EMC-Ophtalmologie 2 (2005) 231–251 www.elsevier.com/locate/emcop Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie Forensic medicine and expert opinion in ophthalmology A. Foels a,*, M. Klein b a b 14, rue de Bruxelles, 75009 Paris, France 161, rue de Tolbiac, 75013 Paris, France MOTS CLÉS Aléa ; Dommage corporel ; État antérieur ; Expertise ; Faute ; Imputabilité ; Juridiction ; Perte de chance ; Responsabilité ; Préjudices Résumé L’avis de l’ophtalmologiste expert peut être demandé dans des situations très diverses (examen d’aptitude, de contrôle notamment en cas d’arrêt de travail, d’évaluation d’un dommage corporel) et par différents intervenants : administrations, juridictions, organismes sociaux, compagnies d’assurances, etc.). La pratique de l’expertise nécessite alors une connaissance approfondie de la pathologie séquellaire ophtalmologique et des règles spécifiques à l’organisme en cause. Le cadre juridique français et les grands principes médico-légaux sont décrits dans cet article. La méthodologie et les pièges, notamment de l’expertise judiciaire, sont présentés. Les obligations légales des praticiens et des établissements de soins ont été définis par la loi du 4 mars 2002. Elle prévoit également les conditions d’indemnisation en cas de dommage résultant de fautes médicales. Sa grande nouveauté est l’instauration d’une indemnisation dans certains cas d’aléa non fautif. Les spécificités de l’expertise en responsabilité médicale sont détaillées. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Hazard; Bodily damage; Expert opinion; Previous status; Error; Imputability; Law; Jurisdiction; Chance loss; Responsibility; Prejudice Abstract An ophthalmologic expert opinion may be required in various situations (aptitude tests, sick leave controls, evaluation of bodily damages, etc) by various entities (government services, courts of law, welfare organizations, insurance companies, etc). Such expert opinion necessitates extensive knowledge of the ophthalmologic sequelae pathology and of the regulatory framework of these organizations. In this regard, the present chapter describes the French legal system and basic medico-legal principles. The methods and pitfalls related to the forensic examination are presented. The legal obligations of both practitioners and care centres have been fixed by the law of March 4, 2002. This law fixes also the conditions for compensation in case of damage due to medical error. A new provision included in this law is the compensation given in some cases of hazard, without error. Specific aspects of expert opinion in medical responsibility are also detailed. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Foels). 1762-584X/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcop.2005.09.002 232 Généralités sur les expertises Les expertises en ophtalmologie obéissent aux mêmes principes de base que les autres expertises. Cependant, en raison de la complexité et de la spécificité de l’ophtalmologie, elles doivent être, bien évidemment, confiées à des ophtalmologistes. Ceux-ci doivent être également compétents en médecine légale. La médecine d’expertise est visée par les articles 105 à 108 du Code de déontologie médicale. Points essentiels Articles du Code de déontologie médicale faisant mention de la médecine d’expertise • Article 105. Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même malade. Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services. • Article 106. Lorsqu’il est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser s’il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code. • Article 107. Le médecin expert doit, avant d’entreprendre toute opération d’expertise, informer la personne qu’il doit examiner de sa mission et du cadre juridique dans lequel son avis est demandé. • Article 108. Dans la rédaction de son rapport, le médecin expert ne doit révéler que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées. Hors de ces limites, il doit taire tout ce qu’il a pu connaître à l’occasion de cette expertise. Il doit attester qu’il a accompli personnellement sa mission. Les missions peuvent être adressées par diverses juridictions ou organismes. L’ophtalmologiste peut être appelé à intervenir sur le plan médico-légal dans les circonstances suivantes : • au niveau judiciaire, sur le plan pénal ou sur le plan civil suivant les codes respectifs de ces juridictions, ou par décision des tribunaux administratifs ; la juridiction pénale a pour but de réprimer la non-observation d’une obligation légale de nature à troubler l’ordre public par A. Foels, M. Klein exemple pour homicide (Art. 221-6), ou coups et blessures volontaires ou involontaires (Art. 22219 et 20) ; la juridiction civile a pour but de trancher les litiges entre particuliers, par exemple en cas de faute volontaire ou involontaire ayant entraîné un dommage ou en cas d’inexécution des obligations d’un contrat ; la juridiction administrative règle les conflits entre les particuliers et le service public ; • au niveau amiable, par simple convention entre des parties désirant s’en remettre à un avis spécialisé pour tenter d’éviter une expertise judiciaire ; • par compromis d’arbitrage, procédé se rapprochant davantage de l’expertise judiciaire et qui a valeur d’expertise judiciaire ; • par l’ensemble des instances relevant du Code de la Sécurité sociale ; • par les tribunaux militaires ; • en cas d’opposition entre une administration et un employé. Chacune de ces interventions a ses particularités propres et nous ne pourrons, bien évidemment, les développer toutes dans le cadre de cet article. Nous nous bornerons donc au rappel de quelques notions essentielles. Juridictions judiciaires (expertises judiciaires pénales et civiles) Il faut bien distinguer les missions civiles des missions pénales. Les expertises civiles doivent, sous peine de nullité de l’expertise, respecter le principe du contradictoire à tous les stades de l’expertise. Le respect du contradictoire est un principe général du droit en procédure civile. Les articles 14 et 15 du nouveau Code de procédure civile le rappellent ; chaque partie doit connaître toutes les pièces produites par l’autre partie. Le juge et l’expert doivent veiller à bien respecter et faire respecter le principe du contradictoire. Au contraire, les expertises pénales ne respectent pas ce principe. Juridictions administratives Les missions qui concernent les litiges où l’État est mis en cause obéissent globalement aux principes de l’expertise civile. Autres organismes (sociaux, militaires, Ordre des médecins) Les missions obéissent à des dispositions spécifiques. Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie Expertises amiables Elles suivent généralement les dispositions des procédures civiles. La loi du 5 juillet 1985 vise les accidents de la circulation. Pour l’expert, les opérations d’expertise sont très proches de celles des expertises civiles. Cas particulier de la responsabilité médicale, les CRCI L’Office national d’indemnisation des accident médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est divisé en commissions régionales. Ces Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) désignent les experts et prennent les décisions concernant les demandeurs. Le fonctionnement des CRCI et de l’ONIAM étant spécifique des dommages résultant de l’exercice médical, il sera détaillé au chapitre consacré à la responsabilité médicale (cf. infra). Dans toute expertise se pose le problème de la communication des pièces médicales à l’expert et aux parties. Faute de pièces médicales, certaines expertises n’aboutissent pas à des conclusions fiables. Dans les accidents, on ne saurait trop insister sur la communication du certificat médical initial. Dans le cadre des expertises civiles, parfois l’expert ophtalmologiste, au lieu d’être désigné directement, peut être sollicité par un expert principal dont il est alors le « sapiteur » (terme consacré par l’usage, mais terme impropre, car on devrait dire « spécialiste »). Dans ce cas, chaque expert fait son rapport, mais l’expert principal est tenu de faire des conclusions de synthèse, après avoir provoqué une réunion de synthèse au cours de laquelle il est discuté des conclusions de synthèse. Une expertise est destinée à être lue par un juriste, assureur et/ou juge. Il y a donc lieu, dans le paragraphe discussion, de bien expliquer de quoi il s’agit, en termes compréhensibles par des nonmédecins. Réparation juridique du dommage corporel Généralités1 Le terme « dommage corporel » est compris dans le sens général d’« atteinte corporelle ». Cette atteinte peut provenir d’une maladie ou d’un accident. 233 L’atteinte corporelle est couverte de diverses manières : organismes sociaux obligatoires, pensions militaires, assurances de dommages (responsabilité civile), assurances de personnes. Assurances de dommages Les assurances de dommages (branche IARD des assureurs, c’est-à-dire incendies, accidents, risques divers) sont subdivisées en : • assurances de choses qui ne nous concernent pas directement ; • assurances de responsabilité civile de droit commun qui peuvent concerner les accidents corporels. Sont toujours étudiés trois éléments : • la faute ou le fait générateur de responsabilité ; • le dommage ; • le lien de causalité entre la faute et le dommage, ce lien devant être direct, certain et exclusif pour permettre une indemnisation totale. Ces assurances de dommages relèvent du principe indemnitaire. Le cumul d’assurances de ce type est évidemment interdit, car un même dommage ne peut pas être indemnisé deux fois dans le même cadre. Exemple : une personne en blesse une autre dans un accident ; le civilement responsable doit réparer l’atteinte corporelle ; s’il est couvert par une assurance, l’assureur paiera à sa place, dans les conditions prévues à son contrat. Le dommage volontaire n’est évidemment pas assurable. À noter que la garantie des frais médicaux et pharmaceutiques relève de ces assurances de dommages. Maladies et/ou accidents sont concernés (responsabilité civile automobile et sida par exemple). Assurances de personnes (branche vie des assureurs) Les assurances sont individuelles ou collectives ; elles concernent les assurances en cas de vie couvrant les accidents et/ou les maladies, et le décès. Exemple : versement d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail. Ces assurances se caractérisent par une détermination forfaitaire des sommes assurées (il faut se référer au contrat d’assurances qui précise les garanties). Le cumul d’assurances est possible, mais seulement dans les limites indiquées au contrat d’assurance. Il faut noter l’ambiguïté qui existe du fait de la dénomination juridique « assurances de personnes », alors que les « assurances de dommages » couvrent aussi les personnes. Une même personne peut être couverte à la fois par une assurance de « dommage » et par une 234 assurance individuelle de « personnes » ; c’est le cas de l’automobiliste blessé dans un accident où un tiers est responsable : il est indemnisé par l’assureur du tiers responsable (assurance de dommages et plus précisément de responsabilité civile) ; en plus, le blessé peut recevoir des prestations de la part de son propre assureur (assurance de personnes) dans le cas où il aurait pris une assurance en ce sens. L’expertise en assurances de personnes a des particularités (cf. infra). Évaluation du dommage corporel2-4 Mission d’expertise C’est au médecin-expert d’évaluer le dommage corporel en respectant la mission qui lui a été confiée par un juriste, magistrat ou assureur. Tous les termes de cette mission sont importants. Le secret professionnel (article 226-13 du nouveau Code pénal) doit être respecté. Voir aussi l’article 108 du Code de déontologie. Les missions sont différentes suivant la nature du litige (droit commun, assurance individuelle, organismes sociaux, etc.). Les barèmes applicables pour l’évaluation de l’incapacité sont différents : barème droit commun ; barème des accidents du travail ; barème des Commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ; barème des assurances individuelles. Le principe du contradictoire doit être respecté dans toutes les expertises civiles : chaque partie doit avoir connaissance de toutes les pièces produites par l’autre partie. Cette communication des pièces doit obligatoirement être effectuée par les avocats. L’examen de l’expert judiciaire doit être réalisé en présence des médecins conseils représentant les parties. On ne saurait trop insister sur la nécessité de bien lire tous les termes de la mission ainsi que la totalité de la décision judiciaire pour bien comprendre le litige. Les tribunaux rendent des ordonnances ou des jugements, les cours rendent des arrêts. Les assignations ou les requêtes introductives d’instance, rédigées par les avocats, apportent des informations importantes. Elles doivent être bien distinguées des décisions judiciaires, lesquelles contiennent la mission confiée à l’expert par la juridiction. L’expert ophtalmologiste peut être désigné soit isolément, soit avec un coexpert, soit comme spécialiste (sapiteur) d’un expert principal. Quand plusieurs coexperts sont désignés, des conclusions de synthèse doivent être rédigées par A. Foels, M. Klein l’expert principal, lequel est généralement celui concerné par le plus gros dommage. Ces conclusions de synthèse doivent être signées par chaque coexpert et leurs rapports propres annexés. Si les examens des différents coexperts ont été réalisés séparément, une réunion de synthèse doit être réalisée de manière contradictoire, avant la rédaction desdites conclusions de synthèse. Imputabilité5,6 C’est un élément particulièrement important. En droit commun, le médecin expert doit donner au juriste les éléments permettant de relier un état séquellaire à un fait générateur de responsabilité. Autrement dit, un lien de causalité direct, certain et exclusif doit exister entre un fait générateur et un dommage. Il ne suffit évidemment pas d’affirmer l’existence de ce lien, il faut démontrer cette existence par des preuves solides et sérieuses. Le cas échéant, l’expert doit préciser si le fait générateur a déclenché le dommage ou uniquement accéléré sa survenance (les conséquences juridiques sont différentes). En cas de nouvelle expertise pour aggravation, l’imputabilité de cette aggravation au fait générateur doit être démontrée. Une étude fiable de l’imputabilité suppose une bonne connaissance : • du diagnostic : il doit être aussi précis que possible ; il est parfois délicat de distinguer la maladie de l’accident ; • de l’état antérieur au sinistre, lequel doit être établi précisément ; cet état antérieur vise uniquement ce qui pourrait concerner le sinistre ; il est à distinguer des antécédents qui concernent toutes les pathologies dont pourrait être atteint le demandeur ; certaines sont couvertes par le secret professionnel et n’ont donc pas à être mentionnées dans le rapport si elles n’interfèrent pas avec le sinistre en cause. L’expert doit expliquer l’interaction entre l’accident et l’état antérieur, l’évolution de l’état antérieur sans l’accident, l’évolution de l’accident sans l’état antérieur. Il ne peut pas faire de luimême un partage arbitraire. Les prédispositions sont des états latents ignorés de la victime. L’expert, en cas de doute, doit se limiter à décrire la situation, laquelle est souvent assez complexe. Les problèmes d’imputabilité sont essentiels : l’assureur ne couvre pas un dommage qui n’est pas imputable de manière directe, certaine et exclusive à un accident donné ; il ne couvre évidemment pas un état antérieur au sinistre (« on n’assure pas une grange qui brûle »). Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie Toutes ces difficultés se rencontrent aussi bien en assurances de responsabilité qu’en assurances dites de personnes. Dans les cadres des accidents du travail, le problème de l’imputabilité obéit à des dispositions spécifiques dans la mesure où toute pathologie survenue au cours du travail est présumée imputable au travail, sauf preuve contraire apportée par l’organisme social. Problème de la preuve et facteurs d’incertitudes. Doute dans les expertises7-11 En droit commun, rappelons que le demandeur a la charge d’apporter la preuve de l’atteinte corporelle et de son lien de causalité avec, par exemple, tel accident ou telle faute. Les assurés et/ou les victimes ne comprennent pas toujours qu’ils doivent fournir à l’expert tous les éléments dont il a besoin (en vertu de l’article 1315 du Code civil, c’est celui qui réclame l’exécution d’une obligation qui doit la prouver ; de même, l’article 9 du nouveau Code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention). Tout avis technique nécessite des informations de plus en plus nombreuses et complexes faites d’une part des données de l’expertise (pièces médicales, administratives et judiciaires), d’autre part des connaissances médicales actuelles comprenant l’avis de médecins spécialistes. Si le plus souvent des conclusions fiables peuvent être données, des incertitudes restent inévitables ; elles doivent être identifiées et expliquées par le médecin-expert dans son rapport. Nous rappelons qu’une déclaration doit être répercutée comme telle ; elle n’est pas un fait démontré : par exemple, si la preuve d’un traumatisme crânien n’est pas apportée par un dossier médical fiable, il ne faut évidement pas écrire : « Monsieur X a eu un traumatisme crânien ... » mais : « Monsieur X déclare avoir eu un traumatisme crânien ». L’expert ne doit en aucun cas conclure avec certitude alors que des éléments manquent ou sont incertains, malgré les recherches faites. C’est au juriste d’en tirer ensuite les conséquences en fonction des textes applicables. Un arrêt de la Cour de cassation (1ère chambre civile) en date du 9 mars 2004 fait une application stricte du lien de causalité et de la faute prouvée. En présence d’un doute, l’expert se limite à exposer les arguments en faveur de telle ou telle réponse. Ce n’est pas à l’expert de prendre la décision de lever un doute alors qu’il ne dispose pas 235 d’informations suffisantes et fiables, car il manquerait alors d’objectivité. Perte de chance Rappelons d’abord que l’incapacité permanente partielle (IPP) vise les séquelles en relation directe, certaine et exclusive avec une faute. Ceci exclut notamment ce qui concerne : • l’état antérieur et son évolution prévisible ; • les suites normales des soins ; • un dommage incertain. L’obstacle à la réalisation d’un but précis et réel attendu, comme, par exemple, l’amélioration d’un état pathologique à la suite de soins, se traduit par une perte de chance ; cette perte de chance est nécessairement un dommage partiel, car il n’y avait pas 100 % de chances d’obtenir le but recherché. Mais, comme il est dit plus haut, ce dommage doit être certain, et un lien de causalité direct et certain avec une faute doit être démontré. Selon un arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2000, l’indemnité de réparation de la perte de chance ne saurait présenter un caractère forfaitaire ; elle doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime. Concernant l’IPP située dans le cadre d’une perte de chance, une fraction plus ou moins grande de l’IPP globale est prise en compte, fraction qui doit refléter la probabilité de réalisation du but recherché par les soins. L’expert doit donc fournir, malgré les difficultés que cela présente souvent, les éléments permettant d’évaluer le mieux possible cette probabilité. Postes de préjudice en droit commun et garanties contractuelles En assurances de responsabilité civile de droit commun Le civilement responsable doit réparer la totalité du dommage imputable à sa faute. L’incapacité temporaire totale (ITT) correspond à la période d’indisponibilité pendant laquelle, pour des raisons médicales en rapport direct, certain et exclusif avec l’accident, l’intéressé ne peut exercer l’activité habituelle lui procurant rémunération. Pour un demandeur d’emploi, c’est la période d’indisponibilité où il n’aurait pu exercer un emploi adapté à ses compétences et, pour une personne n’exerçant pas d’activité rémunérée, c’est la période d’indisponibilité où elle ne peut plus exercer ses activités habituelles. Succédant ou non à une période d’ITT, l’incapacité temporaire partielle (ITP) correspond à la pé- 236 riode pendant laquelle l’intéressé n’a pu, pour des raisons médicales en relation directe certaine et exclusive avec l’accident, exercer qu’une partie de son activité rémunératrice, la fin de cette période ne coïncidant pas obligatoirement avec la consolidation. L’IPP est la réduction du potentiel physique résultant d’une atteinte à l’intégrité corporelle d’un individu dont l’état est considéré comme consolidé. Celle-ci est évaluée en fonction du déficit physiologique uniquement ; elle est donc la même pour toutes les professions. C’est le juriste qui évalue l’incidence professionnelle en fonction des explications données par l’expert. Dans le cadre des expertises judiciaires, la mission demande, outre le chiffrage du taux d’IPP, de décrire : « les actes, gestes ou mouvements devenus partiellement ou totalement difficiles », ce qui ajoute une description moins abstraite de la réduction du potentiel physique. Une date de consolidation doit toujours être associée au taux d’IPP. La définition de la date de consolidation est : « le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ». Les souffrances endurées, physiques, psychiques ou morales, du fait des lésions initiales et de leurs traitements, sont évaluées selon une échelle de 0 à 7 (correspondant aux qualificatifs de très léger, léger, modéré, moyen, assez important, important et très important). Le préjudice esthétique est évalué selon une même échelle de 0 à 7. Le préjudice d’agrément concerne, en droit commun, des activités de loisir spécifiques ; ce préjudice d’agrément doit être uniquement décrit par l’expert mais non chiffré. L’incidence professionnelle est également décrite par l’expert, mais le préjudice économique est uniquement de la compétence du juriste. En assurances de personnes La réparation est limitée aux garanties prévues au contrat, lequel peut couvrir l’accident et/ou la maladie. Comme exemples de garanties, on peut citer : • l’ITT : versement d’indemnités journalières ; • l’invalidité (versement d’une rente fonction d’un taux d’invalidité) ; • le décès. L’expertise en assurances de personnes a des particularités. Le taux d’invalidité doit être évalué en fonction d’un barème contractuel joint à la mission qui peut A. Foels, M. Klein être établi par référence au barème accident du travail (30 % pour la perte d’un œil, 100 % pour la cécité) ou au barème indicatif des invalidités en droit commun (25 % pour la perte d’un œil, 85 % pour la cécité), ou qui peut être totalement différent (certains barèmes contractuels prévoient des taux de 60 % ou même 100 % en cas de perte de la vision d’un œil). Les règles de calcul de l’incapacité sont souvent différentes de celles du droit commun en cas d’état antérieur de l’œil atteint ou de déficit de l’œil controlatéral, car les contrats prévoient souvent que « en cas d’existence d’un état antérieur, le calcul est effectué selon les conséquences qu’aurait entraîné l’accident chez un sujet antérieurement sain ». Par exemple, en droit commun le borgne qui perd son deuxième œil se voit attribuer 85-25 % soit 60 % d’aggravation, ce qui est légitime puisque les conséquences de la perte du deuxième œil sont rendues beaucoup plus lourdes par l’état antérieur ; alors que, en assurance individuelle, le contrat précisant habituellement qu’en cas d’existence d’un état antérieur le calcul est effectué selon les conséquences qu’aurait entraîné l’accident chez un sujet antérieurement sain, le taux d’IPP pour la perte du deuxième œil n’est que de 25 %. Si les cadres juridiques sont différents, l’évaluation médico-légale effectuée dans les expertises médicales relève dans tous les cas des mêmes principes médicaux de base quel que soit le mode de réparation. Ces expertises médicales sont souvent bien plus complexes qu’on ne le pense, car elles doivent, en plus des diverses difficultés purement médicales, tenir compte du cadre juridique où elles se situent. Responsabilité médicale L’ophtalmologiste se trouve de plus en plus souvent confronté dans son exercice quotidien à des mises en cause. Cet aspect de l’exercice médical, considéré comme mineur dans le passé, ne l’est plus du tout aujourd’hui ; cette importance grandissante trouve ses causes dans l’évolution de la jurisprudence et de la société qui fait que le médecin est de plus en plus considéré comme un prestataire de service. Fondements de la responsabilité médicale (Code civil, Code pénal, Code de justice administrative, Code de déontologie) Comme tout citoyen, le médecin est soumis à la loi écrite, universelle et qui vaut pour tous. Celle-ci Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie est fixée par les dispositions du Code civil et du Code pénal. Il peut être visé par le Code civil à propos de dommages causés à autrui et par le Code pénal à propos des dommages résultant d’infractions de nature à mettre en cause l’ordre public et réprimées, par exemple pour coups et blessures volontairement ou involontairement portés. Ces deux codes ne contiennent aucun texte concernant spécifiquement l’acte médical. Si jusqu’en 2002 l’acte médical n’était pas spécifiquement visé par la loi, il était parfaitement décrit par la jurisprudence : en effet, les décisions de justice se réfèrent d’une part à la théorie définie par la loi (Codes civil et pénal), mais également à la pratique établie par la jurisprudence (décisions circonstanciées successives des tribunaux, des Cours d’appel ou de la Cour de cassation, lesquelles interprètent la loi). La jurisprudence, droit appliqué plus souple que la loi, est rapidement adaptable aux évolutions récentes et a défini depuis 1936 les bonnes pratiques de l’acte médical. En cas d’exercice dans le cadre de l’hospitalisation publique, c’est l’hôpital qui est mis en cause pour les fautes réalisées par le médecin selon les règles du droit administratif. Cependant, le praticien peut être mis en cause au titre de sa responsabilité pénale pour des fautes graves commises à l’hôpital. Bien sûr, l’exercice en secteur privé effectué à l’hôpital public relève des juridictions civiles ou pénales et non du tribunal administratif. La loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé s’est inspirée de la jurisprudence antérieure et définit précisément les droits des malades, les devoirs des médecins et les règles de la responsabilité médicale. Elle détermine de nombreuses modifications qui seront inscrites au Code de la santé publique. Novatrice, elle crée un système d’indemnisation de l’aléa médical non fautif. Il existe enfin un code moral de bonne conduite propre à l’exercice de la médecine contrôlé par l’Ordre des médecins, qui est le Code de déontologie. Différents types de plaintes en exercice libéral Tout médecin est responsable de ses actes et peut avoir à répondre : • devant l’Ordre des médecins en cas d’infraction morale, contraire au Code de déontologie ; • devant la juridiction civile en cas de dommage causé à un tiers ; • devant la juridiction pénale en cas d’infraction prévue au Code pénal. 237 Point fort Le patient qui estime qu’un médecin exerçant en médecine libérale a commis une faute peut déposer une plainte : • à l’Ordre des médecins ; • à la compagnie d’assurance du médecin ; • devant les juridictions civiles ; • devant les juridictions pénales. Pour les actes réalisés après le 5 septembre 2001, qu’il y ait faute ou absence de faute, les patients peuvent déposer une demande d’indemnisation à la CRCI. Juridiction ordinale Le Code de déontologie de l’Ordre des médecins est spécifique de l’exercice de la médecine : • les articles 2 à 31 concernent les devoirs généraux des médecins ; • les articles 32 à 55 concernent les devoirs des médecins envers les patients ; • les articles 56 à 68 concernent les rapports des médecin entre eux et avec les membres des autres professions de santé ; • les articles 69 à 99 concernent les règles de l’exercice de la profession. Faute de remplir ses obligations et pour avoir commis une infraction morale, le médecin peut être traduit à la demande d’un patient ou d’un confrère devant le conseil de l’Ordre. Les sanctions éventuelles sont : l’avertissement ; le blâme ; l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer. Cette voie est rarement choisie par le patient en cas de dommage corporel car elle n’aboutit pas à une réparation financière du dommage. Elle est surtout utilisée quand le patient estime devoir se plaindre du comportement du praticien. La loi du 4 mars 2002 a réformé les chambres disciplinaires du Conseil de l’Ordre, qui sont maintenant présidées par un magistrat. Juridiction civile Elle a pour but de trancher les litiges entre particuliers et de réparer financièrement le dommage que l’on provoque à autrui. La mise en cause du médecin au civil témoigne d’un souhait de faire réparer financièrement un dommage corporel résultant d’une faute du praticien. Comme tout homme, le médecin peut engager sa responsabilité civile selon les articles 1382 et suivants du Code civil. Le dommage peut être dû à une faute (article 1382) : « Tout fait quelconque de l’homme qui 238 cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ou à l’inexécution des obligations d’un contrat (en fonction de l’article 1147 du Code civil). L’arrêt Mercier de la cour de cassation du 20 mai 1936 a fait entrer le fait médical dommageable dans le cadre d’un contrat, en jugeant : « qu’il se crée entre le médecin et son patient un véritable contrat moral au terme duquel le médecin s’engage à donner à son malade des soins non pas quelconques, mais consciencieux, diligents, attentifs et conformes sauf conditions exceptionnelles aux données actuelles de la science ». Ainsi, depuis 1936, la responsabilité civile du médecin est recherchée sur l’inexécution d’un contrat ou sur le retard apporté à son exécution. Les décisions jurisprudentielles successives des Cours d’appel ou de la Cour de cassation ont petit à petit défini les contours précis du contrat médical et les obligations qui en résultent pour les praticiens : • l’obligation de moyen : « donner des soins non pas quelconques, mais consciencieux, diligents, attentifs et conformes aux données acquises de la science » ; • l’obligation de consentement : « obtenir un consentement libre et éclairé des parties intéressées ». L’obligation d’information est celle qui a le plus rapidement évolué ces dernières années, bien qu’il ne s’agisse pas réellement d’une nouveauté. L’obligation d’obtention du consentement du malade est déjà rappelée dans un arrêt du 28 janvier 1942. L’arrêt de la Cour de cassation du 21 février 1961 admettait que le médecin était seulement tenu de donner une information : « simple, approximative, intelligible et loyale ». Mais l’information devait être d’autant plus éclairée que l’acte était moins urgent. L’arrêté de la Cour de cassation du 25 février 1997 mentionne : « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation d’information doit rapporter la preuve de cette obligation ». Depuis cet arrêt, le doute sur l’existence de l’information profite désormais au patient et non plus au praticien ! La loi du 4 mars 2002 reconduit ces principes et rappelle que : « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé » ; « l’information doit être donnée au cours d’un entretien individuel ». Pour tout traitement, la loi impose une information sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles ». A. Foels, M. Klein La preuve d’une information adaptée à la thérapeutique envisagée doit être apportée par le praticien et elle peut l’être par tout moyen : « en cas de litige il appartient au professionnel... d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ». La pratique du contentieux prouve pourtant que le médecin doit impérativement préconstituer la preuve qu’il a rempli son devoir d’information. La présence dans le dossier de la fiche d’information de la Société française d’ophtalmologie signée par le patient est indispensable. La signature de ce document d’information par le patient est le seul moyen, en cas de contentieux, de prouver que le patient a bien été averti des risques, bien que cette signature ne soit pas imposée par la loi ! La mission du Tribunal de grande instance de Paris demande actuellement à l’expert dans les dossiers de responsabilité médicale de : « fournir, au vu des pièces respectivement produites et des informations recueillies auprès des parties, tous les éléments permettant au Juge d’apprécier si les défendeurs ont rempli leur devoir d’information à l’égard du demandeur, préalablement aux soins critiqués ». La responsabilité d’un médecin peut aussi être engagée s’il n’explique pas clairement les avantages et les inconvénients des différentes techniques susceptibles d’être utilisées (Cour administrative d’appel de Bordeaux du 30 juin 2003 et Cour d’appel de Dijon du 9 septembre 2003). La loi du 4 mars 2002 reconduit le principe de responsabilité pour faute :12,13 les professionnels de santé : « ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ». Le médecin ne doit réparation à son patient que si trois conditions sont réunies : • l’existence d’une faute ; • l’existence d’un dommage ; • l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage. La jurisprudence décrit six catégories de fautes : imprudence ; négligence ; inattention ; défaut d’adresse ou maladresse ; défaut de précaution ; inobservation des règlements. Pour la Cour de cassation, la maladresse est toujours coupable : la précision du geste chirurgical relève de l’obligation de moyens et la sanction systématique de toute maladresse n’introduit en rien une obligation de résultat. Le médecin a une obligation de moyens, mais il n’a pas d’obligation de résultat. Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie L’évolution de la jurisprudence après 1997 a battu en brèche ces principes en cas d’infection postopératoire et de défaut d’information. De 1998 à 2001, le médecin a été de plus en plus souvent déclaré responsable en cas d’infection postopératoire alors même qu’il n’avait commis aucune faute. Mais depuis le 4 septembre 2001 (la loi du 4 mars 2002 étant rétroactive de 6 mois), c’est l’établissement qui est responsable de l’infection, même sans faute prouvée : « les établissements sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ». Il est pourtant scientifiquement établi que la majorité des infections postopératoires ophtalmologiques sont d’origine endogène, liées à une autocontamination par les propres germes du patient. Il est impossible actuellement d’éliminer totalement ce facteur de risque de toute chirurgie qu’est le risque infectieux. La persistance de germes dans l’œil du patient malgré toutes les précautions d’asepsie est une cause d’infection étrangère à la qualité des soins. Malgré ces faits scientifiquement établis, la loi du 4 mars 2002 estime que, dans le cas d’un patient entrant non infecté dans un établissement et sortant avec une infection, la responsabilité de l’établissement est automatiquement engagée. Toutefois, le médecin peut être également retenu responsable en cas de mauvaise indication, de retard au diagnostic ou à la mise en route du traitement de l’infection, ou si le patient n’a pas été informé du risque infectieux. En effet, le médecin peut voir sa responsabilité engagée alors même qu’il n’est pas à l’origine d’une complication et qu’il n’a commis aucune négligence, s’il n’a pas rempli son obligation d’information. Pour que le médecin soit condamné, il faut, d’une part qu’il ait commis une faute quant au devoir d’informer son patient sur les risques de l’acte, et que d’autre part cette faute ait entraîné un préjudice. C’est le degré de probabilité de refus de l’acte par le patient, dans l’hypothèse où l’information lui aurait été délivrée, qui détermine le niveau de l’indemnisation. Si cette probabilité est évaluée à 100 %, le patient perçoit 100 % de l’indemnisation ; si elle est estimée à 50 %, il ne touche que la moitié de l’indemnisation. Et si le patient n’avait pas la possibilité de se soustraire à l’acte, la probabilité est de 0 % et il n’y a pas d’indemnisation. L’utilisation des fiches d’information de la Société française d’ophtalmologie, remises au patient par le praticien et rendues signées par ce patient, est le seul moyen de parer ce risque. 239 S’il est démontré que le dommage est la conséquence d’une faute, la responsabilité civile du médecin se traduit par le versement de dommages et intérêts à la victime pour réparer le préjudice subi. L’assurance de responsabilité se substitue au responsable pour l’indemnisation. La loi du 4 mars 2002 rend obligatoire l’assurance de responsabilité pour les établissements de soins et pour les professionnels de santé exerçant à titre libéral.12,13 La loi du 4 mars 2002 établit un délai de prescription, identique pour l’activité libérale et les établissements publics, de 10 ans à dater de la consolidation du dommage. Une nouvelle voie : l’ONIAM et les CRCI Pour les actes réalisés à dater du 5 septembre 2001, qu’il y ait faute ou absence de faute, les patients peuvent déposer une demande d’indemnisation à la CRCI. Si celle-ci estime qu’il y a une faute médicale à l’origine du dommage, l’assurance du praticien doit en indemniser les conséquences, sauf contestation qui entraîne une procédure judiciaire. Si la CRCI estime qu’il s’agit d’un aléa non fautif, l’indemnisation peut, sous certaines conditions prévues par la loi (cf. infra), être prise en charge par l’ONIAM. Juridiction pénale La mise en cause du médecin au pénal témoigne d’une volonté du patient ou de ses ayants droit de faire condamner personnellement le praticien à une peine dolosive : amende ou emprisonnement. Le Code pénal a pour but de réprimer les troubles causés à l’ordre public. La responsabilité pénale du médecin, comme de tout citoyen, peut être engagée en cas de nonobservation d’une obligation légale de nature à troubler l’ordre public, par exemple pour : • coups et blessures involontaires ; • coups et blessures volontaires ; • homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements ; • violation du secret professionnel. La procédure pénale est rarement engagée en ophtalmologie, vu la nature des fautes rencontrées. Les sanctions pénales comprennent amendes et emprisonnement. L’assurance de responsabilité civile ne couvre évidemment jamais les sanctions pénales. 240 Problème du secret médical. Rédaction des certificats La loi du 4 mars 2002 rappelle que toute personne prise en charge par un professionnel ou un établissement de santé : « a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ». Le respect du secret médical est également prévu par le Code de déontologie. Enfin, la responsabilité pénale du médecin peut être engagée en cas de violation du secret professionnel, quelle que soit la forme de divulgation du secret (écrite ou orale), et même sans intention de nuire, sauf dérogation prévue par la loi et les règlements. Les dérogations au secret peuvent être obligatoires (déclarations des maladies contagieuses, déclarations de décès, certificat d’accidents du travail, etc.) ou facultatives laissées à l’appréciation du praticien. Dans le domaine de la Sécurité sociale, la communication par un médecin de renseignements médicaux, dont cet organisme a besoin pour fonctionner, n’est pas considérée comme violation du secret professionnel. Dans les accidents du travail (article 2473 et 2474 de la loi du 30 octobre 1946), le médecin est tenu d’envoyer directement certificat descriptif et pronostique aux caisses de Sécurité sociale. Les dispositions de la loi du 25 octobre 1919 sur les maladies professionnelles sont analogues. Le praticien doit répondre aux demandes de certificat émanant du patient. Ce certificat doit être purement descriptif. Il y a une règle absolue : ce certificat ne peut en aucun cas être remis à un tiers ; il doit obligatoirement être remis au patient lui-même en main propre ou au tuteur en cas de mise sous tutelle. Dans le cadre de l’expertise judiciaire, il convient que l’expert lise attentivement ce qui est indiqué dans sa mission concernant la communication des pièces nécessaires pour mener à bien cette mission. Il est parfois indiqué clairement que le secret médical ne pourra être opposé à l’expert lors de sa demande de pièces aux médecins traitants, d’autres fois il lui est demandé d’obtenir l’autorisation préalable de la personne concernée. Exemples de mise en cause14 Le rapport du Conseil médical du Sou médical Groupe MACSF sur l’exercice 2003 du Docteur Christian Sicot rapporte les faits suivants. En 2003, les ophtalmologistes sociétaires du Sou médical - Groupe MACSF ont adressé 234 déclara- A. Foels, M. Klein tions dont 226 pour les seuls ophtalmologistes libéraux, soit une sinistralité de 5,2 % (226/4 396) (5,7 % en 2002). Parmi elles, une plainte pénale, 12 plaintes ordinales, 66 assignations en référé, 118 réclamations et 22 saisines d’une CRCI. Quarante et une erreurs (ou prétendues telles) de verres correcteurs. Certaines demandes de remboursement sont parvenues 12 à 18 mois après la prescription de ces corrections et d’autres invoquent comme motif de réclamation le nondépistage d’une cataracte débutante. Dans un cas, il s’agissait d’une erreur de transcription informatique. Treize déclarations mettent en cause la conduite diagnostique, reprochant notamment le retard de diagnostic d’une tumeur maligne suprasellaire (enfant suivi de 4 à 11 ans pour amblyopie), d’un adénome hypophysaire (homme de 47 ans suivi pendant 30 mois pour amétropie), d’un méningiome (retard de 2 mois), d’un mélanome choroïdien (retard de 6 mois), d’un décollement de rétine (deux) (retard de 15 jours, la patiente ayant refusé, lors de la consultation initiale, l’examen du fond d’œil pour ne pas être gênée par la dilatation pupillaire lors de son retour à domicile ; retard de 4 jours attribué au refus d’un rendez-vous d’urgence), d’une occlusion de la veine centrale de la rétine (perte totale de la vision chez un monophtalme), d’une cataracte (prescription de verres correcteurs), d’une hypermétropie (diagnostic de myopie), etc. Vingt-quatre déclarations contestent la prise en charge, la surveillance et le traitement à la suite de l’évolution défavorable (le plus souvent vers la cécité) de l’affection traitée, notamment traumatisme oculaire avec inclusion de corps étrangers (trois), occlusion de la veine centrale de la rétine (deux), glaucome congénital (deux dont un cas avec une énucléation droite à 18 ans puis gauche à 25 ans), glaucome chronique, décollement de rétine. Mais certaines plaintes ne sont pas justifiées, voire sont manifestement abusives, notamment lorsque les plaignants n’ont pas respecté la périodicité des consultations préconisées par les praticiens. Ailleurs, il s’agit de problèmes relationnels, le plus souvent à la suite de demandes de rendez-vous non satisfaites dans les délais souhaités (quatre). Accident médicamenteux : glaucome aigu avec perte de la vision, attribué à la prescription d’un collyre cortisonique après une kératoplastie pour kératocône suivi d’astigmatisme. Dix déclarations pour explorations à visée diagnostique ou thérapeutique : • photocoagulation au laser (deux) pour dégénérescence palissadique chez un myope fort (dé- Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie collement de rétine avec perte ultérieure de la vision), pour lésion ischémique supramaculaire (diminution de la vision avec lésion maculaire) ; • thermothérapie transpupillaire pour dégénérescence maculaire : aggravation de la baisse de vision ; • photothérapie à la vertéporfine au cours d’une forte myopie (deux) pour maculopathie dégénérative ou néovascularisation choroïdienne : échec ; • intubation des voies lacrymales (deux) pour larmoiement chez une femme de 62 ans : persistance des douleurs puis syndrome sec ; bris d’une sonde de Baumann chez un enfant de 5 mois nécessitant une extraction différée (absence de séquelle) ; • examen ophtalmique avec mesure de la tension oculaire (trois) : kératoconjonctivite. Cent quarante déclarations après diverses interventions chirurgicales et notamment après chirurgie de la cataracte à l’origine de 88 déclarations dont dix pour résultat jugé non satisfaisant et 78 pour complications avec la répartition suivante : • endophtalmie (28) avec perte totale de la vision (12) dans les 13 cas où l’évolution est connue ; deux de ces complications sont survenues dans le même établissement à 21 jours d’intervalle ; un cas est survenu lors d’une réintervention pour changement d’implant ; • rupture capsulaire postérieure (16) à l’origine de diverses complications comme issue de vitré nécessitant une vitrectomie ou la mise en place d’un implant en chambre antérieure, chute du noyau, corps flottants, luxation de l’implant, œdème cornéen, décollement de rétine, etc. aboutissant le plus souvent à une perte fonctionnelle de l’œil opéré ; • hémorragie expulsive (une) ; • décollement de rétine (neuf) ; • ischémie du nerf optique (cécité brutale chez un monophtalme) ; • hémorragie choriorétinienne (une) ; • occlusion de l’artère centrale de la rétine (deux) ; • œdème cornéen (trois) (dans un cas, après explantation d’un implant défectueux et réimplantation) ; • œdème maculaire cystoïde (deux) ; • erreur de calcul d’implant (quatre) ; • complications en rapport avec l’anesthésie péribulbaire (six) : perforation oculaire avec perte de l’œil ; hémorragie vitréenne nécessitant vitrectomie (deux) avec séquelles visuelles (une) ; hématome rétrobulbaire rendu responsable d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge 241 (unilatérale) ultérieure ; diplopie (deux) attribuée, dans un cas, par l’expert : « (...) à un aléa thérapeutique lié à la suppression de la commercialisation d’un produit (contenant de la hyaluronidase) facilitant la résorption des anesthésiques locaux ; cette suppression a induit, dans quelques cas (2 à 3 %), une vision double postopératoire et, exceptionnellement, comme dans ce dossier, une diplopie permanente (...) ». À noter deux assignations pour un accident vasculaire cérébral postopératoire. Les 52 autres déclarations concernent les interventions suivantes. Chirurgie réfractive (38) Pour myopie (avec ou sans astigmatisme) (31) : • kératotomie radiaire (trois) dont deux réclamations respectivement 5 et 14 ans après l’intervention pour dégradation des résultats ; • Laser Excimer ou Lasik (26) dont : ectasie cornéenne (nécessitant une greffe) ; kératocône apparu plus de 1 an après l’intervention chez un sujet de 20 ans avec une vision nulle à droite et à 4/10e à gauche (prévision de greffe cornéenne) ; œdème cornéen avec retard de cicatrisation ; kératite probablement infectieuse ; mauvais centrage ou découpe inappropriée du capot ; chute ou perte du capot ; décollement de rétine 3 ans après l’intervention (en rapport avec la myopie) ; névrite optique ischémique (imputabilité non démontrée) etc. ; • les autres déclarations concernent des mauvais résultats allégués, notamment pour insuffisance ou plus souvent surcorrection, astigmatisme, phénomène de Haze, réapparition du trouble réfractif nécessitant un deuxième geste ou le port de verres correcteurs ; certains patients se plaignent d’un défaut d’information ou reprochent des promesses non tenues ; • dans trois cas, les médecins reconnaissent une erreur de programmation mais, chez deux malades, ils évoquent des problèmes de réglage, parfois malgré la présence des techniciens (brûlure cornéenne avec ulcère central), voire des problèmes de matériovigilance (deux) (infiltration inflammatoire de l’interface de coupe de cornée ou syndrome SOS ; mise en cause des lames utilisées dans les microkératomes) ; • implants (deux) : glaucome aigu postopératoire (imputé à l’utilisation du visqueux Healon®) : mauvais résultat allégué. Pour myopie et presbytie (un) : • Lasik : kératocône (greffe de cornée envisagée) ; pour presbytie (deux) ; • implants : cataracte précoce ; intervention à droite puis à gauche malgré un mauvais résultat à droite : explantation, phakoexérèse bilaté- 242 rale, réclamation pour baisse de l’acuité visuelle, perte de l’accommodation et photophobie. Pour hypermétropie (quatre) : mauvais résultats allégués. Décollement de rétine (deux) : endophtalmie ; récidive. Membrane épirétinienne et œdème maculaire cystoïde (un) : endophtalmie. Cure de ptérygion (un) : abcès cornéen. Glaucome (interventions itératives) : perte progressive de la vision. Blépharoplastie (deux) : mauvais résultat allégué (ectropion cicatriciel) ; diplopie persistante (intervention au laser CO2). Réintervention (énième) pour ptosis : rétraction palpébrale avec non-occlusion. Cure d’ectropion : récidive. Chalazion : blessure oculaire lors de l’anesthésie locale (lésion du cristallin et de la capsule avec glaucome lié à l’effraction du produit anesthésique dans la chambre antérieure). Électrolyse de rangées ciliaires surnuméraires (enfant de 7 mois) : non-repousse (contestée) d’une rangée ciliaire définitive. Mise en place d’une prothèse oculaire à but esthétique : sepsis. Décès lors de l’induction anesthésique (choc anaphylactique) pour décollement de rétine. Dommages corporels (quatre) : chute (trois) ; blessure d’une infirmière au cours d’une intervention. Que faire en cas de mise en cause ? Lorsque le praticien a l’impression qu’il pourrait être mis en cause, il doit tenter de garder le contact avec le patient, expliquer clairement ce qui s’est passé et de pas donner l’impression de se dérober, ce qui pourrait être considéré par le patient comme une marque de culpabilité. Dès que le praticien est mis en cause, soit directement par le plaignant, soit par une assignation à comparaître devant un tribunal remise par un huissier, soit par convocation de la CRCI, il doit avertir immédiatement son assureur. Celui-ci va étudier le dossier et étudier la stratégie de défense de son assuré. En cas d’erreur médicale flagrante, la compagnie d’assurance engage généralement une transaction amiable avec la victime. Dans les autres cas, elle refuse généralement de prendre le sinistre en charge. Le plaignant peut : soit laisser l’affaire sans suite, soit prendre un avocat et assigner directement le médecin à comparaître devant un tribunal. A. Foels, M. Klein Le tribunal administratif est compétent pour les litiges survenus dans le cadre de l’hospitalisation publique. Les tribunaux de l’ordre judiciaire (civil et pénal) sont compétents en cas d’actes litigieux commis dans le cadre de l’exercice privé. Le plus souvent, s’il estime le motif légitime, le tribunal rend une ordonnance de référé qui désigne un expert judiciaire et lui confie la mission de rechercher si des fautes ont été commises, et d’évaluer le préjudice en relation directe et certaine avec la faute. L’expertise est réalisée en présence du demandeur (le patient), du défendeur (le praticien) et de leurs conseils respectifs (avocat, médecin conseil). Le praticien mis en cause est généralement assisté du médecin conseil de son assureur et parfois de son avocat. Nous rappelons qu’au civil l’expertise est toujours contradictoire. Le juge rend son jugement après avoir pris connaissance du rapport d’expertise et des dires des parties, déboutant le demandeur ou condamnant le médecin. Si la responsabilité civile du médecin est reconnue, elle se traduit par l’indemnisation de la victime par l’assureur du praticien pour réparer le préjudice subi. Le jugement peut être contesté par chaque partie devant la Cour d’appel compétente (cette évolution reste relativement rare car il faut des motifs sérieux). L’arrêt d’une Cour d’appel peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation (en cas d’erreur de droit uniquement). Pour un acte postérieur au 4 septembre 2001, le patient peut maintenant saisir la CRCI. Il n’a pas besoin de prendre d’avocat et les frais se limitent à l’envoi d’une lettre recommandée. Cette procédure nouvelle va probablement devenir prépondérante (cf. infra). Aspect particulier de l’expertise en responsabilité médicale : la perte de chance L’expertise en responsabilité médicale est une expertise particulière et toujours extrêmement délicate. Elle est particulière car l’expert se trouve investi d’une mission beaucoup plus large que d’habitude. Elle comporte, outre l’estimation du dommage, la recherche des fautes éventuellement commises. De plus, et surtout, l’expert doit démontrer clairement l’existence d’un lien de causalité direct, certain et exclusif entre la faute et le dommage. Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie L’expert est donc chargé d’une véritable mission d’instruction à charge et à décharge, et de recherche de la preuve. D’où des interrogations précises : • y a-t-il faute médicale ? Dans l’affirmative, il convient d’analyser de manière détaillée cette faute ; rappelons que la faute ne peut pas être déduite d’éléments hypothétiques ; elle doit toujours être démontrée ; rappelons aussi que le praticien a seulement une obligation de moyens (et non de résultat) en fonction des données de la science au moment des faits ; • y a-t-il un dommage ? Dans l’affirmative, il convient d’analyser de manière détaillée les éléments du dommage ; • y a-t-il relation de cause à effet entre la faute et le dommage ? Il convient de motiver clairement la réponse donnée. L’expertise en responsabilité médicale peut être ordonnée en procédure pénale, civile, administrative ou par une CRCI. Au pénal, l’expert est tenu de suivre la mission du juge d’instruction : l’audition du praticien mis en cause est décidée par le juge. Un médecinconseil peut être entendu par l’expert ; mais la demande doit en être faite au magistrat instructeur par l’avocat. Au civil et en expertise CRCI, il est obligatoire que les parties soient convoquées en temps utile et présentes pour respecter le principe du contradictoire. L’autre aspect particulier de l’expertise en responsabilité professionnelle est celui, très complexe, de la perte de chance. Une faute technique a pu entraîner un dommage alors même qu’il n’était pas certain, en l’absence de faute, qu’un bon résultat aurait été obtenu compte tenu de l’état antérieur et de l’évolution prévisible de la maladie. C’est la notion de perte de chance imputable à une faute, qui traduit l’incertitude dans la réalisation d’espérances précises et réelles, à savoir, par exemple, une guérison. Afin d’éviter toute ambiguïté, il y a lieu de décrire : • l’état antérieur à l’acte critiqué et son évolution prévisible, évolution naturellement différente selon la pathologie et selon les cas ; • le ou les diagnostics actuels ; • le lien de causalité entre une faute et le dommage évalué, lien qui doit être direct, certain, exclusif. La perte de chance doit être quantifiée le mieux possible (la probabilité de guérison se trouve théoriquement entre 1 % et 99 % selon les cas, par exemple 50 % de chances de récupérer une acuité visuelle normale). Cette quantification, qui nécessite de se référer aux données statistiques fiables 243 de la littérature établies au moment de l’acte critiqué, peut présenter de grandes difficultés qu’il faudra alors exposer. S’il n’existait pas de statistique relative à la situation concernée, il faut le noter dans le rapport et évaluer la perte de chance avec des qualificatifs moins précis : perte de chance faible, moyenne, importante, très importante. Réglementation Il n’y avait guère de réglementation opposable jusqu’à ces dernières années, puis celle-ci s’est brutalement multipliée. L’inobservation des règlements peut, même sans qu’il en résulte de dommage corporel, entraîner des poursuites ordinales ou même judiciaires. Concernant le coût d’un acte, la loi du 4 mars 2002 mentionne : (Art. L. 1111-3) : « ... Les professionnels de santé doivent, avant l’exécution d’un acte, informer le patient de son coût et des conditions de son remboursement par les régimes obligatoires d’assurance maladie ». Elle reconduit en chirurgie esthétique l’arrêté du 17 octobre 1996 qui avait rendu obligatoire l’établissement d’un devis pour : « toute prestation à visée esthétique ». Ce même arrêté mentionne : « il est convenu que doit être respecté un délai minimum de 15 jours entre la remise de ce document et l’intervention éventuelle ». La loi prévoit des sanction lourdes en cas de non-respect du devis et du délai minimal pour des actes à visée esthétique. Cabinet L’article 45 du Code de déontologie prévoit que : « indépendamment du dossier de suivi médical prévu par la loi, le médecin doit tenir pour chaque patient une fiche d’observation qui lui est personnelle ». Il n’y a pas de délai obligatoire de conservation du dossier (contrairement à l’hôpital public où ces délais sont soumis à une réglementation). On recommandait autrefois une durée de conservation d’au moins 30 ans (qui peut être majorée pour les mineurs de la durée restant à courir jusqu’à leur majorité) pour être en mesure de faire face à une éventuelle action en responsabilité professionnelle. Depuis la loi du 4 mars 2002, on ne sait pas combien de temps il faut conserver les dossiers car le délai de prescription est de 10 ans à compter de la date de consolidation du dommage et non pas de l’acte ; or la date de consolidation est souvent fixée de manière assez arbitraire et peut être très tardive. 244 L’article 71 du nouveau Code de déontologie issu du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 mentionne : « Le médecin doit disposer, au lieu de son exercice professionnel, d’une installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature des actes qu’il pratique ou de la population qu’il prend en charge. Il doit notamment veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs médicaux qu’il utilise et à l’élimination des déchets médicaux selon les procédures réglementaires. Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées. Il doit veiller à la compétence des personnes qui lui apportent leurs concours ». Dans l’établissement de soins Le praticien doit rédiger des documents : dossier, compte rendu opératoire, compte rendu d’hospitalisation, conseils de sortie. La rédaction du dossier médical obéit à un ensemble de règles et de critères à respecter par chaque établissement de santé, définis par le décret du Journal officiel du 1er avril 1992. Le contenu du dossier médical du patient hospitalisé doit contenir au minimum les différentes rubriques, annotations et pièces suivantes. À l’admission • Les éléments administratifs (identification du malade, etc.). • Les éléments médicaux, motif d’hospitalisation, conclusion de l’examen clinique initial, mode de vie et activité professionnelle du patient, prescription diagnostique ou thérapeutique d’admission. Durant le séjour • Fiche d’observation initiale (compte rendu des examens cliniques et complémentaires). • Fiche d’anesthésie. • Prescription thérapeutique individuelle. • Certificats médicaux délivrés. • Documents relatifs à la sécurité transfusionnelle et à la traçabilité. • Compte rendu opératoire. • Éléments de suivi paramédicaux (dossiers de soins infirmiers, feuilles de températures, fiches de synthèses des soins). • Fiches de synthèses des spécialités paramédicales (orthoptie, etc.). A. Foels, M. Klein À la fin du séjour • Compte rendu d’hospitalisation avec le diagnostic de sortie. • Prescriptions de sortie. • En cas de transfert : le ou les motifs de transfert ainsi que la destination du patient. Compte rendu opératoire Il doit comporter le compte rendu de l’acte chirurgical, la date, l’heure et la durée, la cotation, le lieu où l’intervention a été réalisée, l’identité de l’anesthésiste et de l’aide opératoire (s’il y a lieu), le type d’anesthésie ainsi que les différents temps opératoires. Pour une bonne traçabilité, il est important que les étiquettes de l’implant et du visqueux soient référencées. Ce compte rendu, comme toutes les pièces importantes, doit être daté et signé par l’ophtalmologiste responsable. Compte rendu d’hospitalisation Il doit comporter l’identité du patient, la date d’admission et de sortie, le motif d’admission, le type d’intervention réalisée et pour quelle pathologie, avec quel type d’anesthésie, le diagnostic final ainsi que les suites opératoires immédiates. On peut également y inclure des documents concernant le matériel spécifique ou l’implant utilisé, en collant ou en faisant référence aux étiquettes de ces matériels. Il doit être fait mention des traitements postopératoires immédiats, de l’existence ou non de transfusion de dérivé sanguin, des prélèvements anatomopathologiques ou des prélèvements microbiologiques. Ce compte rendu d’hospitalisation, comme toutes les pièces importantes, doit être daté et signé par l’ophtalmologiste responsable. Conseils de sortie Tout particulièrement en unité ambulatoire, il doit être rédigé un bulletin de sortie comportant le nom du médecin responsable, la façon de le joindre immédiatement en cas de nécessité, le type d’intervention, des conseils sur ce qui est habituel de constater et les symptômes qui devraient amener à consulter en urgence, ainsi que le temps et le lieu du rendez-vous postopératoire. Ce document de conseils est signé à la fois par le médecin responsable et par le patient. Un double est en effet conservé dans le dossier médical. Matériovigilance. Pharmacovigilance. Hémovigilance. Infections nosocomiales Les lois sur la matériovigilance exercée sur les dispositifs médicaux des 18 janvier 1994 et 4 février Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie 1995 définissent l’obligation de déclarer les incidents ou les risques d’incidents survenus avec des dispositifs médicaux et complètent la loi sur la pharmacovigilance. Le non-respect de ces lois expose à des sanctions pénales lourdes. La loi du 4 mars 2002 (Art. L.1413-14) mentionne : « tout professionnel ou établissement de santé ayant constaté ou suspecté la survenue d’un accident médical, d’une affection iatrogène, d’une infection nosocomiale ou d’un événement indésirable associé à un produit de santé doit en faire la déclaration à l’autorité administrative compétente ». Les infections nosocomiales doivent être déclarées au Comité de lutte contre les infections nosocomiales. Formation médicale continue et évaluation médicale L’article 11 du Code de déontologie prévoit que : « tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances ; il doit prendre toutes dispositions nécessaires pour participer à des actions de formation continue. Tout médecin participe à l’évaluation des pratiques professionnelles ». La formation médicale continue a été rendue obligatoire par le décret du 5 décembre 1996. L’Art. L.4133-1 de la loi du 4 mars 2002 précise qu’« elle constitue une obligation pour tout médecin tenu pour exercer sa pratique de s’inscrire à l’Ordre des médecins... ». Références médicales opposables Sur les 60 références médicales opposables, seules deux concernent l’ophtalmologie. Référence 33 : laser en ophtalmologie « 1. Il n’y a pas lieu d’utiliser le laser dans le traitement de la cataracte primitive. 2. Il n’y a pas lieu de pratiquer une photocoagulation au laser pour des lésions périphériques telles que dégénérescence pavimenteuse, dégénérescence microkystique, lésions pigmentées diffuses et drusen périphériques, sauf s’il existe d’autres lésions dégénératives périphériques justiciables du laser et sauf si l’autre œil a eu un décollement de la rétine. 3. Il n’y a pas lieu de traiter au laser les lésions dégénératives maculaires sans néovaisseaux choroïdiens maculaires, dans le cadre de la dégénérescence maculaire liée à l’âge ». Référence 34 : implants cristalliniens « L’implantation d’une lentille intraoculaire en substitut du cristallin représente actuellement la technique optique de référence après extraction de la cataracte chez l’adulte. 245 La cataracte est définie comme suit : opacités cristalliniennes responsables d’une diminution de vision significative entraînant une réduction de l’activité fonctionnelle. 1. Il n’y a pas lieu de mettre en place un implant cristallinien quand, à l’évidence, l’examen ophtalmologique clinique ou paraclinique préopératoire montre l’impossibilité d’une récupération fonctionnelle postopératoire en dehors d’exceptionnelles indications à visée esthétique. 2. Il n’y a pas lieu, dans la perspective d’extraire une cataracte et de placer un implant cristallinien, de réaliser à titre systématique d’autres examens complémentaires ophtalmologiques que la biométrie, avec calcul de puissance de l’implant ». Responsabilité du service public (juridiction administrative) En cas d’exercice dans le cadre de l’hospitalisation publique, c’est l’hôpital et non le praticien salarié qui est mis en cause pour les fautes réalisés par ce praticien. Le droit administratif repose sur le système de la faute. Jusqu’en 1990, l’acte médical n’engageait la responsabilité du service hospitalier qu’en cas de faute lourde. C’était au patient de faire la preuve de la faute. Il était classique que des patients ayant subi des dommages graves ne puissent apporter la preuve d’une faute et restent sans indemnisation. Ce droit administratif a beaucoup évolué après 1990 avec des jurisprudences plus favorables à la victime, même sans faute prouvée, quand un acte de caractère bénin avait entraîné des conséquences très graves, ou en cas de complication d’un acte innovant ou d’infection contractée pendant l’hospitalisation. Ces jurisprudences ont très vite été appliquées au droit civil et ont inspiré la loi du 4 mars 2002. Celle-ci étant également applicable aux établissements publics, la différence antérieure au 5 septembre 2001 entre les procédures, selon que les actes litigieux ont eu lieu dans des établissements publics ou privés, va s’estomper. L’indemnisation du dommage n’est jamais prise en charge par le praticien dans ce cadre. Sa responsabilité est couverte par le service public. La seule et très rare exception serait l’existence d’une faute détachable du service. L’avocat du plaignant peut parfois plaider la faute grave détachable de la fonction et tenter de porter l’affaire devant la juridiction pénale. Attention : les litiges résultant d’actes médicaux réalisés en secteur privé dans un hôpital public relèvent de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire et non du tribunal administratif. 246 A. Foels, M. Klein Figure 1 L’acceptation de l’offre éteint les possibilités de contentieux administratif et civil. La victime peut choisir la voix judiciaire à n’importe quel moment du processus (jusqu’à l’acceptation de l’offre) et à la seule condition d’en informer la commission. En cas de refus de transaction de la part de l’assureur, la victime peut se retourner vers l’ONIAM qui l’indemnisera et se retournera contre l’assureur. L’assureur peut se retourner contre l’ONIAM devant le juge, s’il estime que le préjudice n’est pas dû à une faute. L’ONIAM peut se substituer à la victime après l’avoir indemnisée et se retourner contre l’assureur s’il estime qu’il y a faute. L’« accident médical » est pour l’ONIAM un dommage causé par la réalisation d’un risque anormal eu égard à l’état de santé de la victime et à son évolution prévisible (loi du 4 mars 2002). IPP : incapacité permanente partielle ; ITT : incapacité temporaire totale. Réparation des conséquences des accidents médicaux (indemnisation de l’aléa médical) (Fig. 1) C’est la grande nouveauté de la loi 2002-303 du 4 mars 2002.12,13,15 Avant le 5 septembre 2001, les patients victimes d’accidents thérapeutiques n’étaient indemnisés qu’en cas de faute prouvée à l’origine du dommage. La nouvelle loi 2002-303 du 4 mars 2002 institue un office national d’indemnisation des accidents non fautifs (ONIAM) : « lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, ... n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation du préjudice du patient au titre de la solidarité nationale ». Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie Elle concerne les actes réalisés à dater du 5 septembre 2001. En fait, seules les conséquences d’accidents non fautifs ayant une gravité particulière sont indemnisées par l’ONIAM (décret du 4 avril 2003). Il faut que le dommage résultant de l’accident médical, de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale entraîne : • une IPP supérieure à 24 % ; • une durée d’ITT en résultant au moins égale à 6 mois consécutifs ou à 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois ; • ou que les séquelles entraînent une inaptitude définitive à l’activité professionnelle que la victime exerçait avant la survenue de l’accident médical ; • ou des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, pour les conditions d’existence. La loi prévoit la création dans chaque région d’une CRCI qui peut être saisie par toute personne s’estimant victime d’un dommage résultant d’une activité de prévention, de diagnostic ou de soin. Ces commissions, présidées par un magistrat, sont composées de 20 membres représentant les usagers, les professionnels de santé, les établissements de santé, les assureurs et l’ONIAM.16 Toute personne victime d’un dommage doit être informée par le médecin de l’établissement sur les causes et les circonstances de ce dommage au plus tard dans les 15 jours. Elle peut saisir la commission par simple lettre recommandée. Elle lui adresse son dossier médical. Le dossier est étudié par la commission. Il est rejeté s’il ne remplit pas les conditions d’accès à la commission. S’il existe un doute, il est transmis à un expert qui procède à un examen sur pièces. Si le dossier remplit les conditions d’accès à la commission, il est alors transmis à un expert qui réalisera un examen clinique, évaluera les préjudices et déterminera l’origine des dommages. Cette expertise est gratuite et contradictoire. La loi précise que l’expert : « peut effectuer toute investigation et demander aux parties et aux tiers la communication de tout document sans que puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel ». La CRCI a 6 mois à compter de la réception du rapport pour donner son avis sur les circonstances, les causes, la nature et l’étendue des dommages subis, ainsi que sur le régime d’indemnisation applicable. S’il n’y a pas de faute, l’ONIAM a 4 mois pour faire une offre d’indemnisation et 1 mois pour payer si la victime accepte l’offre. Si la commission conclut à une faute médicale, l’assureur du responsable doit prendre en charge 247 l’indemnisation dans les mêmes délais. Des pénalités sont prévues s’il n’obtempère pas. En cas de désaccord avec l’ONIAM, la victime peut s’adresser au tribunal compétent ; de même pour l’assureur. On ne pourra connaître qu’ultérieurement le retentissement de ce système pour l’ophtalmologiste. Il y aura probablement moins de procès devant les tribunaux civils. On peut, en revanche, craindre que la facilité de saisie des CRCI n’aboutisse à des procédures encore plus nombreuses, obligeant les praticiens à se déplacer pour justifier leurs actes devant les commissions et devant les experts désignés par ces commissions. Méthodologie de l’expertise en dommage corporel ophtalmologique Elle doit bien entendu être confiée à un ophtalmologiste connaissant la pathologie séquellaire et la médecine légale. Un éventuel état antérieur doit toujours être recherché. Un diagnostic précis doit être posé afin d’apprécier la réalité, l’importance du dommage et son lien de causalité avec le fait générateur de responsabilité. L’interrogatoire et les pièces médicales sont déterminants pour l’analyse du lien de causalité entre le fait générateur et les séquelles alléguées. La discussion médico-légale, notamment sur l’imputabilité, nécessite une bonne connaissance des mécanismes lésionnels et de la pathologie séquellaire. L’observation des séquelles nécessite un matériel spécialisé : biomicroscope pour l’examen de la cornée et du cristallin ; ophtalmoscopes et lentille de Volk pour l’examen du vitré, de la rétine, de la macula et de la papille optique ; champ visuel ; matériel d’étude de l’équilibre oculomoteur, etc. Seul l’ophtalmologiste peut réaliser un tel examen. Un exemple est celui de l’imputabilité d’un décollement de rétine : la survenue d’un décollement de rétine est tout à fait possible en cas de contusion oculaire. Il faut cependant que la contusion oculaire soit violente, provoquant une compression antéropostérieure du globe oculaire telle qu’elle induise un arrachement de la base du vitré, des déchirures rétiniennes ou un œdème rétinien traumatique. L’imputabilité est alors facile à retenir. À l’inverse, la survenue d’un décollement de rétine quelques mois après un traumatisme bénin, par exemple extraoculaire, sans signes fonctionnels oculaires immédiats, doit faire douter de l’existence d’un lien de causalité. 248 De même, on ne peut retenir l’imputabilité des cataractes traumatiques et des glaucomes posttraumatiques qu’après des lésions initiales oculaires sévères consécutives à des traumatismes contusifs importants ou perforants. Les notions de complexité et d’incertitude restent inséparables du domaine médical et médicolégal, ce qui est source de difficultés trop souvent méconnues dans les expertises médicales. Le médecin expert doit recueillir et intégrer de très nombreuses informations faites d’une part des données de l’expertise, d’autre part des connaissances médicales actuelles fort difficiles à cerner. L’avis de l’expert doit être motivé objectivement et clairement. Des incertitudes peuvent persister malgré toutes les investigations. Ces incertitudes doivent alors être expliquées et quantifiées dans la mesure du possible. En l’absence de toutes les informations nécessaires pour donner une réponse objective à sa mission, l’expert doit conclure en répercutant cette situation incertaine ; c’est au juriste d’en tirer les conséquences.17-19 A. Foels, M. Klein Différents tableaux cliniques Exemples de pathologie séquellaire Acuité visuelle Les baisses d’acuité visuelle se rencontrent dans les séquelles suivantes : • cicatrices cornéennes ; • cataractes traumatiques ; • séquelles traumatiques choriorétiniennes, notamment de la rétine maculaire ; • neuropathies optiques post-traumatiques, neuropathie glaucomateuse post-traumatique ; • atteinte de la pointe du lobe occipital. La mesure de l’acuité visuelle de loin est habituellement réalisée en France avec l’échelle de Monoyer, après correction optique. En effet, le barème indicatif en droit commun précise que : « l’examen doit être fait après correction, la nécessité du port de lunettes ou de lentilles étant précisée par l’expert. Elle peut faire l’objet d’une indemnisation, mais non au titre de l’incapacité ». La mesure de l’acuité visuelle de près peut être utile dans des cas exceptionnels où l’acuité visuelle Attention Quelques erreurs à ne pas commettre • Ne pas respecter le principe du contradictoire (au civil, tous les stades de l’expertise doivent être contradictoires). Cette erreur est de nature à entraîner la nullité de l’expertise. • Ne pas respecter la mission. • Confondre l’assignation (qui est rédigée par l’avocat) et la mission mentionnée dans la décision judiciaire (qui est rédigée par le Tribunal) : l’expert ne doit répondre qu’à cette dernière. • Déléguer une partie de l’examen à un tiers (l’expert doit accomplir personnellement toute sa mission). • Noter comme un fait acquis les déclarations des parties ; celles-ci doivent être étayées par des documents probants. Exemple : si le certificat médical initial ne signale pas de traumatisme crânien, l’expert doit écrire : « Monsieur X déclare avoir présenté un traumatisme crânien » et non : « Monsieur X a présenté un traumatisme crânien ». • Ne pas respecter le secret professionnel pour des faits ne concernant pas la mission. • Omettre de décrire l’état antérieur et de mentionner la source d’information. • Oublier d’exposer les points d’incertitude en l’absence de diagnostic précis. • Transformer un lien de causalité douteux en certitude et omettre d’exposer les points d’incertitude. • Entériner simplement l’ITT délivrée par des tiers : l’expert n’est pas lié par les avis des médecins traitants ou des organismes sociaux. • Omettre de fixer une date de consolidation quand on évalue une IPP. • Évaluer une IPP en voulant tenir compte de la profession (l’IPP reflète uniquement le taux de déficit physiologique qui est indépendant du métier pratiqué ; l’incidence professionnelle est un autre poste de préjudice qui doit être décrit par l’expert dans un chapitre séparé). • Séparer les souffrances endurées et les souffrances morales : les souffrances endurées comprennent les souffrances morales. • Quantifier le préjudice d’agrément : celui-ci doit être simplement décrit par l’expert et ne concerne que les activités spécifiques de loisir. Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie de près, habituellement proportionnelle à celle de loin, s’en sépare (cas des forts moypes, de certaines cataractes, des forts astigmatismes et des nystagmus). L’examen de la vision de près se fait en France par le test de Parinaud. L’acuité visuelle peut également être étudiée d’une manière totalement objective sans collaboration du patient par le potentiel évoqué visuel. Cette technique consiste à recueillir des signaux électriques au cortex visuel après stimulation lumineuse de la rétine, soit par flashes, soit par damiers. Si les flashes lumineux présentés aux yeux du sujet provoquent l’apparition de signaux électriques occipitaux, c’est que les voies optiques fonctionnent. La technique la plus élaborée du potentiel évoqué visuel utilise une stimulation non plus par flash, mais en présentant sur un écran de télévision des images alternantes de damiers dont la taille peut être modifiée. Si en diminuant la taille des damiers les signaux électriques s’éteignent, c’est qu’on vient de passer sous le seuil de l’acuité visuelle maximale. On peut ainsi apprécier approximativement l’acuité visuelle sans coopération du patient. Champ visuel Les atteintes du champ visuel résultant de glaucomes traumatiques, de cicatrices choriorétiniennes, de neuropathies optiques post-traumatiques, sont monoculaires du côté atteint. L’existence de scotomes paracentraux après compression thoracique par ceinture de sécurité ou air bag est très évocatrice de l’atteinte ischémique capillaire rétinienne du syndrome de Purtscher.20 Les atteintes chiasmatiques entraînent des hémianopsies bitemporales ; les atteintes des voies optiques rétrochiasmatiques entraînent des atteintes hémianopsiques. Le champ visuel utilisé dans la vie courante est le champ visuel binoculaire, c’est-à-dire l’espace perçu par les deux yeux immobiles regardant droit devant. Il en résulte une zone centrale, commune aux deux yeux, dans laquelle un petit déficit ne touchant qu’un œil n’est pas perçu, l’autre œil prenant le relais. L’estimation du handicap lié aux troubles du champ visuel est fondée sur le relevé des déficits campimétriques. Il doit être fait par l’expert ou en présence de l’expert. L’expérience prouve que la réalisation du champ visuel est complexe, délicate et assez souvent source d’erreurs. La technique d’examen consiste à relever les limites du champ visuel binoculaire à la coupole de Goldmann avec le test III/4. Le sujet fixe le fond de la coupole et signale le niveau d’apparition de la lumière dans son champ visuel. 249 La surface et la brillance de ce test III/4 sont suffisantes pour relever des déficits entraînant un réel handicap visuel. En effet, le déficit doit être bien caractérisé et entraîner un réel handicap pour être indemnisable en fonction des critères du barème ; les déficits infracliniques n’entraînent pas d’IPP. Le relevé du champ visuel binoculaire est alors dessiné sur un schéma. La partie centrale du champ visuel peut être explorée en vision de près à l’aide d’un schéma représentant un petit grillage (grille d’Amsler) qui explore une zone de 10 degrés environ au niveau du point de fixation et qui y révèle les déformations (métamorphopsies) et les lacunes (scotomes). La périmétrie moderne automatique informatisée est utilisable sous réserve de ne retenir des anomalies détectées que les déficits campimétriques entraînant un réel handicap visuel fonctionnel. Aphakie. Pseudophakie L’aphakie est la privation de cristallin. Le cristallin est une lentille intraoculaire, véritable « zoom » chez le sujet jeune, lui permettant de voir nettement de loin et de près : c’est l’accommodation. L’aphakie unilatérale entraîne de nombreuses conséquences : • une baisse d’acuité visuelle de l’œil aphake en l’absence de correction optique ; • l’impossibilité de réaliser cette correction par verre de lunettes, ce qui entraîne une différence intolérable de la taille des images vues par l’œil aphake et l’œil sain (aniséiconie) et l’obligation de le faire par une lentille de contact ; • un rétrécissement du champ visuel périphérique ; • la perte de l’accommodation ; • un éblouissement ; • la perte de la vision binoculaire. Avant l’ère des lentilles de contact, l’aphakie unilatérale entraînait une très forte incapacité. L’œil aphake unilatéral n’était plus utilisé dans les faits. Il n’était cependant pas possible de le considérer comme un œil totalement perdu, du fait de sa capacité restante : en cas de perte du bon œil (phake), l’œil aphake supportait la correction par verres de lunettes et exerçait une fonction visuelle. L’apparition des lentilles de contact a rendu possible la réutilisation conjointe de l’œil phake et de l’œil aphake unilatéral, en réduisant l’aniséiconie à un degré tolérable. Il en résulte une grande amélioration des capacités fonctionnelles de l’œil aphake, quoique la correction par lentilles ne corrige pas totalement les conséquences de l’aphakie (en particulier la perte de l’accommodation). 250 C’est pour tenir compte de ces séquelles que les barèmes prévoient un taux d’IPP pour aphakie unilatérale, qu’elle soit ou non corrigée par lentille, de 10 % si l’œil aphake est le moins bon et de 15 % si l’œil aphake est le meilleur œil, taux auquel il faut ajouter celui résultant de la baisse d’acuité visuelle éventuelle après la meilleure correction optique possible. Le remplacement du cristallin par un implant cristallinien (pseudophakie) diminue encore l’importance des séquelles. Cet état entraîne un taux d’IPP de 5 % selon le barème de droit commun 2001, taux auquel il faut ajouter celui résultant de la baisse d’acuité visuelle éventuelle après la meilleure correction optique possible. En fait, en l’absence de perte d’acuité visuelle, les séquelles deviennent relativement minimes chez le sujet âgé car l’autre œil n’accommode plus. Elle est beaucoup plus importante chez le sujet jeune par perte de l’accommodation. L’œil pseudophake nécessite un verre additif de + 3 pour la lecture de près alors que l’œil sain n’a pas besoin de correction. Comme ce verre augmente la taille de l’image perçue, il en résulte une dégradation de la vision binoculaire de près. C’est pourquoi le barème droit commun 2001 prévoit un taux d’IPP de 7 % chez l’enfant pseudophake unilatéral jusqu’à 16 ans. Larmoiement par sténose des voies lacrymales Il s’agit d’une complication fréquente des séquelles des fracas de la paroi interne de l’orbite, par écrasement du canal lacrymonasal, et des arrachements de la partie interne de la paupière inférieure (morsures de chien) qui entraînent une sténose du canalicule lacrymal inférieur qui réabsorbe 90 % des larmes. Le larmoiement résiduel peut justifier un taux d’IPP allant jusqu’à 5 % en cas d’atteinte unilatérale et jusqu’à 10 % en cas d’atteinte bilatérale. Handicap oculomoteur Anomalies de fusion : hétérophories et insuffisance de convergence Les hétérophories et les insuffisances de convergence sont présentes à des degrés variables chez un tiers de la population générale et chez deux tiers des traumatisés crâniens. La preuve de l’imputabilité de l’hétérophorie au traumatisme crânien doit reposer sur l’existence des critères d’imputabilité suivants : • absence d’antécédents spontanés de décompensation hétérophorique ; • apparition d’une gêne visuelle dans les suites immédiates de l’accident, suffisamment intense A. Foels, M. Klein pour faire réaliser un examen ophtalmologique ayant amené à constater un net déséquilibre oculomoteur ; • réalisation d’une tentative thérapeutique par rééducation orthoptique bien conduite ; • persistance d’une insuffisance de convergence 6 mois après l’arrêt de cette tentative thérapeutique. Vision double (diplopie) La diplopie se rencontre souvent après traumatisme. Les fractures de l’orbite s’accompagnent fréquemment d’une atteinte oculomotrice. Un cas fréquent est l’incarcération du droit inférieur dans une fracture du plancher orbitaire. En cas de fracture orbitaire, l’état ne doit pas être consolidé moins de 6 mois après le traumatisme. Les paralysie oculomotrices sont très fréquentes après traumatisme crânien et compliquent 15 % de ceux-ci. L’évolution des paralysies oculomotrices posttraumatiques est des plus variables. Elles sont susceptibles de continuer à régresser jusqu’à 18 mois après le traumatisme. La consolidation ne doit pas être retenue avant ce délai. L’examen de la diplopie consiste à étudier le champ du regard et à déterminer dans quelles directions le patient voit double. Il existe des techniques instrumentales permettant de matérialiser la diplopie sur des schémas (tests de Hess-Weiss et de Lancaster). Certaines diplopies peuvent être améliorées par une correction prismatique, ce qui minore l’IPP. Simulation Dans certains cas, l’expertise va devoir apporter la preuve d’une dissimulation, d’une simulation ou d’une majoration.21,22 La dissimulation, le plus souvent lors d’examen d’aptitude, est habituellement le fait d’un sujet amétrope dont l’acuité visuelle sans correction est inférieure aux normes minimales exigées pour l’emploi recherché. L’ophtalmologiste évaluateur doit relever l’acuité visuelle œil par œil, varier les échelles d’optotypes, surveiller l’effet de clignement, rechercher au biomicroscope le port de lentille de contact ou des traces de chirurgie réfractive. Il faut rechercher l’éventuelle dissimulation de troubles oculomoteurs en dépistant une éventuelle phorie par le test à l’écran, évaluer l’acuité stéréoscopique, étudier le sens chromatique, réaliser un champ visuel. En cas de doute, des examens complémentaires peuvent être réalisés. Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie La simulation est un acte par lequel un sujet tente d’imiter une situation pathologique pour en tirer un avantage. Elle porte le plus souvent sur l’acuité visuelle et le champ visuel. Elle est évoquée quand l’examen ne montre aucune anomalie objective alors que l’acuité visuelle est très dégradée ou que le champ visuel montre des anomalies non systématisées. La simulation le plus fréquemment rencontrée est la cécité unilatérale alléguée. Elle est évoquée devant des milieux parfaitement transparents, des réflexes photomoteurs et consensuels conservés, une rétine et une papille normales. Il existe alors de nombreuses techniques plus ou moins complexes : elles sont exposées dans l’article d’EMC consacré à ce sujet.22 La cécité bilatérale simulée est évoquée devant une histoire clinique peu convaincante et l’absence de signes objectifs à l’examen. Dans tous ces cas, il est possible de faire réaliser un potentiel évoqué visuel sous réserve de surveiller la fixation pendant l’examen,17 de manière idéale en le couplant à un scanning laser ophtalmoscope. Les simulations concernant le champ visuel sont habituellement constituées par une allégation de rétrécissement concentrique. Le dépistage repose sur la réalisation d’un relevé à la coupole de Goldmann en comparant le tracé normal centripète au tracé centrifuge qui doit normalement être plus large. On peut également utiliser la confusion apportée par les combinaisons entre surface et intensité (IV/3 = III/4). Les simulations d’anomalies oculomotrices sont facilement dépistées par le bilan orthoptique et la réalisation d’un test de Lancaster. Il faut toutefois connaître le strabisme convergent spasmodique psychosomatique de l’adulte qui résulte d’un effort volontaire d’accommodation-convergence du sujet pendant l’examen. L’expert doit également dépister la majoration effectuée pour accentuer volontairement le handicap résultant d’une pathologie réelle. Références 251 3. Jonquères J, Foels A. Réparation juridique du dommage corporel en ophtalmologie. Paris: Masson; 1990. 4. Fournier C, Rousseau C. Précis d’évaluation du dommage corporel en droit commun. Paris: Soulisse-Cassegrain diffuse; 1989 (352p). 5. Barrot R, Nicourt B. Le lien de causalité. Paris: Masson; 1986 (176p). 6. Brousseau S, Fray G, Marchand C, Margeat H, Rousseau C. La preuve du dommage corporel. Paris: Argus édition; 1981 (104p). 7. Rousseau C. De l’imputabilité à la causalité. Rev Fr Domm Corp 1984;10:111–4. 8. Carbonnié C. Le doute sur l’imputabilité des séquelles à un traumatisme. [thèse], Poitiers, 1982. 72p. 9. Doutre LP. In: D’un temps de doute préalable à toute décision médicale. Bordeaux Méd; 1986. p. 305–7 (n°19). 10. Klein M, Grall Y. Doute scientifique et doute juridique dans les expertises médicales. 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