MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
RESUME. L’os est le premier site d’extension métastatique des cancers. De nombreuses complications liées à ces métastases peuvent
engager le pronostic vital. Celles-ci sont essentiellement dues à un excès de résorption ostéoclastique dans l’environnement proche
des cellules métastatiques (pour les cancers solides) et des cellules plasmocytaires malignes (pour le myélome). Cette ostéolyse est
responsable, sur le plan clinique, de complications particulières telles que fractures, hypercalcémie et douleurs pouvant engager le
pronostic vital ou détériorer rapidement la qualité de vie.
Les bisphosphonates, analogues structuraux du pyrophosphate, sont des agents pharmacologiques qui ont des propriétés antirésorptives.
Leur mécanisme d’action, dépendant en partie de leur structure, est variable. Ils agissent non seulement comme agent antiostéoclastique
(activité inhibitrice directe sur l’ostéoclaste ou indirecte via les ostéoblastes), mais également comme agent antitumoral (in vitro sur
certaines cellules tumorales avec certains bisphosphonates).
De nombreux essais cliniques ont montré leur efficacité dans le traitement des complications liées à l’ostéolyse maligne (hypercalcémies,
fractures, douleurs). Ceux-ci ont permis de poser les indications indiscutables (hypercalcémies, prévention des complications osseuses
des cancers du sein métastatiques et du myélome) et les modalités d’administration des bisphosphonates.
Récemment, certaines données cliniques ont fortement suggéré qu’il existait pour le clodronate une place possible comme traitement
adjuvant du cancer du sein, afin de réduire le risque d’apparition de métastases osseuses ou extra-osseuses et ainsi de prolonger la
survie de patientes porteuses d’un cancer du sein. D’autres études viennent soit renforcer soit infirmer cette hypothèse. Ces données
parfois contradictoires nous incitent à étudier de nouveaux agents et à approfondir notre connaissance des mécanismes d’action des
bisphosphonates. Elles nous incitent aussi à rechercher des facteurs prédictifs de dissémination métastatique permettant de cibler une
sous-population qui devrait pouvoir bénéficier d’un traitement préventif, non seulement pour le cancer du sein mais également pour
d’autres cancers ostéophiles.
qui ont des propriétés antirésorptives (4). De nombreux essais
cliniques ont montré l’efficacité des bisphosphonates dans le trai-
tement de l’ostéolyse maligne, voire dans sa prévention. Toute-
fois, cette efficacité pourrait ne pas être uniquement attribuable
à leur propriété inhibitrice sur l’activité ostéoclastique, mais peut-
être également à une action directe sur les cellules métastatiques.
Après un bref rappel sur la structure des bisphosphonates, nous
aborderons, dans cette revue, les mécanismes d’action par les-
quels les bisphosphonates agissent sur les cellules du tissu osseux
et les cellules tumorales, puis leurs indications et leurs perspec-
tives d’utilisation en clinique.
STRUCTURE DES BISPHOSPHONATES
Les bisphosphonates (anciennement appelés diphosphonates)
sont des analogues structuraux du pyrophosphate où la liaison
P-O-P est remplacée par une liaison P-C-P capable de résister à
une hydrolyse enzymatique (figure 1) (5).
Les bisphosphonates se distinguent par la nature des chaînes laté-
rales R1et R2substituées sur l’atome de carbone. Le groupement
P-C-P est essentiel à la liaison des bisphosphonates au minéral
Bisphosphonates et cancer : mécanismes d’action
et indications cliniques dans l’ostéolyse maligne
J. Gligorov*, P. Clézardin**
* Service d’oncologie médicale, AP-HP hôpital Tenon, Paris.
** Unité de recherche INSERM 403, Faculté de médecine Laennec, Lyon.
L’
ostéolyse maligne est une complication fréquente de
nombreux cancers, et en particulier des cancers du
sein, de la prostate et du myélome multiple (1, 2).
L'examen anatomopathologique des lésions osseuses montre un
excès de résorption ostéoclastique dans l’environnement proche
des cellules métastatiques et des cellules plasmocytaires
malignes. Lors du remodelage osseux physiologique, la résorp-
tion de l'os par les ostéoclastes est étroitement couplée à la for-
mation osseuse induite par les ostéoblastes (3). Il en résulte un
maintien parfait de l’architecture osseuse. En revanche, lors de
l’ostéolyse maligne, un processus dissocié s’établit, avec une
formation osseuse diminuée et une résorption osseuse aug-
mentée (1, 2). Cette hyperrésorption osseuse est responsable,
sur le plan clinique, de complications particulières telles que
fractures, hypercalcémie et douleurs (1, 2). De ce fait, tout agent
pharmacologique ayant la capacité de bloquer l’activité des
ostéoclastes sera utile dans le traitement de l’ostéolyse maligne.
Les bisphosphonates font partie de ces agents pharmacologiques
37
La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
Tableau I. Inhibition de la résorption osseuse par les bisphosphonates :
comparaison entre structure et capacité inhibitrice (données théo-
riques in vitro).
osseux (c’est-à-dire à l’hydroxyapatite), car il chélate le cal-
cium (5). Le groupement hydroxyl généralement substitué sur
l’atome de carbone en R1renforce l’affinité des bisphosphonates
à l’hydroxyapatite. Cette propriété particulière fait des bisphos-
phonates un agent pharmacologique de choix pour “cibler” l’os.
La nature de la chaîne R2conditionne grandement les propriétés
biologiques des bisphosphonates, en particulier leur capacité à
inhiber la résorption osseuse in vivo (5). Par exemple, les bis-
phosphonates qui ont un groupement amine primaire (–NH2) dans
la chaîne R2(tels que le pamidronate et l’alendronate) sont envi-
ron cent à cinq cents fois plus puissants que les bisphosphonates
sans groupement NH2(tels que l’étidronate et le clodronate)
(tableau I). De plus, la méthylation (–CH3) du groupement amine
(par ex. ibandronate) ou son inclusion dans un hétérocycle (par
ex. risédronate, zoledronate) augmente la puissance inhibitrice
du bisphosphonate sur la résorption osseuse (tableau I).
Mécanismes d’action sur les ostéoclastes et leurs precurseurs
L’injection de [14C]-alendronate chez des rats montre que celui-
ci n’est pas incorporé de façon uniforme à la surface du minéral
osseux (6, 7). Le [14C]-alendronate se retrouve essentiellement
sous les ostéoclastes au niveau des lacunes de résorption (6, 7).
Lors de la résorption osseuse, in vivo, les ostéoclastes internali-
sent le [14C]-alendronate par un processus de pinocytose ou de
phagocytose (7). Il en résulte alors une disparition de la bordure
plissée des ostéoclastes qui sont en train de résorber l’os (la bor-
dure plissée des ostéoclastes est constituée de fines invaginations
membranaires au niveau desquelles survient la résorption
osseuse) (7). En revanche, les bisphosphonates n’ont aucun effet
sur les ostéoclastes lorsque l’activité ostéoclastique est préala-
blement inhibée par la calcitonine, indiquant que les bisphos-
phonates doivent être internalisés par les ostéoclastes pour être
actifs (5). Différentes cibles intracellulaires pour les bisphos-
phonates ont été identifiées :
les bisphosphonates (étidronate, clodronate, pamidronate, alen-
dronate) inhibent la sécrétion par les ostéoclastes de protons
nécessaires à la dissolution du minéral osseux (8, 9). Cette inhi-
bition pourrait s’expliquer par le fait que les bisphosphonates
inactivent la pompe à protons ATPase-dépendante située au
niveau de la bordure plissée des ostéoclastes (5, 10) ;
la formation de l’anneau d’actine (nécessaire à la polarisation
des ostéoclastes et à leur attachement à la matrice osseuse) est
également inhibée par les bisphosphonates (5) ;
l’alendronate inhibe les tyrosine phosphatases (CD45, PTPs
et PTPε) impliquées dans la déphosphorylation des protéines
(11, 12) ;
les bisphosphonates induisent une apoptose des ostéoclastes,
que ce soit in vitro ou in vivo (13,14). Les mécanismes d’induc-
tion de l’apoptose dans les ostéoclastes différeraient selon la
structure des bisphosphonates : le clodronate se substituerait aux
groupements phosphate de l’ATP pour former un analogue
toxique [l’adénosine 5’-(b,g-dichlorométhylène) triphosphate]
pour les cellules (15) alors que les aminobisphosphonates (alen-
dronate, ibandronate, risédronate) agiraient sur la voie du méva-
lonate en inhibant la géranylation des protéines telles que Ras,
Rho et Rac, qui sont impliquées dans les processus de signali-
sation cellulaire (16, 17).
Au cours de l’ostéoclastogenèse, les précurseurs ostéoclastiques
mononucléés présents dans la moelle osseuse se différencient en
ostéoclastes matures plurinucléés à la surface de l’os. Il a été
montré in vitro que différents bisphosphonates (clodronate, pami-
dronate, alendronate, olpadronate, YM175) inhibent le recrute-
ment et la différenciation des précurseurs ostéoclastiques pré-
sents dans la moelle osseuse (18-21). Cette inhibition de
l’ostéoclastogenèse par les bisphosphonates serait toutefois indi-
recte. Les modèles in vitro d’ostéoclastogenèse montrent qu’il
est nécessaire de cultiver les précurseurs ostéoclastiques en pré-
sence d’ostéoblastes (18-21) ou de cellules stromales (21) pour
observer une inhibition de l’ostéoclastogenèse par les bisphos-
phonates. Il est donc vraisemblable que les bisphosphonates agis-
sent sur l’ostéoclastogenèse par l’intermédiaire des cellules de la
lignée ostéoblastique.
Figure 1. Structure globale des bisphosphonates.
Bisphosphonate
Étidronate
Clodronate
Pamidronate
Alendronate
Ibandronate
Risédronate
Zoledronate
Structure de la chaîne R2
–––– OH
–––– CI
–––– (CH2)2-NH2
–––– (CH2)3-NH2
CH3
–––– (CH2)2-N-(CH2)4-CH3
–––– CH2- N
–––– CH2-N N
Inhibition de la résorption osseuse
1
10
100
500
5 000
5 000
10 000
MÉCANISMES D’ACTION DES BISPHOSPHONATES
SUR LES CELLULES DU TISSU OSSEUX
Compte tenu de la distribution élective des bisphosphonates au
niveau de l’os, ceux-ci exerceront préférentiellement une action
sur les cellules présentes dans l’os (c’est-à-dire les ostéoblastes,
les ostéoclastes et leurs précurseurs).
MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
Mécanismes d’action sur les ostéoblastes
Le prétraitement des ostéoblastes de rat CRP 10/30 par des bis-
phosphonates (clodronate et ibandronate) inhibe in vitro la résorp-
tion osseuse lorsque ces cellules sont co-cultivées avec des ostéo-
clastes (22). Une inhibition de la résorption osseuse est également
observée lorsque le milieu conditionné provenant des ostéoblastes
traités avec les bisphosphonates est mis au contact des ostéo-
clastes (22). Les auteurs de ce travail suggèrent que les bisphos-
phonates stimulent la sécrétion par les ostéoblastes d’un facteur
soluble inhibiteur de la résorption osseuse ou, au contraire, dimi-
nuent la sécrétion d’un facteur stimulateur de la résorption
osseuse (22). D’autres travaux ont montré que des bisphospho-
nates (étidronate, alendronate) inhibent la sécrétion de prosta-
glandines (23) et d’interleukine 6 (24) par les ostéoblastes, deux
facteurs connus pour stimuler l’activité ostéoclastique. L’iban-
dronate pourrait également stimuler la libération par les ostéo-
blastes d’un facteur inhibiteur de l’activité ostéoclastique (25).
La nature de ce facteur inhibiteur est cependant inconnue.
MÉCANISMES D’ACTION DES BISPHOSPHONATES
SUR LES CELLULES TUMORALES
Des études initialement réalisées in vitro montrèrent que la lyse
osseuse induite par des extraits tumoraux était inhibée par dif-
férents bisphosphonates (26, 27). Différents modèles d’induc-
tion de métastases osseuses chez l’animal (rat ou souris nude)
furent dès lors utilisés pour tester l’effet des bisphosphonates in
vivo. Ces modèles consistent à injecter les cellules tumorales
par voie intra-artérielle (artère iliaque), intraveineuse (veine cau-
dale), intracardiaque (ventricule gauche) ou par implantation à
proximité de l’os. L’administration de différents bisphospho-
nates (étidronate, clodronate, pamidronate, YM175, alendronate,
risédronate, ibandronate) chez ces animaux présentant des méta-
stases osseuses réduit de façon significative la progression de
l’ostéolyse induite par différentes cellules tumorales (carcinomes
de la prostate et du sein, carcinome de Walker et mélanome)
(28-35). Chez les souris 5T2 atteintes d’une forme de myélome
proche du myélome humain, le pamidronate réduit également
de façon significative l’ostéolyse, sans avoir d’effet sur la mala-
die hématologique (36). L’analyse histomorphométrique des
métastases osseuses après traitement des animaux par bisphos-
phonates montre une importante diminution du nombre d’ostéo-
clastes au voisinage des métastases osseuses (28-35) et la pré-
sence d’ostéoclastes apoptotiques (33), expliquant ainsi la
réduction des plages ostéolytiques. De plus, une réduction signi-
ficative de la masse tumorale présente dans la cavité médullaire
est observée chez les animaux métastatiques traités au risédro-
nate (31, 32). L’évaluation du nombre de mitoses au site des
métastases osseuses indique que cette inhibition de la masse
tumorale est indépendante d’une action du risédronate sur la pro-
lifération des cellules métastatiques (31). Ces résultats sont en
accord avec le fait que les bisphosphonates n’affectent pas in
vitro la prolifération des cellules de carcinomes mammaire et
prostatique (37). Toutefois, il est possible que les bisphospho-
nates bloquent d’autres processus cellulaires nécessaires à la
constitution d’une métastase osseuse. Par exemple, le prétraite-
ment de lamelles d’os cortical avec différents bisphosphonates
inhibe in vitro l’adhésion des cellules de lignées de carcinomes
mammaire et prostatique à ces lamelles d’os (37, 38). De plus,
les bisphosphonates agissent aussi directement sur ces cellules
tumorales pour inhiber leur attachement à la matrice osseuse
minéralisée (37). Plus récemment, nous avons observé que
l’action directe des bisphosphonates sur les cellules tumorales
(de sein et de prostate) inhibe l’invasion tumorale en bloquant
l’activité des métalloprotéases MMP-2 et MMP-9, qui sont
nécessaires à la dégradation de la matrice par ces cellules
tumorales (Boissier S., Clézardin P., résultats non publiés). Or
l’invasion tumorale est une étape nécessaire à la constitution
d’une métastase osseuse (34). Par exemple, l’inhibiteur tissu-
laire de la MMP-2 (appelé TIMP-2) inhibe partiellement (50 %
d’inhibition) la formation chez l’animal des métastases ostéo-
lytiques induite par les cellules de carcinome mammaire MDA-
MB-231 (34). Les bisphosphonates (clodronate, pamidronate
et YM175) agissent également directement sur les cellules
plasmocytaires tumorales en induisant in vitro une apoptose
(39, 40). Le clodronate se substituerait aux groupements phos-
phate de l’ATP pour former un analogue toxique [l’adénosine
5’-(b,g-dichlorométhylène) triphosphate] pour les cellules (39)
alors que le pamidronate et le YM175 agiraient sur la voie du
mévalonate (40).
L’ensemble de ces données expérimentales suggère donc que les
bisphosphonates, en agissant directement sur les cellules tumo-
rales, peuvent bloquer des stades précoces de la formation des
métastases osseuses. Cette hypothèse est renforcée par le fait que
l’administration d’un bisphosphonate (clodronate) chez des
patientes atteintes d’un cancer du sein sans événements osseux
retarde significativement l’apparition des métastases osseuses (41),
voire non osseuses (42).
INDICATIONS CLINIQUES EN CANCÉROLOGIE
Si les bisphosphonates ont été décrits il y a plus d’un siècle (41),
leur utilisation en thérapeutique cancérologique date d’une
dizaine d’années. Leur utilisation dans un but “palliatif” (comme
le traitement de l’hypercalcémie maligne) est reconnue. Récem-
ment, plusieurs travaux ont fait entrevoir, dans le cas du cancer
du sein, des indications préventives sur les métastases osseuses,
aussi bien en situation métastatique (42, 43) qu’adjuvante (44).
D’autres études concernant le myélome (45)semblent également
prometteuses. Nous aborderons successivement les indications
reconnues et admises concernant l’utilisation des bisphospho-
nates en pratique clinique (hypercalcémie, myélome et cancer du
sein), pour terminer par ce qui nous semble être les perspectives
d’avenir concernant ces produits.
Hypercalcémie
Les bisphosphonates ont révolutionné la prise en charge des
épisodes d’hypercalcémie maligne, qui autrefois condamnaient
souvent le patient en quelques semaines (46). Grâce à leur utili-
sation, plus de 80 % des hypercalcémies d’origine paranéopla-
sique sont contrôlables, en attendant un éventuel traitement
étiologique (47, 48).
MISE AU POINT
40
La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
L’étidronate est un biphosphonate de première génération servant,
comme nous l’avons vu, de mètre étalon puisqu’il est le seul à avoir
été comparé à un placebo dans le traitement de l’hypercalcémie
d’origine maligne (49). Tous les bisphosphonates ont été utilisés
depuis et sont efficaces dans le traitement de cette hypercalcémie.
Le clodronate et le pamidronate ont obtenu une autorisation de
mise sur le marché et sont les plus couramment utilisés en cancé-
rologie dans cette indication. Les modalités d’administration du
clodronate et du pamidronate ont été étudiées. Si le traitement intra-
veineux est plus efficace, une perfusion unique initiale semble suf-
fisante dans la plupart des cas, aussi bien pour le clodronate (47)
que pour le pamidronate (48). Ces deux agents ont été comparés
entre eux (50) dans le traitement de l’hypercalcémie d’origine
maligne révélant une efficacité supérieure du pamidronate (90 mg)
par rapport au clodronate (1 500 mg) sur la durée de la normocal-
cémie obtenue après administration. Par ailleurs, la relation entre
dose de bisphosphonate et effet sur l’hypercalcémie d’origine
maligne a été mieux étudiée pour le pamidronate (48), ce qui
explique que la posologie de pamidronate intraveineux préconisée
soit fonction du taux initial d’hypercalcémie.
De nouveaux bisphosphonates sont actuellement en cours de déve-
loppement clinique. Il s’agit de l’ibandronate (51), et du zolen-
dronate (52) dont les premiers résultats en essais cliniques sem-
blent prometteurs du fait d’une efficacité au moins comparable à
celle du pamidronate, avec une simplicité d’utilisation accrue.
Myélome multiple
Trois études ont permis de montrer l’intérêt de l’utilisation des bis-
phosphonates dans le traitement du myélome multiple (tableauII),
deux utilisant le clodronate per os (53, 54) et une le pamidronate
intraveineux (45). Ces études ont amené à imposer les bisphos-
phonates en traitement concomitant à la chimiothérapie chez les
patients porteurs d’un myélome multiple de stade II ou III.
de l’incidence des épisodes d’hypercalcémie, et un meilleur
contrôle de leurs douleurs osseuses. À noter toutefois que ces
résultats n’étaient dépendants que de la réponse de la maladie
aux agents anticancéreux, suggérant un effet synergique du clo-
dronate avec ceux-ci, ce qui a également été évoqué pour d’autres
bisphosphonates in vitro (34).
L’étude de McCloskey et coll. (54) concernait une population de
609 patients randomisés au moment du diagnostic de myélome
entre clodronate 1 600 mg pendant 31 mois et placebo. Les résul-
tats de cette étude sont comparables à ceux de l’étude de Lahti-
nen concernant la douleur et les épisodes d’hypercalcémie, mais
il existe également une réduction de l’incidence des tassements
vertébraux.
Pamidronate
Berenson et coll. (45) ont étudié l’intérêt du pamidronate intra-
veineux à la posologie de 90 mg toutes les 4 semaines pendant
9mois contre placebo chez des patients atteints de myélome sous
chimiothérapie. Les résultats obtenus vont dans le sens des deux
essais précédemment cités avec, en outre, une diminution plus
marquée des événements osseux dans le groupe traité (diminu-
tion notamment du recours à la radiothérapie). Ces effets béné-
fiques se révélaient toutefois indépendants du type et de la ligne
de chimiothérapie utilisés. Une autre étude (55) concernant
300 patients porteurs d’un myélome de novo a analysé l’intérêt
du pamidronate oral (à la posologie de 300 mg par jour pendant
en moyenne 550 jours) sur les complications osseuses liées au
myélome. Les résultats sont négatifs et montrent par ailleurs que
le groupe traité par pamidronate oral présentait une augmenta-
tion statistiquement significative des douleurs osseuses et une
baisse de la taille moyenne de 1,5 cm. L’explication donnée par
les auteurs concernant ces résultats contradictoires s’appuie sur
la très mauvaise biodisponibilité du pamidronate par voie orale.
Si l’activité antitumorale du pamidronate a été documentée in
vitro sur des lignées cellulaires de myélome (39), deux cas de
patients présentant des myélomes résistants à la chimiothérapie
et ayant répondu (au sens carcinologique du terme) à un traite-
ment par pamidronate intraveineux seul ont récemment été
rapportés (56). Ces données isolées renforcent toutefois l’hypo-
thèse probable d’une action antitumorale directe de certains bis-
phosphonates (comme le pamidronate) sur les lignées myéloma-
teuses. Par ailleurs, la place des bisphosphonates seuls chez des
patients résistant aux traitements par chimiothérapie reste à éva-
luer puisqu’il n’a pas été démontré de gain en termes de survie.
Enfin, une analyse des répercussions économiques qui suivraient
la prescription des bisphosphonates aux stades précoces de la
maladie myélomateuse reste à effectuer.
Métastases osseuses des cancers du sein
L’apport des bisphosphonates a été documenté dans trois types
d’événements cliniques en rapport avec l’existence de métastases
osseuses de cancers du sein :
le traitement de la douleur osseuse ;
la prévention des complications liées à des métastases osseuses
cliniquement existantes ;
la prévention de l’apparition de métastases osseuses cliniques.
Tableau II. Essais positifs concernant bisphosphonates et myélome.
Essai
Lahtinen
(53)
McCloskey
(54)
Berenson
(45)
Nombre
de
patients
350
609
392
Bisphophonate
Clodronate
Clodronate
Pamidronate
Modalités
2 400 mg per os
par jour
1 600 mg per os
par jour
90 mg i.v.
toutes
les 4 semaines
Résultats positifs sur
Diminution de la progression
des lésions ostéolytiques,
des épisodes d’hypercalcémie
Diminution de la progression
des lésions ostéolytiques,
des épisodes d’hypercalcémie,
des tassements vertébraux
Diminution
des événements osseux
Clodronate
L’étude de Lahtinen et coll. (53) portait sur 350 patients atteints
de myélome multiple de novo randomisés entre chimiothérapie
seule et chimiothérapie associée à du clodronate 2 400 mg per os
pendant deux ans. Les patients traités par clodronate avaient une
diminution statistiquement significative des atteintes lytiques et
41
La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
Traitement de la douleur osseuse
Si, naturellement, les bisphosphonates ont été proposés en asso-
ciation à d’autres traitements des douleurs liées aux métastases
osseuses, peu d’essais ont permis de démontrer cet effet avec une
méthodologie rigoureuse. Un seul essai utilisant des bisphos-
phonates per os a été probant dans cette indication (57). Il s’agis-
sait d’un essai sur 55 patients (dont 27 avaient un cancer du sein)
utilisant du clodronate à la posologie de 1 600 mg par jour pen-
dant deux mois. Les principaux autres grands essais évaluant
l’intérêt des bisphosphonates dans la prise en charge de la dou-
leur métastatique osseuse (58-61) utilisaient du clodronate ou du
pamidronate intraveineux (tableau III). Tous ces essais portent
sur un nombre restreint de patients, et ne sont pas pour la plupart
en double aveugle, condition semblant indispensable à l’évalua-
tion de l’effet antalgique d’une nouvelle classe thérapeutique.
médullaire ; nécessité d’un geste chirurgical orthopédique (pré-
ventif ou curatif) ou de radiothérapie osseuse.
Clodronate
L’essai de Paterson et coll. (62) porte sur 173 patientes recevant
1600 mg de clodronate per os en deux prises ou un placebo pen-
dant un an. Les événements osseux, et plus particulièrement
l’incidence des fractures vertébrales, ont été significativement
moindres dans le groupe traité par clodronate. Une étude ulté-
rieure (63) a confirmé ces résultats sur une série de 67 patientes,
avec du clodronate administré selon les mêmes modalités.
Pamidronate
Une seule étude a utilisé du pamidronate per os (64). La posolo-
gie quotidienne de 600 mg initialement prévue a été diminuée de
moitié du fait d’une intolérance gastro-intestinale. Au total,
168 patientes ont été suivies pendant trois ans après randomisa-
tion. Une réduction statistiquement significative des événements
osseux, et plus particulièrement des fractures et douleurs osseuses,
a été constatée dans le groupe pamidronate per os.
L’étude de Conte et coll. (65) porte sur 295 patientes recevant,
après randomisation, une chimiothérapie seule ou associée à une
perfusion de pamidronate (45 mg) toutes les trois semaines pen-
dant sept mois. Il existe, dans le groupe pamidronate, une dimi-
nution des événements osseux, notamment des douleurs et de
l’apparition de nouvelles métastases osseuses.
Ce sont les deux études du MD Anderson (42, 43) qui ont démon-
tré, avec une méthodologie scrupuleuse, l’intérêt des bisphospho-
nates et notamment du pamidronate intraveineux en association
avec les traitements anticancéreux chez les patientes métastatiques
osseuses suite à un cancer du sein. Sept cent cinquante-quatre
patientes porteuses de métastases osseuses ostéolytiques de can-
cer du sein ont participé à l’un des deux essais randomisés en double
aveugle du pamidronate (90 mg par voie intraveineuse toutes les
Tableau III. Essais concernant les bisphosphonates et les douleurs
osseuses métastatiques du cancer du sein.
Essai
Robertson
(57)
Martoni
(58)
Vinholes
(59)
Glover
(60)
Tyrell
(61)
Nombre
de
patients
55
(27 seins)
38
52
(30 seins)
61
69
Bisphophonate
Clorodronate
Clorodronate
Pamidronate
Pamidronate
Pamidronate
Modalités
1 600 mg per os
par jour
300 mg i.v.
par jour
pendant 7 jours
120 mg i.v.
toutes
les 4 semaines
30 ou 90 mg i.v.
toutes les 2
ou 4 semaines
60 mg i.v.
toutes
les 2 semaines
Résultats positifs sur
Diminution
des douleurs osseuses
Diminution
de la consommation
d’antalgiques
Diminution
des douleurs osseuses
(21 %)
Diminution
des douleurs osseuses
(23 %)
Diminution
des douleurs osseuses
(42 %)
Tableau IV. Essais positifs concernant les bisphosphonates et les évé-
nements osseux liés au cancer du sein.
Essai
Paterson
(62)
Rizzoli
(63)
Van Holten-
Verzantvoort
(64)
Conte
(65)
Hortobagyi
(42)
Hortobagy
(43)
Nombre
de
patients
173
67
161
295
382
372
Bisphophonate
Clodronate
Clodronate
Pamidronate
Pamidronate
Pamidronate
Pamidronate
Modalités
1 600 mg per os
par jour
1 600 mg per os
par jour
300-600 mg
per os
par jour
45 mg i.v.
toutes les 3
ou 4 semaines
90 mg i.v. toutes
les 4 semaines
90 mg i.v. toutes
les 4 semaines
Résultats positifs sur
Hypercalcémie,
fractures vertébrales
Densité
et reminéralisation osseuse
Hypercalcémie, douleurs,
fractures osseuses, traitements
par radiothérapie
Douleur, augmentation
de la durée sans progression
des métastases osseuses
Diminution
des événements osseux
Diminution
des événements osseux
Au total, si les bisphosphonates intraveineux semblent améliorer le
contrôle des douleurs liées aux métastases osseuses, aucune moda-
lité d’administration ou de durée de traitement ne peut être recom-
mandée dans cette indication, et plus particulièrement en cas de
douleurs aiguës. C’est pour cette raison que la place des bisphos-
phonates dans la prise en charge des douleurs osseuses découle des
résultats des études ayant évalué ces produits dans la prévention des
complications liées aux métastases osseuses des cancers du sein.
Prévention des complications liées aux métastases osseuses
des cancers du sein
Six grandes études utilisant le clodronate ou le pamidronate ont
permis de démontrer l’intérêt de l’utilisation des bisphosphonates
dans la prévention des complications liées aux métastases osseuses
du cancer du sein (tableau IV). Toutes ces études ont le mérite
d’avoir défini une méthodologie d’essai spécifique à l’évaluation
de la maladie osseuse métastatique et de ses complications. Celles-
ci ont été définies comme suit : épisodes d’hypercalcémie ; exis-
tence de fractures pathologiques ou de signes de compression
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