Le clin d’œil et la loupe E. Bacon INSERM, Strasbourg Prévalence de l’autisme dans une population américaine urbaine Atlanta (États-Unis) L e nombre des études épidémiologiques concernant l’autisme a augmenté ces dernières années, avec pour résultat le développement d’une certaine controverse concernant une possible augmentation de la prévalence de cette pathologie. Ainsi, les taux de prévalence publiés avant 1985 faisaient état de 4 à 5 cas pour 10 000 enfants en ce qui concerne l’autisme dans son spectre le plus large, et de 2 pour 10 000 en ce qui concerne la condition plus étroite de l’autisme classique. Une étude anglaise publiée en 2001 avançait le chiffre de 62 pour 10 000 pour le spectre large de l’autisme. Seulement quatre des études menées à ce jour ont été réalisées aux ÉtatsUnis. La dernière en date, menée en 1998 dans la région du New Jersey et publiée en 2001, faisait état de 67 cas pour 10 000 pour le spectre large de l’autisme, et de 40 pour 10 000 pour le trouble autistique, chez des enfants de 3 à 10 ans. Les auteurs de l’article paru début 2003 ont évalué la prévalence de l’autisme dans la région urbaine d’Atlanta en 1996. Ils l’ont déterminée grâce à un programme de surveillance multiple des problèmes développementaux de la population (Yeargin-Allsopp M, Rice C, Karapurkar T et al. Prevalence of autism in a US metropolitan area. JAMA 2003 ; 289 : 49-55). Les auteurs se sont intéressés aux enfants âgés de 3 à 10 ans, originaires de cinq comtés de la zone métropolitaine d’Atlanta. Les cas ont été identifiés à partir de sources multiples, médicales et éducatives, et les diagnostics établis par des experts selon le DSM IV. La prévalence de l’autisme a été calculée en fonction de facteurs démographiques, des niveaux de fonctionnement cognitif et d’éducation, des diagnostics antérieurs d’autisme et des sources d’identification. Au final, un total de 987 enfants présentaient des comportements en accord avec les critères soit de l’autisme, soit d’un trouble généralisé du développement sans autre spécification, ou d’un syndrome d’Asperger, tels que définis par le DSM IV. La prévalence de l’autisme était de 34 cas pour 10 000, avec un ratio garçon-fille de quatre pour un. Globalement, la prévalence était parfaitement identique chez les enfants blancs ou noirs. Parmi les 880 enfants pour lesquels on disposait du QI et de tests cognitifs, 68 % présentaient des déficits cognitifs. En parallèle avec une augmentation de la sévérité du déficit cognitif, de léger à profond, le rapport garçon-fille diminuait, pour passer de 4,4 à 1,3. Quarante pour cent des enfants autistes ont été identifiés à l’aide des seules sources éducatives. L’école constituait la source d’informations la plus importante pour les enfants noirs, les enfants de mères très jeunes et les enfants de mères à faible niveau d’éducation. Les taux d’autisme trouvés dans cette étude pour une population américaine urbaine sont plus élevés que ceux obtenus dans les études précédemment menées aux États-Unis mais sont en accord avec ceux observés dans les études plus récentes réalisées en Europe. Mots clés. Autisme – Prévalence. Est-il possible de trouver un cadre conceptuel reliant la biologie, la phénoménologie et la pharmacologie dans la schizophrénie ? Toronto (Canada) L e Pr. S. Kapur, bien connu pour ses travaux sur la schizophrénie, s’est lancé dans une entreprise délicate. Il est parti du postulat selon lequel les patients psychotiques recherchent de l’aide à cause d’expériences personnelles difficiles : perceptions altérées, émotions perturbées, souffrances diverses, etc. Les cliniciens utilisant le DSM IV caractérisent ces patients sur la base de la phénoménologie. Ainsi, au niveau clinique, les interactions médecin-patient procèdent essentiellement d’un niveau de description et d’analyse de l’“esprit” (mind) ou du “comportement”. Par ailleurs, les théories dominantes actuelles concernant la psychose et la schizophrénie sont principalement neurobiologiques, et la base de l’intervention médicale est de type pharmacologique. De ce fait, la théorisation et la thérapeutique procèdent largement à un niveau “cerveau” de description et d’analyse. Si un patient posait à son médecin la question “Comment mon déséquilibre biochimique provoque-t-il mes hallucinations ?”, le médecin ne disposerait pas de référence simple pour répondre. S. Kapur a proposé un cadre qui pourrait procurer une base pour homogénéiser l’expérience du patient, la présentation clinique, les théories neurologiques et l’intervention pharmacologique (Kapur S. Psychosis as a state of aberrant salience : a framework linking biology, phenomenology, 36 Revue de presse Revue de presse and pharmacology in schizophrenia. Am J Psychiatry 2003 ; 160 : 13-23). Il a analysé attentivement dans la littérature les idées actuelles concernant la neurobiologie et la phénoménologie de la psychose et de la schizophrénie, le rôle de la dopamine et le mécanisme d’action des antipsychotiques. Il en ressort que l’un des rôles centraux de la dopamine est de médier la “saillance” des événements de l’environnement et des représentations internes chez le patient schizophrène. Un état de dysrégulation hyperdopaminergique mène, à un niveau “cerveau” de description et d’analyse, à une attribution aberrante de saillance aux éléments de l’expérience individuelle, qui est, elle, ressentie à un niveau “esprit”. Le délire serait un effort cognitif du patient pour faire sens de ces expériences saillantes aberrantes, cependant que les hallucinations refléteraient une expérience directe de la saillance aberrante des représentations internes. Les antipsychotiques “refroidissent” la saillance de ces expériences anormales et permettent ainsi la résolution des symptômes. Les antipsychotiques ne gomment pas les symptômes mais fournissent le support pour un processus de résolution psychologique. Toutefois, si le traitement antipsychotique est arrêté, les idées en dormance et les expériences sont à nouveau investies par une saillance aberrante, et la rechute survient. Tel est le cadre proposé par S. Kapur, qui décrit également les limitations de son hypothèse et comment cette hypothèse est complémentaire d’autres conceptions de la psychose. Mots clés. Schizophrénie – Cerveau et esprit – Phénoménologie – Pharmacologie – Dopamine. Vendredis 13, superstition, sexe et accidents de la circulation Oulu (Finlande) L es croyances superstitieuses des individus sont susceptibles d’interférer avec leur comportement au quotidien d’une manière qui peut porter préjudice à leur fonctionnement psychique et psychomoteur. Cela est particulièrement vrai dans des situations qui demandent une certaine concentration. Étant donné que de telles situations sont typiquement rencontrées lors de la conduite automobile, on pourrait s’attendre à une augmentation des accidents de la circulation les vendredis 13. Suite à une première étude de faible envergure menée en Angleterre, un chercheur finlandais s’est attelé à vérifier cette hypothèse avec un échantillonnage national (Näyhä S. Traffic death and superstition on Friday the 13th. Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 2110-1). L’auteur a examiné les décès dans des accidents de la circulation, pour chaque jour de la semaine, et ce de 1971 à 1997. Il a pris en compte le sexe et l’âge des victimes, ainsi que la température extérieure (pour éliminer les risques de décès pour cause de verglas !). L’auteur fait la constatation étonnante que le risque de décéder un vendredi 13 était multiplié par 1,02 chez les hommes et par 1,63 chez les femmes. Il semblerait que 38 % des décès par accident de la circulation impliquant des femmes ce jour-là soient spécifiquement dus au vendredi 13 lui-même ! Le vendredi 13 est donc susceptible d’être un jour dangereux, notamment pour les femmes, et cela serait largement dû à la superstition. Cette constatation a Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 2, mars 2003 paru suffisamment intéressante à un des plus grands journaux internationaux de psychiatrie pour justifier sa publication dans ses colonnes. Toutefois, les chiffres sont faibles, et les calculs théoriques révèlent qu’ils ne concernent qu’un décès pour 5 millions de personnes... Mots clés. Superstition – Accidents de la circulation – Sexe. Fonctionnement des récepteurs aux minéralocorticoïdes dans la dépression grave Ann Arbor (États-Unis) L a régulation par feed-back négatif de l’axe hypothalamo-pituitarosurrénalien a lieu par un mécanisme faisant intervenir deux récepteurs aux corticoïdes, les récepteurs des minéralocorticoïdes (MR) et les récepteurs des glucocorticoïdes (GR). L’affinité de ces récepteurs pour le cortisol ainsi que leur distribution varient selon les zones du cerveau. Une résistance au feed-back négatif par les GR chez des patients souffrant de dépression grave a été établie par de nombreux auteurs, qui ont utilisé la dexaméthasone. Cependant, la dexaméthasone n’évalue qu’un type de corticoïdes, les GR. Young et ses collaborateurs ont évalué le fonctionnement des récepteurs aux MR en utilisant un antagoniste des MR : la spironolactone (Young E, Lopez J, Murphy-Weinberg V et al. Mineralocorticoid receptor function in major depression. Arch Gen Psychiatry 2003 ; 60 : 24-8). Parce que la dépression grave est accompagnée par une sécrétion accrue de GR et une insensibilité aux feed-back des 37 Revue de presse Revue de presse GR, et parce que les GR sont capables de réguler à la baisse les GR mais aussi les MR, les auteurs suspectaient une diminution de l’activité MR dans la dépression grave. Pour tester cette hypothèse, ils ont donc administré de la spironolactone à des patients et à des sujets sains contrôle et ont mesuré la sécrétion réactionnelle de corticotropine et de cortisol. Les essais ont été réalisés le matin, qui est le moment du pic d’activité de l’axe hypothalamopituitaro-surrénalien. Le traitement des patients avait été interrompu pour l’étude et les sujets contrôle ne prenaient aucune médication. Les résultats obtenus étaient contraires aux attentes des auteurs : le traitement par la spironolactone entraînait une augmentation significative de sécrétion de cortisol dans les deux groupes. Les patients déprimés présentaient des taux de sécrétion de cortisol plus élevés que les témoins. En outre, les patients avaient un profil d’augmentation du taux de sécrétion de cortisol qui était différent après l’administration de spironolactone. Enfin, un effet significatif de la spironolactone sur le taux de sécrétion de corticotropine était relevé chez les patients, mais pas chez les sujets contrôle. En dépit d’un taux de base de cortisol élevé, les patients souffrant de dépression sévère présentaient une activité fonctionnelle élevée du système MR. En accord avec la diminution connue de sensibilité aux agonistes GR, ces données suggèrent l’existence chez les patients d’un déséquilibre du rapport MR/GR. On sait, par ailleurs, que ce rapport entre les GR et les MR affecte les systèmes sérotoninergiques cérébraux. Il pourrait donc jouer un rôle étiologique dans les modifications des récepteurs à la sérotonine observées chez les patients présentant une dépression grave. Mots clés. Dépression grave – Cortisol – Minéralocorticoïdes – Glucocorticoïdes – Sérotonine. Prédictibilité de la schizophrénie : un suivi sur 12 mois d’un groupe à haut risque Victoria (Australie) L a schizophrénie et les autres troubles psychotiques sont habituellement caractérisés par une phase prépsychotique, ou prodromique, de la maladie. Au cours de cette phase, on observe en particulier des symptômes non spécifiques, comme une humeur dépressive, de l’anxiété et des symptômes psychiatriques atténués. De subtiles perturbations subjectives de la cognition, des perceptions et du fonctionnement végétatif sont également souvent rapportées. Le prodrome peut être plus ou moins long et durer de un à cinq ans. L’intervention médicale au cours de la phase prodromique de la schizophrénie et des psychoses apparentées pourrait permettre d’atténuer, de retarder, voire même de prévenir l’installation de la psychose chez certains individus. Toutefois, le prodrome est difficile à reconnaître prospectivement, du fait de ses symptômes non spécifiques. Deux équipes australiennes se sont associées pour le recrutement et le suivi de sujets à haut risque de psychose. Leur intention était d’examiner la puissance prédictive pour l’installation de la psychose d’un certain nombre de variables d’états mentaux et de pathologie (Yung A, Phillips L, Yuen H et al. Psychosis prediction : 12-month follow-up of a high-risk (“prodromal”) group. Schizophrenia Research 2003 ; 60 : 21-32). Des individus symptomatiques qui présentaient soit une histoire familiale de trouble psychotique, soit un trouble de personnalité schizotypique, soit des symptômes psychotiques à bas niveau, ou des épisodes psychotiques brefs, ont été suivis tous les mois pendant 12 mois ou jusqu’à l’installation d’une psychose proprement dite. Parmi les 49 sujets étudiés, 20 (soit 41 %) ont développé un trouble psychotique dans les 12 mois. Un certain nombre de prédicteurs de psychose de significativité élevée ont été identifiés : une durée longue des syndromes prodromiques, des symptômes psychiatriques de faible intensité, la dépression et la désorganisation. La combinaison de certaines variables prédictives permettait de prédire la survenue d’une psychose avec une bonne sensibilité (86 %) et une spécificité de 91 %. Il est donc possible d’identifier et de suivre des sujets à haut risque de développer une psychose dans un délai relativement court. Ces observations renforcent l’importance de la mise en place de stratégies de prévention ciblant la phase prodromique de tels individus. Mots clés. Psychoses – Prodrome – Prédiction – Prévention. Le thème de la revue de presse du mois d’avril sera : Pères Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 2, mars 2003 38 Revue de presse Revue de presse