À propos d’un cas de cardiomyopathie hypertrophique sans hypertension artérielle cas clinique Mot-clé

CAS CLINIQUE
30 | La Lettre du Cardiologue n° 424 - avril 2009
Mot-clé
Cardiomyopathie hypertrophique
Keyword
Hypertrophic cardiomyopathy
À propos d’un cas de cardiomyopathie
hypertrophique sans hypertension artérielle
O. Lidove*, M. Zaïdan*, E. Brochet**, M.C. Aumont**, M.P. Chauveheid*, B. Iung**
* Service de médecine interne, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris.
** Service de cardiologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris.
Cet électrocardiogramme est typique d’une maladie ayant un traitement spécifique
Il s’agit de l’électrocardiogramme d’un homme de 40 ans, non hypertendu, ne prenant aucun médicament. Le seul renseignement
contributif concerne son frère de 42 ans, dialysé depuis 5 ans.
Quel est votre diagnostic ?
CAS CLINIQUE
Encadré I. Principales manifestations cliniques de la maladie de Fabry
(hors atteinte cardiaque).
Principales manifestations extracardiaques
(hommes et femmes)
Acroparesthésies ou douleurs des extrémités
Elles peuvent disparaître spontanément à l’âge adulte
Angiokératomes
Hyposudation
Cornée verticillée (examen à la lampe à fente)
Néphropathies glomérulaire et vasculaire
Elles débutent par une protéinurie (2e ou 3e décennie)
insuffisance rénale terminale en moyenne vers 50 ans chez l’homme
Atteinte neurologique
Vertiges, surdités brusques, hypoacousies de perception
AVC du sujet jeune à prédominance vertébro-basilaire
Démence vasculaire
• Manifestations apparaissant au cours des 2 premières décennies.
Atteintes plus tardives.
Blocs auriculo-ventriculaires (n = 6), stimulateur cardiaque (n = 2)
Blocs de branche 30 % (10/34)
Fibrillation auriculaire 9 % (3/34)
Coronaropathie 18 % (6/34)
Valvulopathies 35 % (12*/34)
IM n = 11
RA n = 4
IA n = 3
Endocardite 3/12*
IM = insuffisance mitrale ; RA = rétrécissement aortique ; IA = insuffisance
aortique.
* Certains patients avec plusieurs valvulopathies.
Encadré II. Principales manifestations cardiaques rencontrées chez
34 hommes adultes (hémizygotes). Ces atteintes peuvent également se
rencontrer chez la femme.
La Lettre du Cardiologue n° 424 - avril 2009 | 31
Examen
L’analyse ECG a révélé une bradycardie sinusale, un espace PR
court, sans syndrome de Wolff-Parkinson-White et une hyper-
trophie ventriculaire gauche de type systolique.
Cette description ECG est typique d’une cardiomyopathie hyper-
trophique dans le cadre d’une maladie de Fabry.
Commentaire
La maladie de Fabry est une maladie héréditaire du métabolisme,
due à un déficit en alpha galactosidase A, enzyme lysosomale
qui clive les sphingolipides et permet leur dégradation et leur
élimination. En cas d’anomalie qualitative ou quantitative de cette
enzyme, le globotriaosylcéramide (Gb3) et autres sphingolipides se
déposent à l’intérieur des cellules des organes atteints (encadré I).
La fréquence de la maladie est estimée à 1/117 000 naissances
mais elle est probablement sous-estimée. Le gène codant pour
la synthèse de l’alpha galactosidase A est situé sur le chromo-
some X en position Xq 22, et il comprend 7 exons. À ce jour, plus
de 300 mutations ont été identifiées.
La maladie de Fabry est une maladie systémique, touchant sévère-
ment plusieurs organes, avec une espérance de vie moyenne de
50 ans chez l’homme et de 70 ans chez la femme en l’absence
de traitement.
Atteintes cardiaques au cours
de la maladie de Fabry
Lensemble des structures cardiaques peut être atteint par la maladie
(encadré II). Les principaux examens complémentaires à visée
cardiologique sont l’échographie cardiaque, l’électrocardiogramme
(ECG), et le holter rythmique à réaliser au moindre doute.
L’atteinte cardiaque mime une cardiomyopathie hypertrophique
(CMH). En général, l’épaisseur de la paroi postérieure et du septum
interventriculaire est augmentée. L’hypertrophie ventriculaire gauche
(HVG), évaluée en échographie, est un bon reflet de la sévérité de la
maladie (1). La maladie de Fabry est à ajouter aux causes possibles
de CMH de l’adulte, bien que sa fréquence exacte soit variable
d’une étude à l’autre, allant de 0 % à 12 % selon les travaux. La
fréquence réelle est probablement proche de 1 %, comme cela a
été récemment rapporté par une équipe espagnole (2). Latteinte
cardiaque peut être précoce chez l’enfant ou l’adolescent sous forme
d’hypertrophie ventriculaire et elle est, dans ce cas, fréquemment
associée à des douleurs des extrémités (3).
L’ECG montre souvent une augmentation des voltages, et l’écho-
graphie peut mimer une amylose. Dans notre expérience, il n’a
jamais été constaté de microvoltage à l’ECG, contrairement à la
cardiopathie amyloïde. Cela s’explique par le fait que les dépôts
sont dans la maladie de Fabry exclusivement intracellulaires.
Les troubles du rythme et de la conduction peuvent apparaître
à un âge jeune, et cela même en l’absence de cardiomyopa-
thie infiltrative. Des bradyarythmies sont fréquentes. Lespace
PR court, inférieur à 120 ms, concerne 15 % des patients. Cet
aspect est évocateur de la maladie, sans être pathognomonique.
Il est également constaté dans d’autres maladies métaboliques,
maladie de Pompe et maladie de Danon. À l’inverse, les blocs
auriculo-ventriculaires concernent près de 10 % des patients avec
parfois nécessité d’implantation d’un pacemaker. Dans ce sens,
la constatation d’un bloc auriculo-ventriculaire infra-hissien à un
âge jeune doit faire évoquer la maladie. Des blocs de conduction
intraventriculaires sont également décrits, ainsi que des passages
en fibrillation auriculaire. L’arythmie semble augmenter avec l’âge
et accroît le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC).
Les atteintes coronaires ne seraient pas liées à un athérome accé-
léré, mais plutôt à une endothéliopathie spécifique avec infiltration
des cellules endothéliales. Cela doit toutefois être nuancé par la
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possibilité d’un athérome accéléré, par exemple chez le patient
dialysé. Cinquante pour cent des patients auraient des douleurs
thoraciques. L’ECG peut mimer un infarctus, en particulier dans le
territoire latéral. Le flux coronaire a été retrouvé diminué en cas
de maladie de Fabry. Bien que quelques descriptions en aient été
faites, la fréquence de la maladie de Fabry au cours de l’infarctus
du myocarde du sujet jeune est probablement faible.
Le variant cardiaque de la maladie
de Fabry existe-t-il ?
Cette question a été soulevée essentiellement par une étude
japonaise, publiée en 1995, qui s’est intéressée à la recherche de
maladie de Fabry chez 230 hommes atteints de cardiomyopathie
hypertrophique (4). Les auteurs ont trouvé 7 cas de maladie de
Fabry dans cette population. Il est intéressant de noter que ces 7 cas
étaient retrouvés parmi les 60 patients ayant une cardiomyopathie
hypertrophique sans cause évidente. L’apparition des symptômes
survenait après 40 ans et s'associait à un âge au décès de plus de
60 ans. Ces patients n’avaient aucun des signes classiques exposés
précédemment, et présentaient donc une absence d’angiokératomes,
d’acroparesthésie, d’hypohidrose, de cornée verticillée, d’atteinte
cérébrale ou d’atteinte rénale importante. Ils avaient une activité
enzymatique résiduelle. Des études récentes tendent à minimiser la
notion de variant cardiaque, car certains patients ayant une même
mutation peuvent avoir, pour l’un, une forme classique de la maladie,
et pour l’autre, une forme essentiellement cardiaque. Il existe donc
probablement un continuum phénotypique entre l’atteinte cardiaque
prédominante et la forme classique.
Si l’on résume l’histoire naturelle de la cardiomyopathie au cours
de la maladie de Fabry, on peut schématiquement retenir que la
prévalence de l’HVG chez l’homme à 30 ans est de 90 %, et qu’elle
est de 60 % chez la femme à 40 ans. La progression de l’épaissis-
sement myocardique est exponentielle alors que la progression
des dépôts de sphingolipides dans le cœur est linéaire, ce qui rend
compte de l’importance majeure de la fibrose dans l’épaississe-
ment du myocarde (5).
Comment faire un diagnostic de maladie
de Fabry ?
Le diagnostic chez l’homme est relativement facile et est affirmé
par un dosage biochimique de l’activité enzymatique de l’alpha-
galactosidase A dans les leucocytes. Il faut prélever 10 ml de sang
sur tube EDTA, et retrouver dans ce prélèvement une activité
enzymatique nulle ou résiduelle de 5 à 35 %.
En revanche, le diagnostic biochimique n’est pas fiable chez la
femme. Près de 40 % des femmes hétérozygotes ont une activité
enzymatique normale. La confirmation viendra du diagnostic
moléculaire, avec recherche de la mutation de la maladie de Fabry.
Cette recherche nécessite le consentement éclairé signé de la
patiente, et un prélèvement de 10 ml de sang sur tube EDTA. La
recherche génétique, lorsqu’elle est effectuée chez l’homme, est
surtout utile pour le conseil génétique (arbre généalogique).
Le traitement de la maladie de Fabry
Le traitement symptomatique est toujours
d’actualité chez les patients
En cas d’atteinte vasculaire, qu’elle soit coronaire ou supra-
aortique, un traitement par antiagrégant plaquettaire est proposé,
sans qu’il y ait de preuve définitive. En cas de fibrillation auriculaire,
un traitement au long cours par anticoagulant est bien entendu
nécessaire. Le traitement hypolipémiant n’a pas fait l’objet d’étude
contrôlée à ce jour. Il est également important de réaliser une
néphroprotection en cas de protéinurie de débit glomérulaire.
Le traitement enzymatique substitutif
Si l’on considère uniquement les 3 atteintes d’organe les plus
sévères en termes pronostiques, ce traitement n’a rien prouvé
en termes de prévention primaire ou secondaire sur les accidents
cérébraux. En revanche, à condition que le traitement soit débuté
tôt, il est capable de stabiliser la fonction rénale et de diminuer
l’épaisseur du myocarde. On sait que la fonction systolique du
ventricule gauche diminue de façon progressive chez les patients
atteints de la maladie de Fabry non traités.
Conclusion
La maladie de Fabry est importante à diagnostiquer, car elle
bénéficie d’un traitement spécifique. La présentation est très
pléomorphe et l’atteinte cardiaque peut s’intégrer comme un
élément d’une réelle maladie systémique. La maladie de Fabry peut
toucher le myocyte, les valves, le tissu de conduction ou l’endo-
thélium. La principale atteinte cardiaque est une cardiomyopathie
hypertrophique. Les femmes et les hommes peuvent être atteints
par cette maladie. Le traitement enzymatique a prouvé qu’il était
capable de diminuer la masse ventriculaire gauche. Des études au
long cours sont toutefois nécessaires pour confirmer ces résultats
encourageants, attestant d’une diminution des implantations de
stimulateurs cardiaques et des complications cardiaques graves,
ainsi qu’un allongement de l’espérance de vie.
1. Linhart A, Palecek T, Bultas J et al. New insights in cardiac structural changes in
patients with Fabry’s disease. Am Heart J 2000;139:1101-8.
2. Ries M, Gupta S, Moore DF, et al. Pediatric Fabry disease. Paediatrics 2005;115:
e344-55.
3. Nakao S, Takenaka T, Maeda M et al. An atypical variant of Fabry’s disease in
men with left ventricular hypertrophy. N Engl J Med 1995;333(5):288-93.
4. Linhart A, Kampmann C, Zamorano JL et al. Cardiac manifestations of Ander-
son-Fabry disease: results from the international Fabry outcome survey. Eur Heart
J 2007;28:1228-35.
5. Montserrat L, Gimeno-Blanes JR, Marin F et al. Prevalence of Fabry disease in
a cohort of 508 unrelated patients with hypertrophic cardiomyopathy. J Am Coll
Cardiol 2007;50:2399-403.
Références bibliographiques
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