Actualité Santé 11 La dermatite atopique Un sujet de controverses La dermatite atopique (DA) touche 10 à 15 % des nourrissons, 5 % des enfants de moins de 5 ans et peut persister à l’âge adulte. Sa sévérité est variable, son origine mal déterminée et son traitement parfois mal appliqué. D e nombreux sujets restent des sujets de controverse et sont débattus à l’heure actuelle. Plus qu’une modification du terrain génétique, il semble que l’environnement ait joué un rôle important dans l’augmentation de la fréquence de la DA dans les pays industrialisés durant ces 20 dernières années. Trop de protection ? On observe, d’une part, un gradient nord-sud de prévalence (5 % en Espagne et 20 % en GrandeBretagne) et, d’autre part, la fréquence plus forte de la maladie dans les familles à niveau de vie élevé. Selon la théorie hygiéniste, la diminution de l’exposition aux agents infectieux pourrait être responsable de modifications de la régulation du système immunitaire innée. Autrement dit, la protection par les infections précoces dans les premiers mois de vie (à condition que les défenses immunitaires du nourrisson ne soient pas altérées) serait susceptible de prévenir l’apparition de la DA. Le diagnostic de cette maladie cutanée chronique inflammatoire est habituellement facile, reposant sur des signes cliniques : une sécheresse cutanée fréquente, des poussées prurigineuses d’eczéma aigu suivies de phases de rémission. Néanmoins, la DA entraîne un nomadisme médical important car les médecins sont souvent divisés sur sa meilleure prise en charge. D’où l’intérêt de la première conférence de consensus sur la DA qui s’est récemment déroulée, suivant la procédure de l’Anaes, à la demande de la Société française de dermatologie. De plus, une réuniondébat a été ouverte au grand public dans le cadre des Journées dermatologiques de Paris, témoignant de la nécessité d’une communication entre les médecins et les patients et leurs familles, souvent désemparés face à la chronicité de la maladie et aux avis contradictoires des différents professionnels de santé (dermatologues, pédiatres, généralistes, allergologues). D’ailleurs, l’enquête nationale de pratique a montré une grande diversité dans les modalités thérapeutiques en fonction des praticiens. Quels mécanismes ? Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la DA ne sont pas tous élucidés. On reconnaît l’implication des facteurs génétiques, des facteurs immunologiques et des anomalies constitutives ou induites de la barrière épidermique. L’évolution de la DA est capricieuse (résolutive pour 50 % des enfants) et d’autres manifestations atopiques peuvent s’associer à l’eczéma, à savoir une allergie alimentaire avant 3 ans, un asthme dans un tiers des cas, une rhinite allergique. Des complications peuvent survenir, et devant une persistance ou une aggravation de l’eczéma malgré un traitement bien conduit, il faut suspecter la surinfection par le staphylocoque doré (la présence des lésions pustuleuses et croûteuses inhabituelles) ou par l’herpès et, encore, la survenue de l’eczéma de contact. Le jury de la conférence de consensus recommande une évaluation objective de la gravité et du retentissement de la DA. En revanche, il estime que les explorations allergologiques ne doivent pas être réservées seules aux DA qui ne répondent pas aux traitements adaptés et bien réali- sés, dans le cas d’une cassure de la courbe staturo-pondérale ou lorsque l’on constate des manifestations associées évocatrices d’une allergie alimentaire, respiratoire ou de contact. On admet donc le rôle possible d’allergènes comme facteurs pérennisants et que, en cas d’allergie prouvée, l’éviction peut améliorer la DA. Cela dit, la responsabilité de l’allergie alimentaire et respiratoire dans la DA reste controversée et, pour les spécialistes, la prescription systématique d’un régime alimentaire d’éviction peut être source de carence nutritionnelle. Qu’est-ce que la DA ? La dermatite atopique (ou eczéma constitutionnel) est une affection inflammatoire prurigineuse chronique commune chez l’enfant et l’adulte jeune. Les caractéristiques anatomopathologiques sont très proches de celles observées dans l’eczéma de contact et incluent une atteinte épidermique prédominante avec un afflux de lymphocytes T (exocytose) et un œdème intercellulaire (spongiose) réalisant des vésicules microscopiques. Le derme superficiel comporte un infiltrat mononucléé périvasculaire. La dilatation des capillaires superficiels est responsable de l’érythème et l’extravasation de protéines plasmatiques, de papules œdémateuses. Les vésicules peuvent être visibles macroscopiquement. Leur rupture à la surface de la peau détermine le caractère suintant et croûteux des lésions, et constitue un excellent milieu de culture pour les contaminants bactériens, d’où la fréquence de la surinfection (impétiginisation) staphylococcique. Du fait du grattage, l’épiderme s’épaissit (lichénification) et devient, chez l’enfant et l’adulte moins susceptible à un suintement issu des vésicules. Les lésions de grattage peuvent cependant déterminer des brèches épidermiques et une exsudation secondaire. >> Infos ... Trois conditions Les mécanismes physiopathologiques à l’origine des lésions d’eczéma impliquent trois partenaires : l’antigène, les cellules présentatrices d’antigène du groupe des cellules dendritiques (CD) et les lymphocytes T (LT) spécifiques. Professions Santé Infirmier Infirmière N° 61 • janvier-février 2005 12 Actualité Santé >> Infos ... Un terrain favorable Deux tiers des patients atteints de dermatite atopique ont un parent au premier degré atteint de dermatite atopique, d’asthme ou de rhinite allergique, en comparaison avec un tiers pour les sujets non atopiques. Il existe un certain degré de spécificité d’organecible dans la transmission du trait atopique : les patients atteints de DA ont 50 % de leurs enfants atteints de DA et jusqu’à 80 % si les deux parents sont atteints de DA. Physiopathologie La DA est la manifestation cutanée de l’atopie, caractérisée par l’existence de manifestations d’hypersensibilité médiée par des IgE et par des lymphocytes T spécifiques. L’atopie, en relation avec une prédisposition génétique, de nature multigénique, à sécréter des quantités élevées d’IgE en réponse à des antigènes de l’environnement, encore appelés parfois “atopènes”, peut s’exprimer par des manifestations respiratoires (asthme), ORL (rhinite), ophtalmologiques (conjonctivite), digestive (allergie alimentaire) et cutanées (DA). L’atopie se définit par la coexistence dans la vie d’un individu (souvent à des périodes différentes de sa vie) de ces différents types de manifestations et/ou par l’existence d’une telle association chez plusieurs membres d’une famille. Alors que, dans la réaction d’eczéma de contact, les molécules prises en charge par les cellules de Langerhans (CL) sont des haptènes (molécules de faible poids moléculaire), qui diffusent à travers l’épiderme, au cours de la DA les antigènes/allergènes (acariens, phanères, pollens) sont de grosses protéines (plusieurs centaines de milliers, voire millions, de daltons) classiquement incapables de pénétrer facilement dans les couches superficielles de l’épiderme et d’être prises en charge par les CL. Cependant, ces allergènes sont porteurs d’activité enzymatique de type protéasique, ce qui leur confère probablement la propriété de pénétrer l’épiderme et d’être pris en charge par les CL, dont on connaît le rôle indispensable dans l’induction des réponses immunitaires spécifiques d’antigène. Le rôle de facteurs irritants associés sur une peau particulièrement sèche est également vraisemblable. La DA doit donc être considérée comme une hypersensibilité retardée de contact aux allergènes de l’environnement. Comme pour l’eczéma de contact, il faut considérer 2 phases : une phase de sensibilisation, puis une phase d’expression de l’eczéma. L’expérience clinique montre que Professions Santé Infirmier Infirmière N° 61 • janvier-février 2005 beaucoup de facteurs non immunologiques (psychologique, physique, chimique) vont permettre ou non le développement des lésions d’eczéma chez un individu sensibilisé. Le traitement Le traitement repose avant tout sur la bonne information et l’éducation thérapeutique afin d’enseigner aux parents la rigueur dans l’utilisation des moyens permettant de lutter contre l’inflammation, l’infection et la sécheresse cutanée. Dans le traitement des poussées, les dermocorticoïdes (DC) sont efficaces, toutefois les conditions d’utilisation optimale n’ont pas fait encore l’objet d’études démonstratives. Aucune donnée de la littérature ne permet de déterminer la quantité de DC à ne pas dépasser selon le poids. Actuellement, le schéma thérapeutique préconisé par les experts est d’utiliser des DC puissants sur de courtes durées suivies par une période d’interruption avec usage d’émollients jusqu’à la récurrence suivante, mais les applications quotidiennes sont poursuivies si les lésions persistent et jusqu’à leur disparition. En cas d’échec de ce traitement, il est possible de faire appel aux nouveaux traitements, les immunomodulateurs locaux. Ce sont des molécules de la famille des macrolides dont l’action immunosuppressive passe par l’inhibition de la calcineurine (molécule nécessaire à l’activation des lymphocytes TH2). En France, la seule molécule disponible est le tacrolimus, qui selon l’AMM actuelle, est indiqué dans la DA modérée à sévère de l’enfant de plus de 2 ans, en cure courte ou en traitement au long cours intermittent. Il s’agit d’un médicament d’exception et le risque de carcinogenèse cutanée reste hypothétique tant qu’il n’y aura pas un recul d’utilisation de ce produit au très long cours. Dans le traitement des poussées, les émollients peuvent être utilisés, tandis que les antibiotiques généraux ou locaux et les antiseptiques ne sont indiqués qu’en cas de surinfection patente ; la prescription des antihis- taminiques oraux n’est pas systématique mais peut s’envisager s’il y a un prurit important. Prévention Quelles sont les mesures de prévention des poussées de la DA ? En premier lieu, l’utilisation régulière des émollients pour lutter contre la xérose cutanée qui altère la fonction barrière de l’épiderme : leur efficacité a été validée et le jury souhaite que plusieurs produits commerciaux remboursables ou à faible coût soient mis à la disposition des patients. A noter que des effets d’intolérance (brûlures, rougeur) lors de l’application justifient le changement d’émollient. Sur le plan vestimentaire, il est préférable de porter du coton, de la soie ou des polyesters à fibres fines et de bannir les vêtements de laine directement sur la peau. Pour le bain quotidien, à température tiède, il est conseillé d’utiliser des pains ou gels sans savon. Enfin, le jury reconnaît que les interactions entre DA, émotions et psychisme existent, le stress étant un facteur très important chez certains et négligeable chez d’autres. En tout cas, il convient de repérer les familles en souffrance pour leur proposer une prise en charge psychologique spécifique. Quant aux pratiques non validées, citons les cures thermales, l’homéopathie, la phytothérapie, les probiotiques et les acides gras essentiels oméga 3 et 6. Le patient doit pouvoir mener la vie la plus normale possible et il n’est pas souhaitable d’introduire des mesures trop contraignantes. Il faut donc adapter les mesures à la gravité de la symptomatologie. Chez le nourrisson, la détection précoce et les mesures de prévention de l’asthme sont une partie importante de l’information. Les vaccinations peuvent être effectuées sans risque sur peau non infectée. Ludmila Couturier Société française de dermatologie ; Journées dermatologiques de Paris ; Journées infirmières de Bichat 2004.