Cap sur l’investissement malgré la crise et l’absence de visibilité La crise financière de l’été 2011 qui se prolonge en récession économique ne remet pas fondamentalement en cause les investissements en Supply Chain, avec néanmoins un objectif financier principal : réduire les coûts et les stocks pour dégager du cash. Et de leur côté, les prestataires investissent pour rester compétitif. 62 N°61 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2012 ©FROG 974-FOTOLIA ©SOFLOG-TELIS DOSSIER Impact de la crise ’activité et les investissements des industriels et des prestataires logistiques se poursuit malgré le manque de visibilité et la récession attendue en 2012, suite à la crise financière et de la dette publique qui a éclaté durant l’été 2011. La zone euro devrait en effet être plongée dans une récession modérée jusqu'à la seconde moitié 2012 ; une enquête de Reuters auprès de 50 économistes prévoit une baisse du produit intérieur brut (PIB) de la région de 0,3% en 2012 (récession = au moins deux trimestres consécutifs de baisse du PIB). L Indicateurs français en berne La France devrait connaître une brève récession s'étalant sur le dernier trimestre 2011 et le 1er trimestre 2012 ; l'Allemagne serait le seul grand pays de la zone euro à afficher une croissance cette année. L’Insee confirme en prévoyant une baisse de l’activité en France de 0,2 % au 4e trimestre 2011 et de 0,1 % au 1er trimestre 2012. L’Insee anticipe que l’investissement des entreprises non financières devrait continuer à s’effriter au 4e trimestre 2011 (-0,5 % après -0,3 % au 3e trimestre 2011) et au 1er trimestre 2012 (-0,6 %), avant de se stabiliser au Optimisme vigilant Les acteurs de la Supply Chain ne veulent pas qu’on leur joue le coup de la panne deux fois ! Un certain optimisme, certes vigilant, est affiché. La situation est plus contrastée chez les prestataires toutefois, notamment chez les PME. « Que la ©C.C ALAIS crise arrive la même année que les présidentielles, année traditionnelle d’attentisme, est une bonne chose », estime Franck Grimonprez, Président de Logistique Grimonprez. Trois établissements bancaires n’ont pas donné suite à nos questions sur les prêts accordés aux entreprises ; un manque de transparence qui expliquerait en partie leur déficit d’image… Leurs clients remarquent une sélection plus pointue des meilleurs dossiers de financement et un crédit plus cher. « Les projets dans les entreprises ne sont pas gelés comme en 20082009, constate Eric Blandin, Newloop Consulting. Les circuits de décision d’investissement sont plus longs. L’arbitrage est en faveur des projets de transformation de la Supply Chain.» Feridun Akpinar, Sunzi Consulting, préconise : « Dans un contexte récessif, de baisse de la consommation, il faut privilégier les investissements de rationalisation de la Supply Chain indépendants de la croissance et générateurs d’économies. Ainsi la réduction des fréquences de livraisons peut conduire à un gain plus élevé que la hausse induite du coût de stock dans certains segments de produits ou la mutualisation intelligente entre sociétés n'a pas atteint la taille critique »; Les secteurs luxe et cosmétique restent portés par la croissance asiatique. Le secteur phar- Franck Grimonprez, Président de Logistique Grimonprez ©C.C ALAIS 2e trimestre 2012 (-0,1 %). Les anticipations des chefs d’entreprise sont mal orientées. Selon la Banque de France, il y a eu resserrement des critères d’octroi du crédit bancaire aux entreprises au 3e trimestre 2011, alors que la demande baisse. Or, les principaux déterminants de l’investissement sont le taux d’intérêt, la demande anticipée et un environnement économique stable. Toutefois, ces indicateurs macroéconomiques ne semblent pas affecter outre mesure les Directeurs Supply Chain et prestataires, plus marqués par la crise bancaire et financière de l’automne 2008. Cette année-là, le PIB de la France avait reculé de 0,3% en volume, puis de 2,7 % en 2009, une baisse sans précédent depuis la seconde guerre mondiale, avant de repartir en 2010 (+1,5 %, Insee). Le taux d’investissement des sociétés non financières avait chuté à 18,5 % suite à la crise de septembre 2008, ne remontant qu’à 18,7 % en 2010. Franck Journo, Directeur Commercial et Marketing de Crosslog JANVIER-FÉVRIER 2012 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°61 63 DOSSIER Impact de la crise ©SAUPIQUET maceutique garde la forme. Celui des produits de grande consommation résiste, l’automobile plus difficilement. Jean-Rafaël Garcia, ©C.C ALAIS Directeur Supply Chain de Saupiquet Eric Blandin, ©C.C ALAIS Fondateur de Newloop Consulting Nicolas Perri, Directeur d’activité, Industry Capital Objectifs coûts et stocks « Le cash est roi » est revenu dans les propos de divers interlocuteurs. Les principaux objectifs des Directeurs Supply Chain sont financiers : baisse des coûts logistiques pour améliorer la profitabilité du compte de résultat, réduction des stocks pour améliorer le Besoin en Fonds de Roulement (BFR) et ainsi dégager de la trésorerie afin de soutenir l’activité commerciale et marketing. La crise ne remet pas en cause les investissements stratégiques. Jean-Rafaël Garcia, Directeur Supply Chain de Saupiquet, fabricant de la conserve de poissons, indique : « Dans un contexte de réduction des dépenses, nous continuons à investir pour une Supply Chain plus réactive et agile qui nous donne un avantage compétitif. Néanmoins, nous portons d’autant plus attention aux indicateurs de suivi de type coût total et coûts détaillés ». En octobre 2011, Saupiquet a rejoint un nouvel entrepôt multi-clients près d’Orléans, afin de répondre aux demandes de réduction des stocks (flux tendus) de la grande distribution. Il intègre également United Biscuits et le groupe Mars, ce qui leur permettra, à partir de mars 2012, de livrer l’ensemble les grands distributeurs. Et Jean-Rafaël Garcia de remarquer : « Nos prestataires investissent eux aussi. Et investir pendant la crise motive nos équipes, ce qui leur permet aussi d’avancer et de se projeter ». De nouveaux outils et de la matière grise L’un de ses partenaires dans la plate-forme, Alain Guinouet, Directeur Supply Chain, Mars Petcare & Food, souligne : « Le secteur alimentaire est moins volatile, mais ultra-compétitif, les distributeurs se livrant à une guerre des prix. Nous avons entamé une démarche de réduction des coûts logistiques et des stocks depuis deux ans et demi qui a porté ses fruits. Ce ne sont pas de gros De nouveaux moyens de financement Face à un crédit bancaire plus sélectif et plus cher, il existe d’autres moyens de financement. Ainsi le prestataire logistique industriel Soflog-Telis peut proposer dans certains cas un outil de financement des stocks de ses clients, en partenariat avec un établissement financier. Industry Capital offre de la location opérationnelle longue durée, avec des montages financiers de consolidation hors bilan. « Ce n’est pas du leasing, soulignent Hervé Zlotykamien et Nicolas Perri, Directeurs d’activité. Nous achetons des équipements (dans l’entrepôt, logiciels, contenants) pour les relouer à notre client, ce qui lui dégage du cash et donc une capacité d’investissement supplémentaire. » investissements, quoique la mutualisation ait demandé plusieurs développements importants, dont un outil de gestion mutualisée des approvisionnements. Mais beaucoup de matière grise, en particulier un travail collaboratif d’amélioration des prévisions de vente, Les économies générées peuvent être réinjectées en soutien des marques et de leurs parts de marché ». Mars investit aussi dans le développement durable, avec la récente mise en place d’un trafic ferroviaire hebdomadaire entre ses usines allemandes et l’entrepôt mutualisé près d’Orléans, qui réduit l’empreinte carbone. Pour Jocelyn de Villeneuve, Directeur service clients et Supply Chain de Pernod, société du groupe Pernod Ricard distributrice de 13 marques de vins et spiritueux, « la crise ne remettra pas en cause nos investissements, d’autant plus que nous sommes moins touchés, étant sur des marques haut de gamme. Certes, nous privilégions les projets à ROI rapide. Nous avons décidé en avril 2011 de prendre un nouvel outil de prévision afin de diminuer les stocks. Nous démarrons le projet de mise en place des modules prévision des ventes et planification de la distribution de n.Skep de Dynasys. Néanmoins, les vrais enjeux sont structurels, avec la mutualisation des coûts entre industriels à laquelle nous continuons à travailler ». Pernod cherche également à diminuer son BFR à travers le Credit Management (gestion des crédits clients) et la gestion des encours fournisseurs. Car il s’attend à une contraction du marché, suite au plan gouvernemental de lutte contre les déficits qui durcit la taxation sur les alcools. Les prestataires veulent rester compétitifs L’état des lieux de Patrick Bouchez, Président de TLF, issu d’une enquête auprès des adhérents tranche avec l’avis des logisticiens. Si certains membres de TLF poursuivent leurs investissements, dans un souci de productivité et de compétitivité, quand la crise invite le marché à se concentrer, pour Patrick Bouchez, 2012 s’annonce sombre. Les contrats sont de plus en plus précaires et les prestataires cherchent à diversifier leur portefeuille. Deux tiers disent freiner leurs investissements en matériel par rapport à 2011, année correcte, mais peu dans les systèmes d’information. Des PME déclarent avoir des difficultés croissantes pour obtenir des prêts bancaires. Les assureurs crédit Coface et Atradius déprécient par le code NAF les entreprises de transport routier, indépendamment du bilan de l’entreprise. Et les mêmes entreprises remontent une dégradation de deux semaines en moyenne du paiement des créances clients. Et Patrick Bouchez de prévenir : « Des logisticiens chinois veulent venir faire leur marché dans des entreprises européennes fragilisées par la crise depuis 2008 ». S 66 UITE PAGE 64 N°61 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2012 DOSSIER Impact de la crise ©C.C ALAIS SUITE DE LA PAGE 64 Jacky Gervis, ©SOFLOG-TELIS Co-président de FM Logistic Bruno de Chaisemartin, ©C.C ALAIS Membre du Conseil de surveillance de Soflog-Telis Hervé Zlotykamien, Directeur d’activité, Industry Capital Franck Grimonprez prône la prudence : « Pour toute nouvelle activité, les PME de notre réseau calculent BFR, plans de financement et de trésorerie et compte d’exploitation prévisionnel. Les clients doivent s’engager à ce que les investissements en « dur » soient repris par le prestataire suivant en cas de changement. En cas d’arbitrage entre deux investissements, je conseille de privilégier les partenariats dans la durée avec les clients existants ». Valérie Lassalle, Dirigeante des Transports Lassalle, PME de transport et logistique adhérente FNTR, favorise les investissements de remplacement. Elle a obtenu un prêt bancaire de 200.000 € fin 2011 pour rénover sa station de lavage de citernes. Des investissements informatiques… Dans la catégorie optimiste, la PME Crosslog, spécialisée dans la logistique e-commerce, a le vent en poupe. Après un C.A. en hausse de 24 % en 201 (17 M€), elle s’attend à +20 % en 2012. « La croissance viendra du textile, de l’enfant, de la décoration et des cosmétiques, prévoit Franck Journo, Directeur Commercial et Marketing. Nous investissons dans l’aménagement des entrepôts que nous louons, notamment en informatique. Leur surface augmente régulièrement. Après 0,7 M€ investis en 2011, nous allons améliorer notre système de gestion d’entrepôt. » Le prestataire logistique de taille moyenne spécialisé dans l’industrie Soflog-Telis paraît plutôt confiant. Bruno de Chaisemartin, Membre du Conseil de surveillance, analyse : « Certains clients continuent à avoir une activité soutenue ; toutefois, avec la crise, un certain nombre préfèrent ne pas s’engager à moyen terme et préfèrent des contrats d’un an difficilement compatibles avec l’activité. Ils recherchent l’optimisation des coûts et notre rôle est de leur faire prendre en compte le coût complet. Les PME industrielles ont déjà beaucoup serré en termes de coûts. Nous investissons : ouverture de trois sites en 2011, informatique, emballages techniques et audit pour devenir Opérateur Economique Agréé. Et la crise pourrait présenter des opportunités de sociétés qui ont souffert de la baisse de volume ». … et dans les infrastructures Les grands groupes gardent aussi le moral. FM Logistic poursuit les objectifs de son plan stratégique et met en service en 2012 une plate-forme au nord de Paris dont le coût global s’élève à 25 M€ et a prévu d’étendre des plates-formes existantes. Jacky Gervis, Co-président, attend « un C.A. de 840 M€, en croissance pour l’exercice clôturant en mars 2012. L’activité transport a le taux de croissance le plus élevé. Nous regardons les quelques dossiers d’acquisitions qui passent, sans être opportunistes ». 66 N°61 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2012 Ayant consacré 8 M€ aux infrastructures en 2011, DHL International Express France maintient son niveau d’investissement au 1er semestre 2012, avec notamment 0,8 M€ en terminaux mobiles pour les livreurs et le réaménagement de sept à huit agences, après 15 en 2011. « Notre activité repose sur la vigueur des échanges interrégionaux, notamment avec les Etats-Unis et la Chine, qui se maintiennent, explique Florence Noblot, PDG. Nous investissons en lien avec notre engagement de qualité de service et pour gagner des parts de marché. » Réformer la finance, soutenir l’économie réelle Tous les acteurs s’accordent sur l’absence totale de visibilité sur 2012 et après. Rien n’est pire que l’incertitude. Ceci témoigne d’abord de la forte volatilité des marchés financiers. Elle désempare la classe politique, qui multiplie les effets d’annonce. Or, la crédibilité de la politique économique repose sur l’affichage d’objectifs clairs non remis en cause à court terme, sous peine d’affoler les anticipations des agents économiques. De plus, la vision à court terme qui régente les décisions économiques et politiques évite de se pencher sur le passé pour améliorer l’avenir, quand l’économie est, par définition, cyclique, et ainsi de regarder la grande crise de 1929, suivie du New Deal de F.D. Roosevelt qui a sorti les Etats-Unis de l’ornière. Et la prédominance de la pensée libérale et monétariste dont la chancelière allemande Angela Merkel se fait l’apôtre, empêche des courants économiques moins rigoristes d’être force de proposition, tel le nouveau keynésianisme de Joseph Stiglitz. Les plans de rigueur concomitants dans toute l’Europe présentent un risque auto récessif. Le ratio Dette publique/PIB s’améliore en faisant baisser la dette, objectif des plans, si et seulement si le PIB ne baisse pas… Pourquoi pas des plans de relance communs au niveau européen par grand secteur de l’économie réelle (industrie/distribution/prestations de services) ? Enfin, regrettons qu’une réforme en profondeur du système financier mondial ne soit pas à l’ordre du jour. Réinjecter de la masse monétaire dans le système financier au lieu d’en penser la réforme, c’est empêcher le Titanic de couler en écopant à la petite cuillère…et creuser les déficits publics par la même occasion, la crise financière de 2008 ayant entraîné celle de la dette publique de 2011, tout en oubliant de soutenir l’économie réelle. Appelons donc à tenter de réduire les déséquilibres actuels et à plus de constance dans la politique économique du prochain gouvernement, même si sa marge de manœuvre restera (très) limitée. Bonne année 2012 ! ■ CHRISTINE CALAIS