Plate- forme ● P. Chevalier* Transplantation cardiaque : les nouveautés de 2002 et les perspectives de 2003 LES DÉRIVÉS DE LA RAPAMYCINE Mots-clés La place d’honneur revient aux dérivés de la rapamycine (everolimus, sirolimus), déjà bien connus de nos collègues transplanteurs rénaux. Il fallait démontrer en transplantation cardiaque l’efficacité de ces nouveaux immunosuppresseurs sur la prévention des rejets aigus et/ou chroniques, prouver leur bonne tolérance et définir des posologies standard et, si possible, des concentrations thérapeutiques cibles. Tra n s p l a n t at i o n c a rd i a q u e - N o u ve a u t é s R a p a myc i n e - S i ro l i m u s - Eve ro l i m u s. année 2002 n’est pas une année marquée par des progrès techniques chirurgicaux majeurs dans le domaine de la L ’ transplantation cardiaque proprement dite. En ce qui concerne le diagnostic des rejets aigus ou chroniques, aucune méthode diagnostique révolutionnaire n’a vu le jour. Certes, des publications ont prôné telle ou telle méthode biologique, immunologique ou d’imagerie médicale, mais aucune de ces méthodes n’a radicalement transformé les habitudes. Le Brain Natriuretic Peptide (BNP) a ainsi fait l’objet de nombreux articles. Chez l’insuffisant cardiaque en attente de transplantation, ce marqueur biologique est d’une grande valeur pronostique, et il existe une corrélation entre les taux de BNP et le degré de dysfonction ventriculaire gauche diastolique ou systolique et l’élévation de la pression télédiastolique ventriculaire. Cependant, chez le transplanté cardiaque, son interprétation reste délicate. Si les taux de BNP augmentent en cas de rejet aigu, il est très difficile de trouver des valeurs discriminatives permettant de définir des seuils qui seraient corrélés avec les grades histologiques de la NYHA. Ainsi, même pour nos collègues anglo-saxons qui ne traitent les rejets qu’à partir d’un grade supérieur ou égal à 3A, il est difficile sur ce seul facteur de discriminer les patients ayant un rejet à traiter ou non. De même, les taux de BNP ne permettent ni de dépister précocement un rejet chronique, ni d’en apprécier la gravité, ni d’établir un pronostic évolutif. Enfin, l’existence d’une insuffisance rénale modifie les taux de BNP. La réponse à cette attente a été donnée au cours du dernier congrès de Washington, lors de la session d’avril dernier de l’American Transplant Congress, où Valentine (1), Kovarik (2, 3) et Koegh (4, 5) ont rapporté les résultats concernant l’everolimus ou le sirolimus. L’étude la plus attendue était celle de Valentine, qui concernait les résultats à 12 mois d’une étude multicentrique comparant l’efficacité et la tolérance de l’everolimus comparativement à l’azathioprine de novo en transplantation cardiaque. Sans rentrer dans le détail de ces publications, qui ont d’ailleurs été déjà signalées dans notre revue, il faut cependant en rappeler les point essentiels. Everolimus ✓ Efficacité supérieure de l’everolimus par rapport à l’azathioprine en ce qui concerne la survenue de rejets de grade supérieur ou égal à 3A, de rejets aigus avec expression hémodynamique, la perte de greffons, pour des posologies de 3 ou de 1,5 mg/j. ✓ Incidence des rejets de grade supérieur à 3A plus fortement diminuée pour la posologie de 3 mg/j. Cette efficacité est significativement corrélée à la concentration résiduelle d’everolimus. ✓ Survie comparable dans tous les groupes. ✓ Bonne tolérance avec moins d’infections virales (y compris à cytomégalovirus), mais davantage d’infections bactériennes à la posologie de 3 mg/j. Les dyslipidémies plus fréquentes dans le groupe everolimus ne semblent pas être dépendantes de la posologie. Une thrombopénie sévère (moins de 75 000), survenant dans moins de 10 % des cas, semble dépendre des taux résiduels et a été plus fréquemment rencontrée pour les posologies de 3 mg/j. L’augmentation de la créatininémie était plus fréquente dans le groupe everolimus (p < 0,05). ✓ Concentration souhaitable chez les patients traités conjointement par Néoral® estimée à 3 ng/ml. ✓ Exposition stable au produit durant un suivi de six mois quelle que soit la posologie ; il a été établi que la concentration résiduelle était un bon reflet de l’exposition au produit estimée par la mesure de l’aire sous la courbe. En fait, l’année 2002 est pour la transplantation cardiaque une année de progrès par l’éclosion de nouveaux traitements immunosuppresseurs, que ceux-ci aient déjà fait l’objet de publications cliniques ou qu’ils soient encore au stade d’évaluation, ou même au stade d’expérimentation. Il est évident que dans un avenir proche, nous disposerons ainsi d’un panel jamais égalé d’immunosuppresseurs de mécanismes d’action différents et complémentaires. Nous n’insisterons donc pas sur les nombreuses publications relatant des traitements immunosuppresseurs déjà bien connus, afin de pouvoir plus particulièrement détailler ces nouveautés thérapeutiques existantes ou à venir. * Chirurgie cardiovasculaire, hôpital Européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. 13 Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 1 - janvier-février-mars 2003 Plate- forme ✓ Les posologies de Néoral® doivent être légèrement diminuées pour obtenir les mêmes concentrations sériques désirées lorsque ce produit est associé à l’everolimus. même induire un effet de tolérance. Leur maturation aboutit à l’inverse à une réponse immunitaire. Dans cette maturation sont impliqués les facteurs STAT, le TGFβ et l’ IL-4. Les anticorps anti-CD40 ligand (CD154) ont ainsi montré leur efficacité pour prolonger la survie du greffon en transplantation cardiaque expérimentale. L’administration d’anti-CD154 et de cellules dendritiques du donneur montrent une très bonne efficacité contre le rejet chronique (8). Sirolimus ✓ Incidence de rejets aigus plus faible chez les patients recevant 3 ou 5 mg/j de sirolimus que chez ceux recevant de l’azathioprine. ✓ Survie comparable dans tous les groupes. ✓ Infections à herpès virus plus fréquentes à la posologie de 5 mg/j (28,1 %) par rapport à la posologie de 3 mg/j (14,7 %) ou à l’azathioprine (16,3 %). ✓ Créatininémie plus élevée dans le groupe sirolimus que dans le groupe azathioprine. ✓ Moindre incidence et moindre évolutivité de la maladie vasculaire du greffon estimée par échographie endocoronaire dans le groupe sirolimus (4 % ; p < 0,001) que dans le groupe azathioprine (41 %). BASILIXIMAB Cet anticorps monoclonal anti-IL-2R a notamment été bien étudié (9) chez des patients à haut risque de rejet, car préimmunisés avant transplantation. Il a été ainsi démontré que chez ces patients, même si le taux de rejets de grade supérieur à 3A est un peu plus important, la survie de ces patients immunisés serait supérieure à celle de la population témoin de patients transplantés non immunisés et non traités par ces anticorps. À ces publications princeps viennent actuellement s’ajouter d’autres données. ✓ L’administration conjointe de dérivés de la rapamycine avec les anticalcineurines permettraient d’espérer une moindre toxicité rénale, une moindre progression d’une insuffisance rénale déjà présente, voire une baisse de cette insuffisance rénale par la diminution possible de la posologie et des concentrations résiduelles des inhibiteurs de la calcineurine (6). ✓ La rapamycine in vivo inhiberait la prolifération de cellules B provenant de patients ayant un lymphome avec arrêt du cycle cellulaire en G, augmentation à la propension à l’apoptose des cellules B via la production d’interleukine 10 par action au niveau des STAT (signal transducer and activator of transcription) (7). Cette propriété pourrait être intéressante en cas de mismatch EBV et de primo-infection à EBV dans la stratégie immunosuppressive. ✓ La rapamycine pourrait être un inducteur de mort cellulaire de cellules T activées. ✓ La rapamycine empêcherait la maturation des cellules dendritiques en agissant sur l’IL-4 par un phénomène de down regulation sur le récepteur IL-4R. ✓ La rapamycine pourrait altérer la capacité fonctionnelle des cellules dendritiques en bloquant notamment la production d’interféron gamma dépendante du système JAK2/STAT4. RITUXIMAB Cet anticorps anti-CD20 a été signalé notamment pour avoir été administré avec succès (quelques cas cliniques ) en cas de survenue de rejet humoral dont on connaît la gravité (10). AUTRES IMMUNOSUPPRESSEURS ✓ Daclizumab : anticorps monoclonaux humanisés anti-CD25 dont la cible est la chaîne alpha du complexe IL-2R et qui altèrent la production des cytokines Th1 et Th2 (11). ✓ Anticorps anti-CD45. ✓ Inhibiteurs de la prolifération des cellules T par blocage des signaux de transduction (JAK3). ✓ FTY 720, qui modifierait entre autres l’expression ou la fonction de certaines molécules d’adhésion, provoquerait la migration des lymphocytes du sang périphérique vers les ganglions lymphoïdes où ils seraient fixés, et bloquerait certains chémorécepteurs CCR7 (12). Ce médicament pourrait être utilisé de façon synergique avec les inhibiteurs de la calcineurine. L’administration de FTY 720 ne modifierait en rien l’exposition à la ciclosporine et les concentrations résiduelles de ciclosporine. Propriété particulière : cet agent serait capable de provoquer l’apoptose de certaines cellules cancéreuses à forte dose. En expérimentation animale, l’association ciclosporine-FTY 720, outre son efficacité sur les rejets aigus, aurait une forte incidence sur la survenue d’un rejet chronique. ✓ Angiopeptine : analogue synthétique de la somatostatine. Ce produit inhiberait l’hormone de croissance et aurait une action antilymphoproliférative. Sur une étude randomisée réalisée chez des transplantés cardiaques, l’utilisation en préopératoire, peropératoire et postopératoire (en cas de rejet aigu) permettrait de réduire considérablement le taux d’incidence de rejet chronique (27 % versus 44 % à 4 ans) (13). RÔLE DES CELLULES DENDRITIQUES DANS L’INITIATION DES RÉPONSES AUTO-IMMUNES De nombreuses publications ont étudié le rôle des cellules dendritiques dans l’initiation des réponses auto-immunes. Ces cellules, dérivées de la moelle, peuvent donner lieu à une réaction immunitaire par leur capacité à présenter des peptides antigéniques. Cette capacité est influencée par l’expression de molécules de costimulation (CD40-CD80-CD86). Tant que ces cellules demeurent immatures, l’expression de ces molécules de costimulation est faible et les cellules dendritiques pourraient 14 Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 1 - janvier-février-mars 2003 Plate- forme ✓ Inhibiteurs des récepteurs des chémokines : anti-CCR1, antiCCR5, anti-CCR3… (14, 15). – Cette voie est en pleine expansion. Le CCR5 est un récepteur commun à diverses chémokines (MIP 1α, MIP 1β et RANTES). Le CCR5 est exprimé dans les cellules dendritiques et les cellules T en cas de rejet aigu. L’inhibition de ces récepteurs pourrait prévenir les phénomènes inflammatoires liés au stress de la chirurgie. – Le CCR3 est fortement exprimé par les cellules T infiltrant le greffon en cas de rejet aigu. La persistance de l’expression de ce récepteur serait un facteur de risque important pour l’apparition de rejet chronique. La rapamycine pourrait bloquer ce récepteur. – Les chémokines CCL19 et CCL21 interviendraient de façon importante dans le recrutement des cellules dendritiques et le blocage de ces récepteurs permettrait de prolonger la survie des greffons. – Le blocage des récepteurs CCR1 et CCR5 de façon expérimentale par MET RANTES inhiberait le développement du rejet chronique en réduisant l’infiltration par les cellules mononucléées et la réponse proliférative. ● Citons encore : ✓ Les anti-LFA1 et anti-ICAM 1. ✓ Le malononitrilamide ou FK 778, molécule dérivée du métabolite actif du léflunomide. Cet immunosuppresseur est étudié actuellement, surtout en transplantation rénale. Il aurait un effet de synergie avec les inhibiteurs de la calcineurine, et serait particulièrement intéressant pour la prévention du rejet chronique. Il aurait aussi une activité antivirale (16). ✓ L’ISA tx 247, qui est un nouvel inhibiteur de la calcineurine dont la particularité serait d’avoir une excellente tolérance, en particulier rénale, et qui serait presque trois cents fois plus puissant que la ciclosporine (17). R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Valantine H, Eisen H, Dorent R et al. 12-month results of a multicenter study comparing efficacy and safety of everolimus to azathioprine in de novo cardiac transplant recipients. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 434. 2. Kovarik JM, Eisen H, Dorent R et al . Everolimus pharmacokinetics in de novo heart transplant patients : longitudinal exposure and influence on cyclosporine. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 432. 3. Kovarik JM, Eisen H, Dorent R et al. Defining a therapeutic range for everolimus in de novo heart transplantation based on exposure-response relationship. Am J Transplant 2002 ; 2 (suppl. 3) : abstract 433. 4. Keogh AM et al. Sirolimus immunotherapy reduces the rates of cardiac allograft rejection : 6 month results from a phase 2, open-label study. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 430. 5. Keogh AM et al. Progression of graft vessel disease in cardiac allograft recipients is significantly reduced by sirolimus immunotherapy : 6-month results from a phase 2, open label study. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 431. 6. Snell GI, Levvey BJ, Chin W et al. Sirolimus allows renal recovery in lung and heart transplant recipients with chronic renal impairment. J Heart Lung Transplant 2002 ; 21 : 540-1. 7. Nepomuceno RR, Krams SM, Martinez OM. Molecular effects of rapamycin (sirolimus) on EBV-related B cell lymphomas derived from patients with PTLD. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 725. 8. Zhiliang W, Hackstein H, Morelli A et al. Inhibition of chronic rejection by donor dendritic cells in combination with anti-CD40L.mAb. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 171. 9. Gowda S, Rourke T, Eisen H et al . Improved survival in cardiac transplant recipients related with the anti interleukin-2 receptor of Basiliximab. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 440. 10. Arando JM, Scornik JC, Normann SJ et al. Anti-CD20 monoclonal antibody (Rituximab) therapy for acute cardiac humoral rejection. A case report. Transplant 2002 ; 73, 6 : 907-10. 11. Van Besouw NM, Balk MM, Van Vliet M et al. Anti-CD25 therapy impairs donor specific Th1 and Th2 cytokine. Producing peripheral blood cells after clinical heart transplantation. T Proceedings 2002 ; 34 : 2942-3. On ne peut cependant terminer cette revue sans signaler les progrès thérapeutiques dans d’autres domaines que celui de l’immunosuppression et, notamment, dans le traitement d’infections. L’apparition de nouveaux antifongiques, en particulier, comme la caspofungine ou le voriconazole, permet enfin d’avoir une alternative à l’amphotéricine B, et, surtout, de pouvoir associer plusieurs antifongiques en cas d’infections sévères. 12. Koshiba T, Van Damme B, Lu Y et al. Combined use of FTY 720 and cyclo- Cette liste non exhaustive ouvre donc de grandes perspectives : disposer de nouveaux immunosuppresseurs mieux tolérés ou permettant d’avoir moins d’effets indésirables si l’on peut diminuer les posologies des inhibiteurs de la calcineurine en cas de prescription associée (nous n’en sommes pas encore au stade de les arrêter définitivement), avoir des immunosuppresseurs actifs sur la prévention du rejet chronique… Attendons donc ■ 2003 ! 15. Yun JJ, Fischbein MP, Irie Y et al. Blockade of the chemokine receptors CCR1 and CCR5 with MET-RANTES prevents mononuclear cell infiltration and cardiac allograft vasculopathy. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 908. sporine A prevents chronic allograft vasculopathy and the incidence of graft vessel disease after heart transplantation. T. Proceedings 2002 ; 34, 3 : 748-49. 13. Meiser BM, Mueller M, Foegh M et al. Short term angiopeptin therapy. J Heart Lung Transplant 2002 ; 21, 12 : 1264-73. 14. Pierson RN, Schroeder C, Wu GS et al. CCR5 blockade modulates the primate immune response after cardiac allotransplantation. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 324. 16. Vu MD, QI S, Wang X et al. Combination therapy of tacrolimus with malononitrilamides in cell proliferation assays and in rats receiving renal allografts. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 747. 17. Abel MD, Aspeslet LJ, Broski AP et al. Phase 2 trial results of ISA tx 247, a novel calcineurin inhibitor in renal transplantation. Am J Transplant 2002 ; 2, 3 : abstract 959. 15 Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 1 - janvier-février-mars 2003