Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 3 - septembre 2001
Ph. Godeberge* et ** J.M. Canard**
Endoscopie et polypes malins
endoscopie joue un rôle clé dans la
prise en charge des polypes malins
du côlon et du rectum. Elle intervient à
toutes les étapes de la prise en charge :
– diagnostique, en restant la méthode la
plus fiable de détection des lésions en
saillie ;
– thérapeutique, au mieux en assurant
l’exérèse des lésions polypoïdes, au mini-
mum en guidant la stratégie ultérieure (1)
;
– et de surveillance, après traitement.
L’endoscopie colique a ainsi montré son
efficacité dans la réduction de l’incidence
du cancer colo-rectal et dans l’allongement
de sa survie (2). La prise en charge endo-
scopique des polypes malins pose néan-
moins des problèmes spécifiques.
La décision de polypectomie est prise en
cours de procédure ; y a-t-il des arguments
endoscopiques permettant de préjuger de
la nature histologique du polype ? La
réponse à cette question permet d’amélio-
rer la pertinence de la décision immédiate,
en évitant soit de retirer un polype pour
lequel un geste complémentaire ultérieur
sera de toute façon nécessaire, soit de
renoncer à la polypectomie faisant prendre
le risque d’une morbidité chirurgicale
injustifiée.
L’attitude finale ne sera néanmoins souvent
déterminée qu’après le recueil de multiples
informations, dont l’analyse histologique
rigoureuse du polype. L’endoscopie doit
également permettre une localisation pré-
cise de la zone d’implantation du polype,
en sachant que l’approximation endosco-
pique n’est pas compatible avec la chirur-
gie, et qu’en cas de petit polype, la cicatri-
sation de la zone de polypectomie ne
permet pas de repérage secondaire, même
avec une coloscopie peropératoire.
AVANT LA POLYPECTOMIE
Lors de la découverte d’une lésion en
saillie (polype sessile ou pédiculé), quelle
que soit sa taille, il n’y a pas de critère
absolu permettant de préjuger de sa nature
histologique ni a fortiori d’évaluer le degré
d’infiltration d’un éventuel carcinome
débutant (3). Cette affirmation sera peut-
être tempérée à l’avenir par l’usage plus
large des colorants (chromoscopie), la dif-
fusion des endoscopes avec zoom et
l’amélioration des connaissances mor-
phologiques de ces cancers dits précoces,
notamment dans leurs formes planes.
Actuellement, l’endoscopiste peut se
fonder sur plusieurs données afin d’opter
soit pour une polypectomie, soit pour des
biopsies.
L’indication de l’examen
Le risque de cancer invasif est schémati-
quement majoré par rapport au simple
dépistage, en cas de polypose adénoma-
teuse familiale ou de cancers familiaux
non polypoïdes (HNPCC). Le nombre par-
fois élevé de polypes dans ces situations
doit rendre prudent sur l’opportunité d’une
polypectomie à risque.
La macroscopie
La présence d’irrégularités muqueuses,
d’ulcérations, ainsi qu’une formation
ferme ou se mobilisant en blocs sont asso-
ciées à une plus grande fréquence de car-
cinome (4). Ces données ne doivent pas
être négligées, car on connaît les difficul-
tés d’interprétation de l’histologie et les
variations dans les résultats (5) (photo 1).
* Institut mutualiste Montsouris, Paris.
** Clinique du Trocadéro, Paris.
La polypectomie endoscopique reste
le moyen de choix du traitement de la
majorité des polypes et notamment des
polypes malins.
L’aspect du polype, l’indication de
l’endoscopie, l’expérience du praticien
et l’état général du patient doivent être
pris en compte pour décider d’une poly-
pectomie.
Le recours plus large à des colorants et
la résection en une pièce doivent favori-
ser une analyse histologique complète,
essentielle pour guider la stratégie ulté-
rieure.
L’endoscopiste doit se donner les
moyens de localiser précisément la lésion
dès qu’un geste chirurgical complémen-
taire ne peut être écarté.
Points forts
Points forts
Points forts
L’
Photo 1. Vue au zoom d’un polype adéno-
mateux avec une ulcération en son centre
(carcinome micro-invasif).
Dossier thématique
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Une histologie défavorable est plus fré-
quemment observée en cas de lésion ses-
sile par rapport à une lésion pédiculée
(58 versus 10 % respectivement) (6).
Toutes ces données ne sont probablement
pas indépendantes. Il en est de même pour
la taille : au-dessous de 1 cm, les lésions
pédiculées ne sont pas invasives ; au-dessus
de 4 cm, les lésions sessiles le sont dans
40 % des cas. Ces chiffres varient beaucoup
d’une série à l’autre, mais, à taille identique,
cette fréquence est plus élevée que dans les
lésions planes (7). La sécurité et les amélio-
rations techniques ont conduit à proposer
l’excision de lésions de plus en plus éten-
dues ou volumineuses. En cas de lésions de
grande taille, pour lesquelles l’ablation en
une pièce n’est pas possible des techniques
de résection par fragments (piecemeal) ont
même été proposées. Cette technique gêne
la conclusion finale histologique ; elle est
discutable pour les polypes rectaux acces-
sibles à une résection transanale et qui sont,
peut-être du fait de leur taille, plus souvent
associés à une histologie défavorable. La
technique de mucosectomie répond à ce
souci de résection en une pièce.
L’extension au pédicule et au voisinage de
la zone d’insertion et donc l’éventualité
d’une résection incomplète doivent faire
discuter la chirurgie.
L’évaluation du terrain
Les risques préthérapeutiques sont évalués
différemment avant une coloscopie et avant
une colectomie. La mortalité moyenne
après colectomie (8) est supérieure à celle
de la polypectomie pour polypes malins.
Dans une revue portant sur 858 polypes
malins (9),pédiculés ou sessiles, ceux
ayant une histologie favorable ont une évo-
lution satisfaisante, sauf dans moins de 1
% des cas, c’est-à-dire dans une proportion
moindre que la mortalité chirurgicale.
L’existence d’une contre-indication opé-
ratoire, ou anesthésique, notamment à la
cœlioscopie, doit faire opter pour une
résection endoscopique première.
L’expérience et l’institution
Le risque de perforation colique n’est pas
accru par la pratique d’une polypectomie. Il
paraît néanmoins nécessaire de respecter
quelques règles simples : possibilité de sur-
veillance secondaire après le geste, entou-
rage familial en cas de geste ambulatoire,
accessibilité à un plateau chirurgical, com-
pliance du patient, la qualité de l’informa-
tion au patient.
Même si ce facteur n’a pas clairement été
identifié, l’expérience de l’opérateur (10)
apparaît un facteur à prendre en compte,
de même que la disponibilité des diffé-
rentes techniques, tant de polypectomie
que d’hémostase.
AU MOMENT
DE LA POLYPECTOMIE
La polypectomie
proprement dite
Elle fait appel à des techniques maintes
fois décrites sur lesquelles nous ne revien-
drons pas en détail. La technique de poly-
pectomie doit faire en sorte d’optimiser la
lecture histologique. L’ablation en une
pièce doit donc être privilégiée. Les colo-
rations (photo 2) peuvent avoir dans cette
situation un double intérêt : (a) en cas de
lésions de petite taille, de recueillir le maxi-
mum d’informations qui permettront de dis-
tinguer une lésion sessile de petite taille
d’une lésion plane ; (b) en cas de lésions éten-
dues, notamment au pied du polype, de repé-
rer précisément les limites de résection afin
de tenter le plus possible de préserver une
collerette de muqueuse saine. Une marge de
2 mm est habituellement considérée comme
nécessaire (11) entre la zone dégénérée et la
limite de résection, celle-ci devant être com-
plète ; d’autant qu’il existe une marge incom-
pressible de muqueuse non interprétable, du
fait des phénomènes de coagulation.
Le colorant habituellement utilisé est l’in-
digo carmin ou le bleu de méthylène ; ils ne
colorent pas les cellules mais silhouettent la
muqueuse et dessinent la lésion.
En cas de petites lésions sessiles, la “strip”
biopsie facilite le geste (12).
Les artifices qui permettent d’optimiser la
polypectomie relèvent de l’expérience plus
que d’études prospectives :
– soulèvement ou éversion de la base de la
lésion par l’injection intrapariétale de sérum
physiologique, parfois additionné d’adréna-
line ;
– recours à des anses de grand diamètre à
picots ;
– arrêt de toute manœuvre en cas de non-
soulèvement de la lésion ;
– utilisation de bistouri électrique adapté
contrôlant la puissance délivrée ;
– recours à des clips ou à des Endoloop®en
cas de pédicule épais (photo 3) ;
Dossier thématique
Photo 2b. Idem après coloration
rehaussant les limites.
Photo 2a. Polype (carcinome
intramuqueux).
Photo 3. Endoloop®en place.
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Cliché : Ph. Godeberge.
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Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 3 - septembre 2001
– conservation d’un tronçon de pédicule
en amont de l’anse.
La pièce de polypectomie
Le recueil de la pièce doit éviter toute perte
d’information. La fragmentation des petites
lésions rend leur interprétation difficile, et cer-
tains déconseillent, dans la mesure du possible,
l’aspiration à travers le canal opérateur. Les
modifications liées à l’usage d’un courant élec-
trique peuvent rendre difficile l’orientation de
la pièce et donc les conclusions que l’on peut
en tirer. Plusieurs solutions sont possibles :
– utilisation d’un courant de section exclusif ;
– utilisation d’anse monobrin privilégiant la
section ;
– encrage à l’encre de Chine de la partie pro-
fonde de la pièce ;
– étalement de la pièce sur une petite plaque
de liège ;
– repérage soigneux du pédicule (la rétrac-
tion lors de la fixation histologique pouvant
faire disparaître totalement un pédicule ini-
tialement évident).
Localiser la lésion
La précision de la localisation de la zone
de polypectomie est essentielle (13), mais
les classiques repères endoscopiques sont
souvent pris en défaut, ce qui est d’autant
plus délétère qu’une colectomie est pro-
grammée. On ne peut pas compter sur la
visualisation secondaire de la cicatrice, ni
sur une seconde coloscopie avec biopsie,
notamment en cas de petits polypes pour
lesquels la cicatrice peut devenir rapide-
ment endoscopiquement inapparente (11).
Il faut donc optimiser la localisation en
recourant :
– à l’utilisation d’une scopie quand elle est
accessible ;
– à un tatouage avec un colorant stérile en
quantité suffisante pour que la coloration
puisse être vue en transpariétal et donc en
peropératoire ;
– à la mise en place d’un clip métallique avec
un ASP en postcoloscopie (photo 4).
Des biopsies de la zone d’insertion ou de
ses berges, clairement identifiées, permet-
tront d’évaluer le caractère complet de la
résection et/ou l’existence d’une infiltra-
tion sous-muqueuse.
En cas de doute, il faut organiser la lecture
des prélèvements dans un délai bref com-
patible avec une seconde coloscopie, et donc
avant cicatrisation de la zone d’intervention.
APRÈS LA COLOSCOPIE
En cas de carcinome précoce se pose le
problème de la surveillance endoscopique,
de son rythme et de sa performance. Les
résultats sont dissociés. Après ablation
d’un polype dégénéré, des taux de 69 % de
lésions résiduelles (14) ont été décrits. À
l’inverse, entre 1983 et 1995, 85 patients
ont été opérés après ablation d’un cancer
précoce, principalement parce que le trai-
tement avait été considéré comme incom-
plet (15). Aucun n’avait de ganglion sur la
pièce ; 7 avaient des lésions résiduelles,
tous avant 1984. Les critères de sur-
veillance ont donc évolué avec le temps et,
peut-être, la formation et la rigueur des
endoscopistes (16).
Après ablation d’un carcinome précoce
sur lésion polypoïde, le rythme des
endoscopies de contrôle n’est pas déter-
miné. Si une décision de traitement
endoscopique a finalement été retenue,
il paraît logique d’appliquer le même
protocole de surveillance que lors d’une
colectomie pour cancer colique avec une
première endoscopie de contrôle au bout
de 12 mois. De nombreux auteurs pré-
conisent, au moins la première année,
une surveillance plus rapprochée.
En conclusion,la polypectomie endo-
scopique reste le traitement de choix de la
grande majorité des lésions en saillie du
côlon et du rectum, y compris des lésions
qui ont commencé à dégénérer. Le risque
de lésions résiduelles est faible, surtout en
cas d’histologie favorable. Au cours des
cancers T1, le risque d’une évolution défa-
vorable est faible, notamment du fait de la
relative rareté des métastases ganglion-
naire. Ce risque est inférieur à la mortalité
et la morbidité de la chirurgie colique. Ce
paramètre doit être pris en compte afin de
ne pas faire perdre au patient le bénéfice
d’une technique mini-invasive. Mais
d’autres facteurs décisionnels intervien-
nent (lire p. 94) ; aussi, il n’est pas illo-
gique de ne proposer la polypectomie que
dans un second temps chez un patient
informé des risques et des inconnues.
Mots clés. Polypectomie – Adénome –
Cancer précoce – Traitement endoscopique.
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