version israélienne rappelle toutefois que ce sont entre autres les nombreuses infiltrations de terroristes en Israël qui ont fait capoter toutes les négociations, donc la possibilité du retour d’au moins une partie des réfugiés : elle renvoie finalement dos-à-dos les Arabes, qui ont continué d’avoir recours à la violence, et les dirigeants israéliens, qui y ont répondu par des opérations punitives. Ici encore, Benny Morris rappelle qu’en effet, « les documents israéliens et occidentaux révèlent qu’entre la fin de l’année 1948 et le mois de juillet 1952, plusieurs occasions de paix entre Israël et certains de ses voisins arabes se présentèrent effectivement » Elles ne furent pas mises à profit, en tout cas pas autant qu’elles auraient pu l’être, « parce qu’Israël ne se montra jamais disposé à transiger pour la paix, et que les dirigeants arabes se sentaient trop faibles et menacés par leur propre peuple ainsi que par leurs voisins pour tenter ou même envisager la paix, à moins qu’elle n’implique de réelles concessions de la part d’Israël ». Si Israël avait été plus accommodant, les dirigeants arabes auraient-ils accepté la paix ? Morris se dit incapable de répondre à la question. De même, à supposer qu’un traité ait été conclu, aurait-il été durable ? Seule certitude : des propositions de paix ont bien été formulées, mais chaque partie a trouvé alors plus profitable e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 157 • de les écarter. « Aucun des dirigeants, dans un camp comme dans l’autre, ne se montra à la hauteur de la situation, ni capable de saisir comme il se devait les occasions offertes ». Au total, 700 000 Arabes palestiniens se sont enfuis ou ont été expulsés des régions intégrées dans l’État juif. À la fin de la guerre de 1948-1949, moins de la moitié des Palestiniens habitent encore chez eux. On rappellera cependant que la guerre de 1948, comme la crise de Suez ensuite (1956), n’ont pas été non plus sans conséquence pour les communautés juives dispersées dans les pays arabes : des centaines de milliers de juifs du Moyen-Orient et du Maghreb ont été à leur tour contraints au départ, pour un grand nombre vers Israël (seuls les juifs d’Algérie ont massivement opté pour la France après 1962). De nos jours, il n’y a plus que l’Iran et la Turquie, deux pays non arabes qui comptent une communauté juive importante (respectivement 40 000 et 25 000 personnes en 2000). Hormis ces deux pays, il n’y a plus aujourd’hui que 8 000 juifs vivant dans un pays musulman. 3. Selon la Charte de l’OLP, un Palestinien est à la fois un habitant ou un ex-habitant de la Palestine d’avant 1947 et/ou une personne née d’un père palestinien, lui-même né en Palestine ou hors de Palestine. La citoyenneté palestinienne serait ainsi fondée sur le droit du sol et le droit du sang. Le futur État palestinien que l’OLP entend construire a donc pour vocation de rassembler la diaspora palestinienne dans toutes ses composantes. La Charte de l’OLP prévoit que les juifs pourront eux aussi accéder à la citoyenneté du nouvel État palestinien, ce qui laisse entendre qu’il sera laïque. Toutefois, elle ne serait accordée qu’aux seuls juifs résidant en Palestine avant « l’invasion sioniste » : implicitement, cela signifie qu’une immense majorité de juifs, qui ont immigré depuis la fin du XIXe siècle, serait alors expulsée de Palestine. 4. La Charte de l’OLP revendique à plusieurs reprises la « libération de la Palestine ». Elle affirme clairement que la lutte armée est la seule manière d’y parvenir. Selon l’OLP, il ne peut y avoir deux États, juif et arabe, en Palestine. On a vu par ailleurs qu’en vertu de l’article 6, seul un petit nombre de juifs pourraient devenir citoyens de l’État palestinien. it La fin de la guerre froide a privé l’OLP de l’appui que les Soviétiques lui avaient apporté. Yasser Arafat a ainsi modéré les positions de son Organisation. En visite officielle en France, en 1989, il déclare ainsi « caduque » (en employant ce mot en français) la Charte de l’OLP. C’est une manière de reconnaître l’existence de l’État d’Israël, ce qui a permis d’ouvrir des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens. Cette position est aujourd’hui celle de l’Autorité palestinienne, mais elle est violemment contestée par le Hamas. 5. La Charte de l’OLP appelle l’ensemble du monde arabe à se solidariser avec la cause palestinienne. Elle place le mouvement national palestinien à l’avant-garde du combat destiné à réaliser l’unité arabe. Mais les pays arabes sont eux-mêmes très divisés et le soutien apporté aux Palestiniens n’est souvent qu’un moyen de masquer leurs divisions profondes et de servir leurs intérêts propres. C’est ce que rappelle amèrement le récit palestinien de la guerre de 1948 (doc. 5) : les Arabes n’ont pas su préserver leur unité face à Israël et on a vu que la Jordanie avait profité de l’occasion pour annexer une partie du territoire palestinien. À l’époque où est rédigée la Charte de l’OLP, le mouvement national palestinien cherche précisément à s’affranchir de la tutelle des États arabes, sous l’impulsion de Yasser Arafat. Deux ans plus tard, en septembre 1970, l’OLP est pour cette raison expulsée de Jordanie au terme de violents affrontements qui font des milliers de morts. 6. L’ampleur du taux de chômage dans les Territoires palestiniens révèle la dégradation de la situation économique et sociale, depuis la deuxième Intifada et la rupture entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, qui a pris le contrôle de Gaza. Depuis la fin des années 1990, le taux de chômage a grimpé d’environ 10 % à 30 % des actifs. À Gaza, il a même approché les 40 % et se maintient à un niveau plus élevé qu’en Cisjordanie. Les attentats-suicides et les tirs de roquettes opérés par le Hamas depuis la bande de Gaza ont amené les dirigeants israéliens à boucler régulièrement les territoires palestiniens, empêchant leurs habitants de venir travailler en Israël. L’érection d’une « barrière de séparation » perturbe également les échanges entre les différentes enclaves arabes de l’Autorité pales- e s s o B it e s s o B • 158 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 tinienne en Cisjordanie. Les ressources sont par ailleurs insuffisantes pour absorber la très forte croissance démographique dans les territoires. 7. Le conflit israélo-arabe a provoqué le départ de centaines de milliers de réfugiés palestiniens. Le peuple palestinien est toujours en quête d’un État. La reconnaissance de l’État d’Israël par l’OLP lui a toutefois permis d’obtenir des avancées significatives dans la reconnaissance de ses droits politiques. Depuis la fin des années 1990 cependant, le blocage du processus de paix et les surenchères du Hamas voient les affrontements entre Arabes et Israéliens se poursuivre, au prix d’une dégradation de la situation économique et sociale dans les Territoires palestiniens. ◗ Étude e s s o B it e s s o B Quelle paix entre Israéliens et Palestiniens ? � MANUEL, PAGES 278-279 Réponses aux questions it ces questions n’auraient pas dû être écartées au départ, même pour faciliter la conclusion des accords d’Oslo. Car elles ont constitué des bombes à retardement : l’Autorité palestinienne s’est trouvée d’emblée en difficulté face à la poursuite des implantations juives dans les territoires. Face aux surenchères du Hamas et des opposants palestiniens au processus de paix, Yasser Arafat a durci sa position en relançant la question des réfugiés, ce qui a bloqué durablement le processus de paix. Elie Barnavi estime qu’à défaut de trancher sur les questions les plus « explosives » à Oslo, il aurait fallu s’engager par un calendrier précis à ce qu’elles le soient un peu plus tard. Il ajoute qu’Israéliens et Palestiniens auraient dû prendre des engagements plus contraignants, sous le contrôle de la communauté internationale. Elie Barnavi pense sûrement ici à la « feuille de route » élaborée en 2003 (voir doc. 4 p. 275), qui a tenté de combler les lacunes du processus d’Oslo. En fin de compte, les ambiguïtés ou l’imprécision des accords d’Oslo ont été instrumentalisées par ceux qui n’ont jamais eu l’intention d’en respecter l’esprit : les partisans de la poursuite de la colonisation côté israélien, les adversaires de l’existence d’un État juif en Palestine côté palestinien. Comme Elie Barnavi (issu de la gauche israélienne), le Premier ministre de droite Benjamin Netanyahu met l’échec des accords d’Oslo au compte de l’extrémisme, mais seulement de celui des islamistes. B. Netanyahu évoque ainsi la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza, ainsi que l’influence grandissante du Hezbollah au Liban et des Frères musulmans en Égypte : tous ces mouvements, rappelle-t-il, « ne s’opposent pas aux politiques d’Israël, mais à l’existence d’Israël » : manière de dire que toute concession éventuelle du gouvernement israélien ne servirait à rien face à des interlocuteurs qui n’ont pas l’intention de négocier quoi que ce soit. Le chef du gouvernement se défend ainsi d’être jugé responsable du blocage du processus de paix. Il rappelle qu’Israël, par le passé, a bien rendu ou évacué certains territoires, en particulier Gaza et le Sud-Liban ; la sécurité d’Israël n’en est pas mieux assurée pour autant et les islamistes radicaux ont fini par l’emporter sur les modérés. Il estime enfin qu’Israël ne peut pas prendre le risque de placer sa sécurité entre les 1. Cette photographie immortalise la poignée de main qui scelle les débuts de la réconciliation entre deux adversaires irréductibles, l’ancien chef d’état-major israélien durant la guerre des Six-Jours, devenu Premier ministre, Yitzhak Rabin (doc. 1 p. 267), et le chef charismatique de l’OLP, Yasser Arafat, perçu jusque là comme un terroriste en Israël. Ce geste symbolise une double reconnaissance : celle de l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien par Israël, et celle de l’existence de l’État d’Israël par l’OLP. Il vaut à ces deux hommes, ainsi qu’à Shimon Peres, l’obtention du prix Nobel de la paix en 1994. Yitzhak Rabin, assassiné par un extrémiste israélien en 1995, l’a payé de sa vie. 2. Elie Barnavi comme Elias Sanbar sont tous deux favorables au processus de paix israélopalestinien : la reconnaissance mutuelle de l’OLP et de l’État d’Israël a marqué une étape décisive dans l’évolution récente du conflit israélo-palestinien. Ils regrettent cependant tous deux l’imprécision de ces accords sur le calendrier et le contenu des négociations : les litiges les plus délicats ont été délibérément écartés, à savoir le statut de Jérusalem, les colonies juives et les réfugiés palestiniens. Mais c’est également sur ce point que les deux hommes se séparent : Elias Sanbar estime que © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 159 • mains de forces internationales, qui ne sont pas montrées particulièrement efficaces jusqu’ici. Pour B. Netanyahu, la sécurité d’Israël prime donc la reprise de négociations, par ailleurs difficiles, voire inextricables, sur Jérusalem, les réfugiés et les colonies. 3. Dans son célèbre discours à l’université alAzhar du Caire adressé au monde musulman, le président Obama a longuement abordé la question palestinienne. Il a voulu justifier le rôle d’arbitre que jouent les États-Unis dans le processus de paix, alors qu’ils sont souvent perçus comme unilatéralement pro-israéliens au sein de l’opinion arabo-musulmane. Dans un discours qui se veut équilibré, il appelle ainsi Palestiniens et Israéliens à faire des concessions mutuelles. L’Autorité palestinienne doit se montrer davantage en mesure de gouverner efficacement, autrement dit de s’affranchir des luttes de clans et de la corruption, afin d’apporter la preuve auprès du peuple palestinien que la poursuite du processus de paix est préférable à la reprise des hostilités envers Israël. Le président américain ne désespère pas non plus d’amener le Hamas, qui dirige désormais Gaza, à prendre ses responsabilités en renonçant à son tour à la violence et en reconnaissant l’existence de l’État d’Israël. Le président Obama enjoint les Israéliens, de leur côté, à renoncer à poursuivre la colonisation juive dans les territoires : il y voit clairement le principal obstacle à la reprise des négociations. Par ailleurs, il demande aux Israéliens de soutenir la tâche difficile de l’Autorité palestinienne : la crédibilité de ses dirigeants auprès du peuple palestinien dépend en grande partie de leur capacité à améliorer la situation économique et les conditions de vie, qui se sont dégradées depuis la fin des années 1990. Barack Obama évoque ainsi la crise humanitaire qui sévit à Gaza, du fait du blocus israélien (ripostant aux tirs de roquettes du Hamas sur Israël). Il retourne enfin l’argument souvent employé par les dirigeants israéliens, qui justifient au nom de la sécurité d’Israël la poursuite de la colonisation et le bouclage des Territoires palestiniens : pour le président américain, en rendant plus difficile la vie des Palestiniens, ces mesures ne peuvent que faire le jeu de l’extrémisme et du terrorisme. 4. Fondé en 1978, le mouvement « La Paix maintenant » se veut le porte-parole des paci- it fistes israéliens. Ces derniers, très minoritaires en Israël, manifestent contre la poursuite de la colonisation dans les Territoires palestiniens, qui constitue l’un des principaux facteurs de blocage du processus de paix. Entre 1968 et 2006, le nombre de colons juifs installés en Cisjordanie est passé de 5 000 à 230 000, auxquels s’ajoutent 180 000 personnes installées à Jérusalem-Est. Ces militants pacifistes protestent également contre l’influence des partis religieux, qui soutiennent vigoureusement la colonisation, financée par les crédits du gouvernement : ces partis religieux sont eux aussi très minoritaires, mais leur soutien est souvent indispensable à la formation d’une majorité gouvernementale à la Knesset. En brandissant un drapeau israélien et un drapeau palestinien, les manifestants expriment par un symbole fort leur aspiration à ce que Palestiniens et Israéliens puissent chacun vivre en paix dans leur État respectif, aux frontières sûres et reconnues. 5. Les principaux obstacles à l’instauration d’une paix durable entre Israéliens et Palestiniens sont au nombre de trois : – Le statut de Jérusalem, revendiquée comme capitale par les deux peuples. – La colonisation juive : à l’origine, les premières implantations juives dans les territoires alors occupés par Israël ont été justifiées par un besoin de sécurité. De fait, l’État hébreu a démantelé les colonies, parfois manu militari contre les colons qui y résidaient, dans les territoires qu’il a restitués, à savoir le Sinaï et Gaza. Mais pour une partie de la droite israélienne comme pour les partis religieux, les implantations sont destinées à pérenniser la présence juive sur au moins une partie de la Cisjordanie. À l’heure où ces lignes sont écrites, la question d’un gel éventuel des implantations juives, ou d’une partie d’entre elles, continue de bloquer les négociations. – Les réfugiés palestiniens : pour les Palestiniens, le droit au retour des Palestiniens expulsés en 1948 est une question de principe. Pour les Israéliens, cette revendication est un moyen détourné de continuer à nier l’existence de l’État d’Israël, puisqu’en raison de la forte croissance démographique de la population palestinienne, les Arabes deviendraient majoritaires au sein de l’État hébreu. e s s o B it e s s o B • 160 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude La question libanaise et ses répercussions internationales � MANUEL, PAGES 280-281 Réponses aux questions 1. La cohésion nationale du Liban est fragile, du fait de la coexistence de nombreux groupes confessionnels : les liens claniques et communautaires y limitent fortement l’emprise de l’État sur la société, surtout lorsque les communautés sont bien ancrées sur un territoire donné (cas des Druzes dans la montagne libanaise par exemple). Ni les chrétiens, ni les musulmans ne forment des communautés homogènes. Les institutions libanaises reposent sur le Pacte national établi en 1943, qui prévoit un partage du pouvoir entre chrétiens maronites, sunnites et chiites. Cet équilibre a été partiellement remis en cause par l’évolution démographique (légèrement majoritaires lors de la création du Liban par la France, les chrétiens sont ainsi devenus minoritaires), mais surtout par l’ingérence des États qui soutiennent tel ou tel groupe en fonction de leurs intérêts respectifs (la Syrie, Israël et plus récemment l’Iran). 2. C’est après avoir été expulsée de Jordanie en 1970 (« septembre noir ») que l’OLP, emmenée par Yasser Arafat, se replie au Liban. L’arrivée des combattants palestiniens au Liban, où existaient déjà de nombreux camps de réfugiés depuis 1948, remet en cause le fragile équilibre entre les diverses communautés du pays. Les Druzes de Kamal Joumblatt s’allient aux Palestiniens et s’opposent aux milices chrétiennes. En 1975, le Liban plonge dans la guerre civile, qui s’amplifie en raison de l’ingérence de la Syrie et d’Israël dans le conflit libanais. Le Liban devient ainsi l’un des théâtres extérieurs du conflit israélo-palestinien. En 1982, Israël lance l’opération « Paix en Galilée » afin de déloger l’OLP du Liban. Yasser Arafat est alors contraint de quitter Beyrouth pour Tunis. C’est dans ce contexte que se produit le massacre d’un millier de Palestiniens des camps de Sabra et de Chatila, par des membres des milices chrétiennes, alliées des Israéliens. Devant l’émotion suscitée par ce massacre dans l’opinion publique israélienne, une commission d’enquête a été confiée à un membre de la Cour suprême d’Is- it raël (la commission Kahane), qui a conclu à la responsabilité indirecte des autorités militaires israéliennes qui, alors que les camps palestiniens étaient sous leur contrôle, ont laissé s’introduire des phalangistes chrétiens. Le rapport de la commission a contraint le premier ministre, M. Begin, à démissionner. Le conflit libanais, comme le conflit israélopalestinien, s’est lui aussi « islamisé » dans la période récente, avec la création du parti chiite Hezbollah, en 1982. Comme le Hamas palestinien, le Hezbollah refuse de reconnaître le droit à l’existence de l’État d’Israël, qualifié pour cette raison d’« entité sioniste ». L’État d’Israël est présenté comme une entité complètement étrangère à la région, réduite à son identité arabomusulmane, et comme une création de toute pièce de l’impérialisme occidental : il s’agit bien entendu d’un anachronisme complet quand on sait que la création de l’État d’Israël marque d’abord la défaite de l’impérialisme britannique. Pour le Hezbollah, Israël est une puissance coloniale qui constitue l’avant-poste de l’Occident pour établir son hégémonie sur l’ensemble du Moyen-Orient. Israël est jugé seul responsable des guerres qui ont ensanglanté la région, la Charte du Hezbollah omettant les nombreux conflits qui, dans la région, n’ont aucun rapport avec le conflit israélo-arabe. Le soutien apporté à la cause palestinienne permet ainsi aux islamistes du Hezbollah de reprendre le flambeau anti-impérialiste naguère brandi par les nationalistes arabes. 3. L’accord de Taëf est un accord de réconciliation nationale qui tente de mettre un terme à la guerre civile que connaît le Liban depuis 1975. Le « Document d’entente nationale » prévoit ainsi un rééquilibrage des pouvoirs entre les représentants des différentes communautés confessionnelles, l’élection d’un nouveau président de la République et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Ce gouvernement reçoit la mission de restaurer la souveraineté de l’État libanais sur l’ensemble de son territoire. Il s’agit notamment d’obtenir le retrait de l’armée israélienne du Sud-Liban, qu’elle occupe depuis 1978. En revanche, l’accord prévoit le maintien des forces armées syriennes, au nom des « relations fraternelles qui lient la Syrie au Liban ». Elles e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 161 • assisteront l’État libanais au cours d’une période qui, en principe, ne doit pas excéder deux ans : en réalité, l’accord prévoit, au terme de ces deux ans, un « redéploiement » de l’armée syrienne dans la plaine de la Bekaa. L’accord de Taëf établit une sorte de tutelle de la Syrie sur le Liban, la Syrie se faisant la gardienne de l’entente nationale (« l’entente entre ses fils ») et de la souveraineté du Liban. C’est pourquoi l’accord de Taëf a été dénoncé comme pro-syrien par le général chrétien Michel Aoun, qui voulait alors restaurer l’autorité de l’État libanais en transcendant les clivages confessionnels. Il est toutefois contraint par les forces syriennes de se réfugier à l’ambassade de France, puis de s’exiler, en octobre 1990. 4. Trois éléments principaux ont conduit à l’internationalisation du conflit libanais : – La Syrie n’a jamais accepté la partition du Liban par la France, considérant le Liban comme partie intégrante d’une grande Syrie. D’autant que la France, puissance mandataire, a opté pour la création d’un Grand Liban, débordant largement les régions où les chrétiens constituaient la grande majorité de la population. Dès 1976, la Syrie occupe la plaine de la Bekaa. L’accord de Taëf officialise cette présence de l’armée syrienne, qui n’évacue le pays qu’en 2005, au lendemain de l’attentat qui a coûté la vie au Premier ministre libanais Rafic Hariri (probablement commandité par la Syrie, mais l’enquête n’a toujours pas abouti). – Le repli des bases de l’OLP au Liban après 1970 amène Israël à intervenir dès 1978 au SudLiban. Le Conseil de sécurité de l’ONU dépêche l’envoi de la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban), qui permet d’obtenir le retrait israélien, à l’exception d’une zone tampon de 10 km à la frontière. Soutenu par les milices chrétiennes (rebaptisées Forces libanaises) de Bachir Gemayel, Israël déclenche l’opération Paix en Galilée en 1982. L’objectif est de neutraliser les bases de l’OLP au Liban et d’en déloger la Syrie. L’armée israélienne parvient jusqu’à Beyrouth. En août 1982, les combattants palestiniens sont évacués sous la protection d’une force d’interposition composée de soldats américains, français et italiens. L’opération Paix en Galilée se solde finalement par un fiasco pour Israël. Son armée s’enlise au Liban. Le combat it des Palestiniens contre Israël est repris par les milices chiites Amal et le Hezbollah, qu’Israël affronte sans succès en 2006. – La période récente est marquée par les progrès de l’islamisme, le Hezbollah étant fortement soutenu par l’Iran. 5. On retrouve au Liban la plupart des facteurs de conflictualité du Moyen-Orient : – La difficile coexistence de groupes ethniques ou confessionnels qui mine la cohésion nationale et affaiblit l’autorité de l’État. – La non-reconnaissance ou la contestation des frontières du pays : par la Syrie, mais aussi par Israël où certains projets sionistes ambitionnent de porter la frontière nord d’Israël jusqu’au fleuve Litani. – La non résolution du problème palestinien, qui a fini par « s’exporter » en territoire libanais. – La progression de mouvements islamistes qui refusent toute négociation avec Israël et justifient le recours au terrorisme. e s s o B it e s s o B • 162 ◗ BAC Étude critique de document Étudier un document autobiographique � MANUEL, PAGES 284-285 RÉPONSES AUX QUESTIONS des encadrés Sujet : La Palestine, un foyer de conflit depuis la fin de la Première Guerre mondiale. 1. En 1975, aucun dirigeant arabe n’a encore reconnu l’existence de l’État d’Israël. La guerre de Kippour a eu lieu deux ans auparavant. 2. Il s’agit de la première guerre israélo-arabe. L’État d’Israël a été proclamé la veille. 3. Les termes employés peuvent être qualifiés de méprisants : motivations « ridicules », dirigeants « désespérément primitifs dans leurs raisonnements ». 4. Cette référence au sionisme permet de rappeler que l’immigration juive est bien plus ancienne que l’État d’Israël. 5. Voir la note 3 du texte, page 284. BAC BLANC Sujet : La Palestine, genèse d’un conflit. Ce document permet d’évoquer la situation de la Palestine avant la création de l’État d’Israël. Le premier ennemi pour les Arabes est bien l’occu© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 pant britannique. Les cris de « À bas la résolution Balfour ! » montrent que les Arabes ne sont pas dupes des promesses des Anglais. Le futur royaume arabe indépendant prévu n’inclue en effet pas la Palestine. Les grèves dont il est question dans ce texte marquent le début d’un mouvement de révolte qui s’étend jusqu’en 1939. Les Arabes de Palestine réclament la fin du mandat britannique, mais aussi la fin de la colonisation juive. Ces juifs sont considérés comme un « autre occupant » et l’enfant qu’est Georges Habache a conscience qu’il sera « dangereux ». Mais les Arabes à cette époque sont « davantage préoccupés par les Britanniques ». L’auteur fait aussi la distinction, entre les juifs « ostensiblement sionistes » et les autres, avec qui les relations sont « parfois même, bonnes ». ◗ BAC BLANC Étude critique de documents e s s it � MANUEL, PAGE 287 • Composition Sujet 1 : Juifs et Arabes en Palestine du lendemain de la Première Guerre mondiale à nos jours. Proposition de plan : I. Les origines du conflit israélo-arabe (1917-1948). II. Le conflit israélo-arabe pendant la guerre froide (1949-1989). III. Le processus de paix israélo-palestinien entre avancées et impasses depuis 1990. o B it e s s o B � MANUEL, PAGE 286 Sujet : L’islamisme en Iran. ◗ BAC BLANC L’islamisme émerge dans un contexte de guerre froide. Il se caractérise notamment par son refus de s’aligner, « ni Est, ni Ouest ». Il s’agit là du « slogan fondamental de la révolution islamiste » selon Khomeiny. La banderole du document 2, empruntant à la signalétique routière, le traduit en image. Ces deux camps sont également impies. Il s’agit de mener contre eux une guerre sainte, un « jihad ». Une autre caractéristique de l’islamisme visible ici est l’opposition radicale au sionisme, « cellule maligne et cancérigène ». Khomeiny annonce son « soutien sans limites » à la lutte contre Israël dans ce discours de 1987. La photographie du document 2 montre que ce soutien était déjà explicite et acquis en 1979, dès le début de la révolution iranienne. On y voit des manifestants brandir le portrait de Yasser Arafat, chef de l’OLP depuis 1969. Bien qu’en 1987 la guerre Iran-Irak fasse encore rage, Khomeiny s’adresse dans ce discours de manière univoque à tous les musulmans. À l’occasion du pèlerinage à La Mecque, il insiste sur l’unité de l’Umma qu’il s’agit d’étendre afin de connaître « la liberté ». L’appel à la lutte armée est clair. La possibilité du martyre aussi, qui annonce les méthodes terroristes (attentats-suicides notamment) qui se développent dans les années qui suivent. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Sujet 2 : Les conflits au Proche et MoyenOrient de 1945 à nos jours. Proposition de plan : I. Le conflit israélo-arabe (1945-1979). II. Les autres sources de conflictualité depuis 1979. III. Le processus de paix israélo-palestinien depuis 1979. • Étude critique de document Sujet : Le conflit libanais au Proche-Orient. Françoise Demulder est, pour ce cliché, la première femme à recevoir la plus haute récompense du photojournalisme : le prix World Press photo de l’année. Cette photographie est prise en 1976, un an après le début de la guerre civile au Liban. Ce pays, créé par la France en 1922, fait cohabiter diverses communautés. L’équilibre est fragile et l’arrivée de l’OLP en 1970 le rompt. La Quarantaine est un quartier pauvre du nordest de Beyrouth. Le massacre que les milices chrétiennes y perpétuent contre les Palestiniens qui y sont réfugiés depuis 1948 est un exemple de la violence que subissent les populations pendant cette guerre civile. Deux jours plus tard, les milices palestiniennes, en représailles, massacrent plusieurs centaines de chrétiens dans la ville de Damour, à 20 km environ au sud de la capitale. En septembre 1982, à Sabra et Chatila, les phalangistes se rendent coupables d’un massacre qui reste, davantage que la Quarantaine encore, le symbole des exactions commises pendant la guerre du Liban. 163 • Chapitre 10 it Gouverner la France depuis 1946 e s s � MANUEL, PAGES 290-319 ◗ Présentation de la question • La séquence intitulée « Gouverner la France depuis 1946. État, gouvernement et administration. Héritages et évolutions » s’inscrit en ouverture du thème sur les « échelles de gouvernement dans le monde ». La France est donc le support d’une réflexion sur l’échelle de l’État-nation dans la seconde moitié du XXe siècle. • Il ne s’agit pas, comme c’était le cas dans l’ancien programme, de proposer une histoire politique classique de la France contemporaine, retraçant la succession des dirigeants et de leurs politiques respectives. On n’a plus à entrer dans le détail de la vie politique sous la IVe République (Tripartisme, Troisième Force, MRP, Poujadisme, etc.) puis sous la Ve République (histoire détaillée des partis). Il est bien sûr encore nécessaire de connaître les institutions des deux dernières républiques (étudiées en classe de Première), mais on insistera plutôt ici sur la continuité entre les deux régimes, c’est-à-dire à la permanence de l’État, de son appareil et de son action. Il ne s’agit pas pour autant de donner un cours de droit administratif ou d’éducation civique. Il faut plutôt mettre en perspective l’histoire de l’État et faire comprendre aux élèves qu’il est un objet historique. L’État s’est construit dans la longue durée et il reste aujourd’hui l’objet de débats idéologiques sur ses compétences et son rôle. • L’État a connu un net élargissement de ses compétences à partir de 1945 : à côté de ses fonctions « régaliennes » traditionnelles (la sécurité, la justice, la défense), il a dû prendre en charge de nouveaux domaines (sécurité sociale, planification économique, aménagement du territoire, démocratisation de l’enseignement, politique culturelle). De ce point de vue, la Ve République est largement l’héritière de la IVe, contrairement à ce qu’une histoire politique traditionnelle, très marquée par la rhétorique gaulliste de la rupture, laisse entendre. Puis le rôle de l’État a été profondément modifié à partir des années 19701980 sous l’effet de plusieurs phénomènes : construction européenne, mondialisation libérale (avec critique de l’État-providence), décentralisation. Dépassé en quelque sorte par le haut (l’Europe, le marché mondial) et par le bas (les régions), l’État a été contraint de redéfinir son champ et ses moyens d’action. • Après avoir été interventionniste et omniprésent, l’État s’est donc recentré sur son « cœur de métier ». On se gardera cependant de conclure trop hâtivement à une perte d’influence, voire à un déclin de l’État. Celui-ci reste un acteur essentiel, même s’il délègue une partie de ses compétences aux collectivités territoriales et à l’Union européenne. Surtout, une forte demande sociale de protection étatique, face aux bouleversements de la mondialisation, entraîne aujourd’hui une critique des politiques de libéralisation menées depuis les années 1980, ce qui montre que l’État est loin d’avoir dit son dernier mot. o B it e s s o B • 166 ◗ Bibliographie S. Berstein et M. Winock (dir.), La République recommencée, de 1914 à nos jours, Éditions du Seuil, 2004. S. Berstein (dir.), Les Années Giscard. Institutions et pratiques politiques (1974-1978), Fayard, 2003. P. Bezes, Réinventer l’État, les réformes de l’administration française (1962-2008), PUF, 2009. P. Birnbaum, Les Sommets de l’État. Essai sur l’élite du pouvoir en France, Éditions du Seuil, 1994 (rééd.). P. Birnbaum, La Classe dirigeante française, Éditions du Seuil, 1978. D. Chagnollaud et J.-L. Quermonne, Le Gouvernement de la France sous la Ve République, Fayard, 1996. « Les collectivités territoriales : dix ans de décentralisation », revue Cahiers français n° 362, La Documentation française, 2011. J.-M. Gaillard, L’ENA, miroir de l’État de 1945 à nos jours, Complexe, 1999. J. Garrigues (dir.), La France de la Ve République, 1958-2008, Armand Colin, 2008. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 P. Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Éditions du Seuil, 1990. P. Rosanvallon, Le Modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Éditions du Seuil, 2006. « Serviteurs de l’État », revue Pouvoirs n° 117, Éditions du Seuil, 2006. J.-F. Sirinelli (dir.), J. Garrigues, S. Guillaume, Comprendre la Ve République, PUF, 2010. Y. Thomas, Histoire de l’administration, La Découverte, 1995. M. Zancarini-Fournel et C. Delacroix, La France du temps présent, Belin, 2010. ◗ Plan du chapitre it Le chapitre est ensuite organisé selon un plan chronologique. Une approche purement thématique aurait sans doute été trop complexe pour les élèves. Le premier cours est consacrée à la refondation de l’État républicain au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, insistant notamment sur la redéfinition de ses domaines de compétences et la constitution d’une nouvelle administration performante. L’ENA qui joue un rôle crucial dans ce processus fait ensuite l’objet d’une étude. Le deuxième cours montre en quoi l’État gaullien des premières décennies de la Ve République perpétue par delà les ruptures institutionnelles la tradition centralisatrice et interventionniste de la IVe République. Il élargit également le champ du gouvernement à de nouveaux domaines comme la culture et les arts, ce dont témoigne la double page Histoire des Arts qui suit, qui analyse le rapport étroit tissé par le président Pompidou entre les arts et la politique. Le troisième cours montre enfin comment depuis 1974, l’État s’est délesté de certaines de ses attributions et a vu son efficacité et sa légitimité remises en question. Le chapitre se clôt sur quatre études qui s’intéressent respectivement à la place des femmes dans le gouvernement de la France, au processus de décentralisation, aux problèmes spécifiques posés par le gouvernement des outre-mers et à la manière dont les périodes de cohabitation ont pu modifier les modes de gouvernement du pays. Ces dossiers transversaux permettent à l’enseignant de mettre en perspective, à partir d’un fil thématique de son choix, les grandes tendances vues dans la partie cours du manuel. e s s o B it e s s o B La double page d’ouverture, qui montre le président de la République aux côtés d’une présidente de région d’une part, d’une chancelière allemande de l’autre, permet de poser d’emblée la problématique du chapitre : comment et pourquoi l’État doit-il aujourd’hui partager ses compétences en matière de gouvernement ? Et cela a-t-il toujours été le cas ? Pour replacer cette problématique dans la longue durée, la double page suivante (Retour sur…) permet de familiariser les élèves avec l’histoire spécifique de l’État en France, en retraçant les moyens et les moments de son affirmation. Une double page Repères complète ce triptyque liminaire, proposant les principaux organigrammes institutionnels et cartes administratives nécessaires à la bonne compréhension du chapitre par les élèves. Elle a été conçue, comme la double page précédente, de manière à ce qu’ils puissent s’y référer à tout moment au fil du cours, afin de trouver rapidement les informations fondamentales qui pourraient leur faire défaut. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 167 • it Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL PAGES 290-291 Doc. 1. Le pouvoir central doit composer avec les pouvoirs locaux e s s l’État a accru son poids et son rôle par-delà les changements de régimes. La page de droite fournit la définition des principaux mots clés utiles à la compréhension du chapitre et qui peuvent être source de confusion pour les élèves. Un tableau montre comment l’État a achevé la construction nationale du pays au cours du XIXe siècle. Enfin, deux textes permettent de mettre en perspective l’ensemble du dossier, qui insistent sur la continuité du processus de centralisation depuis la monarchie jusqu’à la République (Tocqueville) et sur le rôle souvent négligé de l’administration dans le gouvernement de la France (Bernstein). o B it e s s o B (Photographie d’une visite en Poitou-Charentes du président de la République Nicolas Sarkozy, le 6 juin 2011.) Cette photographie illustre le poids grandissant pris par les exécutifs locaux, élus au suffrage universel direct depuis les lois Defferre de 1982. Cette relation entre pouvoir local et pouvoir national peut être d’autant plus problématique quand, comme c’est le cas ici, ils sont aux mains de dirigeants issus de camps politiques opposés. C’est d’autant plus évident ici que la présidente de région, Ségolène Royal, fut la rivale de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2007. La présence d’un préfet en uniforme, à l’arrière-plan, montre toutefois que l’État conserve, malgré la décentralisation, des moyens de contrôle sur la gestion des collectivités locales. Doc. 2. …Et avec ses partenaires européens (Photographie de la chancelière allemande Angela Merkel et du président français Nicolas Sarkozy, à Paris, le 5 décembre 2011.) Cette photographie montre à quel point, du fait de l’intégration européenne de la France, les dirigeants nationaux sont désormais tenus de penser et de coopérer à l’échelle supranationale. C’est particulièrement vrai ici, dans un contexte de crise économique internationale, qui nécessite de trouver des solutions adaptées et acceptées par l’ensemble des pays de la zone euro, sur laquelle on sait que l’Allemagne exerce une forte influence. ◗ Retour sur… Comment la France est-elle gouvernée ? � MANUEL, PAGES 294-295 Cette double page réunit les outils indispensables à la compréhension du chapitre pour les élèves. Elle a été conçue non pour être étudiée en soi, mais pour que les élèves s’y réfèrent régulièrement au fil du chapitre afin de bien comprendre les mécanismes institutionnels auxquels il est fait référence. La page de gauche présente d’une part les institutions de la France depuis 1946 (IVe et Ve République) ainsi que leurs évolutions, et le « millefeuille » institutionnel créé par la décentralisation et l’intégration européenne d’autre part. La page de droite permet aux élèves de localiser les différentes collectivités territoriales de métropole et d’outre-mer. 1. La refondation de l’État républicain (1946-1958)� � MANUEL, PAGES 297-298 L’État en France � MANUEL, PAGES 292-293 Cette double page est destinée à permettre une rapide mise en perspective de la place de l’État en France sur la longue durée. Remontant à la mise en place de la monarchie absolue, elle montre au travers de cinq « grands repères » comment • 168 ◗ Repères Doc. 1. Le plan d’équipement et de modernisation Ce texte est issu des Mémoires de Jean Monnet qui, à la tête du Commissariat au Plan ou de la CECA, incarne la figure du haut fonctionnaire serviteur de l’État typique de la IVe République. Il est relatif à la création du Commissariat gé© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 néral au Plan, qui témoigne de l’extension du champ de compétence étatique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. • Question 1. L’objectif du Plan est double. D’une part reconstruire la France ravagée par des années de guerre et d’occupation. D’autre part, faire en sorte que cette reconstruction ne soit pas une simple restitution à l’identique de la France d’hier, mais l’occasion de créer une France nouvelle, moderne et innovante. Il s’agit donc de faire d’un désastre une opportunité pour un nouveau départ. • Question 2. Jean Monnet relativise l’impact concret de l’instabilité gouvernementale caractéristique de la IVe République. En effet, si les présidents du Conseil et leurs ministres ne cessent de changer, les hommes qui gèrent au quotidien le pays sont les mêmes d’un gouvernement à l’autre. Ce fut le cas de J. Monnet, qui vit passer six présidents du Conseil durant ses sept années à la tête du Plan. Les vingt années suivantes virent se succéder vingt-huit gouvernements, mais seulement trois commissaires au Plan. it absolue (soit au moins 314 députés) nécessaire pour gouverner. Il faut donc, pour constituer des alliances, au moins quatre partis, ce qui rend celles-ci fragiles. On conçoit dès lors que ces coalitions sont souvent rompues par la défection d’un des partis, provoquant un changement de gouvernement. e s s Doc. 4. L’œuvre de la IVe République (Panneau scolaire Rossignol, 1953.) o B it e s s o B Doc. 2. De nouvelles missions pour l’État Ce texte est extrait du célèbre préambule de la Constitution de la IVe République, repris dans la Constitution de la Ve République. Il résume les grandes orientations fixées par le Conseil national de la Résistance en vue de la refondation d’un État républicain. • Question. En plus de ses champs d’action traditionnels que sont la justice, la police et la défense, l’État intervient dans trois domaines : – l’économie, par la nationalisation des entreprises en situation de monopole ou assurant un service public ; – la protection sociale, avec la création de la Sécurité sociale ; – l’instruction et la culture, notamment en permettant à tous d’accéder à un enseignement public gratuit et laïque. Doc. 3. L’Assemblée nationale élue en 1951 • Question. Le recours au scrutin proportionnel permet la représentation au Parlement d’une multitude de partis, plus de sept ici. En conséquence, aucun parti ne possède à lui seul, ni même en coalition avec un autre, la majorité © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Cette image à usage scolaire dresse un portrait élogieux de l’œuvre de la IVe République. Elle montre, par-delà son caractère laudateur, qu’il convient de déconstruire avec les élèves, comment l’instabilité gouvernementale n’a pas empêché l’État d’agir concrètement et rapidement pour la reconstruction du pays. • Question. Ce document est une illustration produite par la société Rossignol en 1953. Elle est destinée à être affichée dans les salles de classe. Elle veut montrer que la France s’est mise au travail (usines, bus de ramassage des ouvriers), reconstruite (omniprésence des chantiers), et modernisée (tracteur dans les champs, avion dans le ciel). Cela permet aux Français, qui sortent d’une période de pénurie et de rationnement, d’être bien nourris (camions du laitier et du boulanger), bien logés (lotissements modernes) et en bonne santé (stade municipal offrant des loisirs sportifs). ◗ Étude Apprendre à gouverner : l’École nationale d’administration (ENA) � MANUEL, PAGES 298-299 réponses aux questions 1. La création de l’ENA en 1945 a pour but de doter la France de hauts fonctionnaires formés aux techniques modernes de l’administration. Ils auront pour tâche d’encadrer la reconstruction et la modernisation du pays. Il s’agit également de renouveler les élites gouvernementales et administratives, dont une bonne partie se sont compromises durant la guerre et doivent donc être écartées. Dans l’optique de ce renouvellement, une attention particulière est apportée à la diversité des profils des élèves recrutés, le concours d’entrée devant laisser toute leurs chances aux candidats issus de milieux modestes ou n’ayant pas suivi une formation universitaire très poussée. 169 • 2. Afin de disposer de fonctionnaires adaptés à la France nouvelle, l’ENA forme ses élèves « aux techniques de la vie administrative et politique », techniques qui se sont compliquées à mesure que les compétences de l’État se sont accrues. L’École tient également à leur dispenser un enseignement propre à « développer en eux le sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », notamment en termes d’éthique. Il s’agit ainsi de tourner la page du régime de Vichy qui a vu nombre de hauts fonctionnaires républicains mettre en œuvre des politiques contraires aux idéaux républicains. 3. L’ENA est censée former des hauts fonctionnaires pour l’administration publique. Mais les anciens élèves de l’école exercent souvent d’autres fonctions. Beaucoup se lancent en politique et exercent des fonctions électives (député, président de la République) ou gouvernementales (ministre). Certains choisissent de « pantoufler » en occupant des postes dans le secteur privé, ce qui pose un problème déontologique (risque de conflits d’intérêts, de trahison de secret d’État, etc.). 4. L’ENA fait l’objet de nombreuses critiques, dont témoigne bien le terme péjoratif « énarque » désormais passé dans le langage courant : les anciens élèves de l’École se seraient en quelque sorte approprié l’ensemble des leviers du pouvoir en France, tant dans le secteur politique qu’économique. Il y a là selon Mendès-France une « confiscation antidémocratique de l’appareil d’État » par un réseau d’initiés. Ces élites sont également critiquées pour leur présumée arrogance (les « Jeunes Messieurs ») et leur suffisance : « de moins en moins, le doute les effleure ». La caricature de Plantu présente l’énarque (ou le candidat à l’ENA) comme un jeune bourgeois issu des beaux quartiers de la région parisienne (Neuilly). 5. Créée au lendemain de la Libération afin de doter la France de nouvelles élites administratives tout à la fois républicaines, compétentes et efficaces, l’ENA a parfaitement joué son rôle. À tel point que ses anciens élèves sont désormais omniprésents dans la direction politique, administrative et économique du pays. On les retrouve aux plus hautes fonctions politiques, dans les cabinets ministériels et à la tête de quelques unes des plus grandes entreprises nationales. it 2. L’État gaullien (1958-1974) e s s � MANUEL, PAGES 300-301 Doc. 1. La Ve République vue par F. Mitterrand Cet extrait du célèbre réquisitoire écrit par François Mitterrand en 1964 est intéressant à double titre. D’une part pour ce qu’il dit des institutions de la Ve République et de la présidence gaullienne. D’autre part, parce qu’une fois devenu président en 1981, son auteur s’est bien gardé de changer ces institutions qu’il n’avait pourtant cessé de critiquer. • Question. François Mitterrand accuse le général de Gaulle d’avoir doté la France, avec la Ve République, d’institutions monarchiques (« la possession du pouvoir par un seul homme »). Mais il va plus loin, comparant cette monarchie aux pires dictatures du XXe siècle (« Duce, Führer, caudillo, conducator, guide »). En personnalisant le pouvoir autour de la personne d’un président tout puissant, de Gaulle dépossèderait de tout pouvoir réel les autres élus. o B it e s s o B • 170 Doc. 2. Un président charismatique (Photographie du président de Gaulle à Verdun, février 1968.) • Question. Le président de Gaulle est ici vêtu de son uniforme de général. Il utilise ainsi son passé héroïque de chef de la France libre pour légitimer et sacraliser sa fonction présidentielle. La pratique du bain de foule, qui met le chef de l’État au contact direct du peuple, sied parfaitement à un homme qui a théorisé la nécessité d’une relation directe entre le Président et la Nation. Doc. 3. L’État entrepreneur (Le président de Gaulle et le ministre de l’Industrie Jean-Marcel Jeanneney visitent l’usine gazière de Lacq, 17 février 1959.) Cette photographie du président de Gaulle et de son ministre de l’Industrie à Lacq illustre l’importance prise par l’État dans la vie économique de la France à la Libération. L’État est en effet propriétaire de 54 % du capital de cette entreprise gazière, qui incarne la volonté de moderniser le pays en développant des activités innovantes dans lesquelles la France peut montrer ses compétences technologiques. Doc. 4. Les « technocrates » et les « politiques » Dans cet ouvrage publié à la fin de sa vie, le président Pompidou s’inquiète de la place croissante des « technocrates » dans l’appareil d’État. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Question 1. Pour Pompidou, un gouvernant doit d’abord et avant tout faire preuve de qualités humaines. Il doit connaître son peuple par une fréquentation assidue du terrain. Il doit toujours privilégier l’analyse du concret par rapport aux modèles théoriques. Le suffrage universel est précisément destiné à contraindre les prétendants au gouvernement à la rencontre direct avec les gouvernés. ◗ Histoire des Arts Pompidou et les arts it • Question 2. Pompidou appelle « technocrates » les membres des cabinets ministériels issus de l’ENA ou des autres grandes écoles. Il leur reproche de ne pas correspondre à son idéal de bons gouvernants : ils sont capables d’élaborer de brillantes théories mais ne sortent pas de leur bureau, ils ont énormément de pouvoir mais ne se sont jamais soumis au suffrage universel. Il les compare aux nobles de l’Ancien Régime qui monopolisaient les offices et ne sortaient pas de Versailles. e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 302-303 Analyse de l’œuvre Observer Interpréter 1. Construit en plein cœur de Paris, dans un quartier dont les bâtiments les plus récents datent du XIXe siècle et dont le bâti est très dense, le Centre Pompidou, avec son architecture futuriste et son gigantisme, est clairement en rupture avec son environnement urbain. 2. Le mobilier futuriste de Pierre Paulin, tant dans sa forme que dans les matériaux utilisés, est installé à l’intérieur du palais de l’Élysée, une demeure de style classique du XVIIIe siècle. Le contraste entre l’intérieur et l’extérieur du Palais est saisissant. Au travers de ses choix esthétiques, Pompidou veut montrer que la France ne doit pas rester figée dans le passé, accrochée à ses traditions, mais doit savoir les redynamiser en innovant en permanence. Il veut montrer que la France n’est pas qu’un passé, mais aussi un avenir, un pays capable de se moderniser et de rivaliser avec les grandes puissances du XXe siècle. 3. Le Centre Pompidou, situé en plein cœur de Paris, accueillant des millions de visiteurs du monde entier, est destiné au grand public. Au contraire, l’Élysée qui est la résidence du chef de l’État, n’est accessible qu’à ses invités. Le Centre Pompidou est destiné à devenir, au même titre que la tour Eiffel en son temps, un emblème populaire d’une France moderne, innovante et tournée vers l’avenir. Les intérieurs de l’Élysée cherchent à transmettre le même message, mais principalement à l’égard des hôtes étrangers qui y sont reçus par le Président. 4. Selon Pompidou, il existe un lien étroit entre l’art et le pouvoir politique. En effet, tous les grands moments de l’histoire politique universelle ont correspondu à de grands moments de l’histoire des arts. Les grands dirigeants ont souvent été des mécènes, encourageant les créateurs et cherchant à mettre les arts au service du prestige de l’État. Parce que le rayonnement artistique d’un pays est traditionnellement la manifestation de sa prospérité économique et politique, il est important pour la France de ne pas négliger ce domaine. Il s’agit pour Pompidou d’affirmer aux yeux du monde l’ambition et le rang du pays qu’il dirige. 5. Le président Pompidou a placé l’art au cœur de son mandat présidentiel. D’abord en créant le Centre Pompidou, destiné à être à la fois un lieu d’initiation populaire aux arts contemporains et un lieu de création des œuvres de demain. Par ailleurs, Pompidou s’est toujours soucié du caractère esthétique de ses décisions : pas un meuble, pas un bâtiment n’a été commandé sans une réflexion sur sa forme autant que sur son usage. L’esthétique pompidolienne ainsi promue se caractérise par un caractère résolument novateur qui témoigne des rêves de grandeur et de modernité qui imprégnait la France des Trente Glorieuses. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 171 • 3. L’érosion du pouvoir de l’État (1974-2012) � MANUEL, PAGES 304-305 Doc. 1. La présidence : alternance et continuité Cette photographie de la passation de pouvoir entre le président Giscard d’Estaing et le président Mitterrand a été prise sur les marches du palais de l’Élysée en mai 1981. Elle illustre à la fois la rupture que constitue l’alternance, et la continuité des lieux, du décorum et de la fonction présidentiels. ◗ Étude it Le gouvernement est-il une affaire d’hommes ? e s s � MANUEL, PAGES 306-307 Réponses aux questions 1. En 1988, plus de quarante ans après qu’elles ont obtenu le droit de vote et d’éligibilité, Michel Rocard dresse le constat de la sous-représentation des femmes parmi le personnel politique. À l’Assemblée nationale comme au Sénat, elles sont moins de 10 %. 2. Selon Valéry Giscard d’Estaing, la sous-représentation des femmes en politique a pour cause les réticences des hommes à leur céder des postes de pouvoir. Cette réticence ne serait selon lui pas tant la manifestation d’une misogynie que de la rareté des postes en question, qui poussent leurs détenteurs à s’y accrocher, au détriment des prétendants hommes ou femmes. 3. Michel Rocard et Valéry Giscard d’Estaing sont tous deux d’accord pour dire qu’il faut accroître la présence des femmes dans la vie politique. Le premier pense que cela se traduirait par une meilleur efficacité du gouvernement, car les femmes sont « habituées à gérer un emploi du temps chargé […] pour concilier vie professionnelle et vie familiale ». Le second estime que la présence féminine permettrait d’introduire « un plus grand réalisme, davantage de prudence […], une intuition plus juste des réalités de la vie quotidienne ». Si le souhait de promouvoir la présence de femmes au gouvernement peut être qualifié de féministe, les arguments utilisés par ces deux hommes de pouvoir ne le sont guère : ils reconduisent en effet certains clichés sexistes sur une prétendue nature féminine (faite de « prudence », d’« intuition », etc.). 4. La présence des femmes en politique s’est accrue à partir des années 1970 grâce à l’action de certains hommes de pouvoir qui ont usé de leurs prérogatives pour nommer des femmes à des postes clés. C’est notamment le cas de Simone Veil, qui après avoir été ministre de la Santé, fut choisie pour présider le Parlement européen. 5. Cette couverture du magazine Paris Match, publiée à l’occasion de l’arrivée à Matignon de la première femme Premier ministre, comporte de nombreuses formulations qui témoignent des différences de traitement entre hommes et o B it e s s o B Doc. 2. L’État, entre les régions et l’Europe • Question. Pour François Mitterrand, la décentralisation qu’il a initiée dix ans plus tôt était nécessaire afin de corriger les excès des institutions de la Ve République, qu’il avait dénoncées dans son livre Le Coup d’État permanent (cf. doc. 1 p. 301 du manuel). Elle a « créé les contrepouvoirs indispensables à notre démocratie trop axée sur Paris et l’administration d’État ». Il critique ici un pouvoir central trop fort. Doc. 3. Une nouvelle forme de cohabitation • Question. Traditionnellement, le terme de cohabitation désigne le partage de l’exécutif entre un président d’un bord politique et un gouvernement issu d’une majorité parlementaire d’un camp opposé. En 2004, le chef de l’État et le Premier ministre sont tous les deux issus des rangs de l’UMP. La France n’est donc pas dans une période de cohabitation. Mais la victoire de la gauche dans la quasi totalité des scrutins régionaux crée une situation inédite, que le chroniqueur Jean-Christophe Giesbert qualifie de cohabitation : une séparation entre un pouvoir central (présidence, gouvernement, Parlement) à droite, et un pouvoir local (collectivités territoriales) majoritairement à gauche. Doc. 4. Un État « écrasant » • Question. En bon libéral, Pascal Salin reproche à l’État son interventionnisme qu’il estime excessif et inefficace : « la France bat des records d’interventionnisme étatique, mais elle bat aussi des records de croissance faible, de chômage, d’insécurité ». En plus d’être intrusif, omnipotent et inefficace, l’État serait spoliateur, car il a besoin d’argent pour financer ses multiples actions, et il découragerait les initiatives en écrasant les entrepreneurs de « contrôles » et de « sanctions ». • 172 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 femmes politiques. On imagine mal notamment un tel luxe de détails sur la tenue vestimentaire et les goûts en termes de shopping s’il s’était agi d’un homme. 6. Mariette Sineau met en évidence un paradoxe. Alors que des mesures concrètes ont été prises pour accroître la présence féminine dans les assemblées élues (loi sur la parité), elles ont obtenu de très faibles résultats. Cela s’explique par le fait que les partis parviennent à contourner cette loi, soit en payant des amendes, soit en présentant des femmes dans des circonscriptions « ingagnables ». D’un autre côté, d’indéniables progrès ont été fait quant à la présence de femmes dans les gouvernements, alors qu’aucune loi n’a été adoptée pour cela. Cela s’explique par le fait que les membres des gouvernements sont nommés par le chef de l’État selon son bon vouloir, sans en passer par le processus électoral. Il est donc plus simple de faire « bouger les choses » rapidement dans ce domaine. 7. Depuis 1958, des progrès considérables ont été accomplis dans la féminisation du personnel politique. Une femme a accédé au poste de Premier ministre (Édith Cresson) et une autre au second tour de l’élection présidentielle (Ségolène Royal). Par ailleurs, la prise de conscience du problème que constitue la sous-représentation féminine en politique est allée croissant, provoquant l’adoption d’une loi visant à y remédier. Si les effets de celle-ci sont encore loin d’avoir résolu le problème, ils ont cependant permis des progrès notables. Le souci paritaire est désormais au cœur des politiques de nomination aux postes clés du gouvernement et de l’administration. Pour la première fois, en mai 2012, le gouvernement Ayrault a respecté une stricte parité avec 17 femmes sur 34 ministres et ministres délégués. it L’hypercentralisme français a selon lui un effet néfaste : « c’est en effet le signe et la raison du sous-développement français ». L’État s’évertuerait à tuer toute velléité d’autonomie locale pour conserver le monopole du pouvoir, quitte à nuire à la prospérité des territoires locaux gérés maladroitement depuis Paris. 2. D’après Laurent Fabius, si les socialistes sont soucieux d’introduire la décentralisation en 1981, c’est qu’ils ont pendant longtemps exercé des fonctions dans les collectivités locales et ont pu constater la faiblesse de leurs marges de manœuvre à l’égard de l’État. Il s’agissait plus largement de maquer une rupture symbolique avec l’État gaullien hypercentralisé. 3. Les lois Defferre donnent aux collectivités territoriales une plus grande autonomie. Le contrôle de l’État sur leurs décisions n’est plus effectué a priori mais a posteriori. Ce faisant, elles rapprochent les lieux de décision des citoyens qui en bénéficient. 4. La monumentalité du siège du conseil régional de Languedoc-Roussillon, le caractère charismatique de son président décédé, témoignent du poids croissant pris par les régions dans le gouvernement de la France. La taille du bâtiment laisse en effet imaginer le nombre important de fonctionnaires qui y sont employés, et par là même l’ampleur des dossiers qu’ils ont à gérer. 5. La réforme constitutionnelle de 2003 introduit le principe de subsidiarité, selon lequel les collectivités territoriales sont compétentes sur l’ensemble des décisions « qui peuvent être le mieux mises en œuvre à leur échelon ». Elles peuvent même déroger à la loi nationale pour mettre en place des expérimentations ou des adaptations locales. Par ailleurs, elles peuvent organiser des référendums locaux. 6. Jean-Michel Guérineau dénonce le fait que la décentralisation donne lieu à un transfert massif de compétences de l’État vers les collectivités territoriales, sans que les moyens financiers d’y faire face soient donnés à ces dernières. En conséquence, il envisage de déposer plainte contre l’État pour obtenir une compensation financière, car la loi prévoit que « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » (cf. doc. 4 p. 309 du e s s o B it e s s o B ◗ Étude La décentralisation : une nouvelle façon de gouverner la France � MANUEL, PAGES 308-309 réponses aux questions 1. Jean-Jacques Servan-Schreiber souligne l’excep­ tion française que constitue le clivage entre Paris et « la province », terme dont il souligne qu’il n’a pas d’équivalent en langue étrangère, précisément parce qu’il n’existe pas de pays où un tel fossé sépare la capitale du reste. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 173 • manuel). Une première condamnation de l’État par le Conseil d’État a été obtenue par le conseil général de Saône-et-Loire en 2010. 7. Afin de rapprocher le processus de décision des citoyens et de pouvoir adapter les lois et règlements aux spécificités des territoires auxquels ils s’appliquent, la France a mis en œuvre à partir des années 1980 un processus de décentralisation. Celui-ci s’est traduit par le renforcement des compétences des collectivités territoriales au détriment de l’État. Le caractère décentralisé de la France est depuis 2003 un principe constitutionnel. Les régions disposent même du pouvoir d’expérimenter, dans certains domaines qui ne remettent pas en cause la cohésion nationale, des politiques locales dérogatoires au droit commun national. ◗ Étude Gouverner la France d’outre-mer 1. Selon Aimé Césaire, le maintien des « vieilles colonies » dans un statut différent de celui du reste de la France constitue l’ultime vestige de leur infériorisation du temps où elles étaient soumises au système esclavagiste : « il ne doit plus y avoir de place, pas plus entre les individus qu’entre les collectivités, pour des relations de maîtres à serviteurs ». Étant par ailleurs « arrivées à leur maturité », elles posent des problèmes tout aussi complexes que ceux d’un territoire métropolitain, et ne peuvent donc plus être gouvernées par le seul ministère des Colonies. 2. La départementalisation réclamée et obtenue par Aimé Césaire en 1946 n’a pas tenu toutes ses promesses. En effet, elle n’a pas mis fin au retard économique et social dont souffrent, pour des raisons historiques et géographiques, ces régions. Par ailleurs, l’assimilation voulue par Césaire a pu être vécue comme une entreprise d’effacement des spécificités culturelles locales, provoquant en retour un mouvement de défense de celles-ci. 3. Pour répondre aux critiques suscitées par la départementalisation, et dans le prolongement des politiques de décentralisation mises en œuvre à partir des années 1980 en métropole, les collectivités d’outre-mer se sont vu octroyer la possibilité de mener des politiques locales spé• 174 e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 310-311 réponses aux questions it cifiques. Elles peuvent donc obtenir des aménagements de la loi, sauf dans les domaines essentiels où l’égalité et la souveraineté nationale ne peuvent être adaptées. L’alternative à la départementalisation, pour certains militants, serait une autonomie beaucoup plus large (doc. 2). 4. En devenant un département français à part entière, Mayotte va devoir appliquer beaucoup plus strictement les lois françaises que quand elle n’était qu’une COM. Le choix de la départementalisation par les Mahorais peut surprendre, dans la mesure où il va à rebours de la tendance générale de l’outre-mer français : alors qu’on y constate une aspiration à plus d’autonomie, Mayotte va au contraire vers plus de convergence avec la métropole. 5. Parce que l’histoire et la géographie ont fait des territoires d’outre-mer des régions aux populations et aux économies très différentes de celles de la métropole, la nécessité de leur appliquer un gouvernement spécifique s’est vite imposée. Cela passe par la création de statuts divers (DOM et TOM d’abord, DROM et COM ensuite), la délégation de compétences dans le cadre des politiques de décentralisation, ou encore la possibilité de procéder à des adaptations locales du cadre législatif et réglementaire national. ◗ Étude Gouverner en période de cohabitation � MANUEL, PAGES 312-313 réponses aux questions 1. Lorsque survient la première cohabitation en 1986, le problème se pose de la répartition des rôles et des pouvoirs entre un Président et un Premier ministre que la Constitution de 1958 avait imaginés nécessairement du même camp. Chacun des deux disposant de moyens d’entraver l’action de l’autre, un risque de blocage existe, ce dont témoigne le refus par François Mitterrand de signer l’ordonnance préparée par le gouvernement en 1986. 2. La politique étrangère est le domaine le plus complexe à gérer en période de cohabitation, parce qu’elle révèle très clairement le caractère bicéphale de l’exécutif. Le Président, qui est également le chef des armées, est le représentant légitime de la France sur la scène internationale. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Mais il ne peut pas ne pas tenir compte de l’avis du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères, soutenus par la majorité parlementaire. Par ailleurs, le Premier ministre, même s’il est en désaccord avec le Président, ne doit pas écorner l’image internationale de la France, et ne peut donc pas ouvertement critiquer le Président dans ce domaine sensible et considéré par lui comme « réservé » qu’est la politique étrangère. 3. D’après Lionel Jospin, le Président est avantagé par rapport au Premier ministre en période de cohabitation, car il peut attaquer sans retenue les choix de politique intérieure du gouvernement. Le Premier ministre, lui, est contraint de modérer ses critiques à l’égard du Président, pour préserver la dignité de la fonction présidentielle et éviter de brouiller l’image internationale de la France. Cet avantage présidentiel en période de cohabitation tend à être confirmé par le fait que François Mitterrand puis Jacques Chirac ont tous deux été réélus à la présidence au terme des épisodes de cohabitation. 4. L’adoption du quinquennat a permis de caler la durée du mandat présidentiel sur celui du mandat des députés (5 ans). Président et députés sont désormais élus à quelques semaines d’intervalle, ce qui rend peu probable une nouvelle cohabitation. L’inversion du calendrier est destinée à faire de la présidentielle l’élection suprême, qui parce qu’elle se produit avant les législatives, leur sert de prélude et annonce leur probable résultat. 5. Les trois expériences de cohabitation ont conduit à des modifications du fonctionnement de la Ve République. Elles ont d’abord contribué à préciser les attributions respectives du Président et de son Premier ministre, dont la distinction n’était pas toujours claire dans le texte de 1958. Elles ont ensuite conduit à l’adoption de la réforme du quinquennat, afin de faire en sorte que le Parlement soit désormais du même camp que le Président. Mais le droit de dissolution dont dispose ce dernier, et les aléas du suffrage universel, ne rendent cependant pas totalement impossible une nouvelle cohabitation. ◗ BAC Étude critique de documents Étudier une caricaturee e s s it � MANUEL, PAGES 316-317 réponses aux questions des encadrés Sujet : Gouverner la France au début du XXIe siècle. 1. Les élections législatives de juin 2002 consacrent la victoire de la droite. Elles font suite à l’élection de Jacques Chirac à la présidence le mois précédent pour un deuxième mandat. 2. En 1997, la dissolution de la Chambre des députés par Jacques Chirac, président de la République depuis 1995, a mené à une cohabitation qui a duré jusqu’en 2002. De fait, c’est le Premier ministre socialiste Lionel Jospin qui gouvernait la France. 3. La Ve République est un régime unique en Europe, avec un double exécutif composé ici du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et du président Jacques Chirac. 4. Les socialistes font face à une double défaite. Le 21 avril 2002, le candidat socialiste n’a pas été présent au second tour des présidentielles. En juin, l’UMP remporte 33 % des voix à l’Assemblée nationale contre 24 % pour les PS. 5. La voiture et son conducteur représentent l’économie française dans un contexte de mondialisation libérale. 6. Plantu veut montrer que l’économie mondialisée et en crise laisse très peu de marge de manœuvre à un gouvernement dont les décisions sont imposées par le contexte international. On peut aussi ajouter que cet affaiblissement de l’État, qui ne « conduit » plus, au sens littoral, la politique de la Nation, est dû au fait qu’il a délégué une partie de ses compétences à d’autres pouvoirs (régions, Union européenne par exemple). o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 BAC BLANC Sujet : Gouverner la France en période de cohabitation. Ce dessin de Wolinski paru dans Libération le 15 janvier 1987 présente le président de la République socialiste François Mitterrand au côté de son Premier ministre de droite Jacques Chirac (RPR). Cette situation de cohabitation dure depuis presque une année. Elle est issue 175 • des élections législatives de mars 1986. Les Français expriment lors de ce scrutin leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement socialiste qui n’a pas réussi à trouver une réponse à la crise économique et à la montée du chômage. Les promesses de relance de 1981 n’ont pas été tenues et le tournant de la rigueur pris par le pouvoir, à l’encontre des promesses de campagne, n’a pas été efficace non plus. Les représentants de ce double exécutif sont représentés de manière identique, en Dupond et Dupont du Tintin de Hergé. Wolinski laisse à penser que leur action est très réduite (ils s’en tiennent à des constatations météorologiques) et que l’un ne fait que répéter l’autre. Il est vrai que, parfois, la répartition des pouvoirs dans la Constitution est trop floue pour permettre de départager les attributions de chacun. C’est le cas par exemple en politique étrangère, lorsqu’il s’agit de représenter la France lors d’un sommet (cf. doc. 3 page 313). Cependant, l’exercice du pouvoir en politique intérieure est clairement attribué au Premier ministre. Loin de ne faire que « doubler » le Président, Jacques Chirac mène la politique de la Nation, souvent en désaccord avec le premier. ◗ BAC BLANC Étude critique de documents e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGE 318 Sujet : Le rôle de l’État français à l’heure de la mondialisation libérale. Ces deux documents permettent de comparer deux manières très différentes de concevoir le rôle de l’État. Ces divergences de vue sont à la fois dues à l’orientation politique divergente de leurs auteurs mais aussi à l’évolution du contexte économique mondial en cette fin de XXe siècle. Le premier document est un extrait des « 100 propositions pour la France » de Mitterrand pour les élections présidentielles de 1981. On y trouve des propositions inspirées par une vision très interventionniste de l’État. L’État est planificateur, bien que de manière indicative. Son intervention se traduit par des nationalisations (de « neuf groupes industriels », de la sidérurgie, de l’armement et de l’espace, « du crédit et des assurances ») et s’appuie « sur le dynamisme du secteur public ». Cet interventionnisme n’est cependant pas l’apanage de la gauche. L’État • 176 it gaullien, par exemple, n’a jamais remis en cause ce rôle central accordé à l’État aménageur dans la direction économique. L’État selon le PS en 1981 est aussi un État social, héritier de l’Étatprovidence né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, comme le prouve la volonté de relever le SMIC et les prestations sociales, notamment familiales. Le discours de Jacques Chirac, lui, annonce un tournant dans la capacité d’action de l’État. Il s’agit d’un recul net et d’une remise en cause de son rôle. La crise économique et la hausse du chômage ont porté la droite au pouvoir en mars 1986. Jacques Chirac prône un désengagement de l’État important, et se fait le champion du libéralisme économique. Cela se traduit par une vague de privatisations, dont la liste « sera clairement indiquée ». Sans remettre en cause la Sécurité sociale, Chirac évoque la nécessité de faire face à des « déséquilibres financiers » qui annoncent des mesures d’économies, autant de brèches dans l’État-providence, qui selon lui, se « détruit lui-même, par obésité ». Cette évolution de la manière dont se conçoit le rôle de l’État est donc spectaculaire en 5 ans. Elle s’explique par l’opposition idéologique entre la gauche socialiste et la droite libérale (l’interventionnisme est « une menace d’amoindrir les libertés individuelles » selon Chirac), mais aussi par l’évolution du contexte économique qui fait peu à peu triompher l’idéologie libérale dans un contexte de mondialisation et de crise économique. ◗ BAC BLANC � MANUEL, PAGE 319 • Composition Sujet 1 : Gouverner la France (1958-1974). • Proposition de plan : I. Un pouvoir présidentiel renforcé par les institutions de la Ve République. II. Un État gaullien fortement interventionniste. Sujet 2 : Gouverner la France depuis 1981. I. Alternance et cohabitation, de nouvelles manières de gouverner la France. II. L’affaiblissement du pouvoir central au profit des collectivités territoriales. III. Les nouveaux défis de l’État face à la libéralisation économique et la construction européenne. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Étude critique de document Sujet : Les échelles de gouvernement en France. La France est un pays historiquement très centralisé. La loi de 1983 entame un changement majeur. Les pouvoirs dévolus aux préfets sont peu à peu transférés aux collectivités territoriales élues. La décentralisation suscite au départ beaucoup d’inquiétudes. Michel Charasse écrit en 2003, date à laquelle elle est renforcée et devient un principe constitutionnel. Les causes de la décentralisation évoquées par Michel Charasse sont multiples ici. Elles sont d’une part purement politiques : il s’agit pour une gauche reléguée dans l’oppo- it sition depuis les débuts de la Ve République de permettre « un début d’apprentissage de la gestion des affaires publiques », « une formidable école de formation ». D’autres part, l’objectif est civique : les élections locales permettraient de donner du sens et de rendre concrète la nécessité d’un suffrage universel, « parfois bien contestée ». Enfin, il s’agit surtout de pouvoir régler « directement sur le terrain » les problèmes quotidiens des Français, et en même temps d’alléger la lourdeur de l’administration centralisée. Il s’agit là d’une « vision à long terme », pour un État plus efficace, « une démocratie qui respire mieux ». e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 177 • Chapitre 11 it Le projet d’une Europe politique depuis 1948 e s s � MANUEL, PAGES 320-345 ◗ Présentation de la question n° 60, octobre-décembre 1998, pp. 82-101). Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, puis le contexte de la guerre froide, poussent les Européens à se rapprocher afin d’éviter un nouveau conflit, de reconstruire l’économie européenne et d’éviter la propagation du communisme ; l’idée européenne connaît alors un âge d’or. Le début des années 1950 marque un véritable tournant : la « méthode Monnet », méthode à la fois fonctionnaliste et sectorielle, qui doit déboucher in fine sur l’Europe politique, s’impose : la CECA est créée. En parallèle du projet de la CED, un premier projet politique, la Communauté politique européenne, est proposé en 1953. Mais le rejet de la CED en août 1954 par les parlementaires français conduit à une crise du projet européen. Le passage de l’économique au politique (de la CECA à la CED, et à la CPE) a échoué. La construction politique est abandonnée pour un temps, et la relance est économique lors de la conférence de Messine en 1955, qui conduit à la signature des traités de Rome en 1957. Dans les années 1960, de Gaulle tente de relancer la construction politique en proposant une union politique intergouvernementale (plans Fouchet en 1961 et 1962), mais il se heurte à l’hostilité des autres États membres. La crise de la chaise vide en 1965 et le « compromis de Luxembourg » en 1966 bloquent toute évolution fédérale des Communautés européennes. L’arrivée au pouvoir du nouveau couple francoallemand – Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt – se traduit par un retour des projets politiques, avec la création du Conseil européen et l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct. Mais l’élection de Margaret Thatcher et la crise économique empoisonnent les relations européennes : l’Europe politique semble en panne. La situation se débloque lors du sommet de Fontainebleau avec le règlement de la question de la contribution britannique. L’Acte unique (1986) entraîne un renforcement o B it e s s o B • L’étude de la construction européenne s’insère dans le cadre d’une réflexion sur les échelles de gouvernement dans le monde. Pour l’échelle continentale, l’étude porte sur le cas européen, qui est l’exemple le plus abouti de régionalisme, c’est-à-dire d’un rapprochement entre États d’une même région du monde. Il ne s’agit pas d’étudier la construction européenne dans son intégralité, mais de se focaliser sur la construction politique et les questions qu’elle soulève. Par conséquent, il ne faut évoquer les aspects économiques de la construction européenne que s’ils ont une portée politique. La problématique générale du chapitre est d’étudier les tensions entre les intérêts nationaux et les intérêts européens. Ces tensions sont visibles à travers la concurrence entre les deux logiques de la construction européenne : la voie intergouvernementale et la voie fédérale (ou supranationale). Les unionistes sont partisans d’une simple coopération intergouvernementale, qui ne porte pas atteinte à la souveraineté nationale. Ils s’opposent aux fédéralistes, qui se prononcent en faveur d’un dépassement de l’État-nation par la création d’institutions supranationales placées à la tête d’un État fédéral européen. • L’étude commence avec le congrès de La Haye, en 1948, qui marque un renouveau de l’idée européenne et définit l’esprit de la construction ultérieure. Elle se poursuit jusqu’à nos jours. Il faut veiller à ne pas présenter la construction européenne comme un phénomène linéaire, ce qui conduirait à une approche téléologique. La construction européenne ne répond pas à un processus planifié, elle s’est faite au gré des circonstances. L’historien Robert Frank définit ainsi différents cycles, avec une alternance de phases ascendantes de relance et de phases descendantes de blocage (voir R. Frank, « Les contretemps de l’aventure européenne », Vingtième siècle • 178 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 de l’intégration économique et du vote à la majorité qualifiée. Le Traité de Maastricht en 1992 relance la dynamique européenne dans tous les domaines, malgré l’émergence de l’euroscepticisme. Avec la disparition du bloc soviétique et les élargissements successifs de l’Union européenne, l’Europe des 27 doit réformer ses institutions pour être plus efficace, tout en comblant le déficit démocratique de plus en plus dénoncé par les opinions publiques. Le rejet du Traité constitutionnel par la France et les Pays-Bas en 2005 et les hésitations actuelles pour faire face à la crise financière montrent que l’Union européenne connaît aujourd’hui une période de doute. • Dans l’intitulé du programme, le terme « projet » est important. En effet, si les objectifs politiques de l’Union européenne ont été définis dès 1948, l’Europe politique n’est toujours pas achevée et reste encore au stade de projet. La question de sa forme entre États-Unis d’Europe ou simple association intergouvernementale n’est ainsi pas tranchée. Jacques Delors, pour désigner cette construction inédite, parle d’une « Fédération d’États-nations ». Malgré la création de la PESC en 1992, renforcée par le traité de Lisbonne en 2007, l’Union européenne peine aussi à s’affirmer comme une grande puissance sur la scène internationale. Le sentiment européen reste faible par rapport au sentiment national et l’existence d’une identité européenne ne va pas de soi. Enfin, il faut souligner des différences profondes entre les États et au sein même des pays, entre les partis politiques et les catégories socio-professionnelles. Ainsi, les conceptions de l’Europe politique diffèrent d’un État à l’autre ; les objectifs des États évoluant aussi dans le temps en fonction du contexte international et des personnalités au pouvoir. it ropéenne », Vingtième siècle n° 60, octobredécembre 1998, pp. 82-101. R. Frank, « L’histoire de l’Europe : l’histoire d’un problème et une histoire du temps présent », Vingtième siècle n° 71, juillet-septembre 2001, pp. 79-89. R. Girault, L’Europe en chantier 1945-1990, La Documentation photographique n° 6015, La Documentation française, 1990. J.-L. Mathieu, Quelle Union pour l’Europe ?, La Documentation photographique n° 8008, La Documentation française, 1999. Ch. Réveillard, Les dates-clefs de la construction européenne : histoire, institutions, traités, politiques communes, Union économique et monétaire, élargissements, perspectives, Ellipses, 2004 (rééd.). Pour une bibliographie exhaustive, voir Historiens-géographes n° 399, juillet-août 2007, pp. 145-183 : bibliographie à l’occasion de la question au CAPES et à l’agrégation « Penser et construire l’Europe de 1919 à 1992 ». e s s o B it e s s o B ◗ Bibliographie Pour commencer B. Angel, J. Lafitte, L’Europe : petite histoire d’une grande idée, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, 2008 (rééd.). J.-F. Drevet, Une Europe en crise ?, La Documentation photographique n° 8052, La Documentation française, 2006. R. Frank, « Les contretemps de l’aventure eu© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Ouvrages généraux sur la construction européenne M.-T. Bitsch, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Éditions Complexe, 2008 (rééd.). G. Bossuat, Les Fondateurs de l’Europe, Belin, coll. Histoire sup., 2001. B. Bruneteau, Histoire de l’unification européenne, Armand Colin, coll. « Prépas », 1996. É. du Réau, L’Idée d’Europe au XXe siècle : des mythes aux réalités, Éditions Complexe, 2008 (rééd.). P. Gerbet, La Construction de l’Europe, Armand Colin, coll. U, 2007 (rééd.). D. Hamon, I.-S. Keller, Fondements et étapes de la construction européenne, PUF, 1997. B. Olivi, A. Giacone, L’Europe difficile, Folio Histoire, 2007 (rééd.). C. Zorgbibe, Histoire de la construction européenne, PUF, coll. Premier cycle, 1993. Ouvrages sur la construction politique de l’Europe M.-T. Bitsch (dir.), Jalons pour une histoire du Conseil de l’Europe, Peter Lang, 1997. J.-C. Masclet, L’Union politique de l’Europe, PUF, coll. Que sais-je ?, 2001 (rééd.). 179 • Ph. Moreau Defarges, Les Institutions européennes, Armand Colin, coll. Compact, 2005 (rééd.). Sources J. Monnet, Mémoires, Fayard, 1988 (rééd.). N. Roussellier, L’Europe des traités. De Schuman à Delors, CNRS Editions, 2007. Sitographie http://europa.eu/index_fr.htm : site d’information officiel sur l’histoire de l’Union européenne. www.touteleurope.eu : portail français sur les questions européennes avec des outils (frise chronologique, biographie). www.cvce.eu : site de référence sur l’histoire de la construction européenne, contient une documentation très riche. ◗ Plan du chapitre it les années 1969-1992 sont un tournant décisif dans la construction d’une Europe politique. Enfin, le cours 4 souligne le fait que l’Europe politique reste au stade de projet et n’est toujours pas achevée. Ces leçons sont complétées par trois études. La première étude concerne la première organisation politique européenne, le Conseil de l’Europe, et les limites de son action. La deuxième étude invite à réfléchir sur l’existence d’un sentiment européen et montre les différences entre les États membres. Enfin, la dernière étude permet à l’enseignant d’évoquer la question européenne comme un enjeu majeur de la vie politique française, à partir du référendum sur le projet de Constitution européenne organisé en mai 2005. Le chapitre comprend aussi deux doubles pages qui sont des outils à utiliser tout au long des séances. La première est composée de cartes qui montrent les élargissements successifs de l’Europe et l’existence de différents espaces au sein de l’Europe en construction. La seconde, une double page Repères, propose un organigramme des institutions européennes après le traité de Lisbonne. e s s o B it e s s o B Les quatre leçons suivent un plan chronologique reprenant les différents cycles de la construction européenne. Le cours 1 présente l’émergence de l’idée européenne après-guerre. Le cours 2 explique pourquoi la construction européenne a d’abord été économique et pourquoi les projets politiques ont échoué dans les années 19501969. Dans le cours 3, il s’agit de montrer que Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre Le contraste entre les deux documents résume la problématique du chapitre : la volonté de construire un espace européen se heurte parfois à la défense des intérêts nationaux. symboles nationaux par excellence, sont regroupés derrière une banderole « Europe » tenue par des jeunes. Le slogan « À l’unité de l’Europe, les jeunes disent oui » reprend cette même idée d’unir les pays européens. Cette affiche a été publiée afin de promouvoir l’idée européenne au sein de la jeunesse italienne. Doc. 1. La volonté de construire l’Europe Doc. 2. La défense des intérêts nationaux (Affiche publiée par différentes associations italiennes, 1952.) (Photographie prise lors d’une manifestation contre le traité de Maastricht en Grande-Bretagne, le 16 octobre 1992.) � MANUEL PAGES 320-321 Cette affiche a été publiée par plusieurs associations (dont les noms sont rappelés en bas). Les drapeaux des différents États européens, • 180 La résistance des États-nations et la défense des intérêts nationaux peuvent être illustrées par cette © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 photographie d’un manifestant britannique tenant dans sa main droite le drapeau du Royaume-Uni, et dans sa main gauche une pancarte où il est inscrit « La Grande-Bretagne avant l’Europe ». Les Britanniques se sont farouchement opposés au traité de Maastricht, signé en février 1992, notamment en raison de la création d’une monnaie unique. Ils ont ainsi bénéficié d’une clause d’exemption leur permettant de ne pas adopter l’euro. 1. L’après-guerre, la naissance d’une Europe politique e s s Doc. 3. La guerre froide et l’Europe (Caricature britannique, février 1949.) o B it e s s o B � MANUEL PAGES 324-325 Doc. 1. La Résistance et l’Europe it la création des « États-Unis d’Europe » et de la disparition des frontières nationales. L’affiche présente la frontière comme quelque chose de négatif (associé à l’armée, à la guerre), qu’il faut détruire. Elle appelle explicitement à « faire les États-Unis d’Europe » sur le modèle fédéral des États-Unis d’Amérique. L’idée européenne est très présente au sein de la Résistance. Les chefs des différents mouvements de résistance, notamment Ernesto Rossi, Altiero Spinelli et Henri Frenay, se réunissent à plusieurs reprises à Genève pour penser le monde d’après-guerre. Le 7 juillet 1944, ils adoptent une version définitive de la « Déclaration des résistances européennes » dont nous avons ici un extrait. Dans ce texte, ils réclament une union fédérale entre les peuples européens et appellent les États à dépasser le dogme de la souveraineté nationale afin de préserver la paix. • Question 1. Selon les auteurs de ce texte, la construction européenne est une source de paix pour deux raisons. D’abord parce que l’existence de nombreux États souverains en Europe est à l’origine de « l’anarchie » qui y a régné et qui a produit les deux guerres mondiales. En renonçant à leur souveraineté au profit d’un État fédéral, ces États cesseraient d’être en concurrence, voire en conflit. Ensuite parce qu’une organisation européenne permettrait d’intégrer l’Allemagne à la vie européenne et ainsi de réconcilier la France et l’Allemagne. • Question 2. Les auteurs défendent un projet fédéraliste, puisqu’ils veulent une union fédérale et un abandon par les États d’une partie de leur souveraineté nationale, avec par exemple la disparition des armées nationales au profit d’une armée européenne. Doc. 2. Construire l’Europe pour maintenir la paix (Affiche italienne, vers 1948.) • Question. Le message défendu par cette affiche est un message fédéraliste, en faveur de © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Question 1. Le caricaturiste veut montrer que la guerre froide est un accélérateur de la construction européenne, évoquée ici sous la forme d’un chantier, d’un bâtiment en construction. • Question 2. Ce qu’il appelle l’« inspiration » de Staline, c’est la menace soviétique, incarnée par Staline. Sous la pression des États-Unis, les pays d’Europe de l’Ouest se rapprochent pour éviter l’expansion du communisme. Doc. 4. Message aux Européens Lors de la séance finale du Congrès de La Haye, le 10 mai 1948, les participants votent à l’unanimité un « Message aux Européens » qui définit l’esprit de la construction européenne ultérieure. • Question 1. En 1948, la construction européenne est une nécessité pour mettre fin aux divisions entre les Européens et empêcher un nouveau conflit mondial, pour reconstruire l’Europe ruinée après la Seconde Guerre mondiale et pour lutter contre l’expansion du communisme en Europe de l’Ouest. • Question 2. Le Message aux Européens met en avant l’union des peuples, la défense de la démocratie avec l’existence de plusieurs partis politiques et la défense des droits de l’homme et des libertés individuelles (notamment les libertés de pensée et de réunion). Le Conseil de l’Europe, créé en mai 1949 à la suite du Congrès de La Haye, a pour principale fonction la défense de ces valeurs (démocratie et droits de l’homme). • Question 3. Les participants du Congrès de La Haye envisagent la libre circulation des biens, des hommes et des idées à l’intérieur d’un espace européen unifié. Cet objectif n’est pas réalisé dans l’immédiat, il faut attendre le traité de Rome instituant la CEE en mars 1957 qui prévoit la mise en place progressive du marché commun. Les participants souhaitent aussi une Charte des droits de l’homme ainsi que l’établissement 181 • d’une Cour de justice chargée de son application. La Convention européenne des droits de l’homme est adoptée par les États membres du Conseil de l’Europe en 1950. Elle entre en vigueur en 1953. La Cour européenne des droits de l’homme est créée en 1959, elle est chargée de veiller au respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Enfin, ils envisagent la création d’une assemblée représentant tous les États membres. Cette assemblée a vu le jour en mai 1949 avec la création du Conseil de l’Europe. L’assemblée du Conseil de l’Europe est une émanation des Parlements des États membres. Elle ne dispose d’aucun pouvoir de décision et ne peut faire que des recommandations. ◗ Étude Le Conseil de l’Europe Cette étude est composée de cinq documents : une carte présentant les pays membres et la chronologie de leur adhésion ; une photographie du nouveau bâtiment abritant le Conseil de l’Europe depuis 1977 ; deux articles du journal français Le Monde et une déclaration du Comité des ministres du Conseil de l’Europe. 1. Le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale qui permet une simple coopération entre les États membres. La souveraineté nationale n’est pas touchée, il n’y a aucune délégation de pouvoirs. L’Assemblée, qui n’est pas élue directement mais composée de délégations des Parlements nationaux, n’a aucun pouvoir de décision, elle émet de simples recommandations au Conseil des ministres. Le Conseil des ministres, formé par les ministres des Affaires étrangères des États membres, lui aussi, n’a pas de pouvoir de décision : il émet des recommandations aux gouvernements des États membres. 2. En mai 1949, les États fondateurs décident d’établir le siège de l’organisation à Strasbourg. Cette ville frontière entre l’Allemagne et la France se trouve en Alsace, région longuement disputée. Le choix de Strasbourg n’est pas neutre : ayant été pendant des siècles au cœur • 182 e s s o B it e s s o B � MANUEL, PAGES 326-327 Réponses aux questions it des conflits franco-allemands, la ville est choisie en tant que lieu symbolique de la réconciliation européenne. 3. Les domaines d’action du Conseil de l’Europe sont assez limités. Le Conseil se consacre à la défense de la démocratie et des droits de l’homme. (Depuis 1950, le Conseil de l’Europe est à l’origine de toute une série de traités internationaux par lesquels les États signataires s’engagent à protéger les droits et les libertés de toute personne relevant de leur juridiction. La Convention européenne des droits de l’homme de 1950 protège les droits civils et politiques dont les droits de la personne, du citoyen et du justiciable. La Charte sociale européenne de 1961 protège les droits économiques et sociaux. La Conventioncadre de 1996 protège les droits des personnes appartenant à des minorités nationales, dont les droits culturels et linguistiques.) Il œuvre aussi pour le rapprochement des peuples européens en contribuant à la formation d’une opinion et d’une identité européennes. 4. Les États fondateurs de l’Europe sont les pays de l’Europe de l’Ouest, qui défendent, aux côtés des États-Unis, la démocratie et les libertés individuelles. Il faut y ajouter la Grèce et la Turquie, qui font partie dès l’origine du camp occidental, même si les droits de l’homme n’y ont pas toujours été respectés. La chute des régimes dictatoriaux au Portugal en 1974 (Salazar) et en Espagne en 1975 (Franco) permet l’entrée de ces deux pays au Conseil de l’Europe. La chute du bloc soviétique entre 1989 et 1991 et l’organisation d’élections libres permettent aux pays d’Europe centrale et orientale d’adhérer au Conseil de l’Europe. La Finlande y adhère en 1989 : jusque-là ce pays, bien que n’appartenant pas au bloc de l’Est, était tenu à une neutralité contrôlée par l’URSS (on parlait de « finlandisation » pour désigner cette forme de souveraineté limitée). 5. Après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, et la disparition du bloc soviétique, la construction européenne peut désormais s’envisager à l’échelle de tout le continent. À l’occasion du 40e anniversaire du Conseil de l’Europe, le 5 mai 1989, le Comité des ministres adopte une déclaration (dont nous avons ici un extrait) qui marque le début de la politique d’ouverture de l’organisation à l’égard des pays d’Europe centrale et orientale. Le Conseil de l’Europe © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 devient le cadre privilégié pour veiller à la démocratisation de ces pays. Il lance, dès 1989, des programmes spécifiques de coopération juridique avec les États candidats pour promouvoir la démocratie et le respect des libertés individuelles, et favoriser l’émergence d’une identité européenne. Pour ces États, adhérer au Conseil de l’Europe est une première étape et un moyen de préparer leur adhésion à la CEE. Le premier pays d’Europe de l’Est à rejoindre le Conseil de l’Europe est la Hongrie, en 1990. 6. L’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe en 1996 suscite des débats. En effet, la vocation première de l’institution est de défendre la démocratie et les libertés individuelles. Les États membres ont signé la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège les droits civils et politiques dont les droits de la personne (droit à la vie, interdiction de la torture, par exemple), les droits du citoyen (notamment liberté de pensée, d’expression et d’association) et les droits du justiciable (droit à un procès équitable, pas de peine sans loi). Or, la Russie ne respecte pas les droits de la personne (torture, disparition des opposants) notamment en Tchétchénie et les droits du citoyen (cf. lignes 8-11 du document 5). Le non respect des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe par un de ses États membres remet sérieusement en cause son efficacité et sa légitimité. 7. Plusieurs idées peuvent être développées pour montrer que le Conseil de l’Europe est une avancée limitée : sa forme (une organisation intergouvernementale), ses pouvoirs (pas de réel pouvoir de décision), ses domaines d’action qui sont réduits (promotion d’une identité européenne et défense de la démocratie et des droits de l’homme), les limites de son action (prendre l’exemple de la Russie). it magne (« l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée »). La construction européenne doit être fondée sur le rapprochement franco-allemand. Mais pour R. Schuman, l’Europe ne peut pas « se faire d’un coup, ni dans une construction d’ensemble ». Il faut d’abord créer des rapprochements sectoriels (« une action sur un point limité »), puis une coopération économique, la construction politique ne venant qu’en dernier lieu. Ainsi, la CECA est une première étape. Il s’agit de mettre en commun la production du charbon et de l’acier sous l’autorité d’une institution supranationale. Ce premier pas, concret, doit créer « une solidarité de fait », point de départ pour une future organisation européenne de type fédéral. e s s o B it e s s o B 2. Le temps des communautés européennes (1950-1969) � MANUEL PAGES 328-329 Doc. 1. La « déclaration Schuman » • Question. La génération de Robert Schuman a été traumatisée par la guerre. L’objectif premier du ministre des Affaires étrangères français est ainsi d’empêcher le déclenchement d’un nouveau conflit entre la France et l’Alle© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 2. La querelle de la CED en France (Affiche française de Paul Colin, 1954.) • Question. Face à l’aggravation de la guerre froide, les États-Unis veulent réarmer la RFA. La France veut éviter la reconstitution d’une armée allemande indépendante. Elle propose une CED, c’est-à-dire une armée européenne où les soldats allemands seraient intégrés dans un ensemble plus vaste. Ratifié par les autres États, le traité de la CED de 1952 est rejeté par la France. Le 30 août 1954, une majorité de députés (319 voix contre 264), surtout des gaullistes et des communistes, le repoussent au nom de la perte de la souveraineté française et du danger du réarmement allemand. Ce vote a été précédé d’une vive campagne entre les partisans et les adversaires du traité. Nous avons ici une affiche en faveur de la CED. Elle est symbolisée par un bouclier sur lequel sont représentés les drapeaux des États membres. Elle est donc montrée comme une alliance défensive face à deux types de menaces incarnées par des corbeaux. Le premier volatile qui porte une faucille et un marteau, symboles du communisme, représente la menace soviétique. Le second corbeau, dont les pattes sont des croix gammées, évoque le souvenir de l’Allemagne nazie. Le slogan reprend ces idées : la CED est un moyen de garantir la paix en Europe et de lutter contre les totalitarismes nazi et soviétique. Doc. 3. Les institutions de la CEE (1957-1992) Les institutions de la CEE s’inspirent des institutions de la CECA mais atténuent leur caractère supranational. Avant de répondre aux questions, présentons rapidement chaque institution. 183 • L’Assemblée, qui prend le nom de Parlement européen en 1962, est composée de représentants des États membres de la CEE choisis au sein de leurs parlements respectifs. Le nombre de représentants est lié à la population des États (en 1957, 36 pour la RFA, la France et l’Italie, 14 pour la Belgique et les Pays-Bas et 6 pour le Luxembourg). À partir de 1979, les députés européens sont élus au suffrage universel direct. L’Assemblée au départ a peu de latitudes : elle n’a pas de pouvoirs législatifs, elle dispose seulement de possibilités de délibération et de contrôle. Ses pouvoirs se sont accrus tout au long de la construction européenne. Le Conseil des ministres dispose de l’essentiel du pouvoir de décision. Il est composé de représentants des gouvernements. Il assure la politique économique commune des États membres et dispose d’un pouvoir de décision dans la plupart des cas. Il se prononce soit à l’unanimité, soit à la majorité qualifiée, soit à la majorité simple. La Commission européenne constitue un des éléments les plus originaux de la construction communautaire. Elle est initialement composée de neuf membres. La Commission dispose surtout d’un pouvoir d’initiative : c’est elle qui propose les lois européennes. Elle est l’organe d’exécution des Communautés : elle veille à l’application des traités et des lois européennes. Elle représente les Communautés et négocie des accords dans le cadre des relations extérieures. La Cour de justice comprend au départ sept juges. Elle assure le respect des traités et des lois européennes et juge les différends entre les États membres et entre ceux-ci et les organes communautaires. Le Conseil européen est une institution qui n’était pas prévue à l’origine par les traités, il est créé en 1974. Il réunit les chefs d’État et/ou de gouvernement des États membres ainsi que le président de la Commission. Il doit se réunir au moins deux fois par an, pour régler les questions les plus importantes et fixer les grandes orientations. Il est le lieu d’impulsion générale de la construction européenne. • Question 1. Le pouvoir est détenu par le Conseil des ministres qui prend les décisions et la Commission qui propose les décisions et les exécute. L’Assemblée et la Cour de justice sont des organes de contrôle. Il est important de it faire comprendre aux élèves que les institutions de la CEE ne peuvent pas être analysées avec la grille de lecture « classique » utilisée pour les institutions françaises par exemple. Ainsi, le pouvoir législatif est ici détenu par le Conseil des ministres. • Question 2. Les institutions de la CEE sont un compromis entre unionistes et fédéralistes. Elles sont moins supranationales que celles de la CECA. La Commission dispose de pouvoirs réduits par rapport à ceux de la Haute Autorité de la CECA. Le Conseil des ministres et le Conseil européen sont plutôt des organes de coopération intergouvernementale (même si l’instauration du vote à majorité qualifiée érode la souveraineté des différents États). La Commission, l’Assemblée et la Cour de justice sont des organes à vocation fédérale. Le pouvoir exécutif est aux mains de la Commission, mais les décisions sont prises par le Conseil des ministres. e s s o B it e s s o B • 184 Doc. 4. L’Europe politique selon de Gaulle Charles de Gaulle désire la construction d’une Europe politique et souhaite réformer la CEE dans le sens d’une Europe des États fondée sur la coopération intergouvernementale et le respect de l’identité des peuples et des États membres. Il propose ainsi les Plans Fouchet qui prévoient un Conseil réunissant les chefs de gouvernement, une Assemblée parlementaire européenne et une Commission politique européenne (« les propositions de la France » évoquées dans le texte). Peu de temps après l’abandon du projet (les autres États membres l’ayant rejeté), de Gaulle organise une conférence de presse le 15 mai 1962 dans laquelle il revient sur sa conception de l’Europe. • Question. Les opposants à de Gaulle, notamment dans les pays du Benelux, dénoncent sa conception intergouvernementale de l’Europe. En même temps, ils souhaitent faire aboutir l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE avant de poursuivre la mise en œuvre d’une Union politique. Ces deux objectifs sont contradictoires, car le Royaume-Uni est hostile au fédéralisme. De Gaulle rappelle dans sa conférence de presse que les Britanniques souhaitent une Europe des États et sont farouchement opposés à tout abandon de souveraineté nationale. (On pourrait d’ailleurs retourner la contradiction contre de Gaulle : pourquoi a-t-il bloqué l’entrée de © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 la Grande-Bretagne dans la CEE en 1963 et en 1967, alors que les Britanniques avaient la même conception que lui de l’Europe ?) De Gaulle n’est pas anti-européen, il défend une conception unioniste de la construction européenne et s’oppose ainsi à toute avancée fédérale. 3. Des années décisives pour l’Europe politique (1969-1992) e s s o B it e s s o B � MANUEL PAGES 330-331 Doc. 1. Le Conseil européen it membres de la CEE en 1984. Il symbolise l’union des membres pour écrire une histoire commune. Le slogan met l’accent sur la démocratie, ciment de la construction européenne. Il insiste aussi sur l’aspect démocratique de l’élection du Parlement européen : les citoyens peuvent choisir directement leurs représentants européens : « le Parlement européen : votre voix en Europe ? ». Voter aux élections européennes est, pour l’auteur de cette affiche, un moyen d’influencer la construction européenne, de faire entendre sa voix à l’échelle européenne. Le Conseil européen est une institution non prévue à l’origine par les traités constitutifs des Communautés européennes. Sa mise en place a eu lieu, lors de la conférence au sommet de Paris, en décembre 1974, à l’initiative du président de la République française, Valéry Giscard d’Estaing, et du chancelier allemand, Helmut Schmidt. Dans sa déclaration à la presse à l’issue du sommet, V. Giscard d’Estaing revient sur cette création. • Question 1. Le Conseil européen réunit les chefs d’État et/ou de gouvernement plusieurs fois par an (« trois fois par an et éventuellement davantage si nécessaire »). Il s’agit du véritable centre de décision politique : le Conseil donne les impulsions nécessaires à la construction européenne (« un élément de dynamisme irremplaçable »), en définit les orientations politiques générales. Il assure une approche globale des problèmes. Il doit œuvrer pour une unification politique de l’Europe (« une vie européenne politique supplémentaire résultera de cette procédure »). Mais il n’a pas le pouvoir de faire adopter des textes législatifs. • Question 2. Le Conseil européen est une organisation intergouvernementale dans la mesure où il s’agit d’un organe réunissant tous les chefs d’État et/ou de gouvernement des États membres et où les décisions sont prises par consensus. Doc. 2. L’élection du Parlement européen (Affiche italienne pour les élections du Parlement européen, 1984.) Les députés du Parlement européen sont élus pour la première fois au suffrage universel direct en 1979. Les élections sont organisées tous les cinq ans. Nous avons ici une affiche italienne pour les élections de 1984. • Question. Le crayon est composé des drapeaux, symboles nationaux, des dix États © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Doc. 3. L’élargissement de l’Europe (Caricature de Plantu, 1977.) • Question 1. Les régimes dictatoriaux de Salazar au Portugal, de Papadhópoulos en Grèce et de Franco en Espagne sont renversés dans les années 1970 (respectivement en 1974, 1975 et 1975). Pour symboliser la chute des dictatures, Plantu représente trois sportifs qui brisent leurs chaînes et retrouvent leur liberté. • Question 2. Les trois sportifs se tiennent debout sur un podium formé par trois urnes évoquant l’organisation d’élections libres et donc le rétablissement de la démocratie. Les trois pays d’Europe désirent adhérer rapidement à la CEE, notamment pour consolider leur ancrage dans la démocratie. Les étoiles symbolisent ici l’adhésion à l’Europe. La CEE s’élargit à la Grèce en 1981, à l’Espagne et au Portugal en 1986. Le coureur grec arrive ainsi à la première place, les coureurs espagnols et portugais sont ex aequo. Doc. 4. Margaret Thatcher et l’Europe Le 20 septembre 1988, lors de l’ouverture de la 39e année du Collège de Bruges, Margaret Thatcher, Premier ministre britannique, prononce un discours sur l’avenir de l’Europe. Le Collège de Bruges a été fondé en 1949, dans le prolongement du Congrès de La Haye (mai 1948). Il a pour vocation de former les futurs dirigeants européens. Margaret Thatcher est au pouvoir depuis le 4 mai 1979, première femme Premier ministre en Grande-Bretagne. Au niveau européen, elle bloque le fonctionnement de la CEE, entendant garder cette attitude jusqu’à ce que la contribution britannique au budget communautaire soit diminuée et n’excède plus ce que le Royaume-Uni percevait de 185 • Bruxelles. Cette différence constituait le fameux « chèque britannique » que M. Thatcher cherchait à récupérer sous le leitmotiv resté célèbre : « I want my money back ». Lors du Conseil européen de Fontainebleau en 1984, une solution est trouvée (Margaret Thatcher ne reçoit pas l’intégralité de son chèque, mais elle obtient un remboursement égal à 66 % de la différence entre le montant de ce que la Grande-Bretagne versait à la CEE et le montant de ce que son pays recevait). À partir de là, Margaret Thatcher n’entrava plus les décisions au sein de la Communauté jusqu’à sa démission en 1990. Dans son discours, elle revient sur sa conception de l’Europe. • Question. Tout comme de Gaulle, M. Thatcher n’est pas anti-européenne, elle a une conception unioniste de la construction européenne. Elle veut une coopération intergouvernementale (« une coopération volontaire et active entre des États souverains »). Elle refuse tout abandon de souveraineté nationale et s’oppose à toute forme supranationale de l’Europe : elle critique ainsi les pouvoirs de la Commission et s’oppose à l’augmentation de ses pouvoirs (fin du texte). Elle souhaite une plus grande collaboration entre les États membres (« je voudrais nous voir coopérer plus étroitement ») qui respecte la souveraineté de chacun, dans les domaines de la défense et des relations extérieures. � MANUEL PAGES 332-333 Doc. 1. La question de l’adhésion de la Turquie (Caricature d’Hassan Bleibel, 2010.) Depuis 1945, la Turquie se rapproche du camp occidental en participant à l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) créée en 1948, au Conseil de l’Europe dès sa création en 1949 et à l’OTAN à partir de 1952. Le 12 septembre 1963, la Turquie signe un accord d’association avec la CEE (l’accord d’Ankara) : il s’agit d’un accord commercial. En 1987, la Turquie a déposé sa demande d’adhésion à la CEE. La CEE, en 1989, juge sa candidature prématurée. Elle précise, en 1997, dans l’Agenda 2000, que la Turquie doit poursuivre son processus de démocratisation et de protection des droits de l’homme, établir des relations de bon voisinage avec la Grèce et • 186 e s s o B it e s s o B 4. Une Europe politique toujours en chantier (depuis 1992) it rechercher un règlement équitable du problème chypriote. En 1999, l’Union européenne reconnaît son statut de candidat. Les négociations d’adhésion débutent en 2005. Elles n’ont toujours pas abouti, l’adhésion de la Turquie faisant débat en Europe. (voir cours 4. A) • Question. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Turquie sont symbolisés par leur drapeau, symbole national, tout comme l’Union européenne. L’UE est représentée comme une forteresse (représentation récurrente dans les caricatures), la France et l’Allemagne, pays moteurs de la construction européenne, formant les deux tours de la muraille. La présence de ces deux pays s’explique surtout par leur position sur l’entrée de l’adhésion de la Turquie à l’UE. En France, si Jacques Chirac, président de la République française de 1995 à 2007, était très favorable à l’entrée de la Turquie, son successeur Nicolas Sarkozy est très réservé sur la question. En Allemagne, la moitié de l’opinion se déclare hostile à une adhésion éventuelle de la Turquie. Alors que le gouvernement Schröder, composé de sociaux-démocrates et de verts, soutenait la candidature turque, la chancelière Angela Merkel doute des capacités de l’Union européenne à « absorber » la Turquie. À l’instar de Nicolas Sarkozy, Angela Merkel favorise l’établissement d’un « partenariat privilégié ». La Turquie est représentée ici par son dirigeant sur un cheval britannique. Cela s’explique par le fait que le Royaume-Uni est favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne (notamment parce qu’il souhaite élargir le grand marché plus que construire une Europe politique déjà rendue plus problématique par l’accroissement du nombre de membres). Doc. 2. Le traité constitutionnel selon un populiste néerlandais Les Pays-Bas ont organisé, le 1er juin 2005, un référendum sur le Traité constitutionnel. Il s’agissait d’un référendum consultatif, le gouvernement avait annoncé qu’il se rallierait à son résultat sous deux conditions : que la participation atteigne au moins 30 % et que le résultat soit « sans ambiguïté », c’est-à-dire que le « oui » ou le « non » rassemble au moins 60 % des suffrages. Les électeurs néerlandais se sont massivement prononcés contre la ratification du texte : le « non » a recueilli 61,6 % des voix (le taux de © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 participation s’élevant à 63,4 %). L’ensemble des partis de gouvernement – l’Appel chrétiendémocrate (CDA), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), le Parti des démocrates 66 (D’66), le Parti du travail (PvdA) et la Gauche verte (GL) – s’étaient prononcés en faveur de la ratification du texte. L’opposition à la Constitution européenne rassemblait, aux PaysBas comme en France, une coalition de partis allant de l’extrême gauche (Parti socialiste, SP) à l’extrême droite (la Liste Pim Fortuyn, LPF, le Groupe Geert Wilders et le Leefbaar Nederland), en passant par les formations religieuses comme le Parti politique réformé (SGP) et l’Union chrétienne (ChristenUnie). Pour les annalistes politiques, le « non » néerlandais exprime le refus de voir la Turquie entrer dans l’Union et, plus largement, la crainte de l’étranger. Les Néerlandais redoutent aussi une dissolution de leur pays dans une Union européenne élargie. Premiers contributeurs nets par habitant au budget de l’Union européenne, ils ne veulent plus payer pour les « grands » États. Nous avons ici un extrait d’un article de Geert Wilders, homme politique d’extrême droite publié avant le référendum qui appelle les électeurs à voter « non » lors du référendum. • Question 1. Geert Wilders développe plusieurs arguments contre ce traité. Tout d’abord, il ne souhaite pas une évolution fédérale de l’Europe (« les Pays-Bas deviendraient une vague province de l’Europe ») : il rejette toute perte de souveraineté nationale. Pour lui, il n’y a pas de réelle identité européenne et de peuple européen qui justifieraient cette évolution fédérale : « les Néerlandais ne sont pas des Slovaques » ; « L’Europe est trop grande et trop diverse ». Il dénonce aussi le caractère bureaucratique et opaque des institutions européennes (« caprices des institutions bureaucratico-technocratiques de Bruxelles », « discours incompréhensibles »). On observe ainsi deux arguments classiques mis en avant par l’extrême droite : la défense de la souveraineté nationale et un discours populiste contre la technocratie de Bruxelles. • Question 2. Enfin, il se prononce contre une adhésion de la Turquie et lie cette question à celle du Traité constitutionnel. G. Wilders est contre l’entrée de la Turquie dans l’UE, car, avec ses 70 millions d’habitants, elle aurait un it poids considérable. Dans une structure fédérale, les Pays-Bas auraient peu de pouvoir et la Turquie aurait une influence importante sur les décisions européennes et donc sur la politique néerlandaise. e s s Doc. 3. Les changements institués par le traité de Lisbonne (2009) • Question 1. Les élargissements successifs ont obligé l’Union européenne à repenser son mode de fonctionnement. Le traité de Lisbonne facilite le fonctionnement des institutions, notamment le vote des décisions au sein du Conseil de l’UE, tout en renforçant leur aspect supranational. En effet, le vote à majorité qualifiée est étendu au sein du Conseil de l’UE. (Le vote à l’unanimité étant limité à quelques domaines précis comme la sécurité, les affaires extérieures ou la fiscalité ; cela signifie que pour ces questions délicates, un État peut opposer son veto). Le processus décisionnel est ainsi plus efficace. Le traité de Lisbonne crée aussi un Président du Conseil européen élu pour deux ans et demi, pour assurer une plus grande stabilité. Le Président du Conseil, qui ne peut pas exercer de mandat national, représente l’UE sur la scène internationale et permet de donner une voix et un visage à l’Union européenne. Dans les faits, Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen depuis le 1er janvier 2010 n’a que peu d’influence sur la scène internationale. • Question 2. Le traité de Lisbonne comble en partie le déficit démocratique des institutions européennes en renforçant les pouvoirs du Parlement européen, élu au suffrage universel direct, et en instaurant un droit d’initiative européenne (les citoyens européens peuvent proposer un texte de loi). o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ Étude Citoyenneté européenne et sentiment européen � MANUEL, PAGES 334-335 Ce dossier est composé de cinq documents : trois documents statistiques – un camembert montrant que les Européens connaissent peu ou pas leurs droits en tant que citoyens européens ; un diagramme sur la représentation qu’ont les Européens de l’UE et un diagramme sur le taux de participation aux élections européennes dans 187 • différents États membres –, un extrait du traité de Maastricht sur la citoyenneté européenne et une carte sur le sentiment européen. La plupart des informations sont tirées de l’Eurobaromètre, sondage d’opinion publique effectué par la Commission européenne deux fois par an depuis 1973. L’Eurobaromètre repose sur une série de questions identiques pour tous les États membres, posées à des échantillons représentatifs de l’ensemble de la population. Réponses aux questions e s s o B it e s s o B 1. Les citoyens européens disposent de droits définis notamment par le traité de Maastricht. Ils peuvent tout d’abord circuler et séjourner librement sur le territoire de tous les États membres. Ils disposent aussi de droits civiques et politiques : droit de vote et d’éligibilité (être élu) aux élections municipales dans l’État où ils résident et aux élections au Parlement européen. Ils peuvent soumettre des pétitions au Parlement européen. (Ce droit a été complété par le traité de Lisbonne par un droit d’initiative européenne : les citoyens peuvent demander à la Commission de faire une proposition de loi). Enfin, ils bénéficient de certaines garanties juridiques (protection diplomatique et consulaire). 2. Plus de la moitié des citoyens européens (57 %) connaissent peu ou pas leurs droits en tant que citoyens de l’UE. Cela peut s’expliquer par un manque d’informations sur le sujet, les institutions de l’UE restant lointaines et méconnues. Si on analyse les chiffres dans le détail, cette méconnaissance varie selon les États et selon le niveau social : les classes supérieures et aisées ont le sentiment de bien connaître leurs droits, à l’inverse des classes populaires et modestes. 3. Le Parlement européen a été élu au suffrage universel direct pour la première fois en 1979 ; depuis, les élections européennes ont lieu tous les cinq ans. Le taux de participation des électeurs français connaît une chute constante depuis 1979 : il est de 60,7 % en 1979, 52,7 % en 1994 et 40,6 % en 2009, soit une baisse de 20 points entre 1979 et 2009. Dans le même temps, la moyenne européenne passe de 42,9 % en 1979 à 56,7 % en 1994 et 62 % en 2009. Ainsi, la France qui était plutôt « un bon élève » en 1979 connaît une désaffection plus importante que la moyenne européenne en 2009 (différence de 20 points entre la moyenne européenne et le taux • 188 it en France en 2009). Le taux de participation aux élections européennes est un bon indicateur de la popularité de l’Union européenne. La faible connaissance de l’Union européenne est avancée comme le principal facteur de l’abstention : les citoyens ne savent pas pour qui, ni pour quoi ils votent. Peu d’électeurs savent que 80 % de la législation nationale est conçue au niveau européen avant d’être transposée au niveau national : les eurodéputés restent des personnes peu visibles et leur pouvoir réel est en grande partie méconnu. L’Europe reste pour une majorité de Français une réalité lointaine et complexe. La baisse de la participation peut aussi s’expliquer par la montée de l’euroscepticisme en France et l’absence d’un réel sentiment européen. En France, ces élections sont ainsi considérées comme un scrutin de « second ordre », sans enjeu réel et peu susceptible de provoquer une réelle alternance politique. Par ailleurs, l’objectif de ces élections est souvent détourné par l’opposition et les citoyens, qui y trouvent un moyen de sanctionner le gouvernement en place. 4. Deux représentations attachées à l’UE se détachent nettement des autres propositions : la liberté de voyager, d’étudier et de travailler partout dans l’UE (pour 45 % des personnes interrogées) et l’euro (38 %), qui sont deux aspects qui touchent à la vie quotidienne des Européens. Outre ces aspects concrets, les objectifs de la construction européenne sont assez bien représentés (la paix : 22 %, une voix plus importante dans le monde : 21 %, la démocratie : 20 % et la prospérité économique : 14 %). Enfin, l’UE est aussi associée à des aspects négatifs : le gaspillage d’argent (24 %) et la bureaucratie (21 %) ; les critiques des souverainistes (pas assez de contrôles aux frontières extérieures : 18 %, la perte de notre identité culturelle : 11 %) ; et l’UE est souvent rendue responsable des problèmes nationaux (le chômage : 14 %, plus de criminalité : 13 %). 5. Le document 3 nous montre que dans leur ensemble, les citoyens européens ne sont pas contre la construction européenne et reconnaissent ses avantages (voir réponse à la question 4). Mais ils dénoncent l’aspect bureaucratique de l’UE et sa relative inefficacité (« un gaspillage d’argent » arrive en 3e réponse). Le document 4 montre qu’une majorité des habitants (à quelques ex© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ceptions près comme la Bulgarie, la Grèce, la Lettonie ou le Royaume-Uni) se sentent citoyens européens. Mais rares sont les pays où l’engouement est important : trois pays ont des pourcentages supérieurs à 75 %. Si le sentiment européen est une réalité, il peine cependant à s’affirmer massivement dans tous les pays. 6. Les taux de participation aux élections européennes au Royaume-Uni sont très faibles (il y a un écart de presque 30 points entre le taux de participation au Royaume-Uni et la moyenne européenne en 2009). Seulement environ 35 % des électeurs se déplacent pour élire leurs députés européens ; en 1999, à la suite de l’adoption de l’euro par les autres États de l’UE, ce taux est encore plus bas (24 %). De même, le sentiment européen est très faible : moins de 50 %. Les Britanniques ont par ailleurs refusé de participer à la zone euro et à l’espace Schengen. Ils sont majoritairement eurosceptiques et cela depuis les débuts de la construction européenne. Ils refusent ainsi de participer à la CECA puis à la CEE (cours 2). S’ils se résolvent à adhérer à la CEE, c’est pour des raisons d’ordre économique. Très attachés à la souveraineté nationale, ils sont très hostiles aux aspects fédéraux de la construction européenne (ce qui peut expliquer leur refus de l’euro et de la Convention de Schengen). Ils souhaitent une Europe économique. 7. Points à développer : la création de la citoyenneté européenne par le traité de Maastricht et les droits du citoyen ; la méconnaissance de l’UE, des institutions jugées trop complexes et opaques, un faible enthousiasme pour les élections européennes ; un sentiment européen qui peine à émerger, mais la reconnaissance des avantages de la construction européenne. Les habitants de l’Europe ne sont pas réellement antieuropéens, ils méconnaissent le plus souvent leurs droits, le fonctionnement des institutions et surtout l’impact réel de la construction européenne sur leur vie quotidienne. it rendum, deux affiches en faveur du « non », les résultats du référendum avec un sondage sur les motivations du vote et un extrait d’une allocution télévisée de Jacques Chirac en faveur du traité. e s s Réponses aux questions 1. Le document 1 permet d’analyser les arguments de deux types d’opposants au traité. Le Front national appelle les électeurs à voter « non » au nom de la souveraineté nationale et contre l’entrée de la Turquie dans l’UE. Les communistes sont contre ce traité pour des raisons sociales : ils refusent la conception d’une Europe libérale définie dans ce traité. On retrouve ces arguments dans les motivations du « non » d’après le sondage Ipsos réalisé à la sortie des urnes le 29 mai 2005 : les arguments mis en avant par le Front national (c’est l’occasion de s’opposer à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne : 35 % ; cette constitution représente une menace pour l’identité de la France : 32 %), ceux défendus par le PCF (la Constitution est trop libérale sur le plan économique : 40 %). Les électeurs qui ont rejeté le traité ne l’ont pas fait pour les mêmes raisons. Le camp du « non » est très hétérogène. 2. En réalité, plus de la moitié des gens qui ont voté « non » l’ont fait pour des raisons nationales : ils voulaient exprimer leur mécontentement à l’égard de la situation économique et sociale de la France (52 %) et à l’égard de la classe politique en général (31 %). 3. Le vote « oui » est avant tout un vote d’adhésion à la construction européenne. 34 % des partisans du traité mettent en avant qu’une victoire du « non » remettrait en question la poursuite de la construction européenne, 28 % que la Constitution est une étape historique dans le processus vers une Europe politique, 26 % que la Constitution représente une avancée sur le plan de l’Europe sociale, 25 % que cette Constitution présente des avancées importantes par rapport aux traités précédents. L’aspect pragmatique est aussi important : 44 % de ceux qui ont voté « oui » pensent que la Constitution est nécessaire pour assurer le fonctionnement de l’Europe à 25. La défense des intérêts de la France a aussi joué : 43 % pensent qu’une victoire du « non » affaiblirait le poids de la France en Europe et 19 % que le bilan de la construction européenne est positif pour la France. Enfin, la motivation o B it e s s o B ◗ Étude Pour ou contre la Constitution européenne : les Français et l’Europe en 2005 � MANUEL, PAGES 336-337 Ce dossier comprend un tableau rappelant la position des partis politiques français sur le réfé© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 189 • la plus importante du « oui » est le fait que cette Constitution renforce le poids de l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine. La dimension Europe-puissance est ainsi le facteur qui a le plus compté pour les partisans du traité. 4. Jacques Chirac reprend un à un les arguments des opposants au traité et tente de montrer qu’ils ne sont pas justifiés. Par exemple, le premier paragraphe est une réponse à l’argument selon lequel la Constitution représente une menace pour l’identité de la France. Dans le deuxième paragraphe, le président de la République s’oppose à l’idée selon laquelle le traité remettrait en cause la souveraineté de la France et irait dans un sens plus fédéral : « on fait une Europe unie des États et des peuples et non pas du tout les États-Unis d’Europe ». Dans le troisième paragraphe, il tente de montrer que l’idée que la Constitution est trop libérale est une mauvaise interprétation du texte qui, selon lui, permettrait au contraire de définir un modèle social européen. Dans son allocution télévisée, Jacques Chirac veut ainsi montrer que les arguments des opposants du traité ne sont pas valides et que l’opposition est en fait fondée sur une méconnaissance du traité. 5. Points à développer : les partis de gauche et de droite n’ont pas une position commune sur l’UE. La césure ne se fait pas entre la gauche et la droite, mais au sein de la gauche et au sein de la droite. Les extrêmes sont contre l’Europe telle qu’elle est définie dans le traité, mais l’extrême gauche et l’extrême droite ne s’opposent pas au traité pour les mêmes raisons. Le camp du non est très hétérogène. En revanche, la droite et la gauche ont des discours qui se ressemblent. e s s o B it e s s o B ◗ BAC Étude critique de documents Confronter deux documents de nature différente � MANUEL, PAGES 342-343 RÉPONSES AUX QUESTIONS des encadrés Sujet : La construction d’une Europe de la défense. 1. Il s’agit de la CECA, fondée en 1951. 2. Il s’agit du contexte de guerre froide. L’invasion nord-coréenne a démarré en juin 1950. La guerre de Corée est donc commencée. 3. Alors que la construction européenne n’est • 190 it pas encore entamée, René Pleven propose une Assemblée commune et un ministre de la Défense commun, ce qui suppose qu’à quelques années de la guerre mondiale qui a déchiré l’Europe, les Européens aient une politique étrangère commune. Ce qui n’est toujours pas le cas en 2012. 4. Il s’agit du traité de l’Atlantique nord signé entre les États-Unis, le Canada et plusieurs pays d’Europe occidentale en 1949 (OTAN). 5. Cette association de déportés tient sa légitimité du combat dans la Résistance de ses membres. 6. Dans les orbites du crâne, on peut lire le nom des camps de concentration et d’extermination où ont été déportés résistants et juifs. Sur la bouche, les noms rappellent les massacres perpétrés sur les civils en France (Oradour), sur les maquis résistants (Vercors) ou les exécutions d’otages (Châteaubriant). La peur du nazisme est mobilisée ici. 7. L’armée de la RFA dont la capitale est à Bonn est assimilée à l’armée nazie. BAC BLANC Sujet : Le projet d’une Europe politique. René Courtin est un des fondateurs du Mouvement européen, association internationale créée au lendemain de la guerre qui regroupe audelà de leur appartenance politique des hommes qui veulent s’engager en faveur de la construction européenne dans une perspective fédérale. C’est un économiste libéral convaincu. Il présente le projet d’une Europe politique comme un moyen d’échapper à « l’ours moscovite », qui a déjà procédé à « l’asservissement » de l’Europe de l’Est à cette date. C’est aussi pour lui une manière de « renverser la vapeur ». Pour René Courtin, la France d’après-guerre est sur le déclin, comme le reste de l’Europe d’ailleurs. Sans espoir ici, les plus entreprenants émigrent vers « une terre plus heureuse et moins menacée ». On peut supposer qu’il s’agit des États-Unis. Les raisons de son engagement semblent aussi personnelles. René Courtin est un résistant, qui après avoir combattu pour son pays, n’imagine pas l’abandonner « malade et sans espoir ». C’est aussi pour cet économiste « la seule chance » de ces « vieux pays » de résister politiquement, mais probablement aussi, de résister économiquement © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 aux deux Grands. Comme chez de nombreux résistants traumatisés par la guerre, on peut supposer que pour l’auteur la construction européenne est le meilleur moyen de garantir la paix. Enfin, René Courtin est conscient que les Français venant de se libérer d’une puissance occupante, n’accepteront pas aisément de renoncer à une partie de leur souveraineté retrouvée. ◗ BAC BLANC Étude critique de documents ◗ BAC BLANC e s s it � MANUEL, PAGE 345 • Composition Sujet 1 : Les débuts de l’Europe politique (1948-1969). Proposition de plan : I. La naissance d’une Europe politique dans un contexte d’après-guerre au congrès de La Haye (1948-1949). II. Le temps des communautés européennes (1950-1969). o B it e s s o B � MANUEL, PAGE 344 Sujet : L’Europe des Neuf et la relance de la construction européenne dans les années 1970. Le début des années 1970 marque une réelle avancée de la construction européenne. La CEE s’élargit en 1973 à la Grande-Bretagne, à l’Irlande et au Danemark. En 1974, le Conseil européen, organe politique intergouvernemental, est créé. Il devient le lieu d’impulsion de la construction européenne. Enfin, les pouvoirs du Parlement sont renforcés, notamment par son autonomie financière, et par son élection au suffrage universel direct (la décision en est prise en 1976, même si le premier suffrage se tient en 1979). Leo Tindemans est représentatif de la volonté des fédéralistes de poursuivre ces avancées : il veut « des institutions communes plus fortes et plus efficaces ». Plusieurs domaines doivent être explorés pour mener à bien cet approfondissement. La crédibilité à l’extérieur de la CEE est primordiale. Il faut pouvoir « parler d’une seule voix dans les principaux problèmes mondiaux ». Tindemans appelle-t-il ici à un ministre des Affaires étrangères commun ? L’UE doit aussi pouvoir « proposer un modèle de société », c’est-à-dire intervenir davantage dans le domaine économique et social. Mais pour « renforcer sa capacité d’agir », elle se heurte aussi à un problème de crédibilité. En effet, si la majorité de l’opinion publique est favorable à la construction européenne, celle-ci reste « sceptique » devant ce qu’elle perçoit comme une « absence de réalisations et de volonté politique ». Ces approfondissements sont poursuivis dans l’Acte unique européen signé en 1986 et qui prévoit un grand marché unique pour 1993. L’étape majeure suivante est celle de Maastricht en 1992. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Sujet 2 : La France et le projet d’une Europe politique. Proposition de plan : I. La France aux origines d’une Europe politique mais aussi de son blocage (1945-1969). II. La France moteur de la construction européenne mais aussi victime de l’euroscepticisme (1969 à nos jours). • Étude critique de document Sujet : La réforme des institutions de l’Europe politique. Ce document permet de mettre en valeur à la fois les avancées de la construction européenne mais aussi ses limites. Il en révèle en effet les blocages puisque ce traité de Lisbonne est créé pour permettre une avancée du projet politique à la suite du rejet du traité constitutionnel par la France, puis les Pays-Bas. Ce traité de Lisbonne reprend cependant « dans ses grandes lignes » son prédécesseur. Il tente de faire de l’UE un réel acteur sur la scène mondiale en nommant un « haut-représentant ». Cet extrait ne précise pas qu’il en facilite le fonctionnement, notamment le processus de décision, et qu’il renforce les pouvoirs législatifs du parlement européen. L’extrait retenu ici permet de mettre en valeur ce qui différencie les deux traités. Il s’agit surtout d’éléments symboliques : on retire les « symboles de l’Union » ; les termes sont modifiés : plus de « ministre des Affaires étrangères », bien que le haut-représentant en assure la fonction, plus de « loi » ni de « loi-cadre », mais des « directives » et « règlements ». Ces termes heurtaient trop les sentiments nationaux bien plus développés que le sentiment européen. 191 • Chapitre 12 La gouvernance économique mondiale depuis 1944 e s s it � MANUEL, PAGES 346-369 ◗ Présentation de la question question et d’une revue (Global Governance) qui lui est même entièrement consacrée, le terme [de gouvernance] reste flou. Néanmoins, son message est clair : c’est celui d’une aspiration à trouver mieux que la loi du marché et celle de l’Étatnation pour réguler le rapport des individus aux évolutions économiques internationales ». • Si le terme de gouvernance ne revient à la mode qu’à la fin du XXe siècle, la volonté d’approfondir la coopération internationale pour limiter l’instabilité économique est plus ancienne. Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le désir d’assurer au monde une paix durable conduit les grandes puissances à mettre en place plusieurs institutions pour encadrer la reconstruction économique. C’est pourquoi le programme de terminale invite à étudier la gouvernance économique mondiale depuis les accords de Bretton Woods de 1944. Cette question prolonge l’étude de certaines thématiques vues en classe de première. Les élèves ont en effet analysé les étapes de la mondialisation à travers les exemples de l’économie-monde (britannique, américaine puis multipolaire). Les effets négatifs de la globalisation (multiplication des crises économiques et financières, croissance des inégalités de développement, aggravation des problèmes environnementaux, etc.) ont alors fait naître l’exigence d’une gouvernance économique. • Trois étapes peuvent être distinguées dans les tentatives pour réguler la croissance et la mon­dia­lisation : – De 1944 à la fin des années 1960, le processus de coopération commerciale et financière mis en place après les accords de Bretton Woods et du GATT semble suffire. Après les désastres de la guerre, l’urgence pour les vainqueurs est de reconstruire un système économique viable. L’objectif des grandes puissances occidentales est d’éviter le retour à la situation des années 1930. Les gouvernements ont été alors incapables o B it e s s o B • Le terme « gouvernance » est dans le langage politique médiéval du XIIIe siècle un synonyme de gouvernement. C’est au XVIe siècle que ce mot devient autonome, notamment chez Jean Bodin dans les Six Livres de la République (1576). La gouvernance désigne alors la science du gouvernement, la manière de gérer adéquatement la chose publique. L’expression tombe en désuétude en France, mais s’exporte dans ce sens aux États-Unis. Dans les années 1970, elle est couramment employée : elle s’applique essentiellement pour désigner le mode de gestion de l’entreprise (corporate governance). À partir de là, ce terme revient progressivement dans le langage politique et administratif du monde anglo-saxon, puis il s’impose dans les années 1990 sur la scène internationale. • En effet, de nombreux chercheurs s’interrogent alors sur le rôle de l’État dans un monde profondément transformé par la mondialisation et la multiplication des acteurs non étatiques. Ils constatent que le territoire national n’est plus le champ d’action pertinent pour faire face au défi de la globalisation et que l’influence de l’État s’affaiblit dans trois domaines : les relations internationales, les régulations économiques et le rapport aux pouvoirs locaux. Pour ces chercheurs, dans ce nouveau cadre, la prise de décision nécessite de repenser les rapports entre les différents acteurs, qu’ils soient étatiques ou autres, pour privilégier le mode de la coopération notamment au niveau international. Naissent alors plusieurs courants de pensées qui réfléchissent à l’institution d’une gouvernance mondiale capable de régler des problèmes qui désormais dépassent les frontières, en particulier dans le domaine économique, où toute crise devient rapidement mondiale. • Christian Chavagneux remarque ainsi en 1997 qu’« en dépit d’une abondante littérature sur la • 192 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 de coopérer pour résoudre la crise de 1929. Les politiques des États pour protéger leur marché ou pour relancer leur économie par des dévaluations ont ainsi conduit à des tensions jugées en partie responsables du conflit. Puis, la Seconde Guerre mondiale a créé des déséquilibres qui rendent impossibles le retour au statu quo ante. En 1944, l’Europe et le Japon ruinés n’ont pas les capacités financières pour faire face aux exigences de la reconstruction. Parmi les grandes puissances capitalistes, seuls les États-Unis sont en 1944 plus riches qu’en 1939. Ils sont alors particulièrement soucieux d’assurer la stabilité financière et la libéralisation des échanges nécessaires à une paix solide et à la poursuite de leur croissance. Les États-Unis décident donc de réunir en 1944 une conférence internationale dans le but de créer un cadre solide pour la reconstruction et l’expansion économique. C’est donc à leur initiative et sur le sol américain que sont signés les accords de Bretton Woods qui organisent le nouvel ordre économique. La principale innovation est la fondation de deux institutions de coopération internationale : le FMI et la BIRD ou Banque mondiale. Chacune intervient dans un domaine précis : le FMI veille au fonctionnement du système monétaire international, la Banque mondiale est chargée d’aider au financement des projets de reconstruction des anciens belligérants et des projets de développement du Tiers-Monde. En outre, l’OIC, organisation internationale du commerce, fondée en 1948 par la charte de La Havane, doit harmoniser les politiques commerciales des 53 pays signataires. La Banque mondiale et le FMI sont rapidement constitués, mais la mise en place de l’OIC s’avère impossible. En 1950, le Sénat américain refuse en effet de ratifier la charte de La Havane. Cet échec n’empêche pas une forme de coopération plus informelle dans le domaine commercial. L’accord tarifaire du GATT, signé dès 1947, permet en effet la tenue régulière de négociations en vue de libéraliser les échanges. Ces mesures renforcent la suprématie américaine sur l’économie mondiale. Le nouveau système monétaire institue un régime de changes fondé sur la parité fixe du dollar par rapport à l’or. La monnaie américaine devient ainsi la principale devise utilisée dans les transactions internationales. Les États-Unis apportent la plus forte it contribution financière au FMI et à la Banque mondiale, ils disposent donc du plus grand nombre de voix. Cette hégémonie américaine se manifeste d’ailleurs dans le choix d’installer le FMI et la Banque mondiale à Washington. Les accords de Bretton Woods jouent un rôle non négligeable en rétablissant le climat de confiance indispensable pour la reprise économique : le système de changes fixes fonctionne en effet jusqu’à la fin des années 1960 et les États européens peuvent rétablir la convertibilité de leur monnaie dès 1958. Cependant la Banque mondiale n’a jamais eu les moyens financiers nécessaires aux besoins de la reconstruction. Les États européens souffrent du manque de dollars (dollar gap), ce qui les empêche d’acheter aux États-Unis les matériaux et les biens d’équipement nécessaires à leur relèvement économique. Les États-Unis décident alors de mettre en place une aide financière massive, le plan Marshall, dès 1947. 16 nations (France, Royaume-Uni, Italie, Portugal, Irlande, Grèce, Pays-Bas, Islande, Belgique, Luxembourg, Suisse, Turquie, Autriche, Danemark, Suède, Norvège) – auxquelles s’ajoute la République fédérale d’Allemagne après sa création en 1949 – acceptent ce soutien, qui s’accompagne d’un programme de reconstruction prévoyant le renforcement de la coopération économique transatlantique. L’Administration pour la coopération économique, agence du gouvernement des États-Unis, distribue les crédits et l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) se charge de les dépenser. En 1961, l’OECE est remplacée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui élargit le champ de la concertation transatlantique. La coopération économique internationale qui s’est développée depuis 1944 reste géographiquement limitée. Les pays communistes, à l’initiative de l’URSS, doivent en effet refuser et le système de Bretton Woods et le plan Marshall. En outre, les pays du Tiers-Monde considèrent de plus en plus que les grandes organisations économiques internationales ne servent que les intérêts des pays industrialisés. Ils obtiennent alors de l’ONU l’instauration d’institutions plus soucieuses des intérêts des pays pauvres (CNUCED, PNUD). – À la fin des années 1960 et jusqu’au début des années 1990, le monde entre dans une période de e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 193 • difficultés économiques qui affaiblit la coopération internationale. Le stock d’or de la Banque fédérale diminue dangereusement, à cause du déficit croissant de la balance des paiements des États-Unis. En 1971, Washington met alors fin sans concertation avec ses partenaires à la convertibilité du dollar en or. Le système monétaire créé par les accords de Bretton Woods s’effondre. S’ouvre une période de changes flottants, dont le principe est entériné lors des accords de la Jamaïque en 1976. À cette crise monétaire s’ajoute un net ralentissement de la croissance économique : c’est la fin des Trente Glorieuses pour les pays industrialisés. Pour rendre leur système productif plus compétitif, de nombreux États, sur le modèle du Royaume-Uni et des États-Unis, font alors le choix de la dérégulation. La mondialisation s’accélère et l’économie échappe au contrôle des gouvernements. Cette libéralisation accroît aussi l’instabilité et les crises financières deviennent plus fréquentes à partir de 1987. Le FMI a perdu son rôle de garant de la stabilité monétaire. Avec la Banque mondiale, il devient l’instrument privilégié de la communauté internationale pour régler les problèmes de surendettement du Tiers-Monde. Le FMI est alors à l’origine de plusieurs programmes d’ajustement structurel qui visent à imposer une politique de rigueur aux États les plus endettés, afin de rétablir leur santé financière. Ces programmes sont très vite contestés, à cause de leur manque d’efficacité et de leur logique comptable, qui oublie les besoins vitaux des populations pauvres. La plupart des États, contraints à une diminution de leurs dépenses publiques, s’enfoncent dans la récession et peinent à financer leur système de santé, leurs écoles, etc. Le FMI et la Banque mondiale apparaissent ainsi complètement dépassés par la nouvelle donne économique et financière. Les grandes puissances créent donc en 1975-1976 le G7 pour tenter de réduire l’instabilité mais les résultats sont décevants. – C’est dans ce contexte difficile que s’impose peu à peu dans le débat public, l’aspiration à une gouvernance économique mondiale dépassant la simple coopération entre des États, jaloux de leur souveraineté. En effet, à la fin des années 1980, les mouvements qui critiquent la façon dont le FMI et la Banque mondiale gèrent les problèmes it de surendettement du Tiers-Monde se multiplient ; ces mouvements donnent naissance au courant de pensée altermondialiste, qui s’oppose aux effets négatifs de la mondialisation libérale. Les altermondialistes, mais aussi d’autres acteurs non étatiques (ONG, économistes, scientifiques…), jugent que la coopération internationale classique, fondée sur un fonctionnement interétatique et dominée par les grandes puissances, ignore trop souvent les enjeux environnementaux et les inégalités sociales. Beaucoup pensent que les États ne peuvent régler seuls ces problèmes et qu’il faut mettre en place un nouveau mode de gestion international assurant à la planète un développement durable. Cette gouvernance associerait les États et tous les autres acteurs (organisations internationales, ONG, etc.). Sous la pression de l’opinion publique, sensibilisée par les actions très médiatisées des altermondialistes, et sous celle des grands pays émergents qui réclament la fin de l’hégémonie des nations riches sur les institutions internationales, le système de coopération internationale se transforme alors peu à peu. En 1995 est mise en place l’OMC, qui, dans sa charte, proclame la nécessité d’un développement durable et d’un rééquilibrage du commerce international en faveur des pays en développement. Mais cette nouvelle organisation est très vite critiquée, parce que les pays pauvres peinent à faire valoir leurs droits devant son Organisme de règlement des différends et parce que les négociations en son sein semblent toujours aller dans le sens d’un libre-échange qui profite aux multinationales des pays riches. Les années suivantes semblent enregistrer cependant de nouveaux progrès dans la mise en place d’une véritable gouvernance économique. Les pays émergents obtiennent la création en 1999 du G20, qui, en intégrant les pays émergents au processus de décision, tente depuis la crise financière de 2007 de renforcer la régulation du système financier international. Est aussi décidée par la communauté internationale une nouvelle répartition des droits de vote au FMI et à la Banque mondiale, qui donne plus de poids aux États en développement. En outre, l’ONU, avec l’appui du FMI et de la Banque mondiale et en concertation avec certaines ONG, lance en 2000 un vaste programme pour lutter contre la pauvreté. Enfin, des normes environnementales e s s o B it e s s o B • 194 © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 s’imposent peu à peu notamment avec l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto en 2005. Mais tous ces progrès restent modestes au vu des enjeux et des difficultés ; le renforcement de la coopération internationale est plus le résultat de négociations classiques entre les États que de la mise en place d’un mode de gestion véritablement nouveau associant tous les autres acteurs. En fait, comme le dit Christian Chavagneux, seuls de rares « utopistes » sont partisans d’un véritable gouvernement mondial. Le chemin vers la « gouvernance » passe donc par « un rôle accru des organisations économiques internationales », lesquelles « n’ont jamais été aussi nombreuses et aussi visibles qu’aujourd’hui ». Cette présence accrue est en grande partie un leurre, car elles ne disposent pas d’une réelle autonomie par rapport aux États et n’ont donc pas vraiment « une influence significative sur la détermination des règles du jeu du système économique international ». ◗ Bibliographie Ouvrages it économique de la mondialisation, Éditions du Seuil, 2004. J. Pisani-Ferry, « Quelle gouvernance pour l’économie mondiale ? », Alternatives Économiques n° 186, novembre 2000. « Réguler l’économie mondiale au XXIe siècle », Problèmes économiques, n° 2958, 12 novembre 2008. J.-P. Thérien, « Un demi-siècle d’aide au développement », Lien social et Politiques, n° 45, 2001. e s s o B it e s s o B C. Bastidon Gilles, J. Brasseul, P. Gilles, Histoire de la globalisation financière, Armand Colin, 2010. R. Canet, « Qu’est-ce que la gouvernance ? », Conférences de la Chaire MCD, 16 mars 2004. C. Chavagneux, « Les institutions internationales et la gouvernance de l’économie mondiale », L’Économie en 1998, Coll. Repères, La Découverte, 1997. C. Chavagneux, « Ce qui s’est vraiment passé à Bretton Woods », Alternatives économiques, n° 227, juillet 2004. J.-P. Gaudin, Pourquoi la gouvernance ?, coll. La bibliothèque du citoyen, Presses de la FNSP, 2002. J.-C. Graz, La Gouvernance de la mondialisation, Coll. Repères, La Découverte, 2008. « Mondialisation, une gouvernance introuvable », Questions internationales, n° 46, maijuin 2010. P. Moreau Defarges, La Gouvernance mondiale, Coll. Que sais-je ?, PUF, 2008. J. Mistral (dir.), Le G20 et la nouvelle gouvernance économique mondiale, Les cahiers du Cercle des économistes, PUF, 2011. P. Norel, L’Invention du marché, une histoire © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Sitographie http://www.wto.org/indexfr.htm : site officiel de l’OMC. http://www.wto.org/french/forums_f/students_ f/students_f.htm : une vidéo sur l’histoire de l’OMC. http://www.imf.org/external/french/index.htm : site officiel du FMI. http://www.banquemondiale.org/ : site officiel de la Banque mondiale. http://www.oecd.org/home/0,3675,fr_2649_ 201185_1_1_1_1_1,00.html : site officiel de l’OCDE. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ dossiers/banque-mondiale-fmi/index.shtml : Banque mondiale, FMI et développement sur le site de la documentation française. ◗ Plan du chapitre Une double page de cartes ouvre ce chapitre. Elle montre notamment comment, depuis leur création, les principaux organismes de coopération économique ont progressivement intégré les différents États de la planète. Puis le chapitre s’articule autour des trois périodes qui ont été distinguées dans la présentation du programme. Il commence donc par une analyse des débuts de la coopération économique mondiale de 1944 à la fin des années 1960. Le premier cours étudie la mise en place du FMI, de la Banque mondiale et du GATT, tout en en évoquant les limites de ce système (insuffisance des moyens mis en œuvre et nécessité du plan Marshall, refus soviétique de coopérer et insuffisance de l’aide au développement). Ensuite le deuxième cours montre comment la crise monétaire de 1971, le ralentissement de la croissance économique dans les pays riches après les chocs pétroliers 195 • et la dérégulation fragilisent ce processus de coopération économique. Ceci permet d’envisager dans le troisième cours les transformations commencées depuis le début des années 1990. On y explique comment et pourquoi, sous la pression notamment des altermondialistes et des pays émergents, naît l’aspiration à une nouvelle gouvernance économique mondiale. Ce désir d’encadrer la mondialisation libérale pour en éviter les effets les plus négatifs (insécurité financière, inégalités de développement, désastres écologiques) entraîne des réformes dont les résultats restent encore très en-deçà des ambitions affichées. Pour compléter ces trois leçons, le chapitre comporte quatre études. La première fait un gros plan sur le système monétaire de Bretton Woods. it Les documents permettent de faire comprendre aux élèves comment il fonctionne et conduit à un renforcement de la coopération économique internationale. La deuxième étude invite à réfléchir sur le rôle du FMI et de la Banque mondiale dans la gestion du surendettement des pays du Tiers-Monde. La troisième étude prend l’exemple de « la guerre de la banane », le plus long conflit commercial de l’histoire de l’OMC pour analyser le processus de règlement des différends commerciaux mis en place en 1994 et ses limites. Enfin, la quatrième étude traite du projet de gouvernance mondiale porté par l’altermondialisme, un courant de pensée dont l’influence est devenue planétaire en quelques années. e s s o B it e s s o B Commentaire des documents et réponses aux questions ◗ Ouverture de chapitre � MANUEL PAGES 346-347 Doc. 1. Une gouvernance économique organisée par les grandes puissances… (Photographie du 35e sommet du G8, Italie, 8 au 10 juillet 2009.) Ce type de sommet économique et politique a d’abord réuni régulièrement les chefs de l’exécutif des « sept pays les plus industrialisés » : le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Le G7 s’est constitué de façon informelle à partir des réunions organisées entre Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République française et Helmut Schmidt, à cette époque chancelier de la République fédérale d’Allemagne dans les années 1970. Depuis le milieu des années 1990, la Russie est associée aux discussions et le G7 devient le G8. Actuellement le G8 réunit une fois par an, non seulement les chefs d’État ou de gouvernement, mais aussi les présidents de la Commission et • 196 du Conseil européens dans le but d’échanger des informations et des idées, notamment dans le domaine économique, de discuter des questions d’ordre international et de réfléchir à d’éventuelles stratégies. Le G8 n’est pas une organisation internationale comme l’OMC, le FMI et la Banque mondiale. Il ne dispose pas d’administration propre, chaque sommet est préparé dans le pays qui doit l’accueillir par des réunions ministérielles plusieurs semaines avant que ne commencent les discussions entre les chefs d’État et de gouvernement, lesquelles ne durent que deux ou trois jours. Doc 2. … Mais violemment contestée (Dessin de Matiz paru dans Solidaire, journal du Parti du travail de Belgique, 24 septembre 2003.) On trouve ici trois personnages vêtus de façon traditionnelle qui symbolisent les trois continents encore marqués par d’importants problèmes de développement. Le premier personnage avec son poncho et son sombrero de paysan mexicain représente l’Amérique latine, le second avec son chapeau de paille et son pantalon blanc est un © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 agriculteur d’Afrique subsaharienne, enfin le troisième avec son chapeau conique est un fermier d’Asie. Ces trois personnages s’unissent pour chasser un homme représentant les grands pays industrialisés d’Occident. Cet individu porte les attributs typiques du riche capitaliste, notamment le chapeau haut de forme et le cigare. Il est en outre affublé du sigle de l’Organisation mondiale du commerce et du symbole du dollar. Il s’agit ici de dénoncer le fait que l’OMC est une organisation au service des grandes puissances économiques d’Amérique du Nord et d’Europe. ◗ Étude e s s o B it e s s o B Les accords de Bretton Woods : un nouveau système monétaire (1944) � MANUEL, PAGES 350-351 Réponses aux questions it sur le marché des changes, les autres banques centrales doivent donc se constituer des réserves en dollars et en or. 3. La tâche principale du FMI est de « favoriser la stabilité des changes », afin de faciliter le commerce international. Pour ce faire, il dispose des fonds que lui ont versés les États membres ; les États-Unis financent d’ailleurs 31 % de son budget. Le FMI peut grâce à ces moyens financiers venir en aide à des pays qui doivent « remédier aux déséquilibres de leur balance des comptes ». Il leur accorde alors des prêts à court terme. Le FMI a aussi un pouvoir de contrôle sur la parité des monnaies : un pays qui désire changer la valeur de sa monnaie par rapport au dollar doit au préalable consulter le FMI. 4. Selon l’auteur, le premier avantage du FMI et de la Banque mondiale est d’éviter un retour aux difficultés financières et économiques des années 1930, qui ont aggravé les tensions internationales et conduit à la guerre. En effet, grâce aux accords de Bretton Woods, les États qui subissent une crise économique et financière n’ont plus à demander l’aide des grandes puissances et à subir en retour leur impérialisme. Le FMI et la Banque mondiale sont désormais là pour les aider et accorder des prêts « sans conditions politiques ». Les deux nouveaux organismes internationaux ont aussi été créés pour favoriser la reconstruction des pays ruinés par la guerre. Cette volonté américaine n’est pas désintéressée. Les États-Unis ont connu une forte croissance économique pendant la guerre et ils doivent trouver des débouchés pour leurs entreprises. Il faut donc que leurs partenaires commerciaux traditionnels qui, comme les pays d’Europe, sont très endettés, puissent à nouveau recourir au crédit pour financer leur reconstruction et acheter des produits américains. 5. La photographie représente une réunion du FMI et de la Banque mondiale en 1948. Le mur, à l’arrière plan, porte les logos des deux organisations internationales. Dans la vaste pièce est disposée une immense table autour de laquelle ont pris place les représentants de chacun des États membres. Le photographe veut insister sur le caractère international de cette réunion et sur la présence de pays n’appartenant pas au groupe des grandes puissances. On peut ainsi lire les cartons qui indiquent le nom de certains pays : 1. La plupart des États n’ont plus les moyens de revenir à l’étalon-or au lendemain de la guerre, parce qu’ils ne disposent pas d’une réserve suffisante en métal précieux. En effet, si les ÉtatsUnis ont accumulé une importante quantité d’or valant environ 21 milliards de dollars, tous les autres pays, sauf la Suisse, possèdent moins de 700 millions de dollars en or. Le Royaume-Uni apparaît comme le pays qui, parmi les grands vainqueurs de la guerre, a la plus faible réserve de métal précieux. Cette situation s’explique pour l’essentiel par le coût exorbitant de la guerre qui a obligé le Royaume-Uni à échanger son or contre des armes ou des matières premières, pour résister à l’agression nazie. Les États-Unis, eux, se sont enrichis en devenant « l’arsenal des démocraties ». 2. Le nouveau système monétaire international est fondé sur le dollar. Il devient à la fois la monnaie de référence et la monnaie de réserve pour la plupart des banques centrales. Le dollar dispose d’une parité fixe par rapport à l’or. Afin d’inspirer confiance, les réserves de la Banque fédérale sont donc uniquement constituées de ce métal précieux. La parité des autres monnaies est définie par rapport au dollar, leur cours sur le marché des changes peut varier mais seulement de + ou – 1 % par rapport à la valeur choisie. Ainsi en 1945, un dollar vaut 119,11 francs. Pour émettre de la monnaie et défendre sa parité © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 197 • Honduras, Guatemala. Cette disposition donne une impression d’égalité entre les États : ils sont placés par ordre alphabétique sur le même plan : la France est ainsi à côté de la Grèce. 6. Le nouveau système monétaire international issu des accords de Bretton Woods repose sur le dollar. Celui-ci est la seule monnaie dont la parité est fixe et définie par rapport à l’or, il demeure l’unique monnaie convertible en or au lendemain de la guerre. En effet, seule la Banque fédérale américaine dispose alors des réserves en or suffisantes pour inspirer confiance dans la valeur du dollar. Toutes les autres monnaies ont une parité variable et définie par rapport au dollar. Les banques centrales, qui doivent défendre cette parité mais manquent dor, peuvent acheter des dollars afin de disposer de réserves suffisantes. Les besoins en dollars font de celui-ci la monnaie principale des échanges internationaux et une arme pour la diplomatie américaine. 7. Ce système monétaire renforce la coopération économique mondiale en créant deux nouveaux organismes internationaux. Le FMI doit assurer la stabilité des changes en surveillant la parité des monnaies et la Banque mondiale doit aider à la reconstruction des pays ruinés par la guerre et au développement du reste du monde. Ces deux organismes disposent de moyens financiers apportés par chaque État membre et peuvent ainsi accorder des prêts aux pays qui en ont besoin. Le fonctionnement de ce système, même s’il est en 1944 dominé par les États-Unis qui financent 31 % du budget du FMI, nécessite des réunions régulières des représentants de chaque État membre. it économique (Economic Cooperation Act) est votée par le Congrès en 1948. Elle fixe officiellement les buts et les modalités de l’aide. L’objectif est de donner naissance en Europe de l’Ouest à une économie saine et indépendante d’ici à 1952. Deux organismes sont créés pour gérer l’aide : l’Administration de Coopération Économique (ECA) côté américain, et l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE) côté européen, chargée de répartir les crédits entre les bénéficiaires. • Question. Cette affiche met l’accent sur le fait que le plan Marshall ne peut réussir que s’il existe une étroite coopération entre les États-Unis et les pays d’Europe qui bénéficient de l’aide américaine. Le mot « Together » (Ensemble) est ainsi mis en valeur. La coopération est symbolisée par une éolienne, un appareil qui ne peut fonctionner correctement qu’avec toutes ses pales. Chacune d’entre elles représente l’État européen dont elle porte le drapeau. À l’arrière, un gouvernail aux couleurs des États-Unis semble là pour diriger cette éolienne dans le sens où souffle le vent le plus favorable à son fonctionnement. e s s o B it e s s o B 1. Les débuts de la coopération économique mondiale (1944-fin des années 1960) � MANUEL PAGES 352-353 Doc. 1. Les débuts de la coopération économique entre l’Europe et les États-Unis C’est le 5 juin 1947, lors d’un discours à l’Université de Harvard que le Secrétaire d’État George C. Marshall lance l’idée d’une aide américaine massive pour restaurer l’infrastructure économique de l’Europe. L’Europe de l’Ouest répond favorablement et Marshall propose un texte législatif. La loi de coopération • 198 Doc. 2. La charte de l’Atlantique (1941) La charte de l’Atlantique (ou Charte atlantique) est une déclaration solennelle, faite le 14 août 1941, après la Conférence de l’Atlantique, tenue à bord du navire de guerre USS Augusta, dans l’Atlantique, au large de Terre-Neuve, entre le président américain Franklin D. Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill. L’influence américaine sur ce texte est très forte : la charte reprend en partie le discours sur les quatre libertés de Franklin Delano Roosevelt, discours sur l’état de l’Union prononcé le 6 janvier 1941 devant le Congrès et exprimant la volonté du président américain « de jeter les fondements d’une nouvelle politique internationale ». • Question 1. La paix future doit être construite sur deux principes : le libre-échange et le progrès social. La charte de l’Atlantique a pour objectif de mettre fin au protectionnisme, et donc de favoriser le libre-échange : il faut « ouvrir à tous les États […] l’accès aux matières premières du monde et aux transactions commerciales ». Cela permettra aussi « de garantir […] l’amélioration de la condition ouvrière […] et la sécurité sociale » ainsi qu’une « existence affranchie de la crainte et du besoin ». © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 • Question 2. Les deux grands affirment ici leur volonté « de réaliser entre toutes les nations la collaboration la plus complète dans le domaine de l’économie ». Cette coopération économique s’oppose à ce qui s’est produit dans les années 1930, quand la crise a conduit chaque pays à se replier sur lui-même. Doc. 3. L’évolution des droits de douane grâce au GATT it • Question. Le but des pays de l’OCDE est « d’assurer l’expansion du volume global de ressources mises à la disposition des pays moins développés et d’en accroître l’efficacité ». Pour aboutir à ce résultat, l’OCDE veut développer une aide « sous forme de dons ou de prêts assortis de conditions favorables notamment de longs délais de remboursement ». Chaque pays membre de l’organisation doit participer à cet effort en fonction de sa richesse économique. e s s o B it e s s o B • Question 1. L’action du GATT a permis une nette diminution des droits de douane sur les produits industriels. Chaque round de négociations a entraîné une baisse égale ou supérieure à 34 % en moyenne des taxes sur ces marchandises, seul le round Dillon n’a abouti qu’à une faible diminution (-7 %). • Question 2. Le GATT apparaît de plus en plus attractif, car le nombre de pays qui sont présents aux différents rounds augmente fortement. 23 pays ont participé au premier round qui s’est déroulé à Genève en 1947, ils sont 119 à assister à l’Uruguay round. C’est à partir des années 1960 que la progression est la plus forte. Cette période marque la fin des grands empires coloniaux et les nouveaux pays indépendants décident d’adhérer au GATT. Doc. 4. Les pays riches et l’aide au développement Le Groupe d’aide au développement (GAD) – aujourd’hui appelé le Comité d’aide au développement – a été créé le 13 janvier 1960. C’est le sous-secrétaire d’État du président américain Eisenhower, C. Douglas Dillon, qui a été l’artisan de cette initiative. C’est un forum de discussion et de collaboration pour les principaux donateurs d’aide publique au développement. En 1961, il réunit les représentants de la Belgique, du Canada, de la France, de la RFA, de l’Italie, du Portugal, du RoyaumeUni, des États-Unis, du Japon, des Pays-Bas et de la Commission de la Communauté économique européenne. Tous sont membres de l’OCDE. C’est au cours de la quatrième réunion du GAD, qui s’est tenue à Church House à Londres (2729 mars), qu’a été adoptée cette résolution sur l’effort commun d’aide. En 1960-1961, les États-Unis étaient à l’origine de plus de 40 % de l’aide publique totale accordée aux pays en développement, un tiers venant de la France et du Royaume-Uni. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 2. La coopération économique menacée (1971-fin des années 1990) � MANUEL PAGES 354-355 Doc. 1. La diminution du stock d’or américain • Question. Ce dessin de presse présente un gigantesque réservoir. Il contient les réserves en or de la Banque fédérale américaine. Ces réserves assurent la confiance dans la valeur de la monnaie américaine, dont la parité est fixe par rapport au métal précieux ; le dollar est alors convertible en or en tout moment. Un homme penché sur l’ouverture de cette cuve mesure ce qu’il reste de métal précieux à l’intérieur et il s’inquiète du faible niveau d’or qu’elle contient encore. En effet, un tuyau muni d’un robinet part de ce réservoir et déverse l’or américain à l’extérieur des États-Unis. Cette caricature dénonce ici le déficit croissant de la balance des paiements américaine. Les États-Unis doivent alors financer la guerre froide et venir en aide à leurs alliés, d’où la légende « distribution de cadeaux et aides à l’étranger ». Mais ce déficit s’explique aussi par les investissements à l’étranger des firmes américaines. Doc. 2. Pour un nouvel ordre économique international Houari Boumédiène (1932-1978) fut un des chefs de la rébellion algérienne contre les colonisateurs français. Après les accords d’Évian, en mars 1962, et l’indépendance algérienne, Boumédiène est ministre de la Défense du président du nouvel État, Ahmed Ben Bella. En juin 1965, avec le soutien de l’armée, il renverse Ben Bella. Dès lors, Boumédiène gouverne autoritairement l’État algérien jusqu’en 1976, en cherchant à industrialiser son pays et à affirmer son indépendance économique. Il se fait l’ardent défenseur d’un « nouvel ordre économique inter199 • national », après la Ve Conférence des pays nonalignés en 1973. • Question. Selon Boumédiène, l’ordre économique des années 1970 est injuste parce que « tous les leviers de l’économie mondiale sont entre les mains d’une minorité constituée par des pays hautement développés ». Ces États abusent de leur puissance car ils peuvent « fixer à leur guise, tant les prix des matières premières de base qu’ils prennent aux pays en voie de développement, que ceux des biens et des services qu’ils fournissent à ces derniers ». Ils sont donc en grande partie responsables du déséquilibre croissant des termes de l’échange, un déséquilibre qui gêne l’essor économique du TiersMonde et le conduit à un endettement croissant. it annuellement afin de traiter les questions économiques et financières de façon informelle. Il n’existe donc pas d’administration particulière, le G6 se présente comme une simple réunion de dirigeants, qui a pour objectif de « discuter des affaires du monde […] en toute franchise et sans protocole, dans une ambiance décontractée » (cf. http://www.g8.fr/evian/francais/navigation/ le_g8/historique_du_g8.html) Le G6 devient le G7 avec, en 1976, l’ajout du Canada. Puis, dès 1977, la CEE participe aussi au G7 en tant qu’invitée, en étant représentée par le président de la Commission européenne. • Question 1. Ce groupe de discussion se donne pour objectifs de discuter des grands problèmes économiques et de développer les efforts « en vue d’une coopération internationale accrue et d’un dialogue constructif entre tous les pays » quelle que soit leur situation économique ou politique. Il s’agit donc ici de nouer de meilleures relations avec les pays en développement et les pays communistes. • Question 2. Les chefs d’État et de gouvernement réunis à Rambouillet pensent que leur action est nécessaire pour assurer « la prospérité de l’ensemble du monde industriel et des pays en développement ». Ces pays se sentent investis d’une mission particulière parce qu’ils sont les représentants des plus grandes puissances économiques de la planète, chacun d’entre eux « a la responsabilité d’assurer la prospérité de l’économie d’un pays industriel important ». En effet, jusqu’en 1989, les membres du G7, le Canada qui rejoint les 6 États signataires de la déclaration de Rambouillet en 1976, l’Allemagne, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon représentent plus de 60 % du PIB mondial. e s s o B it e s s o B Doc. 3. L’aide au développement des pays de l’OCDE Ce schéma présente des statistiques sur l’aide publique au développement (APD) des pays membres de l’OCDE. L’APD comprend tous les dons et les prêts préférentiels prévus au budget public des pays riches et transférés vers les pays pauvres. • Question. Entre 1960 et 2010, l’aide au développement des pays de l’OCDE augmente fortement : en 1960, elle s’élève à 40 milliards de dollars et en 2010 à plus de 120 milliards de dollars, elle a donc triplé. Mais cette augmentation est trompeuse, elle cache en fait une diminution de l’effort consenti par les pays de l’OCDE par rapport à leur richesse. En effet, en 1960, l’aide au développement représente 0,5 % du revenu national brut des pays de l’OCDE et seulement un peu plus de 0,3 % en 2010. Contrairement aux promesses faites en 1961 (doc. 4 p. 353), les pays de l’OCDE se montrent de moins en moins généreux. Doc. 4. La fondation du G7 ◗ Étude Juste après le premier choc pétrolier, commence à partir de 1974 une série de réunions entre les États-Unis, le Japon, la France, l’Allemagne de l’Ouest et le Royaume-Uni. Puis, a lieu un sommet au Château de Rambouillet du 15 au 17 novembre 1975 auquel se joint l’Italie. À l’initiative du président français Valéry Giscard d’Estaing, est alors fondé le G6. Six chefs d’États et de gouvernement des nations les plus riches du monde s’engagent à se réunir Le FMI et la Banque mondiale face à la dette du Tiers-Monde • 200 � MANUEL, PAGES 356-357 Réponses aux questions 1. La dette totale des pays en développement est en constante augmentation depuis 1960. À cette date, elle représente 8 milliards de dollars ; en 2009, elle atteint 3 545 milliards de dollars. L’endettement croît à un rythme ef© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 fréné entre 1960 et 1980, il est multiplié par 72 en 20 ans, dans une période marquée par la confiance liée à une forte croissance économique mondiale. Le rythme de l’endettement est moins élevé après 1980, alors que le monde connaît un ralentissement économique, malgré cela la dette quadruple encore entre 1980 et 2002. Au début du XXIe siècle, la dette représente ainsi plus de la moitié du produit national brut des pays en développement. 2. Pour Léopold Sédar Senghor, c’est l’attitude égoïste des pays riches qui est en grande partie responsable de l’essor de cette dette. En effet, les pays développés consacrent une part de plus en plus faible de leur revenu national à l’aide au développement, ils n’ont jamais été capables de lui consacrer 1 % de leur PNB comme le conseillait l’ONU dès le début des années 1960. En outre « la part des dons diminue et celle des prêts augmente ». Le remboursement de ces prêts fait qu’une « fraction de plus en plus importante de l’aide financière retourne en fin de compte aux donateurs ». Les pays en voie de développement sont en effet obligés désormais de consacrer une grande partie de l’aide venue des pays riches à « rembourser les prêts antérieurs » contractés auprès de ces mêmes États voire à ne pouvoir payer que les intérêts de leur dette. 3. Léopold Sédar Senghor constate une nette « détérioration des termes de l’échange » : les pays en voie de développement ont de plus en plus de mal à vendre leurs exportations de produits bruts (produits énergétiques, miniers ou agricoles) à un prix convenable et leurs importations de produits manufacturés leur coûtent de plus en plus cher. Les revenus tirés des exportations ne peuvent donc que diminuer. Or la Banque mondiale pensait, au début des années 1960, que ces revenus augmenteraient, permettant ainsi aux pays en développement de s’acquitter de leurs dettes. La chute des prix des produits bruts exportés empêche tout remboursement et oblige même les pays du TiersMonde à solliciter de nouveaux prêts auprès des banques des nations industrialisées pour financer leur dette. Ils finissent donc par être incapables de rembourser l’argent emprunté. 4. La politique d’austérité économique imposée par le FMI et la Banque mondiale aux pays endettés, sous le nom de « programme de stabi- it lisation et d’ajustement structurel » (PAS) est accusée d’accroître la pauvreté des populations. Selon F. Chéru, « les niveaux de vie de la majorité des Africains ont baissé ». Les PAS n’ont pas permis un retour à la croissance économique ni au développement, la majorité des États africains ont « replongé dans des inégalités croissantes, la dégradation écologique, la désindustrialisation et la misère ». Les PAS obligent les États à diminuer leurs dépenses publiques. Certains gouvernements ont dû se retirer « de secteurs clés des services sociaux ». En Afrique subsaharienne, on a donc assisté à un effondrement des systèmes de santé « faute de médicaments », « les écoles manquent de livres » et « les universités souffrent d’une pénurie paralysante de bibliothèques et de laboratoires ». La caricature canadienne accuse ainsi le FMI de travailler à augmenter la pauvreté. 5. Le FMI réfute en bloc ces accusations. Il prétend que s’il demande en effet une diminution des dépenses publiques, il n’impose pas les domaines dans lesquels celle-ci doit avoir lieu. Pour le FMI, « la détermination des dépenses publiques […] des États relève de la souveraineté nationale ». Le FMI se contente d’un « rôle de surveillance et de conseil », les programmes d’ajustement sont conçus par les responsables de chaque pays et appliqués par eux. Le FMI rappelle en outre que la restructuration des entreprises en faillite est nécessaire, même si cela entraîne une augmentation du chômage, afin d’éviter une aggravation de la situation financière des États qui doivent les soutenir. 6. Les pays du Tiers-Monde ont emprunté de manière massive depuis les années 1960. Ils ont pensé que cet argent leur permettrait de moderniser rapidement leur système de production et d’augmenter leur production de produits miniers et agricoles, qui représentaient l’essentiel de leurs exportations. L’augmentation des revenus tirés de la vente de ces produits bruts aux pays industrialisés devait faciliter le remboursement rapide de leurs emprunts. Cependant, la faiblesse de l’aide au développement, la détérioration des termes de l’échange avec notamment une chute des prix des produits d’exportation liée à une offre supérieure à la demande ont mis à mal leurs capacités financières. Les pays en développement ont dû alors emprunter encore e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 201 • plus pour financer leur dette, ce qui les a conduit à une situation de surendettement. Incapables de rembourser leurs prêts, ils ont été contraints de faire appel au FMI et à la Banque mondiale. 7. La Banque mondiale et le FMI ont accepté d’apporter leur concours financier aux pays surendettés, à condition que ces derniers adoptent un programme de stabilisation et d’ajustement structurel. Celui-ci oblige les gouvernements à libéraliser leur économie en privatisant les entreprises d’État, en mettant fin à tout protectionnisme et en dévaluant leur monnaie. Le but du FMI et de la Banque mondiale était d’obtenir ainsi une modernisation rapide du système économique grâce à la concurrence et aux investissements étrangers, une baisse des prix pour favoriser les exportations et donc un redémarrage de la croissance économique. Le FMI et la Banque mondiale ont aussi demandé aux États de diminuer leurs dépenses publiques pour limiter leur déficit budgétaire. Ces programmes n’ont pas eu les effets escomptés : certains États se sont désindustrialisés, la misère a augmenté, alors que les services de santé et d’éducation se sont dégradés avec la baisse drastique des dépenses sociales. � MANUEL PAGES 358-359 Doc. 1. Les revendications du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva (né en 1945) a été le président de la République fédérale du Brésil de 2003 à 2011. Né de parents paysans et analphabètes, il devient ouvrier tourneur puis contremaître. En 1975, il est président du syndicat de la métallurgie. En 1980, il décide de passer du syndicalisme à la politique et fonde le Partido dos Trabalhadores (Parti des travailleurs), d’inspiration socialiste. En 2002, il remporte les élections et devient le premier président brésilien de gauche. Profitant de l’essor économique de son pays, fondé notamment sur l’agriculture et l’agro-industrie, Lula part en guerre contre le protectionnisme des pays industrialisés. Il se présente en leader des pays en voie de développement. • Question 1. Le président du Brésil réclame la fin des « subventions accordées par les pays les • 202 e s s o B it e s s o B 3. Vers une gouvernance économique mondiale (depuis 1995) it plus riches, en particulier dans l’agriculture ». Il accuse ces subventions, qui, selon lui, s’élèvent à « un milliard de dollars par jour », de condamner 900 millions de personnes à la pauvreté. En effet, cette aide financière rend les produits agricoles des pays développés plus compétitifs sur le marché mondial que ceux des pays en voie de développement. Ces derniers ne peuvent donc développer leurs exportations et le sort de leurs paysans se détériore. • Question 2. D’après Lula, la création du G20 en 1999 « a changé les dynamiques des négociations à l’OMC ». En effet, dans ce groupe de discussion influent sont présents des pays émergents comme le Brésil. Ils ont pu exiger que l’OMC discute officiellement des problèmes de développement au cours du cycle de Doha et que des négociations soient ouvertes sur l’agriculture et l’amélioration de l’accès aux marchés des pays riches pour les produits des pays en développement. Cependant les espoirs du président Lula sont illusoires car les réticences des États-Unis et de l’Union européenne ont conduit à l’échec du cycle de Doha. Doc. 2. Le G20 face à la crise financière mondiale • Question. Pour les pays du G20, une des raisons de la crise économique que connaît le monde depuis 2007 est le manque de surveillance des acteurs financiers. Le G20 s’engage donc ici à mieux réglementer le fonctionnement des marchés « afin d’éviter de futures crises ». Le G20 veut « renforcer les normes internationales » et « intensifier la coopération internationale entre régulateurs ». En outre, il s’engage à promouvoir une réforme des institutions issues des accords de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale). Il s’agit de faire en sorte qu’elles « reflètent mieux l’évolution des poids économiques respectifs dans l’économie mondiale ». Les économies émergentes et même les pays les plus pauvres devront pouvoir « mieux faire entendre leur voix et y être mieux représentés ». Doc. 3. Les plaintes déposées auprès de l’OMC • Question. L’OMC est surtout un instrument au service des pays développés, parce que ce sont eux qui déposent le plus de plaintes. En effet, l’ensemble des pays développés représente 66 % des litiges commerciaux qu’a dû régler l’insti© Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 tution depuis sa création. L’Union européenne comme les États-Unis ont déposé environ 22 % des plaintes. L’Afrique en développement qui comprend la plupart des pays les moins avancés du globe n’a jamais pu utiliser l’OMC pour défendre ses intérêts commerciaux. Doc. 4. Les objectifs du millénaire pour le développement • Question. Les objectifs de l’ONU apparaissent extrêmement ambitieux. Elle veut en 15 ans à la fois faire disparaître la faim dans le monde, développer l’éducation primaire, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé et assurer un développement durable. Le tout doit se faire grâce à la coopération internationale ; or l’aide au développement des pays riches reste insuffisante (cf. doc. 3 p. 355). Certains résultats sont encourageants, mais un rapport a constaté l’extrême retard dans la réalisation de la plupart de ces objectifs. En effet, en Afrique subsaharienne plus de 50 % de travailleurs vivent encore avec moins d’un dollar par jour. L’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne restent des zones très touchées par la sous-nutrition infantile. En Afrique subsaharienne, 30 % des personnes contaminées par le VIH ont accès aux antirétroviraux, et dans l’ex-URSS seulement 14 %, etc. (voir le site officiel de l’ONU : http://www.un.org/fr/millenniumgoals/) ◗ Étude it 2. Dans le régime douanier mis en place par l’Union européenne en 1993, il existe deux types d’obstacles à la liberté du commerce. Le premier est la fixation d’un droit de douane. C’est une taxe qui est prélevée sur une marchandise importée lors de son passage à la frontière. En rendant plus chers les produits étrangers sur un marché, cette pratique cherche à en freiner la consommation et à favoriser les productions locales. C’est pourquoi le droit de douane constitue l’un des principaux instruments du protectionnisme. Le deuxième type d’obstacles au libre-échange est la mise en place d’un quota d’importation. À chaque pays, l’Union européenne a alloué une quote-part précise, seule une certaine quantité de bananes provenant d’un État exportateur bénéficie des conditions les plus favorables. 3. Les pays qui déposent la première plainte devant l’OMC sont le Guatemala, le Honduras, le Mexique et les États-Unis. Ils reprochent à l’Union européenne d’avoir mis en place un régime douanier dont les mesures sont « incompatibles avec les obligations qui incombent à la communauté européenne en vertu de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994 ». Il est question ici des accords signés à l’issue du cycle de négociations de l’Uruguay (doc. 3, p. 353). Ce cycle de négociations a abouti à la fondation de l’OMC et à la volonté de développer le libre-échange dans le domaine agricole en mettant fin aux pratiques les plus discriminatoires comme les quotas d’importation. 4. Les pays d’Amérique non ACP sont les principaux producteurs de bananes de la planète. L’Équateur exporte plus de 3,6 millions de tonnes de bananes, la Colombie et le Costa Rica plus de 1 million de tonnes, le Guatemala, le Honduras et Panama plus de 500 000 tonnes. Ils sont donc particulièrement touchés par les restrictions mises en place par l’Union européenne, qui cherche à privilégier les pays ACP. Les bananes non ACP sont plus chères sur le marché européen à cause des droits de douanes plus élevés. Or l’Union européenne est un débouché majeur pour les pays exportateurs, car elle « est le principal marché mondial de la banane ». 5. Les pays d’Amérique latine non ACP ont accentué la pression sur l’Union européenne en s’unissant pour faire entendre leurs revendica- e s s o B it e s s o B La guerre de la banane, un conflit à l’OMC (1995-2009) � MANUEL, PAGES 360-361 Réponses aux questions 1. Les pays ACP bénéficient d’un régime douanier très favorable pour leurs exportations de bananes vers l’Union européenne. Jusqu’à un certain quota, fixé à 947 000 tonnes en 1993, ils ne paient pas de droits de douane. Les pays non ACP, eux, doivent verser une taxe de 100 euros par tonne jusqu’à un quota de 1,91 million de tonnes. Lorsque la quantité de bananes exportées est supérieure aux quotas fixés par l’Union européenne, les pays ACP disposent encore d’un avantage. Ils acquittent un droit de douane inférieur de 100 euros à celui que payent les pays non ACP. © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 203 • tions. Ils ont ainsi organisé plusieurs sommets, notamment à Quito (Équateur) en janvier 2005, pour médiatiser leur lutte et discuter des propositions de l’UE au sujet de la réforme de son tarif douanier. Leur refus unanime de ce projet leur a permis de faire condamner l’Union européenne devant l’OMC en 2005. Ils ont en effet jugé que le nouveau régime douanier que voulaient mettre en place les Européens n’était pas satisfaisant. 6. La guerre de la banane s’est terminée en 2009. Un accord a alors été signé entre l’Union européenne, les pays latino-américains non ACP et les États-Unis. L’UE s’engage à « réduire progressivement ses droits d’importation sur les bananes en provenance d’Amérique latine […] ce qui rendra les bananes d’Amérique latine plus compétitives sur le marché de l’U.E. » En échange, les pays latino-américains ont promis de « mettre fin aux litiges en suspens introduits auprès de l’OMC ». 7. Le rôle de l’OMC a été central dans le règlement du conflit commercial qui s’est déroulé entre, d’une part, l’Union européenne et, d’autre part, les États-Unis et les pays latino-américains exportateurs de bananes. Ces derniers reprochaient à l’Europe de privilégier les importations en provenance des pays ACP en ne respectant pas les règles du commerce international décidées en 1994 lors de l’Uruguay round. L’existence depuis cette date d’un processus de règlement des différends a permis aux États-Unis et aux principaux pays exportateurs de bananes de faire condamner plusieurs fois l’Union européenne par l’OMC. Celle-ci a ainsi autorisé les plaignants à prendre des sanctions, ils ont alors augmenté leurs droits de douane sur certains produits européens. Ces mesures ont été suffisantes pour conduire l’Union européenne à réformer son régime douanier. Cependant, cette guerre de la banane a duré 14 ans, ce qui en fait le plus long conflit commercial de l’histoire de l’OMC. La solution n’a été en effet trouvée par un accord entre les différents partis qu’après d’âpres discussions et a nécessité la pression conjointe de tous les grands pays exportateurs de bananes d’Amérique latine qui se sont associés aux États-Unis, première puissance économique de la planète. Cette guerre commerciale montre donc que le rôle de l’OMC se limite à favoriser les négociations it entre les États, que les sanctions qu’elle autorise peuvent mettre très longtemps à avoir un effet et enfin que les plaignants doivent mobiliser d’importants moyens pour se faire entendre. e s s ◗ Étude L’altermondialisme, le désir d’une autre gouvernance économique mondiale � MANUEL, PAGES 362-363 o B it e s s o B • 204 Réponses aux questions 1. Le Forum social mondial est la réponse du mouvement altermondialiste au forum de Davos, la réunion annuelle des décideurs politiques et économiques de la planète qui s’emploie à favoriser la mondialisation libérale. Le Forum social mondial a pour but de faire se rencontrer des organisations du monde entier « qui s’opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital ». Il s’agit d’envisager des solutions alternatives, le Forum social se présente donc comme un « espace ouvert de rencontres pour l’approfondissement de la réflexion, le débat démocratique d’idées, la formulation de propositions ». 2. Le manifeste des intellectuels et la charte du Forum social insistent tous deux sur la nécessité de trouver de « nouvelles règles de l’économie ». L’objectif principal est de construire « une société planétaire centrée sur l’être humain » et de faire « respecter le droit à la vie pour tous les êtres humains ». Ce projet est fondé sur le refus des « règles libre-échangistes de l’OMC » et le « processus de globalisation capitaliste commandé par les grandes entreprises multinationales et par les gouvernements et institutions internationales au service des intérêts de celles-ci ». Les deux textes mettent en avant les principes d’égalité, de justice sociale, de souveraineté des peuples et de protection de l’environnement. 3. Le manifeste demande aux pays développés de faire d’importants efforts financiers en faveur des États en développement : il veut l’annulation de la dette publique des pays du Sud, il exige une augmentation de l’aide publique au développement, celle-ci devant atteindre 0,7 % des PIB des pays riches comme le réclame l’ONU. Ces derniers doivent aussi accepter de taxer les transactions financières, les ventes d’armes et les « activités à fortes émissions de gaz à effet de serre ». Enfin, © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 l’Union européenne et les États-Unis doivent cesser de subventionner leurs exportations agricoles. Quant à l’OMC, le libre-échange ne doit plus être son seul dogme. Elle doit favoriser le « commerce équitable » et ne doit pas intervenir dans le domaine de l’éducation, de la santé, des services sociaux et de la culture. 4. Les altermondialistes cherchent à donner un impact médiatique à leurs idées afin de convaincre l’opinion publique. C’est une des raisons qui expliquent l’organisation d’un Forum social mondial ou la rédaction par des intellectuels célèbres (dont deux prix Nobel) d’un manifeste. Les altermondialistes organisent aussi de nombreuses manifestations sur des thèmes qui leur sont chers. En 2009, plus de 1 000 personnes se réunissent ainsi pour former l’expression « Sauver l’Amazonie » près de Bélem au Brésil. Les organisateurs espèrent que la photographie aérienne de cette action spectaculaire et inédite sera publiée dans les médias du monde entier. Chaque sommet d’une des grandes organisations de coopération économique est aussi l’occasion pour les altermondialistes de se réunir pour protester. En 1999, au sommet de l’OMC à Seattle, leur manifestation a dégénéré : elle a conduit à de violents affrontements entre la police et les altermondialistes. 5. Le journaliste du Quotidien d’Oran souligne que le mouvement altermondialiste souffre « d’insurmontables contradictions ». Les forums sociaux ne sont que des « happenings sans substance » qui ne réunissent que des « militants professionnels ». Les divisions entre eux sont telles que ces forums n’aboutissent qu’à « des déclarations vagues et sans commune mesure avec les défis qui pèsent sur la paix du monde ». 6. Cette photographie évoque le problème de la déforestation de l’Amazonie. En effet l’exploitation économique de cette région conduit à la destruction du milieu de vie traditionnel des tribus indiennes et à la disparition progressive d’une forêt à la très riche biodiversité, considérée comme « le poumon du globe ». Les manifestants veulent le respect des principes du développement durable, c’est-à-dire d’une conception de l’exploitation économique qui prenne en compte les aspects environnementaux et sociaux. Il faut répondre aux besoins des populations du présent sans compromettre ceux des générations futures it en préservant l’environnement et le juste accès aux ressources naturelles. Chaque être humain doit donc avoir accès aux ressources naturelles de la Terre et leur utilisation par l’homme doit veiller à en assurer la pérennité pour les générations futures. 7. Pour les altermondialistes, la gouvernance économique telle qu’elle est voulue par les grandes organisations internationales, les États et les multinationales, ne fait qu’approfondir les inégalités, tout en mettant en danger l’avenir de la planète. L’altermondialisme refuse que le fonctionnement de l’économie mondiale privilégie le libre-échange et laisse les entreprises accaparer et surexploiter les ressources naturelles de la Terre. Les gouvernements et les organismes internationaux doivent imposer aux acteurs économiques des règles strictes : il faut davantage préserver l’environnement et défendre les intérêts des plus démunis. Ce n’est pas la croissance économique qui doit être au centre des préoccupations mais le développement durable et la justice sociale. Il faut une mondialisation plus maîtrisée et solidaire. Cependant, le mouvement altermondialiste regroupe des personnes et des organisations d’horizons très divers, dont le seul point commun est le refus de la mondialisation libérale ; il peine donc à défendre un projet vraiment cohérent de gouvernance mondiale. e s s o B it e s s o B © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 ◗ BAC Étude critique de document Étudier un article de presse � MANUEL, PAGES 366-367 RÉPONSES AUX QUESTIONS des encadrés Sujet : La gouvernance économique mondiale au début du XXIe siècle. 1. Comme l’ONU, l’OMC est une organisation intergouvernementale. 2. Le GATT est un accord général sur les tarifs douaniers et le commerce négocié en 1947. L’OMC, qui prend sa suite, entame le cycle de négociations de Doha (Qatar) en 2001. Ces négociations ont pour objectif de faciliter l’accès par les PED aux marchés des pays riches et concernent surtout l’agriculture. 3. Cette lenteur s’explique notamment par le refus des États-Unis et de l’UE de baisser les subventions accordées à leurs agriculteurs. 205 • 4. Ces subventions empêchent les agriculteurs des pays en développement ou émergents d’être compétitifs face à ceux des pays riches. 5. Les ONG, le groupe de Cairns et les pays ACP, ont des intérêts communs dans leur lutte contre les politiques agricoles de Washington et Bruxelles. Cependant certains de ces pays sont déjà de grandes puissances agricoles tandis que d’autres sont des PMA. 6. Un contre sommet est une réunion altermondialiste organisée pour diffuser des idées qui s’opposent à celles défendues pendant le sommet qui se tient au même moment. 7. Le lectorat visé est de droite et d’un niveau socio-culturel plutôt élevé. Formé de nombreux cadres et chefs d’entreprises, les questions économiques lui sont familières. BAC BLANC e s s ◗ BAC BLANC Étude critique de documents � MANUEL, PAGE 368 Sujet : La gouvernance économique mondiale et la question de la dette africaine. Thomas Sankara dirige le Burkina Faso de 1983 à son assassinat en 1987. Porté au pouvoir par une révolution marxiste, il est anti-impérialiste et panafricaniste. C’est lui qui fait changer le nom de la Haute-Volta en Burkina Faso (pays des hommes intègres), indépendant depuis 1960. Ce discours est prononcé trois mois avant son assassinat lors du coup d’État qui porte au pouvoir Blaise Compaoré. Dans ce discours, Thomas Sankara reprend des thèmes qui lui sont chers. Il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme, phénomènes pour lui à l’origine de la dette africaine. Il reproche aux pays du Nord, « ces assassins techniques », d’avoir « proposé des sources de financement […] des montages financiers alléchants, des dossiers ». Le document 2 montre qu’entre 1970 et 1987, date du discours, la dette du pays a été multipliée par 25 passant de 20 à plus de 500 millions de dollars. En 2005, elle atteint les 2 milliards. La solution prônée par le président, et qui semble plaire à son auditoire, est, tout simplement et de manière révolutionnaire, de cesser de payer la dette. Elle ne sera cependant pas retenue. En 2005, on constate que grâce à l’intervention du FMI et de la Banque mondiale, la dette du pays baisse de manière significative, presque de moitié. Cependant, elle remonte en 4 ans pour retrouver son niveau antérieur. Ce phénomène montre les limites d’une gouvernance mondiale qui ne permet qu’un allègement très ponctuel. Les organisations internationales n’ont pas réussi à régler le problème structurel de la dette africaine. o B it e s s o B Sujet : Gouvernance mondiale et la crise de la dette en 1998. La crise économique touche les pays du sudest asiatique à partir de l’été 1997. Cette crise a diminué en quelques mois de moitié la valeur de la roupie par rapport au dollar, la hausse des prix a atteint plus de 50 % en avril et le chômage explose. Ce document permet d’aborder le rôle du FMI face à la dette des pays en développement. L’organisme international prête de l’argent à l’Indonésie, mais exige en échange une politique de rigueur et des réformes structurelles. Or, si l’accord a été « renégocié pour la troisième fois en l’espace de six mois », c’est que le président Suharto tarde à les appliquer, notamment celles qui « portent atteinte aux privilèges de (sa) famille ». Suharto est à la tête depuis 1967 d’un État corrompu et clientéliste. Ce document ne met pas en avant les autres demandes du FMI, qui réclame le démantèlement de certains monopoles, la fermeture de banques, le licenciement de nombreux fonctionnaires et l’ouverture économique. Cette politique de rigueur est ensuite reconnue comme en partie inadaptée et ayant aggravé la pauvreté. En mai 1998, Michel Camdessus, directeur du Fonds monétaire international, est classé par le magazine Asiaweek au premier rang des 50 personnalités les plus puissantes d’Asie (le président chinois Jiang Zeming descend alors à la seconde place). À la fin du même mois, Suharto • 206 it est poussé à la démission par des émeutes à Jakarta et quitte le pouvoir. ◗ BAC BLANC � MANUEL, PAGE 369 • Composition Sujet 1 : L’approfondissement de la gouvernance économique mondiale depuis 1995 (réalités et limites) © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 Proposition de plan : I. Une meilleure organisation du commerce mondial ? II. La multiplication des contestations et des crises. III. Vers une redéfinition des règles économiques. Sujet 2 : La gouvernance économique mondiale de 1944 à 1995. Proposition de plan : I. Les débuts de la coopération économique mondiale (1944-fin des années 1960). II. La coopération économique mondiale en temps de crise (des années 1970 à 1995). • Étude critique de document it nisation mondiale du commerce contre plusieurs pays européens qui refusent, en 1996 en pleine crise de la vache folle, l’accès à leurs marchés du bœuf aux hormones américain. En 1997, l’OMC condamne l’Union européenne, qui fait appel de la décision. La longueur des procédures s’explique par la difficulté pour les Européens de faire reconnaître la nocivité de ces hormones. Les études scientifiques se contredisent et l’article précise que l’Europe ne se fonde pas sur les mêmes études que les Américains. D’autre part, le principe de précaution, sur lequel se fonde l’Europe pour refuser le bœuf aux hormones, n’est pas interprété de la même manière en Amérique. Ce principe n’a d’ailleurs pas été retenu dans le traité de Marrakech qui institue l’OMC. Il est souvent perçu de l’autre côté de l’Atlantique comme une résistance au changement. Seuls la France, l’Allemagne et le Brésil l’ont reconnu comme un principe constitutionnel. Dans le cas du bœuf aux hormones, les Européens refusent de céder et le litige est réglé par des sanctions commerciales imposées aux Européens. e s s o B it e s s o B Sujet : OMC et gouvernance économique mondiale. Ce document permet de mettre en valeur le rôle de l’OMC dans le règlement des litiges commerciaux entre ses États membres. Le conflit du bœuf aux hormones, à l’instar de la guerre de la banane, est un des plus longs conflits commerciaux de l’histoire de l’OMC. Le Canada et les États-Unis portent plainte auprès de l’Orga- © Nathan. Histoire Terminales L/ES Le Quintrec, 2012 207 •