congrès RÉUNION ADA 2011 24-28 juin 2011 San Diego Insuffisance cardiaque, dépistage, prévention cardiovasculaire précoce : les prochains défis dans le diabète R. Roussel* Insuffisance cardiaque et diabète, la prochaine bataille : nouvelles données sur la relation HbA1c-risque d’insuffisance cardiaque Selon une étude incluant plus de 20 000 diabétiques de type 1, rendue publique à San Diego et parue simultanément dans le Lancet, le risque de développer une insuffisance cardiaque croît parallèlement avec l’HbA1c moyenne des sujets, selon une relation exponentielle (figure) [1]. Le suivi moyen était de 9 ans, et l’incidence de l’insuffisance cardiaque était de 3,4 pour 1 000 patients-années chez ces sujets âgés d’environ 40 ans au début du suivi. Les diabétiques de type 1 déséquilibrés présentent des anomalies majeures du métabolisme énergétique, avec une B 20 Incidence ajustée pour 1 000 patients-années Incidence ajustée pour 1 000 patients-années A 20 15 15 10 * Service d'endocrinologie, diabétologie, nutrition, groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard, Paris. 10 5 0 élévation de la concentration plasmatique des acides gras libres, qui sont prioritairement captés dans le myocarde au détriment du glucose. Le fonctionnement mitochondrial entraîne alors une consommation exagérée d’oxygène, facteur de génération d’espèces oxygénées réactives. Les diabétiques déséquilibrés − du moins ceux qui y sont prédisposés par d’autres facteurs environnementaux ou par des facteurs génétiques − développent une cardiomyopathie marquée par une dilatation ventriculaire et une baisse de la fraction d’éjection, éventuellement aggravée par une coronaropathie ischémique qui reste la première cause de l’insuffisance cardiaque dans cette population. La cardiomyopathie observée chez les diabétiques de type 2 est hétérogène ; elle se présente souvent, sur le plan fonctionnel, par une dysfonction diastolique, et, sur le plan anatomique, par une surcharge lipidique intracellulaire et par une stéatose myocardique. Les 0 6 7 8 9 10 Moyenne d’HbA1C au cours du suivi (%) 11 5 0 0 6 7 8 9 10 Moyenne d’HbA1C au cours du suivi (%) 11 Figure. Incidence de l’insuffisance cardiaque par catégorie d’HbA1c moyenne sur le suivi chez des patients âgés ­ de 41 à 45 ans (A) et de 56 à 60 ans (B) diagnostiqués diabétiques de type 1 entre les âges de 11 et 20 ans (régression de Poisson, ajustement sur l’âge, le sexe et la durée du diabète). 10 | La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011 congrès RÉUNION anomalies précoces de remplissage ont été corrélées au degré de stéatose, dans une étude réalisée chez des sujets intolérants au glucose mais non diabétiques, suggérant une physiopathologie différente de celle des diabétiques de type 1 (2). On peut imaginer qu’en cas de diabète avéré, les mécanismes délétères sont potentiellement synergiques. Comment traduire cette observation dans le soin courant ? Premièrement, si la recommandation de réaliser systématiquement et régulièrement une échocardiographie chez tous les diabétiques paraît obsolète à l’heure de l’individualisation de la prise en charge, il est opportun de prendre en compte l’équilibre glycémique habituel dans l’évaluation du risque individuel de myocardio­ pathie. Ensuite, a-t-on des arguments pour extrapoler de ce qui précède qu’une baisse de l’HbA1c apportera une réduction du risque ? L’étude majeure d’intervention dans le diabète de type 1, le DCCT/EDIC (Diabetes Control and Complications Trial/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications), a montré qu’après une longue intervention (groupe intensif avec une HbA1c moyenne de 7 %, contre 9 % dans le groupe conventionnel) suivie d’une longue période d’observation, le risque cardiovasculaire était réduit, jugé sur un critère composite : infarctus du myocarde, AVC (accident vasculaire cérébral), revascularisation, angor documenté ou décès ; mais aucune donnée n'a été fournie concernant l’insuffisance cardiaque (3). Dans les études similaires chez des diabétiques de type 2, l’événement “insuffisance cardiaque” n'était souvent pas rapporté, et lorsqu’il l'était, son incidence n’était pas influencée par l’intensification du traitement (4). Au total, quel que soit le type de diabète, si le contrôle glycémique intensif peut être associé à une réduction du risque d’insuffisance cardiaque selon les études épidémiologiques, une conclusion définitive nécessiterait des essais d’intervention spécifiques qui ont peu de chances d’être conduits. Notons au passage les excellents résultats préliminaires rapportés au congrès sur la prise en charge de l’insuffisance rénale des diabétiques par des traitements anti-inflammatoires et antifibrosants (la pirfénidone et la bardoxolone, respectivement anti-TGFβ et anti-NF-κB) ; ces molécules ont permis de récupérer sur un an quelques millilitres par minute de clairance chez des insuffisants rénaux modérés à sévères, un effet enthousiasmant en attendant les essais de phase III, tant le compte à rebours semble inéluctable chez ces patients en pratique clinique actuelle. Or, d’une part, la fonction rénale est en elle-même un facteur pronostique cardiovasculaire indépendant, et, d'autre part, les mécanismes moléculaires conduisant à la fibrose rénale sont au moins partiellement communs à ceux qui sous-tendent la cardiomyopathie diabétique : on peut espérer, ce qui n’a pas encore été regardé, que le bénéfice sera multiorgane. Les essais correspondants ont été publiés en ligne (5, 6). Dépistage du diabète et prise en charge précoce intensive tous azimuts : peut mieux faire L’essai Steno-2 a montré qu’il était possible de réduire la mortalité de patients à haut risque en mettant en œuvre une stratégie multidisciplinaire (usage systématique d’antiagrégants et blocage du système rénine-angiotensine, objectifs intensifs pour la pression artérielle, les lipides et la glycémie). La population de Steno-2 avait déjà, à l’entrée dans l’étude, un diabète diagnostiqué de longue date, et les sujets étaient tous micro- ou macroalbuminuriques. Les essais ADVANCE (Action in Diabetes and Vascular Disease), VADT (Veterans Affairs Diabetes Trial) et ACCORD (Accord to Control Cardiovascular Risk in Diabetes) ont présenté des conclusions en demi-teinte sur le bénéfice du contrôle intensif vis-à-vis des événements cardiovasculaires, seule leur méta-analyse suggérant une réduction des infarctus du myocarde, mais sans effet sur la mortalité ; ce bénéfice inférieur aux attentes a été attribué à l’ancienneté du diabète des participants à ces essais, le fardeau vasculaire dû au diabète étant peu, ou très lentement, réversible. Aussi était-il légitime de penser qu’une intervention intensive “à la Steno-2” serait encore plus efficace si elle s’appliquait précocement, peu après le diagnostic du diabète. Cette hypothèse a été testée dans un essai randomisé chez 3 055 patients danois, britanniques et hollandais, récemment dépistés diabétiques (7). La randomisation a porté sur les centres de soins primaires participants, et a consisté à suivre les diabétiques de façon conventionnelle ou intensifiée pour les facteurs de risque cardiovasculaires. Le suivi a été de 5 ans et n’a pas permis de montrer de différence dans l’incidence du critère principal (premier événement cardiovasculaire) malgré l’amélioration plus marquée des facteurs de risque dans le groupe intensif ; l’incidence du critère principal était de 7,2 % (13,5 pour 1 000 patients-années) dans le groupe intensif, et de 8,5 % (15,9 pour 1 000 patients-années) dans le groupe conventionnel, ce qui correspond à une réduction du risque, non significative, de 17 % (IC95 : + 5 % à − 35 %). La tendance est là, penseront les plus optimistes, mais dans le nord de l’Europe comme ailleurs, la faiblesse heureuse du risque cardiovasculaire absolu fait perdre considérablement en puissance statistique. ■ Références bibliographiques 1. Lind M, Bounias I, Olsson M, Gudbjörnsdottir S, Svensson AM, Rosengren A. Glycaemic control and incidence of heart failure in 20 985 patients with type 1 diabetes: an observational study. Lancet 2011;378:140-6. 2. McGavock JM, Lingvay I, Zib I et al. Cardiac steatosis in diabetes mellitus: a 1H-magnetic resonance spectroscopy study. Circulation 2007;116:1170-5. 3. Nathan DM, Cleary PA, Backlund JY et al. Intensive diabetes treatment and cardiovascular disease in patients with type 1 diabetes. N Engl J Med 2005;353:2643–53. 4. Zhang CY, Sun AJ, Zhang SN et al. Effects of intensive glucose control on incidence of cardiovascular events in patients with type 2 diabetes: a meta-analysis. Ann Med 2010;42:305-15. 5. Sharma K, Ix JH, Mathew AV et al. Pirfenidone for diabetic nephropathy. J Am Soc Nephrol 2011;22:1144-51. 6. Pergola PE, Raskin P, Toto RD et al. Bardoxolone methyl and kidney function in CKD with type 2 diabetes. N Engl J Med 2011 Jun 24 [Epub ahead of print]. 7. Griffin SJ, Borch-Johnsen K, Davies MJ et al. Effect of early intensive multifactorial therapy on 5-y ear cardiovascular outcomes in individuals with type 2 diabetes detected by screening (ADDITION-Europe): a cluster-randomised trial. Lancet 2011;378:156-67. La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011 | 11