Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o1 - janvier-février-mars 2003
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année 2002 n’est pas une année marquée par des progrès
techniques chirurgicaux majeurs dans le domaine de la
transplantation cardiaque proprement dite.
En ce qui concerne le diagnostic des rejets aigus ou chroniques,
aucune méthode diagnostique révolutionnaire n’a vu le jour.
Certes, des publications ont prôné telle ou telle méthode bio-
logique, immunologique ou d’imagerie médicale, mais aucune
de ces méthodes n’a radicalement transformé les habitudes. Le
Brain Natriuretic Peptide (BNP) a ainsi fait l’objet de nom-
breux articles. Chez l’insuffisant cardiaque en attente de trans-
plantation, ce marqueur biologique est d’une grande valeur pro-
nostique, et il existe une corrélation entre les taux de BNP et
le degré de dysfonction ventriculaire gauche diastolique ou
systolique et l’élévation de la pression télédiastolique ventri-
culaire. Cependant, chez le transplanté cardiaque, son inter-
prétation reste délicate. Si les taux de BNP augmentent en cas
de rejet aigu, il est très difficile de trouver des valeurs discri-
minatives permettant de définir des seuils qui seraient corrélés
avec les grades histologiques de la NYHA. Ainsi, même pour
nos collègues anglo-saxons qui ne traitent les rejets qu’à par-
tir d’un grade supérieur ou égal à 3A, il est difficile sur ce seul
facteur de discriminer les patients ayant un rejet à traiter ou
non. De même, les taux de BNP ne permettent ni de dépister
précocement un rejet chronique, ni d’en apprécier la gravité, ni
d’établir un pronostic évolutif. Enfin, l’existence d’une insuf-
fisance rénale modifie les taux de BNP.
En fait, l’année 2002 est pour la transplantation cardiaque une
année de progrès par l’éclosion de nouveaux traitements immu-
nosuppresseurs, que ceux-ci aient déjà fait l’objet de publica-
tions cliniques ou qu’ils soient encore au stade d’évaluation,
ou même au stade d’expérimentation. Il est évident que dans
un avenir proche, nous disposerons ainsi d’un panel jamais
égalé d’immunosuppresseurs de mécanismes d’action diffé-
rents et complémentaires.
Nous n’insisterons donc pas sur les nombreuses publications
relatant des traitements immunosuppresseurs déjà bien connus,
afin de pouvoir plus particulièrement détailler ces nouveautés
thérapeutiques existantes ou à venir.
LES DÉRIVÉS DE LA RAPAMYCINE
La place d’honneur revient aux dérivés de la rapamycine (eve-
rolimus, sirolimus), déjà bien connus de nos collègues trans-
planteurs rénaux. Il fallait démontrer en transplantation car-
diaque l’efficacité de ces nouveaux immunosuppresseurs sur la
prévention des rejets aigus et/ou chroniques, prouver leur bonne
tolérance et définir des posologies standard et, si possible, des
concentrations thérapeutiques cibles.
La réponse à cette attente a été donnée au cours du dernier
congrès de Washington, lors de la session d’avril dernier de
l’American Transplant Congress, où Valentine (1), Kovarik
(2,3)et Koegh (4,5)ont rapporté les résultats concernant l’eve-
rolimus ou le sirolimus. L’étude la plus attendue était celle de
Valentine, qui concernait les résultats à 12 mois d’une étude
multicentrique comparant l’efficacité et la tolérance de l’eve-
rolimus comparativement à l’azathioprine de novo en trans-
plantation cardiaque.
Sans rentrer dans le détail de ces publications, qui ont d’ailleurs
été déjà signalées dans notre revue, il faut cependant en rappe-
ler les point essentiels.
Everolimus
Efficacité supérieure de l’everolimus par rapport à l’aza-
thioprine en ce qui concerne la survenue de rejets de grade supé-
rieur ou égal à 3A, de rejets aigus avec expression hémodyna-
mique, la perte de greffons, pour des posologies de 3 ou de
1,5 mg/j.
Incidence des rejets de grade supérieur à 3A plus fortement
diminuée pour la posologie de 3 mg/j. Cette efficacité est signi-
ficativement corrélée à la concentration résiduelle d’everolimus.
Survie comparable dans tous les groupes.
Bonne tolérance avec moins d’infections virales (y compris
à cytomégalovirus), mais davantage d’infections bactériennes
à la posologie de 3 mg/j. Les dyslipidémies plus fréquentes dans
le groupe everolimus ne semblent pas être dépendantes de la
posologie. Une thrombopénie sévère (moins de 75 000), sur-
venant dans moins de 10 % des cas, semble dépendre des taux
résiduels et a été plus fréquemment rencontrée pour les poso-
logies de 3 mg/j. L’augmentation de la créatininémie était plus
fréquente dans le groupe everolimus (p < 0,05).
Concentration souhaitable chez les patients traités conjoin-
tement par Néoral®estimée à 3 ng/ml.
Exposition stable au produit durant un suivi de six mois
quelle que soit la posologie ; il a été établi que la concentration
résiduelle était un bon reflet de l’exposition au produit estimée
par la mesure de l’aire sous la courbe.
*Chirurgie cardiovasculaire, hôpital Européen Georges-Pompidou, 75015 Paris.
Transplantation cardiaque :
les nouveautés de 2002 et les perspectives de 2003
L’
P. Chevalier*
Plate-
forme
Mots-clés
Transplantation cardiaque - Nouveautés -
Rapamycine - Sirolimus - Everolimus.
Les posologies de Néoral®doivent être légèrement diminuées
pour obtenir les mêmes concentrations sériques désirées lorsque
ce produit est associé à l’everolimus.
Sirolimus
Incidence de rejets aigus plus faible chez les patients rece-
vant 3 ou 5 mg/j de sirolimus que chez ceux recevant de l’aza-
thioprine.
Survie comparable dans tous les groupes.
Infections à herpès virus plus fréquentes à la posologie de
5mg/j (28,1 %) par rapport à la posologie de 3 mg/j (14,7 %)
ou à l’azathioprine (16,3 %).
Créatininémie plus élevée dans le groupe sirolimus que dans
le groupe azathioprine.
Moindre incidence et moindre évolutivité de la maladie
vasculaire du greffon estimée par échographie endocoronaire
dans le groupe sirolimus (4 % ; p < 0,001) que dans le groupe
azathioprine (41 %).
À ces publications princeps viennent actuellement s’ajouter
d’autres données.
L’administration conjointe de dérivés de la rapamycine avec
les anticalcineurines permettraient d’espérer une moindre toxi-
cité rénale, une moindre progression d’une insuffisance rénale
déjà présente, voire une baisse de cette insuffisance rénale par
la diminution possible de la posologie et des concentrations
résiduelles des inhibiteurs de la calcineurine (6).
La rapamycine in vivo inhiberait la prolifération de cellules B
provenant de patients ayant un lymphome avec arrêt du cycle
cellulaire en G, augmentation à la propension à l’apoptose des
cellules B via la production d’interleukine 10 par action au
niveau des STAT (signal transducer and activator of trans-
cription) (7). Cette propriété pourrait être intéressante en cas
de mismatch EBV et de primo-infection à EBV dans la straté-
gie immunosuppressive.
La rapamycine pourrait être un inducteur de mort cellulaire
de cellules T activées.
La rapamycine empêcherait la maturation des cellules den-
dritiques en agissant sur l’IL-4 par un phénomène de down regu-
lation sur le récepteur IL-4R.
La rapamycine pourrait altérer la capacité fonctionnelle des
cellules dendritiques en bloquant notamment la production d’in-
terféron gamma dépendante du système JAK2/STAT4.
RÔLE DES CELLULES DENDRITIQUES
DANS L’INITIATION DES RÉPONSES AUTO-IMMUNES
De nombreuses publications ont étudié le rôle des cellules den-
dritiques dans l’initiation des réponses auto-immunes. Ces cel-
lules, dérivées de la moelle, peuvent donner lieu à une réaction
immunitaire par leur capacité à présenter des peptides antigé-
niques. Cette capacité est influencée par l’expression de molé-
cules de costimulation (CD40-CD80-CD86). Tant que ces cel-
lules demeurent immatures, l’expression de ces molécules de
costimulation est faible et les cellules dendritiques pourraient
même induire un effet de tolérance. Leur maturation aboutit à
l’inverse à une réponse immunitaire. Dans cette maturation sont
impliqués les facteurs STAT, le TGFβet l’IL-4.
Les anticorps anti-CD40 ligand (CD154) ont ainsi montré leur
efficacité pour prolonger la survie du greffon en transplanta-
tion cardiaque expérimentale. L’administration d’anti-CD154
et de cellules dendritiques du donneur montrent une très bonne
efficacité contre le rejet chronique (8).
BASILIXIMAB
Cet anticorps monoclonal anti-IL-2R a notamment été bien
étudié (9) chez des patients à haut risque de rejet, car pré-
immunisés avant transplantation. Il a été ainsi démontré que
chez ces patients, même si le taux de rejets de grade supé-
rieur à 3A est un peu plus important, la survie de ces patients
immunisés serait supérieure à celle de la population témoin
de patients transplantés non immunisés et non traités par ces
anticorps.
RITUXIMAB
Cet anticorps anti-CD20 a été signalé notamment pour avoir
été administré avec succès (quelques cas cliniques ) en cas de
survenue de rejet humoral dont on connaît la gravité (10).
AUTRES IMMUNOSUPPRESSEURS
Daclizumab : anticorps monoclonaux humanisés anti-CD25
dont la cible est la chaîne alpha du complexe IL-2R et qui
altèrent la production des cytokines Th1 et Th2 (11).
Anticorps anti-CD45.
Inhibiteurs de la prolifération des cellules T par blocage des
signaux de transduction (JAK3).
FTY 720, qui modifierait entre autres l’expression ou la fonc-
tion de certaines molécules d’adhésion, provoquerait la migra-
tion des lymphocytes du sang périphérique vers les ganglions
lymphoïdes où ils seraient fixés, et bloquerait certains chémo-
récepteurs CCR7 (12).
Ce médicament pourrait être utilisé de façon synergique avec
les inhibiteurs de la calcineurine. L’administration de FTY 720
ne modifierait en rien l’exposition à la ciclosporine et les
concentrations résiduelles de ciclosporine.
Propriété particulière : cet agent serait capable de provoquer
l’apoptose de certaines cellules cancéreuses à forte dose. En
expérimentation animale, l’association ciclosporine-FTY 720,
outre son efficacité sur les rejets aigus, aurait une forte inci-
dence sur la survenue d’un rejet chronique.
Angiopeptine : analogue synthétique de la somatostatine. Ce
produit inhiberait l’hormone de croissance et aurait une action
antilymphoproliférative. Sur une étude randomisée réalisée
chez des transplantés cardiaques, l’utilisation en préopératoire,
peropératoire et postopératoire (en cas de rejet aigu) permet-
trait de réduire considérablement le taux d’incidence de rejet
chronique (27 % versus 44 % à 4 ans) (13).
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Inhibiteurs des récepteurs des chémokines : anti-CCR1, anti-
CCR5, anti-CCR3… (14, 15).
Cette voie est en pleine expansion. Le CCR5 est un récepteur
commun à diverses chémokines (MIP 1α,MIP 1βet RANTES).
Le CCR5 est exprimé dans les cellules dendritiques et les cel-
lules T en cas de rejet aigu. L’inhibition de ces récepteurs pour-
rait prévenir les phénomènes inflammatoires liés au stress de
la chirurgie.
– Le CCR3 est fortement exprimé par les cellules T infiltrant
le greffon en cas de rejet aigu. La persistance de l’expression
de ce récepteur serait un facteur de risque important pour l’ap-
parition de rejet chronique. La rapamycine pourrait bloquer ce
récepteur.
– Les chémokines CCL19 et CCL21 interviendraient de façon
importante dans le recrutement des cellules dendritiques et le
blocage de ces récepteurs permettrait de prolonger la survie des
greffons.
– Le blocage des récepteurs CCR1 et CCR5 de façon expéri-
mentale par MET RANTES inhiberait le développement du
rejet chronique en réduisant l’infiltration par les cellules mono-
nucléées et la réponse proliférative.
Citons encore :
Les anti-LFA1 et anti-ICAM 1.
Le malononitrilamide ou FK 778, molécule dérivée du méta-
bolite actif du léflunomide. Cet immunosuppresseur est étudié
actuellement, surtout en transplantation rénale. Il aurait un effet
de synergie avec les inhibiteurs de la calcineurine, et serait par-
ticulièrement intéressant pour la prévention du rejet chronique.
Il aurait aussi une activité antivirale (16).
L’ISA tx 247, qui est un nouvel inhibiteur de la calcineu-
rine dont la particularité serait d’avoir une excellente tolérance,
en particulier rénale, et qui serait presque trois cents fois plus
puissant que la ciclosporine (17).
On ne peut cependant terminer cette revue sans signaler les pro-
grès thérapeutiques dans d’autres domaines que celui de l’im-
munosuppression et, notamment, dans le traitement d’infec-
tions. L’apparition de nouveaux antifongiques, en particulier,
comme la caspofungine ou le voriconazole, permet enfin d’avoir
une alternative à l’amphotéricine B, et, surtout, de pouvoir asso-
cier plusieurs antifongiques en cas d’infections sévères.
Cette liste non exhaustive ouvre donc de grandes perspectives :
disposer de nouveaux immunosuppresseurs mieux tolérés ou
permettant d’avoir moins d’effets indésirables si l’on peut dimi-
nuer les posologies des inhibiteurs de la calcineurine en cas de
prescription associée (nous n’en sommes pas encore au stade
de les arrêter définitivement), avoir des immunosuppresseurs
actifs sur la prévention du rejet chronique… Attendons donc
2003 !
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