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Ce sera à l’époque (et encore maintenant !)
une priorité que de lever les incertitudes
entourant la contamination par le VHC,
tant chez les usagers que chez les acteurs de
terrain. Il faut attirer l’attention sur les
risques de contamination par tout le matériel
d’injection (pas seulement les seringues
mais aussi la cuillère, les cotons et, dans un
autre registre, l’eau, le citron) ainsi que les
pailles de sniffing, le tatouage, et les pos-
sibles recontaminations (risque encore
souvent ignoré).
De 1996 à nos jours : une
maladie grave avec traitement
efficace mais dur à vivre
L’évolution porte sur la représentation de la
maladie qui, avec l’apparition progressive
des premiers cas d’hépatites chroniques, de
cirrhoses, de cancers, devient soudaine-
ment très inquiétante, d’autant que ces pro-
blèmes touchent des usagers en train de se
stabiliser. Les nouvelles vont vite dans le
groupe identitaire (“Je suis tox, je suis
méthadonien, je suis ex.”) qui découvre la
chronicité et ces symptômes, les décès... Le
virage est important, le vécu de la maladie
change, les traitements sont questionnés.
Durant cette période, la maladie liée au
VHC est passée successivement du “statut”
de maladie passant inaperçue, sans consé-
quence, puis comme pouvant être grave tar-
divement, puis grave et sans traitement,
grave avec traitement inefficace, enfin
grave avec traitement efficace mais épui-
sant, dur à vivre (on entend “j’ai fait le
traitement” comme “j’ai fait Fleury
Mérogis !”)
Au cours de ces évolutions, apparaît un
vocabulaire qu’il faut également appréhen-
der, comprendre, à travers moult fantasmes
et peurs.
La PBH (ponction biopsie hépatique),
voilà du vocabulaire entre les mots et les
maux ! Intensément fantasmée, elle a une
représentation particulièrement théâtrali-
sée, allant de l’intrusion faramineuse dans
le corps à un geste totalement indolore ! Le
groupe est dans l’attente qu’un de ses
membres vive l’examen et le lui raconte.
L’ARN viral (la PCR) est un terme souvent
mal compris, surtout s’il existe une certaine
anxiété dans l’attente des résultats, d’autant
qu’il ne faut pas se calquer sur le VIH
(séropositivité, charge virale). Et que les
explications prêtent à confusion ! Qu’est ce
qu’un bilan positif ? Une sérologie négative ?
Une sérologie positive avec un ARN viral
négatif ? Sûrement pas une sérologie posi-
tive avec un ARN viral positif ? Un bilan
positif, c’est bien ou c’est mal ? Et la conta-
giosité, est-elle marquée par la sérologie
positive ou par l’ARN viral positif ? Et
pour la ou le conjoint(e), peut-on accepter :
“On couche ensemble, on peut bien sniffer
ensemble (non !) ?”
Les moments sensibles
de la maladie
Par rapport à l’énorme bibliographie sur le
VIH, il y a bien peu de travaux sur le VHC,
sauf de façon très récente, et plutôt sur les
complications psychiatriques du traite-
ment. Nous distinguerons les moments sen-
sibles et le vécu de la maladie proprement
dits.
Les moments sensibles décrits avec le VIH,
moments douloureux, déstabilisants psy-
chiquement, ne sont guère retrouvés dans le
cadre du VHC.
Ainsi la demande de test VIH et l’attente
du résultat provoquent une forte anxiété ;
cela n’est pas retrouvé pour le VHC.
Clairement, l’usager qui déboule en
consultation et dit : “J’ai fait une connerie,
je veux un test” pense bien plus au VIH
qu’au VHC. De plus, chez les anciens usa-
gers, pendant longtemps il y avait peu de
demande de test (ils pensaient l’avoir
même s’ils n’avaient pas eu de bilan).
De même, les réactions à l’annonce du
diagnostic VIH, maladie au pronostic
incertain et fortement stigmatisée, com-
prennent les classiques phases successives
décrites dans les maladies sévères par
Kubler-Ross : phase de choc, de déni, de
transition (avec culpabilité, colère, agressi-
vité, repli sur soi, refus d’aide), d’accepta-
tion, voire de préparation à la mort. Pour le
VHC, le choc émotionnel est rare. On
assiste cependant à un retour sur le passé.
Ainsi, pour le transfusé, il y a retour sur
l’incident, l’accident responsable avec un
sentiment d’injustice, un moment repéré
pendant lequel la vie bascule. Chez l’ex-
usager, le sentiment d’injustice existe éga-
lement, l’impression de “payer la note” au
moment où il est en train de s’en sortir.
Quant à l’usager actif, il présente peu de
réaction en cas d’annonce de diagnostic.
En revanche, d’autres éléments sont à sou-
ligner, d’autres moments sensibles existent
avec le VHC. La PBH en est un, nous
l’avons déjà évoquée.
Les bilans sont aussi des moments difficiles,
chez certains patients peu “piquables”, d’au-
tant que les prélèvements sont fréquents et
nécessaires aux suivis et ajustements théra-
peutiques. Il faut savoir s’entourer de spécia-
listes permettant de faciliter les choses (anes-
thésiste, etc.) sinon gare aux conduites d’évi-
tement et aux rendez- vous manqués.
L’entrée en traitement objective la maladie,
pour soi et pour l’entourage, ce qui était éga-
lement décrit avec la VIH (dans ce cas, l’ob-
jectivisation pouvant s’accompagner d’un
vécu de stigmatisation). Cela est d’autant plus
vrai que le patient présente peu de symptômes
de sa pathologie et qu’il va en avoir beaucoup
avec le traitement ! Il est, là aussi, capital de
préparer la venue de ces symptômes pour
mieux les accompagner et éviter les arrêts de
traitement. Il est classique de s’inquiéter de
relancer une perte de contrôle de l’injectable à
cause de l’interféron parentéral, mais le stylo
est fort différent de la seringue et on peut
réfléchir à l’intervention d’un infirmier.
Rappeler la notion de distorsion cognitive qui
ferait confondre les frissons du syndrome
pseudo grippal et ceux du manque est égale-
ment classique (ne pas toucher à la substitu-
tion ou accepter de la monter pour peu que le
patient prenne son traitement !)
La qualité de vie est ainsi un élément capi-
tal de cet accompagnement. C’est là où être
écouté et entendu conditionne le maintien
en traitement. “Devenir un foie”, c’est ne
pas être entendu ; se résumer à un bilan,
c’est ne pas être entendu (par exemple, le
bilan est bon, mais la fatigue persiste tou-
jours). Les résultats des bilans peuvent
aussi faire l’objet d’une véritable fétichisa-
tion des chiffres, mécanisme de défense
qu’il faut savoir ne pas entretenir si ce
mécanisme empêchait le patient de se
livrer, ne serait-ce qu’un minimum. Les
échelles de qualité de vie sont la preuve de
l’intérêt grandissant pour cet aspect du
couple “maladie-thérapeutique”. La qualité
de vie concerne aussi les répercussions sur
les relations avec le conjoint, la famille, les
collègues de travail. Proposer des entre-
tiens au patient avec son entourage, même
avant l’entrée en traitement est une straté-
gie qui participe également à la compliance.
Insistons sur la femme, traitée ou conjointe