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Évolution de la glande mammaire à la ménopause
Evolution of mammary gland during menopausal period
● B. Gairard*
Résumé
L’involution du tissu mammaire débute très tôt, dès 35 ans. Elle
est retardée par la grossesse, mais elle reprend après la lactation.
Elle comporte deux phases : l’une préclimatérique, caractérisée
par une réduction progressive du tissu glandulaire, l’autre ménopausique, au cours de laquelle l’involution du tissu glandulaire
s’accentue et s’accompagne d’une régression de la trame fibreuse
au profit d’un accroissement du tissu adipeux. C’est l’étape dite
d’involution adipeuse. Ces deux phénomènes qui s’intriquent et
se superposent sont liés, l’un au viellissement, l’autre aux transformations hormonales qui s’opèrent à la ménopause.
Il est important de connaître les différentes cibles histologiques
de l’involution mammaire pour mieux comprendre les variations
cliniques et mammographiques qui peuvent survenir à la ménopause et expliquer certaines images difficiles.
Le rôle éventuel de l’involution mammaire dans la cancérogenèse
mammaire est sujet à discussion. Certaines données biologiques
suggèrent un lien entre les deux phénomènes, mais aucune relation de cause à effet n’a été prouvée.
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l est important de connaître les variations normales du tissu
mammaire au cours de la vie pour mieux comprendre les
modifications cliniques et mammographiques qui surviennent aux différentes étapes : puberté, lactation, ménopause. Très
tôt, le sein subit régulièrement une involution qui s’accélère au
moment de la ménopause sous l’influence de la privation hormonale. Si peu de travaux présentent les modifications tissulaires du sein directement liées à la ménopause, de nombreuses
publications portent sur l’involution (1).
Certaines données biologiques suggèrent un lien entre involution
et cancérogenèse mammaire (2), bien qu’aucune relation de cause
à effet n’ait pu être démontrée. Cependant, il semblerait que des
retards à l’involution ou des défauts d’involution pourraient
jouer un rôle dans le risque de cancer du sein (3, 4) (grossesse
tardive (5), traitement hormonal substitutif prolongé [6]…)
L’INVOLUTION NORMALE DU SEIN
Modifications histologiques
La connaissance du processus d’involution est essentielle pour
distinguer le normal du pathologique et pour comprendre la
complexité de certains désordres dont les effets se superposent
à l’involution mammaire.
* Clinique gynécologique et obstétricale, hôpital civil, Strasbourg.
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L’involution du sein démarre après la grossesse et la lactation et
se poursuit autour de la ménopause. Ce phénomène est sous
influence hormonale, principalement ovarienne et pituitaire. Son
déroulement ne suit pas le même schéma au niveau du sein qu’au
niveau des autres tissus. En effet, l’involution mammaire peut
démarrer très tôt, à partir de 30-35 ans. On peut distinguer deux
phases : la première, préclimatérique, caractérisée par une atrophie modérée de l’épithélium glandulaire et une diminution de
la quantité de tissu lobulaire et d’acini, la seconde, ménopausique, caractérisée par une réduction progressive de tout le tissu
glandulaire et une augmentation progressive de tissu adipeux.
En fait, l’involution commence dès que cesse la lactation et
s’opère à un rythme plus lent au cours du vieillissement. Les
études morphométriques ont suggéré que la réduction du
volume lobulaire avec perte de l’épithélium démarrait à 30 ans
et se poursuivait jusqu’à 60. Ce phénomène ne dépend pas seulement de la fonction ovarienne, puisqu’un développement lobulaire modéré ou bon se retrouve chez plus de 75 % des femmes
castrées, après plus de 15 ans suivant la castration. La quantité
d’épithélium résiduel ne semble pas être influencée par le nombre
de grossesses ou d’allaitements.
Les informations proviennent de biopsies séquentielles de seins
supposés normaux ou d’autopsies de seins de femmes “normales” décédées autour de la ménopause (7).
On distingue plusieurs niveaux d’involution (8, 9) :
● l’involution lobulaire, qui concerne à la fois l’épithélium et
le stroma palléal. On observe un épaississement de la membrane
basale des acini, un amincissement de la double couche épithéliale qui s’aplatit tandis que la lumière se rétrécit. En même
temps, le tissu conjonctif lâche du lobule devient dense et hyalin et le tissu conjonctif palléal disparaît. Ainsi, le contour du
lobule se perd, ne laissant persister que des reliquats épithéliaux.
Dans certains cas, une involution lobulaire de type “kystique”,
caractérisée par la formation de microkystes à partir d’acini qui
se rejoignent, peut coexister avec la forme classique. En aucun
cas, cet aspect ne doit être considéré comme pathologique ni être
confondu avec la maladie fibrokystique ;
● l’involution ductale, caractérisée par la disparition des
canaux intra- et interlobulaires avec augmentation du diamètre
des petits canaux et des canaux terminaux. Le tissu élastique disparaît irrégulièrement ;
● l’involution stromale, qui se manifeste par le remplacement,
à des degrés divers, du tissu conjonctif par du tissu adipeux. Ce
processus conduit soit à des petits seins atrophiques, soit, à
l’autre extrême, à de volumineux seins penduleux contenant une
grande quantité de tissu graisseux dans lequel sont dispersés des
La Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003
reliquats galactophoriques du parenchyme et quelques lobules
ayant échappé à l’involution. La métaplasie adipeuse observée
a ainsi une distribution en taches résultant de petites zones de
tissu fibreux préexistant alternant avec des zones adipeuses nouvellement formées. Occasionnellement, la métaplasie adipeuse
peut isoler une large région de stroma fibreux.
Cette involution adipeuse est importante à souligner car le tissu adipeux est le lieu privilégié de l’aromatisation de l’androstènedione
en estrone. Le taux de conversion augmente brutalement après
la ménopause de 1,4 à 2,7 %. Ainsi l’involution graisseuse du
sein qui se produit au cours de la ménopause favorise la transformation locale des androgènes en estrogènes. Cette aromatisation est, en outre, cinq fois plus active dans le tissu adipeux
mammaire que dans le tissu adipeux périphérique et deux fois
plus dans le quadrant supéro-externe que dans le reste du sein.
Parallèlement, la concentration tissulaire des stéroïdes est plus
faible dans le parenchyme que dans le tissu adipeux, probablement en raison de la plus faible aromatisation des androgènes.
L’involution stromale comme l’involution lobulaire évoluent
par place à différentes vitesses dans différentes zones mêmes
adjacentes du sein. Cet asynchronisme peut parfois entraîner des
difficultés d’interprétation des mammographies ou des lames
histologiques en raison de fausses images d’infiltration.
Variations cliniques
Le manque d’uniformité de l’involution stromale dans le temps
et dans l’espace, c’est-à-dire dans les différentes parties du sein,
entraînent des différences de consistance selon, en particulier, la
quantité de tissu adipeux. La distribution en plages de la métaplasie apocrine avec de petites zones de tissu fibreux préexistant,
qui alternent avec les zones de tissu adipeux nouvellement formé
est à l’origine de la palpation d’une consistance granuleuse,
voire nodulaire, pouvant faire suspecter à tort une pathologie.
Variations mammographiques
Cette involution stromale qui peut évoluer de façon irrégulière
et asynchrone est à l’origine d’images radiologiques très
diverses et peut conduire à des difficultés d’interprétation. Si
l’étude des modifications physiologiques du sein à la ménopause
n’a pas fait l’objet de nombreuses publications, il n’en est pas
de même de leurs retentissements au niveau des densités radiologiques et de leurs répercussions au niveau de la sensibilité de
la mammographie en relation avec un grand nombre de facteurs
dont les plus importants sont les traitements hormonaux substitutifs de la ménopause.
Une preuve des variations tissulaires globales des seins chez
la femme au cours du viellissement (11) a été présentée par
l’analyse des densités qui traduisent un tissu fibro-glandulaire persistant. Cette évolution se manifeste dans l’étude des mammographies de dépistage du Bas-Rhin (ADEMAS) par une diminution progressive des seins très denses DY (de 4,9 % à 50 ans
à 1,4 % à 66 ans) ou denses P2 (de 34,3 % à 50 ans à 13,5 % à
65 ans) au profit des seins N adipeux (de 14,2 % à 50 ans à
28,4 % à 66 ans) ou P1 à prédominance adipeuse (de 46,6 % à
50 ans à 55,5 % à 66 ans). Ces données sont en accord avec
celles de la littérature (10-15).
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● Le rôle de la ménopause sur le phénomène d’involution du
sein a pu être étudié dans cette même population. Parmi 27 906
clichés classés, 25 174 femmes ont fourni leur statut hormonal :
19 782 correspondent à des femmes déjà ménopausées alors que
5 392 ne le sont pas encore. Il ressort clairement de cette étude
que la ménopause entraîne une diminution significative des
seins denses (de 5,0 à 2,4 % pour les DY et de 35,8 à 22,0 %
pour les P2) au profit des seins clairs (de 12,9 à 20,0 % pour les
N et de 46,3 à 52,6 % pour les P1).
● Le rôle respectif de l’âge et de la ménopause sur cette involution est fourni par l’allure des courbes de variations de la densité radiologique, en fonction de l’âge, des seins des femmes non
ménopausées, ménopausées non traitées et ménopausées recevant un traitement substitutif. On constate encore, bien qu’à un
moindre degré, une diminution des seins denses au profit des
seins adipeux (16). Ces observations sont en faveur du rôle combiné du vieillissement et de la privation hormonale liée à la
ménopause. Cependant, cette dernière n’est pas essentielle dans
l’involution ainsi qu’en atteste la précocité du phénomène même
en présence d’activité ovarienne ou la variabilité dans la persistance de l’architecture lobulaire à un âge tardif.
Récemment, plusieurs études ont montré le rôle d’un certain
nombre de facteurs liés à la densité mammographique tels que
la parité (17-20), la race (21), des facteurs génétiques (22)… Par
ailleurs, il a été observé que la réduction de la densité mammaire
des femmes qui se présentaient au dépistage dans les années
1990 n’était pas aussi rapide en fonction de l’âge que dans la
décade précédente, même chez les femmes non traitées à la
ménopause (23).
CONCLUSION
L’involution mammaire résulte de deux phénomènes qui s’intriquent et se superposent : l’un étant lié au vieillissement et l’autre
à la privation hormonale de la ménopause. Les variations histologiques tissulaires se reflètent dans les variations de densité
radiologique qui traduisent les effets de l’âge, de la ménopause
et des traitements hormonaux substitutifs (24). Jusqu’à présent,
le rôle de l’involution dans la cancérogenèse mammaire est
inconnu et l’influence des traitements hormonaux au niveau tissulaire fait encore l’objet de discussions.
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