CAS CLINIQUE Mots-clés Urgence – Chirurgie – Antibiothérapie Keywords Emergency – Surgery – Antibiotherapy Cellulite cervico-faciale Cervico-facial fasciitis K. Nadour*, M. Zalagh*, M. Chihani*, B. Hemmaoui*, M. Elakhiri*, A. Aljalil*, N. Touihem*, A. Jahidi*, S. Ouraini*, W. Itoua*, N. Errami*, F. Benariba* L es cellulites cervico-faciales, ou fasciites, sont des infections bactériennes extensives qui touchent les espaces aponévrotiques et cellulo-graisseux de la face et du cou. Marquées par une nécrose extensive qui peut réaliser de véritables mutilations, elles sont susceptibles de s’étendre jusqu’au médiastin (1). À ces lésions tissulaires s’ajoute un sepsis grave. Les cellulites constituent une urgence médicochirurgicale, car elles mettent en jeu le pronostic vital et nécessitent une prise en charge rapide et multidisciplinaire (urgentistes, anesthésistes-réanimateurs, internistes, chirurgiens ORL et thoraciques) [2]. résiduels. Puis des soins locaux biquotidiens ont été réalisés sous anesthésie locale sous la forme de lavages abondants au sérum salé et à la bétadine mélangée à de l’eau oxygénée, jusqu’à la disparition Observation Un patient âgé de 41 ans est admis pour une tuméfaction latérocervicale gauche inflammatoire qui évolue depuis 3 jours dans un contexte très fébrile. L’interrogatoire révèle que le patient est traité depuis une semaine pour une angine par l’amoxicilline associée aux AINS. De fait, l’examen de l’oropharynx retrouve une angine érythémato-pultacée. Le scanner cervico-thoracique montre une infiltration latérocervicale gauche qui s’étend jusqu’au médiastin, une collection abcédée (figure 1) et la présence de gaz (figure 2). Une cervicotomie (figure 3) avec une incision bimastoïdienne ainsi qu’une large ouverture des espaces du cou ont été nécessaires pour effectuer un évidement complet (guidé par le scanner) des foyers infectieux et exciser les zones de nécrose (figure 4). Des lames de Delbet ont été laissées en place sans fermeture cutanée. Les prélèvements bactériologiques ont permis de mettre en évidence un Streptococcus pyogenes et quelques staphylocoques dorés. Parallèlement, le patient a été mis sous une tri-antibiothérapie par voie veineuse qui associe une quinolone, une céphalosporine de troisième génération et un imidazole. Après l’opération, le patient a bénéficié de 3 soins sous anesthésie générale à raison de 1 jour sur 2. Ces soins consistaient en l’exérèse des foyers infectieux et de nécrose Figure 1. TDM cervicale montrant une infiltration abcédée des tissus avec présence de gaz (*). Figure 2. Extension des lésions au médiastin. * Service ORL, hôpital militaire d’instruction Mohammed-V de Rabat, Maroc. 30 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 324 - janvier-février-mars 2011 CAS CLINIQUE du pus. Les lames ont été retirées progressivement. L’amélioration de l’état général, avec baisse de la température, a été nette dès le troisième jour. Les incisions se sont cicatrisées vers le huitième jour, et l’antibiothérapie a été poursuivie per os. Ce patient a été suivi régulièrement depuis. Il a bénéficié de soins dentaires, et il n’a pas présenté de récidive de cette cellulite avec un recul de 3 ans. Discussion Le terme de cellulite cervicale regroupe des entités anatomopathologiques variées allant de l’atteinte du derme superficiel jusqu’à celle des muscles. La dermo-hypodermite bactérienne avec atteinte nécrosante de l’aponévrose et parfois des muscles sous-jacents est la forme la plus grave (fasciite nécrosante). C’est une urgence ORL de pronostic parfois péjoratif (2). On retrouve souvent à l’interrogatoire la notion d’une infection récente, dentaire (abcès) ou pharyngée (angine, phlegmon périamygdalien), et mal prise en charge (automédication, AINS, corticoïdes). Les Figure 3. Large cervicotomie avec issue du pus. Figure 4. Zone de nécrose noirâtre. signes fonctionnels sont dominés par les douleurs cervicales, souvent diffuses, accompagnées ou non d’une dysphagie. La dyspnée survient à un stade tardif. Elle est liée à une infiltration œdémateuse de la base de langue et de la filière laryngée. L’examen physique est souvent pauvre, et contraste avec l’intensité des signes fonctionnels. Cet examen révèle une tuméfaction inflammatoire à type d’empâtement cervical, uni- ou bilatéral, associée à une fièvre supérieure à 38,5 °C. La palpation cervicale d’un emphysème sous-cutané évoque la responsabilité de germes anaérobies, de mauvais pronostic. En cas de porte d’entrée dentaire, on peut retrouver un trismus, et, en cas d’atteinte de l’espace prévertébral, on peut observer un torticolis (2, 3). La tomodensitométrie (TDM) cervico-thoracique doit être réalisée dans les plus brefs délais. Elle a pour but de confirmer le diagnostic de cellulite, de rechercher le point de départ de l’infection et de guider le traitement chirurgical, en montrant l’extension de l’infection au niveau cervical et médiastinal. Enfin, cette TDM recherche des complications telles qu’une thrombose jugulaire et une compression des voies aériennes supérieures (4). En l’absence d’un traitement chirurgical précoce et bien conduit, l’infection va se propager vers le médiastin dans plus de 20 % des cas. Cette évolution est favorisée par la localisation pharyngée initiale de l’infection et la prise de corticoïdes oraux, et elle est plus fréquente lorsqu’il y a présence de gaz sur l’imagerie initiale. L’atteinte médiastinale est responsable d’une augmentation du taux de morbidité, sans élévation du taux de mortalité. À ces conséquences tissulaires locales s’ajoutent les effets d’un sepsis menaçant (3, 5). Le traitement doit être réalisé en urgence et associer chirurgie et antibiothérapie. Le foyer infectieux doit être abordé par une large incision cervicale, souvent bimastoïdienne. Le médiastin est drainé par des lames descendues à partir de la cervicotomie, mais, si l’extension est plus profonde, il faut faire une sternotomie ou une thoracotomie. Il faut éviter un traitement trop conservateur ne permettant pas d’éliminer tous les tissus nécrosés et infectés. L’extrême rapidité d’extension des lésions oblige souvent à réopérer les patients pour compléter l’excision des tissus infectés et nécrosés. Il ne faut pas oublier de traiter la porte d’entrée. Une trachéotomie transitoire est également parfois nécessaire, surtout en cas de médiastinite associée (2, 6). La place de l’oxygénothérapie hyperbare n’a pas été évaluée de façon randomisée (7). L’identification des germes responsables est indispensable. Les prélèvements les plus fiables sont ceux faits en peropératoire, en précisant que l’on recherche des germes aérobies mais aussi anaérobies. En attendant les résultats, le patient reçoit une antibiothérapie probabiliste active sur les germes communautaires aérobies et anaérobies de la sphère ORL, qui associe généralement une amoxicilline, une céphalosporine de troisième génération et un imidazole, administrés par voie intraveineuse pour une durée moyenne de 10 à 14 jours (6). Cette antibiothérapie est ensuite adaptée en fonction de l’antibiogramme. Dans la plupart des cas, l’infection est mixte et comporte des bactéries aérobies et des bactéries anaérobies. On retrouve principalement des streptocoques du groupe milleri (anginosus, constellatus, intermedius), des Streptococcus pyogenes, des staphylocoques dorés ou à coagulase négative et des Prevotella. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 324 - janvier-février-mars 2011 | 31 CAS CLINIQUE Un prélèvement anatomopathologique est également systématiquement réalisé pour éliminer une éventuelle pathologie tumorale sous-jacente, notamment chez le sujet alcoolotabagique (cellulite carcinomateuse) [2]. En cas de cellulite grave, le patient est placé en service de réanimation jusqu’à stabilisation de son état. Après extubation, l’alimentation est reprise progressivement. En l’absence de fausses routes, le patient peut alors être transféré dans le service d’ORL pour la suite de la prise en charge. Une rééducation ortophonique et kinésithérapique s’avère parfois nécessaire. La surveillance clinique s’attache à vérifier l’absence de récidive du processus infectieux cervical : absence de fièvre, aspect du liquide recueilli après irrigation sur lames au sérum salé, puis retrait progressif des lames ; enfin, normalisation du bilan inflammatoire. En cas de doute, il faut refaire une TDM cervicothoracique. La sortie du patient est décidée quand son état est compatible avec un retour à domicile, avec maintien d’une éventuelle rééducation (2). Conclusion La cellulite cervico-faciale est une urgence ORL dont le pronostic dépend de la rapidité d’une prise en charge multidisciplinaire adéquate qui doit permettre d’éviter des complications graves telles que les embolies septiques, les infarctus pulmonaires et les médiastinites. Ces complications sont responsables d’une forte mortalité. ■ Références bibliographiques 1. Huang TT, Liu TC, Chen PR, Tseng FY, Yeh TH, Chen YS. Deep neck infection: analysis of 185 cases. Head Neck 2004;26(10):854-60. 2. Blancal JP, Kania R, Sauvaget E, Tran Ba Huy P, Mateo J, Herman P. Prise en charge des cellulites cervicofaciales en réanimation. Réanimation 2010;19:297-303. 3. Mohammedi I, Ceruse P, Duperret S, Vedrinne J, Boulétreau P. Cervical necrotizing fasciitis: 10 years’ experience at a single institution. Intensive Care Med 1999;25(8):829-34. 4. Becker M, Zbären P, Hermans R et al. Necrotizing fasciitis of the head and neck: role of CT in diagnosis and management. Radiology 1997; 202(2):471-6. 5. Bahu SJ, Shibuya TY, Meleca RJ et al. Craniocervical necrotizing fasciitis: an 11-year experience. Otolaryngol Head Neck Surg 2001;125(3):245-52. Objectif oncologie ORL 6. Nakamori Y, Fujimi S, Ogura H et al. Conventional open surgery versus percutaneous catheter drainage in the treatment of cervical necrotizing fasciitis and descending necrotizing mediastinitis. AJR Am J Roentgenol 2004;182(6):1443-9. 7. Demello FJ, Haglin JJ, Hitchcock CR. Comparative study of experimental Clostridium perfringens infection in dogs treated with antibiotics, surgery, and hyperbaric oxygen. Surgery 1973;73(6):936-41. ZY^bVg` Vivez en vidéo l’actualité de votre discipline. Soyez toujours plus nombreux à consulter et à télécharger nos émissions sur www.edimark.tv* SUIVEZ, MOIS APRÈS MOIS, L’ACTUALITÉ DE L’ONCOLOGIE ORL Débats d’experts… Reportages en régions… Comptes-rendus de congrès… Edimark.tv vous propose un autre regard sur votre spécialité * Inscription immédiate et gratuite résevée aux professionnels de santé Sous l’égide de Avec le soutien institutionnel de