Supplément au n° 293 juin 2003 dossier patients La polyarthrite rhumatoïde C. Bailly a polyarthrite rhumatoïde est le plus fréquent des rhumatismes inflammatoires chroniques. Elle touche plus particulièrement la femme et débute souvent entre 40 et 60 ans. Son évolution se fait par poussées inflammatoires et douloureuses entrecoupées de rémissions, qui entraînent, avec le temps, des déformations et des lésions destructrices des articulations. C’est une maladie très hétérogène, dont la sévérité varie beaucoup d’un sujet à l’autre. Son diagnostic précoce permet d’instaurer rapidement un traitement qui ralentit la progression de la maladie et qui limite l’apparition des lésions ostéo-articulaires. L Directeur de la publication Claudie Damour-Terrasson ALJAC SA Locataire-gérant d’Edimark SA © mai 1983 CPPAP n° 0207 T 81251 - ISSN 0761- 5027 Imprimé en France Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal à parution Cette édition est diffusée avec le soutien de D O S S I E R P A T I E N T S L a polyarthrite rhumatoïde est le plus répandu des rhumatismes inflammatoires chroniques. Sa prévalence en France est mal connue. Elle se situe entre 0,4 et 0,8 % de la population générale. Globalement, on estime que 300 000 à 500 000 personnes sont atteintes de cette affection. La maladie peut survenir à n’importe quel âge, y compris chez l’enfant, mais elle apparaît surtout entre 40 et 60 ans. À cet âge, il existe une nette prédominance féminine, avec quatre femmes pour un homme. Cet écart s’atténue avec l’âge, et les polyarthrites rhumatoïdes qui débutent après 60 ans affectent à égalité les deux sexes. sus constitue un des mécanismes de défense mis en œuvre par l’organisme pour éliminer des agents étrangers, par exemple des virus. Au cours de la polyarthrite, l’inflammation intervient de manière inappropriée et persistante, sans que l’on sache pourquoi. Tout se passe comme si l’organisme ne reconnaissait plus une partie de lui-même et tendait à s’en défendre. Le système immunitaire réagit contre certains de ses antigènes (on parle de maladie auto-immune) contenus dans l’articulation. LE DIAGNOSTIC DOIT ÊTRE PRÉCOCE POURQUOI DÉVELOPPE-T-ON UNE POLYARTHRITE ? La polyarthrite rhumatoïde est une maladie polyfactorielle. Autrement dit, elle n’est pas due à une cause unique mais résulte de la combinaison de plusieurs facteurs prédisposants, présents de manière variable selon les malades. Ces facteurs peuvent être génétiques mais aussi hormonaux, psychologiques, viraux, immunologiques ; leur rôle est imparfaitement déterminé pour certains. Les lésions destructrices qui s’observent au cours de l’évolution de la polyarthrite rhumatoïde sont liées à l’inflammation (figure 1). En temps normal, ce procesSécrétion anormale de liquide synovial (synovite) Figure 1. Des phénomènes inflammatoires (synovite, pannus) sont à l’origine des érosions osseuses. Multiplication du tissu synovial (pannus) Une prédisposition génétique La polyarthrite rhumatoïde n’est pas à proprement parler une maladie héréditaire. Toutefois, elle est deux à trois fois plus fréquente chez les parents de sujets atteints de polyarthrite rhumatoïde et 10 % des polyarthrites rhumatoïdes sont des formes familiales. Il existe une prédisposition génétique qui se traduit par la présence de certains antigènes HLA (Human Leucocyte Antigen) de type DR1 et DR4 (DRB1* 0101,0401,0404) localisés à la surface des globules blancs : 80 % des patients ayant une polyarthrite rhumatoïde portent ces antigènes particuliers, qui se rencontrent également chez 30 % de la population indemne de polyarthrite. Ils pourraient jouer un rôle dans la reconnaissance d’un antigène déclenchant la maladie, mais cela n’est pas certain. Leur présence est un marqueur de sévérité de la maladie. II On dispose aujourd’hui de thérapeutiques qui permettent de modifier la progression de la polyarthrite rhumatoïde. Ces traitements sont d’autant plus efficaces qu’ils sont institués au tout début de la maladie, avant que n’apparaissent les premières lésions destructrices. Le diagnostic doit donc être posé de manière précoce, d’autant qu’il existe des éléments prédictifs de sévérité. Établir un diagnostic précis peut toutefois s’avérer difficile car la polyarthrite rhumatoïde, à son début, peut ressembler à d’autres rhumatismes inflammatoires. À ce stade, le diagnostic est avant tout clinique. Il est fondé sur un faisceau d’arguments obtenus par l’interrogatoire et l’examen clinique et les résultats des examens biologiques. Comme dans toute démarche diagnostique, le médecin recherche des arguments en faveur de la maladie suspectée et vérifie l’absence de signes qui orienteraient vers une autre affection rhumatologique (lupus, spondylarthropathie, arthrite infectieuse virale ou bactérienne, microcristalline, etc.). DES DOULEURS INFLAMMATOIRES DES EXTRÉMITÉS Le terme de (poly)arthrite fait référence à des douleurs articulaires d’horaire inflammatoire par opposition aux douleurs mécaniques dues à une “usure” de l’articulation (arthrose). Les douleurs sont nocturnes, réveillent souvent les patients dans la deuxième partie de la nuit et sont d’intensité maximale le matin. Elles tendent à s’estomper dans la journée, pour réapparaître en fin de soirée. Ces algies s’accompagnent d'un enraidissement articulaire matinal qui disparaît progressivement dans la journée après un dérouillage articulaire, dont la durée est un bon témoin de l’activité de la maladie. L’atteinte des articulations des mains et des pieds, surtout lorsqu’elle est bilatérale et symétrique, est très évocatrice (figure 2). Les poignets et plusieurs articulations des doigts (articulations métacarpo-phalangiennes – entre métacarpe et première phalanges – ou interphalangiennes proximales) et/ou les avant-pieds (articulations métatarsophalangiennes situées à la base des orteils) sont souvent touchées. Il n’existe pas encore de déformation à ce stade La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 293 - juin 2003 D Absence de douleur Articulations enflées Nombre Douleur très intense Articulations douloureuses Nombre Appréciation globale de l’activité de la maladie par le malade Maladie inactive Maladie très active Figure 2. Une polyarthrite bilatérale et symétrique. L’évaluation régulière du nombre d’articulations douloureuses et enflées, de la douleur et de l’activité de la maladie permet de moduler le traitement. mais on peut noter une légère tuméfaction des articulations, voire un aspect en fuseau des doigts. Une synovite (épanchement articulaire) peut s’observer aux poignets et sur certaines articulations qui présentent alors une légère enflure et sont plus chaudes. Il peut également exister un œdème des avant-pieds. Des inflammations de la gaine qui entoure les tendons des doigts ou des pieds (ténosynovites) sont assez souvent associées. Les tendons extenseurs et/ou fléchisseurs des doigts, ainsi que certains tendons du pied (péroniers latéraux, jambier antérieur, jambier postérieur) sont volontiers touchés. L’inflammation provoque une tuméfaction de la gaine et peut entraîner une compression du nerf médian au poignet (syndrome du canal carpien) qui crée un engourdissement des trois premiers doigts. Des signes généraux à type de fébricule à 38 °C, amaigrissement, fatigue sont souvent présents. DES DÉBUTS PARFOIS TROMPEURS Des signes évocateurs d’arthrite Certains symptômes font suspecter une polyarthrite débutante et doivent conduire à consulter son médecin sans attendre l’existence de deux articulations gonflées, des douleurs des avant-pieds le matin au réveil, et un dérouillage matinal (raideur des articulations) de plus d’une demi-heure. La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 293 - juin 2003 O S S I E R P A T I E N T S Le mode d’entrée dans la maladie se fait dans 70 % des cas par l’atteinte progressive de deux à trois articulations des mains et/ou des pieds (oligoarthrite distale). D’autres modes de début, moins classiques, peuvent s’observer : – Une polyarthrite aiguë fébrile associée à une asthénie (fatigue), une perte de poids, etc. – Une atteinte des articulations des racines des membres (épaules et des hanches) ou forme rhizomélique. Elle survient volontiers dans les polyarthrites qui commencent après soixante ans. –Une phase prolongée de douleurs polyarticulaires (polyarthralgies) sans signe clinique à l’examen. – Une forme monoarticulaire chronique (monoarthrite). Elle touche volontiers le genou ou le poignet et peut précéder la maladie de plusieurs mois ou années. – Des signes extra-articulaires isolés : vascularite (inflammation de la paroi des vaisseaux), atteinte pleuropulmonaire, nodules rhumatoïdes (nodosités sous-cutanées dures et indolores). LES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES Au début de la maladie, ils contribuent peu au diagnostic. Les analyses biologiques Elles confirment le caractère inflammatoire du rhumatisme en montrant, dans la plupart des cas, une augmentation de la vitesse de sédimentation (VS) et de la protéine créatine réactive (CRP). Certains anticorps sont très en faveur du diagnostic de polyarthrite rhumatoïde, mais ils sont trouvés de manière inconstante (surtout au début). Ce sont les facteurs rhumatoïdes (qui se voient aussi dans d’autres affections) et les anticorps antipeptides citrullinés (anti-CCP). Ces derniers sont plus spécifiques et présents dans la moitié des cas. D’autres analyses (facteurs antinucléaires, transaminases, créatininémie, urémie, etc.) complètent généralement le bilan ; elles permettent d’écarter d’autres causes d’arthrite. Le typage HLA n’a pas d’intérêt diagnostique. Les radiographies Il est rare de mettre en évidence des érosions ou un pincement de l’interligne articulaire au début de la maladie. Un bilan comprenant des clichés des mains, des pieds et des poumons de face est toutefois pratiqué à titre systématique. Dans certains cas, il peut révéler des signes discrets : – un œdème des parties molles ; – une déminéralisation épiphysaire en bande des articulations métatarso-phalangiennes au pied et/ou des articulations métacarpo-phalangiennes au niveau des mains ; – plus rarement à ce stade précoce, il montre une érosion de l’extrémité antérieure du cinquième métatarsien, très caractéristique de la polyarthrite. III D O S S I E R P A T I E N T S L’analyse du liquide synovial Elle est systématique dès lors qu’il existe un épanchement articulaire. Le liquide est de type inflammatoire (il contient plus de 2 000 leucocytes/µm3), composé en majorité de polynucléaires, sans micro-cristaux ni bactéries. La biopsie synoviale, plus invasive, est rarement pratiquée, sauf si l’on veut éliminer d’autres diagnostics. UN RHUMATISME TRÈS HÉTÉROGÈNE L’évolution de la polyarthrite rhumatoïde est très variable d’un patient à l’autre. On estime que : – 10 à 20 % des polyarthrites sont des formes très sévères. Ces formes au pronostic fonctionnel médiocre entraînent un handicap fonctionnel important. En quelques années, apparaissent des destructions ostéo-articulaires et des déformations des articulations (figures 3 et 4), qui nécessitent de recourir à la chirurgie orthopédique (prothèses, arthroplasties). Sur les radiographies, on peut voir au voisinage des articulations : un épaississement des tissus mous, une déminéralisation des extrémités osseuses (épiphyses), des géodes osseuses (trous dans l’os qui est détruit), des érosions (encoches de l’os à la jonction entre cartilage et os), des déviations des articulations (désaxations), voire une ankylose (soudure). La sévérité des lésions varie d’un sujet à l’autre (30 % n’ont jamais de lésions) et d’une articulation à l’autre. LES MANIFESTATIONS EXTRA-ARTICULAIRES Elles sont nombreuses mais inconstantes. Ces manifestations surviennent plus souvent dans les formes sévères. Elles traduisent le caractère général (systémique) de la maladie. Elles peuvent affecter le sang (anémie, augmentation des plaquettes), les muscles (amyotrophie, inflammation ou myosite), les tendons, le cœur (troubles du rythme, atteinte des valves), les vaisseaux, les poumons et la plèvre, le système nerveux (névrite, compression des nerfs), les yeux (syndrome sec), les tissus mous (nodules rhumatoïdes). Des facteurs pronostiques de sévérité Figure 3. Doigt “en boutonnière”. Figure 4. Déviation en coup de vent cubital. – À l’opposé, dans 20 % à 30 % des cas, la polyarthrite est peu active. L’inflammation est discrète, les douleurs peu intenses, les lésions radiographiques minimes, le nombre d’articulations touchées est souvent réduit. La qualité de vie est peu altérée. – Dans 50 à 60 % des cas restants, l’atteinte est plus lentement progressive. Après la phase de début de la polyarthrite rhumatoïde, qui dure de quelques mois à une année, on entre dans la phase d’état de la maladie. L’évolution est émaillée de poussées douloureuses et inflammatoires entrecoupées de périodes où la maladie est quiescente. Avec les années, des lésions ostéo-articulaires se développent progressivement et des déformations articulaires apparaissent. Des manifestations extra-articulaires peuvent s’y associer. La synovite chronique (sécrétion de synovie au sein de l’articulation contenant des enzymes) et le développement du pannus (prolifération des cellules synoviales de la membrane qui entoure l’articulation) sont responsables de la destruction du cartilage et de l’os adjacent. Parfois, les destructions surviennent à bas bruit sans signes de synovite. Presque toutes les articulations peuvent être touchées : articulations des membres, rachis cervical, articulations chondro-sternales et, bien sûr, les articulations des poignets, des mains et des pieds. IV La présence de certains éléments prédictifs péjoratifs au début de la maladie permet de juger de l’évolution ultérieure et d’adapter le traitement à la sévérité potentielle de la polyarthrite rhumatoïde. Ce sont : – le nombre d’articulations gonflées et douloureuses ; – la présence d’érosions ostéo-articulaires à la radiographie ; – un syndrome inflammatoire (VS et CRP élevées) ; – des facteurs rhumatoïdes positifs, anticorps antipeptides citrullinés (anti-CCP) positifs ; – génétiques : présence d’un HLA DRB1*01-04. LA RÉVOLUTION THÉRAPEUTIQUE L’évolution de la polyarthrite est étroitement liée à la précocité du diagnostic et de la mise en route du traitement. Les progrès réalisés ces dernières années dans la pathogénie de la polyarthrite ont conduit à la mise au point de thérapeutiques plus spécifiques qui s’attaquent aux processus immunologiques inflammatoires responsables des lésions faisant la gravité de la maladie. On assiste aujourd’hui à une véritable révolution du traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Dans des formes très actives de polyarthrite, des médicaments comme les anti-TNF-alpha ont bouleversé la vie des patients et le cours de la polyarthrite. D’autres thérapeutiques sont en cours de développement, certaines seront disponibles prochainement. La polyarthrite rhumatoïde change donc de destin… ! La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 293 - juin 2003