Traitement thrombolytique d’une thrombose de prothèse aortique de type Saint Jude C

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Traitement thrombolytique d’une thrombose
de prothèse aortique de type Saint Jude
● T. Moussu-Kus*, Y. Étienne**, J. Dewilde*, A. Cariou*
OBSERVATION
Madame F., âgée de 78 ans et porteuse d’une valve aortique Saint
Jude n° 21 depuis dix ans, est adressée pour une altération de
l’état général avec oligurie depuis 12 heures.
À l’examen clinique, les bruits du cœur sont réguliers, avec un
souffle systolique éjectionnel important de 4/6 et un souffle diastolique de 3/6 audible sur le manubrium sternal. La présence d’un
souffle diastolique qui n’existait pas lors de la dernière hospitalisation (trois mois auparavant) fait évoquer une désinsertion de la
prothèse. On note aussi des signes d’insuffisance cardiaque globale.
L’électrocardiogramme montre un rythme sinusal avec un bloc
de branche droit complet et un hémibloc antérieur gauche, ces
anomalies étant déjà connues. La radiographie thoracique de
face montre un épanchement interscissural droit, une stase veineuse et un rapport cardiothoracique à 0,60. Le taux de prothrombine est à 44 % avec un INR à 2,19, un taux d’hémoglobine à 11,7 g/100 ml, une vitesse de sédimentation à 12 mm/h,
une créatininémie à 77 µmol/l et des LDH à 807. On constate
une hyponatrémie à 124 mmol/l.
Une échographie doppler cardiaque transthoracique retrouve
un ventricule gauche non dilaté avec une fonction systolique satisfaisante. En mode bidimensionnel, une seule ailette semble
mobile. Le gradient de pression moyen ventricule gauche-aorte
est de 104 mmHg, avec un maximum de 161 mmHg et une vitesse
d’éjection maximale à 6,35 m/s (figure 1).
Il existe une insuffisance aortique importante avec un temps de
demi-pression de 138 m/s et une hypertension artérielle pulmonaire systolique à 53 mmHg. Devant ces images, on retient le diagnostic de thrombose de prothèse aortique. Un traitement thrombolytique est alors réalisé avec 10 mg d’Actilyse® en bolus puis
75 mg sur deux heures (poids 50 kg). Le résultat est immédiatement favorable, sans complications. Le contrôle échographique
transthoracique réalisé le lendemain montre un bon fonctionnement de la prothèse avec un gradient maximal transprothétique
de 69 mmHg et un gradient moyen de 35 mmHg (figure 2), une
surface aortique estimée à 1,09 cm2 et un indice de perméabilité
de 0,32.
* Service de cardiologie, CHI de Cornouailles, hôpital Laennec, Quimper.
** Service de cardiologie, CHU de Brest.
La Lettre du Cardiologue - n° 334/335 - septembre 2000
Figure 1. Gradient transprothétique avant la thrombolyse (gradient
maximal 161 mmHg et gradient moyen 104 mmHg).
Figure 2. Gradient transprothétique le lendemain de la thrombolyse
(gradient maximal 69 mmHg et gradient moyen 35 mmHg).
Le contrôle échographique réalisé trois jours plus tard montre une
augmentation des gradients avec un gradient maximal de 77 mmHg
et un gradient moyen de 45 mmHg, une surface aortique estimée
à 1,01 cm2 et un indice de perméabilité à 0,20. Le jeu valvulaire
est normal, sans thrombus ni anomalie visible sur la prothèse.
Cliniquement, la patiente ne présente plus de signes d’insuffisance cardiaque. À l’auscultation, le souffle diastolique a disparu,
et un souffle systolique éjectionnel de la prothèse 3/6 persiste.
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L’ECG n’a pas été modifié et la radiographie de thorax montre
une cardiomégalie modérée (RCT = 0,59). Un contrôle trois mois
après la thrombolyse confirme l’efficacité du traitement fibrinolytique à distance. On note l’absence de signes d’insuffisance cardiaque.
En échographie, on note un gradient maximal transprothétique
à 54 mmHg et un gradient moyen n’excédant jamais 29 mmHg
(figure 3) après plusieurs mesures et dans diverses incidences.
Figure 3. Gradient transprothétique trois mois après la thrombolyse
(gradient maximal 54 mmHg et gradient moyen 29 mmHg).
CONCLUSION
Cette observation permet de redéfinir les places respectives du
traitement thrombolytique et de la chirurgie devant une thrombose de prothèse mécanique. Il est admis que la chirurgie s’adresse
aux thromboses obstructives, notamment en cas d’insuffisance
cardiaque, d’instabilité hémodynamique et de thrombus volumineux à l’échographie transœsophagienne. En effet, dans ce type
de situation, il existe fréquemment un pannus fibreux associé à
la thrombose fraîche, peu accessible aux traitements fibrinolytiques (Roudaut). Inversement, les thromboses peu ou pas obstructives avec des thrombus de petite taille autorisent un traite-
ment fibrinolytique, surtout si le risque d’une réintervention paraît
important en raison de l’état général du patient : ces thromboses
surviennent souvent dans un contexte d’anticoagulation imparfaite avec des fluctuations de l’INR.
Notre observation est intéressante, car la fibrinolyse par RTPA a
été, au moins en partie, efficace (malgré la persistance d’un gradient transprothétique), et il semble que ce traitement puisse être
proposé en première intention sur ce type de prothèse à double
ailette, où un thrombus de petite taille suffit à bloquer un élément
mobile (Silber et Alex). L’état général et l’âge de notre patiente
justifiaient au moins une tentative de fibrinolyse, en raison du
risque de réintervention. Toutefois, dans une telle situation, ce
type de traitement doit être envisagé à proximité d’un service de
chirurgie cardiaque, afin de pouvoir réintervenir en cas d’échec,
malgré les risques hémorragiques accrus (liés à la fibrinolyse
récente).
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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Annonceurs
BRISTOL-MYERS SQUIBB SANOFI-SYNTHELABO
(Coaprovel,), p. 6-7 ;
CHIESI S.A. (Justor), p. 28 ;
FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, p. 17 ;
NOVARTIS PHARMA S.A. (Tareg), p. 11 ;
30
PARKE DAVIS (Tahor), p. 37 ;
SANOFI SYNTHELABO FRANCE (Mono-Tildiem et
Plavix), p. 47, p. 2 et p. 27 ;
SERVIER (Hyperium et Preterax), p. 23 et p. 48.
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