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La communication avec les familles, proposition
d’une nouvelle pratique : les conseils de famille
● Isabelle Marin*
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La communication avec les familles est d’une grande importance dans la clinique des malades graves et en particulier
cancéreux. Nous rapportons l’expérience de 16 “conseils de
famille” réunissant tous les membres du groupe familial et
les soignants. Les modalités de ces conseils sont décrites.
Dans cinq cas des enfants mineurs ont assisté à l’entretien et
dans trois cas le malade était présent. Les tensions observées
dans douze cas ont pu être levées ; une décision a pu être
prise dans treize cas. Ce mode de communication mérite
d’être utilisé très largement.
a communication entre médecin et familles est devenue d’une importance capitale dans la prise en charge
des malades gravement atteints et en particulier des
cancéreux (1). Malades et familles demandent, à juste titre, à
intervenir dans les décisions médicales et l’hôpital cherche à
s’ouvrir de plus en plus aux proches. Cela ne va pas sans de
grandes difficultés.
En effet, les habitudes médicales anciennes sont tenaces : les
équipes, pour éviter de multiples coups de téléphone, demandent souvent au malade, mais plus souvent encore à la famille,
de désigner un de ses membres, qui dès lors reçoit toutes
les informations et peut les communiquer au reste du groupe.
Les médecins, quand ils le jugent nécessaire, convoquent la
personne qui leur semble la plus proche du malade, parfois sans
en parler au malade lui-même, et la considèrent comme leur
interlocuteur privilégié. Cette relation duelle, habituelle pour
les médecins, peut avoir des effets pervers au sein des groupes
familiaux, souvent complexes. Les interactions entre les
membres de la famille et les soignants sont multiples, parfois
agressives et souvent pleines d’incompréhension (2).
L
* Équipe mobile de soins palliatifs, hôpital Delafontaine, Saint-Denis.
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006
D’autres pratiques ont maintenant cours dans le cas de décisions difficiles, en réanimation ou en soins palliatifs. Souvent
à la demande des familles, l’équipe propose le plus fréquemment au conjoint et aux enfants de les rencontrer pour discuter
de l’état du malade et de ce qu’il convient de faire. Ces rencontres collectives apaisent beaucoup les relations et permettent des prises de décision mieux acceptées. Nous avons systématisé l’expérience en invitant l’ensemble du groupe familial,
étendu aux proches, à des “conseils de famille”. (L’expression
ne correspond pas à son acception légale, mais nous la choisissons pour le décorum qu’elle suggère.)
C’est ce type de pratique que nous voudrions développer.
L’EXPÉRIENCE
Nous travaillons en équipe mobile de soins palliatifs au sein
d’un hôpital général et suivons donc des malades au pronostic létal. Au cours de l’hospitalisation, nous voyons les
familles soit à leur demande et à celle du malade, soit à la
nôtre quand nous devons discuter d’un projet ou quand nous
sentons des difficultés ou une incompréhension dans la relation avec les proches. Ces “conseils de famille” sont réunis
au moment du diagnostic de la maladie, lors de la récidive,
ou à des moments charnières lorsqu’une décision thérapeutique s’impose : mise en route d’une chimiothérapie, d’une
radiothérapie, d’une chirurgie, arrêt d’un traitement ou, le
plus souvent, quand il nous faut prévoir le lieu de vie du
malade (unité de soins palliatifs, moyen séjour, domicile,
voire rapatriement dans le pays d’origine) et aider à l’organisation des soins avec l’appui des familles. Nous proposons
alors, avec l’accord du malade, une rencontre à tous les
proches qui le souhaitent (familles, amis) laissant au groupe
le soin de déterminer qui sera présent. Nous choisissons un
horaire accessible à tous : le soir ou le samedi matin. L’entretien a lieu dans une salle de réunion ou un bureau fermé. Deux
membres de l’équipe mènent l’entretien : le médecin et le psychologue de l’équipe mobile, souvent avec les médecins responsables de la salle : interne ou médecin référent. Tous les
membres du groupe présents assistent à l’entretien ainsi que
le malade s’il le désire.
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Le déroulement de l’entretien obéit à un cadre général assez
stéréotypé : présentation de chaque intervenant, tour de table
sur le ressenti du groupe familial vis-à-vis du malade autour de
ces questions : Comment le trouvez-vous aujourd’hui ? Que
savez vous de sa maladie ? Que vous en a-t-il dit, qu’en pensez-vous ? Une fois que chacun s’est exprimé, les médecins
reprennent l’histoire de la maladie, le diagnostic médical, les
actions thérapeutiques déjà entreprises et celles qui sont prévues. Ils ouvrent la discussion sur l’avenir, le pronostic, la mort
possible ou prochaine, le projet de vie à construire. L’entretien
se termine soit après la prise de décision, soit avec un nouveau
rendez-vous.
L’ensemble du groupe et les médecins se rendent auprès du
malade, s’il n’a pas assisté à l’entretien, pour lui en résumer la
teneur.
LES RÉSULTATS
Ils concernent 16 entretiens qui se sont tenus de septembre 2003
à juin 2004. Les caractéristiques des malades sont résumées
dans le tableau I.
Tableau I. Caractéristiques des malades.
Sexe
Homme
Femme
Âge
Médiane (ans)
Extrêmes (ans)
Origine
Métropole
Europe
Maghreb
Asie
Diagnostic
Cancer du poumon
Cancer du sein
Cancer digestif
Cancer de l’utérus
Cancer de l’ovaire
Lymphome
6
10
74
35-88
7
3
5
1
7
3
3
1
1
1
Mode de vie
Seul
Seul avec enfant
Avec conjoint
Chez un enfant
En famille (conjoint et enfant[s])
4
1
2
4
5
Moment de l’évolution de la maladie
Diagnostic de la maladie
Diagnostic d’une reprise évolutive
Hospitalisation intercurrente
5
7
6
Les conseils de famille ont réuni de trois à 18 personnes, comme
l’indique le tableau II. Dans trois cas, le malade a participé au
conseil lui-même, deux fois à l’intégralité du conseil, une fois
après un premier échange. Dans tous les autres cas, le médecin et la famille venaient résumer le contenu de l’entretien à
son issue. Au cours de six rencontres, des enfants mineurs, âgés
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Tableau II. Caractéristiques des conseils de famille.
Nombre de personnes présentes (soignants exclus)
Médiane
Extrêmes
6
3-18
Nombre de générations représentées
1-3
Présence
Du malade
D’enfants mineurs
D’étrangers à la famille
But de la rencontre*
Donner le diagnostic et/ou le pronostic
Préciser le projet de vie
Déterminer le lieu de vie
Adhérer au traitement
Conflits connus avant la rencontre
Au sein de la famille
Entre famille et soignants
Décision prise à la fin de la rencontre
Retour à la maison
Intervention
Rapatriement
3
5
3
14
6
4
5
6
6
10
2
1
* Plusieurs projets sont possibles au cours de la même rencontre.
de 6 à 18 ans, ont été présents à leur demande et à celle de leurs
proches ou sur proposition de notre part. Deux enfants de 6 et
8 ans n’ont pas posé de questions, mais sont restés très attentifs à tout l’entretien. Revus dans un deuxième temps par la
psychologue de l’équipe, ils ont pu manifester leur soulagement. Dans trois cas, des “étrangers” à la famille ont participé
à la rencontre : un voisin, le chef du village et l’aide ménagère.
Dans six cas, des proches inconnus des soignants sont venus.
Les “conseils de famille” se sont tenus dans un bureau fermé,
soit dans le service où était hospitalisé le malade, soit dans les
locaux de l’équipe mobile et ils ont duré très régulièrement une
heure.
Dans huit cas, l’interlocuteur privilégié choisi par les médecins
a pris, lors du conseil de famille, une place prépondérante, servant de traducteur, soit au sens propre (langue étrangère), soit
au sens de vulgarisateur, reprenant les termes du médecin pour
les traduire dans le discours familial. Dans les 8 autres cas, sa
position effacée a laissé la place à un autre “meneur” familial.
Dans tous les cas, le conseil s’est terminé dans une atmosphère
détendue. Dans 13 cas, une décision a pu être prise à l’issue de la
rencontre, et cette décision a toujours pu être suivie. Dans les trois
autres cas, il s’agissait plutôt de prévenir la famille de la gravité
de la maladie. À deux reprises, le groupe familial a désiré une
nouvelle rencontre à un stade un peu plus tardif de la maladie.
Dans six cas, avaient été notés des conflits entre soignants et
famille qui se manifestaient par une attitude soupçonneuse ou
des appels incessants. Dans ces six cas, les relations se sont
notablement améliorées et, en particulier, les familles, toujours
présentes auprès du malade, n’ont plus harcelé le personnel.
Dans six cas, des conflits intrafamiliaux étaient manifestes
quant à la prise en charge du malade. Des compromis ont pu
être trouvés à chaque fois.
…/…
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006
…/…
DISCUSSION
La communication avec les malades, l’annonce d’une mauvaise
nouvelle font l’objet de nombreux travaux et formations (3, 4).
En effet, les associations de malades ont depuis longtemps
insisté sur le moment crucial et douloureux qu’est l’annonce
de la maladie et sur le défaut de communication entre médecin
et malades. Suivant les préconisations du Plan Cancer (5), plusieurs établissements expérimentent de nouveaux dispositifs
pour mieux accompagner la personne malade lors de cette
annonce. Ces consultations s’adressent au malade accompagné
ou non des ses proches. Mais la place des proches et des familles
reste difficile à trouver.
Historiquement, en France, l’habitude était de tout révéler aux
familles et de “mentir” aux malades. Il était fréquent au sortir
de salle d’opération que le chirurgien, avant même le réveil du
malade, s’entretienne avec l’entourage qui l’attendait pour lui
dire toute l’étendue de la maladie. Avec le sida, les habitudes
se sont inversées, se rapprochant des règles du code de déontologie et de la loi : la vérité ne peut être révélée qu’au malade
qui, seul, peut autoriser les soignants à parler avec les proches.
La loi de mars 2002 (6) sur le droit des malades renforce ce
point. Elle stipule néanmoins que toute information nécessaire
doit être fournie à la famille si le malade n’y fait pas opposition. Elle introduit, de plus, la notion de “personne de
confiance”, désignée par le patient pour l’assister et le représenter s’il perd ses capacités à communiquer, décider, etc.
Les médecins sont souvent mal à l’aise devant ces injonctions
contradictoires dans leurs relations avec les proches. Si le
malade est le seul à pouvoir décider pour lui de ses traitements
et de son avenir, plus la maladie avance et plus il devient dépendant de son entourage, qui prend progressivement la place de
l’interlocuteur privilégié. La famille participe aux soins et à
l’ensemble de la prise en charge ; c’est d’elle que dépend le
succès d’un retour à domicile ou d’un rapatriement, quel que
soit le désir du malade. Or la communication avec les familles
est difficile, jalonnée de nombreux malentendus, aggravés
quand les malades sont de culture étrangère. Les questions des
proches, surtout quand l’angoisse s’en mêle et que la situation
médicale s’aggrave, sont ressenties comme agressives ; à
l’inverse, certaines des familles pourtant attentionnées n’osent
pas demander un entretien, et sont alors ressenties comme lointaines ou absentes.
L’interlocuteur privilégié des médecins est plus souvent choisi
en fonction de sa capacité à comprendre la situation et le discours médical qu’en raison de sa réelle proximité du malade :
par exemple, le médecin parle plus facilement à un enfant francophone et éduqué qu’à la personne qui partage la vie du malade
mais qui est culturellement plus éloigné du médecin. Le simple
fait d’être choisi par le malade (personne de confiance) ou par
le médecin (interlocuteur privilégié) peut mettre la personne
en grande difficulté dans le groupe familial.
La tenue de “conseils de famille” nous semble très appropriée
dans la communication à propos de malades gravement atteints
et de décisions difficiles. Ils respectent le groupe familial, sa
composition et son équilibre, et instaurent une relation directe
du groupe entier avec le médecin ; ils permettent à tous
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006
d’entendre les mêmes informations directement et de poser
leurs questions. Ils donnent à chacun l’occasion de s’engager
ou non dans le projet pour le malade. Ils évitent les relations
duelles entre soignants et proches, relations qui peuvent avoir
des effets pervers.
Leur objectif est avant tout de permettre au groupe d’accompagner et de prendre en charge le malade. Il ne s’agit donc pas de
transmettre des informations médicales précises sur le diagnostic ou le pronostic, mais de laisser chacun s’exprimer, poser
les questions et recevoir les informations qu’il désire. Le diagnostic et le pronostic ne sont évoqués qu’après avoir recueilli
les impressions et les connaissances de chacun. Le plus souvent, il faut alors confirmer la gravité que tous ont perçue et
redresser des incompréhensions et des malentendus. L’entretien offre la possibilité d’expliquer que le retour à domicile, par
exemple, ne signifie pas un abandon du malade ; de comprendre
dans quelle mesure ce retour correspond vraiment à son désir,
de rassurer sur la possibilité de réhospitalisation, pour laquelle
une procédure simple est proposée. L’abord des aspects très
pratiques des décisions concernant le retour à domicile, le rapatriement ou le transfert rassure beaucoup. Enfin, la discussion
dans le groupe même sur la présence au domicile, ou sur la
charge de soins à assumer et sa répartition est plus facile en
présence des soignants.
L’ouverture à tous les membres qui le désirent nous semble
fondamentale. Les groupes familiaux, au temps de la famille
recomposée et dans un contexte multiculturel, ne correspondent habituellement pas à nos représentations (7). La composition de la famille même ou des proches importants est difficile à repérer. Dans notre expérience, des “étrangers” à la
famille biologique et des personnes inconnues des soignants
ont participé aux conseils. Il est encore plus difficile de repérer les “leaders”, ceux qui vont être vraiment présents au domicile, ceux qui décident, etc. Dans notre expérience, c’est seulement une fois sur deux que l’interlocuteur privilégié s’est
révélé être le leader du groupe familial. Enfin, dans le cas de
tensions dans le groupe, cette ouverture évite les effets pervers.
Des enfants mineurs ont participé à la rencontre à la demande
de la famille et à la leur. De nombreux auteurs (8, 9) ont souligné les ravages que cause l’exclusion des enfants dans ces
situations. Leur présence dans les conseils de famille n’a jamais
posé de problème.
Quand le malade participe à l’entretien, les médecins sont
quelque peu gênés mais ni lui ni la famille ne le sont. Les propos tenus par ces derniers sont souvent crus, contrastant avec
le langage édulcoré et censuré que nous adoptons.
La tenue du conseil de famille peut être difficile et demande
une expérience de la gestion des groupes, surtout en cas de
famille nombreuse (maximum 18 personnes). Il ne s’agit pas
d’une thérapie familiale, qui a d’autres objectifs, un autre cadre
et d’autres animateurs (10). Néanmoins, nous nous en sommes
inspirés. Ainsi le binôme est-il, selon nous, la solution idéale :
un animateur médecin peut répondre aux questions médicales
et mener l’entretien pendant que l’autre peut observer, relancer et modérer. Quand l’entretien est mené en la seule présence
d’un interne ou d’un médecin référent, il est difficile pour lui
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de tenir à la fois un rôle clinique et un rôle pédagogique. En
particulier, le médecin junior a tendance à vouloir transmettre
avant tout des données médicales et se justifier, en quelque
sorte, de l’échec de la thérapeutique avant d’entendre ce que la
famille a à dire et à proposer. Le cadre est fondamental (horaire
respecté, pièce fermée, confortable, participants assis). Il permet d’apaiser l’angoisse toujours présente et de diminuer
l’agressivité.
Le temps passé à cet entretien (une heure) est largement compensé
par le temps gagné. Les conseils de famille ont en effet permis
d’aboutir à des décisions importantes : retour au pays, retour à
domicile, transfert en unité de soins palliatifs, chaque fois que
cela a été nécessaire. Ils ont assaini les relations avec les
familles quand elles étaient difficiles, et ont été toujours très
appréciés des familles. Ils ont évité de multiples questions dans
les couloirs et de nombreux coups de téléphone.
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pourtant le propre des relations familiales. La tenue de conseils
de famille et la formation des médecins à ces techniques nous
semblent importantes.
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. L’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. Textes
des recommandations de l’ANAES, SFAP, janvier 2004:26-7.
2. Richard MS. En milieu hospitalier, respecter et aider la famille du malade
comme accompagnant naturel. JALMALV 2004;76:6-13.
3.
Ruzniewski. Face à la maladie grave - Patients, famille, soignants.
Paris :Dunod 1999.
4. Aubry R. Annoncer un diagnostic difficile ou un pronostic péjoratif : vérités
et stratégies de communication. Med Pal 2005;4:125-33.
5. Plan cancer 2003-2007 Rapport de la mission interministérielle de lutte
contre le cancer ; Paris 2003.
6. Loi n° 2002-2003 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
CONCLUSION
Notre médecine est fondée sur la relation duelle médecinmalade. L’approche globale de la personne, de plus en plus exigée par les usagers, impose de prendre en charge le malade
dans son environnement familial. En règle générale, nous
n’avons que peu l’expérience des relations de groupe, qui sont
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qualité du système de santé. JO n° 54 du 5 mars 2002:4118.
7. De Singly F. Sociologie de la famille contemporaine. Paris ; Nathan, 1993.
8. Hanus M, Sourkes BM. Les enfants en deuil. Portraits du chagrin. Face à la
mort. Paris : Ed Frison Roche, 1997.
9. Bacque M. Les deuils traumatiques de l’enfance. Études sur la mort 1999;
115:53-62.
10. Albernhe K, Albernhe T. Les thérapies familiales. Paris : Masson, 2004.
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006
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