D
e nombreux sujets restent
des sujets de controverse
et sont débattus à l’heure
actuelle. Plus qu’une modification du
terrain génétique, il semble que l’en-
vironnement ait joué un rôle impor-
tant dans l’augmentation de la fré-
quence de la DA dans les pays
industrialisés durant ces 20 derniè-
res années.
Trop de protection ?
On observe, d’une part, un gradient
nord-sud de prévalence (5 % en
Espagne et 20 % en Grande-
Bretagne) et, d’autre part, la fré-
quence plus forte de la maladie
dans les familles à niveau de vie
élevé. Selon la théorie hygiéniste, la
diminution de l’exposition aux
agents infectieux pourrait être res-
ponsable de modifications de la
régulation du système immunitaire
innée. Autrement dit, la protection
par les infections précoces dans les
premiers mois de vie (à condition
que les défenses immunitaires du
nourrisson ne soient pas altérées)
serait susceptible de prévenir l’appa-
rition de la DA.
Le diagnostic de cette maladie cuta-
née chronique inflammatoire est
habituellement facile, reposant sur
des signes cliniques : une sécheresse
cutanée fréquente, des poussées
prurigineuses d’eczéma aigu suivies
de phases de rémission. Néanmoins,
la DA entraîne un nomadisme médi-
cal important car les médecins sont
souvent divisés sur sa meilleure prise
en charge. D’où l’intérêt de la pre-
mière conférence de consensus sur
la DA qui s’est récemment déroulée,
suivant la procédure de l’Anaes, à la
demande de la Société française de
dermatologie. De plus, une réunion-
débat a été ouverte au grand public
dans le cadre des Journées dermato-
logiques de Paris, témoignant de la
nécessité d’une communication
entre les médecins et les patients et
leurs familles, souvent désemparés
face à la chronicité de la maladie et
aux avis contradictoires des différents
professionnels de santé (dermato-
logues, pédiatres, généralistes, aller-
gologues). D’ailleurs, l’enquête natio-
nale de pratique a montré une
grande diversité dans les modalités
thérapeutiques en fonction des prati-
ciens.
Quels mécanismes ?
Les mécanismes physiopatholo-
giques à l’origine de la DA ne sont
pas tous élucidés. On reconnaît l’im-
plication des facteurs génétiques,
des facteurs immunologiques et des
anomalies constitutives ou induites
de la barrière épidermique. L’évolu-
tion de la DA est capricieuse (résolu-
tive pour 50 % des enfants) et
d’autres manifestations atopiques
peuvent s’associer à l’eczéma, à
savoir une allergie alimentaire avant
3 ans, un asthme dans un tiers des
cas, une rhinite allergique. Des com-
plications peuvent survenir, et
devant une persistance ou une
aggravation de l’eczéma malgré un
traitement bien conduit, il faut sus-
pecter la surinfection par le staphylo-
coque doré (la présence des lésions
pustuleuses et croûteuses inhabi-
tuelles) ou par l’herpès et, encore, la
survenue de l’eczéma de contact.
Le jury de la conférence de consen-
sus recommande une évaluation
objective de la gravité et du retentis-
sement de la DA. En revanche, il
estime que les explorations allergolo-
giques ne doivent pas être réservées
seules aux DA qui ne répondent pas
aux traitements adaptés et bien réali-
sés, dans le cas d’une cassure de la
courbe staturo-pondérale ou lorsque
l’on constate des manifestations
associées évocatrices d’une allergie
alimentaire, respiratoire ou de
contact. On admet donc le rôle pos-
sible d’allergènes comme facteurs
pérennisants et que, en cas d’allergie
prouvée, l’éviction peut améliorer la
DA. Cela dit, la responsabilité de l’al-
lergie alimentaire et respiratoire dans
la DA reste controversée et, pour les
spécialistes, la prescription systéma-
tique d’un régime alimentaire d’évic-
tion peut être source de carence
nutritionnelle.
Qu’est-ce que la DA ?
La dermatite atopique (ou eczéma
constitutionnel) est une affection
inflammatoire prurigineuse chro-
nique commune chez l’enfant et
l’adulte jeune.
Les caractéristiques anatomopatholo-
giques sont très proches de celles
observées dans l’eczéma de contact
et incluent une atteinte épidermique
prédominante avec un afflux de lym-
phocytes T (exocytose) et un œdème
intercellulaire (spongiose) réalisant
des vésicules microscopiques. Le
derme superficiel comporte un infiltrat
mononucléé périvasculaire. La dilata-
tion des capillaires superficiels est res-
ponsable de l’érythème et l’extravasa-
tion de protéines plasmatiques, de
papules œdémateuses.
Les vésicules peuvent être visibles
macroscopiquement. Leur rupture à
la surface de la peau détermine le
caractère suintant et croûteux des
lésions, et constitue un excellent
milieu de culture pour les contami-
nants bactériens, d’où la fréquence
de la surinfection (impétiginisation)
staphylococcique. Du fait du grattage,
l’épiderme s’épaissit (lichénification)
et devient, chez l’enfant et l’adulte
moins susceptible à un suintement
issu des vésicules. Les lésions de
grattage peuvent cependant détermi-
ner des brèches épidermiques et
une exsudation secondaire.
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 61 • janvier-février 2005
Actualité San 11
Infos ...
Trois conditions
Les mécanismes
physiopathologiques
à l’origine des lésions
d’eczéma impliquent
trois partenaires :
l’antigène, les
cellules
présentatrices
d’antigène du groupe
des cellules
dendritiques (CD) et
les lymphocytes T
(LT) spécifiques.
La dermatite atopique (DA) touche 10 à 15 % des nourris-
sons, 5 % des enfants de moins de 5 ans et peut persister
à l’âge adulte. Sa sévérité est variable, son origine mal
déterminée et son traitement parfois mal appliqué.
La dermatite atopique
Un sujet de controverses
>>
Physiopathologie
La DA est la manifestation cutanée
de l’atopie, caractérisée par l’exis-
tence de manifestations d’hypersen-
sibilité médiée par des IgE et par
des lymphocytes T spécifiques.
L’atopie, en relation avec une prédis-
position génétique, de nature multi-
génique, à sécréter des quantités
élevées d’IgE en réponse à des anti-
gènes de l’environnement, encore
appelés parfois “atopènes”, peut
s’exprimer par des manifestations
respiratoires (asthme), ORL (rhi-
nite), ophtalmologiques (conjoncti-
vite), digestive (allergie alimentaire)
et cutanées (DA). L’atopie se définit
par la coexistence dans la vie d’un
individu (souvent à des périodes dif-
férentes de sa vie) de ces différents
types de manifestations et/ou par
l’existence d’une telle association
chez plusieurs membres d’une
famille.
Alors que, dans la réaction d’eczéma
de contact, les molécules prises en
charge par les cellules de Langer-
hans (CL) sont des haptènes (molé-
cules de faible poids moléculaire),
qui diffusent à travers l’épiderme, au
cours de la DA les antigènes/aller-
gènes (acariens, phanères, pollens)
sont de grosses protéines (plusieurs
centaines de milliers, voire millions,
de daltons) classiquement inca-
pables de pénétrer facilement dans
les couches superficielles de l’épi-
derme et d’être prises en charge par
les CL. Cependant, ces allergènes
sont porteurs d’activité enzymatique
de type protéasique, ce qui leur
confère probablement la propriété
de pénétrer l’épiderme et d’être pris
en charge par les CL, dont on
connaît le rôle indispensable dans
l’induction des réponses immuni-
taires spécifiques d’antigène. Le rôle
de facteurs irritants associés sur une
peau particulièrement sèche est
également vraisemblable. La DA doit
donc être considérée comme une
hypersensibilité retardée de contact
aux allergènes de l’environnement.
Comme pour l’eczéma de contact,
il faut considérer 2 phases : une
phase de sensibilisation, puis une
phase d’expression de l’eczéma.
L’expérience clinique montre que
beaucoup de facteurs non immuno-
logiques (psychologique, physique,
chimique) vont permettre ou non le
développement des lésions d’ec-
zéma chez un individu sensibilisé.
Le traitement
Le traitement repose avant tout sur
la bonne information et l’éducation
thérapeutique afin d’enseigner aux
parents la rigueur dans l’utilisation
des moyens permettant de lutter
contre l’inflammation, l’infection et
la sécheresse cutanée. Dans le trai-
tement des poussées, les dermo-
corticoïdes (DC) sont efficaces, tou-
tefois les conditions d’utilisation
optimale n’ont pas fait encore l’ob-
jet d’études démonstratives. Aucu-
ne donnée de la littérature ne per-
met de déterminer la quantité de
DC à ne pas dépasser selon le
poids. Actuellement, le schéma thé-
rapeutique préconisé par les
experts est d’utiliser des DC puis-
sants sur de courtes durées suivies
par une période d’interruption avec
usage d’émollients jusqu’à la récur-
rence suivante, mais les applica-
tions quotidiennes sont poursuivies
si les lésions persistent et jusqu’à
leur disparition. En cas d’échec de
ce traitement, il est possible de faire
appel aux nouveaux traitements, les
immunomodulateurs locaux. Ce
sont des molécules de la famille
des macrolides dont l’action immu-
nosuppressive passe par l’inhibition
de la calcineurine (molécule néces-
saire à l’activation des lymphocytes
TH2). En France, la seule molécule
disponible est le tacrolimus, qui
selon l’AMM actuelle, est indiqué
dans la DA modérée à sévère de
l’enfant de plus de 2 ans, en cure
courte ou en traitement au long
cours intermittent. Il s’agit d’un
médicament d’exception et le
risque de carcinogenèse cutanée
reste hypothétique tant qu’il n’y
aura pas un recul d’utilisation de ce
produit au très long cours. Dans le
traitement des poussées, les émol-
lients peuvent être utilisés, tandis
que les antibiotiques généraux ou
locaux et les
antiseptiques ne sont
indiqués qu’en
cas de surinfection
patente ; la prescription des antihis-
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 61 • janvier-février 2005
taminiques oraux n’est pas systé-
matique mais peut s’envisager s’il y
a un prurit important.
Prévention
Quelles sont les mesures de pré-
vention des poussées de la DA ? En
premier lieu, l’utilisation régulière
des émollients pour lutter contre la
xérose cutanée qui altère la fonction
barrière de l’épiderme : leur effica-
cité a été validée et le jury souhaite
que plusieurs produits commer-
ciaux remboursables ou à faible
coût soient mis à la disposition des
patients. A noter que des effets d’in-
tolérance (brûlures, rougeur) lors
de l’application justifient le change-
ment d’émollient. Sur le plan vesti-
mentaire, il est préférable de porter
du coton, de la soie ou des polyes-
ters à fibres fines et de bannir les
vêtements de laine directement sur
la peau. Pour le bain quotidien, à
température tiède, il est conseillé
d’utiliser des pains ou gels sans
savon. Enfin, le jury reconnaît que
les interactions entre DA, émotions
et psychisme existent, le stress
étant un facteur très important chez
certains et négligeable chez
d’autres. En tout cas, il convient de
repérer les familles en souffrance
pour leur proposer une prise en
charge psychologique spécifique.
Quant aux pratiques non validées,
citons les cures thermales, l’homéo-
pathie, la phytothérapie, les probio-
tiques et les acides gras essentiels
oméga 3 et 6.
Le patient doit pouvoir mener la
vie la plus normale possible et il
n’est pas souhaitable d’introduire
des mesures trop contraignantes. Il
faut donc adapter les mesures à la
gravité de la symptomatologie.
Chez le nourrisson, la détection
précoce et les mesures de préven-
tion de l’asthme sont une partie
importante de l’information. Les
vaccinations peuvent être effec-
tuées sans risque sur peau non
infectée.
Ludmila Couturier
Société française de dermatologie ;
Journées dermatologiques de Paris ;
Journées infirmières de Bichat 2004.
Infos ...
Un terrain
favorable
Deux tiers des
patients atteints de
dermatite atopique
ont un parent au
premier degré
atteint de dermatite
atopique, d’asthme
ou de rhinite
allergique, en
comparaison avec
un tiers pour les
sujets non
atopiques. Il existe
un certain degré de
spécificité d’organe-
cible dans la
transmission du trait
atopique : les
patients atteints de
DA ont 50 % de
leurs enfants atteints
de DA et jusqu’à
80 % si les deux
parents sont atteints
de DA.
Actualité San
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