Des résultats discordants
En termes de résultats, la discordance entre les études améri-
caines et le registre français peut s’expliquer par deux facteurs :
quelle est la réelle nature du bénéfice des anti-GPIIb/IIIa, et quelle
est la part du rôle des thiénopyridines ?
La nature du bénéfice des anti-GPIIb/IIIa. C’est la question
principale à laquelle la méta-analyse de Boersma répond. Le
bénéfice apporté par les anti-GPIIb/IIIa est représenté par la
réduction des infarctus avant et après angioplastie.
Réduction des infarctus préangioplastie. L’étude ISAR-COOL,
présentée à l’AHA en novembre 2002, nous apporte la réponse
(tableau V et VI).Cette étude utilisant le tirofiban (associé à l’as-
pirine, au clopidogrel et à l’héparine) compare deux types de prise
en charge des SCA sans sus-décalage de ST : une stratégie inva-
sive précoce avec passage en salle de coronarographie dans un
délai moyen de 2,4 heures, et une stratégie invasive retardée
(cooling off) avec un passage en salle dans un délai de 86 heures.
Dans la stratégie d’attente, où l’utilisation des anti-GPIIb/IIIa est
censée “passiver” la plaque et éviter les récidives ischémiques,
on retrouve une augmentation des infarctus sans onde Q non
létaux en rapport avec une augmentation des infarctus préangio-
plastie. Cette étude montre qu’une intervention précoce, sans
attendre l’effet des antithrombotiques, est la meilleure façon de
limiter les infarctus préangioplastie, et ne repose donc pas sur
l’utilisation des anti-GPIIb/IIIa.
Réduction des infarctus postangioplastie. Le bénéfice des anti-
GPIIb/IIIa se fait sur la réduction des infarctus en postangio-
plastie, dont la définition varie selon les études. Dans l’étude
PURSUIT, l’infarctus postangioplastie correspond à une éléva-
tion très modeste des CPK à 1,5 fois la normale.
Par ailleurs, la relation entre la mortalité à long terme et l’élévation
des CPK postangioplastie est controversée. Le risque de mortalité
semble augmenter uniquement pour une élévation de CPK à plus
de cinq fois la normale. Le bénéfice concernant la réduction des
élévations de CPK inférieures à cinq fois la normale n’est pas connu.
Méthodologie statistique. Une approche assez populaire chez les
statisticiens aux États-Unis consiste à critiquer les méthodes sta-
tistiques utilisées dans les études sur les anti GPIIb/IIIa; pour le
Dr Kaul, les anti-GPIIb/IIIa sont “les placebos les plus chers de
la médecine cardiovasculaire”.
Différences géographiques. Dans l’étude PURSUIT, l’eptifiba-
tide, efficace aux États-Unis, sans effet en Europe de l’Ouest,
devient même délétère en Amérique du Sud et en Europe de l’Est,
avec une tendance à l’augmentation des événements cardiovas-
culaires au 30ejour (décès + infarctus).
Rôle des thiénopyridines
Le problème majeur est l’impact réel du clopidogrel dans le trai-
tement des SCA. En effet, toutes les études cliniques avec les anti-
GPIIb/IIIa ont été réalisées avant l’utilisation systématique du clo-
pidogrel dans les syndromes coronaires sans sus-décalage de ST.
Depuis l’analyse d’un sous-groupe de l’étude EPISTENT, on
savait qu’un prétraitement avant angioplastie par ticlopidine était
équivalent à un prétraitement par abciximab.
Dans la sous-analyse de l’étude TARGET, on a les mêmes résul-
tats avec le clopidogrel en prétraitement versus le tirofiban sur le
critère décès + infarctus à 30 jours.
L’étude CURE a démontré que l’utilisation du clopidogrel asso-
cié à l’aspirine réduit les événements dans les SCA sans sus-déca-
lage de ST avec 9,3 % d’événements dans le bras clopidogrel ver-
sus 11,4 % dans le bras placebo (critère combiné mortalité
cardiovasculaire, infarctus non fatal et AVC,p<0,001).
L’étude PCI-CURE a permis d’établir le bénéfice d’un prétraite-
ment par clopidogrel avant une angioplastie versus placebo dans
les SCA. On retrouve dès la 48eheure un bénéfice précoce qui se
poursuit au 30ejour avec une diminution du critère composé décès,
infarctus, revascularisation urgente (4,5 % versus 6,4 %, p = 0,003).
L’étude CREDO (Clopidogrel for Reduction of Events During
Observation) sur 1 815 patients angineux traités par angioplas-
tie randomise d’une part la présence ou non d’un prétraitement
par clopidogrel, d’autre part la durée de la prescription du clopi-
dogrel un mois versus 12 mois. Dans cette étude américaine, on
retrouve environ 50 % de SCA sans sus-décalage de ST et une
prescription d’anti-GPIIb/IIIa dans 50 % des cas. Le prétraite-
ment par clopidogrel au moins 6 heures avant l’angioplastie réduit
de 38,6 % à un an le critère combiné décès, IDM, revascularisa-
tion en urgence. Le post-traitement réduit de 26,9 % le critère
combiné décès, IDM et accident vasculaire cérébral à un an.
L’analyse en sous-groupe constate que seuls les non-diabétiques
et les patients stentés bénéficient significativement de l’associa-
tion à un an.
La Lettre du Cardiologue - n° 365 - mai 2003
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INFORMATIONS
Tableau IV. Tolérance de l’abciximab dans GUSTO IV ACS.
Placebo Abciximab Abciximab
(n = 2 598) durée 24 heures durée 48 heures
(n = 2 590) (n = 2 612)
Saignement majeur 0,3 0,6 1,0**
Saignement mineur 1,5 2,5* 3,6**
Saignement fatal 0,23 0,27 0,19
Transfusion > 2 CG 0,7 0,8 1,3*
Plaquettes < 50 000 0,04 1,6* 1,4**
*p < 0,05 ** p < 0,001
Tableau V. ISAR-COOL : résultats majeurs à 30 jours.
Intervention Intervention p
précoce retardée
Décès + IDM (%) 5,9 11,6 0,04
Décès (%) 0 1,5 NS
Tableau VI. ISAR-COOL : événements avant et après ATC.
Intervention Intervention p
précoce retardée
IDM avant ATC (*) 1 13 0,002
IDM après ATC (*) 11 11 NS
*nombre d’événements