Prévention de la cardiotoxicité des chimiothérapies par un inhibiteur de l’enzyme de conversion RÉFÉRENCE Prevention of high-dose chemotherapy-induced cardiotoxicity in high-risk patients by angiotensin-converting enzyme inhibition. Cardinale D, Colombo A, Sandri MT et al. Circulation 2006;114:2474-81. LE FOND Ayant constaté lors de précédents travaux le rôle pronostique péjoratif d’une élévation de troponine I après une chimiothérapie à forte dose, les auteurs ont suivi 114 patients atteints de pathologies malignes (cancers du sein avancés ou résistants, leucémies myéloïdes aiguës, maladies de Hodgkin et lymphomes non hodgkiniens de haut grade, myélomes, sarcomes d’Ewing), pour lesquels la troponine I était supérieure à 0,07 ng/ml. Ces patients ont été randomisés en deux groupes : un groupe contrôle non traité (58 patients) et un groupe énalapril (56 patients). L’énalapril a été commencé un mois après la dernière cure de chimiothérapie et poursuivi un an. Sa dose quotidienne initiale était de 2,5 mg, puis la posologie a été progressivement augmentée pour atteindre en moyenne 16 ± 6 mg. Les dosages de troponine ont été réalisés avant traitement, puis à 2, 3, 6 et 12 mois. La fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG), initialement normale, a été réévaluée en échocardiographie (Simpson biplan) 1, 3, 6 et 12 mois après l’arrêt de la chimiothérapie. Le critère de jugement principal était la survenue d’une cardiotoxicité authentifiée par une diminution absolue de plus de 10 % par rapport au chiffre initial de FEVG, avec une valeur de FEVG inférieure à 50 %. Les deux groupes étaient initialement comparables, et ils avaient reçu des doses équivalentes de chimiothérapie. Vingt-cinq patients du groupe contrôle (43 %) ont évolué vers le critère de jugement principal (contre aucun patient du groupe énalapril ; p < 0,001). En l’absence de traitement, la plus grande altération de la FEVG a été observée pour les patients contrôles dont la troponine I demeurait élevée pendant le suivi, par opposition à ceux pour La Lettre du Cardiologue - n° 403 - mars 2007 lesquels son élévation s’est avérée transitoire. Les événements cardiaques recensés (mort subite ou cardiaque, œdème aigu pulmonaire [OAP], insuffisance cardiaque, arythmies, etc.) ont été également plus fréquents pour le groupe contrôle (30 événements contre 1 ; p < 0,001). On note en particulier 18 diagnostics d’insuffisance cardiaque ou d’OAP pour ce groupe (contre aucun pour le groupe énalapril ; p < 0,001). COMMENTAIRES Lors de deux publications précédentes (J Am Coll Cardiol 2000 et Circulation 2004), la même équipe milanaise a démontré l’intérêt du dosage de troponine I dans les suites immédiates d’une chimiothérapie à forte dose : une élévation de troponine représentait un puissant facteur prédictif de dysfonction ventriculaire gauche et de complications cardiaques, surtout si cette augmentation persistait. Les patients présentant le plus haut risque évolutif cardiaque étaient ceux pour lesquels la troponine restait élevée (≥ 0,08 ng/ml) à un mois de la chimiothérapie. Considérant ces premières conclusions, les auteurs ont testé ici la possibilité de contrecarrer l’évolution cardiaque défavorable de ces sujets à haut risque grâce à l’administration d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC), traitement débuté un mois après l’arrêt de la chimiothérapie, et poursuivi pendant une année. Les résultats sont convaincants, objectivant une prévention efficace du développement d’une cardiotoxicité tardive : cela s’exprime par une fonction ventriculaire gauche préservée, et a pour conséquence une réduction des complications cardiaques, en particulier de l’insuffisance cardiaque. Depuis 1997, plusieurs études animales laissaient présager une action favorable des IEC. La protection du myocarde est sans doute la conséquence du maintien de conditions hémodynamiques favorables, du contrepoids à l’activation du système rénine-angiotensine et des effets antioxydants des IEC, qui s’opposent à la cardiotoxicité des anthracyclines. En attendant la confirmation de ces données par d’autres travaux, le message pratique de cette étude est important, puisqu’il nous propose à la fois un critère de sélection (troponine I > 0,07 ng/ml au décours d’une chimiothérapie à forte dose, ce qui concerne un quart des patients ainsi traités), et la mise en œuvre ciblée d’un traitement préventif capable de contrarier le développement d’une cardiotoxicité tardive. Pas de “coup de boule”, mais un grand coup de chapeau pour cette belle démonstration italienne ! En une référence... E n une référence... BIBLIOGRAPHIE Les 35 références annexées incluent les deux précédentes publications de la même équipe concernant l’intérêt pronostique du dosage de troponine (J Am Coll Cardiol 2000;36:517-22, et Circulation 2004;109:2749-54), ainsi que de nombreuses études animales (rats, hamsters) sur l’intérêt des IEC pour la prévention de la cardiotoxicité de l’adriamycine. Un éditorial est associé à l’article : Granger CB. Prediction and prevention of chemotherapy-induced cardiomyopathy. Can it be done? Circulation 2006;114:2432-3. D’autres perspectives thérapeutiques sont actuellement testées : une publication turque s’est intéressée récemment au carvédilol (25 patients traités et 25 patients contrôles) : Kalay N et al. Protective effects of carvedilol against anthracycline-induced cardiomyopathy. J Am Coll Cardiol 2006;48:2258-62. MOTS-CLéS Cardiotoxicité de la chimiothérapie - Anthracyclines - Inhibiteurs de l’enzyme de conversion. TIRéS à PART Dr D. Cardinale, Cardiology Unit, European Institute of Oncology, Via Ripamonti 435, 20141 Milan, Italie. E-mail : [email protected] Dr C. Adams, service de cardiologie, CH Argenteuil 35