Les hémochromatoses génétiques atypiques Y. Deugnier*, **, A.M. Jouanolle*, *** Réévaluation diagnostique Il faut s’assurer de la réalité de la surcharge viscérale en fer, puis de l’authenticité du phénotype. Réalité de la surcharge Il convient tout d’abord de vérifier qu’a bien été écartée une anomalie du métabolisme du fer liée à un syndrome inflammatoire, une activation macrophagique, une cytolyse hépatique, musculaire, médullaire ou globulaire rouge, une consommation excessive d’alcool ou encore un syndrome hyperferritinémie-cataracte transmis sur un mode autosomique dominant. Il est ensuite nécessaire de disposer d’une évaluation de la concentration hépatique en fer par l’IRM (3) ou la biopsie hépatique (4), le choix entre ces deux examens dépendant de la qualité de l’appareillage IRM dont on dispose et de l’existence éventuelle de signes d’hépatopathie chronique. Authenticité du phénotype Le degré de saturation de la transferrine aide à répondre à cette question fondamentale. Saturation de la transferrine abaissée Le diagnostic d’hémochromatose génétique n’est pas recevable (5) sauf dans le cas, exceptionnel, où coexiste un syndrome inflammatoire (6). Il peut, en revanche, s’agir ici d’un autre trouble * Centre de dépistage de l’hémochromatose ; ** service des maladies du foie ; *** laboratoire de génétique moléculaire, CHU Pontchaillou, Rennes. inné du métabolisme du fer, l’acéruloplasminémie héréditaire (7), affection de transmission autosomique récessive liée à l’existence de mutations dans le gène de la céruloplasmine. Le diagnostic en est établi devant la présence de signes neurologiques (syndrome extra-pyramidal, troubles des fonctions supérieures…) et l’effondrement du taux sérique de la céruloplasmine. La maladie a été principalement décrite dans des familles japonaises, mais quelques cas ont été signalés en Europe, notamment en France (8). Saturation de la transferrine normale ou peu augmentée Dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’une hépatosidérose dysmétabolique ; exceptionnellement d’une surcharge en fer par mutation sur le gène SLC11A3. – Hépatosidérose dysmétabolique (9). Le diagnostic en est évoqué devant une hyperferritinémie plus élevée que ne le voudrait le caractère modéré (50 à 150 µmol/g ; N < 35) de la charge hépatique en fer, l’aspect mixte de cette surcharge (dépôts hépatocytaires périportaux et surcharge kupfférienne diffuse) et l’existence d’un syndrome polymétabolique (HTA, surpoids androïde, dyslipidémie, diabète…) associé, dans plus de la moitié des cas, à une stéatohépatite. – Surcharge en fer par mutation sur le gène SLC11A3 (OMIM 606069). Ce gène code pour la ferroportine 1, dont la fonction est d’assurer la sortie cellulaire du fer, notamment au niveau de l’entérocyte et des macrophages. La maladie est transmise sur un mode autosomique dominant et ne réalise pas un phénotype Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 4, mai 2003 L L’hémochromatose génétique peut être définie comme une affection de transmission autosomique récessive caractérisée par une hyperabsorption digestive de fer, une élévation de la saturation de la transferrine et la constitution progressive d’une surcharge parenchymateuse en fer touchant particulièrement le foie (cirrhose), le pancréas (diabète) et le cœur (cardiomyopathie) (1). Dans près de la moitié des cas, elle est également responsable d’une symptomatologie articulaire, dont la survenue n’est pas corrélée à l’importance de la surcharge mais est, paradoxalement, la marque clinique la plus spécifique de la maladie. Ainsi strictement défini, le phénotype de l’hémochromatose génétique est, dans la grande majorité des cas, associé à une homozygotie pour la mutation C282Y du gène HFE 1 (OMIM 235200) (2). Un certain nombre de sujets classés phénotypiquement comme hémochromatosiques se révèlent toutefois non homozygotes pour cette mutation. Pour assurer le diagnostic et la prise en charge de tels patients, il convient de réévaluer les éléments du diagnostic de façon critique et sans tenir compte du génotype HFE1, avant d’évoquer la possibilité d’une hémochromatose génétique atypique. 105 Question d’actualité Question d’actualité classique d’hémochromatose génétique car : la saturation de la transferrine est normale ou peu élevée en dépit d’une hyperferritinémie volontiers majeure (>1000ng/ml) ; la surcharge prédomine nettement dans les cellules macrophagiques ; et les phlébotomies sont souvent mal tolérées. La dénomination d’hémochromatose génétique HFE 4 qui lui a été attribuée mérite donc vraisemblablement d’être revue. Plusieurs mutations (Asn144His, Ala77Asp, Val162del) ont été décrites dans des familles italiennes (10), néerlandaises (11) et anglaises (12). Saturation de la transferrine nettement augmentée Il est tout d’abord indispensable de vérifier la réalité de l’augmentation de la saturation de la transferrine, car cet examen donne facilement lieu à des faux positifs liés, le plus souvent, à une hémolyse partielle du prélèvement. Si la saturation est réellement élevée, deux diagnostics sont à considérer avant d’évoquer une hémochromatose génétique atypique : – une surcharge secondaire à l’état de cirrhose. L’élévation de la saturation de la transferrine est principalement liée ici à l’abaissement de la transferrinémie, elle-même secondaire à l’insuffisance hépatocellulaire. Le diagnostic différentiel avec la cirrhose hémochromatosique repose sur : l’identification d’une cause de maladie chronique du foie autre que la surcharge en fer ; l’ancienneté et/ou la sévérité de la cirrhose ; l’hétérogénéité de répartition du fer d’un nodule à l’autre ; et l’absence de dépôts sidériques dans le tissu fibreux et les parois vasculaires et biliaires (13) ; – une dysérythropoïèse. Toute dysérythropoïèse compensée est susceptible d’induire, par le biais d’une hyperabsorption réactionnelle de fer, un tableau mimant une hémochromatose génétique. Le diagnostic peut être évoqué devant une baisse du taux d’hémoglobine associée à une macrocytose. Il est posé par l’examen du médulogramme. Caractérisation d’une hémochromatose génétique atypique À ce stade, la démarche diagnostique est d’autant plus facile et plus productive que l’on dispose d’un bilan martial (fer sérique, saturation de la transferrine et ferritinémie) pour les apparentés au premier degré. Si l’étude familiale permet l’identification d’un (ou de plusieurs) autre(s) cas de surcharge en fer, la preuve est quasiment faite du caractère génétique de cette surcharge. Une étude de génétique moléculaire peut alors être entreprise avec de bonnes chances de succès : – devant une transmission s’égrègeant avec le chromosome 6, le laboratoire oriente d’emblée l’analyse moléculaire vers la recherche d’une mutation du gène HFE 1. Cette recherche postule le séquençage du gène et peut aboutir, comme cela a été le cas chez quelques sujets italiens (14) ou anglais (15), à la description d’une mutation rare qui, associée à une hétérozygotie C282Y, est susceptible d’induire un phénotype complet d’hémochromatose génétique ; – devant une transmission ne s’égrègeant avec le chromosome 6, le laboratoire s’oriente vers une hémochromatose génétique non HFE1 générale. • si les patients sont jeunes et présentent un tableau phénotypique sévère dominé par des atteintes cardiaque, hépatique et gonadique, la recherche d’une hémochromatose juvénile de transmission autosomique récessive est d’abord entreprise. Deux types en sont actuellement décrits : l’hémochromatose juvénile HFE 2 (OMIM 602390) liée à la mutation d’un gène situé en 1q21 mais non encore identifié (16). C’est au Québec qu’elle est la moins rare (17) ; – il vient d’en être décrit un second type correspondant à la mutation du gène de l’human antimicrobial peptide (HAMP, OMIM 606464) ou hep- Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 4, mai 2003 cidine, situé en 19q13. Ce peptide d’origine hépatique est vraisemblablement impliqué dans la régulation de l’absorption digestive du fer (18, 19). Deux mutations ont été décrites au sein de familles d’origine grecque (20). • si les sujets atteints sont des adultes, l’étude débute plutôt par la recherche d’une hémochromatose HFE 3 liée à la présence de mutations dans le gène codant pour le récepteur de la transferrine 2 situé en 7q22 (OMIM 604250) et également transmise selon un mode autosomique récessif. À ce jour, plusieurs mutations ont été décrites dans des familles italiennes (21-23) et portugaises (24). Si l’étude familiale n’aboutit pas à l’identification d’autres cas de surcharge en fer, les résultats de l’étude de génétique moléculaire sont plus aléatoires. – si le phénotype est peu exprimé (ferritinémie < 1 000 ng/ml – CHF < 150 ng/ml – absence de complications viscérales), le diagnostic d’hémochromatose génétique HFE 1 est souvent proposé lorsque le sujet est hétérozygote pour C282Y et pour une mutation mineure telle H63D ou S65C. L’expression de ces hétérozygoties composites est en règle générale sous-tendue par un syndrome polymétabolique ou un alcoolisme chronique (5). – si le phénotype est clairement exprimé, il peut s’agir : • d’une hémochromatose HFE 1 par homozygotie pour une mutation exceptionnelle, comme cela a été rapporté chez un sujet d’origine vietnamienne (25) ; • d’une hémochromatose HFE 2, HFE 3…, voire HFEx à découvrir ; • d’une situation plus complexe, comme la coexistence d’une hétérozygotie composite et d’une mutation sur le gène de la ferroportine 1. Postuler qu’une surcharge en fer est une hémochromatose génétique atypique est lourd de conséquences car ce dia- 106 Question d’actualité Question d’actualité gnostic perturbe le patient et sa famille et induit un important travail de génétique moléculaire qui n’est réalisable que dans de rares laboratoires. Avant de soulever une telle éventualité, il faut donc réexaminer scrupuleusement les arguments du phénotype sur la base d’un contrôle de la saturation de la transferrine ainsi que d’une IRM ou, mieux, d’une biopsie hépatique et, lorsque cela est possible, disposer d’un bilan martial pour les apparentés au premier degré. Références 1. Deugnier Y, Brissot P. Hémochromatoses génétiques et autres surcharges hépatiques en fer. In : Benhamou J, editor. Oxford Textbook of Clinical Hepatology. Oxford : Oxford Academic Press ; 2003 (sous presse). 2. Feder JN, Gnirke A, Thomas W et al. A novel MHC class I-like gene is mutated in patients with hereditary haemochromatosis. 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