Mise s au p oint t n i Mise s au p o Hépatite C : évolution des représentations et aspects psychiatriques L. Gibier * La représentation de l’hépatite C est double : celle de la maladie et celle de la contamination. Ces représentations sont évolutives dans le temps, liées à l’histoire récente des virus qui ont touché les usagers de drogues. Les modes de contamination ont longtemps été difficiles à comprendre par ce public et toute occasion est bonne pour l’expliquer. La maladie, traitée ou non, comprend des complications psychiatriques trop souvent réduites à la dépression, ne tenant pas compte des autres, des interactions personnalité-maladietraitement, et surtout des processus adaptatifs qui se mettent en place face à toute maladie chronique. Il est nécessaire d’éclairer le sujet afin de limiter les contre-indications et de favoriser les suivis. Mise s au poin t La représentation de l’hépatite C qu’ont les usagers de drogues est double : celle de la maladie, celle de la contamination. Les deux sont évolutives, tant chez les usagers que chez les professionnels. Cette évolution est impossible à comprendre sans retracer un historique de la rencontre entre les virus et les drogues : en quatre temps. 1970-1984 : l’avatar Le problème somatique viral des usagers est, à cette époque, l’hépatite B (VHB). On en parle comme de “la jaunisse, une grosse fatigue”. On se dit qu’il faut alors faire attention à l’échange de seringues (“Si ton pote est jaune, t’échange pas”), le mode de contamination est donc connu. La représentation de la maladie est celle d’un avatar banal, normal, fréquent dans la vie d’un usager : “Dans la vie d’un toxico, il y a l’abcès, la prison, les plans qui foirent et la jaunisse.” Bref une maladie qui n’est pas vécue comme grave. Ajoutons qu’à cette période, le VHC (virus de l’hépatite C) n’est pas isolé : il fait par* Psychiatre, praticien hospitalier, CHRU de Tours. tie des hépatites “non A non B”. Notons aussi, et surtout, que ce problème d’hépatite B va participer à la mise en place des stratégies de réduction des risques et des dommages (RDR, RDD) dans certains pays anglo-saxons, et ce avant l’émergence du VIH qui ouvre la deuxième période. 1984-1990 : le tremblement de terre du VIH Le problème somatique viral des usagers devient le VIH (virus de l’immunodéficience humaine). C’est le tremblement de terre d’une maladie qui est alors sans traitement, sauf pour les affections opportunistes. Un tremblement de terre chez les professionnels et les usagers avec l’apparition progressive et tardive de la stratégie de réduction des dommages ainsi que les questionnements sur la substitution (début des pratiques de substitution sans les molécules adaptées, sans tenir compte des bases théoriques de Dole et Nyswander...). La contamination est connue : le sang et le sexe sont en première ligne, même si quelques fantasmes (la salive, le toucher, les moustiques…) viennent obscurcir le Le Courrier des addictions (7), n° 3, juillet-août-septembre 2005 96 message. Parllèlement, l’accès aux seringues est gêné par le retard législatif français (mai 1987), l’absence de matériel adéquat (le Stéribox® est à inventer) et l’idée que les usagers sont incapables de prévention (l’avenir prouvera le contraire). Pour les usagers en effet, comme avec le VHB, la représentation de la contamination est claire, la protection c’est “pas d’échange de seringue” et le “safer sexe”. 1990-1996 : le VHC a un nom, mais pas de traitement Le VHC est dépistable fin 1989. À ce moment là, le VHC n’apparaît pas comme un problème majeur : il “bénéficie” des représentations des virus précédents. Par rapport au VIH, le VHC n’est pas vécu comme une maladie grave (“j’ai rien, j’ai chopé que l’hépatite C”), discours volontiers renforcé par les professionnels. Par rapport au VHB, le VHC est aussi une hépatite (vécue comme banale, c’est “l’avatar” déjà décrit ci-dessus) et en plus une hépatite “légère”, sans symptômes (pas de jaunisse : “j’ai même pas senti que je l’avais eue”). Enfin, c’est également à l’époque une maladie peu intéressante, car sans traitement, donc avec une proposition de dépistage peu insistante, par ailleurs étouffée par le poids des communications sur le VIH, les progrès de sa thérapeutique et les nouveaux examens biologiques. Quant à la contamination, la compréhension en est complexe. Pour le VIH, la conduite de risque est repérée, la modification des pratiques provoque une baisse de la contamination. Mais cette modification des pratiques ne provoque pas de baisse de la contamination par le VHC pour laquelle on ne repère pas de pratiques dangereuses donc de comportements à modifier. La représentation de la contamination par le VHC reste ainsi obscure, très éloignée du modèle médical du virus. Ingold parle d’une assimilation aux miasmes, à la poussière, la saleté. Ce vécu “d’avatar” de la vie d’un toxicomane est doublement renforcé. D’une part par le fait que, si on peut à présent dépister le VHC, une positivité peut provenir d’une contamination fort ancienne dans l’histoire du patient. D’autre part parce que la positivité ne distingue pas encore une guérison spontanée d’un portage chronique. Mise s au p oint Mise s au p oint Ce sera à l’époque (et encore maintenant !) une priorité que de lever les incertitudes entourant la contamination par le VHC, tant chez les usagers que chez les acteurs de terrain. Il faut attirer l’attention sur les risques de contamination par tout le matériel d’injection (pas seulement les seringues mais aussi la cuillère, les cotons et, dans un autre registre, l’eau, le citron) ainsi que les pailles de sniffing, le tatouage, et les possibles recontaminations (risque encore souvent ignoré). De 1996 à nos jours : une maladie grave avec traitement efficace mais dur à vivre L’évolution porte sur la représentation de la maladie qui, avec l’apparition progressive des premiers cas d’hépatites chroniques, de cirrhoses, de cancers, devient soudainement très inquiétante, d’autant que ces problèmes touchent des usagers en train de se stabiliser. Les nouvelles vont vite dans le groupe identitaire (“Je suis tox, je suis méthadonien, je suis ex.”) qui découvre la chronicité et ces symptômes, les décès... Le virage est important, le vécu de la maladie change, les traitements sont questionnés. Durant cette période, la maladie liée au VHC est passée successivement du “statut” de maladie passant inaperçue, sans conséquence, puis comme pouvant être grave tardivement, puis grave et sans traitement, grave avec traitement inefficace, enfin grave avec traitement efficace mais épuisant, dur à vivre (on entend “j’ai fait le traitement” comme “j’ai fait Fleury Mérogis !”) Au cours de ces évolutions, apparaît un vocabulaire qu’il faut également appréhender, comprendre, à travers moult fantasmes et peurs. La PBH (ponction biopsie hépatique), voilà du vocabulaire entre les mots et les maux ! Intensément fantasmée, elle a une représentation particulièrement théâtralisée, allant de l’intrusion faramineuse dans le corps à un geste totalement indolore ! Le groupe est dans l’attente qu’un de ses membres vive l’examen et le lui raconte. L’ARN viral (la PCR) est un terme souvent mal compris, surtout s’il existe une certaine anxiété dans l’attente des résultats, d’autant qu’il ne faut pas se calquer sur le VIH (séropositivité, charge virale). Et que les explications prêtent à confusion ! Qu’est ce qu’un bilan positif ? Une sérologie négative ? Une sérologie positive avec un ARN viral négatif ? Sûrement pas une sérologie positive avec un ARN viral positif ? Un bilan positif, c’est bien ou c’est mal ? Et la contagiosité, est-elle marquée par la sérologie positive ou par l’ARN viral positif ? Et pour la ou le conjoint(e), peut-on accepter : “On couche ensemble, on peut bien sniffer ensemble (non !) ?” Les moments sensibles de la maladie Par rapport à l’énorme bibliographie sur le VIH, il y a bien peu de travaux sur le VHC, sauf de façon très récente, et plutôt sur les complications psychiatriques du traitement. Nous distinguerons les moments sensibles et le vécu de la maladie proprement dits. Les moments sensibles décrits avec le VIH, moments douloureux, déstabilisants psychiquement, ne sont guère retrouvés dans le cadre du VHC. Ainsi la demande de test VIH et l’attente du résultat provoquent une forte anxiété ; cela n’est pas retrouvé pour le VHC. Clairement, l’usager qui déboule en consultation et dit : “J’ai fait une connerie, je veux un test” pense bien plus au VIH qu’au VHC. De plus, chez les anciens usagers, pendant longtemps il y avait peu de demande de test (ils pensaient l’avoir même s’ils n’avaient pas eu de bilan). De même, les réactions à l’annonce du diagnostic VIH, maladie au pronostic incertain et fortement stigmatisée, comprennent les classiques phases successives décrites dans les maladies sévères par Kubler-Ross : phase de choc, de déni, de transition (avec culpabilité, colère, agressivité, repli sur soi, refus d’aide), d’acceptation, voire de préparation à la mort. Pour le VHC, le choc émotionnel est rare. On assiste cependant à un retour sur le passé. Ainsi, pour le transfusé, il y a retour sur l’incident, l’accident responsable avec un sentiment d’injustice, un moment repéré pendant lequel la vie bascule. Chez l’exusager, le sentiment d’injustice existe également, l’impression de “payer la note” au moment où il est en train de s’en sortir. Quant à l’usager actif, il présente peu de 97 réaction en cas d’annonce de diagnostic. En revanche, d’autres éléments sont à souligner, d’autres moments sensibles existent avec le VHC. La PBH en est un, nous l’avons déjà évoquée. Les bilans sont aussi des moments difficiles, chez certains patients peu “piquables”, d’autant que les prélèvements sont fréquents et nécessaires aux suivis et ajustements thérapeutiques. Il faut savoir s’entourer de spécialistes permettant de faciliter les choses (anesthésiste, etc.) sinon gare aux conduites d’évitement et aux rendez- vous manqués. L’entrée en traitement objective la maladie, pour soi et pour l’entourage, ce qui était également décrit avec la VIH (dans ce cas, l’objectivisation pouvant s’accompagner d’un vécu de stigmatisation). Cela est d’autant plus vrai que le patient présente peu de symptômes de sa pathologie et qu’il va en avoir beaucoup avec le traitement ! Il est, là aussi, capital de préparer la venue de ces symptômes pour mieux les accompagner et éviter les arrêts de traitement. Il est classique de s’inquiéter de relancer une perte de contrôle de l’injectable à cause de l’interféron parentéral, mais le stylo est fort différent de la seringue et on peut réfléchir à l’intervention d’un infirmier. Rappeler la notion de distorsion cognitive qui ferait confondre les frissons du syndrome pseudo grippal et ceux du manque est également classique (ne pas toucher à la substitution ou accepter de la monter pour peu que le patient prenne son traitement !) La qualité de vie est ainsi un élément capital de cet accompagnement. C’est là où être écouté et entendu conditionne le maintien en traitement. “Devenir un foie”, c’est ne pas être entendu ; se résumer à un bilan, c’est ne pas être entendu (par exemple, le bilan est bon, mais la fatigue persiste toujours). Les résultats des bilans peuvent aussi faire l’objet d’une véritable fétichisation des chiffres, mécanisme de défense qu’il faut savoir ne pas entretenir si ce mécanisme empêchait le patient de se livrer, ne serait-ce qu’un minimum. Les échelles de qualité de vie sont la preuve de l’intérêt grandissant pour cet aspect du couple “maladie-thérapeutique”. La qualité de vie concerne aussi les répercussions sur les relations avec le conjoint, la famille, les collègues de travail. Proposer des entretiens au patient avec son entourage, même avant l’entrée en traitement est une stratégie qui participe également à la compliance. Insistons sur la femme, traitée ou conjointe Mise s au poin t Mise s au p oint t n i Mise s au p o de patient traité, en particulier sur les aspects de la sexualité, de la fécondation, du désir d’enfant, impossible dans la durée avec la ribavirine, à un moment où il est quelquefois question de mettre en place ce projet de couple. Vivre avec l’hépatite C : la difficile adaptation Les symptômes les plus fréquents sont les troubles de l’humeur, l’asthénie, les céphalées, les troubles sexuels. Mais il n’y a pas que ces symptômes, car l’organisation même de la vie psychique est modifiée par la maladie : la santé permet de se décentrer de soimême et d’investir les objets extérieurs. La perte de la santé concentre sur son corps et ravive les angoisses de mort et de séparation. On note ainsi une obnubilation par son propre corps, une hypochondrie sentinelle, une anesthésie affective protectrice. Le risque est de désinvestir l’extérieur, la vie affective, familiale, sociale, intellectuelle. Existe également le sentiment de ne plus être seul dans son corps : une vie à deux avec un processus interne évolutif inconnu, non maîtrisable qui prive de toute anticipation possible. Il faut apprendre à vivre avec un corps malade, un narcissisme mutilé (en particulier la fatigue). Cela est d’autant plus acceptable et métabolisable que ces troubles sont en partie liés à un traitement qui a une fin programmée (6 mois, 12 mois), avec une guérison annoncée (mais…) ! Il s’agit donc de passer ce cap, d’aider à passer ce cap, car ces processus ne sont pas pathologiques. C’est un processus d’adaptation : retrouver un équilibre psychique avec des réactions temporaires à respecter et à accompagner, plus qu’à “psychotropiser” dans l’instant (comme la différence entre travail de deuil à respecter et dépression à traiter). La nécessité d’un soutien psychologique est donc importante. Plus que purement psychiatrique, un travail psychopédagogique mené par des infirmiers formés spécifiquement, par un psychologue est nécessaire. lier l’interféron alpha), la personnalité sous jacente du patient qui peut décompenser. Même les conséquences somatiques du virus et des traitements peuvent participer aux troubles (par exemple, une anémie liée à la ribavirine accentue la fatigue, ce qui aggrave le sentiment d’inutilité, ce qui participe à l’instauration d’une dépression. Autre exemple : une hypothyroïdie autoimmune). Et n’oublions pas que les traitements prescrits, en particulier les psychotropes, peuvent eux-mêmes avoir des conséquences psychiatriques (un antidépresseur trop facilement prescrit sur un état mixte peut faciliter l’émergence d’un accès maniaque dans le cadre d’un trouble bipolaire !). Enfin rappelons que les substances psychoactives utilisées par les usagers ont, elles aussi, la capacité de favoriser certains troubles psychiatriques. Les complications psychiatriques en elles mêmes sont variées. Ce n’est pas l’objectif de cette article de les détailler, mais plutôt de les mettre en perspective dans un contexte plus large et de questionner la pertinence des contre-indications au traitement touchant trop facilement les patients addictifs. Ces troubles sont individuels, indépendants des antécédents psychiatriques, et donc difficiles à prévoir. On décrit donc des troubles anxiodépressifs, “dose dépendants”, volontiers atypiques quant à la symptomatologie, quelquefois intégrés à des états mixtes. Les accès maniaques sont également présents dans la littérature sur le sujet. Les troubles anxieux sont moins connus des non-spécialistes de la question et pourtant on décrit des recrudescences de manifestations phobiques, de troubles obsessionnels compulsifs, de crises d’angoisse ou d’anxiété généralisée. Il existerait enfin des possibilités de délires, sans plus de précision. Il n’y a donc pas que la dépression. De plus, ce diagnostic est-il fait sur les mêmes critères par un généraliste, un hépatologue, un psychiatre ? La maladie VHC et ses conséquences thérapeutiques produisent-ils des symptômes pouvant évoquer une dépression ? Pour le non-spécialiste, la triade diagnostique est volontiers : asthénie, insomnie, anxiété. Pour le psychiatre, les troubles du caractère et les signes somatiques (asthénie, insomnie, anorexie, amaigrissement, algies) sont importants, car ils sont souvent le point d’appel, mais il est indispensable Mise s au poin t Les complications psychiatriques : variées, difficiles à prévoir La causalité n’en est pas univoque entre le virus lui-même, le traitement (en particu- Le Courrier des addictions (7), n° 3, juillet-août-septembre 2005 98 au diagnostic de retrouver les deux signes cardinaux de la dépression : l’inhibition psychomotrice (ralentissement physique et cognitif) et la tristesse de l’humeur (avec désintérêt, insatisfaction, etc.). Or la plupart des symptômes somatiques décrits cidessus sont présents dans l’hépatite VHC, traitée. L’interféron induit également des symptômes somatiques. De même les échelles surchargées de ces items somatiques et anxieux sont peu utiles à l’aide au diagnostic. Ce sont peut-être les professionnels qui suivent déjà le patient depuis des années qui sont les plus aptes à dépister une inhibition psychomotrice et une tristesse de l’humeur. Autrement dit, sur la symptomatologie somatique, il y a peut-être des diagnostics de dépression par excès. Il y a peut-être également excès par la confusion de la dépression avec le processus adaptatif à la chronicité de la maladie. Il y a peut-être encore défaut de diagnostic lorsqu’on ne va pas à la recherche des signes cardinaux de la dépression. Cela questionne les prescriptions rapides d’antidépresseurs et donne de l’intérêt à des études récentes concernant le recours à des neuroleptiques à faible posologie. Le problème des contreindications au traitement Il y a excès de prudence à considérer que “chez les patients ayant une maladie psychiatrique, il semble raisonnable de ne proposer un traitement anti-VHC qu’à titre exceptionnel”, citation de la conférence de consensus de février 2002. Les usagers y sont décrits comme de bons candidats aux traitements (sujets jeunes, contamination récente, génotype 3, histologie favorable) et impossibles à traiter (alcool, co-infections VIH-VHB, lien social, troubles psychiatriques). En fait, il n’y a pas contre-indications, mais des indications à prendre plus de précautions. Certes, il existe des cas où l’usager présente un style de vie gênant la gestion du quotidien et du réel : quel jour de la semaine, la prise des repas avec le traitement, l’heure des rendez-vous, des prises de sang, l’anticipation pour organiser un transport sanitaire par exemple (tous ces éléments pouvant être améliorés par un accompagnement confiant). Certes, il existe Mise s au p oint Mise s au p oint des cas où l’usager présente des consommations impliquant justement cette gestion du quotidien : benzodiazépines, alcool, cannabis en usage massif, perte de contrôle de consommation de la cocaïne ou d’injections des médicaments de substitution détournés (tous ces éléments pouvant être améliorés par une recherche diagnostique de troubles psychiatriques sous-jacents). Mais dans les autres cas, la priorité est la préparation et l’anticipation : où en est le patient ? Quels sont ses besoins pour être mieux suivi au sein du réseau de soins ? (par exemple une rencontre avec une équipe psy doit être organisée à froid, bien avant une décompensation), de quelle disponibilité l’équipe dispose pour les accompagnements (il doit même être possible de programmer l’entrée en traitement avec le patient et l’hépatologue selon cette disponibilité) ? Dans ces conditions, les usagers doivent bénéficier du traitement sans discrimination : c’est une affaire de moyen, pas de contre-indications. Mais le suivi ne doit pas s’arrêter avec la fin de la bithérapie, car il existe des décompensations psychiatriques retardées, des dépressions posttraitement ! Les dépressions post-traitement Elles ne sont pas rares, et se voient dans deux cas : les échecs thérapeutiques et les dépressions paradoxales. Le premier cas peut être simple, il s’agit d’échec thérapeutique, soit que le traitement ait été interrompu à cause d’effets secondaires, soit que le patient soit nonrépondeur, soit encore qu’il soit biologiquement guéri, mais conserve des symptômes invalidants (fatigue en particulier). Il arrive aux professionnels, devant l’extraordinaire avancée de la bithérapie, d’oublier ou de minimiser ces risques d’échec. Encore une fois, c’est la préparation et l’accompagnement qui sont les plus utiles pour aider à s’adapter à ce qui est vécu comme une injustice, une perte de chance de vivre mieux. Il arrive également que le traitement ait totalement réussi, mais qu’il soit vécu comme un échec par le patient. En particu- lier quand les troubles narcissiques sousjacents à la problématique addictive sont importants. Le patient attribuait son manque d’intérêt dans la vie au VHC ; celui-ci disparaît, et le voilà au pied du mur, confronté, par exemple, à ses propres difficultés à sublimer par exemple (quand on a eu un périmètre de marche de 10 m et qu’on retrouve 100 m, que fait-on des 90 m gagnés ?). Dans le même contexte, il nous est arrivé de recevoir de la part de patients des demandes insistantes de mise sous bithérapie, alors qu’il n’y avait aucune indication virologique, pour supprimer des symptômes qui n’avaient rien à voir avec le VHC ! La dépression paradoxale, elle, succède volontiers à un surinvestissement de la période du traitement. Le sujet a souvent des problèmes de dépendance à l’autre, au groupe, à un processus addictif mal résolu. On assiste ainsi à un glissement de dépendance vers le soin somatique, une centration sur le traitement, le patient se stabilise sans véritable réaménagement psychique… et rechute dans l’addiction ou la dépression rapidement à la fin de la bithérapie. Et alors ? Il reste à améliorer la conduite addictive d’un patient guéri du VHC et que l’on préviendra d’une recontamination toujours possible. Peut s’ajouter le sentiment d’abandon et de vide succédant à un suivi hyper-intensif... Surtout des indications... à plus d’accompagnement et de partenariat Les anciennes générations d’usagers ont vécu une longue histoire avec les virus qui a modelé et obscurci leurs représentations : le mode de contamination par le VHC doit sans cesse leur être rappelé et expliqué. La maladie et les traitements ont énormément évolué en peu de temps, offrant de grands espoirs de guérison. Mais les usagers de drogues bénéficient encore peu de ces progrès. On considère souvent que leur cas contre-indique les traitements auxquels ils sont mal compliants. Pour notre part, nous postulons qu’ils sont plutôt des indications à plus de précautions, plus de préparation, plus de disponibilité, plus d’anticipation, plus de partenariat. Alors, malgré les complications psychiatriques diverses, les nécessaires processus d’adaptation à la maladie, les troubles de la personnalité sous-jacents à accompagner, de nombreux patients pourront avoir accès aux traitements. Et guérir. Mise s aubibliographiques Références poin t – Conférence de consensus, Paris, 27-28 février 2002, traitement de l’hépatite C. Réseaux hépatites, mars 2002;22:13-20. – Castera L et al. Manifestations psychiatriques au cours du traitement de l’hépatite chronique C. 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