Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie Forensic medicine and expert opinion in ophthalmology

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EMC-Ophtalmologie 2 (2005) 231–251
www.elsevier.com/locate/emcop
Aspects médico-légaux
et expertises en ophtalmologie
Forensic medicine and
expert opinion in ophthalmology
A. Foels a,*, M. Klein b
a
b
14, rue de Bruxelles, 75009 Paris, France
161, rue de Tolbiac, 75013 Paris, France
MOTS CLÉS
Aléa ;
Dommage corporel ;
État antérieur ;
Expertise ;
Faute ;
Imputabilité ;
Juridiction ;
Perte de chance ;
Responsabilité ;
Préjudices
Résumé L’avis de l’ophtalmologiste expert peut être demandé dans des situations très
diverses (examen d’aptitude, de contrôle notamment en cas d’arrêt de travail, d’évaluation d’un dommage corporel) et par différents intervenants : administrations, juridictions,
organismes sociaux, compagnies d’assurances, etc.). La pratique de l’expertise nécessite
alors une connaissance approfondie de la pathologie séquellaire ophtalmologique et des
règles spécifiques à l’organisme en cause. Le cadre juridique français et les grands
principes médico-légaux sont décrits dans cet article. La méthodologie et les pièges,
notamment de l’expertise judiciaire, sont présentés. Les obligations légales des praticiens
et des établissements de soins ont été définis par la loi du 4 mars 2002. Elle prévoit
également les conditions d’indemnisation en cas de dommage résultant de fautes médicales. Sa grande nouveauté est l’instauration d’une indemnisation dans certains cas d’aléa
non fautif. Les spécificités de l’expertise en responsabilité médicale sont détaillées.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Hazard;
Bodily damage;
Expert opinion;
Previous status;
Error;
Imputability;
Law;
Jurisdiction;
Chance loss;
Responsibility;
Prejudice
Abstract An ophthalmologic expert opinion may be required in various situations (aptitude tests, sick leave controls, evaluation of bodily damages, etc) by various entities
(government services, courts of law, welfare organizations, insurance companies, etc).
Such expert opinion necessitates extensive knowledge of the ophthalmologic sequelae
pathology and of the regulatory framework of these organizations. In this regard, the
present chapter describes the French legal system and basic medico-legal principles. The
methods and pitfalls related to the forensic examination are presented. The legal
obligations of both practitioners and care centres have been fixed by the law of March 4,
2002. This law fixes also the conditions for compensation in case of damage due to
medical error. A new provision included in this law is the compensation given in some
cases of hazard, without error. Specific aspects of expert opinion in medical responsibility
are also detailed.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (A. Foels).
1762-584X/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/j.emcop.2005.09.002
232
Généralités sur les expertises
Les expertises en ophtalmologie obéissent aux mêmes principes de base que les autres expertises.
Cependant, en raison de la complexité et de la
spécificité de l’ophtalmologie, elles doivent être,
bien évidemment, confiées à des ophtalmologistes.
Ceux-ci doivent être également compétents en médecine légale.
La médecine d’expertise est visée par les articles
105 à 108 du Code de déontologie médicale.
Points essentiels
Articles du Code de déontologie médicale
faisant mention de la médecine d’expertise
• Article 105. Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même
malade. Un médecin ne doit pas accepter
une mission d’expertise dans laquelle sont en
jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses
patients, d’un de ses proches, d’un de ses
amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services.
• Article 106. Lorsqu’il est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser s’il
estime que les questions qui lui sont posées
sont étrangères à la technique proprement
médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir
aux dispositions du présent code.
• Article 107. Le médecin expert doit, avant
d’entreprendre toute opération d’expertise,
informer la personne qu’il doit examiner de
sa mission et du cadre juridique dans lequel
son avis est demandé.
• Article 108. Dans la rédaction de son rapport,
le médecin expert ne doit révéler que les
éléments de nature à apporter la réponse aux
questions posées. Hors de ces limites, il doit
taire tout ce qu’il a pu connaître à l’occasion
de cette expertise. Il doit attester qu’il a
accompli personnellement sa mission.
Les missions peuvent être adressées par diverses
juridictions ou organismes.
L’ophtalmologiste peut être appelé à intervenir
sur le plan médico-légal dans les circonstances
suivantes :
• au niveau judiciaire, sur le plan pénal ou sur le
plan civil suivant les codes respectifs de ces
juridictions, ou par décision des tribunaux administratifs ; la juridiction pénale a pour but de
réprimer la non-observation d’une obligation légale de nature à troubler l’ordre public par
A. Foels, M. Klein
exemple pour homicide (Art. 221-6), ou coups et
blessures volontaires ou involontaires (Art. 22219 et 20) ; la juridiction civile a pour but de
trancher les litiges entre particuliers, par exemple en cas de faute volontaire ou involontaire
ayant entraîné un dommage ou en cas d’inexécution des obligations d’un contrat ; la juridiction administrative règle les conflits entre les
particuliers et le service public ;
• au niveau amiable, par simple convention entre
des parties désirant s’en remettre à un avis
spécialisé pour tenter d’éviter une expertise
judiciaire ;
• par compromis d’arbitrage, procédé se rapprochant davantage de l’expertise judiciaire et qui
a valeur d’expertise judiciaire ;
• par l’ensemble des instances relevant du Code
de la Sécurité sociale ;
• par les tribunaux militaires ;
• en cas d’opposition entre une administration et
un employé.
Chacune de ces interventions a ses particularités
propres et nous ne pourrons, bien évidemment, les
développer toutes dans le cadre de cet article.
Nous nous bornerons donc au rappel de quelques
notions essentielles.
Juridictions judiciaires (expertises
judiciaires pénales et civiles)
Il faut bien distinguer les missions civiles des missions pénales.
Les expertises civiles doivent, sous peine de nullité de l’expertise, respecter le principe du contradictoire à tous les stades de l’expertise.
Le respect du contradictoire est un principe général du droit en procédure civile. Les articles 14 et
15 du nouveau Code de procédure civile le rappellent ; chaque partie doit connaître toutes les pièces
produites par l’autre partie. Le juge et l’expert
doivent veiller à bien respecter et faire respecter le
principe du contradictoire.
Au contraire, les expertises pénales ne respectent pas ce principe.
Juridictions administratives
Les missions qui concernent les litiges où l’État est
mis en cause obéissent globalement aux principes
de l’expertise civile.
Autres organismes (sociaux, militaires,
Ordre des médecins)
Les missions obéissent à des dispositions spécifiques.
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
Expertises amiables
Elles suivent généralement les dispositions des procédures civiles.
La loi du 5 juillet 1985 vise les accidents de la
circulation. Pour l’expert, les opérations d’expertise sont très proches de celles des expertises civiles.
Cas particulier de la responsabilité
médicale, les CRCI
L’Office national d’indemnisation des accident médicaux, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales (ONIAM) est divisé en commissions
régionales. Ces Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux,
des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) désignent les experts et prennent les
décisions concernant les demandeurs.
Le fonctionnement des CRCI et de l’ONIAM étant
spécifique des dommages résultant de l’exercice
médical, il sera détaillé au chapitre consacré à la
responsabilité médicale (cf. infra).
Dans toute expertise se pose le problème de la
communication des pièces médicales à l’expert et
aux parties. Faute de pièces médicales, certaines
expertises n’aboutissent pas à des conclusions fiables. Dans les accidents, on ne saurait trop insister
sur la communication du certificat médical initial.
Dans le cadre des expertises civiles, parfois l’expert ophtalmologiste, au lieu d’être désigné directement, peut être sollicité par un expert principal
dont il est alors le « sapiteur » (terme consacré par
l’usage, mais terme impropre, car on devrait dire
« spécialiste »). Dans ce cas, chaque expert fait son
rapport, mais l’expert principal est tenu de faire
des conclusions de synthèse, après avoir provoqué
une réunion de synthèse au cours de laquelle il est
discuté des conclusions de synthèse.
Une expertise est destinée à être lue par un
juriste, assureur et/ou juge. Il y a donc lieu, dans le
paragraphe discussion, de bien expliquer de quoi il
s’agit, en termes compréhensibles par des nonmédecins.
Réparation juridique du dommage
corporel
Généralités1
Le terme « dommage corporel » est compris dans le
sens général d’« atteinte corporelle ». Cette atteinte peut provenir d’une maladie ou d’un accident.
233
L’atteinte corporelle est couverte de diverses
manières : organismes sociaux obligatoires, pensions militaires, assurances de dommages (responsabilité civile), assurances de personnes.
Assurances de dommages
Les assurances de dommages (branche IARD des
assureurs, c’est-à-dire incendies, accidents, risques divers) sont subdivisées en :
• assurances de choses qui ne nous concernent pas
directement ;
• assurances de responsabilité civile de droit commun qui peuvent concerner les accidents corporels.
Sont toujours étudiés trois éléments :
• la faute ou le fait générateur de responsabilité ;
• le dommage ;
• le lien de causalité entre la faute et le dommage, ce lien devant être direct, certain et
exclusif pour permettre une indemnisation totale.
Ces assurances de dommages relèvent du principe indemnitaire. Le cumul d’assurances de ce
type est évidemment interdit, car un même dommage ne peut pas être indemnisé deux fois dans le
même cadre.
Exemple : une personne en blesse une autre dans
un accident ; le civilement responsable doit réparer
l’atteinte corporelle ; s’il est couvert par une assurance, l’assureur paiera à sa place, dans les conditions prévues à son contrat. Le dommage volontaire
n’est évidemment pas assurable.
À noter que la garantie des frais médicaux et
pharmaceutiques relève de ces assurances de dommages.
Maladies et/ou accidents sont concernés (responsabilité civile automobile et sida par exemple).
Assurances de personnes (branche vie
des assureurs)
Les assurances sont individuelles ou collectives ;
elles concernent les assurances en cas de vie couvrant les accidents et/ou les maladies, et le décès.
Exemple : versement d’indemnités journalières
en cas d’arrêt de travail.
Ces assurances se caractérisent par une détermination forfaitaire des sommes assurées (il faut se
référer au contrat d’assurances qui précise les garanties). Le cumul d’assurances est possible, mais
seulement dans les limites indiquées au contrat
d’assurance.
Il faut noter l’ambiguïté qui existe du fait de la
dénomination juridique « assurances de personnes », alors que les « assurances de dommages »
couvrent aussi les personnes.
Une même personne peut être couverte à la fois
par une assurance de « dommage » et par une
234
assurance individuelle de « personnes » ; c’est le
cas de l’automobiliste blessé dans un accident où
un tiers est responsable : il est indemnisé par
l’assureur du tiers responsable (assurance de dommages et plus précisément de responsabilité civile) ; en plus, le blessé peut recevoir des prestations de la part de son propre assureur (assurance
de personnes) dans le cas où il aurait pris une
assurance en ce sens.
L’expertise en assurances de personnes a des
particularités (cf. infra).
Évaluation du dommage corporel2-4
Mission d’expertise
C’est au médecin-expert d’évaluer le dommage
corporel en respectant la mission qui lui a été
confiée par un juriste, magistrat ou assureur. Tous
les termes de cette mission sont importants.
Le secret professionnel (article 226-13 du nouveau Code pénal) doit être respecté. Voir aussi
l’article 108 du Code de déontologie.
Les missions sont différentes suivant la nature du
litige (droit commun, assurance individuelle, organismes sociaux, etc.).
Les barèmes applicables pour l’évaluation de
l’incapacité sont différents : barème droit commun ; barème des accidents du travail ; barème des
Commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ; barème des assurances individuelles.
Le principe du contradictoire doit être respecté
dans toutes les expertises civiles : chaque partie
doit avoir connaissance de toutes les pièces produites par l’autre partie. Cette communication des
pièces doit obligatoirement être effectuée par les
avocats.
L’examen de l’expert judiciaire doit être réalisé
en présence des médecins conseils représentant les
parties.
On ne saurait trop insister sur la nécessité de
bien lire tous les termes de la mission ainsi que la
totalité de la décision judiciaire pour bien comprendre le litige. Les tribunaux rendent des ordonnances ou des jugements, les cours rendent des
arrêts.
Les assignations ou les requêtes introductives
d’instance, rédigées par les avocats, apportent des
informations importantes. Elles doivent être bien
distinguées des décisions judiciaires, lesquelles
contiennent la mission confiée à l’expert par la
juridiction.
L’expert ophtalmologiste peut être désigné soit
isolément, soit avec un coexpert, soit comme spécialiste (sapiteur) d’un expert principal.
Quand plusieurs coexperts sont désignés, des
conclusions de synthèse doivent être rédigées par
A. Foels, M. Klein
l’expert principal, lequel est généralement celui
concerné par le plus gros dommage. Ces conclusions de synthèse doivent être signées par chaque
coexpert et leurs rapports propres annexés. Si les
examens des différents coexperts ont été réalisés
séparément, une réunion de synthèse doit être
réalisée de manière contradictoire, avant la rédaction desdites conclusions de synthèse.
Imputabilité5,6
C’est un élément particulièrement important.
En droit commun, le médecin expert doit donner
au juriste les éléments permettant de relier un état
séquellaire à un fait générateur de responsabilité.
Autrement dit, un lien de causalité direct, certain et exclusif doit exister entre un fait générateur
et un dommage. Il ne suffit évidemment pas d’affirmer l’existence de ce lien, il faut démontrer cette
existence par des preuves solides et sérieuses.
Le cas échéant, l’expert doit préciser si le fait
générateur a déclenché le dommage ou uniquement accéléré sa survenance (les conséquences
juridiques sont différentes).
En cas de nouvelle expertise pour aggravation,
l’imputabilité de cette aggravation au fait générateur doit être démontrée.
Une étude fiable de l’imputabilité suppose une
bonne connaissance :
• du diagnostic : il doit être aussi précis que
possible ; il est parfois délicat de distinguer la
maladie de l’accident ;
• de l’état antérieur au sinistre, lequel doit être
établi précisément ; cet état antérieur vise uniquement ce qui pourrait concerner le sinistre ; il
est à distinguer des antécédents qui concernent
toutes les pathologies dont pourrait être atteint
le demandeur ; certaines sont couvertes par le
secret professionnel et n’ont donc pas à être
mentionnées dans le rapport si elles n’interfèrent pas avec le sinistre en cause.
L’expert doit expliquer l’interaction entre l’accident et l’état antérieur, l’évolution de l’état
antérieur sans l’accident, l’évolution de l’accident
sans l’état antérieur. Il ne peut pas faire de luimême un partage arbitraire.
Les prédispositions sont des états latents ignorés
de la victime. L’expert, en cas de doute, doit se
limiter à décrire la situation, laquelle est souvent
assez complexe.
Les problèmes d’imputabilité sont essentiels :
l’assureur ne couvre pas un dommage qui n’est pas
imputable de manière directe, certaine et exclusive à un accident donné ; il ne couvre évidemment
pas un état antérieur au sinistre (« on n’assure pas
une grange qui brûle »).
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
Toutes ces difficultés se rencontrent aussi bien
en assurances de responsabilité qu’en assurances
dites de personnes.
Dans les cadres des accidents du travail, le problème de l’imputabilité obéit à des dispositions
spécifiques dans la mesure où toute pathologie
survenue au cours du travail est présumée imputable au travail, sauf preuve contraire apportée par
l’organisme social.
Problème de la preuve et facteurs
d’incertitudes. Doute dans les expertises7-11
En droit commun, rappelons que le demandeur a la
charge d’apporter la preuve de l’atteinte corporelle et de son lien de causalité avec, par exemple,
tel accident ou telle faute. Les assurés et/ou les
victimes ne comprennent pas toujours qu’ils doivent fournir à l’expert tous les éléments dont il a
besoin (en vertu de l’article 1315 du Code civil,
c’est celui qui réclame l’exécution d’une obligation
qui doit la prouver ; de même, l’article 9 du nouveau Code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément
à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention).
Tout avis technique nécessite des informations
de plus en plus nombreuses et complexes faites
d’une part des données de l’expertise (pièces médicales, administratives et judiciaires), d’autre part
des connaissances médicales actuelles comprenant
l’avis de médecins spécialistes.
Si le plus souvent des conclusions fiables peuvent
être données, des incertitudes restent inévitables ;
elles doivent être identifiées et expliquées par le
médecin-expert dans son rapport.
Nous rappelons qu’une déclaration doit être répercutée comme telle ; elle n’est pas un fait démontré : par exemple, si la preuve d’un traumatisme crânien n’est pas apportée par un dossier
médical fiable, il ne faut évidement pas écrire :
« Monsieur X a eu un traumatisme crânien ... »
mais : « Monsieur X déclare avoir eu un traumatisme
crânien ».
L’expert ne doit en aucun cas conclure avec
certitude alors que des éléments manquent ou sont
incertains, malgré les recherches faites.
C’est au juriste d’en tirer ensuite les conséquences en fonction des textes applicables.
Un arrêt de la Cour de cassation (1ère chambre
civile) en date du 9 mars 2004 fait une application
stricte du lien de causalité et de la faute prouvée.
En présence d’un doute, l’expert se limite à
exposer les arguments en faveur de telle ou telle
réponse. Ce n’est pas à l’expert de prendre la
décision de lever un doute alors qu’il ne dispose pas
235
d’informations suffisantes et fiables, car il manquerait alors d’objectivité.
Perte de chance
Rappelons d’abord que l’incapacité permanente
partielle (IPP) vise les séquelles en relation directe,
certaine et exclusive avec une faute. Ceci exclut
notamment ce qui concerne :
• l’état antérieur et son évolution prévisible ;
• les suites normales des soins ;
• un dommage incertain.
L’obstacle à la réalisation d’un but précis et réel
attendu, comme, par exemple, l’amélioration d’un
état pathologique à la suite de soins, se traduit par
une perte de chance ; cette perte de chance est
nécessairement un dommage partiel, car il n’y
avait pas 100 % de chances d’obtenir le but recherché.
Mais, comme il est dit plus haut, ce dommage
doit être certain, et un lien de causalité direct et
certain avec une faute doit être démontré.
Selon un arrêt de la Cour de cassation du
18 juillet 2000, l’indemnité de réparation de la
perte de chance ne saurait présenter un caractère
forfaitaire ; elle doit correspondre à une fraction
des différents chefs de préjudice supportés par la
victime. Concernant l’IPP située dans le cadre
d’une perte de chance, une fraction plus ou moins
grande de l’IPP globale est prise en compte, fraction qui doit refléter la probabilité de réalisation du
but recherché par les soins. L’expert doit donc
fournir, malgré les difficultés que cela présente
souvent, les éléments permettant d’évaluer le
mieux possible cette probabilité.
Postes de préjudice en droit commun
et garanties contractuelles
En assurances de responsabilité civile de droit
commun
Le civilement responsable doit réparer la totalité
du dommage imputable à sa faute.
L’incapacité temporaire totale (ITT) correspond
à la période d’indisponibilité pendant laquelle,
pour des raisons médicales en rapport direct, certain et exclusif avec l’accident, l’intéressé ne peut
exercer l’activité habituelle lui procurant rémunération. Pour un demandeur d’emploi, c’est la période d’indisponibilité où il n’aurait pu exercer un
emploi adapté à ses compétences et, pour une
personne n’exerçant pas d’activité rémunérée,
c’est la période d’indisponibilité où elle ne peut
plus exercer ses activités habituelles.
Succédant ou non à une période d’ITT, l’incapacité temporaire partielle (ITP) correspond à la pé-
236
riode pendant laquelle l’intéressé n’a pu, pour des
raisons médicales en relation directe certaine et
exclusive avec l’accident, exercer qu’une partie de
son activité rémunératrice, la fin de cette période
ne coïncidant pas obligatoirement avec la consolidation.
L’IPP est la réduction du potentiel physique résultant d’une atteinte à l’intégrité corporelle d’un
individu dont l’état est considéré comme consolidé. Celle-ci est évaluée en fonction du déficit
physiologique uniquement ; elle est donc la même
pour toutes les professions. C’est le juriste qui
évalue l’incidence professionnelle en fonction des
explications données par l’expert.
Dans le cadre des expertises judiciaires, la mission demande, outre le chiffrage du taux d’IPP, de
décrire : « les actes, gestes ou mouvements devenus partiellement ou totalement difficiles », ce qui
ajoute une description moins abstraite de la réduction du potentiel physique.
Une date de consolidation doit toujours être
associée au taux d’IPP. La définition de la date de
consolidation est : « le moment où les lésions se
fixent et prennent un caractère permanent tel
qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est
pour éviter une aggravation, et qu’il est possible
d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ».
Les souffrances endurées, physiques, psychiques
ou morales, du fait des lésions initiales et de leurs
traitements, sont évaluées selon une échelle de 0 à
7 (correspondant aux qualificatifs de très léger,
léger, modéré, moyen, assez important, important
et très important).
Le préjudice esthétique est évalué selon une
même échelle de 0 à 7.
Le préjudice d’agrément concerne, en droit
commun, des activités de loisir spécifiques ; ce
préjudice d’agrément doit être uniquement décrit
par l’expert mais non chiffré.
L’incidence professionnelle est également décrite par l’expert, mais le préjudice économique
est uniquement de la compétence du juriste.
En assurances de personnes
La réparation est limitée aux garanties prévues au
contrat, lequel peut couvrir l’accident et/ou la
maladie.
Comme exemples de garanties, on peut citer :
• l’ITT : versement d’indemnités journalières ;
• l’invalidité (versement d’une rente fonction
d’un taux d’invalidité) ;
• le décès.
L’expertise en assurances de personnes a des
particularités.
Le taux d’invalidité doit être évalué en fonction
d’un barème contractuel joint à la mission qui peut
A. Foels, M. Klein
être établi par référence au barème accident du
travail (30 % pour la perte d’un œil, 100 % pour la
cécité) ou au barème indicatif des invalidités en
droit commun (25 % pour la perte d’un œil, 85 %
pour la cécité), ou qui peut être totalement différent (certains barèmes contractuels prévoient des
taux de 60 % ou même 100 % en cas de perte de la
vision d’un œil).
Les règles de calcul de l’incapacité sont souvent
différentes de celles du droit commun en cas d’état
antérieur de l’œil atteint ou de déficit de l’œil
controlatéral, car les contrats prévoient souvent que « en cas d’existence d’un état antérieur,
le calcul est effectué selon les conséquences
qu’aurait entraîné l’accident chez un sujet antérieurement sain ».
Par exemple, en droit commun le borgne qui
perd son deuxième œil se voit attribuer 85-25 %
soit 60 % d’aggravation, ce qui est légitime puisque
les conséquences de la perte du deuxième œil sont
rendues beaucoup plus lourdes par l’état antérieur ; alors que, en assurance individuelle, le
contrat précisant habituellement qu’en cas d’existence d’un état antérieur le calcul est effectué
selon les conséquences qu’aurait entraîné l’accident chez un sujet antérieurement sain, le taux
d’IPP pour la perte du deuxième œil n’est que de
25 %.
Si les cadres juridiques sont différents, l’évaluation médico-légale effectuée dans les expertises
médicales relève dans tous les cas des mêmes principes médicaux de base quel que soit le mode de
réparation.
Ces expertises médicales sont souvent bien plus
complexes qu’on ne le pense, car elles doivent, en
plus des diverses difficultés purement médicales,
tenir compte du cadre juridique où elles se situent.
Responsabilité médicale
L’ophtalmologiste se trouve de plus en plus souvent
confronté dans son exercice quotidien à des mises
en cause. Cet aspect de l’exercice médical, considéré comme mineur dans le passé, ne l’est plus du
tout aujourd’hui ; cette importance grandissante
trouve ses causes dans l’évolution de la jurisprudence et de la société qui fait que le médecin est de
plus en plus considéré comme un prestataire de
service.
Fondements de la responsabilité médicale
(Code civil, Code pénal, Code de justice
administrative, Code de déontologie)
Comme tout citoyen, le médecin est soumis à la loi
écrite, universelle et qui vaut pour tous. Celle-ci
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
est fixée par les dispositions du Code civil et du
Code pénal.
Il peut être visé par le Code civil à propos de
dommages causés à autrui et par le Code pénal à
propos des dommages résultant d’infractions de
nature à mettre en cause l’ordre public et réprimées, par exemple pour coups et blessures volontairement ou involontairement portés.
Ces deux codes ne contiennent aucun texte
concernant spécifiquement l’acte médical.
Si jusqu’en 2002 l’acte médical n’était pas spécifiquement visé par la loi, il était parfaitement
décrit par la jurisprudence : en effet, les décisions
de justice se réfèrent d’une part à la théorie définie par la loi (Codes civil et pénal), mais également
à la pratique établie par la jurisprudence (décisions
circonstanciées successives des tribunaux, des
Cours d’appel ou de la Cour de cassation, lesquelles
interprètent la loi). La jurisprudence, droit appliqué plus souple que la loi, est rapidement adaptable aux évolutions récentes et a défini depuis
1936 les bonnes pratiques de l’acte médical.
En cas d’exercice dans le cadre de l’hospitalisation publique, c’est l’hôpital qui est mis en cause
pour les fautes réalisées par le médecin selon les
règles du droit administratif. Cependant, le praticien peut être mis en cause au titre de sa responsabilité pénale pour des fautes graves commises à
l’hôpital. Bien sûr, l’exercice en secteur privé effectué à l’hôpital public relève des juridictions
civiles ou pénales et non du tribunal administratif.
La loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du système de
santé s’est inspirée de la jurisprudence antérieure
et définit précisément les droits des malades, les
devoirs des médecins et les règles de la responsabilité médicale.
Elle détermine de nombreuses modifications qui
seront inscrites au Code de la santé publique.
Novatrice, elle crée un système d’indemnisation
de l’aléa médical non fautif.
Il existe enfin un code moral de bonne conduite
propre à l’exercice de la médecine contrôlé par
l’Ordre des médecins, qui est le Code de déontologie.
Différents types de plaintes
en exercice libéral
Tout médecin est responsable de ses actes et peut
avoir à répondre :
• devant l’Ordre des médecins en cas d’infraction
morale, contraire au Code de déontologie ;
• devant la juridiction civile en cas de dommage
causé à un tiers ;
• devant la juridiction pénale en cas d’infraction
prévue au Code pénal.
237
Point fort
Le patient qui estime qu’un médecin exerçant en médecine libérale a commis une faute
peut déposer une plainte :
• à l’Ordre des médecins ;
• à la compagnie d’assurance du médecin ;
• devant les juridictions civiles ;
• devant les juridictions pénales.
Pour les actes réalisés après le 5 septembre
2001, qu’il y ait faute ou absence de faute, les
patients peuvent déposer une demande d’indemnisation à la CRCI.
Juridiction ordinale
Le Code de déontologie de l’Ordre des médecins est
spécifique de l’exercice de la médecine :
• les articles 2 à 31 concernent les devoirs généraux des médecins ;
• les articles 32 à 55 concernent les devoirs des
médecins envers les patients ;
• les articles 56 à 68 concernent les rapports des
médecin entre eux et avec les membres des
autres professions de santé ;
• les articles 69 à 99 concernent les règles de
l’exercice de la profession.
Faute de remplir ses obligations et pour avoir
commis une infraction morale, le médecin peut
être traduit à la demande d’un patient ou d’un
confrère devant le conseil de l’Ordre.
Les sanctions éventuelles sont : l’avertissement ;
le blâme ; l’interdiction temporaire ou définitive
d’exercer.
Cette voie est rarement choisie par le patient en
cas de dommage corporel car elle n’aboutit pas à
une réparation financière du dommage. Elle est
surtout utilisée quand le patient estime devoir se
plaindre du comportement du praticien.
La loi du 4 mars 2002 a réformé les chambres
disciplinaires du Conseil de l’Ordre, qui sont maintenant présidées par un magistrat.
Juridiction civile
Elle a pour but de trancher les litiges entre particuliers et de réparer financièrement le dommage que
l’on provoque à autrui.
La mise en cause du médecin au civil témoigne
d’un souhait de faire réparer financièrement un
dommage corporel résultant d’une faute du praticien.
Comme tout homme, le médecin peut engager sa
responsabilité civile selon les articles 1382 et suivants du Code civil.
Le dommage peut être dû à une faute (article
1382) : « Tout fait quelconque de l’homme qui
238
cause à autrui un dommage oblige celui par la
faute duquel il est arrivé à le réparer » ou à
l’inexécution des obligations d’un contrat (en fonction de l’article 1147 du Code civil).
L’arrêt Mercier de la cour de cassation du 20 mai
1936 a fait entrer le fait médical dommageable
dans le cadre d’un contrat, en jugeant : « qu’il se
crée entre le médecin et son patient un véritable
contrat moral au terme duquel le médecin s’engage à donner à son malade des soins non pas
quelconques, mais consciencieux, diligents, attentifs et conformes sauf conditions exceptionnelles
aux données actuelles de la science ».
Ainsi, depuis 1936, la responsabilité civile du
médecin est recherchée sur l’inexécution d’un
contrat ou sur le retard apporté à son exécution.
Les décisions jurisprudentielles successives des
Cours d’appel ou de la Cour de cassation ont petit à
petit défini les contours précis du contrat médical
et les obligations qui en résultent pour les praticiens :
• l’obligation de moyen : « donner des soins non
pas quelconques, mais consciencieux, diligents,
attentifs et conformes aux données acquises de
la science » ;
• l’obligation de consentement : « obtenir un
consentement libre et éclairé des parties intéressées ».
L’obligation d’information est celle qui a le plus
rapidement évolué ces dernières années, bien qu’il
ne s’agisse pas réellement d’une nouveauté.
L’obligation d’obtention du consentement du
malade est déjà rappelée dans un arrêt du 28 janvier 1942.
L’arrêt de la Cour de cassation du 21 février
1961 admettait que le médecin était seulement
tenu de donner une information : « simple, approximative, intelligible et loyale ». Mais l’information
devait être d’autant plus éclairée que l’acte était
moins urgent.
L’arrêté de la Cour de cassation du 25 février
1997 mentionne : « celui qui est légalement ou
contractuellement tenu d’une obligation d’information doit rapporter la preuve de cette obligation ».
Depuis cet arrêt, le doute sur l’existence de
l’information profite désormais au patient et non
plus au praticien !
La loi du 4 mars 2002 reconduit ces principes et
rappelle que : « toute personne a le droit d’être
informée sur son état de santé » ; « l’information
doit être donnée au cours d’un entretien individuel ».
Pour tout traitement, la loi impose une information sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles ».
A. Foels, M. Klein
La preuve d’une information adaptée à la thérapeutique envisagée doit être apportée par le praticien et elle peut l’être par tout moyen : « en cas de
litige il appartient au professionnel... d’apporter
la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout
moyen ».
La pratique du contentieux prouve pourtant que
le médecin doit impérativement préconstituer la
preuve qu’il a rempli son devoir d’information. La
présence dans le dossier de la fiche d’information
de la Société française d’ophtalmologie signée par
le patient est indispensable. La signature de ce
document d’information par le patient est le seul
moyen, en cas de contentieux, de prouver que le
patient a bien été averti des risques, bien que cette
signature ne soit pas imposée par la loi !
La mission du Tribunal de grande instance de
Paris demande actuellement à l’expert dans les
dossiers de responsabilité médicale de : « fournir,
au vu des pièces respectivement produites et des
informations recueillies auprès des parties, tous
les éléments permettant au Juge d’apprécier si les
défendeurs ont rempli leur devoir d’information à
l’égard du demandeur, préalablement aux soins
critiqués ».
La responsabilité d’un médecin peut aussi être
engagée s’il n’explique pas clairement les avantages et les inconvénients des différentes techniques
susceptibles d’être utilisées (Cour administrative
d’appel de Bordeaux du 30 juin 2003 et Cour d’appel de Dijon du 9 septembre 2003).
La loi du 4 mars 2002 reconduit le principe de
responsabilité pour faute :12,13 les professionnels
de santé : « ne sont responsables des conséquences
dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».
Le médecin ne doit réparation à son patient que
si trois conditions sont réunies :
• l’existence d’une faute ;
• l’existence d’un dommage ;
• l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage.
La jurisprudence décrit six catégories de fautes :
imprudence ; négligence ; inattention ; défaut
d’adresse ou maladresse ; défaut de précaution ;
inobservation des règlements.
Pour la Cour de cassation, la maladresse est
toujours coupable : la précision du geste chirurgical
relève de l’obligation de moyens et la sanction
systématique de toute maladresse n’introduit en
rien une obligation de résultat.
Le médecin a une obligation de moyens, mais il
n’a pas d’obligation de résultat.
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
L’évolution de la jurisprudence après 1997 a
battu en brèche ces principes en cas d’infection
postopératoire et de défaut d’information.
De 1998 à 2001, le médecin a été de plus en plus
souvent déclaré responsable en cas d’infection postopératoire alors même qu’il n’avait commis aucune
faute.
Mais depuis le 4 septembre 2001 (la loi du 4 mars
2002 étant rétroactive de 6 mois), c’est l’établissement qui est responsable de l’infection, même sans
faute prouvée : « les établissements sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause
étrangère ».
Il est pourtant scientifiquement établi que la
majorité des infections postopératoires ophtalmologiques sont d’origine endogène, liées à une autocontamination par les propres germes du patient. Il
est impossible actuellement d’éliminer totalement
ce facteur de risque de toute chirurgie qu’est le
risque infectieux. La persistance de germes dans
l’œil du patient malgré toutes les précautions
d’asepsie est une cause d’infection étrangère à la
qualité des soins. Malgré ces faits scientifiquement
établis, la loi du 4 mars 2002 estime que, dans le
cas d’un patient entrant non infecté dans un établissement et sortant avec une infection, la responsabilité de l’établissement est automatiquement
engagée.
Toutefois, le médecin peut être également retenu responsable en cas de mauvaise indication, de
retard au diagnostic ou à la mise en route du
traitement de l’infection, ou si le patient n’a pas
été informé du risque infectieux.
En effet, le médecin peut voir sa responsabilité
engagée alors même qu’il n’est pas à l’origine
d’une complication et qu’il n’a commis aucune
négligence, s’il n’a pas rempli son obligation d’information.
Pour que le médecin soit condamné, il faut,
d’une part qu’il ait commis une faute quant au
devoir d’informer son patient sur les risques de
l’acte, et que d’autre part cette faute ait entraîné
un préjudice. C’est le degré de probabilité de refus
de l’acte par le patient, dans l’hypothèse où l’information lui aurait été délivrée, qui détermine le
niveau de l’indemnisation. Si cette probabilité est
évaluée à 100 %, le patient perçoit 100 % de l’indemnisation ; si elle est estimée à 50 %, il ne touche
que la moitié de l’indemnisation. Et si le patient
n’avait pas la possibilité de se soustraire à l’acte, la
probabilité est de 0 % et il n’y a pas d’indemnisation.
L’utilisation des fiches d’information de la Société française d’ophtalmologie, remises au patient
par le praticien et rendues signées par ce patient,
est le seul moyen de parer ce risque.
239
S’il est démontré que le dommage est la conséquence d’une faute, la responsabilité civile du médecin se traduit par le versement de dommages et
intérêts à la victime pour réparer le préjudice
subi.
L’assurance de responsabilité se substitue au
responsable pour l’indemnisation.
La loi du 4 mars 2002 rend obligatoire l’assurance
de responsabilité pour les établissements de soins
et pour les professionnels de santé exerçant à titre
libéral.12,13
La loi du 4 mars 2002 établit un délai de prescription, identique pour l’activité libérale et les établissements publics, de 10 ans à dater de la consolidation du dommage.
Une nouvelle voie : l’ONIAM et les CRCI
Pour les actes réalisés à dater du 5 septembre 2001,
qu’il y ait faute ou absence de faute, les patients
peuvent déposer une demande d’indemnisation à la
CRCI.
Si celle-ci estime qu’il y a une faute médicale à
l’origine du dommage, l’assurance du praticien doit
en indemniser les conséquences, sauf contestation
qui entraîne une procédure judiciaire.
Si la CRCI estime qu’il s’agit d’un aléa non fautif,
l’indemnisation peut, sous certaines conditions
prévues par la loi (cf. infra), être prise en charge
par l’ONIAM.
Juridiction pénale
La mise en cause du médecin au pénal témoigne
d’une volonté du patient ou de ses ayants droit de
faire condamner personnellement le praticien à
une peine dolosive : amende ou emprisonnement.
Le Code pénal a pour but de réprimer les troubles
causés à l’ordre public.
La responsabilité pénale du médecin, comme de
tout citoyen, peut être engagée en cas de nonobservation d’une obligation légale de nature à
troubler l’ordre public, par exemple pour :
• coups et blessures involontaires ;
• coups et blessures volontaires ;
• homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation
des règlements ;
• violation du secret professionnel.
La procédure pénale est rarement engagée en
ophtalmologie, vu la nature des fautes rencontrées.
Les sanctions pénales comprennent amendes et
emprisonnement. L’assurance de responsabilité civile ne couvre évidemment jamais les sanctions
pénales.
240
Problème du secret médical.
Rédaction des certificats
La loi du 4 mars 2002 rappelle que toute personne
prise en charge par un professionnel ou un établissement de santé : « a droit au respect de sa vie
privée et du secret des informations la concernant ».
Le respect du secret médical est également
prévu par le Code de déontologie.
Enfin, la responsabilité pénale du médecin peut
être engagée en cas de violation du secret professionnel, quelle que soit la forme de divulgation du
secret (écrite ou orale), et même sans intention de
nuire, sauf dérogation prévue par la loi et les
règlements.
Les dérogations au secret peuvent être obligatoires (déclarations des maladies contagieuses, déclarations de décès, certificat d’accidents du travail,
etc.) ou facultatives laissées à l’appréciation du
praticien.
Dans le domaine de la Sécurité sociale, la communication par un médecin de renseignements médicaux, dont cet organisme a besoin pour fonctionner, n’est pas considérée comme violation du
secret professionnel.
Dans les accidents du travail (article 2473 et
2474 de la loi du 30 octobre 1946), le médecin est
tenu d’envoyer directement certificat descriptif et
pronostique aux caisses de Sécurité sociale.
Les dispositions de la loi du 25 octobre 1919 sur
les maladies professionnelles sont analogues.
Le praticien doit répondre aux demandes de
certificat émanant du patient. Ce certificat doit
être purement descriptif. Il y a une règle absolue :
ce certificat ne peut en aucun cas être remis à un
tiers ; il doit obligatoirement être remis au patient
lui-même en main propre ou au tuteur en cas de
mise sous tutelle.
Dans le cadre de l’expertise judiciaire, il
convient que l’expert lise attentivement ce qui est
indiqué dans sa mission concernant la communication des pièces nécessaires pour mener à bien cette
mission. Il est parfois indiqué clairement que le
secret médical ne pourra être opposé à l’expert lors
de sa demande de pièces aux médecins traitants,
d’autres fois il lui est demandé d’obtenir l’autorisation préalable de la personne concernée.
Exemples de mise en cause14
Le rapport du Conseil médical du Sou médical Groupe MACSF sur l’exercice 2003 du Docteur Christian Sicot rapporte les faits suivants.
En 2003, les ophtalmologistes sociétaires du Sou
médical - Groupe MACSF ont adressé 234 déclara-
A. Foels, M. Klein
tions dont 226 pour les seuls ophtalmologistes libéraux, soit une sinistralité de 5,2 % (226/4 396)
(5,7 % en 2002).
Parmi elles, une plainte pénale, 12 plaintes ordinales, 66 assignations en référé, 118 réclamations
et 22 saisines d’une CRCI.
Quarante et une erreurs (ou prétendues telles)
de verres correcteurs. Certaines demandes de remboursement sont parvenues 12 à 18 mois après la
prescription de ces corrections et d’autres invoquent comme motif de réclamation le nondépistage d’une cataracte débutante. Dans un cas,
il s’agissait d’une erreur de transcription informatique.
Treize déclarations mettent en cause la conduite
diagnostique, reprochant notamment le retard de
diagnostic d’une tumeur maligne suprasellaire (enfant suivi de 4 à 11 ans pour amblyopie), d’un
adénome hypophysaire (homme de 47 ans suivi
pendant 30 mois pour amétropie), d’un méningiome (retard de 2 mois), d’un mélanome choroïdien (retard de 6 mois), d’un décollement de rétine
(deux) (retard de 15 jours, la patiente ayant refusé,
lors de la consultation initiale, l’examen du fond
d’œil pour ne pas être gênée par la dilatation
pupillaire lors de son retour à domicile ; retard de
4 jours attribué au refus d’un rendez-vous d’urgence), d’une occlusion de la veine centrale de la
rétine (perte totale de la vision chez un monophtalme), d’une cataracte (prescription de verres
correcteurs), d’une hypermétropie (diagnostic de
myopie), etc.
Vingt-quatre déclarations contestent la prise en
charge, la surveillance et le traitement à la suite
de l’évolution défavorable (le plus souvent vers la
cécité) de l’affection traitée, notamment traumatisme oculaire avec inclusion de corps étrangers
(trois), occlusion de la veine centrale de la rétine
(deux), glaucome congénital (deux dont un cas avec
une énucléation droite à 18 ans puis gauche à
25 ans), glaucome chronique, décollement de rétine. Mais certaines plaintes ne sont pas justifiées,
voire sont manifestement abusives, notamment
lorsque les plaignants n’ont pas respecté la périodicité des consultations préconisées par les praticiens.
Ailleurs, il s’agit de problèmes relationnels, le
plus souvent à la suite de demandes de rendez-vous
non satisfaites dans les délais souhaités (quatre).
Accident médicamenteux : glaucome aigu avec
perte de la vision, attribué à la prescription d’un
collyre cortisonique après une kératoplastie pour
kératocône suivi d’astigmatisme.
Dix déclarations pour explorations à visée diagnostique ou thérapeutique :
• photocoagulation au laser (deux) pour dégénérescence palissadique chez un myope fort (dé-
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
collement de rétine avec perte ultérieure de la
vision), pour lésion ischémique supramaculaire (diminution de la vision avec lésion maculaire) ;
• thermothérapie transpupillaire pour dégénérescence maculaire : aggravation de la baisse de
vision ;
• photothérapie à la vertéporfine au cours d’une
forte myopie (deux) pour maculopathie dégénérative ou néovascularisation choroïdienne :
échec ;
• intubation des voies lacrymales (deux) pour larmoiement chez une femme de 62 ans : persistance des douleurs puis syndrome sec ; bris
d’une sonde de Baumann chez un enfant de
5 mois nécessitant une extraction différée (absence de séquelle) ;
• examen ophtalmique avec mesure de la tension
oculaire (trois) : kératoconjonctivite.
Cent quarante déclarations après diverses interventions chirurgicales et notamment après chirurgie de la cataracte à l’origine de 88 déclarations
dont dix pour résultat jugé non satisfaisant et
78 pour complications avec la répartition suivante :
• endophtalmie (28) avec perte totale de la vision
(12) dans les 13 cas où l’évolution est connue ;
deux de ces complications sont survenues dans
le même établissement à 21 jours d’intervalle ;
un cas est survenu lors d’une réintervention
pour changement d’implant ;
• rupture capsulaire postérieure (16) à l’origine
de diverses complications comme issue de vitré
nécessitant une vitrectomie ou la mise en place
d’un implant en chambre antérieure, chute du
noyau, corps flottants, luxation de l’implant,
œdème cornéen, décollement de rétine, etc.
aboutissant le plus souvent à une perte fonctionnelle de l’œil opéré ;
• hémorragie expulsive (une) ;
• décollement de rétine (neuf) ;
• ischémie du nerf optique (cécité brutale chez un
monophtalme) ;
• hémorragie choriorétinienne (une) ;
• occlusion de l’artère centrale de la rétine
(deux) ;
• œdème cornéen (trois) (dans un cas, après explantation d’un implant défectueux et réimplantation) ;
• œdème maculaire cystoïde (deux) ;
• erreur de calcul d’implant (quatre) ;
• complications en rapport avec l’anesthésie péribulbaire (six) : perforation oculaire avec perte
de l’œil ; hémorragie vitréenne nécessitant vitrectomie (deux) avec séquelles visuelles (une) ;
hématome rétrobulbaire rendu responsable
d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge
241
(unilatérale) ultérieure ; diplopie (deux) attribuée, dans un cas, par l’expert : « (...) à un aléa
thérapeutique lié à la suppression de la commercialisation d’un produit (contenant de la hyaluronidase) facilitant la résorption des anesthésiques locaux ; cette suppression a induit, dans
quelques cas (2 à 3 %), une vision double postopératoire et, exceptionnellement, comme dans
ce dossier, une diplopie permanente (...) ».
À noter deux assignations pour un accident vasculaire cérébral postopératoire.
Les 52 autres déclarations concernent les interventions suivantes.
Chirurgie réfractive (38)
Pour myopie (avec ou sans astigmatisme) (31) :
• kératotomie radiaire (trois) dont deux réclamations respectivement 5 et 14 ans après l’intervention pour dégradation des résultats ;
• Laser Excimer ou Lasik (26) dont : ectasie cornéenne (nécessitant une greffe) ; kératocône
apparu plus de 1 an après l’intervention chez un
sujet de 20 ans avec une vision nulle à droite et
à 4/10e à gauche (prévision de greffe cornéenne) ; œdème cornéen avec retard de cicatrisation ; kératite probablement infectieuse ;
mauvais centrage ou découpe inappropriée du
capot ; chute ou perte du capot ; décollement
de rétine 3 ans après l’intervention (en rapport
avec la myopie) ; névrite optique ischémique
(imputabilité non démontrée) etc. ;
• les autres déclarations concernent des mauvais
résultats allégués, notamment pour insuffisance
ou plus souvent surcorrection, astigmatisme,
phénomène de Haze, réapparition du trouble
réfractif nécessitant un deuxième geste ou le
port de verres correcteurs ; certains patients se
plaignent d’un défaut d’information ou reprochent des promesses non tenues ;
• dans trois cas, les médecins reconnaissent une
erreur de programmation mais, chez deux malades, ils évoquent des problèmes de réglage,
parfois malgré la présence des techniciens (brûlure cornéenne avec ulcère central), voire des
problèmes de matériovigilance (deux) (infiltration inflammatoire de l’interface de coupe de
cornée ou syndrome SOS ; mise en cause des
lames utilisées dans les microkératomes) ;
• implants (deux) : glaucome aigu postopératoire
(imputé à l’utilisation du visqueux Healon®) :
mauvais résultat allégué.
Pour myopie et presbytie (un) :
• Lasik : kératocône (greffe de cornée envisagée) ; pour presbytie (deux) ;
• implants : cataracte précoce ; intervention à
droite puis à gauche malgré un mauvais résultat
à droite : explantation, phakoexérèse bilaté-
242
rale, réclamation pour baisse de l’acuité visuelle, perte de l’accommodation et photophobie.
Pour hypermétropie (quatre) : mauvais résultats
allégués.
Décollement de rétine (deux) : endophtalmie ;
récidive.
Membrane épirétinienne et œdème maculaire
cystoïde (un) : endophtalmie.
Cure de ptérygion (un) : abcès cornéen.
Glaucome (interventions itératives) : perte progressive de la vision.
Blépharoplastie (deux) : mauvais résultat allégué (ectropion cicatriciel) ; diplopie persistante
(intervention au laser CO2).
Réintervention (énième) pour ptosis : rétraction
palpébrale avec non-occlusion.
Cure d’ectropion : récidive.
Chalazion : blessure oculaire lors de l’anesthésie
locale (lésion du cristallin et de la capsule avec
glaucome lié à l’effraction du produit anesthésique
dans la chambre antérieure).
Électrolyse de rangées ciliaires surnuméraires
(enfant de 7 mois) : non-repousse (contestée) d’une
rangée ciliaire définitive.
Mise en place d’une prothèse oculaire à but
esthétique : sepsis.
Décès lors de l’induction anesthésique (choc
anaphylactique) pour décollement de rétine.
Dommages corporels (quatre) : chute (trois) ;
blessure d’une infirmière au cours d’une intervention.
Que faire en cas de mise en cause ?
Lorsque le praticien a l’impression qu’il pourrait
être mis en cause, il doit tenter de garder le
contact avec le patient, expliquer clairement ce
qui s’est passé et de pas donner l’impression de se
dérober, ce qui pourrait être considéré par le patient comme une marque de culpabilité.
Dès que le praticien est mis en cause, soit directement par le plaignant, soit par une assignation à
comparaître devant un tribunal remise par un huissier, soit par convocation de la CRCI, il doit avertir
immédiatement son assureur.
Celui-ci va étudier le dossier et étudier la stratégie de défense de son assuré.
En cas d’erreur médicale flagrante, la compagnie
d’assurance engage généralement une transaction
amiable avec la victime.
Dans les autres cas, elle refuse généralement de
prendre le sinistre en charge.
Le plaignant peut : soit laisser l’affaire sans
suite, soit prendre un avocat et assigner directement le médecin à comparaître devant un tribunal.
A. Foels, M. Klein
Le tribunal administratif est compétent pour les
litiges survenus dans le cadre de l’hospitalisation
publique.
Les tribunaux de l’ordre judiciaire (civil et pénal)
sont compétents en cas d’actes litigieux commis
dans le cadre de l’exercice privé.
Le plus souvent, s’il estime le motif légitime, le
tribunal rend une ordonnance de référé qui désigne
un expert judiciaire et lui confie la mission de
rechercher si des fautes ont été commises, et
d’évaluer le préjudice en relation directe et certaine avec la faute.
L’expertise est réalisée en présence du demandeur (le patient), du défendeur (le praticien) et de
leurs conseils respectifs (avocat, médecin conseil).
Le praticien mis en cause est généralement assisté du médecin conseil de son assureur et parfois
de son avocat. Nous rappelons qu’au civil l’expertise est toujours contradictoire.
Le juge rend son jugement après avoir pris
connaissance du rapport d’expertise et des dires
des parties, déboutant le demandeur ou condamnant le médecin.
Si la responsabilité civile du médecin est reconnue, elle se traduit par l’indemnisation de la victime par l’assureur du praticien pour réparer le
préjudice subi.
Le jugement peut être contesté par chaque partie devant la Cour d’appel compétente (cette évolution reste relativement rare car il faut des motifs
sérieux).
L’arrêt d’une Cour d’appel peut faire l’objet
d’un pourvoi en cassation (en cas d’erreur de droit
uniquement).
Pour un acte postérieur au 4 septembre 2001, le
patient peut maintenant saisir la CRCI. Il n’a pas
besoin de prendre d’avocat et les frais se limitent à
l’envoi d’une lettre recommandée. Cette procédure nouvelle va probablement devenir prépondérante (cf. infra).
Aspect particulier de l’expertise
en responsabilité médicale :
la perte de chance
L’expertise en responsabilité médicale est une expertise particulière et toujours extrêmement délicate. Elle est particulière car l’expert se trouve
investi d’une mission beaucoup plus large que d’habitude. Elle comporte, outre l’estimation du dommage, la recherche des fautes éventuellement
commises. De plus, et surtout, l’expert doit démontrer clairement l’existence d’un lien de causalité
direct, certain et exclusif entre la faute et le dommage.
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
L’expert est donc chargé d’une véritable mission
d’instruction à charge et à décharge, et de recherche de la preuve. D’où des interrogations précises :
• y a-t-il faute médicale ? Dans l’affirmative, il
convient d’analyser de manière détaillée cette
faute ; rappelons que la faute ne peut pas être
déduite d’éléments hypothétiques ; elle doit
toujours être démontrée ; rappelons aussi que le
praticien a seulement une obligation de moyens
(et non de résultat) en fonction des données de
la science au moment des faits ;
• y a-t-il un dommage ? Dans l’affirmative, il
convient d’analyser de manière détaillée les
éléments du dommage ;
• y a-t-il relation de cause à effet entre la faute et
le dommage ? Il convient de motiver clairement
la réponse donnée.
L’expertise en responsabilité médicale peut être
ordonnée en procédure pénale, civile, administrative ou par une CRCI.
Au pénal, l’expert est tenu de suivre la mission
du juge d’instruction : l’audition du praticien mis
en cause est décidée par le juge. Un médecinconseil peut être entendu par l’expert ; mais la
demande doit en être faite au magistrat instructeur
par l’avocat.
Au civil et en expertise CRCI, il est obligatoire
que les parties soient convoquées en temps utile et
présentes pour respecter le principe du contradictoire.
L’autre aspect particulier de l’expertise en responsabilité professionnelle est celui, très complexe, de la perte de chance.
Une faute technique a pu entraîner un dommage
alors même qu’il n’était pas certain, en l’absence
de faute, qu’un bon résultat aurait été obtenu
compte tenu de l’état antérieur et de l’évolution
prévisible de la maladie. C’est la notion de perte de
chance imputable à une faute, qui traduit l’incertitude dans la réalisation d’espérances précises et
réelles, à savoir, par exemple, une guérison.
Afin d’éviter toute ambiguïté, il y a lieu de
décrire :
• l’état antérieur à l’acte critiqué et son évolution prévisible, évolution naturellement différente selon la pathologie et selon les cas ;
• le ou les diagnostics actuels ;
• le lien de causalité entre une faute et le dommage évalué, lien qui doit être direct, certain,
exclusif.
La perte de chance doit être quantifiée le mieux
possible (la probabilité de guérison se trouve théoriquement entre 1 % et 99 % selon les cas, par
exemple 50 % de chances de récupérer une acuité
visuelle normale). Cette quantification, qui nécessite de se référer aux données statistiques fiables
243
de la littérature établies au moment de l’acte
critiqué, peut présenter de grandes difficultés qu’il
faudra alors exposer. S’il n’existait pas de statistique relative à la situation concernée, il faut le
noter dans le rapport et évaluer la perte de chance
avec des qualificatifs moins précis : perte de
chance faible, moyenne, importante, très importante.
Réglementation
Il n’y avait guère de réglementation opposable
jusqu’à ces dernières années, puis celle-ci s’est
brutalement multipliée.
L’inobservation des règlements peut, même sans
qu’il en résulte de dommage corporel, entraîner
des poursuites ordinales ou même judiciaires.
Concernant le coût d’un acte, la loi du 4 mars
2002 mentionne : (Art. L. 1111-3) : « ... Les professionnels de santé doivent, avant l’exécution d’un
acte, informer le patient de son coût et des conditions de son remboursement par les régimes obligatoires d’assurance maladie ».
Elle reconduit en chirurgie esthétique l’arrêté du
17 octobre 1996 qui avait rendu obligatoire l’établissement d’un devis pour : « toute prestation à
visée esthétique ».
Ce même arrêté mentionne : « il est convenu que
doit être respecté un délai minimum de 15 jours
entre la remise de ce document et l’intervention
éventuelle ».
La loi prévoit des sanction lourdes en cas de
non-respect du devis et du délai minimal pour des
actes à visée esthétique.
Cabinet
L’article 45 du Code de déontologie prévoit que :
« indépendamment du dossier de suivi médical
prévu par la loi, le médecin doit tenir pour chaque
patient une fiche d’observation qui lui est personnelle ».
Il n’y a pas de délai obligatoire de conservation
du dossier (contrairement à l’hôpital public où ces
délais sont soumis à une réglementation). On recommandait autrefois une durée de conservation
d’au moins 30 ans (qui peut être majorée pour les
mineurs de la durée restant à courir jusqu’à leur
majorité) pour être en mesure de faire face à une
éventuelle action en responsabilité professionnelle.
Depuis la loi du 4 mars 2002, on ne sait pas
combien de temps il faut conserver les dossiers car
le délai de prescription est de 10 ans à compter de
la date de consolidation du dommage et non pas de
l’acte ; or la date de consolidation est souvent fixée
de manière assez arbitraire et peut être très tardive.
244
L’article 71 du nouveau Code de déontologie issu
du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 mentionne :
« Le médecin doit disposer, au lieu de son exercice professionnel, d’une installation convenable,
de locaux adéquats pour permettre le respect du
secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature des actes qu’il
pratique ou de la population qu’il prend en charge.
Il doit notamment veiller à la stérilisation et à la
décontamination des dispositifs médicaux qu’il utilise et à l’élimination des déchets médicaux selon
les procédures réglementaires. Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent
compromettre la qualité des soins et des actes
médicaux ou la sécurité des personnes examinées.
Il doit veiller à la compétence des personnes qui lui
apportent leurs concours ».
Dans l’établissement de soins
Le praticien doit rédiger des documents : dossier,
compte rendu opératoire, compte rendu d’hospitalisation, conseils de sortie.
La rédaction du dossier médical obéit à un ensemble de règles et de critères à respecter par
chaque établissement de santé, définis par le décret du Journal officiel du 1er avril 1992. Le contenu
du dossier médical du patient hospitalisé doit
contenir au minimum les différentes rubriques, annotations et pièces suivantes.
À l’admission
• Les éléments administratifs (identification du
malade, etc.).
• Les éléments médicaux, motif d’hospitalisation,
conclusion de l’examen clinique initial, mode de
vie et activité professionnelle du patient, prescription diagnostique ou thérapeutique d’admission.
Durant le séjour
• Fiche d’observation initiale (compte rendu des
examens cliniques et complémentaires).
• Fiche d’anesthésie.
• Prescription thérapeutique individuelle.
• Certificats médicaux délivrés.
• Documents relatifs à la sécurité transfusionnelle
et à la traçabilité.
• Compte rendu opératoire.
• Éléments de suivi paramédicaux (dossiers de
soins infirmiers, feuilles de températures, fiches
de synthèses des soins).
• Fiches de synthèses des spécialités paramédicales (orthoptie, etc.).
A. Foels, M. Klein
À la fin du séjour
• Compte rendu d’hospitalisation avec le diagnostic de sortie.
• Prescriptions de sortie.
• En cas de transfert : le ou les motifs de transfert
ainsi que la destination du patient.
Compte rendu opératoire
Il doit comporter le compte rendu de l’acte chirurgical, la date, l’heure et la durée, la cotation, le
lieu où l’intervention a été réalisée, l’identité de
l’anesthésiste et de l’aide opératoire (s’il y a lieu),
le type d’anesthésie ainsi que les différents temps
opératoires. Pour une bonne traçabilité, il est important que les étiquettes de l’implant et du visqueux soient référencées.
Ce compte rendu, comme toutes les pièces importantes, doit être daté et signé par l’ophtalmologiste responsable.
Compte rendu d’hospitalisation
Il doit comporter l’identité du patient, la date
d’admission et de sortie, le motif d’admission, le
type d’intervention réalisée et pour quelle pathologie, avec quel type d’anesthésie, le diagnostic
final ainsi que les suites opératoires immédiates.
On peut également y inclure des documents concernant le matériel spécifique ou l’implant utilisé, en
collant ou en faisant référence aux étiquettes de
ces matériels.
Il doit être fait mention des traitements postopératoires immédiats, de l’existence ou non de
transfusion de dérivé sanguin, des prélèvements
anatomopathologiques ou des prélèvements microbiologiques.
Ce compte rendu d’hospitalisation, comme toutes les pièces importantes, doit être daté et signé
par l’ophtalmologiste responsable.
Conseils de sortie
Tout particulièrement en unité ambulatoire, il doit
être rédigé un bulletin de sortie comportant le nom
du médecin responsable, la façon de le joindre
immédiatement en cas de nécessité, le type d’intervention, des conseils sur ce qui est habituel de
constater et les symptômes qui devraient amener à
consulter en urgence, ainsi que le temps et le lieu
du rendez-vous postopératoire. Ce document de
conseils est signé à la fois par le médecin responsable et par le patient. Un double est en effet
conservé dans le dossier médical.
Matériovigilance. Pharmacovigilance.
Hémovigilance. Infections nosocomiales
Les lois sur la matériovigilance exercée sur les
dispositifs médicaux des 18 janvier 1994 et 4 février
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
1995 définissent l’obligation de déclarer les incidents ou les risques d’incidents survenus avec des
dispositifs médicaux et complètent la loi sur la
pharmacovigilance. Le non-respect de ces lois expose à des sanctions pénales lourdes.
La loi du 4 mars 2002 (Art. L.1413-14) mentionne : « tout professionnel ou établissement de
santé ayant constaté ou suspecté la survenue d’un
accident médical, d’une affection iatrogène, d’une
infection nosocomiale ou d’un événement indésirable associé à un produit de santé doit en faire la
déclaration à l’autorité administrative compétente ».
Les infections nosocomiales doivent être déclarées au Comité de lutte contre les infections nosocomiales.
Formation médicale continue
et évaluation médicale
L’article 11 du Code de déontologie prévoit que :
« tout médecin doit entretenir et perfectionner ses
connaissances ; il doit prendre toutes dispositions
nécessaires pour participer à des actions de formation continue. Tout médecin participe à l’évaluation des pratiques professionnelles ».
La formation médicale continue a été rendue
obligatoire par le décret du 5 décembre 1996.
L’Art. L.4133-1 de la loi du 4 mars 2002 précise
qu’« elle constitue une obligation pour tout médecin tenu pour exercer sa pratique de s’inscrire à
l’Ordre des médecins... ».
Références médicales opposables
Sur les 60 références médicales opposables, seules
deux concernent l’ophtalmologie.
Référence 33 : laser en ophtalmologie
« 1. Il n’y a pas lieu d’utiliser le laser dans le
traitement de la cataracte primitive.
2. Il n’y a pas lieu de pratiquer une photocoagulation au laser pour des lésions périphériques telles
que dégénérescence pavimenteuse, dégénérescence microkystique, lésions pigmentées diffuses
et drusen périphériques, sauf s’il existe d’autres
lésions dégénératives périphériques justiciables du
laser et sauf si l’autre œil a eu un décollement de
la rétine.
3. Il n’y a pas lieu de traiter au laser les lésions
dégénératives maculaires sans néovaisseaux choroïdiens maculaires, dans le cadre de la dégénérescence maculaire liée à l’âge ».
Référence 34 : implants cristalliniens
« L’implantation d’une lentille intraoculaire en
substitut du cristallin représente actuellement la
technique optique de référence après extraction
de la cataracte chez l’adulte.
245
La cataracte est définie comme suit : opacités
cristalliniennes responsables d’une diminution de
vision significative entraînant une réduction de
l’activité fonctionnelle.
1. Il n’y a pas lieu de mettre en place un implant
cristallinien quand, à l’évidence, l’examen ophtalmologique clinique ou paraclinique préopératoire
montre l’impossibilité d’une récupération fonctionnelle postopératoire en dehors d’exceptionnelles indications à visée esthétique.
2. Il n’y a pas lieu, dans la perspective d’extraire
une cataracte et de placer un implant cristallinien,
de réaliser à titre systématique d’autres examens
complémentaires ophtalmologiques que la biométrie, avec calcul de puissance de l’implant ».
Responsabilité du service public
(juridiction administrative)
En cas d’exercice dans le cadre de l’hospitalisation
publique, c’est l’hôpital et non le praticien salarié
qui est mis en cause pour les fautes réalisés par ce
praticien.
Le droit administratif repose sur le système de la
faute.
Jusqu’en 1990, l’acte médical n’engageait la
responsabilité du service hospitalier qu’en cas de
faute lourde. C’était au patient de faire la preuve
de la faute. Il était classique que des patients ayant
subi des dommages graves ne puissent apporter la
preuve d’une faute et restent sans indemnisation.
Ce droit administratif a beaucoup évolué après
1990 avec des jurisprudences plus favorables à la
victime, même sans faute prouvée, quand un acte
de caractère bénin avait entraîné des conséquences très graves, ou en cas de complication d’un acte
innovant ou d’infection contractée pendant l’hospitalisation.
Ces jurisprudences ont très vite été appliquées
au droit civil et ont inspiré la loi du 4 mars 2002.
Celle-ci étant également applicable aux établissements publics, la différence antérieure au 5 septembre 2001 entre les procédures, selon que les
actes litigieux ont eu lieu dans des établissements
publics ou privés, va s’estomper.
L’indemnisation du dommage n’est jamais prise
en charge par le praticien dans ce cadre. Sa responsabilité est couverte par le service public.
La seule et très rare exception serait l’existence
d’une faute détachable du service. L’avocat du
plaignant peut parfois plaider la faute grave détachable de la fonction et tenter de porter l’affaire
devant la juridiction pénale.
Attention : les litiges résultant d’actes médicaux
réalisés en secteur privé dans un hôpital public
relèvent de la compétence des tribunaux de l’ordre
judiciaire et non du tribunal administratif.
246
A. Foels, M. Klein
Figure 1 L’acceptation de l’offre éteint les possibilités de contentieux administratif et civil.
La victime peut choisir la voix judiciaire à n’importe quel moment du processus (jusqu’à l’acceptation de l’offre) et à la seule
condition d’en informer la commission. En cas de refus de transaction de la part de l’assureur, la victime peut se retourner vers
l’ONIAM qui l’indemnisera et se retournera contre l’assureur. L’assureur peut se retourner contre l’ONIAM devant le juge, s’il estime
que le préjudice n’est pas dû à une faute. L’ONIAM peut se substituer à la victime après l’avoir indemnisée et se retourner contre
l’assureur s’il estime qu’il y a faute. L’« accident médical » est pour l’ONIAM un dommage causé par la réalisation d’un risque anormal
eu égard à l’état de santé de la victime et à son évolution prévisible (loi du 4 mars 2002). IPP : incapacité permanente partielle ; ITT :
incapacité temporaire totale.
Réparation des conséquences
des accidents médicaux
(indemnisation de l’aléa médical)
(Fig. 1)
C’est la grande nouveauté de la loi 2002-303 du
4 mars 2002.12,13,15
Avant le 5 septembre 2001, les patients victimes
d’accidents thérapeutiques n’étaient indemnisés
qu’en cas de faute prouvée à l’origine du dommage.
La nouvelle loi 2002-303 du 4 mars 2002 institue
un office national d’indemnisation des accidents
non fautifs (ONIAM) : « lorsque la responsabilité
d’un professionnel, d’un établissement, ... n’est
pas engagée, un accident médical, une affection
iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit
à la réparation du préjudice du patient au titre de
la solidarité nationale ».
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
Elle concerne les actes réalisés à dater du 5 septembre 2001.
En fait, seules les conséquences d’accidents non
fautifs ayant une gravité particulière sont indemnisées par l’ONIAM (décret du 4 avril 2003). Il faut
que le dommage résultant de l’accident médical,
de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale entraîne :
• une IPP supérieure à 24 % ;
• une durée d’ITT en résultant au moins égale à
6 mois consécutifs ou à 6 mois non consécutifs
sur une période de 12 mois ;
• ou que les séquelles entraînent une inaptitude
définitive à l’activité professionnelle que la victime exerçait avant la survenue de l’accident
médical ;
• ou des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, pour les conditions
d’existence.
La loi prévoit la création dans chaque région
d’une CRCI qui peut être saisie par toute personne
s’estimant victime d’un dommage résultant d’une
activité de prévention, de diagnostic ou de soin.
Ces commissions, présidées par un magistrat,
sont composées de 20 membres représentant les
usagers, les professionnels de santé, les établissements de santé, les assureurs et l’ONIAM.16
Toute personne victime d’un dommage doit être
informée par le médecin de l’établissement sur les
causes et les circonstances de ce dommage au plus
tard dans les 15 jours. Elle peut saisir la commission
par simple lettre recommandée. Elle lui adresse son
dossier médical.
Le dossier est étudié par la commission. Il est
rejeté s’il ne remplit pas les conditions d’accès à la
commission. S’il existe un doute, il est transmis à
un expert qui procède à un examen sur pièces. Si le
dossier remplit les conditions d’accès à la commission, il est alors transmis à un expert qui réalisera
un examen clinique, évaluera les préjudices et
déterminera l’origine des dommages. Cette expertise est gratuite et contradictoire.
La loi précise que l’expert : « peut effectuer
toute investigation et demander aux parties et aux
tiers la communication de tout document sans que
puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel ».
La CRCI a 6 mois à compter de la réception du
rapport pour donner son avis sur les circonstances,
les causes, la nature et l’étendue des dommages
subis, ainsi que sur le régime d’indemnisation applicable.
S’il n’y a pas de faute, l’ONIAM a 4 mois pour
faire une offre d’indemnisation et 1 mois pour
payer si la victime accepte l’offre.
Si la commission conclut à une faute médicale,
l’assureur du responsable doit prendre en charge
247
l’indemnisation dans les mêmes délais. Des pénalités sont prévues s’il n’obtempère pas.
En cas de désaccord avec l’ONIAM, la victime
peut s’adresser au tribunal compétent ; de même
pour l’assureur.
On ne pourra connaître qu’ultérieurement le retentissement de ce système pour l’ophtalmologiste. Il y aura probablement moins de procès devant les tribunaux civils. On peut, en revanche,
craindre que la facilité de saisie des CRCI n’aboutisse à des procédures encore plus nombreuses,
obligeant les praticiens à se déplacer pour justifier
leurs actes devant les commissions et devant les
experts désignés par ces commissions.
Méthodologie de l’expertise
en dommage corporel ophtalmologique
Elle doit bien entendu être confiée à un ophtalmologiste connaissant la pathologie séquellaire et la
médecine légale.
Un éventuel état antérieur doit toujours être
recherché. Un diagnostic précis doit être posé afin
d’apprécier la réalité, l’importance du dommage et
son lien de causalité avec le fait générateur de
responsabilité. L’interrogatoire et les pièces médicales sont déterminants pour l’analyse du lien de
causalité entre le fait générateur et les séquelles
alléguées.
La discussion médico-légale, notamment sur
l’imputabilité, nécessite une bonne connaissance
des mécanismes lésionnels et de la pathologie séquellaire.
L’observation des séquelles nécessite un matériel spécialisé : biomicroscope pour l’examen de la
cornée et du cristallin ; ophtalmoscopes et lentille
de Volk pour l’examen du vitré, de la rétine, de la
macula et de la papille optique ; champ visuel ;
matériel d’étude de l’équilibre oculomoteur, etc.
Seul l’ophtalmologiste peut réaliser un tel examen.
Un exemple est celui de l’imputabilité d’un décollement de rétine : la survenue d’un décollement
de rétine est tout à fait possible en cas de contusion
oculaire. Il faut cependant que la contusion oculaire soit violente, provoquant une compression
antéropostérieure du globe oculaire telle qu’elle
induise un arrachement de la base du vitré, des
déchirures rétiniennes ou un œdème rétinien traumatique. L’imputabilité est alors facile à retenir.
À l’inverse, la survenue d’un décollement de
rétine quelques mois après un traumatisme bénin,
par exemple extraoculaire, sans signes fonctionnels
oculaires immédiats, doit faire douter de l’existence d’un lien de causalité.
248
De même, on ne peut retenir l’imputabilité des
cataractes traumatiques et des glaucomes posttraumatiques qu’après des lésions initiales oculaires sévères consécutives à des traumatismes contusifs importants ou perforants.
Les notions de complexité et d’incertitude restent inséparables du domaine médical et médicolégal, ce qui est source de difficultés trop souvent
méconnues dans les expertises médicales.
Le médecin expert doit recueillir et intégrer
de très nombreuses informations faites d’une part
des données de l’expertise, d’autre part des
connaissances médicales actuelles fort difficiles à
cerner.
L’avis de l’expert doit être motivé objectivement et clairement. Des incertitudes peuvent persister malgré toutes les investigations. Ces incertitudes doivent alors être expliquées et quantifiées
dans la mesure du possible. En l’absence de toutes
les informations nécessaires pour donner une réponse objective à sa mission, l’expert doit conclure
en répercutant cette situation incertaine ; c’est au
juriste d’en tirer les conséquences.17-19
A. Foels, M. Klein
Différents tableaux cliniques
Exemples de pathologie séquellaire
Acuité visuelle
Les baisses d’acuité visuelle se rencontrent dans les
séquelles suivantes :
• cicatrices cornéennes ;
• cataractes traumatiques ;
• séquelles traumatiques choriorétiniennes, notamment de la rétine maculaire ;
• neuropathies optiques post-traumatiques, neuropathie glaucomateuse post-traumatique ;
• atteinte de la pointe du lobe occipital.
La mesure de l’acuité visuelle de loin est habituellement réalisée en France avec l’échelle de
Monoyer, après correction optique. En effet, le
barème indicatif en droit commun précise que :
« l’examen doit être fait après correction, la nécessité du port de lunettes ou de lentilles étant
précisée par l’expert. Elle peut faire l’objet d’une
indemnisation, mais non au titre de l’incapacité ».
La mesure de l’acuité visuelle de près peut être
utile dans des cas exceptionnels où l’acuité visuelle
Attention
Quelques erreurs à ne pas commettre
• Ne pas respecter le principe du contradictoire (au civil, tous les stades de l’expertise doivent être
contradictoires). Cette erreur est de nature à entraîner la nullité de l’expertise.
• Ne pas respecter la mission.
• Confondre l’assignation (qui est rédigée par l’avocat) et la mission mentionnée dans la décision
judiciaire (qui est rédigée par le Tribunal) : l’expert ne doit répondre qu’à cette dernière.
• Déléguer une partie de l’examen à un tiers (l’expert doit accomplir personnellement toute sa
mission).
• Noter comme un fait acquis les déclarations des parties ; celles-ci doivent être étayées par des
documents probants. Exemple : si le certificat médical initial ne signale pas de traumatisme crânien,
l’expert doit écrire : « Monsieur X déclare avoir présenté un traumatisme crânien » et non :
« Monsieur X a présenté un traumatisme crânien ».
• Ne pas respecter le secret professionnel pour des faits ne concernant pas la mission.
• Omettre de décrire l’état antérieur et de mentionner la source d’information.
• Oublier d’exposer les points d’incertitude en l’absence de diagnostic précis.
• Transformer un lien de causalité douteux en certitude et omettre d’exposer les points d’incertitude.
• Entériner simplement l’ITT délivrée par des tiers : l’expert n’est pas lié par les avis des médecins
traitants ou des organismes sociaux.
• Omettre de fixer une date de consolidation quand on évalue une IPP.
• Évaluer une IPP en voulant tenir compte de la profession (l’IPP reflète uniquement le taux de déficit
physiologique qui est indépendant du métier pratiqué ; l’incidence professionnelle est un autre poste
de préjudice qui doit être décrit par l’expert dans un chapitre séparé).
• Séparer les souffrances endurées et les souffrances morales : les souffrances endurées comprennent
les souffrances morales.
• Quantifier le préjudice d’agrément : celui-ci doit être simplement décrit par l’expert et ne concerne
que les activités spécifiques de loisir.
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
de près, habituellement proportionnelle à celle de
loin, s’en sépare (cas des forts moypes, de certaines cataractes, des forts astigmatismes et des nystagmus).
L’examen de la vision de près se fait en France
par le test de Parinaud.
L’acuité visuelle peut également être étudiée
d’une manière totalement objective sans collaboration du patient par le potentiel évoqué visuel.
Cette technique consiste à recueillir des signaux
électriques au cortex visuel après stimulation lumineuse de la rétine, soit par flashes, soit par damiers. Si les flashes lumineux présentés aux yeux du
sujet provoquent l’apparition de signaux électriques occipitaux, c’est que les voies optiques fonctionnent. La technique la plus élaborée du potentiel évoqué visuel utilise une stimulation non plus
par flash, mais en présentant sur un écran de télévision des images alternantes de damiers dont la
taille peut être modifiée. Si en diminuant la taille
des damiers les signaux électriques s’éteignent,
c’est qu’on vient de passer sous le seuil de l’acuité
visuelle maximale. On peut ainsi apprécier approximativement l’acuité visuelle sans coopération du
patient.
Champ visuel
Les atteintes du champ visuel résultant de glaucomes traumatiques, de cicatrices choriorétiniennes,
de neuropathies optiques post-traumatiques, sont
monoculaires du côté atteint. L’existence de scotomes paracentraux après compression thoracique
par ceinture de sécurité ou air bag est très évocatrice de l’atteinte ischémique capillaire rétinienne
du syndrome de Purtscher.20 Les atteintes chiasmatiques entraînent des hémianopsies bitemporales ;
les atteintes des voies optiques rétrochiasmatiques
entraînent des atteintes hémianopsiques.
Le champ visuel utilisé dans la vie courante est le
champ visuel binoculaire, c’est-à-dire l’espace
perçu par les deux yeux immobiles regardant droit
devant. Il en résulte une zone centrale, commune
aux deux yeux, dans laquelle un petit déficit ne
touchant qu’un œil n’est pas perçu, l’autre œil
prenant le relais.
L’estimation du handicap lié aux troubles du
champ visuel est fondée sur le relevé des déficits
campimétriques. Il doit être fait par l’expert ou en
présence de l’expert. L’expérience prouve que la
réalisation du champ visuel est complexe, délicate
et assez souvent source d’erreurs. La technique
d’examen consiste à relever les limites du champ
visuel binoculaire à la coupole de Goldmann avec le
test III/4. Le sujet fixe le fond de la coupole et
signale le niveau d’apparition de la lumière dans
son champ visuel.
249
La surface et la brillance de ce test III/4 sont
suffisantes pour relever des déficits entraînant un
réel handicap visuel. En effet, le déficit doit être
bien caractérisé et entraîner un réel handicap pour
être indemnisable en fonction des critères du barème ; les déficits infracliniques n’entraînent pas
d’IPP.
Le relevé du champ visuel binoculaire est alors
dessiné sur un schéma. La partie centrale du champ
visuel peut être explorée en vision de près à l’aide
d’un schéma représentant un petit grillage (grille
d’Amsler) qui explore une zone de 10 degrés environ au niveau du point de fixation et qui y révèle les
déformations (métamorphopsies) et les lacunes
(scotomes).
La périmétrie moderne automatique informatisée est utilisable sous réserve de ne retenir des
anomalies détectées que les déficits campimétriques entraînant un réel handicap visuel fonctionnel.
Aphakie. Pseudophakie
L’aphakie est la privation de cristallin. Le cristallin
est une lentille intraoculaire, véritable « zoom »
chez le sujet jeune, lui permettant de voir nettement de loin et de près : c’est l’accommodation.
L’aphakie unilatérale entraîne de nombreuses
conséquences :
• une baisse d’acuité visuelle de l’œil aphake en
l’absence de correction optique ;
• l’impossibilité de réaliser cette correction par
verre de lunettes, ce qui entraîne une différence intolérable de la taille des images vues
par l’œil aphake et l’œil sain (aniséiconie) et
l’obligation de le faire par une lentille de
contact ;
• un rétrécissement du champ visuel périphérique ;
• la perte de l’accommodation ;
• un éblouissement ;
• la perte de la vision binoculaire.
Avant l’ère des lentilles de contact, l’aphakie
unilatérale entraînait une très forte incapacité.
L’œil aphake unilatéral n’était plus utilisé dans les
faits. Il n’était cependant pas possible de le considérer comme un œil totalement perdu, du fait de
sa capacité restante : en cas de perte du bon œil
(phake), l’œil aphake supportait la correction par
verres de lunettes et exerçait une fonction visuelle.
L’apparition des lentilles de contact a rendu
possible la réutilisation conjointe de l’œil phake et
de l’œil aphake unilatéral, en réduisant l’aniséiconie à un degré tolérable. Il en résulte une grande
amélioration des capacités fonctionnelles de l’œil
aphake, quoique la correction par lentilles ne corrige pas totalement les conséquences de l’aphakie
(en particulier la perte de l’accommodation).
250
C’est pour tenir compte de ces séquelles que les
barèmes prévoient un taux d’IPP pour aphakie unilatérale, qu’elle soit ou non corrigée par lentille,
de 10 % si l’œil aphake est le moins bon et de 15 %
si l’œil aphake est le meilleur œil, taux auquel il
faut ajouter celui résultant de la baisse d’acuité
visuelle éventuelle après la meilleure correction
optique possible.
Le remplacement du cristallin par un implant
cristallinien (pseudophakie) diminue encore l’importance des séquelles. Cet état entraîne un taux
d’IPP de 5 % selon le barème de droit commun 2001,
taux auquel il faut ajouter celui résultant de la
baisse d’acuité visuelle éventuelle après la
meilleure correction optique possible.
En fait, en l’absence de perte d’acuité visuelle,
les séquelles deviennent relativement minimes
chez le sujet âgé car l’autre œil n’accommode
plus.
Elle est beaucoup plus importante chez le sujet
jeune par perte de l’accommodation. L’œil pseudophake nécessite un verre additif de + 3 pour la
lecture de près alors que l’œil sain n’a pas besoin
de correction. Comme ce verre augmente la taille
de l’image perçue, il en résulte une dégradation de
la vision binoculaire de près. C’est pourquoi le
barème droit commun 2001 prévoit un taux d’IPP de
7 % chez l’enfant pseudophake unilatéral jusqu’à
16 ans.
Larmoiement par sténose des voies lacrymales
Il s’agit d’une complication fréquente des séquelles
des fracas de la paroi interne de l’orbite, par écrasement du canal lacrymonasal, et des arrachements de la partie interne de la paupière inférieure
(morsures de chien) qui entraînent une sténose du
canalicule lacrymal inférieur qui réabsorbe 90 % des
larmes.
Le larmoiement résiduel peut justifier un taux
d’IPP allant jusqu’à 5 % en cas d’atteinte unilatérale et jusqu’à 10 % en cas d’atteinte bilatérale.
Handicap oculomoteur
Anomalies de fusion : hétérophories
et insuffisance de convergence
Les hétérophories et les insuffisances de convergence sont présentes à des degrés variables chez un
tiers de la population générale et chez deux tiers
des traumatisés crâniens.
La preuve de l’imputabilité de l’hétérophorie au
traumatisme crânien doit reposer sur l’existence
des critères d’imputabilité suivants :
• absence d’antécédents spontanés de décompensation hétérophorique ;
• apparition d’une gêne visuelle dans les suites
immédiates de l’accident, suffisamment intense
A. Foels, M. Klein
pour faire réaliser un examen ophtalmologique
ayant amené à constater un net déséquilibre
oculomoteur ;
• réalisation d’une tentative thérapeutique par
rééducation orthoptique bien conduite ;
• persistance d’une insuffisance de convergence
6 mois après l’arrêt de cette tentative thérapeutique.
Vision double (diplopie)
La diplopie se rencontre souvent après traumatisme.
Les fractures de l’orbite s’accompagnent fréquemment d’une atteinte oculomotrice. Un cas
fréquent est l’incarcération du droit inférieur dans
une fracture du plancher orbitaire.
En cas de fracture orbitaire, l’état ne doit pas
être consolidé moins de 6 mois après le traumatisme.
Les paralysie oculomotrices sont très fréquentes
après traumatisme crânien et compliquent 15 % de
ceux-ci.
L’évolution des paralysies oculomotrices posttraumatiques est des plus variables. Elles sont susceptibles de continuer à régresser jusqu’à 18 mois
après le traumatisme. La consolidation ne doit pas
être retenue avant ce délai.
L’examen de la diplopie consiste à étudier le
champ du regard et à déterminer dans quelles
directions le patient voit double.
Il existe des techniques instrumentales permettant de matérialiser la diplopie sur des schémas
(tests de Hess-Weiss et de Lancaster).
Certaines diplopies peuvent être améliorées par
une correction prismatique, ce qui minore l’IPP.
Simulation
Dans certains cas, l’expertise va devoir apporter la
preuve d’une dissimulation, d’une simulation ou
d’une majoration.21,22
La dissimulation, le plus souvent lors d’examen
d’aptitude, est habituellement le fait d’un sujet
amétrope dont l’acuité visuelle sans correction est
inférieure aux normes minimales exigées pour
l’emploi recherché.
L’ophtalmologiste évaluateur doit relever
l’acuité visuelle œil par œil, varier les échelles
d’optotypes, surveiller l’effet de clignement, rechercher au biomicroscope le port de lentille de
contact ou des traces de chirurgie réfractive. Il faut
rechercher l’éventuelle dissimulation de troubles
oculomoteurs en dépistant une éventuelle phorie
par le test à l’écran, évaluer l’acuité stéréoscopique, étudier le sens chromatique, réaliser un
champ visuel. En cas de doute, des examens complémentaires peuvent être réalisés.
Aspects médico-légaux et expertises en ophtalmologie
La simulation est un acte par lequel un sujet
tente d’imiter une situation pathologique pour en
tirer un avantage. Elle porte le plus souvent sur
l’acuité visuelle et le champ visuel.
Elle est évoquée quand l’examen ne montre
aucune anomalie objective alors que l’acuité visuelle est très dégradée ou que le champ visuel
montre des anomalies non systématisées.
La simulation le plus fréquemment rencontrée
est la cécité unilatérale alléguée. Elle est évoquée
devant des milieux parfaitement transparents, des
réflexes photomoteurs et consensuels conservés,
une rétine et une papille normales. Il existe alors de
nombreuses techniques plus ou moins complexes :
elles sont exposées dans l’article d’EMC consacré à
ce sujet.22
La cécité bilatérale simulée est évoquée devant
une histoire clinique peu convaincante et l’absence
de signes objectifs à l’examen.
Dans tous ces cas, il est possible de faire réaliser
un potentiel évoqué visuel sous réserve de surveiller la fixation pendant l’examen,17 de manière
idéale en le couplant à un scanning laser ophtalmoscope.
Les simulations concernant le champ visuel sont
habituellement constituées par une allégation de
rétrécissement concentrique. Le dépistage repose
sur la réalisation d’un relevé à la coupole de Goldmann en comparant le tracé normal centripète au
tracé centrifuge qui doit normalement être plus
large. On peut également utiliser la confusion apportée par les combinaisons entre surface et intensité (IV/3 = III/4).
Les simulations d’anomalies oculomotrices sont
facilement dépistées par le bilan orthoptique et la
réalisation d’un test de Lancaster. Il faut toutefois
connaître le strabisme convergent spasmodique
psychosomatique de l’adulte qui résulte d’un effort
volontaire d’accommodation-convergence du sujet
pendant l’examen.
L’expert doit également dépister la majoration
effectuée pour accentuer volontairement le handicap résultant d’une pathologie réelle.
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