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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006
DISCUSSION
La communication avec les malades, l’annonce d’une mauvaise
nouvelle font l’objet de nombreux travaux et formations (3, 4).
En effet, les associations de malades ont depuis longtemps
insisté sur le moment crucial et douloureux qu’est l’annonce
de la maladie et sur le défaut de communication entre médecin
et malades. Suivant les préconisations du Plan Cancer (5), plu-
sieurs établissements expérimentent de nouveaux dispositifs
pour mieux accompagner la personne malade lors de cette
annonce. Ces consultations s’adressent au malade accompagné
ou non des ses proches. Mais la place des proches et des familles
reste difficile à trouver.
Historiquement, en France, l’habitude était de tout révéler aux
familles et de “mentir” aux malades. Il était fréquent au sortir
de salle d’opération que le chirurgien, avant même le réveil du
malade, s’entretienne avec l’entourage qui l’attendait pour lui
dire toute l’étendue de la maladie. Avec le sida, les habitudes
se sont inversées, se rapprochant des règles du code de déon-
tologie et de la loi : la vérité ne peut être révélée qu’au malade
qui, seul, peut autoriser les soignants à parler avec les proches.
La loi de mars 2002 (6) sur le droit des malades renforce ce
point. Elle stipule néanmoins que toute information nécessaire
doit être fournie à la famille si le malade n’y fait pas opposi-
tion. Elle introduit, de plus, la notion de “personne de
confiance”, désignée par le patient pour l’assister et le repré-
senter s’il perd ses capacités à communiquer, décider, etc.
Les médecins sont souvent mal à l’aise devant ces injonctions
contradictoires dans leurs relations avec les proches. Si le
malade est le seul à pouvoir décider pour lui de ses traitements
et de son avenir, plus la maladie avance et plus il devient dépen-
dant de son entourage, qui prend progressivement la place de
l’interlocuteur privilégié. La famille participe aux soins et à
l’ensemble de la prise en charge ; c’est d’elle que dépend le
succès d’un retour à domicile ou d’un rapatriement, quel que
soit le désir du malade. Or la communication avec les familles
est difficile, jalonnée de nombreux malentendus, aggravés
quand les malades sont de culture étrangère. Les questions des
proches, surtout quand l’angoisse s’en mêle et que la situation
médicale s’aggrave, sont ressenties comme agressives ; à
l’inverse, certaines des familles pourtant attentionnées n’osent
pas demander un entretien, et sont alors ressenties comme loin-
taines ou absentes.
L’interlocuteur privilégié des médecins est plus souvent choisi
en fonction de sa capacité à comprendre la situation et le dis-
cours médical qu’en raison de sa réelle proximité du malade :
par exemple, le médecin parle plus facilement à un enfant fran-
cophone et éduqué qu’à la personne qui partage la vie du malade
mais qui est culturellement plus éloigné du médecin. Le simple
fait d’être choisi par le malade (personne de confiance) ou par
le médecin (interlocuteur privilégié) peut mettre la personne
en grande difficulté dans le groupe familial.
La tenue de “conseils de famille” nous semble très appropriée
dans la communication à propos de malades gravement atteints
et de décisions difficiles. Ils respectent le groupe familial, sa
composition et son équilibre, et instaurent une relation directe
du groupe entier avec le médecin ; ils permettent à tous
d’entendre les mêmes informations directement et de poser
leurs questions. Ils donnent à chacun l’occasion de s’engager
ou non dans le projet pour le malade. Ils évitent les relations
duelles entre soignants et proches, relations qui peuvent avoir
des effets pervers.
Leur objectif est avant tout de permettre au groupe d’accompa-
gner et de prendre en charge le malade. Il ne s’agit donc pas de
transmettre des informations médicales précises sur le dia-
gnostic ou le pronostic, mais de laisser chacun s’exprimer, poser
les questions et recevoir les informations qu’il désire. Le dia-
gnostic et le pronostic ne sont évoqués qu’après avoir recueilli
les impressions et les connaissances de chacun. Le plus sou-
vent, il faut alors confirmer la gravité que tous ont perçue et
redresser des incompréhensions et des malentendus. L’entre-
tien offre la possibilité d’expliquer que le retour à domicile, par
exemple, ne signifie pas un abandon du malade ; de comprendre
dans quelle mesure ce retour correspond vraiment à son désir,
de rassurer sur la possibilité de réhospitalisation, pour laquelle
une procédure simple est proposée. L’abord des aspects très
pratiques des décisions concernant le retour à domicile, le rapa-
triement ou le transfert rassure beaucoup. Enfin, la discussion
dans le groupe même sur la présence au domicile, ou sur la
charge de soins à assumer et sa répartition est plus facile en
présence des soignants.
L’ouverture à tous les membres qui le désirent nous semble
fondamentale. Les groupes familiaux, au temps de la famille
recomposée et dans un contexte multiculturel, ne correspon-
dent habituellement pas à nos représentations (7). La compo-
sition de la famille même ou des proches importants est diffi-
cile à repérer. Dans notre expérience, des “étrangers” à la
famille biologique et des personnes inconnues des soignants
ont participé aux conseils. Il est encore plus difficile de repé-
rer les “leaders”, ceux qui vont être vraiment présents au domi-
cile, ceux qui décident, etc. Dans notre expérience, c’est seu-
lement une fois sur deux que l’interlocuteur privilégié s’est
révélé être le leader du groupe familial. Enfin, dans le cas de
tensions dans le groupe, cette ouverture évite les effets pervers.
Des enfants mineurs ont participé à la rencontre à la demande
de la famille et à la leur. De nombreux auteurs (8, 9) ont sou-
ligné les ravages que cause l’exclusion des enfants dans ces
situations. Leur présence dans les conseils de famille n’a jamais
posé de problème.
Quand le malade participe à l’entretien, les médecins sont
quelque peu gênés mais ni lui ni la famille ne le sont. Les pro-
pos tenus par ces derniers sont souvent crus, contrastant avec
le langage édulcoré et censuré que nous adoptons.
La tenue du conseil de famille peut être difficile et demande
une expérience de la gestion des groupes, surtout en cas de
famille nombreuse (maximum 18 personnes). Il ne s’agit pas
d’une thérapie familiale, qui a d’autres objectifs, un autre cadre
et d’autres animateurs (10). Néanmoins, nous nous en sommes
inspirés. Ainsi le binôme est-il, selon nous, la solution idéale :
un animateur médecin peut répondre aux questions médicales
et mener l’entretien pendant que l’autre peut observer, relan-
cer et modérer. Quand l’entretien est mené en la seule présence
d’un interne ou d’un médecin référent, il est difficile pour lui
…/…