La Lettre du Cancérologue - Suppl. Les Actualités au vol. XIV - n° 3 - juin 2005 9
une tyrosine-kinase cytoplasmique, dans
le système de transduction des signaux
qui commence avec… le récepteur de
l’érythropoïétine (EPO) et quelques
autres ! La pièce manquante du puzzle
s’ajuste parfaitement ; elle avait été
recherchée en vain au niveau du récep-
teur de l’EPO, mais aucune mutation n’y
avait été décelée chez les patients por-
teurs de ces syndromes myéloproliféra-
tifs. Il fallait rechercher juste en aval du
récepteur, ce qui n’est pas surprenant
pour ceux qui savaient que ces patients
ont une hématopoïèse hypersensible
non seulement à l’EPO, mais aussi à des
facteurs de croissance comme la throm-
bopoïétine ou le GM-CSF, dont les mes-
sages passent également par un récep-
teur dépourvu d’activité tyrosine-kinase,
mais couplés à une tyrosine-kinase cyto-
plasmique, Jak2 dans tous les cas.
Ainsi, Jak2 n’est pas “just another
kinase”, comme on s’est amusé à le dire
lors de sa découverte… Elle est le
rouage indispensable à l’activation par
les cytokines des voies de prolifération
médiées par Stat5, par p85 (la sous-
unité catalytique de la phosphati-
dyl-inositol-3-kinase), par Grb2 (sur la
voie des MAP kinases). Le mécanisme
moléculaire de l’activation de Jak2,
avait été décortiqué : le récepteur, lors
de sa liaison à son ligand, rapproche
ses deux domaines cytoplasmiques,
déjà liés chacun à une protéine Jak2,
et les deux molécules de Jak2, ainsi
contraintes d’interagir, se phosphory-
lent mutuellement pour s’activer, géné-
rant ces tyrosines phosphates qui sont
la clé des reconnaissances ultérieures
par les divers effecteurs mentionnés.
Mais le système s’autorégule : les pro-
téines Stat, une fois activées, entraî-
nent la synthèse de protéines Socs qui
viennent, d’où leur nom de suppressor
of cytokine signaling, rétro-inhiber l’ac-
tivation de Jak2 sur un site pseudo-kina-
sique. Les quatre équipes mentionnées
E
n l’espace de quelques semaines,
quatre journaux scientifiques (1-4)
ont publié une découverte identique, de
première importance pour la compré-
hension des hémopathies malignes :
celle de l’altération oncogénique à l’ori-
gine de plusieurs syndromes myélopro-
lifératifs chroniques (polyglobulie de
Vaquez, thrombocytémie essentielle et
splénomégalie myéloïde). On connaissait
déjà l’altération moléculaire à l’origine
de la leucémie myéloïde chronique (la
protéine hybride Bcr-Abl, fruit de la
translocation t[9;22]) et celle à l’origine
de la mastocytose systémique (le récep-
teur A du PDGF). Sera-t-on surpris d’ap-
prendre qu’il s’agit, encore une fois,
d’une tyrosine-kinase ? C’est une muta-
tion activatrice de Jak2 (Janus kinase 2)
qui est, cette fois, la coupable. Jak2 est
déterminer la dose maximale tolérée du
docétaxel dans cette association.
N. Houédé-Tchen
Département d’oncologie médicale,
institut Bergonié, Bordeaux
>
Tolcher AW et al.
Clin Cancer Res 2005;11:3854-61.
Pour en savoir plus...
1.
Tolcher AW, Chi K, Kuhn J et al. A phase II,
pharmacokinetic, and biological correlative study
of oblimersen sodium and docetaxel in patients
with hormone-refractory prostate cancer. Clin Cancer
Res 2005;11:3854-61.
2.
Tannock IF, de Wit R, Berry WR et al. TAX 327
Investigators. Docetaxel plus prednisone or mitoxan-
trone plus prednisone for advanced prostate cancer.
N Engl J Med 2004;351:1502-12.
3.
Petrylak DP, Tangen CM, Hussain MH et al. Doce-
taxel and estramustine compared with mitoxan-
trone and prednisone for advanced refractory
prostate cancer. N Engl J Med 2004;351:1513-20.
plus haut ont toutes identifié la même
mutation gain-de-fonction de Jak2 dans
la grande majorité des polyglobulies et
dans environ la moitié des cas étudiés
de thrombocytémie essentielle et de
myélofibrose idiopathique chronique.
Cette mutation faux-sens, Val617Phe,
survient dans le domaine pseudo-kina-
sique, celui qui n’a pas d’activité phos-
phorylante, mais, au contraire, reçoit les
messages inhibiteurs de Socs.
On ne peut entrer ici dans le détail des
preuves qu’apporte chacun des groupes
qui ont identifié cette mutation, dont le
groupe de W. Vainchenker, à Villejuif,
mais il est clair qu’il s’agit bien de l’al-
tération oncogénique causale de la
majorité de ces syndromes myéloprolifé-
ratifs chroniques. Bien sûr, des questions
restent en suspens : et les cas, nom-
breux tout de même, où il n’a pas été
trouvé de mutation de Jak2 ? Et com-
ment la même mutation peut-elle
conduire à trois entités pathologiques
différentes ? On peut penser qu’il existe,
à côté de cette mutation causale, des alté-
rations diversement associées ; ou plutôt
que le stade de différenciation de la cellule
où survient la mutation la dirigera vers des
destinées différentes. Qu’en est-il égale-
ment des autres voies de signalisation
médiées par Jak2, qui est aussi en aval du
récepteur de la leptine, de celui de l’hor-
mone de croissance, et de plusieurs récep-
teurs de cytokines ? Un problème résolu,
et déjà les autres se profilent à l’horizon…
J. Robert
Institut Bergonié, Bordeaux
>
James C et al., Nature 2005;434:1144-8.
Pour en savoir plus...
1.
James C, Ugo V, Le Couedic JP et al. A unique
clonal JAK2 mutation leading to constitutive
signalling causes polycythaemia vera. Nature
2005;434:1144-8.
2.
Baxter EJ, Scott LM, Campbell PJ et al. Cancer
Genome Project. Acquired mutation of the tyrosine
Un nouvel oncogène
pour les syndromes
myéloprolifératifs chroniques
>