MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
Mécanismes d’action sur les ostéoblastes
Le prétraitement des ostéoblastes de rat CRP 10/30 par des bis-
phosphonates (clodronate et ibandronate) inhibe in vitro la résorp-
tion osseuse lorsque ces cellules sont co-cultivées avec des ostéo-
clastes (22). Une inhibition de la résorption osseuse est également
observée lorsque le milieu conditionné provenant des ostéoblastes
traités avec les bisphosphonates est mis au contact des ostéo-
clastes (22). Les auteurs de ce travail suggèrent que les bisphos-
phonates stimulent la sécrétion par les ostéoblastes d’un facteur
soluble inhibiteur de la résorption osseuse ou, au contraire, dimi-
nuent la sécrétion d’un facteur stimulateur de la résorption
osseuse (22). D’autres travaux ont montré que des bisphospho-
nates (étidronate, alendronate) inhibent la sécrétion de prosta-
glandines (23) et d’interleukine 6 (24) par les ostéoblastes, deux
facteurs connus pour stimuler l’activité ostéoclastique. L’iban-
dronate pourrait également stimuler la libération par les ostéo-
blastes d’un facteur inhibiteur de l’activité ostéoclastique (25).
La nature de ce facteur inhibiteur est cependant inconnue.
MÉCANISMES D’ACTION DES BISPHOSPHONATES
SUR LES CELLULES TUMORALES
Des études initialement réalisées in vitro montrèrent que la lyse
osseuse induite par des extraits tumoraux était inhibée par dif-
férents bisphosphonates (26, 27). Différents modèles d’induc-
tion de métastases osseuses chez l’animal (rat ou souris nude)
furent dès lors utilisés pour tester l’effet des bisphosphonates in
vivo. Ces modèles consistent à injecter les cellules tumorales
par voie intra-artérielle (artère iliaque), intraveineuse (veine cau-
dale), intracardiaque (ventricule gauche) ou par implantation à
proximité de l’os. L’administration de différents bisphospho-
nates (étidronate, clodronate, pamidronate, YM175, alendronate,
risédronate, ibandronate) chez ces animaux présentant des méta-
stases osseuses réduit de façon significative la progression de
l’ostéolyse induite par différentes cellules tumorales (carcinomes
de la prostate et du sein, carcinome de Walker et mélanome)
(28-35). Chez les souris 5T2 atteintes d’une forme de myélome
proche du myélome humain, le pamidronate réduit également
de façon significative l’ostéolyse, sans avoir d’effet sur la mala-
die hématologique (36). L’analyse histomorphométrique des
métastases osseuses après traitement des animaux par bisphos-
phonates montre une importante diminution du nombre d’ostéo-
clastes au voisinage des métastases osseuses (28-35) et la pré-
sence d’ostéoclastes apoptotiques (33), expliquant ainsi la
réduction des plages ostéolytiques. De plus, une réduction signi-
ficative de la masse tumorale présente dans la cavité médullaire
est observée chez les animaux métastatiques traités au risédro-
nate (31, 32). L’évaluation du nombre de mitoses au site des
métastases osseuses indique que cette inhibition de la masse
tumorale est indépendante d’une action du risédronate sur la pro-
lifération des cellules métastatiques (31). Ces résultats sont en
accord avec le fait que les bisphosphonates n’affectent pas in
vitro la prolifération des cellules de carcinomes mammaire et
prostatique (37). Toutefois, il est possible que les bisphospho-
nates bloquent d’autres processus cellulaires nécessaires à la
constitution d’une métastase osseuse. Par exemple, le prétraite-
ment de lamelles d’os cortical avec différents bisphosphonates
inhibe in vitro l’adhésion des cellules de lignées de carcinomes
mammaire et prostatique à ces lamelles d’os (37, 38). De plus,
les bisphosphonates agissent aussi directement sur ces cellules
tumorales pour inhiber leur attachement à la matrice osseuse
minéralisée (37). Plus récemment, nous avons observé que
l’action directe des bisphosphonates sur les cellules tumorales
(de sein et de prostate) inhibe l’invasion tumorale en bloquant
l’activité des métalloprotéases MMP-2 et MMP-9, qui sont
nécessaires à la dégradation de la matrice par ces cellules
tumorales (Boissier S., Clézardin P., résultats non publiés). Or
l’invasion tumorale est une étape nécessaire à la constitution
d’une métastase osseuse (34). Par exemple, l’inhibiteur tissu-
laire de la MMP-2 (appelé TIMP-2) inhibe partiellement (50 %
d’inhibition) la formation chez l’animal des métastases ostéo-
lytiques induite par les cellules de carcinome mammaire MDA-
MB-231 (34). Les bisphosphonates (clodronate, pamidronate
et YM175) agissent également directement sur les cellules
plasmocytaires tumorales en induisant in vitro une apoptose
(39, 40). Le clodronate se substituerait aux groupements phos-
phate de l’ATP pour former un analogue toxique [l’adénosine
5’-(b,g-dichlorométhylène) triphosphate] pour les cellules (39)
alors que le pamidronate et le YM175 agiraient sur la voie du
mévalonate (40).
L’ensemble de ces données expérimentales suggère donc que les
bisphosphonates, en agissant directement sur les cellules tumo-
rales, peuvent bloquer des stades précoces de la formation des
métastases osseuses. Cette hypothèse est renforcée par le fait que
l’administration d’un bisphosphonate (clodronate) chez des
patientes atteintes d’un cancer du sein sans événements osseux
retarde significativement l’apparition des métastases osseuses (41),
voire non osseuses (42).
INDICATIONS CLINIQUES EN CANCÉROLOGIE
Si les bisphosphonates ont été décrits il y a plus d’un siècle (41),
leur utilisation en thérapeutique cancérologique date d’une
dizaine d’années. Leur utilisation dans un but “palliatif” (comme
le traitement de l’hypercalcémie maligne) est reconnue. Récem-
ment, plusieurs travaux ont fait entrevoir, dans le cas du cancer
du sein, des indications préventives sur les métastases osseuses,
aussi bien en situation métastatique (42, 43) qu’adjuvante (44).
D’autres études concernant le myélome (45)semblent également
prometteuses. Nous aborderons successivement les indications
reconnues et admises concernant l’utilisation des bisphospho-
nates en pratique clinique (hypercalcémie, myélome et cancer du
sein), pour terminer par ce qui nous semble être les perspectives
d’avenir concernant ces produits.
Hypercalcémie
Les bisphosphonates ont révolutionné la prise en charge des
épisodes d’hypercalcémie maligne, qui autrefois condamnaient
souvent le patient en quelques semaines (46). Grâce à leur utili-
sation, plus de 80 % des hypercalcémies d’origine paranéopla-
sique sont contrôlables, en attendant un éventuel traitement
étiologique (47, 48).