É D I T O R I A L Y a-t-il encore une place pour un régime hypolipidique en prévention secondaire ? ● M. Farnier* L e bénéfice constant retrouvé dans toutes les études de prévention secondaire par les statines (4S, CARE, LIPID) soulève souvent une question parallèle importante : est-il encore nécessaire de donner des conseils diététiques chez un patient en prévention secondaire ? Il convient tout d’abord de rappeler que, dans ces études de prévention secondaire, des mesures diététiques étaient toujours associées au traitement actif ou non, qui était par ailleurs débuté à distance de l’événement coronaire (au moins trois mois). En fait, la place du régime mérite d’être rediscutée sous forme de trois questions essentielles : – Le régime a-t-il fait la preuve de son efficacité en prévention secondaire ? – Quel type de régime est bénéfique en prévention secondaire ? – Quelle stratégie pratique faut-il adopter vis-àvis des places respectives de la diététique et du traitement hypolipémiant ? LE RÉGIME A-T-IL FAIT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ EN PRÉVENTION SECONDAIRE ? En prévention secondaire, la diététique a été évaluée dans divers types d’étude (1, 2). Globalement, les essais angiographiques de régression ont montré un ralentissement de la progression des lésions coronaires, mais ces essais étaient le plus souvent multifactoriels avec des interventions diététiques variées et des difficultés pour en déduire des recommandations nutritionnelles précises. Parmi les essais cliniques d’intervention nutritionnelle, il faut surtout retenir les trois plus récents, dont les éléments principaux sont résumés dans le tableau I. Dans l’étude DART, seul le groupe auquel a été conseillée une augmentation de la consommation d’acides gras Ω-3 (poissons) a eu une réduction des décès par cardiopathies ischémiques, sans diminution nette du nombre d’événements coronaires non mortels. Cet effet favorable observé, sans variation significative du taux de cholestérol total, est sans doute davantage lié à une action antithrombotique. Dans l’étude SINGH, le groupe intervention consommait plus d’hydrates de * Point Médical, 21000 Dijon. 4 carbone et de fibres, moins de lipides, et le bénéfice clinique a été très net. Enfin, l’étude la plus célèbre est l’étude lyonnaise dont la durée initiale prévue était de 5 ans et dont la première analyse a porté sur un suivi moyen de 27 mois (3). Malgré des réserves soulevées sur le plan méthodologique, cette étude apporte des arguments importants pour une attitude nutritionnelle préventive en prévention secondaire sans effet net sur le taux de cholestérol. La publication récente (4) du suivi à plus long terme (46 mois en moyenne) confirme les résultats initiaux sur un nombre d’accidents cardiovasculaires un peu plus élevé : cette étude est en faveur d’une diète de type méditerranéen enrichie en acide alpha-linolénique, acide gras Ω-3 qui a, entre autres, des effets bénéfiques sur l’agrégation plaquettaire. Les mesures diététiques ont donc fait la preuve de leur efficacité en prévention secondaire, mais sans qu’il s’agisse à proprement parler d’un régime hypolipidique. Ce point est important pour la pratique quotidienne : il convient d’expliquer au patient que les mesures diététiques proTableau I. Résultats des trois essais récents de prévention secondaire par la diététique. Étude DART Étude groupe AG SINGH Ω-3 Étude de Lyon Nombre de sujets 2 033 406 Durée de l’étude 2 ans 1 an 27 mois 46 mois Variation de CT* NS –9% NS NS Nombre d’accidents cardiovasculaires 127/149 mortels ou non (0,85) Intervention/Témoin (RR)* 50/82 (0,61) 605 8/33 (0,24) p < 0,001 14/44 (0,28) p < 0,001 * CT : cholestérol total ; % de variation par rapport au groupe témoin ; NS : non significatif. * RR : risque relatif du groupe intervention par rapport au groupe témoin. La Lettre du Cardiologue - n° 324 - février 2000 É posées sont bénéfiques sur le plan cardiovasculaire même si le bilan lipidique ne s’améliore pas de façon sensible. C’est tout le domaine d’une nutrition préventive cardiovasculaire, qu’il convient d’ailleurs de mieux explorer dans l’avenir. D’autres études d’intervention nutritionnelle doivent ainsi être programmées pour confirmer le bénéfice de l’étude lyonnaise et affiner les mesures diététiques à proposer en prévention secondaire. QUEL TYPE DE RÉGIME EST BÉNÉFIQUE EN PRÉVENTION SECONDAIRE ? Il existe de nombreux mécanismes d’action de la nutrition : en dehors de l’action sur les taux de lipides plasmatiques, des effets favorables sont possibles sur l’oxydabilité des lipoprotéines, sur l’agrégation plaquettaire, et même directement sur la fonction endothéliale et la relaxation vasculaire. Si des facteurs défavorables sont bien individualisés, comme une consommation excessive d’acides gras saturés et trans, les facteurs protecteurs potentiels sont nombreux : acides gras mono et polyinsaturés, surtout de la série Ω-3, antioxydants, fibres et protéines végétales, polyphénols... La nutrition préventive cardiovasculaire idéale reste à définir, mais des mesures simples doivent être proposées dès maintenant. Il faut dans ce domaine établir une stratégie de priorités, et les priorités essentielles sont certainement : – de réduire la consommation de graisses saturées (suppression du beurre, de la crème, réduction des fromages gras et des viandes rouges), – d’augmenter la consommation de graisses mono- et polyinsaturées, surtout de la série Ω-3 (intérêt de l’huile d’olive, de l’huile de colza ou de margarines apparentées), – de privilégier la consommation de fruits, de légumes frais et secs, de céréales, sans oublier de consommer du poisson au moins deux fois par semaine... Il est important de faire comprendre aux patients que ces simples modifications des habitudes alimentaires pour se rapprocher d’un modèle crétois ou méditerranéen peuvent être très bénéfiques en prévention secondaire, sans que cela soit lié à des améliorations importantes de leur taux de cholestérol. QUELLE STRATÉGIE PRATIQUE ADOPTER À L’HEURE ACTUELLE ? EN PARTICULIER FAUT-IL UNE PÉRIODE DIÉTÉTIQUE SEULE AVANT DE COMMENCER UN TRAITEMENT PAR STATINE ? Il n’est pas possible de répondre formellement à cette question dans l’état actuel des connaissances : dans les études de prévention secondaire par les statines, le traitement a été entrepris à distance de l’événement coronaire. Par ailleurs, au moment d’un accident coronaire aigu, les paramètres lipidiques sont difficiles à évaluer. Toutefois, un argument important pour entreprendre un traitement par statine dès que les mesures diététiques sont proposées est le fait que, ultérieurement, les patients risquent d’être La Lettre du Cardiologue - n° 324 - février 2000 D I T O R I A L perdus de vue ; un grand nombre de patients échappe encore à un traitement hypolipémiant en prévention secondaire, si celui-ci n’est pas instauré dès la phase de l’hospitalisation. Une étude récente, présentée au dernier congrès de l’EAS et réalisée par l’investigateur principal de l’étude 4S, Pedersen (5), a comparé de façon pragmatique deux stratégies en prévention secondaire : une stratégie avec mesures diététiques seules pendant trois mois puis traitement par simvastatine 40 mg si le taux de LDL cholestérol reste supérieur à 3 mmol/l, et une stratégie combinant d’emblée les mesures diététiques calquées sur celles de l’étude lyonnaise et le traitement par simvastatine 40 mg. Cette étude montre que très peu de patients (environ 5 %) avaient atteint les objectifs sur le LDL cholestérol par le seul régime et évité ainsi le traitement par statine. Par contre, dans le groupe régime plus simvastatine, en dehors d’une excellente compliance, 90 % des patients environ avaient atteint l’objectif fixé d’un LDL cholestérol inférieur à 3 mmol/l. Au terme de six mois, aucune différence entre les taux de LDL cholestérol n’apparaissait entre les deux groupes. Cette étude pilote est en faveur d’une attitude thérapeutique associant mesures diététiques et traitement par statine dès le moment de l’hospitalisation. CONCLUSION Des mesures diététiques simples correspondant à une alimentation de type méditerranéen permettent d’assurer une prévention cardiovasculaire efficace. Il est important d’insister sur la nécessité d’instaurer rapidement ces mesures en complément d’un traitement médicamenteux, car elles se révèlent efficaces, même s’il n’existe pas d’effet net sur les paramètres lipidiques. Bien que la preuve formelle du bénéfice d’un traitement médicamenteux débuté dès un événement cardiovasculaire n’ait pas encore été fournie, pour des raisons de compliance essentiellement, il ne peut être reproché d’instaurer, en prévention secondaire et de façon simultanée, les mesures diététiques préventives et un traitement par statine. Enfin, il est important d’apprécier régulièrement le suivi des mesures diététiques nécessaires à une bonne nutrition préventive cardiovasculaire. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Monnier L., Avignon A., Colette C., Lapinski H. Alimentation et athérosclérose. I. Les résultats des études d’interventions nutritionnelles. STV 1997 ; 9 : 417-27. 2. Lecerf J.M. Y a-t-il des preuves de l’efficacité de la prévention des maladies cardiovasculaires par la nutrition ? STV 1994 ; 6 : 603-11. 3. De Lorgeril M., Renaud S., Mamelle N. et coll., Mediterranean alpha-linolenic acid-rich diet in secondary prevention of coronary heart disease. Lancet 1994 ; 343 : 1454-9. 4. De Lorgeril M., Salen P., Martin J.L. et coll. Mediterranean Diet, Traditional Risk Factors, and the Rate of Cardiovascular Complications After Myocardial Infarction. Final Report of the Lyon Diet Heart Study 1999; 99 : 779-85 5. Pedersen T.R., Jahnsen K.E., Vatn S. et coll. Lipid intervention strategies in acute coronary syndromes : A randomised trial with simvastatin. Atherosclerosis 1999 ; 144 (Suppl. 1) : 198. 5