E Influence de la radiothérapie des cancers du col de l’utérus

406 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009
DOSSIER THÉMATIQUE
Sexualité et cancers féminins
Influence de la radiothérapie
des cancers du col de l’utérus
sur la sexualité féminine
Cancer of the cervix:
influence of radiation therapy on women sexuality
A. de la Rochefordière 1, M. Campitelli 1
1
Groupe d’étude des tumeurs gyné-
cologiques de l’Institut Curie, dépar-
tements d’oncologie médicale et
d’oncologie radiothérapique, Institut
Curie, Paris.
E
n France, 3 100 nouveaux cas de cancers du
col de l’utérus sont diagnostiqués chaque
année. Si le pronostic des formes limitées est
excellent, l’efficacité thérapeutique des formes
localement avancées demeure limitée.
L’âge moyen de survenue de ce cancer est de 50 ans.
Lespérance de vie d’une Française est en moyenne
de 85 ans. On comprend donc l’importance de
s’intéresser à la qualité de vie de ces femmes, à
leur sexualité, en particulier lorsqu’elles ont été
traitées à un jeune âge, avant la survenue d’une
ménopause spontanée ou la concrétisation d’un
projet de maternité.
Difficulté d’appréciation
de la qualité de vie en fonction
des différentes études
L’appréciation de la qualité de vie post-thérapeu-
tique des femmes traitées pour un cancer du col
de l’utérus est difficile en raison de l’rogéité
des études.
Certaines sont plus particulièrement centrées sur
la qualité de vie, d’autres sur la sexualité, d’autres
enfin abordent l’ensemble de ces paramètres. Les
populations sont souvent hétérogènes, tous âges
et/ou tous stades confondus. Les études sont
fondées sur des registres, sur des évaluations cas/
témoins, ou sur des interviews de patientes. Le
recul de l’évaluation peut être plus ou moins long.
Enfin, peu d’études abordent la relation spécifique
avec le partenaire, le cas échéant.
Il est évident qu’aborder et apprécier la sexualité
d’une femme, dans un contexte carcinologique
ou non, est toujours délicat et que la formation
dicale nous a peu enseig la communication
dans ce domaine particulier. La satisfaction sexuelle
féminine est multifactorielle, plus souvent fondée
sur des aspects intimes, sur la sensualité, que sur
l’appréciation numérique des rapports ou des
orgasmes, qui ne rend pas compte de la satisfaction
sexuelle globale. La relation avec le partenaire est
essentielle et son influence considérable tant sur
l’image de soi que sur le plaisir ressenti.
Les éléments de satisfaction sexuelle évoluent avec
l’âge. Une jeune femme peut percevoir sa sexualité
ou sa féminité dans son aptitude à fonder un foyer
et à procréer. Une femme plus âgée peut se sentir
soulagée de la survenue d’une aménorrhée, éven-
tuellement plus préoccupée par sa sexualité propre
que par son aptitude à assumer la prise en charge
familiale. Enfin, les valeurs ethniques, spirituelles
et sociales entrent largement en ligne de compte
dans la sexualité féminine.
La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009 | 407
Résumé
L’âge moyen de survenue du cancer du col de l’utérus est de 50 ans. Les femmes déplorent le manque d’in-
formation délivrée lors de la consultation d’annonce sur les conséquences du traitement sur leur fertilité
et la sexualité post-thérapeutique. Malgré les progrès importants obtenus dans l’optimisation balistique,
la radiothérapie externe, associée ou non à une curiethérapie utéro-vaginale ou à la chirurgie, demeure le
facteur thérapeutique qui perturbe le plus la sexualité féminine. Les facteurs psychologiques, le retentis-
sement sur la taille, la fragilité de la muqueuse vaginale, diminuent la qualité et la fréquence des rapports.
Le dialogue avec le partenaire, avec le médecin référent, l’aide d’un psychologue ou d’un sexologue, l’uti-
lisation précoce de dilatateurs vaginaux, de lubrifiants, et la rééducation périnéale doivent permettre aux
femmes de retrouver une qualité de vie et de sexualité optimales.
Mots-clés
Cancer du col utérin
Radiothérapie
Sexualité
Qualité de vie
Highlights
In France, cervix carcinoma is
diagnosed at a mean age of 50.
Most women complain about
lack of information regarding
treatment consequences on
fertility and sexuality.
In spite of important progress
obtained in radiation devices
and treatment planning,
external beam irradiation,
combined with intracavi-
tary brachytherapy, with or
without surgery, remains the
main impact factor on sexuality.
Psychological aspects, as well
as consequences on vaginal
moisturing, or vaginal fibrosis
decrease the quality and the
frequency of intercourses.
The dialogue with the partner,
the help of a psychologist or
a sex therapist, the premature
use of vaginal dilators, lubri-
cants, perineal reeducation
have to allow the women to
find a quality of optimal life
and sexuality.
Keywords
Cancer of the cervix
Radiotherapy
Sexuality
Quality of life
Retentissement
de la radiothérapie
sur la sexualité
Rappelons brièvement que l’utilisation des rayon-
nements comporte trois modalités :
la curiethérapie utéro-vaginale, généralement
utilisée dans les formes limitées de cancer du col
de l’utérus avant la réalisation de la chirurgie, ou
en complément d’une radiothérapie pelvienne dans
les formes plus évoluées ou en cas de contre-indi-
cation chirurgicale ;
la curiethérapie postopératoire du fond vaginal ;
la radiothérapie pelvienne ; elle est préopéra-
toire lorsqu’il s’agit de formes opérables de gros
volume tumoral, généralement associée à une
chimiothérapie radio-sensibilisante (1) ; elle est
postopératoire en cas d’atteinte ganglionnaire
histologique ; elle est exclusive dans les formes
inopérables, là encore associée à une chimiothé-
rapie sensibilisante fondée sur les sels de platine.
La curiethérapie utéro-vaginale intéresse généra-
lement le col utérin, la moitié inférieure du corps
utérin, les culs-de-sac vaginaux et le tiers supérieur
du vagin.
L’irradiation transcutanée cible le pelvis de l’in-
terligne L4-L5 ou L5-S1 jusquau vagin, inclus
partiellement ou totalement dans le volume traité
selon le stade de la maladie. Sa réalisation peut
entraîner des désordres intestinaux, urinaires,
cutanéo-muqueux et une ménopause chez les
patientes en activité génitale. Il en est de même
pour la curiethérapie utéro-vaginale, lorsque les
ovaires n’ont pas fait l’objet d’une transposition
chirurgicale.
Malgré les progrès importants réalisés dans l’opti-
misation de la balistique, la radiothérapie pelvienne
est le facteur thérapeutique qui perturbe le plus
la qualité de vie et la sexualité féminine (2). Des
troubles endocriniens tels que le diabète, ou un
tabagisme important, augmentent le risque et
l’intensité des effets indésirables tardifs, en parti-
culier de la fibrose des tissus sains. La fibrose est
une lésion élémentaire du tissu conjonctif définie
par la rupture d’équilibre entre l’augmentation du
processus de synthèse et de dépôt des constituants
de la matrice extracellulaire et la diminution des
processus de dégradation. Elle est irréversible. Elle
peut se stabiliser, évoluer vers des remaniements,
être systématisée et limitée ou bien, dans de rares
cas, se révéler mutilante. La sclérose correspond à
l’induration des tissus consécutive à la fibrose.
Dans le cas d’une radiothérapie pelvienne intéressant
le vagin, voire la vulve, on rapporte fréquemment
l’apparition d’une sécheresse vaginale, une perte de
l’élasticité pariétale, une atrophie vaginale parfois
accompagnée de petits saignements vaginaux spon-
tanés ou provoqués par les rapports sexuels (3-9). La
sensibilité clitoridienne n’est pratiquement jamais
évaluée dans les résultats de la littérature et méri-
terait d’être mieux explorée. Il est très probable que
l’irradiation vaginale ait une action sur les éléments
vasculaires du plexus veineux intermédiaire de Kobelt
et diminue les capacités érectiles du clitoris.
Information des patientes
sur la sexualité
après radiothérapie
Les femmes déplorent le manque d’informa-
tion délivrée par les équipes soignantes sur les
conséquences potentielles des traitements sur la
sexualité (10-12) et, le cas échéant, sur la fertilité
(13). Cette information est pourtant essentielle.
Lentretien initial doit permettre de consigner la
situation anatomique de la tumeur sur un schéma.
Le volume cible de la radiothérapie et les effets
indésirables potentiels à court et long terme de la
radiothérapie et de la curiethérapie doivent être
précisés. Les femmes en activité génitale doivent
être longuement informées de l’aménorrhée défi-
nitive consécutive à la chirurgie et/ou à la radio-
thérapie (7). Il est évident que l’impossibilité d’un
projet de maternité spontanée ultérieure doit être
précisée. La seule perspective d’une infertilité est
un facteur péjoratif essentiel de la qualité de la
sexualité d’une jeune femme (13). Le recours à
une consultation spécialisée peut compléter ces
informations. Les troubles fonctionnels postméno-
pausiques et leurs conséquences éventuelles sur la
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Influence de la radiothérapie des cancers du col de l’utérus
sur la sexualité féminine
DOSSIER THÉMATIQUE
Sexualité et cancers féminins
qualité de la sexualité doivent être discutés, ainsi
que les moyens de les pallier. En cas d’indication
chirurgicale, les femmes, voire les couples, “fantas-
ment” l’hystérectomie comme laissant place à une
vaste cavité interdisant la reprise des rapports.
Expliquer que cette cavité sera comblée par des
anses digestives est l’occasion de préciser que le
coït peut être suivi de douleurs abdominales liées
à la mobilisation des anses digestives parfois figées
par la radiothérapie. Des séances d’ostéopathie
abdominale et une rééducation périnéale peuvent
tout à fait améliorer ce type de symptôme. Léquipe
médicale aura également informé la patiente du
raccourcissement dû à l’exérèse d’une collerette
vaginale, a fortiori lorsque cette opération est
précédée ou suivie d’une radiothérapie.
Lorsqu’elles sont interrogées, beaucoup de femmes
relatent leur appréhension lors de la reprise des
rapports après le traitement. Cette réticence est
constatée même après 2 ans de suivi (2, 8). Beau-
coup sont préoccupées par l’obligation de péné-
tration pour parvenir à la satisfaction masculine et
décrivent une abstraction morale pendant l’acte
sexuel. Ces réactions sont moins marquées chez
les couples qui dialoguent et dont le répertoire des
pratiques sexuelles est plus étendu. Il faut égale-
ment noter que les hommes eux-mêmes peuvent
appréhender les rapports, soit par crainte de provo-
quer des douleurs, soit par réticence devant une
maladie “obscure” et une anatomie remaniée.
S.T. Lindau et al. (10) ont précisé que l’absence
d’accompagnement sur la sexualité augmente
significativement le risque relatif (RR) de problèmes
sexuels (RR = 2,74 ; IC95 : 1,14-6,58). À long terme
(5 ans et plus), les problèmes de dyspareunie ou
l’inconfort secondaire à une irradiation pelvienne
sont sous-estimés par les médecins (14).
Il faut d’emblée préciser quelles doivent être les
périodes d’arrêt des rapports sexuels et le moment
auquel leur reprise peut être envisagée. Le cas
échéant, toutes ces explications doivent être four-
nies en présence du partenaire, en insistant sur
l’importance du dialogue au sein du couple et sur
la progression à envisager.
La patiente doit être informée des risques de
sécheresse vaginale iatrogène et des moyens d’y
remédier. Une application quotidienne d’huile à
base de vitamine E sur les parois vaginales, l’intro-
duction bi- ou tri-hebdomadaire d’ovules d’estro-
gènes ainsi que l’utilisation d’un lubrifiant vaginal
avant les rapports améliorent significativement une
éventuelle dyspareunie. Notons que l’utilisation
autorisée d’un traitement hormonal faiblement
dosé nempêche pas la prescription de traitements
trophiques vaginaux. En effet, la diminution de la
lubrification des parois vaginales n’est pas suffi-
samment améliorée par un traitement p.o. après
radiothérapie (2, 7).
Enfin, des dilatateurs vaginaux doivent être systé-
matiquement proposés aux patientes (15).
Ces dilatateurs de taille croissante présentent le
double avantage de prévenir le rétrécissement
fibreux du fourreau vaginal (troubles trophiques,
adhérences) et de diminuer les appréhensions de
la patiente à la reprise de la pénétration. Leur
aspect terne, le manque d’explications quant à
leur intérêt et les réticences individuelles, tant de
la part de la patiente que du médecin, rendent leur
utilisation trop rare bien que leur bénéfice ait été
démontré (2). Il faut conseiller leur utilisation dès la
fin des réactions locales vaginales après la curiethé-
rapie et la radiothérapie. Un lubrifiant facilite leur
introduction. Des contractions répétées du périnée
lorsque le dilatateur est en place permettent à la
femme de recouvrer des sensations locales et de
commencer la rééducation périnéale.
Conclusion
La qualité du premier entretien médical avec une
patiente prise en charge pour un cancer du col de
l’utérus est essentielle (14). Cet entretien doit
aborder clairement et sans détour les conséquences
du traitement sur la sexualité. Il faut être conscient
du fait que les connaissances anatomiques des
femmes sont limitées (2) et qu’il est indispensable
de préciser ce que le traitement va modifier. Il faut
soulager les femmes du sentiment de culpabilité
à l’égard d’une maladie gynécologique souvent
associée à une infection virale. Léquipe médicale
doit délivrer l’information qu’elle se sent capable
d’aborder et ne pas hésiter à faire appel à des
consultations spécialisées complémentaires. Ainsi,
le psycho-oncologue, seul ou au sein d’un groupe
de parole, pourra aider la patiente à exprimer ses
craintes, sa culpabilité à l’égard de sa famille et de
la potentielle non-réalisation de projets à venir. Le
sexologue pourra guider au mieux la patiente dans
la reprise des rapports et éventuellement identifier
des couples susceptibles de présenter des diffi-
cultés relationnelles exacerbées par la survenue
de la maladie cancéreuse. Enfin, il est essentiel de
poursuivre des études évaluant en détail le devenir
de la sexualité de ces femmes en s’intéressant
également au ressenti de leur partenaire.
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