Incontinence D o s s i e r t h... Coordination et rédaction : Pr L. Siproudhis (Rennes)

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Dossier thématique
D ossier thématique
Incontinence
Coordination et rédaction : Pr L. Siproudhis (Rennes)
 Définition et prévalence
230
Definition and prevalence
 Pathogénie de l’incontinence
234
Pathogenesis
 Quantifier les plaintes
238
Quantifying the trouble
 Explorations fonctionnelles anorectales dans le bilan d’une incontinence fécale
243
Physiological evaluation of faecal incontinence
 Traitement non chirurgical
251
Non surgical treatment options
 Réparations sphinctériennes
255
Sphincter repair
 Les nouveaux enjeux thérapeutiques de l’incontinence fécale
258
New goals to treat faecal incontinence
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 5 - octobre 2006
229
Dossier thématique
D ossier thématique
Définition et prévalence
Definition and prevalence
 Points forts
 L’incontinence fécale préoccupante concerne au minimum
un français sur vingt (hors institution et contexte neuro­
psychique).
 Les associations symptomatiques sont fréquentes : près
de la moitié des personnes souffrant d’incontinence sont
également constipées.
 Le dépistage des troubles de la continence doit en pratique
clinique reposer plus sur des questionnaires auto-administrés
que sur la consultation avec le praticien.
 Le recours aux soins pour prise en charge de l’incontinence
est encore trop peu fréquent.
Mots-clés : Incontinence fécale – Prévalence – Qualité de
vie – Dyschésie.
Keywords: Faecal incontinence – Prevalence – Quality of life
– Dyschezia.
celle des thérapeutes à rechercher un handicap dont ils ont
des difficultés à assurer la prise en charge (5). L’analyse des
plaintes, celle des associations symptomatiques et la nature
de la demande de soins peuvent, à ce titre, répondre à un
besoin en matière à la fois d’épidémiologie et de connaissance du handicap.
Une étude récente réalisée en Région Rhône-Alpes quantifie
la prévalence d’un symptôme, après analyse des réponses à
un questionnaire auto-administré adressé par voie postale
à un échantillon représentatif de la population régionale, et
en précise le contexte de survenue et le retentissement. Elle
analyse enfin, auprès d’un groupe de malades consultant
un spécialiste en gynécologie ou en gastro-entérologie, la
perception qu’a le praticien de la plainte. H. Damon et al.
confirment ainsi, dans l’analyse de cette double enquête, que
le symptôme d’incontinence fécale est fréquent (sinon très
fréquent), qu’il est associé à une altération de la qualité de
vie et que le spécialiste consulté ne dépiste l’incontinence
qu’une fois sur sept (6).
Définitions et prévalence de la plainte
L
es troubles de la continence et de la défécation
sont des symptômes assez fréquemment rapportés
chez les personnes qui consultent en proctologie et
dans les unités de soins spécialisés (1, 2). En revanche, les
données épidémiologiques françaises sont peu nombreuses,
et l’analyse des filières de prise en charge est imprécise
(3). Par ailleurs, il est rarement fait état des associations
symptomatiques, parce que le thérapeute considère, à tort
ou à raison, que les malades ont habituellement un seul
type de plainte qui motive l’avis médical. On fait le plus
souvent état de tableaux cliniques jugés typiques sur la
base des données publiées d’études monocentriques dont
les biais de recrutement et d’analyse sont nombreux : cette
perception peut conduire à des jugements biaisés dans des
situations d’analyse aussi complexes que celles des troubles
fonctionnels anorectaux après accouchement (4). Finalement, les plaintes fonctionnelles anorectales sont souvent
sous-estimées, du fait de la réticence qu’ont les personnes
malades à évoquer des symptômes jugés dégradants et de
230
Lorsqu’on souhaite apprécier la prévalence d’une plainte
dans un champ considéré, l’une des grandes difficultés réside
dans la définition de cette plainte. L’incontinence n’échappe
pas à la règle : elle plonge le lecteur critique d’une littérature
aujourd’hui abondante dans une certaine perplexité, parce
qu’il existe presque autant de définitions de l’incontinence
que d’études publiées. La comparaison des études est de
ce fait très difficile, et la prévalence de l’incontinence est
éminemment variable. En prenant en considération toute
perte anale incontrôlée, la prévalence du symptôme est
très élevée (34,6 %), et le symptôme est fréquent (13 % des
patients ont au moins un accident d’incontinence hebdomadaire) [6]. De ce fait, certains proposent une nouvelle
définition de l’incontinence reposant sur un score symptomatique minimal (supérieur ou égal à 5), fondé lui-même
sur la nature et la fréquence des pertes, ainsi que sur leur
retentissement sur la qualité de vie. Cette nouvelle définition
expose à un risque de sous-estimation de la prévalence des
plaintes. Ainsi, une enseignante ayant une incontinence
aux gaz occasionnelle avec un retentissement important
sur la qualité de vie ou encore une personne âgée ayant des
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 5 - octobre 2006
pertes fécales postdéfécatoires régulières qui la soucient peu
échapperont-elles au recensement du symptôme. En cela,
une définition reposant sur un score offre une démarche à
la fois plus scientifique (quantification de la plainte) mais
aussi plus réductrice par rapport à la description isolée des
pertes et de leur fréquence. Réalisée durant la même période
que celle menée en Région Rhône-Alpes, une autre enquête
française par questionnaire auto-administré quantifie la
prévalence des plaintes et leurs associations au sein d’une
large population (7) [encadré]. S’il est difficile de s’accorder
sur la définition de l’incontinence (score minimal, nature
fécale de la perte, fréquence des pertes), on peut aujourd’hui
retenir que l’incontinence “préoccupante” concerne 5 à 6 %
des personnes interrogées (3, 6-8).
Recueil et reconnaissance de la plainte
La méthode d’interrogation doit reposer sur l’utilisation de
questionnaires, et idéalement de questionnaires auto-administrés, parce que le colloque singulier ne semble pas encore
constituer la démarche optimale pour le dépistage des troubles de la continence. Les médecins méconnaissent la plainte
dans 85 % des cas à l’issue de la consultation (6). L’absence de
reconnaissance du handicap par le médecin peut clairement
s’expliquer par la méconnaissance que celui-ci a du trouble et
par l’estimation imparfaite qu’il fait de sa gravité, ou encore
par le peu d’intérêt qu’il porte à la prise en charge diagnostique ou thérapeutique des troubles fonctionnels anorectaux.
Cependant, on peut douter qu’il s’agisse de l’explication la plus
plausible, tant les gynécologues-obstétriciens et les gastroentérologues sont actuellement sensibilisés aux troubles de la
continence fécale, a fortiori dans le contexte d’une étude prospective (6). Dans un pays où le recours aux soins est facilité,
il est possible que le symptôme ne soit pas évoqué par honte,
ambiguïté orificielle ou fatalité : les deux tiers à trois quarts
des femmes souffrant d’incontinence après un accouchement
n’évoquent pas ce symptôme avec leurs conseillers médicaux
dans des pays aussi différents que les États-Unis ou l’Arabie
saoudite (9-11).
Un message important des travaux conduit au développement
de questionnaires auto-administrés (6, 7). Leur recours est
justifié dans une enquête de population adressée par voie
postale. En revanche, leur utilisation en pratique de soin
l’est moins. Pourtant, la différence d’appréciation de la
plainte, selon qu’elle est recueillie par autoquestionnaire ou
lors du colloque singulier de la consultation, est telle qu’il
devient justifié de recourir à ces deux approches dans un
souci d’exhaustivité et de complémentarité. Cette démarche
dépasse le contexte de la recherche clinique quand elle a
pour objectif de dépister un symptôme difficile à évoquer
ou lorsqu’on souhaite en apprécier le retentissement sur la
qualité de vie.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 5 - octobre 2006
Au-delà de la plainte, les associations
symptomatiques et leur retentissement
La perplexité dans laquelle nous plongent les publications
concernant le diagnostic ou la prise en charge thérapeutique de l’incontinence est liée au fait que l’on s’attache à
la description non d’une maladie mais d’un symptôme et,
qui plus est, d’un symptôme rarement isolé. Dans l’enquête nationale française, les troubles de l’évacuation rectale
sont présents chez les deux tiers au moins des incontinents fécaux. À l’inverse, les troubles de la continence sont
présents chez plus d’une personne sur deux souffrant de
trouble de l’évacuation (encadré) [7]. Ces constats doivent
désormais inciter à prendre en considération non un symptôme isolé mais un cadre syndromique plus large (troubles
fonctionnels anorectaux), à l’instar du syndrome de l’intestin
irritable. Dans les deux études françaises, l’incontinence
est associée à un retentissement marqué sur la qualité de
vie, sans qu’il soit facile de dire si ce retentissement est lié
à la présence même de l’incontinence ou à l’association des
troubles (6, 7). L’expérience passée d’un centre référent pour
la prise en charge des troubles fonctionnels anorectaux a pu
montrer que la qualité de vie était également affectée chez
les malades qui souffrent d’un trouble de la continence fécale
ou d’une constipation (1). Le paradoxe que constituent le
retentissement du handicap (qualité de vie), d’une part, et
le faible recours aux soins, d’autre part, doit inciter à une
lecture plus critique des études publiées. Ainsi, les malades
qui consultent les centres de référence le font-ils parce que
leur qualité de vie est particulièrement altérée ? De même,
ceux qui répondent aux enquêtes ne sont-ils pas ceux qui
sont les plus sensibilisés ou les plus affectés par le handicap
de l’incontinence (1, 6) ?
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Au-delà de la plainte, les mécanismes
Même si la prévalence de l’incontinence fécale est plus élevée
chez la femme que chez l’homme dans certaines études (6),
seules 10 % des personnes interrogées incriminent l’accouchement et 70 % ne trouvent aucune cause évidente à la
survenue de leur symptôme. Aussi peu scientifique que soit
cette démarche, elle respire le bon sens et est un excellent
miroir de la perception rencontrée au gré des consultations
pour ce motif. Le clinicien que l’incontinence interpelle à
travers ses lectures scientifiques doit raison garder et éviter
de diaboliser la période de l’accouchement que tant d’études
monocentriques biaisées médiatisent (4). On peut modestement espérer que la reconnaissance du handicap par les
institutions et par les médias facilitera l’accès aux soins : la
proportion de personnes incontinentes qui consultent pour
ce motif semble avoir augmenté dans l’intervalle de 14 ans qui
sépare la publication des deux études nationales françaises
(3, 7). C’est une première donnée encourageante…
n
231
Dossier thématique
D ossier thématique
232

Encadré
Les troubles fonctionnels anorectaux :
un handicap fréquent mais trop rarement évoqué
Siproudhis L, Pigot F, Godeberge P et al. Defecation disorders: a French population survey.
Dis Colon Rectum 2006; 49:219-27.
Une enquête française par questionnaire
auto-administré (31 items) adressé par voie
postale s’est attachée à préciser les principaux symptômes anorectaux survenus
dans l’année qui a précédé l’envoi du
questionnaire : 10 000 personnes de plus
de 15 ans représentatives de la population française ont été sollicitées en mai
2003, et 7 196 questionnaires retournés
ont pu être analysés. Les troubles fonctionnels anorectaux concernaient plus
d’une personne sur quatre : des troubles
de la continence étaient rapportés par
17 % (N = 1 208) des personnes interrogées et des troubles de l’évacuation par
22 % (N = 1 611). Les éléments marquants
des résultats concernent la fréquence des
associations symptomatiques, le retentissement symptomatique sur la qualité de
vie et le caractère limité de la demande de
prise en charge médicale. Les principales
associations symptomatiques sont rapportées dans les tableaux I et II : les troubles
de l’évacuation rectale sont présents chez
les deux tiers au moins des incontinents
fécaux. À l’inverse, les troubles de la
continence sont présents chez plus d’une
personne sur deux souffrant de trouble
de l’évacuation. Les troubles fonctionnels
rencontrés sont au moins hebdomadaires
dans 7 à 34 % des cas (tableau III). Ils sont
au moins mensuels chez la moitié des
patients, pour trois quarts des personnes
pour qui les signes d’incontinence (aux
gaz et aux selles respectivement) représentent la plainte proctologique principale
et chez près de la moitié des sujets pour
lesquels les troubles d’évacuation sont
prédominants. Le retentissement sur la
qualité de vie est plus prononcé en cas
de trouble fonctionnel proctologique
que lorsqu’il s’agit d’une autre plainte
anorectale (saignement, démangeaisons,
douleurs, procidence) : celui-ci est particulièrement marqué en cas de trouble de la
continence. Pour autant, la demande de
Tableau I. Prévalence et association des troubles fonctionnels de la continence et de la
défécation.
Difficultés
d’évacuation
Évacuation
incomplète
Incontinence
aux gaz
Incontinence
aux selles
1 448 (%)
963 (%)
1 156 (%)
513 (%)
Difficultés/ évacuation
-
801 (83,1)
725 (62,7)
424 (82,6)
Évacuation
incomplète
801 (55,3)
-
578 (50,0)
395 (77,0)
Incontinence/gaz
725 (50,0)
578 (60,0)
-
461 (80,9)
Incontinence/
selles
424 (29,3)
395 (41,0)
461 (39,0)
-
Dyschésie
1 448 (100)
963 (100)
773 (66,9)
438 (85,4)
Incontinence
743 (51,3)
590 (61,3)
1156 (100)
513 (100)
N
Tableau II. Signes proctologiques autres associés aux troubles fonctionnels de la
continence et de la défécation.
Difficultés
d’évacuation
Évacuation
incomplète
Incontinence
aux gaz
Incontinence
aux selles
N
1 448 (%)
963 (%)
1 156 (%)
513 (%)
Douleurs défécatoires
939 (64,9)
683 (70,9)
705 (61)
442 (82,4)
Douleurs non liées à la défécation
569 (39,3)
495 (51,4)
516 (44,7)
385 (75,2)
Prurit
799 (55,1)
620 (64,3)
747 (64,6)
433 (84,4)
Saignement
759 (52,4)
560 (58,2)
594 (51,4)
404 (78,8)
Procidence
616 (42,5)
512 (53,2)
529 (45,8)
385 (75,0)
Suintement
415 (28,7)
383 (39,8)
432 (37,3)
378 (73,7)
Tableau III. Fréquence des troubles de la continence et de la défécation.
Difficultés
d’évacuation
Évacuation
incomplète
Incontinence
aux gaz
Incontinence
aux selles
N
1 448 (%)
963 (%)
1 156 (%)
513 (%)
1/jour ou plus
89 (6,1)
41 (4,3)
170 (14,7)
11 (2,2)
289 (19,9)
130 (13,4)
229 (19,8)
25 (4,8)
1/semaine au moins
1/mois au moins
434 (30,0)
240 (24,9)
277 (24,0)
41 (8,0)
Plus d’1/mois
603 (41,7)
535 (55,5)
456 (39,7)
420 (82,0)
33 (2,3)
18 (1,9)
23 (2,0)
15 (2,9)
NC
soins et de prise en charge médicale reste
perfectible : 58 % des personnes ayant
un trouble fonctionnel proctologique
n’ont jamais consulté pour ce motif, et
tout particulièrement celles qui souffrent
d’incontinence (67 %). Dans la moitié des
cas, il n’a été proposé aucune exploration
complémentaire à celles qui ont consulté :
les examens d’exploration fonctionnelle
(défécographie, échographie et manométrie) ne sont réalisés que dans 0,3 à
3,6 % des cas. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 5 - octobre 2006
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