Le Couloir de l’info Édition du jeudi 25 février 2016 Pédagogie- Plan d’IENA St Joseph de Boondael : Ce que les enfants nous enseignent La pédagogie alternative a trouvé sa place au sein du vaste paysage des établissements scolaires bruxellois. Se démarquant du schéma traditionnel de l’enseignement, cette « autre » pédagogie a séduit l’école St Joseph de Boondael, située à Ixelles. Au-delà du portail coloré de l’école, on peut entendre le son diffus des enfants qui jouent dans la cour de récréation. Deux panneaux se dressent de chaque côté de la route, juste devant l’établissement et sont ornés de dessins enfantins, des monstres, des Hommes et des formes intraduisibles. Il est 8h30 et les parents se pressent pour déposer leurs petits dans leurs Horizons respectifs. Les Horizons, à St Joseph de Boondael, ce sont les différents cycles en fonction de l’âge des enfants. Dans la salle d’accueil res des 1 maternelles, l’effervescence est palpable. Ce matin on fête deux anniversaires et les enfants sont surexcités. St Joseph de Boondael est une école à enseignement fondamental ordinaire fondée dans les années 1930. Jusqu’aux années 1980, l’école faisait partie du réseau d’enseignement libre catholique de quartier. Pour le directeur de l’école, Marc Decastiau, les racines chrétiennes de l’école sont une fierté : « L’école a été fondée par une congrégation de sœurs avec une vocation sociale très importante. Pour elles, l’enseignement doit être à la fois un ascenseur social et aussi un lieu de mixité sociale ». À partir des années 1980, le directeur de l’époque commence à organiser des concertations entre les professeurs pour repenser progressivement la pédagogie au sein de l’établissement. Selon Marc Decastiau : « Sans l’impulsion du directeur de l’époque, nous n’aurions pas pu lancer une initiative pédagogique concrète ». Différentes directions se succèdent alors jusqu’à l’arrivée de Bernard Lacroix et de son projet pédagogique créé par le philosophe et pédagogue allemand, Peter Petersen. Le plan d’IENA Une fois les parents partit, le calme est partiellement revenu dans l’espace des 1res maternelles. Christophe, l’instituteur en charge réunit les enfants en cercle et se met à leur raconter une histoire. Ce moment de partage et de discussion porte le nom de « cercle » concept découlant de la pédagogie du plan d’IENA de Peter Petersen. Il s’agit de rassembler les enfants pour qu’ils s’expriment et s’écoutent dans un souci de prise de conscience communautaire. Dans l’espace ou les enfants sont rassemblés, des petites affiches rappelant les règles de vie sont affichées, sous forme de dessin ou de texte, ce sont parfois les enfants eux même qui les réalisent. « On essaye de leur faire prendre conscience très tôt qu’ils évoluent ici dans une communauté et qu’il y a des règles. On veut qu’ils apprennent à s’autoréguler. Je suis un instituteur en charge, mais en réalité, je suis plutôt un éducateur », explique Christophe. La pédagogie de Peter Petersen est pédocentrique, c’est-à-dire qu’elle place l’enfant au centre de son éducation, il est acteur tout autant que les enseignants et le reste du personnel de l’école. Le pilier principal de l’organisation scolaire devient alors la communauté de vie, comme l’explique Marc Decastiau : « Ce qui fait la spécificité de Petersen, c’est d’abord le groupe. L’école est constituée d’une communauté, pas d’une société. Chacun a une place qui n’est pas hiérarchisée, une liberté existe dans le cadre d’une loi établie par le groupe ». Une organisation spécifique Dans le bâtiment principal de l’école, les différents Horizons partagent des espaces semiouverts ou les enfants peuvent se déplacer avec une grande liberté. Pas de murs entre les différents groupes d’enfants, seulement un couloir pour passer d’une classe à une autre. Les salles sont grandes, les tables ne sont pas placées face au tableau mais dispersées en rectangle pour faciliter la communication des enfants. « On a dû abattre les murs », précise Marc Decastiau. Cela donne une impression intéressante de respiration, la collaboration et l’autonomie sont au centre de l’enseignement de l’école, jusque dans son architecture. Dans une des salles, les 3emes primaires débutent un exercice de mathématique. Ici, pas de professeur donnant un cours théorique sur le tableau, les enfants doivent effectuer un atelier après une explication assez brève de l’exercice. Par groupes de deux, les enfants Le Couloir de l’info Édition du jeudi 25 février 2016 vont résoudre des calculs en utilisant des perles ou des allumettes et inscrire les résultats sur une feuille de route. Dans la classe du niveau audessus, les enfants réalisent un travail individuel dans un profond silence, le travail nécessite aussi des temps calmes. Julie Delepine, institutrice, explique : « Il y a un équilibre entre des travaux de groupe ou les enfants peuvent interagir et communiquer, et des travaux individuels, des TIP où ils doivent s’exercer d’eux même ». À la fin de leur cycle primaire, avant d’entrer dans le secondaire, les enfants sont évalués sur le chef d’œuvre, un travail de fin d’études. « L’enfant doit préparer un dossier écrit sur un sujet, il doit aussi effectuer une présentation orale devant ses camarades », précise Marc Decastiau. Un peu avant le temps de midi, les enfants participent à des ateliers jeux. Divisées en trois groupes, des activités ludiques leurs sont proposé mais toujours dans un souci d’apprentissage. Dans une partie de la salle, un groupe joue au pendu alors que de l’autre côté, un autre fait des rébus ou des charades. Quand sonne l’heure de midi, les enfants quittent les classes pour se rendre au réfectoire. Valeurs et limites Ce qui fait la spécificité de l’école St Joseph de Boondael, c’est qu’elle n’est pas, au départ, une école à pédagogie active. La subtilité ici, c’est la convergence entre les valeurs religieuses et le projet pédagogique de l’établissement. « Peter Petersen évoluait dans un milieu protestant, il n’y avait pas pour lui de problème à mêler l’enseignement avec la religion. S’il décide de l’inclure, c’est que, pour lui, l’intériorité, l’émerveillement et l’éthique de l’enfant doivent faire partie intégrante de l’école », explique Marc Decastiau. La religion a donc sa place en tant qu’elle sert d’appui à l’éducation des enfants et à la pédagogie du plan d’IENA. En aucun cas, l’aspect religieux devient prépondérant, la majorité des enfants ne sont d’ailleurs pas de confession catholique, l’école tient à garder une mixité sociale et religieuse. L’enseignement est gratuit, comme dans n’importe quelle école publique, les services extra-scolaires, eux, sont payants. Les repas ou les sorties culturelles demandent donc un investissement de la part des familles. Les participations demandées restent tout de même correctes, pour une semaine en classe verte par exemple, il sera demandé entre 150 et 180 euros aux familles. « Certaines écoles peuvent cibler un public en proposant des prix élevés, ce n’est pas le cas à St Joseph de Boondael. Ici, on essaye de trouver un équilibre entre les familles aisées et celles plus précaires », déclare Marc Decastiau. Le problème que peut rencontrer un enfant en suivant cette pédagogie alternative se mesure quand il entre à l’école secondaire qui pratique un enseignement traditionnel. Il peut arriver qu’il parvienne difficilement à s’adapter à ce qu’on lui demande et ses résultats peuvent baisser. Il transparaît néanmoins que les enfants parviennent en général à poursuivre leur scolarité normalement. Le pacte d’excellence Le 26 janvier 2015, la ministre de l’éducation Joëlle Milquet à lancé un projet sur la pédagogie à l’école : le pacte d’excellence. L’objectif est de repenser les méthodes d’enseignement, de soutenir les acteurs de la pédagogie alternative pour palier aux redoublements et au manque de qualité de l’enseignement. Pour Marc Decastiau, c’est un projet louable, mais qui arrive un peu tard : « Le pacte d’excellence, dans ses principes me convient. Ce qui me dérange, c’est que d’un côté il y a débat sociétal et de l’autre il y a la marque d’une ministre centralisatrice et autoritaire. Je pense que ce sont les petites structures locales qui font changer les choses. » Vers 15h15, l’école se vide doucement, les parents viennent chercher leurs enfants. Quand on parcourt le couloir qui longe les classes vides, on peut observer des dessins, des réflexions sur les murs. Sur une affiche, un élève a écrit un peu naïvement : « Un pays sent guerre, ça nexiste pas ? » Alors on descend l’escalier pour rejoindre le hall d’entrée, on pousse la porte et soudain on entend plus les rires des enfants. On se souvient des mots d’Antoine de St Exupéry : « C’est fatiguant pour les enfants de devoir toujours tout expliquer aux adultes ». Robin Poncelet Le Couloir de l’info Édition du jeudi 25 février 2016