Y a-t-il encore une place pour un régime hypolipidique É

ÉDITORIAL
La Lettre du Cardiologue - n° 324 - février 2000
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e bénéfice constant retrouvé dans toutes les études de
prévention secondaire par les statines (4S, CARE,
LIPID) soulève souvent une question parallèle
importante : est-il encore nécessaire de donner des
conseils diététiques chez un patient en préven-
tion secondaire ? Il convient tout d’abord de
rappeler que, dans ces études de préven-
tion secondaire, des mesures diététiques
étaient toujours associées au traitement
actif ou non, qui était par ailleurs
débuté à distance de l’événement
coronaire (au moins trois mois). En
fait, la place du régime mérite d’être
rediscutée sous forme de trois ques-
tions essentielles :
Le régime a-t-il fait la preuve de son
efficacité en prévention secondaire ?
Quel type de régime est bénéfique en pré-
vention secondaire ?
Quelle stratégie pratique faut-il adopter vis-à-
vis des places respectives de la diététique et du trai-
tement hypolipémiant ?
LE RÉGIME A-T-IL FAIT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ EN
PRÉVENTION SECONDAIRE ?
En prévention secondaire, la diététique a été évaluée dans divers
types d’étude (1, 2). Globalement, les essais angiographiques de
régression ont montré un ralentissement de la progression des
lésions coronaires, mais ces essais étaient le plus souvent multi-
factoriels avec des interventions diététiques variées et des diffi-
cultés pour en déduire des recommandations nutritionnelles pré-
cises. Parmi les essais cliniques d’intervention nutritionnelle, il
faut surtout retenir les trois plus récents, dont les éléments prin-
cipaux sont résumés dans le tableau I. Dans l’étude DART, seul
le groupe auquel a été conseillée une augmentation de la consom-
mation d’acides gras -3 (poissons) a eu une réduction des décès
par cardiopathies ischémiques, sans diminution nette du nombre
d’événements coronaires non mortels. Cet effet favorable observé,
sans variation significative du taux de cholestérol total, est sans
doute davantage lié à une action antithrombotique. Dans l’étude
SINGH, le groupe intervention consommait plus d’hydrates de
carbone et de fibres, moins de lipides, et le bénéfice clinique a
été très net. Enfin, l’étude la plus célèbre est l’étude lyonnaise
dont la durée initiale prévue était de 5 ans et dont la pre-
mière analyse a porté sur un suivi moyen de
27 mois (3). Malgré des réserves soulevées sur
le plan méthodologique, cette étude apporte
des arguments importants pour une atti-
tude nutritionnelle préventive en pré-
vention secondaire sans effet net sur le
taux de cholestérol. La publication
récente (4) du suivi à plus long terme
(46 mois en moyenne) confirme les
résultats initiaux sur un nombre d’ac-
cidents cardiovasculaires un peu plus
élevé : cette étude est en faveur d’une
diète de type méditerranéen enrichie en
acide alpha-linolénique, acide gras -3
qui a, entre autres, des effets bénéfiques sur
l’agrégation plaquettaire.
Les mesures diététiques ont donc fait la preuve
de leur efficacité en prévention secondaire, mais sans
qu’il s’agisse à proprement parler d’un régime hypolipi-
dique. Ce point est important pour la pratique quotidienne : il
convient d’expliquer au patient que les mesures diététiques pro-
Y a-t-il encore une place pour un régime hypolipidique
en prévention secondaire ?
M. Farnier*
*Point Médical, 21000 Dijon.
L
Étude
DART Étude Étude
groupe AG SINGH de Lyon
-3
Nombre de sujets 2 033 406 605
Durée de l’étude 2 ans 1 an 27 mois 46 mois
Variation de CT* NS – 9 % NS NS
Nombre d’accidents
cardiovasculaires 127/149 50/82 8/33 14/44
mortels ou non (0,85) (0,61) (0,24) (0,28)
Intervention/Témoin p < 0,001 p < 0,001
(RR)*
Tableau I. Résultats des trois essais récents de prévention secondaire
par la diététique.
*CT:cholestérol total ; % de variation par rapport au groupe témoin ; NS : non significatif.
*RR:risque relatif du groupe intervention par rapport au groupe témoin.
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posées sont bénéfiques sur le plan cardiovasculaire même si le
bilan lipidique ne s’améliore pas de façon sensible. C’est tout le
domaine d’une nutrition préventive cardiovasculaire,qu’il
convient d’ailleurs de mieux explorer dans l’avenir. D’autres
études d’intervention nutritionnelle doivent ainsi être program-
mées pour confirmer le bénéfice de l’étude lyonnaise et affiner
les mesures diététiques à proposer en prévention secondaire.
QUEL TYPE DE RÉGIME EST BÉNÉFIQUE EN PRÉVENTION
SECONDAIRE ?
Il existe de nombreux mécanismes d’action de la nutrition : en
dehors de l’action sur les taux de lipides plasmatiques, des effets
favorables sont possibles sur l’oxydabilité des lipoprotéines, sur
l’agrégation plaquettaire, et même directement sur la fonction
endothéliale et la relaxation vasculaire. Si des facteurs
défavorables sont bien individualisés, comme une
consommation excessive d’acides gras saturés
et trans, les facteurs protecteurs potentiels
sont nombreux : acides gras mono et poly-
insaturés, surtout de la série -3, anti-
oxydants, fibres et protéines végétales,
polyphénols... La nutrition préventive
cardiovasculaire idéale reste à définir,
mais des mesures simples doivent être
proposées dès maintenant. Il faut dans
ce domaine établir une stratégie de prio-
rités, et les priorités essentielles sont cer-
tainement :
de réduire la consommation de graisses
saturées (suppression du beurre, de la crème,
réduction des fromages gras et des viandes rouges),
d’augmenter la consommation de graisses mono- et poly-
insaturées, surtout de la série -3 (intérêt de l’huile d’olive, de
l’huile de colza ou de margarines apparentées),
de privilégier la consommation de fruits, de légumes frais et
secs, de céréales, sans oublier de consommer du poisson au moins
deux fois par semaine...
Il est important de faire comprendre aux patients que ces simples
modifications des habitudes alimentaires pour se rapprocher d’un
modèle crétois ou méditerranéen peuvent être très bénéfiques en
prévention secondaire, sans que cela soit lié à des améliorations
importantes de leur taux de cholestérol.
QUELLE STRATÉGIE PRATIQUE ADOPTER À L’HEURE ACTUELLE ?
EN PARTICULIER FAUT-IL UNE PÉRIODE DIÉTÉTIQUE SEULE
AVANT DE COMMENCER UN TRAITEMENT PAR STATINE ?
Il n’est pas possible de répondre formellement à cette question
dans l’état actuel des connaissances : dans les études de préven-
tion secondaire par les statines, le traitement a été entrepris à dis-
tance de l’événement coronaire. Par ailleurs, au moment d’un
accident coronaire aigu, les paramètres lipidiques sont difficiles
à évaluer. Toutefois, un argument important pour entreprendre un
traitement par statine dès que les mesures diététiques sont pro-
posées est le fait que, ultérieurement, les patients risquent d’être
perdus de vue ; un grand nombre de patients échappe encore à un
traitement hypolipémiant en prévention secondaire, si celui-ci
n’est pas instauré dès la phase de l’hospitalisation. Une étude
récente, présentée au dernier congrès de l’EAS et réalisée par
l’investigateur principal de l’étude 4S, Pedersen (5), a comparé
de façon pragmatique deux stratégies en prévention secondaire :
une stratégie avec mesures diététiques seules pendant trois mois
puis traitement par simvastatine 40 mg si le taux de LDL cho-
lestérol reste supérieur à 3 mmol/l, et une stratégie combinant
d’emblée les mesures diététiques calquées sur celles de l’étude
lyonnaise et le traitement par simvastatine 40 mg. Cette étude
montre que très peu de patients (environ 5 %) avaient atteint les
objectifs sur le LDL cholestérol par le seul régime et évité ainsi
le traitement par statine. Par contre, dans le groupe régime plus
simvastatine, en dehors d’une excellente compliance, 90 % des
patients environ avaient atteint l’objectif fixé d’un
LDL cholestérol inférieur à 3 mmol/l. Au terme de
six mois, aucune différence entre les taux de
LDL cholestérol n’apparaissait entre les
deux groupes. Cette étude pilote est en
faveur d’une attitude thérapeutique asso-
ciant mesures diététiques et traitement
par statine dès le moment de l’hospita-
lisation.
CONCLUSION
Des mesures diététiques simples corres-
pondant à une alimentation de type médi-
terranéen permettent d’assurer une prévention
cardiovasculaire efficace. Il est important d’in-
sister sur la nécessité d’instaurer rapidement ces
mesures en complément d’un traitement médicamenteux,
car elles se révèlent efficaces, même s’il n’existe pas d’effet net
sur les paramètres lipidiques.
Bien que la preuve formelle du bénéfice d’un traitement médi-
camenteux débuté dès un événement cardiovasculaire n’ait pas
encore été fournie, pour des raisons de compliance essentielle-
ment, il ne peut être reproché d’instaurer, en prévention secon-
daire et de façon simultanée, les mesures diététiques préventives
et un traitement par statine.
Enfin, il est important d’apprécier régulièrement le suivi des
mesures diététiques nécessaires à une bonne nutrition préventive
cardiovasculaire.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Monnier L., Avignon A., Colette C., Lapinski H. Alimentation et athérosclérose.
I. Les résultats des études d’interventions nutritionnelles. STV 1997 ; 9 : 417-27.
2.
Lecerf J.M. Y a-t-il des preuves de l’efficacité de la prévention des maladies
cardiovasculaires par la nutrition ? STV 1994 ; 6 : 603-11.
3.
De Lorgeril M., Renaud S., Mamelle N. et coll., Mediterranean alpha-linole-
nic acid-rich diet in secondary prevention of coronary heart disease. Lancet
1994 ; 343 : 1454-9.
4.
De Lorgeril M., Salen P., Martin J.L. et coll. Mediterranean Diet, Traditional
Risk Factors, and the Rate of Cardiovascular Complications After Myocardial
Infarction. Final Report of the Lyon Diet Heart Study 1999; 99 : 779-85
5.
Pedersen T.R., Jahnsen K.E., Vatn S. et coll. Lipid intervention strategies in
acute coronary syndromes : A randomised trial with simvastatin. Atherosclerosis
1999 ; 144 (Suppl. 1) : 198.
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