SOINS DES PLAIES 31 Le pied diabétique Quels sont les risques infectieux ? Chez les diabétiques, le soin des plaies prend un relief particulier. Dans un tiers des cas, on retrouve une atteinte artérielle, dans un autre tiers une atteinte neurologique ayant permis le développement sans douleur d’une infection et, pour le reste, l’existence d’atteintes mixtes, ou artérielle, neurologique et infectieuse. Mais la cause déclenchante est extérieure pour la moitié des cas. Trois mécanismes importants Sur le plan physiopathologique, trois grands mécanismes sont à l’origine d’un trouble trophique ou participent à son évolution : ce sont la neuropathie périphérique, l’artériopathie des membres inférieurs et l’infection. • La neuropathie sensitive ou motrice est une complication particulièrement fréquente et précoce du diabète ; elle toucherait en moyenne 30 % des patients. Elle est tenue pour responsable d’environ 60 à 80 % des ulcères chez les diabétiques et participe à leur développement par ses composantes sensitivomotrices et végétatives. La neuropathie est marquée par la perte de la sensibilité thermoalgique responsable de lésions traumatiques indolores. La perte du signal d’alarme explique le retard diagnostique et la sous-estimation de la gravité de la plaie. • L’artériopathie des membres inférieurs est plus fréquente dans la population diabétique. Elle est liée à une athérosclérose pré- coce, aggravée par l’association d’autres facteurs de risque vasculaires (tabagisme, hypertension artérielle, hypercholestérolémie). L’atteinte artérielle touche principalement l’artère fémorale profonde et les tibiales antérieures et postérieures. Par ailleurs, de façon plus spécifique au diabète, l’existence d’une médiacalcose, responsable d’une diminution de la compliance artérielle et visible sur les clichés radiologiques par la présence de calcification. L’athérosclérose s’associe à une atteinte micro-angiopathique favorisant les occlusions distales. • L’infection n’est pas un facteur causal dans l’apparition des plaies ; en revanche, elle joue un rôle extrêmement aggravant dans leur évolution naturelle. La surinfection est souvent à l’origine des hospitalisations. La flore est le plus souvent polymicrobienne mais les germes les plus fréquemment retrouvés sont le staphylocoque doré, les bacilles à Gram négatif et les anaérobies. Le type de germe dépend de la profondeur de la plaie et de l’extension de la cellulite perilésionnelle. Son identification nécessite un prélèvement profond et, lorsque cela est possible, la ponction d’une collection purulente ou une biopsie osseuse. Les lésions chroniques du pied posent souvent le problème du diagnostic de l’ostéite chronique, qui demeure difficile. La présence d’un contact osseux à l’examen est en faveur d’une ostéite aiguë probable, même en l’absence d’image spécifique sur la radiographie standard. Prise en charge de la lésion La prise en charge d’une lésion chez le diabétique impose préalablement un bilan initial, permettant de définir le type et le pronostic de la lésion, orientant ainsi l’attitude thérapeutique. L’analyse clinique évalue l’ancienneté de la plaie, son évolution et les thérapeutiques mises en place antérieurement. L’examen clinique précise l’aspect de la plaie, sa taille, sa profondeur, grâce à l’utilisation d’un stylet ou d’une sonde cannelée, la recherche d’un contact osseux ou d’un pertuis profond. On recherche par ailleurs des signes inflammatoires locaux (inflammation périlésionnelle, collection purulente, lymphangite) régionaux (adénopathie), généraux (fièvre). L’évaluation de l’état vasculaire et du degré d’ischémie périlésionnelle passe par la mesure transcutanée de la pression en oxygène des tissus (TCP02), qui permet de donner rapidement le pronostic de cicatrisation et d’orienter l’exploration vasculaire. Cet examen non invasif est de réalisation extrêmement simple, et donne un reflet métabolique de l’artériopathie. Si la TCP02 est supérieure à 30 mm de mercure, la cicatrisation spontanée est possible et l’orientation thérapeutique privilégie des soins de parages locaux. En revanche, si la TCP02 est inférieure à 30 mm de mercure, une exploration complémentaire de l’état artériel s’impose, dans le but de discuter un geste de revascularisation. Le bilan initial précise à la fois le grade de la plaie, le niveau d’ischémie et le pronostic de cicatrisation. En l’absence d’ischémie tissulaire, les plaies neuropathiques impo- >> DOSSIER F ace à une plaie du pied diabétique, le premier (bon) réflexe est de caractériser la lésion, c’est-à-dire analyser le terrain (neuropathie, artériopathie, les deux à la fois, antécédents de plaie), rechercher le mécanisme à l’origine de la plaie, demander la date du début de la plaie, en mesurer la taille et la profondeur et enfin rechercher les signes d’une infection (fièvre, plaie purulente, cellulite localisée ou nécrosante, gangrène gazeuse avec crépitation sous-cutanée recherchée par palpation). >> Professions Santé Infirmier Infirmière N° 61 • janvier-février 2005 32 DOSSIER >> DOSSIER >> Infos ... Une cause extérieure déclenchante dans 50 à 60 % cas. Ce sont : – les chaussures, – les supports plantaires, – l’altération de la statique du pied, – les soins de pédicure, – les coricides chimiques, – l’hygiène défectueuse, mycose, – les ongles hypertrophiques, ou incarnés, – les bains de pieds prolongés, – une chaleur excessive, – les traumatismes du pied. sent une prise en charge de l’ensemble des mécanismes en cause dans leur apparition. La réalisation d’un débridement, avec l’exérèse de l’hyperkératose, des tissus remaniés ou infectés, a pour but d’obtenir une plaie propre et un tissu de granulation. Ce débridement peut être fait le plus souvent au lit du malade, en consultation, ou être chirurgical, si l’atteinte tissulaire est trop extensive. Par la suite, la réalisation de pansements quotidiens est indispensable pour maintenir la plaie propre et favoriser le bourgeonnement. On peut proposer l’utilisation d’antiseptique incolore, ou simplement le sérum physiologique, privilégié par certaines équipes. Dans tous les cas, une hygiène parfaite s’impose, nécessitant assez souvent l’aide d’une infirmière. Le pansement est réalisé au moyen de compresses sèches non adhérentes ou d’un pansement gras. Le traitement de l’infection Lorsque la plaie est profonde, une antibiothérapie s’impose. Adaptée à l’antibiogramme, elle doit couvrir de façon privilégiée le staphylocoque doré et les anaérobies. Il faut éviter les antibiotiques néphrotoxiques en raison du risque rénal de ces patients (néphropathie diabétique). Les antibiotiques le plus souvent utilisés sont l’amoxicilline acide clavulanique, les fluoroquinolones et la clindamycine. La durée minimale de traitement ne doit pas être inférieure à 10 jours. La durée maximale n’a pas fait l’objet de consensus ; elle peut être très prolongée en cas d’ostéite chronique. L’arrêt du traitement doit être discuté en fonction des paramètres cliniques (évolution de la plaie, signes inflammatoires, prélèvements bactériologiques profonds) et biologiques (CRP-VS). L’appareillage L’appareillage est primordial ; il a pour objectif la protection de la plaie et, surtout, la suppression de l’appui anormal au niveau de la lésion. La réduction de la marche et Professions Santé Infirmier Infirmière N° 61 • janvier-février 2005 des activités en station debout est indispensable, en augmentant parallèlement les périodes de repos. Lors du traitement en ambulatoire, l’utilisation de chaussures de décharge de l’avant-pied ou du talon à usage temporaire doit être conseillée afin de supprimer les traumatismes répétés, mais la compliance est difficile à obtenir car elles sont peu confortables. L’amélioration de l’équilibre glycémique est toujours nécessaire et implique une intensification du traitement, notamment par une insulinothérapie transitoire dans le diabète non insulinodépendant. La découverte d’un ulcère, dans un contexte d’ischémie, entraîne dans un premier temps une exploration exhaustive de l’artériopathie et la discussion d’un geste de revascularisation. La restauration d’une bonne oxygénation tissulaire est une priorité, car elle permet d’envisager des gestes locaux au niveau de la plaie et d’obtenir la cicatrisation. Les lésions artérielles siègent souvent au niveau sous-poplité et imposent généralement des gestes chirurgicaux délicats à type de pontage distal. Certaines lésions peuvent bénéficier de l’oxygénothérapie hyperbare, afin d’améliorer l’oxygénation tissulaire. Ce traitement reste relativement lourd. La place de la prévention La gravité des lésions et les difficultés de leur prise en charge nécessitent la mise en place de moyens de prévention. Ces derniers ont fait la preuve de leur efficacité sur la réduction du nombre et de la gravité des lésions et sur les conséquences qui en découlent (amputations, hospitalisations). Cette prévention doit être adaptée à chaque patient en tenant compte du risque lésionnel. Elle est basée sur un examen systématique des pieds pour remplacer le signal d’alarme qu’est la douleur, qui n’est pas ressentie chez le diabétique. Lorsqu’une douleur est ressentie ou lorsqu’il y a un saignement, c’est déjà trop tard : une plaie vient d’être provoquée. Lorsqu’on considère les plaies des pieds des diabétiques sont incriminés les chaussures, l’altération de la statique du pied, les soins de pédicure, une hygiène défectueuse, des bains de pieds prolongés, une chaleur excessive, des traumatismes du pied… Les chaussures peuvent comprimer ou agir par frottement interne répété. Les aspérités dues aux coutures ou au cuir, les zones de décollement à l’intérieur des chaussures et les corps étrangers (petit caillou, éclat de verre…) sont les principales anomalies qui risquent d’être causes de blessure. Les chaussettes peuvent également être en cause lorsque la couture au niveau des orteils est particulièrement épaisse. Les altérations de la statique du pied correspondent aux cas où les chaussures et les supports plantaires (semelles) ne présentent pas d’aspérité à l’origine d’un mal perforant plantaire. L’emploi de coricides chimiques, l’utilisation de meuleuses électriques ou, surtout, l’emploi incontrôlé d’instruments tranchants ou l’arrachement d’un lambeau de peau sont en cause. Dans les espaces entre les orteils ou sous les orteils peut se développer une mycose banale favorisée par la transpiration, la macération et un défaut d’hygiène. Chez les diabétiques, les mycoses sont encore plus fréquentes et peuvent conduire à une véritable infection profonde avec une plaie. Des accidents peuvent être liés à la pousse anarchique des ongles ou à un ongle incarné. À l’inverse, les bains de pieds prolongés peuvent être à l’origine d’une infection profonde. Afin de ramollir les callosités sous les pieds (début de mal perforant plantaire), on propose souvent des bains de pieds, mais cette idée apparemment correcte, est fausse. En effet, la plupart des callosités sont souvent fissurées, et les bains de pieds prolongés plus de 5 minutes créent une macération au fond de ces fissures, qui favorise la pénétration en profondeur, dans les tissus sains, des microbes qui se trouvent dans ces fissures. ALP Colloque sur le pied diabétique, Alfedian