É D I T O R I A L Vaccin contre le cancer du col ● J.C. Boulanger* L es progrès de la médecine en général et de la gynécologie obstétrique en particulier ont été fantastiques ces trente dernières années. Citons, pêle-mêle, en obstétrique : l’échographie, le diagnostic anténatal, la surveillance monitorisée du cœur fœtal ; en gynécologie : la cœlio-chirurgie, l’assistance médicale à la procréation ; toutes ces avancées ont révolutionné notre profession. Mais les progrès dans le domaine du cancer du col ont été non moins extraordinaires, dans le traitement et dans la connaissance de la cancérogenèse. • Dans le traitement : qui aurait imaginé, il y a seulement quinze ans, que l’on pourrait, sous certaines conditions, préserver la fécondité des femmes présentant un cancer invasif du col de l’utérus ? L’intervention de Dargent, puisque c’est comme cela qu’il faut dénommer la trachélectomie élargie, le permet. • Dans la connaissance de la cancérogenèse : depuis 25 ans, la responsabilité du papillomavirus humain (PVH) a été progressivement affirmée et il est maintenant démontré que le PVH est la condition nécessaire, mais non suffisante du cancer du col. Cette filiation établie, l’idée de le prévenir par un vaccin s’imposait, comme cela avait été fait avec le vaccin B pour le cancer du foie, avec le succès que l’on sait. En raison des difficultés rencontrées dans la mise au point d’un vaccin VIH (virus de l’immunodéficience humaine) ou d’un vaccin HSV (herpès simplex virus), on pouvait douter d’une réalisation rapide. Le PVH est un virus épithéliotrope dont il existe une quarantaine de types impliqués en cancérogenèse cervicale, à peu près impossible à cultiver donc donnant peu d’espoir d’obtenir un virus atténué ou tué. Fort heureusement, des protéines de capsule L1 de synthèse s’autoassemblent en particules pseudo-virales, très immunogènes. Ce qui est vraiment remarquable, c’est la vitesse à laquelle les différentes étapes ont été franchies puisque la commercialisation du vaccin PVH est annoncée pour l’année prochaine. Deux vaccins ont été mis au point en parallèle : Cervarix® par la société Glaxo Smith Kline et Gardasil ® par Sanofi Pasteur MSD/Merck. • Cervarix® est un vaccin bivalent contre les deux types principaux de PVH potentiellement oncogènes : PVH 16 et PVH 18. Les premiers résultats ont été publiés par D. Harper en 2004 (1). Dans un essai sur 1 113 jeunes femmes entre 15 et 25 ans, la protection est de 100 % vis-à-vis d’une infection persistante à PVH 16/18, de 93 % vis-à-vis d’une anomalie cytologique associée à PVH 16/18, et de 100 % vis-à-vis d’un CIN (cervical intra-epithelial neoplasia) prouvé par biopsie associé à PVH 16/18. • Gardasil® est un vaccin quadrivalent contre PVH 16 et 18 et les deux types principaux de PVH à bas risque : 6 et 11, responsables des condylomes acuminés dont on sait la fréquence chez les jeunes. Les résultats des essais cliniques de phase III ont été publiés à la réunion annuelle de l’IDSA en octobre 2005 à San Francisco (2) : plus de 12 000 jeunes femmes de 15 à 26 ans ont été incluses dans * CHU d’Amiens, service de gynécologie obstétrique, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens Cedex 1. La Lettre du Gynécologue - n° 313 - juin 2006 90 centres situés dans 13 pays à travers le monde. Chez les femmes qui ont respecté le protocole (trois injections), la protection contre les lésions précancéreuses de haut grade (CIN 2,3 et adénocarcinome in situ [AIS]) a été de 100 % : 0 lésion chez 5 301 femmes vaccinées et 21 chez 5 258 ayant reçu le placebo. En incluant les femmes en intention de traiter (ayant reçu au moins une injection) suivies pendant environ deux ans, la protection est de 97 % : 1 lésion chez les vaccinées contre 36 dans le groupe placebo. Les PVH 16 et 18 sont à l’origine de 70,7 % des cancers (3). On peut se demander s’il y aura une protection croisée pour d’autres types viraux. Récemment, à l’International Papillomavirus Conference de Vancouver, en octobre 2005, ont été présentés des résultats complémentaires. Ils font état d’une protection croisée statistiquement significative contre l’infection à PVH 31, 52 et 45 à des taux respectifs de 78,5, 77,1 et 75,4 % (4). On a tendance a être blasé par les incessants progrès de la médecine, mais quand on y réfléchit un instant, c’est une avancée vraiment considérable : le cancer du col est la première tumeur solide dont on a percé le mécanisme et ainsi réalisé la prévention. Ce cancer a largement reculé en France et dans les pays développés avec l’instauration du dépistage ; mais il pose un véritable problème de santé publique dans les pays émergents où c’est le premier cancer féminin et l’on tient le moyen de le faire disparaître avant même que son dépistage puisse être organisé. C’est le sens de plusieurs articles récents, tels celui de T. Waa (5). En effet, les résultats des premiers essais sont éloquents. Bien entendu, il faudra du temps pour observer la réduction de l’incidence du cancer invasif. Mais puisqu’il prévient les lésions précancéreuses de haut grade, il préviendra le cancer invasif. Après l’engouement engendré par la médiatisation des premières publications, les problèmes pratiques apparaissent très nombreux : – À quel âge faudra-t-il vacciner ? – Si l’on choisit, ce qui paraît raisonnable, de vacciner les préadolescentes, faudra-t-il envisager un rattrapage pour les jeunes filles et les femmes plus âgées ? – Quelle sera la durée de protection ? – Faudra-t-il réaliser des injections de rappel et à quel rythme ? – Puisque les vaccins en cours de commercialisation sont réalisés avec des protéines L1 des PVH 16 et PVH 18, protègeront-ils seulement contre les 70 % de cancers liés à ces types de PVH ou y aura-t-il une protection croisée contre des cancers liés à tous les types viraux ? – Ne va-t-on pas sélectionner d’autres types viraux ? – Quelles modifications du dépistage faudra-t-il envisager ? – Les essais thérapeutiques ont montré la bonne tolérance de ces vaccins à court terme, mais peut-être faut-il craindre des effets délétères à long terme ? – La vaccination sera-t-elle réservée aux femmes ou faudra-t-il vacciner les garçons pour agir sur la transmission de l’infection ? – Et surtout, quel en sera le coût ? Car il est vraisemblable qu’il 3 É D I T O R I A L puisse s’agir d’un facteur limitant dans les pays développés et d’un rêve dans les pays émergents où elle est le plus attendue. – Mais certains ont déjà dépassé ce rêve en imaginant des aliments transgéniques contenant des protéines L1 capables de s’autoassembler en particules pseudo-virales vaccinantes (6). Vat-on résoudre les problèmes de famine des pays en voie de développement en vaccinant contre le cancer du col ? Quand on voit les avancées fulgurantes de la médecine, il est certain que le rêve deviendra réalité. Mais il faudrait d’abord apporter une réponse à toutes les questions posées. Pour être complet, il faut dire un mot des vaccins thérapeutiques qui pourraient permettre de traiter les lésions précancéreuses et les cancers invasifs. Pour l’instant les résultats sont décevants. Mais des guérisons de tumeurs équivalentes au cancer du col ont été obtenues par une équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur chez ■ l’animal. Des essais cliniques sont attendus... R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Harper D et al. Efficacy of a bivalent L1 virus-like particle vaccine in prevention of infection with human papillomavirus types 16 and 18 in young women: a randomized controlled trial. Lancet 2004;13-19;364(9447):1757-65. 2. Skjeldestad FE et al. Prophylactic quadrivalent human papillomavirus types 6,11,16,18 L1 virus-like particle vaccine reduces CIN 2/3 risk. Communication à la 43e réunion annuelle de l’Infectious Diseases Society of America. San Francisco 7/10/2005. 3. Munoz N et al. Against which human papillomavirus types shall we vaccinate and screen? The international perspective. Int J Cancer 2004;111(2):278-85. 4. Dubin G. Cross protection against persistent HPV infection, abnormal cytology and CIN associated with HPV-16 and 18 related HPV types by a HPV 16/18 L1 virus-like particle vaccine. Communication orale à l’International Papillomavirus Conference. Vancouver 2005. 5. Tjalma WA et al. Prophylactic human papillomavirus vaccines: the beginning of the end of cervical cancer. Int J Gynecol Cancer 2004;14:751-61. 6. Warzecha H et al. Oral immunogenicity of human papillomavirus like particles expressed in potato. J Virology 2003;77:8702-11. PUB bandeau Acide folique P 4 Quadri 4 La Lettre du Gynécologue - n° 313 - juin 2006