Troubles obsessionnels-compulsifs et stimulation cérébrale profonde I. Chéreau*, P.M. Llorca** Définition Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) est défini comme la présence de symptômes spécifiques – les obsessions et/ou les compulsions – pouvant gêner considérablement le sujet dans ses activités occupationnelles et sociales (DSM IV). Les obsessions correspondent à l’irruption dans la pensée d’un sentiment, d’une idée ou d’une image que le patient reconnaît comme pathologique, provenant de sa propre activité psychique et persistant malgré ses efforts pour s’en débarrasser. Les compulsions sont définies par des comportements excessifs que le sujet se sent contraint de réaliser, même s’il en reconnaît le caractère absurde, dans le but de diminuer l’anxiété due aux obsessions. Les symptômes les plus classiques sont représentés par des comportements moteurs (lavage des mains, vérifications, etc.) ou des actes mentaux (répétition de phrases, calculs, etc.) qui entraînent une souffrance majeure pour le sujet et des conséquences importantes dans ses activités au quotidien (perte de temps, repli social, conséquences familiales, professionnelles, etc.). Épidémiologie La prévalence du TOC est estimée entre 2,5 et 4 % sur la vie entière, avec * Psychiatre, centre médicopsychologique, USN 2, CHU de Clermont-Ferrand. ** Chef de service, centre médico-psychologique, USN 2, CHU de Clermont-Ferrand. L e trouble obsessionnel-compulsif (TOC), défini par la présence d’obsessions et/ou de compulsions, est une pathologie très invalidante. Dans un premier temps, nous rappellerons les données épidémiologiques, les conséquences et les traitements “classiques” de ce trouble. Dans le cas des TOC résistants à ces traitements, nous aborderons la psychochirurgie et les nouvelles thérapeutiques proposées grâce à la stimulation cérébrale profonde. Après avoir décrit les principes et les avantages de cette technique, nous développerons ses intérêts dans le traitement des TOC et les perspectives thérapeutiques futures ainsi proposées à ces patients invalidés. une légère prédominance du sexe féminin (1). Les troubles débutent de manière plus ou moins précoce, dans l’enfance ou l’adolescence, en général avant 15 ans. Ce début est habituellement progressif, et l’on retrouve souvent des symptômes obsessionnelscompulsifs dans l’histoire des patients atteints de TOC. Dans certains cas, l’apparition des troubles est brutale, dans les suites d’un traumatisme, d’un événement important ou d’une dépression. En moyenne, le délai avant consultation est de sept ans entre le début des troubles et la première demande de soins ; l’évolution est chronique dans 80 % des cas (2). Comme pour les autres troubles anxieux, la comorbidité est importante avec les troubles dépressifs, et l’on estime que 67 % des patients présentant des TOC à un moment ou à un autre de leur vie vont souffrir de dépression. La comorbidité du trouble est estimée à 52 % dans les états phobiques (phobies spécifiques, phobies sociales et les troubles paniques), à 17 % pour les troubles des conduites alimentaires et à 14 % pour les abus d’alcool. Les symptômes obsessionnelscompulsifs sont également observés chez 80 à 90 % des patients porteurs d’un syndrome de Gilles de la Tourette et chez 10 % des patients atteints de schizophrénie (2). mage (entre 2 à 3 ans en moyenne). Sur le plan familial, le fonctionnement du patient est souvent altéré, avec une diminution des relations, des interactions, tant qualitative que quantitative. On retrouve fréquemment chez ces patients : une diminution de l’estime de soi et des ambitions souvent corrélée avec la sévérité de la symptomatologie. Du fait du retentissement fonctionnel et malgré une amélioration due aux traitements médicaux, le TOC apparaît comme un problème de santé publique, notamment par le coût élevé de la prise en charge des patients (coût direct dû au traitement et coût indirect [retentissement économique, arrêts de travail, etc.]). Les conséquences du TOC Traitements et prises en charge Les TOC entraînent une souffrance majeure pour le patient, mais aussi des répercussions d’ordre professionnel, familial et psychosocial (3). En effet, sur le plan professionnel, le sujet présente fréquemment des arrêts de travail répétés et des périodes de chô- Le traitement classique du TOC repose sur une association médicamenteuse (inhibiteur de la recapture de la sérotonine [IRS], clomipramine) et psychothérapique, représentée principalement par la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). 134 Mise au point Mise au point L’évaluation de l’efficacité des thérapeutiques dans les TOC s’effectue généralement à l’aide de l’échelle YBOCS (Yale Brown Obsessive Compulsive Scale), qui permet d’apprécier les différents caractères de la symptomatologie obsessionnelle et compulsive. Cette échelle étudie ainsi la durée des obsessions, l’effort fourni par le patient pour lutter contre ses idées obsédantes, le contrôle qu’il a sur elles, la gêne sociale et l’anxiété qu’il éprouve en présence de ses idées et de ses compulsions. On considère qu’une réduction de 30 % à la YBOCS est un critère d’efficacité nécessaire et suffisant pour parler d’effet thérapeutique dans le TOC. Les traitements médicamenteux L’inhibiteur spécifique de la recapture de la sérotonine (ISRS), employé à des doses supérieures à celles efficaces dans la dépression, représente le traitement pharmacologique de première intention dans les TOC. Son utilisation permet une réduction de l’ordre de 25 à 45 % des symptômes (4). La fluoxétine, généralement employée à des doses de 20 à 60 mg/j, a démontré une efficacité équivalente de celle de la clomipramine, après huit semaines de traitement (5). D’autres ISRS, comme la fluvoxamine, la sertraline, la paroxétine ou le citalopram, ont montré une efficacité comparable (6-11). La clomipramine, antidépresseur tricyclique autrefois utilisé en première intention, est désormais réservée aux formes sévères et/ou résistantes, avec une amélioration des symptômes allant jusqu’à 40 %. Une étude de Fallon et al. a montré, chez des patients TOC résistants, un intérêt supérieur de la clomipramine en i.v. par rapport à la clomipramine per os (12). L’intérêt de la pharmacothérapie réside dans le fait que 70 % des patients sont améliorés et qu’elle est aussi efficace sur la symptomatologie dépressive présentée par ces patients, associée aux TOC. Il faut cependant remarquer que l’efficacité médicamenteuse néces- site un traitement au long cours, et qu’une récurrence du trouble surviendrait après l’arrêt du traitement dans 80 à 90 % des cas. Des études récentes (13, 14) rapportent l’intérêt des neuroleptiques atypiques, comme la rispéridone, dans le traitement des symptômes réfractaires ou des TOC résistants. La psychothérapie Les techniques de TCC représentent le traitement psychothérapique de référence des TOC. Cette thérapie associe l’information des patients et de leur famille à la technique dite d’exposition, avec prévention de la réponse. Elle consiste à exposer le patient au stimulus ou bien à la situation qu’il redoute, tout en retenant ou en tentant d’éviter la réponse ritualisée. Son but est d’augmenter l’habituation du patient face aux stimuli anxiogènes en encourageant l’affrontement avec l’idée obsédante pendant une durée d’au moins 30 minutes. Les avantages de cette prise en charge sont un succès dans 50 à 70 % des cas chez les patients traités, avec une rechute moins fréquente après l’interruption du traitement. Les inconvénients reposent sur la durée du traitement (6 à 12 mois) à raison de deux séances par semaine, sur l’effort intense que doit fournir le patient et sur le peu de thérapeutes formés à cette technique en France. De plus, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un traitement peu efficace sur les TOC avec obsession pure. Il n’existe pas d’études contrôlées pour les autres techniques psychothérapiques employées dans les TOC. Au total, il faut admettre que c’est l’association médicaments/psychothérapie qui reste, à long terme, le traitement le plus efficace dans les TOC. La psychochirurgie Malgré ces possibilités thérapeutiques, certains patients ne répondent ni à l’approche pharmacothérapique, ni aux TCC, ni à l’association des deux. Ainsi, dans des cas graves de TOC dits “malins”, la question d’une Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 5, juin 2003 indication chirurgicale peut être posée. Les indications de la psychochirurgie dans les TOC sont les suivantes : – critères existants depuis au moins cinq ans avec souffrance attestée dans des scores cliniques et des scores de fonctionnement social (YBOCS > 25 ; GAF < 50) ; – traitements utilisés seuls ou en association pendant au moins cinq ans, inefficaces ou arrêtés en raison de leurs effets indésirables ; – troubles comorbides associés traités de façon adaptée ; – pronostic de l’évolution du TOC considéré comme pauvre ; – consentement éclairé du patient pour l’évaluation préopératoire et la réhabilitation postopératoire. Les contre-indications de cette technique comprennent : – une pathologie organique grave ; – un trouble délirant ; – un abus d’alcool et/ou de drogue(s) ; – un trouble de la personnalité du groupe A (paranoïaque notamment) ou du groupe B (antisocial notamment) ; – des pathologies somatiques de l’axe III du DSM (pathologie cérébrale, atrophie ou tumeur). La psychochirurgie n’est pas une option récente dans les troubles psychiatriques, puisqu’elle a été utilisée pour la première fois dans les années 1950. Les principales techniques étaient représentées par la cingulotomie antérieure bilatérale, la tractotomie subcaudée, la leucotomie limbique et la capsulotomie antérieure bilatérale. Cependant, devant l’absence d’uniformisation des techniques (procédure unilatérale, bilatérale, critères d’inclusion vagues, évaluation d’efficacité subjective), de réelle efficacité clinique démontrée et devant la présence de nombreux effets secondaires (parfois sévères), ces techniques ont progressivement été abandonnées. La stimulation cérébrale profonde : principes, intérêts et limites Devant les échecs de la psychochirurgie et les cas de résistance au traitement et de rechute, associant une prise 135 Mise au point Mise au point en charge médicamenteuse et psychothérapique, l’utilisation de la stimulation cérébrale à haute fréquence a ouvert de nouvelles perspectives d’intervention. Cette technique consiste en l’implantation stéréotaxique d’électrodes dans des structures cérébrales profondes. Ces électrodes sont reliées, par un câble sous-cutané, à un générateur électrique permettant d’appliquer à la structure visée un courant à haute fréquence (80-150 Hertz) en continu. Les avantages de cette technique reposent sur sa réversibilité et sur la possibilité d’ajuster les différents paramètres de la stimulation (fréquence, voltage, durée d’impulsion) ainsi qu’une faible morbidité. Cette technique de stimulation cérébrale profonde est déjà utilisée dans le traitement du tremblement essentiel, de la maladie de Parkinson, de la dystonie, de l’épilepsie et, plus récemment, de la maladie de Gilles de la Tourette. Cette option, bien qu’intéressante, présente certaines limites : – l’absence de recul et d’homogénéité des techniques ; – les nombreuses discussions quant à la meilleure cible anatomique (noyau sous-thalamique, pallidum interne, noyau dorso-médian du thalamus) ; – les difficultés de localisation des électrodes implantées en postopératoire ; – les risques liés à la chirurgie (infection, complications postopératoires, hémorragies intracérébrale, etc.). Intérêts de la stimulation cérébrale profonde dans le traitement des TOC Comme nous l’avons vu précédemment, la stimulation cérébrale profonde est une option chirurgicale novatrice, intéressante car peu invasive et réversible. Cependant, en quoi présente-t-elle un intérêt dans le traitement des TOC ? Physiopathologie des TOC D’un point de vue anatomique Le fonctionnement du système souscortico-frontal est fondé sur un réseau de neurones reliant diverses structures (striatum, globus pallidus interne et externe, noyau subthalamique) et leurs connexions vers le cortex frontal via le thalamus. Ces ganglions de la base sont subdivisés en territoires sensorimoteur, oculomoteur, associatif et limbique. Ils posséderaient un rôle de filtre de l’information, permettant une activité plus harmonieuse. L’organisation fonctionnelle est ainsi représentée comme un ensemble de boucles ayant une fonction spécifique et répondant à des territoires corticaux particuliers avec pour relais le thalamus. La boucle associative serait impliquée dans le fonctionnement cognitif et la boucle limbique dans des processus émotionnels. Hypothèse physiopathologique du TOC Les modèles physiopathologiques actuels du TOC seraient en faveur d’un dysfonctionnement des circuits striatopallido-thalamo-corticaux (en particulier le striatum ventral) (15, 16). Cette pathologie striatale aurait pour conséquence un défaut de filtrage de l’information, ayant lui-même deux effets : – un dysfonctionnement orbito-striato -thalamique entraînant l’intrusion de représentations normalement inhibées ; – une hyperactivité limbique secondaire entraînant une anxiété et des comportements répétitifs pour réduire cette hyperactivité limbique et augmenter le filtrage thalamique (16-18). Différents éléments cliniques et radiologiques appuient cette hypothèse d’un dysfonctionnement du circuit orbito-fronto-striato-thalamo-cortical : – la présence de TOC dans des pathologies comme la maladie de Gilles de la Tourette, connue pour son dysfonctionnement sous-cortical ; – l’hyperactivité du cortex cingulaire antérieur/préfrontal médial et caudal, orbito-frontal, du noyau caudé et du thalamus dans les TOC, en neuroimagerie fonctionnelle (19, 20). Au total, ces différentes données cliniques et expérimentales évoquent l’implication des circuits limbiques des noyaux gris de la base dans la physiopathologie des TOC. Cependant, la question demeure de savoir quelles sont les cibles chirurgicales à stimuler dans le traitement des patients atteints ? Les différentes cibles chirurgicales Du fait de leur rôle et de leur position, trois structures cérébrales ont été proposées comme cibles thérapeutiques potentielles. Le complexe centre médian - noyau parafasciculaire Il s’agit d’un relais limbique au sein du thalamus, déjà stimulé avec succès chez une patiente atteinte d’une maladie de Gilles de la Tourette (21). Il faut cependant reconnaître que la position de cette structure, près de la ligne médiane dans le thalamus, la rend difficilement repérable de façon précise sur une IRM et difficilement accessible d’un point de vue chirurgical. Le noyau accumbens Il s’agit d’un relais associativo-limbique recevant des afférences en provenance des régions corticales, limbiques, de l’hippocampe et de l’amygdale. Cependant, l’important volume de cette structure implique des positionnements de l’électrode de stimulation variant d’un patient à l’autre et, de ce fait, la reproductibilité de la procédure d’un patient à l’autre ne sera pas assurée et les résultats ne pourront être comparés. Le noyau subthalamique Il s’agit d’une structure de petite taille comprenant un territoire limbique antéro-médial, avec une anatomie systématisée qui lui permet d’être bien repéré sur les IRM. De plus, cette structure a déjà été stimulée avec succès dans le traitement de la maladie de Parkinson, ce qui en fait, à l’heure actuelle, une cible de choix. 136 Mise au point Mise au point Les essais cliniques déjà réalisés Conclusion et les perspectives thérapeutiques Longtemps considéré Dans les suites de traitements par stimulation cérébrale profonde chez les patients atteints de maladie de Parkinson, des résultats préliminaires intéressants après stimulation cérébrale profonde, ont été obtenus chez des patients présentant des TOC résistants à tous les traitements. Amélioration spectaculaire d’un TOC préexistant à la maladie de Parkinson chez deux patients traités par stimulation bilatérale du noyau subthalamique dans le cadre d’une maladie de Parkinson (compulsions améliorées de 100 % ; obsessions de 65 %, avec un recul de 15 mois) (22). Cas de trois patients opérés par stimulation électrique bilatérale à haute fréquence du bras antérieur de la capsule interne, avec amélioration de deux patients dont l’un présente une disparition des symptômes d’obsession et de l’anxiété au moment de la mise en route de la stimulation. L’amélioration des troubles a persisté après plus de 32 mois (23, 24). Ces résultats encourageants doivent être développés sans négliger d’autres perspectives thérapeutiques. Ainsi, pour permettre une uniformisation et une comparabilité des résultats, les patients devront être sélectionnés sur des critères cliniques précis, une uniformisation des techniques chirurgicales et des cibles choisies. En parallèle, des suivis pré- et postopératoires, à court et long termes, devront être proposés, de manière rigoureuse, quant à l’évolution psychologique et psychopathologique des patients traités. Dans tous les cas, il ne faudra jamais négliger le vécu de ces patients, leur qualité de vie en pré- et postopératoire et les risques encourus. Du fait du caractère novateur de ces différentes techniques, il est évident que davantage de recul et d’observation restent encore nécessaires, afin de confirmer leur intérêt dans le traitement des TOC, invalidants pour de nombreux patients. comme un trouble d’origine psychique, le TOC est aujourd’hui admis comme l’exemple même d’une pathologie neuropsychiatrique, dans laquelle interviennent de nombreuses structures anatomiques et des neurotransmetteurs. À ces options biologiques s’ajoutent désormais des recherches dans l’identification des structures neuroanatomiques impliquées, actuellement mieux connues, du fait des progrès de l’imagerie. Des avancées thérapeutiques récentes dans la maladie de Parkinson ouvrent la possibilité à de nouvelles prises en charge thérapeutiques chirurgicales chez les patients atteints de TOC. Ainsi, grâce à l’expansion de techniques moins invasives, il est désormais possible d’envisager un traitement pour des patients résistants et gravement invalidés par leurs troubles. Références 1. Rasmussen SA, Eisen JL. Epidemiology of obsessive compulsive disorder. J Clin Psychiatry 1990 ; 51 : 10-4. 2. Rasmussen SA, Eisen JL. The epidemiology and clinical features of obsessive compulsive disorder. Psychiatr Clin North Am 1992 ; 15 (4) : 743-58. 3. Hollande E et al. Obsessive-compulsive and spectrum disorders : overview and quality of life issues. J Clin Psychiatry 1996 ; 57 (suppl 8) : 3-6. 4. Montgomer SA et al. Citalopram 20 mg, 40 mg and 60 mg are all effective and well tolerated compared with placebo in obsessivecompulsive disorder. Int Clin Psychopharmacol 2001 ; 16 (2) : 75-86. 5. 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