Dossier thématique
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 5 - octobre 2006
pertes fécales postdéfécatoires régulières qui la soucient peu
échapperont-elles au recensement du symptôme. En cela,
une définition reposant sur un score offre une démarche à
la fois plus scientifique (quantification de la plainte) mais
aussi plus réductrice par rapport à la description isolée des
pertes et de leur fréquence. Réalisée durant la même période
que celle menée en Région Rhône-Alpes, une autre enquête
française par questionnaire auto-administré quantifie la
prévalence des plaintes et leurs associations au sein d’une
large population (7) [encadré]. S’il est difficile de s’accorder
sur la définition de l’incontinence (score minimal, nature
fécale de la perte, fréquence des pertes), on peut aujourd’hui
retenir que l’incontinence “préoccupante” concerne 5 à 6 %
des personnes interrogées (3, 6-8).
RECUEIL ET RECONNAISSANCE DE LA PLAINTE
La méthode d’interrogation doit reposer sur l’utilisation de
questionnaires, et idéalement de questionnaires auto-admi-
nistrés, parce que le colloque singulier ne semble pas encore
constituer la démarche optimale pour le dépistage des trou-
bles de la continence. Les médecins méconnaissent la plainte
dans 85 % des cas à l’issue de la consultation (6). L’absence de
reconnaissance du handicap par le médecin peut clairement
s’expliquer par la méconnaissance que celui-ci a du trouble et
par l’estimation imparfaite qu’il fait de sa gravité, ou encore
par le peu d’intérêt qu’il porte à la prise en charge diagnos-
tique ou thérapeutique des troubles fonctionnels anorectaux.
Cependant, on peut douter qu’il s’agisse de l’explication la plus
plausible, tant les gynécologues-obstétriciens et les gastroen-
térologues sont actuellement sensibilisés aux troubles de la
continence fécale, a fortiori dans le contexte d’une étude pros-
pective (6). Dans un pays où le recours aux soins est facilité,
il est possible que le symptôme ne soit pas évoqué par honte,
ambiguïté orificielle ou fatalité : les deux tiers à trois quarts
des femmes souffrant d’incontinence après un accouchement
n’évoquent pas ce symptôme avec leurs conseillers médicaux
dans des pays aussi différents que les États-Unis ou l’Arabie
saoudite (9-11).
Un message important des travaux conduit au développement
de questionnaires auto-administrés (6, 7). Leur recours est
justifié dans une enquête de population adressée par voie
postale. En revanche, leur utilisation en pratique de soin
l’est moins. Pourtant, la différence d’appréciation de la
plainte, selon qu’elle est recueillie par autoquestionnaire ou
lors du colloque singulier de la consultation, est telle qu’il
devient justifié de recourir à ces deux approches dans un
souci d’exhaustivité et de complémentarité. Cette démarche
dépasse le contexte de la recherche clinique quand elle a
pour objectif de dépister un symptôme difficile à évoquer
ou lorsqu’on souhaite en apprécier le retentissement sur la
qualité de vie.
AUDELÀ DE LA PLAINTE, LES ASSOCIATIONS
SYMPTOMATIQUES ET LEUR RETENTISSEMENT
La perplexité dans laquelle nous plongent les publications
concernant le diagnostic ou la prise en charge thérapeu-
tique de l’incontinence est liée au fait que l’on s’attache à
la description non d’une maladie mais d’un symptôme et,
qui plus est, d’un symptôme rarement isolé. Dans l’en-
quête nationale française, les troubles de l’évacuation rectale
sont présents chez les deux tiers au moins des inconti-
nents fécaux. À l’inverse, les troubles de la continence sont
présents chez plus d’une personne sur deux souffrant de
trouble de l’évacuation (encadré) [7]. Ces constats doivent
désormais inciter à prendre en considération non un symp-
tôme isolé mais un cadre syndromique plus large (troubles
fonctionnels anorectaux), à l’instar du syndrome de l’intestin
irritable. Dans les deux études françaises, l’incontinence
est associée à un retentissement marqué sur la qualité de
vie, sans qu’il soit facile de dire si ce retentissement est lié
à la présence même de l’incontinence ou à l’association des
troubles (6, 7). L’expérience passée d’un centre référent pour
la prise en charge des troubles fonctionnels anorectaux a pu
montrer que la qualité de vie était également affectée chez
les malades qui souffrent d’un trouble de la continence fécale
ou d’une constipation (1). Le paradoxe que constituent le
retentissement du handicap (qualité de vie), d’une part, et
le faible recours aux soins, d’autre part, doit inciter à une
lecture plus critique des études publiées. Ainsi, les malades
qui consultent les centres de référence le font-ils parce que
leur qualité de vie est particulièrement altérée ? De même,
ceux qui répondent aux enquêtes ne sont-ils pas ceux qui
sont les plus sensibilisés ou les plus affectés par le handicap
de l’incontinence (1, 6) ?
AUDELÀ DE LA PLAINTE, LES MÉCANISMES
Même si la prévalence de l’incontinence fécale est plus élevée
chez la femme que chez l’homme dans certaines études (6),
seules 10 % des personnes interrogées incriminent l’accou-
chement et 70 % ne trouvent aucune cause évidente à la
survenue de leur symptôme. Aussi peu scientifique que soit
cette démarche, elle respire le bon sens et est un excellent
miroir de la perception rencontrée au gré des consultations
pour ce motif. Le clinicien que l’incontinence interpelle à
travers ses lectures scientifiques doit raison garder et éviter
de diaboliser la période de l’accouchement que tant d’études
monocentriques biaisées médiatisent (4). On peut modes-
tement espérer que la reconnaissance du handicap par les
institutions et par les médias facilitera l’accès aux soins : la
proportion de personnes incontinentes qui consultent pour
ce motif semble avoir augmenté dans l’intervalle de 14 ans qui
sépare la publication des deux études nationales françaises
(3, 7). C’est une première donnée encourageante… n