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Les essais cliniques des antiangineux
sont-ils encore possibles en France en 1998 ?
P. Jaillon*
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a question posée risque de faire vivement réagir les
cardiologues français. Et pourtant, elle se pose
vraiment ! L’article de P. Guéret et coll. (page 43)
rapporte les résultats d’une étude de faisabilité d’un essai
clinique standard d’un médicament antiangineux réalisée chez
556 cardiologues. Sur les 1 559 observations de patients colligés dans l’étude, on voit qu’ils ont une épreuve d’effort
environ une fois par an, et dans 40 % des cas ce test est
réalisé après deux jours d’arrêt du traitement anti-ischémique.
La moitié environ de ces épreuves sont positives.
1550-4) ayant colligé douze essais cliniques d’antiangineux
soumis à la FDA a bien montré que l’arrêt d’un traitement
antiangineux dans l’angor stable n’a pas entraîné d’augmentation du risque coronarien et que la mise sous placebo de ces
patients, pour les durées importantes de 2 à 23 semaines, n’a
jamais accru le risque d’accidents. Cela, bien sûr, si l’on
exclut les coronariens mis sous bêtabloquants après un
infarctus du myocarde, seule situation clinique où un traitement antiangineux a montré qu’il diminuait la mortalité et les récidives d’infarctus.
Ces résultats sont déjà très importants. Ils signifient que :
les malades coronariens avec épreuves d’effort positives
après un arrêt de 48 heures du traitement habituel existent ;
les cardiologues français acceptent chez 40 % de leurs
malades coronariens stables d’arrêter le traitement antiangineux pendant 48 heures et que cela se passe sans problème ;
68 % d’entre eux déclarent même qu’un sevrage thérapeutique de courte durée “semble facilement réalisable en ambulatoire”.
L’acceptabilité d’un essai en double insu pour des patients en
médecine libérale n’est pas plus délicate qu’ailleurs. C’est
l’acceptabilité de l’essai par les médecins qui pose plus souvent problème, et cela rejoint cette réponse présentée dans
38 % des cas sur les difficultés “déontologiques et/ou éthiques
à ne pouvoir préciser la nature du traitement reçu”. Le problème majeur est là ! Car la relation médecin-malade dans un
essai clinique est forcément différente de celle communément
observée dans la pratique habituelle. Dans un essai, le malade
devient un partenaire du médecin investigateur. Cela nécessite
que s’établisse entre eux non seulement l’indispensable climat
de confiance, mais également une sorte d’engagement réciproque à une information loyale et complète. Tous les deux
doivent accepter le principe du double insu, seule condition
indispensable pour supprimer les multiples biais que l’on peut
rencontrer. Si l’un ou l’autre refuse cette acceptation, l’essai
ne peut être réalisé. Or, les essais en ouvert dans un domaine
aussi subjectif que l’angine de poitrine ou l’ischémie myocardique ont depuis longtemps montré leurs limites incontournables.
Alors, où est le problème ? Le problème majeur est qu’environ deux tiers seulement des cardiologues français déclarent
accepter le principe de l’essai en double aveugle. Si un tiers
d’entre eux le refuse, c’est pour des raisons “déontologiques
et/ou éthiques à ne pouvoir préciser la nature du traitement
reçu (38 %) et la perception d’un risque éventuel pour le
patient (7 %)”. Les autres raisons sont facilement discutables
car plus contingentes : difficulté du double insu en pratique
libérale (38 %) et difficulté d’acceptabilité par les patients
(27 %).
Éliminons tout de suite le problème “risque éventuel pour le
patient”. L’étude de P. Glasser et coll. (JAMA 1991 ; 265-12 :
* Service de pharmacologie, Hôpital Saint-Antoine, 184, rue du FaubourgSaint-Antoine, 75012 Paris.
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Il apparaît ainsi, et c’est tout à fait réconfortant, que les essais
cliniques en double insu dans la maladie ischémique coronarienne sont tout à fait possibles en France, car les patients
existent et deux tiers des cardiologues sont prêts à y participer. Qui parlera encore des difficultés à mettre en place ces
essais dans notre pays ?
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
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