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La maîtrise des dépenses de santé (2e partie)
● E. Ovelacq*
n séminaire de formation intitulé “La maîtrise des dépenses de santé” s’est tenu à
Sciences-Po Paris, les 13 et 14 octobre 2005,
sous la direction de P.L. Bras, inspecteur général des
affaires sociales (IGAS).
Voici les résumés des exposés de G. Johanet, ancien
directeur de la CNAM, directeur général adjoint, chargé
de la santé aux AGF, et de E. Couty, ancien DHOS,
conseiller-maître à la Cour des comptes.
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LES ASSURANCES COMPLÉMENTAIRES
PEUVENT-ELLES CONTRIBUER À MAÎTRISER
LES DÉPENSES DE SANTÉ ?
C’est par l’Agence France-Presse (AFP) que les assurances et
mutuelles complémentaires ont récemment appris l’instauration
d’une franchise de 18 euros sur les actes médicaux “lourds”,
supérieurs à 91 euros. Curieuse démarche de la part d’un État qui,
récemment, déclarait souhaiter une amélioration du partenariat
avec les complémentaires, auxquelles plus d’autonomie allait être
accordée !
L’instauration de cette franchise remet en cause l’un des principes
fondateurs de la Sécurité sociale, créée en 1945. Par ailleurs, elle
ne sera guère productive : on ne peut espérer que 100 à 200 millions d’euros d’économies, alors que le déficit de la Sécurité
sociale dépasse 8 milliards d’euros en 2005. Ce transfert de
charges aux complémentaires se traduira, dès 2006, par une augmentation de leurs cotisations de 6 à 9 %, ce qu’elles se sont déjà
empressées d’annoncer.
L’instauration de cette franchise de 18 euros est la porte ouverte
à des mesures ultérieures de même nature : “Le 18e euro appellera tôt ou tard le 19e… et ainsi de suite…”
L’État tente donc progressivement de se désengager, mettant à
mal le paradigme de base de la Sécurité sociale qui affirme que
“la ressource est illimitée”. Or, force est de constater que cette
ressource n’est pas illimitée, ni en moyens financiers (l’équilibre
financier de la Sécurité sociale repose pour beaucoup sur la croissance du pays), ni en moyens humains (la pénurie médicale qui
s’installe et la liberté du lieu d’installation des médecins amènent
aux files d’attente et aux inégalités [inter]régionales).
* Vice-président de l’ANLLF-Tourcoing.
La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 2 - février 2006
Devant cette implication financière qui ira crescendo, les complémentaires se doivent de devenir plus performantes : c’est ainsi
que, par exemple, les AGF (Assurances générales de France), qui
acceptaient encore en 2003 un ratio sinistre/prime de 120, l’ont
ramené à 97 en 2005 (c’est-à-dire qu’elles acceptaient en 2003
de rembourser 120 sinistres pour 100 primes, alors qu’elles n’en
remboursent aujourd’hui que 97). Il s’agit d’un gain considérable
en seulement deux ans.
Les complémentaires mettent donc au premier plan le principe
d’efficience : amenées à rembourser toujours plus, elles doivent
améliorer leur rentabilité financière. Pour autant, ce pari n’est pas
gagné, car il passe notamment par un profond changement des
mentalités des assurés sociaux : à terme, les mutuelles pourrontelles toujours revendiquer de payer dès le premier euro que l’État
ne veut plus prendre en charge ?
Ce principe d’efficience s’appliquera également de plus en plus
aux professionnels de la santé. Les complémentaires ne pourront interdire aux assurés de consulter le médecin de leur choix.
En revanche, par divers mécanismes incitatifs, elles pourront
orienter le patient vers tel médecin (plutôt que vers tel autre),
dont elles auront auparavant validé la compétence selon leurs
propres critères, et avec lequel elles auront conclu un contrat de
partenariat.
En conclusion, les complémentaires devront et pourront
contribuer à maîtriser les dépenses de santé ; leur action sera
progressive et fonction de la volonté politique du gouvernement.
À terme se reposeront des questions cruciales comme la persistance du secteur 2, les dépassements d’honoraires, le paiement à
l’acte et la liberté d’installation.
LES DÉPENSES HOSPITALIÈRES
SONT-ELLES MAÎTRISÉES ?
L’évolution des dépenses hospitalières est une question récurrente
et complexe, avant tout parce qu’il est bien difficile de cerner le
budget de l’hôpital. Le rapport de la Cour des comptes, publié en
septembre 2005, insiste sur les difficultés qu’il y a à cerner les périmètres financiers de l’Objectif national des dépenses de l’assurance
maladie (ONDAM), car il existe une importante perméabilité
entre les différentes lignes budgétaires de celui-ci. Par exemple,
on ne sait absolument pas mesurer aujourd’hui le volume financier
des prescriptions médicamenteuses qui, initiées à l’hôpital ou en
clinique, sont destinées à des patients sortants et sont finalement
mentionnées sur la ligne “soins de ville” de l’ONDAM.
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“Le paysage financier est flou, on parle de masses budgétaires
hétérogènes.” (E. Couty)
Une fois ces réserves techniques émises, force est de constater
que les résultats de l’ONDAM hospitalier ont beaucoup varié
d’une année sur l’autre depuis sa création en 1996. Économe en
1998 et 1999, l’ONDAM hospitalier reste à peu près équilibré en
2000 et 2003. Il dépasse ses objectifs en 2001 et 2004, et dérape
franchement en 2005 (croissance de plus de 6 %), alors que, dans
le même temps, on constate une nette diminution de la croissance
des soins de ville (+ 2,7 %).
Par ailleurs, il existe de gros écarts de coûts entre des soins de qualité
identique prodigués à l’hôpital et dans le secteur privé. Globalement,
se soigner à l’hôpital revient 30 % plus cher qu’en clinique. Cette
inégalité de coût persiste après correction des paramètres en relation
avec les différences de statuts et avantages sociaux des diverses catégories de personnel. L’hôpital public n’est pas compétitif, notamment
en raison d’un taux d’encadrement nettement plus élevé que dans le
secteur privé, pour une efficience de soins qui n’est pas supérieure.
Ces constatations ont amené à la récente instauration de la
T2A : depuis 2005, il n’y a plus de dépense encadrée à l’hôpital.
L’ancienne régulation administrative fondée sur le système de la
dotation globale a fait place à un nouvel outil de régulation basé
sur le mode “prix-volume” : le budget alloué à un service hospitalier est fonction de son volume d’activité. Le système est proche
de celui régissant le budget des cliniques privées. Or, leur expérience n’est pas probante : chaque année, on constate un dépassement systématique de leurs objectifs budgétaires.
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La T2A génère donc un risque inflationniste fort : la tentation
sera grande, pour chaque service hospitalier, d’augmenter (artificiellement ?) son volume d’activité pour augmenter son budget.
C’est exactement ce qui est déjà constaté en 2005, première
année de mise en place de la T2A.
Celle-ci a été accompagnée de mesures d’encadrement, comme
la clause de revoyure avec possible baisse des tarifs en cas de
dépassement. De même a été créé le comité d’alerte, composé
de trois sages chargés de tirer la sonnette d’alarme en cas de
dérapage de l’ONDAM hospitalier.
La loi du 13 août 2004 a également créé le conseil de l’hospitalisation, “grand surveillant de la régulation des dépenses hospitalières”. Il émet des avis… que le ministre n’est pas forcé de
suivre, pour peu qu’il “motive” son refus. De fait, récemment, les
premiers avis émis par le conseil de l’hospitalisation n’ont pas été
suivis par le ministre… Il est donc légitime de douter de l’efficacité future de ces nouvelles structures technocratiques.
Finalement, le succès de la T2A passera peut-être par l’intéressement personnel des praticiens hospitaliers, ce qui est rendu possible depuis la récente modification de leur statut. Il s’agirait d’un
véritable changement des mentalités : les PH sont-ils prêts à une
telle (r)évolution ? Le pouvoir politique la mettra-t-il en œuvre ?
En conclusion, la tentative de maîtrise des dépenses hospitalières
est passée d’un système un peu rustique de dotation globale, qui
avait fait la preuve d’une certaine efficacité, à un nouveau mode
de régulation plus sophistiqué mais à risque hyperinflationniste.
“Finalement, existe-t-il une bonne méthode ?…” (E. Couty) ■
REMINYL
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