CONGRÈS RÉUNION coordonné par le Dr R. Roussel Cœur et diabète 2010 : le point de vue du cardiologue T. Petroni* Paris, 5 et 6 février 2010 Pour leur 5e édition, ces rencontres organisées par le Pr Bernard Charbonnel (Nantes) et le Pr Michel Komajda (Paris) ont à nouveau suscité un vif intérêt tant dans le monde de la diabétologie que dans celui de la cardiologie. Les participants sont toujours plus nombreux. Les problèmes relevant de ces deux spécialités trouvent des éléments de réponse clairs et innovants au travers des communications d’orateurs français internationalement reconnus. De la recherche fondamentale physiopathologique à la prise en charge thérapeutique, découvrez maintenant toute l’actualité des maladies cardiovasculaires et des facteurs de risque chez le patient diabétique. Données épidémiologiques * Institut de cardiologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Le Dr Anne Fagot-Campagna (Paris) a fait le point sur le diabète : en France depuis 2003, en se fondant sur les données d’Entred, l’échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques, élaboré par l’Institut de veille sanitaire. On observe une réduction du nombre de patients en surpoids (indice de masse corporelle [IMC] compris entre 25 et 30 kg/­m²) mais parallèlement à une augmentation du nombre de patients obèses (IMC > 30 kg/m²). L’hémoglobine glyquée HbA1c moyenne est de 7,1 % pour les diabétiques de type 2 et de 7,9 % pour les diabétiques de type 1, soit une diminution de 0,3 % ; 34 % des patients ont un taux d’HbA1c inférieur à 6,5 % et 15 % de patients, un taux de plus de 8 %. La pression artérielle est mieux contrôlée, avec une moyenne de 134/77 mmHg, soit une baisse de 3 mmHg pour la pression systolique et de 2 mmHg pour la pression diastolique. Toutefois, 84 % des patients ont une pression artérielle supérieure ou égale à 130/80 mmHg. Concernant les anomalies du bilan lipidique, il y a une amélioration avec une baisse de 0,18 g/l du LDL-cholestérol : 58 % des patients ont un LDL-c inférieur à 1,3 g/l et 34 %, inférieur à 1 g/l. Il apparaît que les femmes atteignent moins souvent les objectifs thérapeutiques. Le taux de complications cardiovasculaires (angor et infarctus 10 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 433 - mars 2010 du myocarde) est stable, à 16,7 % ; cependant les complications liées au diabète sont globalement en légère hausse. Il y a en revanche plus de revascularisation coronaire, percutanée ou chirurgicale (14 %). Davantage de patients sont traités par bi- ou trithérapie, avec une prescription plus importante de metformine et une coprescription plus fréquente d’insuline en association avec les traitements oraux. Les traitements par ARA II sont également beaucoup plus souvent prescrits, ainsi que les antiagrégants plaquettaires, les diurétiques thiazidiques et les statines. Enfin, quand 15 % des patients consultent leur endocrinologue plus de 1 fois en 2 ans, ils sont 54 % à se rendre au moins 1 fois chez leur cardiologue durant cette période et consultent leur médecin traitant environ 9 fois par an. Hypertension artérielle et diabète Le Pr Xavier Girerd (Paris) a rappelé les données épidémiologiques de l’enquête Sofres sur la prévalence du diabète, de la dyslipidémie et de l’hypertension, qui a évalué à plus de 14 millions, dont 1 million sont diabétiques, le nombre de sujets prenant quotidiennement un traitement pour l’une de ces pathologies. Ainsi, alors que 18 % des hypertendus sont diabétiques, à l’inverse, 78 % des diabétiques sont hypertendus. Certains sujets présentent un risque plus élevé de développer un diabète de type 2, identifié par un surpoids, un niveau tensionnel supérieur, une concentration de HDL-cholestérol inférieure et, bien sûr, une glycémie plus proche des seuils pathologiques. L’hypertendu métabolique devient donc diabétique et “termine vasculaire”. Les bêtabloquants et les diurétiques pourraient précipiter la survenue du diabète : à l’opposé, les IEC/ARA II et, à un moindre degré, les inhibiteurs calciques, auraient un effet protecteur. L’accent est mis sur la nécessité d’un recours plus fréquent à l’automesure dans le dépistage de l’hypertension artérielle, en raison d’un effet “blouse blanche” nettement CONGRÈS RÉUNION majoré avec le vieillissement et l’atteinte vasculaire. En position assise, bras croisés, à l’aide d’appareils de mesure au poignet standardisés et validés sur le marché français, 3 mesures de la pression artérielle matin et soir durant 3 jours consécutifs permettent d’obtenir un diagnostic positif ou de décider d’intensifier le traitement. L’hypertendu diabétique non contrôlé devrait, en cas d’hypertension artérielle vasculaire (pression pulsée > 60 mmHg), bénéficier d’un dépistage des néphropathies vasculaires ou de la sténose des artères rénales. Il en va de même en cas d’hypertension artérielle métabolique (avec obésité abdominale), qui devrait conduire également à rechercher un éventuel syndrome d’apnées du sommeil. La réduction de la pression artérielle chez le diabétique a démontré un bénéfice dans la prévention des complications cardiovasculaires, cérébrovasculaires et rénales dans l’étude UKPDS, dans l’étude ADVANCE et dans l’étude STENO-2. Les objectifs tensionnels sont stricts (< 130/80 mmHg) et le paradoxe vient du fait que dans les études prouvant un bénéfice par le contrôle tensionnel, les patients n’atteignent quasiment jamais ces chiffres ! La difficulté est de contrôler la pression artérielle systolique avec les instruments de la “triade de la réussite” : les IEC/­ARA II/inhibiteurs directs de la rénine, les diurétiques thiazidiques et les antagonistes calciques. Insuffisance cardiaque et diabète Le risque d’insuffisance cardiaque est réel et bien documenté par les grandes études de 2009. Le Pr Alain Cohen-Solal (Paris) a expliqué que l’insuffisance cardiaque représente, avec la maladie coronaire, la complication cardiovasculaire la plus fréquente du diabète, lequel aggrave ladite insuffisance cardiaque. De même, 30 à 40 % des insuffisants cardiaques présentent un diabète. Pour chaque augmentation de 1 % de l’HbA1c, le risque d’insuffisance cardiaque croît de 8 %. De récentes données montrent que la metformine reste bénéfique dans l’insuffisance cardiaque bien qu’elle élève un peu le risque d’acidose lactique ; c’est pourquoi il convient de différencier l’insuffisance cardiaque cliniquement patente de la dysfonction ventriculaire gauche asymptomatique. L’incidence d’insuffisance cardiaque semble plus élevée sous insuline, mais cette donnée est à exploiter avec prudence car les patients ne sont pas comparables en termes de gravité. Les glitazones, agonistes du récepteur PPARγ, semblent jouer un rôle dans la survenue des événements cardiovasculaires. Cette classe pharmacologique provoque des œdèmes périphériques dans 3 à 5 % des cas et plus encore en cas d’association avec des antidiabétiques oraux ; le chiffre monte jusqu’à 16 % si une insulinothérapie y est associée. Le mécanisme combine une vasodilatation artériolaire, une perméabilité endothéliale accrue, une augmentation du volume plasmatique et une diminution de l’excrétion du sodium par stimulation du canal sodique épithélial du tubule distal. Les données des études suggèrent un risque accru d’insuffisance cardiaque sous glitazone (particulièrement la rosiglitazone) mais qui régresse à l’arrêt du traitement et dont le pronostic est alors plutôt favorable. Ces molécules ne majorent pas la mortalité ni les infarctus du myocarde, elles n’ont pas de cardiotoxicité propre ; la pioglitazone améliore même le remodelage ventriculaire gauche. Les facteurs de prédisposition sont l’âge, le poids, un diabète évoluant depuis plus de 10 ans, un antécédent d’infarctus myocardique, un traitement diurétique et une créatininémie supérieure à 130 µmol/l. Ainsi, en cas de prise de poids ou d’œdèmes des membres inférieurs, il convient d’abord d’éliminer une insuffisance rénale, une prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou d’antagonistes calciques, et une insuffisance veineuse. En cas d’insuffisance cardiaque avérée, la glitazone doit être interrompue et un bilan de la cardiopathie doit être proposé. Dans le cas contraire, selon le travail d’I. Tzoulaki et al. (BHJ 2009;339:b4731) la glitazone pourrait être maintenue, mais, au regard des données de l’étude RECORD évaluant la rosiglitazone, le Pr Michel Komajda (Paris) émet des doutes à ce sujet. Contrôle glycémique dans le syndrome coronaire aigu L’hyperglycémie est un marqueur de morbidité et de mortalité, voire potentiellement un facteur de risque, ce qui reste controversé. C’est ce que rappelle le Pr Jean-Philippe Collet (Paris) en s’appuyant sur les données d’études ayant conduit aux recommandations actuelles. Le contrôle glycémique strict par traitement intensif semble toutefois délétère. Les recommandations américaines préconisent d’évaluer le statut glycémique (recommandation de grade A), de faire un test d’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) en l’absence de diabète connu (grade B), de contrôler la glycémie si elle est supérieure à 1,8 g/l (grade B), de cibler une glycémie entre 0,9 et 1,4 g/l (grade C) et d’instaurer une insulinothérapie dès que possible (grade C). L’hyperglycémie à l’admission semble être un facteur prédictif de mauvais pronostic, La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 433 - mars 2010 | 11 CONGRÈS RÉUNION coordonné par le Dr R. Roussel sans qu’on sache bien pourquoi. Il convient d’interrompre les antidiabétiques oraux et de recourir à l’insulinothérapie, mais il n’y a pas d’argument en faveur d’un contrôle intensif et précoce de la glycémie. Le Pr Paul Valensi (Paris) précise que la glycémie à jeun est bien corrélée à l’HGPO. Chez le patient sans diabète connu, une glycémie à jeun normale au décours d’un syndrome coronaire aigu n’élimine pas le diabète pour autant, loin s’en faut. Il en va de même pour l’HbA1c, qui diagnostique le diabète en cas de valeur supérieure à 6,5 %, mais qui ne l’exclut pas en deçà. Quant à la glycémie à l’admission, elle n’est pas prédictive du résultat de l’HGPO et ne permet donc pas de diagnostic. Il reste vrai qu’une glycémie supérieure ou égale à 2 g/l fait poser le diagnostic de diabète. Chez le patient diabétique connu, il convient de se méfier des hypoglycémies sévères, d’autant plus si l’âge et l’HbA1c sont élevés. Toutefois, seules les hypoglycémies spontanées (a priori non liées au traitement) sont associées à une surmortalité hospitalière. Au cours du syndrome coronaire aigu, la prudence est donc de mise avec la metformine en cas d’insuffisance rénale ou d’instabilité hémodynamique, les sulfamides/glinides de courte demi-vie et l’acarbose peuvent être proposées, mais les glitazones sont à éviter en cas d’insuffisance cardiaque et il n’y a pas d’étude chez le patient coronarien concernant les inhibiteurs de la DPP4 ou les analogues du GLP1. L’insuline reste donc bien souvent incontournable et prévient les associations thérapeutiques délicates. Revascularisation myocardique du patient diabétique Il est désormais admis que l’excès de resténose coronaire chez le patient diabétique augmente la mortalité : l’utilisation de stents actifs est donc recommandée. Le Pr Gilles Montalescot (Paris) insiste sur la différence d’efficacité entre les différents stents actifs : les stents imprégnés de sirolimus conduisent à moins de revascularisations. Outre la nature du stent, les traitements médicamen- 12 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 433 - mars 2010 teux améliorent la survie (IEC, statine à forte dose, prasugrel et abciximab). Les résultats de l’étude SYNTAX n’ont pas mis en évidence de différence en termes de mortalité ou d’infarctus du myocarde entre revascularisation percutanée et chirurgicale ; cependant, l’excès (non significatif) d’AVC dans la stratégie chirurgicale, a fortiori chez les diabétiques traités par insuline et en cas de syndrome métabolique, plaide en faveur de l’angioplastie. Le Pr Daniel Duveau (Nantes) recommande également de proposer aux patients pluritronculaires une solution chirurgicale en les informant du risque important de revascularisation ultérieure pour la solution interventionnelle. Il souligne les difficultés techniques de l’angioplastie pour des vaisseaux de petite taille, calcifiés, obstrués, sièges de sténoses longues et requérant un traitement antiagrégant plaquettaire double prolongé. Il émet des réserves sur le score SYNTAX, qui ne tient compte que de la complexité des lésions coronaires mais aucunement du terrain. La chirurgie de pontage a l’avantage de protéger de l’évolution locale au site de la sténose et régionale, de permettre une revascularisation complète, meilleure en termes de mortalité, avec une sécurité (mortalité opératoire globale de 2 %) et une efficacité satisfaisantes (97 % des ponts mammaires sont perméables à 7 ans). Il ne faut pas négliger le caractère invasif du geste et le risque infectieux majoré lié au recours fréquent et nécessaire aux 2 artères mammaires internes pour la réalisation du partage, conduisant à dévasculariser significativement le sternum. Le Pr Jean-Philippe Collet suggère le recours à la solution hybride chirurgicale et percutanée. Il s’interroge sur l’angioplastie du tronc commun et le Pr Gilles Montalescot propose le sous-groupe des diabétiques de l’étude SYNTAX comme seules données actuelles. Compte tenu de l’amélioration des techniques, ce geste peut s’envisager en fonction du type de lésion du tronc commun, en l’absence de lésion d’aval, avec l’emploi impératif d’une endoprothèse active et sous couvert d’un traitement antiagrégant plaquettaire double. ■