Un cancer de l’intestin grêle synchrone I

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Un cancer de l’intestin grêle synchrone
d’une première poussée de maladie de Crohn
Small bowel cancer diagnosed during the first flare-up of a Crohn’s disease
쐌쎲 J. Barrière*, F. Follana*, P. Chevallier**, N. Carlot-Leccia***, F.X. Caroli-Bosc*, X. Hébuterne*
OBSERVATION
Un homme, âgé de 43 ans et d’origine algérienne, était
hospitalisé en septembre 2005 pour le bilan de douleurs
abdominales associées à une diarrhée de 4 à 5 selles par jour
non glairosanglantes. Dans ses antécédents, on notait une
hernie ombilicale opérée à l’âge de 26 ans et un tabagisme
à 18 paquets/année, sans consommation alcoolique. Il présentait depuis deux mois des douleurs abdominales périombilicales postprandiales qui cédaient brusquement avec un
bruit de vidange évocateur d’un syndrome de Koenig. Il avait
perdu vingt kilos en deux mois. Depuis deux jours, le patient
présentait en plus des vomissements.
Cliniquement, le patient était apyrétique, son abdomen était
distendu, tympanique, sensible dans son ensemble, mais sans
défense ni contracture. L’examen extradigestif était sans particularité. Il existait un syndrome inflammatoire avec une
CRP à 84 mg/l et des niveaux grêliques étaient objectivés à
l’abdomen sans préparation. Une iléocoloscopie était réalisée ;
le rectum et le côlon étaient normaux, la valvule de Bauhin et
l’iléon terminal cathétérisé sur 5 cm étaient remaniés avec la
présence de lésions ulcérées. L’histologie concluait à des lésions
d’iléite exulcérative compatibles avec une maladie de Crohn.
Le transit du grêle trouvait trois sténoses grêliques étagées audessus d’une dernière anse qui présentait une sténose en corde,
spiculée, d’allure inflammatoire (photo 1). Le diagnostic de
maladie de Crohn était retenu et une corticothérapie à la dose
de 1 mg/kg/j était instaurée, associée à une immunonutrition
orale liquide. Deux semaines après sa sortie, le patient était
réhospitalisé pour un syndrome occlusif grêlique ; l’évolution
était rapidement favorable sous traitement médical. Le patient
acceptait de rediscuter de l’option chirurgicale après l’accouchement de sa femme qui devait avoir lieu le mois suivant.
Malheureusement, un nouvel épisode occlusif survenait en
novembre et ne répondait pas au traitement médical. Un examen tomodensitométrique de l’abdomen mettait en évidence
une distension majeure des anses grêles associée à un syndrome
Mots-clés : Maladie de Crohn – Adénocarcinome du grêle –
Association.
Keywords: Crohn’s disease – Adenocarcinoma of the small bowel –
Association.
Transit du grêle : sténose iléale d’allure inflammatoire.
* Pôle digestif, unité de cancérologie digestive, CHU de Nice, hôpital de l’Archet 2, Nice.
** Pôle radiologie, unité de radiologie digestive, CHU de Nice, hôpital de l’Archet 2, Nice.
*** Pôle biologie, service d’anatomopathologie, CHU de Nice, hôpital de l’Archet 2, Nice.
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de masse au niveau de la dernière anse iléale (photos 2 et
3). Une intervention chirurgicale était réalisée emportant le
cæcum et les deux dernières anses iléales, siège des sténoses
étagées en amont de la dernière, avec double stomie en canon
de fusil. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire
objectivait une maladie de Crohn évolutive, ulcérative et fissuraire, avec des lésions inflammatoires chroniques cicatricielles
sous-jacentes (photo 4). Un adénocarcinome lieberkühnien
peu différencié de 8 cm de la dernière anse grêle était également identifié, avec un envahissement de tous les plans de la
paroi jusqu’au péritoine et la présence d’emboles vasculaires
(photo 5). Seuls trois ganglions avaient été réséqués, sans
atteinte métastatique. La lésion était classée pT4NxMxRo.
Une chimiothérapie adjuvante de 12 cycles de type FOLFOX 4
était proposée en réunion de concertation pluridisciplinaire
et un traitement par azathioprine était instauré. À la fin du
traitement adjuvant, une remise en continuité digestive après
résection iléocolique complémentaire était réalisée avec curage
ganglionnaire complémentaire sans atteinte métastatique sur
les 10 ganglions réséqués. Plus d’un an après l’intervention
initiale, le malade est en excellent état général, avec quelques
paresthésies persistantes après la fin de la chimiothérapie en
rapport avec une neurotoxicité sensitive de l’oxaliplatine.
Scanner, coupe transversale : sténose de la dernière anse
iléale avec syndrome de masse tissulaire (flèches).
DISCUSSION
L’adénocarcinome de l’intestin grêle est une tumeur digestive
rare, puisque qu’elle représente moins de 5 % de l’ensemble des tumeurs malignes du tube digestif. À première vue,
cela semble surprenant si l’on considère que la longueur
de l’intestin grêle représente 75 % de la longueur totale du
tube digestif pour 90 % de la totalité de la surface muqueuse.
Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer la
rareté de cette affection (1). En particulier, le temps de transit
intestinal rapide pourrait diminuer le temps d’exposition de la
muqueuse grêlique aux agents carcinogènes, ce qui, associé à
une haute concentration intramuqueuse en protéines détoxifiantes (IgA, benzopyrène hydroxylase), pourrait diminuer
le risque de cancer. L’âge moyen de survenue des cancers de
l’intestin grêle est de 60 ans, avec un sex-ratio de 1/1. L’atteinte
est le plus souvent duodénale avec comme facteurs de risque
la maladie cœliaque, la polypose adénomateuse familiale, le
diverticule de Meckel et le tabagisme (2).
La maladie de Crohn est également un facteur de risque
reconnu de cancer de l’intestin grêle, et le risque relatif est
estimé à 60, même si le risque absolu reste faible avec une
incidence estimée à environ 2 % pour une durée de maladie
de 25 ans (3). Le premier cas d’adénocarcinome du grêle chez
un patient atteint d’une maladie de Crohn a été décrit en 1956
et environ 300 associations ont été publiées depuis (4). À la
différence de la population générale, l’atteinte adénocarcinoma-
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Scanner coupe frontale : sténose de la dernière anse iléale
avec syndrome de masse tissulaire (flèches).
teuse est principalement iléale, favorisée par les ulcérations et
les fistules, avec un âge moyen de 47 ans et une prédominance
masculine (sex-ratio de 3/1). Le diagnostic est généralement
posé après 15 ans d’évolution de la maladie de Crohn, dans
95 % des cas en phase per- ou postopératoire et à un stade le
plus souvent avancé. Un seul cas de diagnostic synchrone,
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comme dans notre observation, a été jusqu’ici publié (5). La
difficulté diagnostique de cette affection est due à l’absence de
symptomatologie spécifique, à l’absence de valeur prédictive
des marqueurs tumoraux et à la difficulté d’exploration de
l’intestin grêle. L’apparition de nouvelles techniques d’imagerie
comme l’entéroscanner (associant entéroclyse et si possible
scanners multibarrette) et d’endoscopie avec l’entéroscopie à
double ballon offrent de nouvelles perspectives diagnostiques
pour la détection des stades précoces de cette affection.
Le pronostic des adénocarcinomes du grêle reste sombre, car
il est, en grande partie, lié au fait que la majorité d’entre eux
sont diagnostiqués à un stade avancé avec une survie à 5 ans
d’environ 25 %, inchangée depuis 10 ans (6, 7). Compte tenu
de la rareté de ces cancers, aucune étude prospective n’a évalué
l’impact de la chimiothérapie, que ce soit en adjuvant ou en
métastatique, et le principal facteur de bon pronostic est une
chirurgie optimale avec marge de résection microscopique
saine sans atteinte ganglionnaire. C’est ainsi qu’en général les
oncologues digestifs proposent aux patients atteints de cette
maladie orpheline les protocoles validés dans l’adénocarcinome
colique. La question de savoir si les patients qui présentent une
maladie de Crohn associée doivent bénéficier d’un traitement
de fond en même temps que leur chimiothérapie n’a jamais été
discutée dans la littérature et la décision se fait alors au cas par
cas. Le bénéfice clinique d’un contrôle de la maladie de Crohn
chez des patients symptomatiques est tel qu’il est raisonnable de
proposer un traitement de fond comme si ces patients n’avaient
pas de cancer, a fortiori s’il s’agit d’un traitement adjuvant.
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Zone d’iléite avec deux ulcérations.
CONCLUSION
Les patients atteints de la maladie de Crohn sont désormais
bien reconnus comme population à risque de développer
des cancers digestifs. Ce risque est considéré aujourd’hui,
à surface de muqueuse atteinte et temps d’évolution égaux,
identique au niveau colorectal à celui des patients atteints de
rectocolite hémorragique. Les résultats de l’étude CESAME
(www.cohorte-cesame.org), permettront peut-être de mieux
déterminer le risque d’adénocarcinome de l’intestin grêle chez
ces malades. Il nous semble que, en 2006, l’utilisation des
techniques modernes d’imagerie en coupe pourrait permettre
de dépister cette maladie plus précocement chez un malade
■
porteur d’une maladie de Crohn de l’intestin grêle.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Bauer RL, Palmer ML, Bauer AM et al. Adenocarcinoma of the
small intestine: 21-year review of diagnosis, treatment, and prognosis. Ann Surg Oncol 1994;1(3):183-8.
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Registry. Am J Gastroenterol 2006;101(7):1647-54.
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Thrombose vasculaire tumorale.
3. Kronberger IE, Graziadei IW, Vogel W. Small bowel adenocarcinoma in Crohn’s disease: a case report and review of literature. World
J Gastroenterol 2006;12(8):1317-20.
4. Piercecchi-Marti MD, Desjeux A, Liprandi A et al. Crohn’s disease
and small bowel adenocarcinoma. Rev Med Interne 2001;22(8):749-52.
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6. Bauer RL, Palmer ML, Bauer AM et al. Adenocarcinoma of the
small intestine: 21-year review of diagnosis, treatment, and prognosis. Ann Surg Oncol 1994;1:183-8.
7. Dabaja BS, Suki D, Pro B et al. Adenocarcinoma of the small
bowel: presentation, prognostic factors, and outcome of 217 patients.
Cancer 2004;101:518-26.
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