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La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 2 - mars-avril 1998
CANCÉROLOGIE ET SOCIÉTÉ
Un entretien avec les Prs J. Azorin (chef du
service chirurgie thoracique), J.L. Breau
(chef du service cancérologie), J.F. Morère
(cancérologue) et D. Valeyre (pneumo-
logue) de l’hôpital Avicenne (Bobigny).
Suite à une image ou un symptôme anor-
maux, les patients sont adressés, par leur
médecin, au pneumologue.
Dès ce stade, il existe une présomption de
cancer, qui est annoncée au patient. Cette
présomption sera confirmée ou infirmée en
fonction des résultats des examens complé-
mentaires qui seront alors rapidement pro-
grammés. À ce titre, tout examen invasif est
expliqué au patient, tout en sachant que le
vécu reste très opérateur-dépendant (pour la
fibroscopie bronchique notamment). Toute-
fois, retenons qu’un patient informé suppor-
te mieux qu’un patient non avisé.
Seuls 10 à 20 % des patients
expriment leur crainte du cancer
À ce stade, la plupart des patients pressen-
tent le risque de cancer. Chez ces gros
fumeurs, le plus souvent, le cancer est vécu
comme une punition plus ou moins attendue
mais seuls 10 à 20 % d’entre eux expri-
ment réellement cette crainte.
Le pneumologue annoncera le diagnostic
au patient, car un patient informé est, dans
la majorité des cas, prêt à se battre. Cepen-
dant, s’il a le droit d’être totalement infor-
mé, il a aussi le droit de ne pas tout savoir.
Aux médecins de savoir ne pas aller au-
delà des demandes des patients.
Dans quelques cas (environ 10 %), l’absten-
tion sera de règle (pronostic sombre,
demande de l’entourage...). Les modalités
de cette annonce ne peuvent être écrites ou
enseignées car les situations ne répondent
à aucune règle.
L’aspect pronostique n’est que
rarement abordé
À ce stade de la consultation avec le pneu-
mologue, l’aspect pronostique n’est pas
abordé et ne l’est du reste que très rarement
au cours des différentes consultations.
Comme le souligne le Pr Breau, l’aspect
pronostique est plutôt le fait de l’entourage
familial. Le pronostic reste toujours difficile
à préciser et ce n’est pas aux cancéro-
logues de provoquer ce type de question.
Un dialogue sans cesse maintenu
Une fois la démarche thérapeutique
définie de manière consensuelle, le patient
et sa famille sont revus par deux médecins,
le pneumologue et l’oncologue ou le pneu-
mologue et le chirurgien, afin d’expliquer le
projet thérapeutique en termes clairs et
compréhensibles et de répondre à leurs
questions. Si les patients demandent rare-
ment le temps qu’il leur reste à vivre, ils
s’inquiètent en revanche de la durée du trai-
tement et des modalités pratiques (hospitali-
sation conventionnelle ou hospitalisation de
jour). Dans tous les cas, les réponses doi-
vent être cohérentes avec celles précédem-
ment données. Le fait que le discours ne
varie pas au fur et à mesure des interlocu-
teurs conforte en effet la confiance du
patient.
Établir un contrat de confiance
entre le chirurgien et le patient
Lorsqu’ils sont adressés au chirurgien, les
patients ont déjà fait l’objet d’une réflexion
multidisciplinaire associant le pneumo-
logue, le cancérologue et le chirurgien tho-
racique.
Afin d’établir un véritable contrat avec le
patient, le chirurgien a besoin de voir le patient
pour lui expliquer tant le risque opératoire que
les bénéfices qui en résulteront. En effet, cette
chirurgie n’est pas dénuée de risque, le patient
présentant souvent de multiples pathologies,
notamment cardiovasculaires.
Si certains patients ne posent pas de ques-
tions, d’autres veulent en savoir plus sur leur
devenir après l’intervention.
Nous devons donc nous adapter aux
patients : répondre à leurs questions sans
les provoquer.
Pour le Pr Azorin, ce contrat de confiance
qui doit s’instaurer entre le patient et son
chirurgien est capital. Il permet de diminuer
l’anxiété du patient et le risque de compli-
cations postopératoires qui sont, dans le
cadre de la chirurgie thoracique, des fac-
teurs de mauvais pronostic.
Le chirurgien doit donc savoir s’adapter à
la personnalité du patient afin d’obtenir son
accord en pleine conscience.
C’est, une fois de plus, insister sur l’impor-
tance de la communication médecin-
malade, surtout lorsque l’on sait que 60 %
des contentieux à l’Assistance publique sont
liés à ce défaut de communication.
Le chirurgien doit expliquer la technique
opératoire qui vise, dans ce centre, à dimi-
nuer l’agressivité chirurgicale (vidéothora-
coscopie ou chirurgie thoracique vidéo-
assistée) et à soulager au maximum la dou-
leur postopératoire (péridurale thoracique,
pose d’une pompe à morphine).
Le traitement du cancer fait-il
peur ?
Si une mastectomie est associée à un
vécu difficile, il n’en est pas de même pour
le traitement d’un cancer pulmonaire, l’inté-
grité corporelle n’étant pas atteinte dans les
mêmes proportions. En revanche, la douleur
fait partie des craintes des patients, d’où
l’intérêt de la traiter correctement.
Le vécu est-il corrélé
à la gravité ?
D’une façon générale, et comme dans le
cas du cancer du sein, le vécu du cancer
n’est pas corrélé à sa gravité mais il est
fonction de la personnalité du patient. De
plus, comme le rappelle le Pr Morère, le
profil psychologique peut évoluer au cours
du temps. Si, schématiquement, il existe
deux catégories de patients : ceux qui sont
à la recherche de l’information et ceux qui
“délèguent”, il n’est pas rare que des
patients appartenant à la première catégo-
rie passent dans la seconde au cours de
l’évolution.
Que se passe-t-il en cas de
rechute ?
La rechute est difficilement supportable pour
le patient et ce d’autant plus que l’intervalle
depuis l’annonce du diagnostic est long. Un
sentiment d’injustice apparaît et le patient
attend alors de l’équipe soignante une prise
en charge sans faille.
Après avoir abordé le vécu associé à l’annonce d’un cancer du sein, l’équipe médico-chirurgicale
de l’hôpital Avicenne nous livre son expérience face aux patients atteints d’un cancer bronchique.
Cette équipe, qui a fait sienne l’approche multidisciplinaire en associant pneumologues, oncologues et chirurgiens dans
une réflexion commune, a pour objectif d’établir une prise en charge la mieux adaptée possible en traitant avant tout une
personne et non sa maladie.
CANCER BRONCHIQUE :
QUEL VÉCU EN PRATIQUE ?
LEPOINT DE VUE
D’UNE ÉQUIPE MULTIDISCIPLINAIRE
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