Lire l'article complet

publicité
É
D I T O R I A L
Faut-il implanter un défibrillateur
à tout insuffisant cardiaque ?
Systematic implantation of a cardiac defibrillator in patients with congestive heart failure?
J.C. Daubert*
ette question peut paraître saugrenue si l’on considère
le caractère invasif et le coût élevé de cette thérapeutique, ainsi que les caractéristiques de la population
à traiter : très grand nombre de patients (au moins 600 000 insuffisants cardiaques en France), avec un âge moyen élevé (71 ans
dans le registre Euro Heart Surv e y) et de nombreuses comorbidités...
La question est néanmoins posée, et avec insistance. Pourquoi ?
Malgré les progrès continus du traitement médical et l’impact
particulier des bêtabloquants sur la mortalité, le pronostic de
l’insuffisance cardiaque chronique demeure sombre . La
médiane de survie partant du diagnostic reste inférieure à 2 ans
dans les registres récents.
La part de la mort subite potentiellement rythmique au
sein de la mortalité globale est élevée. Elle est comprise entre
35 et 50 % dans les groupes témoins des grands essais cliniques
récents dans l’insuffisance cardiaque comportant un comité de
suivi et d’analyse des événements. Elle est proportionnellement
plus élevée dans l’insuffisance cardiaque légère (50 à 80 % chez
les patients en classe NYHA I-II) que dans l’insuffisance cardiaque sévère (environ 30 % en classe III-IV). Une réduction de
la mortalité dans l’insuffisance cardiaque passe donc prioritairement par une prévention efficace de la mort subite. Cela est particulièrement vrai aux stades précoces de la maladie.
Comparé au traitement médical optimal (hors antiarythmiques,
puisque aucun, y compris l’amiodarone, n’a démontré d’effet
favorable sur la mortalité), le défibrillateur automatique
implantable (DAI) est remarquablement efficace en prévention primaire dans le post-infarctus chez des patients avec dysfonction systolique VG, identifiés comme étant à haut risque de
mort subite. La réduction de la mortalité globale observée à
2-3 ans dans les essais contrôlés est comprise entre 31 % (MADIT
II) et 60 % (MUSTT). Le bénéfice est fonction des critères d’inclusion retenus. Le seul critère de FEVG abaissée (< 30 % dans
MADIT II ; < 35-40 % dans MADIT I et MUSTT) a le mérite de
la simplicité, mais semble insuffisant pour identifier une population “cible” avec un ratio coût-efficacité acceptable. L’adjonction de critères “électriques” (TV non soutenues au holter et
C
* Département de cardiologie et maladies vasculaires, CHRU de Rennes.
La Lettre du Cardiologue - n° 378 - octobre 2004
TV/FV inductible – stimulation ventriculaire programmée – dans
MADIT I et MUSTT, ou plus simplement une durée de QRS >
120 ms dans MADIT II) augmente très sensiblement le bénéfice
observé. C’est ainsi que, dans MADIT II, le risque relatif était
réduit de 49 % dans le sous-groupe des patients avec un QRS
supérieur à 120 ms, et de 63 % chez les patients avec un QRS
supérieur à 150 ms. Bien que méthodologiquement critiquable,
cette analyse a conduit les organismes d’assurance-maladie américains (MEDICARE et MEDICAID) à n’autoriser le remboursement du DAI dans l’indication MADIT II que chez les patients
avec un QRS supérieur à120 ms !
Par similitude avec le médicament, le bénéfice du DAI peut aussi
s’exprimer en nombre de patients à traiter pour sauver une vie.
Ce nombre est remarquablement faible (n = 3) pour les critères
MUSTT, mais plus élevé (n = 11) et avec un rapport coûtefficacité plus discutable lorsqu’on utilise les critères MADIT II.
À titre de comparaison, le nombre calculé était de 20 avec un
IEC – le trandolapril – dans l’étude SAVE – et de 26 avec un
bêtabloquant – le métoprolol – dans l’étude MERIT-HF. Les
coûts de traitement ne sont toutefois pas les mêmes ! Rappelons
que le coût annuel de la trithérapie de référence (IEC + bêtabloquant + spironolactone) ne dépasse pas 1 000 euros par patient.
Mais le bénéfice du DAI s’ajoute à celui des médicaments. La
plupart des patients inclus dans les études contrôlées étaient traités par IEC et bêtabloquants et n’étaient qu’en classe NYHA
I-II (72 % dans MADIT II), ce qui laisse augurer d’un bénéfice
durable sur la mortalité.
En revanche, il n’existe pas encore de preuve formelle de
l’efficacité du DAI en prévention primaire dans l’insuffisance
cardiaque en dehors du postinfarctus, en particulier dans les
cardiomyopathies dilatées. Les résultats de trois études contrôlées sont maintenant disponibles. Les deux premières, CAT et
AMIOVIRT, de taille modeste, sont négatives. La troisième,
DEFINITE, récemment publiée, a inclus 458 patients, la plupart
(79 %) en classe I-II et traités par IEC (87 %) et bêtabloquants
(85 %). Une réduction de 30 % de la mortalité globale a été observée dans le bras DAI, mais elle est statistiquement non significative (p = 0,06).
Le débat reste donc ouvert ! Il est déjà relancé par les analyses
de sous-groupes de COMPANION et SCD-HeFT, qui ne montrent pas de différence significative dans l’efficacité du DAI selon
que l’insuffisance cardiaque est d’origine ischémique ou non.
3
É
D I T O R I A L
Mais restons prudents dans l’interprétation d’études encore non
publiées (SCD-HeFT). On sait aussi que la taille très limitée du
groupe contrôle dans COMPANION invalide de fait une analyse
de sous-groupes.
ALORS, FAUT-IL IMPLANTER UN DÉFIBRILLATEUR À CHAQUE INSUFFISANT CARDIAQUE ?
La seule étude qui apporte une ébauche de réponse à cette question est SCD-HeFT. Aucune autre n’a évalué le rôle du DAI seul
dans une population générale d’insuffisants cardiaques. Malgré
les résultats positifs, il nous faut demeurer prudents. Il aura fallu
suivre 2 500 patients très sélectionnés (âge moyen de 60 ans, âge
maximum de 68 ans, large majorité en classe II...), soit une population très différente de la “vraie vie” de l’insuffisance cardiaque,
et pendant une très longue période (médiane de 4 ans), pour
démontrer une réduction de mortalité certes significative, mais
en réalité assez modeste (23 %). Rappelons que, dans l’étude
MADIT II, pourtant si critiquée, il avait suffi de deux fois moins
de patients, suivis deux fois moins longtemps, pour montrer une
réduction de mortalité une fois et demie plus importante (33 %) !
En dehors de toute considération démographique et financière, la
réponse à la question posée doit demeurer nuancée. Une porte vient
manifestement de s’entrouvrir, mais jusqu’où s’ouvrira-t-elle ?
SI L’ON DÉCIDE D’IMPLANTER, QUE CHOISIR ?
Au-delà de l’indication, une autre question se pose avec une particulière acuité dans cette population : celle du choix de l’appareil.
Dans l’insuffisance cardiaque modérée à sévère avec désynchronisation ventriculaire, nous avons suffisamment d’arg uments avec COMPANION pour proposer en première intention
l’implantation de DAI biventriculaires. Chez les patients en
classe I-II avec désynchronisation, nous n’avons encore aucune
preuve de l’intérêt d’associer la resynchronisation au DAI. Pour
le savoir, il faudra attendre les résultats d’études contrôlées de
prévention (progression de l’insuffisance cardiaque), telle
REVERSE.
Restent les nombreux patients sans désynchronisation basale,
pour lesquels la seule évidence actuelle est de ne pas stimuler
inutilement le ventricule. Cet enseignement vient de l’étude
DAVID, dans laquelle deux stratégies de stimulation ont été comparées chez des patients en classe I-II, tous implantés avec un
DAI double-chambre : stimulation ventriculaire “forcée” (mode
DDDR) et stimulation inhibée (VVI-30 bpm). L’étude a été interrompue prématurément du fait d’un excès d’événements (décès
et hospitalisations de toutes causes) dans le bras DDDR. Les
appareils utilisés stimulaient le ventricule en un site unique,
l’apex du VD, site traditionnel de stimulation, mais aussi site de
désynchronisation maximale !
Ces observations illustrent l’interaction étroite entre défibrillation et stimulation dans le traitement électrique de l’insuffisance
cardiaque. Protéger contre la mort subite rythmique n’a qu’un
intérêt limité si, parallèlement, une stimulation inadaptée altère
qualité de vie et morbidité. Alors, pourquoi ne pas implanter un
défibrillateur-resynchroniseur à tout insuffisant cardiaque avec
indication de DAI ? Qui peut le plus, peut le moins ! Au pire, ces
appareils multipotents pourraient toujours être reprogrammés en
mode inhibé pour ne pas stimuler le ventricule et, ainsi, ne pas
induire de désynchronisation ! Ce raisonnement, que nous avons
déjà connu dans un passé récent pour la stimulation cardiaque
conventionnelle, est difficilement acceptable. Outre les difficultés techniques d’implantation (sonde de stimulation ventriculaire
gauche), ces appareils posent le problème de leur coût. Il est sensiblement plus élevé que celui d’un appareil monochambre,
qui, certes, ne peut resynchroniser, mais qui, bien programmé,
évitera au moins de désynchroniser !
Note de lecture
À
L I R E
Dictionnaire de cardiologie et des mala dies cardiovasculaires (français-anglais),
par Philippe Blondeau. 304 pages, relié,
Éditions CILF, prix 50 E.
Le Dictionnaire de cardiologie et des mala dies cardiovasculaires est l’un des volumes
constituant le Dictionnaire de l’Académie de
4
médecine. Il a été initié par Philippe Blondeau
et rédigé par Iradj Gandjbakhch et Jean-Pierre
Ollivier pour la partie cardiologique, Michel
Vayssairat et Jean-Noël Fiessinger pour la
partie vasculaire. Il comporte plus de
2 500 termes traduits en anglais, définis avec
précision, avec des commentaires synthétiques parfaitement actualisés. Un index
anglais-français termine l’ouvrage clairement
présenté et agréable à consulter.
Ce dictionnaire très complet apporte les
données les plus récentes tant médicales
que chirurgicales sur des maladies qui
restent la première cause de morbidité et
de mortalité en France comme dans les
autres pays industrialisés. Il mérite de
prendre place dans toutes les bibliothèques médicales.
A. Vacheron
La Lettre du Cardiologue - n° 378 - octobre 2004
Téléchargement