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Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n°3, Mars 1998
Dans un éditorial récent du Lancet (p. 1563, Vol 350, n° 9091), les auteurs s’inter-
rogeaient sur le manque d’objectivité de perception du risque cardiovasculaire des
femmes anglo-saxonnes, dont plus de la moitié craignent de mourir d’un cancer du
sein et moins de 10 % ont peur de mourir d’une maladie cardiovasculaire. En fait,
plusieurs études montrent que moins de 10 % des femmes craignent les maladies
cardiovasculaires alors que près d’un tiers d’entre-elles en mourront, dont 10 à
12 % d’un accident vasculaire cérébral et 10 % d’un infarctus du myocarde. Il
n’existe pas d’étude récente de ce type chez les hommes, et même si la hiérarchie
est différente, ces tendances existent et, surtout, les explications sont similaires. En
effet, l’information sanitaire de la population repose avant tout sur les médias, et
plus de 80 % de la population tire ses informations sur la santé des médias écrits,
parlés et télévisuels. Il existe une relation indiscutable entre la masse d’informations
sur un sujet et la perception qu’en a la population. Actuellement, mis à part les vac-
cinations et la sécurité routière, la meilleure façon de diminuer la morbidité géné-
rale de la population est de diminuer la morbidité cardiovasculaire. Toutes les études
de prévention permettent d’évaluer le gain en termes de morbimortalité (- 20 à
- 30 % d’infarctus en moins en diminuant le taux du cholestérol ; - 20 à - 30 %
d’accidents vasculaires cérébraux en abaissant la pression artérielle, - 20 à - 30 %
d’événements cardiovasculaires en cessant de fumer). En termes d’efficacité relati-
ve, les médias devraient consacrer près de la moitié de leur temps d’information sur
la santé à parler de la prévention cardiovasculaire. On est loin du compte ! En fait,
les maladies cardiovasculaires, et surtout les possibilités de prévention, n’ont pas la
diffusion proportionnelle qu’elles méritent par les médias. Souvent, tout se mélange
entre le sensationnel des dernières découvertes de la génétique et le quotidien “beso-
gneux” de la prévention. Que dire de ces patients qui consultent dans le service pour
une thérapie génique de leur hypercholestérolémie à 2,5 g/l et qui continuent de
fumer, de s’alimenter n’importe comment et dont la pratique sportive se résume à
enfiler un survêtement le dimanche pour regarder le match à la télé ? Quel poids
(c’est un jeu de mot !) peuvent avoir des conseils pour une diététique quotidien-
ne raisonnable quand certains grands spécialistes, subtilement interrogés par
des journalistes avides de sensationnel, se laissent aller à nous faire croire que
les artères se débouchent comme par miracle grâce à la technologie moderne ?
Mais d’où vient cette disproportionnalité d’investissement entre l’information
sur la réalité quotidienne et le rêve de la panacée universelle ? Tout d’abord, il
est plus facile de mobiliser les énergies pour lutter contre un agent pathogène
extérieur clairement identifié (un virus par exemple) que de lutter contre ses
propres habitudes de vie et donc de se remettre en question. D’autre part, il est
toujours plus facile d’accuser la fatalité que de se dire que l’on a une part de
responsabilité dans sa maladie. Enfin, le discours basé sur l’effort continu per-
sonnel de prévention, dont les résultats aléatoires se traduiraient par un non-
événement, n’a plus de prise dans une société presse-bouton où l’instantanéité
des résultats devient quasi obligatoire pour toute démarche.
D’ailleurs, il n’est que de comparer la fierté de ces patients avec un nouveau
cœur greffé avec la culpabilité de ceux, encore bien portant, qui, lors d’un repas,
Prévention : il est
temps d’établir les
hiérarchies et d’être
efficace
Dr Ph. Giral*
Editorial
*Centre de Détection et de Prévention de
l’Athérosclérose, Hôpital Pitié-Salpêtrière,
75013 Paris