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En mars 1915, les autorités turques décident de déporter toutes les
populations arméniennes de l’est de l’Anatolie vers les déserts de Mésopotamie
et de Syrie. L’argument avancé est que l’empire Ottoman est en guerre contre la
Russie et que les Arméniens de l’empire semblaient prêts à se ranger du côté des
Russes. N’y a-t-il pas des Arméniens, sujets du tsar, dans les rangs de l’armée
russe ? Des colonnes de centaines de milliers de déportés ont cheminé à pied sur
des centaines de kilomètres, décimées par la famine et les attaques de
commandos turcs ou kurdes. Les Turcs font valoir qu’au cours de ce conflit, les
musulmans, Turcs ou Kurdes ont été aussi nombreux à périr. Ce sont les
conditions de guerre de l’époque qui sont responsables d’une telle mortalité
affirment ceux qui récusent l’idée d’une volonté turque de génocide envers les
Arméniens, comme les Assyro-Chaldéens qui ont subi le même sort.
Certains fait précis laisse penser le contraire. Les Arméniens
évoquent la rafle du 24 avril 1915 à Istanbul qui vise, non des révoltés
potentiels, mais l’élite arménienne de la capitale, pourtant liée au pouvoir. 2 345
personnes, écrivains, médecins, ecclésiastiques, professeurs, élus… sont arrêtés
le même jour, déportés et mis à mort. À la même époque dans l’armée, les
conscrits arméniens sont mis à l’écart, désarmés et fusillés. Il y a bien eu
sélection des victimes, donc génocide. Les déportations de l’Est anatolien ne
seraient donc qu’une opération de « purification ethnique » de grande envergure
sous couvert de conflit mondial ? Il est un fait que les déplacements de
population ont aussi concerné des régions situées loin du front, comme la
Cilicie, autre grande région arménienne.
Des prémices de ce génocide avaient eu lieu bien avant la guerre, en
1894-1896 la répression d’une révolte paysanne avait fait 300 000 morts, puis en
Cilicie en 1909, 30 000 morts. Déjà, des observateurs avaient noté le caractère
sélectif des massacres. Les derniers ont eu lieu en 1922, lors de la prise de
Smyrne (Izmir) par les armées turques.
Combien y-a-t-il eu de victimes ? Les autorités turques actuelles
reconnaissent 300 000 morts arméniens. Gilles Veinstein, historien français
récusé par les Arméniens pour sa négation du caractère génocidaire des
massacres de 1915, estime le bilan à 600 000 victimes arméniennes. Les
historiens arméniens parlent d’un million à un million et demi de morts.
Aujourd’hui, le problème de la réalité ou non du génocide arménien est,
pour la Turquie, une question de politique étrangère. À l’intérieur du pays, le
sujet est totalement tabou depuis la réhabilitation des responsables en 1923.
Avec les Arméniens, ces petites communautés forment la minorité chrétienne de
Turquie. Il y a aussi une petite communauté juive sépharade.