MISE AU POINT Cancers du sein triple-négatifs Triple negative breast cancers V. Diéras 1, P. Tresca 1, C. Le Tourneau 1, A.V. Salomon 2, J.Y. Pierga 1, 3 L es cancers du sein présentent une hétérogénéité tumorale sur les plans clinique, histologique et moléculaire expliquant la diversité des présentations, des réponses aux traitements et du pronostic. Les cancers du sein triple-négatifs (TN) se définissent par la négativité des récepteurs aux estrogènes (RO), à la progestérone (RP) et HER2. Ce sous-type tumoral, par définition non accessible aux thérapeutiques ciblées comme l’hormonothérapie ou le trastuzumab, pose un réel problème. Les cancers du sein TN surviennent le plus souvent chez des femmes jeunes, de moins de 50 ans, et sont plus fréquents chez les femmes d’origine africaine (1-3). Les tumeurs TN sont associées à un risque élevé de métastases et de décès, essentiellement lors des 3 à 5 premières années de suivi. La progression métastatique se caractérise par une rechute précoce, avec une prédominance des localisations viscérales et cérébrales et une incidence plus faible de métastases osseuses (4). Il s’agit le plus souvent de tumeurs “d’intervalle”, échappant au dépistage en raison de leur prolifération élevée et de leur agressivité (5). Définition La définition est immunohistochimique du fait de l’absence de marquage pour RO, RP et des récepteurs HER2. Le cancer du sein “basal-like” présente une définition moléculaire dont les limites sont liées à la technique immunohistochimique. Récemment, des discordances de classification entre les laboratoires ont été soulignées, dues à la préparation des tissus, au choix de l’anticorps, à la détection et à l’interprétation des résultats. Les cancers du sein TN présentent également une hétérogénéité biologique et clinique. Il est essentiel de différencier ce sous-type tumoral afin d’adapter au mieux les traitements et de sélectionner les meilleurs essais cliniques. Les caractéristiques histo- logiques sont généralement représentées par une tumeur de haut grade, avec moins de formations tubulaires, un index mitotique élevé, une fibrose centrale et un infiltrat lymphocytaire. La diversité biologique des cancers du sein TN a été étudiée par profil d’expression génique. Dans une série de 97 tumeurs du sein, Kreike et al. ont noté une hétérogénéité, avec individualisation de 5 clusters selon l’expression de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor), des cytokératines 5 et 6, le récepteur à tyrosine kinase c-kit, le récepteur aux androgènes et les gènes de l’immunité (interféron, immunoglobulines) [6]. La signature immunologique semble particulièrement associée au pronostic. Classifications immunohistochimique et moléculaire Il existe un recoupement entre les tumeurs TN, le phénotype “basal-like” et les tumeurs BRCA1 mutées. Perou et al. (7) ont identifié 5 sous-types moléculaires de pronostic différent, dont un “basallike”. Ce terme se référait alors aux tumeurs du sein présentant un profil d’expression génique ressemblant aux cellules myoépithéliales, caractérisées par l’expression de cytokératines basales (CK5, CK6, CK14, CK17), de cavéoline (CAD1, CAD2) et de cycline D1 ainsi que par l’absence d’expression de RO, RP et de HER2. Il est important de souligner que les cancers du sein TN ne sont pas synonymes de “basal-like”, et vice versa : seuls 70 à 90 % des TN présentent un phénotype “basal-like”, et 20 % des “basal-like” ne sont pas TN. En l’absence de signature génique, d’autres marqueurs immunohistochimiques peuvent permettre d’identifier le phénotype “basallike”, parmi lesquels les CK5, les CK6 et l’EGFR. Par ailleurs, il existe également un recoupement entre TN et mutation du gène BRCA1 (BReast CAncer 1). 1 Département d’oncologie médicale, unité d’investigation clinique, Institut Curie, Paris. 2 Département de biologie des tumeurs, Institut Curie, Paris. 3 Université Paris-Descartes, Paris. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 6 - juin 2010 | 349 Résumé Mots-clés Cancer du sein Triple-négatif Basal-like BRCA1 Chimiothérapie cytotoxique Bévacizumab Inhibiteurs de PARP Highlights Triple negative tumors belong to a sub-group with poor prognosis. Todate, they are defined by immunochemistry with the lack of estrogen, progesterone and HER2 receptors expression. Although sharing many characteristics, triple negative tumors and basal-like tumors are not synonymous. Despite high response to cytotoxic chemotherapy, the prognosis remains poor due to the fact that is no room for endocrine or trastuzumab therapy. There is a need to develop new strategies from molecular signatures to targeted therapies. New opportunities like anti-angiogenic treatments, PARP inhibitors or targeting EGFR are under investigation. Keywords Breast cancer Triple negative Basal-like BRCA1 Cytotoxic chemotherapy Bevacizumab PARP inhibitors Les tumeurs triple-négatives (TN) représentent un sous-groupe de cancers du sein associés à un mauvais pronostic. À l’heure actuelle, elles sont définies en immunohistochimie par l’absence d’expression des récepteurs estrogènes, de la progestérone et de HER2. Bien qu’il existe une similitude avec les tumeurs basal-like, il est clair que le terme “triple-négatif” ne doit pas être utilisé comme synonyme de ce type de tumeur. Alors que les tumeurs TN présentent une réponse fréquente à la chimiothérapie, le pronostic de ces patientes, dû à l’absence de possibilité d’hormonothérapie ou de trastuzumab, reste sombre. Il est donc nécessaire de se doter de stratégies plus agressives, allant du développement de signatures moléculaires associées à des thérapies ciblées. Certaines pistes ont ainsi été ouvertes, comme les traitements antiangiogéniques, les inhibiteurs de poly(ADP-ribose) polymérase ou le ciblage du récepteur à l’ Epidermal Growth Factor. Parmi les patientes portant une mutation germinale de BRCA1 (soit 10 % des patientes souffrant d’une tumeur du sein), 90 % présentent une tumeur TN. Les ­mutations somatiques de BRCA1 sont rares. Cependant, dans les petites séries, la proportion de TN présentant une mutation de BRCA1 est d’environ 40 %. Par ailleurs, 30 % des cas de cancers du sein sporadiques révèlent une inactivation du gène BRCA1. De cette observation découle le concept de “BRCAness” : un dysfonctionnement de BRCA1 en l’absence de mutation, qui peut être dû à des modifications épigénétiques comme la méthylation du gène (8). Traitement Il n’existe pas de traitement médical spécifique des cancers du sein TN. À ce jour, en l’absence de thérapeutique moléculaire ciblée, la chimiothérapie reste la clé de voûte du traitement. Il existe une urgence à développer de nouvelles stratégies thérapeutiques dans les cas de tumeurs chimiorésistantes. Le traitement repose sur un paradoxe dans le cancer du sein TN : malgré une forte chimiosensibilité, le pronostic reste sombre du fait des caractéristiques biologiques agressives et de l’apparition d’une chimiorésistance précoce. Les études cliniques, particulièrement en situation néo-adjuvante, ont confirmé cette ­chimiosensibilité (9-11). Les cancers du sein TN présentent un taux élevé de réponse complète histologique compara­ tivement aux autres sous-types, particulièrement les cancers luminaux (12). Ce taux est corrélé à la survie sans maladie (DFS) et à la survie globale (SG) [9, 13]. Chimiothérapie cytotoxique Malgré la chimiosensibilité des tumeurs TN, il n’existe pas de consensus sur le choix et le schéma d’adminis­ tration des agents cytotoxiques. Il n’existe que des données rétrospectives portant sur un nombre faible de patientes. Anthracyclines Dans une analyse rétrospective de chimio­thérapie néo-adjuvante de type FAC (5 fluoro-uracile, doxorubicine, cyclophosphamide), le taux de réponse 350 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 6 - juin 2010 complète histologique est de 17 % dans la cohorte TN versus 4 % pour les non TN (14). Deux méta-analyses suggèrent un bénéfice des anthracyclines limité aux patientes présentant une tumeur HER2+ (15, 16). Cependant, ces résultats sont limités du fait de l’hétéro­généité des populations étudiées et des différents protocoles utilisés (agents, dose, schéma). Une autre méta-analyse plus récente suggère quant à elle que le bénéfice des anthracyclines peut être observé non seulement dans la population HER2+ mais également dans le groupe TN (17). Une analyse de la DFS par sous-groupes moléculaires (RO, RP, grade, HER2) identifie 294 patientes pour lesquelles une chimiothérapie à base d’anthracyclines apparaît supérieure au protocole CMF [cyclophosphamide, métho­trexate, 5 fluoro-uracile] (HR : 0,77 [IC95 : 0,54-1,09]). À l’inverse, une nouvelle analyse de l’essai canadien NCIC-CTG MA5 a comparé les protocoles CMF et CEF (cyclophosphamide, épirubicine, 5 fluoro-uracile) chez des patientes préménopausées présentant une tumeur du sein avec envahissement ganglionnaire : elle montre une moindre efficacité du protocole avec anthracycline par rapport au CMF pour les tumeurs TN. Cependant, aucune conclusion définitive ne peut être tirée du fait du petit nombre de patientes et de la dose réduite de cyclophosphamide dans le bras avec anthracycline. Taxanes De même, les données d’activité des taxanes dans les cancers du sein TN sont limitées et rétrospectives, ne permettant pas de conclusions définitives. L’essai du BCIRG 001 (Breast Cancer International Research Group 001) a comparé, en situation adjuvante, les protocoles TAC (docétaxel, doxorubicine, cyclophosphamide) et FAC chez les patientes présentant une tumeur du sein avec envahissement ganglionnaire. Une analyse en sous-groupe non planifiée de 1 390 patientes (91 % de la population totale) a étudié la valeur prédictive de différents marqueurs RO, RP, HER2 et Ki-67 (18). Dans le sous-groupe TN, il existe une tendance en faveur du protocole TAC par rapport au FAC, avec une DFS à 3 ans de 73,5 % versus 60 % (p = 0,051). Le sous-groupe TN présente cependant une SG plus péjorative, avec un MISE AU POINT taux de rechute rapide plus important dans les 3 ans suivant le diagnostic. L’essai du CALGB 9344 (Cancer and Leukemia Group B 9344) évaluait ­l’addition du paclitaxel au protocole AC (adriamycine, cyclo­ phosphamide) chez les patientes présentant un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire. Un bénéfice en DFS et SG était noté dans le bras taxane. Une analyse rétrospective objective un bénéfice minime dans le sous-groupe luminal et plus important dans les sous-groupes HER2+ et TN (19). L’essai PACS 01 a comparé 6 cycles de FEC à 3 cycles de FEC suivis de 3 cycles de docétaxel (20). Une analyse rétrospective, utilisant un panel de 33 marqueurs IHC pour définir les sous-groupes moléculaires, révèle un bénéfice du protocole séquentiel avec taxane par rapport au FEC dans le sous-groupe TN, avec une absence de différence dans le sous-groupe luminal (21). L’essai TACT a comparé 4 cycles de FEC à 4 cycles de FEC suivis de 4 cycles de docétaxel chez plus de 400 patientes présentant une tumeur du sein avec envahissement ganglionnaire ou sans envahissement mais à haut risque. Contrairement aux essais du BCIRG 001, du CALGB 9344 et du PACS 01, l’addition du docétaxel n’apporte pas de bénéfice supplémentaire dans le sous-groupe TN, même en cas d’envahissement ganglionnaire (22). Sels de platine (tableau) L’intérêt de l’utilisation des sels de platine dans les cancers du sein n’a jamais été démontré. Cela est en grande partie lié à l’hétérogénéité des études, utilisant des agents et des doses différents dans une population mal définie sur le plan des caractéristiques tumorales et des lignes thérapeutiques. Cependant, il existe un rationnel de ces agents dans les cancers du sein TN, avec une sensibilité accrue du fait de l’association des lésions d’ADN engendrées par les sels de platine dans des cellules présentant des défauts de réparation liés à BRCA. Des études rétrospectives corroborent ces données précliniques. Dans une série monocentrique, les sels de platine ont été associés à un taux de réponse clinique supérieur à celui obtenu dans les cancers du sein non TN, que ce soit en situation adjuvante (88 % versus 51 %, p = 0,005) ou en situation métastatique (survie sans progression de 6 mois versus 4 mois, p = 0,05) [23]. Les données prospectives sont limitées, avec des études comportant de faibles effectifs. Dans une étude néo-adjuvante chez des patientes présentant une tumeur TN avec mutation de BRCA1 et recevant une monochimiothérapie par cisplatine, une réponse complète histologique est rapportée chez 9 des 10 patientes traitées (24). La même étude a ensuite été conduite sur une cohorte de 25 patientes présentant une mutation de BRCA1, quel que soit le sous-type moléculaire. Une réponse complète histologique est rapportée chez 18 patientes (72 %), suggérant fortement une sensibilité aux sels de platine des tumeurs BRCA1 mutées. Dans une autre étude, 28 patientes présentant une tumeur TN ont été traitées en situation néo-adjuvante par 4 cycles de cisplatine à 75 mg/m² (25). Le taux de réponse complète histologique était de 22 %. Les facteurs associés à la réponse étaient le jeune âge, la faible expression des ARNm de BRCA1, la méthylation du promoteur de BRCA1, les mutations de p53 ainsi qu’une signature de l’activation de E2F3. Cependant, l’absence de bras contrôle et les faibles effectifs rendent là aussi les interprétations et les ­conclusions difficiles. En situation néo-adjuvante, l’essai du CALGB 40603 évaluera l’apport du carboplatine Tableau. Essais cliniques en cours comportant des sels de platine. Nom Traitement Schéma n Clinique Objectif 350-450 Métastatique ou rechute loco-régionale SSP, SG, réponse SSP SG TNT ISRCTN 97330959 Carboplatine versus docétaxel Phase II randomisée avec “crossover” BALI 1 Cétuximab + cisplatine versus cisplatine Phase II randomisée 180 Métastatique Cétuximab versus cétuximab + carboplatine Phase II randomisée 100 Métastatique EndoTAG TNBC EndoTAG 1® monothérapie versus EndoTAG® + placlitaxel versus paclitaxel Phase II randomisée 135 Métastatique Dasatinib Dasatinib 2e ligne Phase II 45 Métastatique Abraxane® Abraxane® + Phase II 70 Métastatique bévacizumab + carboplatine SG : survie globale ; SSP : survie sans progression. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 6 - juin 2010 | 351 MISE AU POINT Cancers du sein triple-négatifs à un traitement par paclitaxel et AC (doxorubicine et cyclophosphamide). En situation métastatique, une étude de phase II randomisée a évalué l’apport du cisplatine hebdomadaire à une chimiothérapie métronomique par cyclophosphamide et métho­ trexate, après traitement par taxanes et anthra­ cyclines (26). Dans le bras avec cisplatine, le taux de réponse objective est de 63 %, avec un temps jusqu’à progression de 13 mois. Dans le bras sans cisplatine, le taux de réponse est de 33 %, avec un temps jusqu’à progression de 7 mois. Une étude randomisée de phase III compare en 1re ligne le carboplatine et le docétaxel dans les cancers du sein TN (27). Ixabépilone L’ixabépilone est un analogue de l’épothilone B qui se lie à la tubuline, entraînant sa polymérisation et la stabilisation des microtubules ainsi que l’arrêt du cycle cellulaire, et induisant l’apoptose des cellules tumorales. Un essai de phase III comparant capécitabine et capécitabine-ixabépilone a montré une supériorité de l’ixabépilone chez des patientes ­traitées auparavant par taxanes et anthracyclines (28). Une analyse de sous-groupe planifiée a été réalisée sur 187 patientes présentant une tumeur TN (population totale : 752 patientes). L’addition d’ixabépilone à la capécitabine a augmenté le taux de réponse objective (qui passe de 9 % à 27 %) et la survie sans progression [SSP] (qui passe de 2,1 mois à 4,1 mois) [29]. Dans une étude néo-adjuvante exploratoire de phase II évaluant l’ixabépilone en monothérapie, le taux de réponse complète histologique était de 29 % pour les tumeurs TN et de 18 % seulement pour les tumeurs non TN (30). Par ailleurs, les récepteurs hormonaux, la protéine tau et une signature de 10 gènes prédisaient la réponse à l’ixabépilone. L’étude TAVIX (PACS 08) évalue ­l’ixabépilone en situation adjuvante chez les patientes présentant un cancer du sein TN ou double-négatif (PR– HER2–). Chimiothérapie intensive ou dose-dense Des analyses rétrospectives de chimiothérapie intensive suggèrent un bénéfice de cette approche pour la population TN. L’analyse combinée de 2 études testant le concept de chimiothérapie dose-dense démontre que les patientes présentant une tumeur RH– bénéficient de cette approche, que cela soit en termes de SSR (HR : 0,74 ; p = 0,003) ou de SG (HR : 0,72 ; p = 0,008) [31]. 352 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 6 - juin 2010 Nouvelles thérapeutiques À partir des analyses moléculaires, une meilleure connaissance de la biologie des tumeurs du sein TN a conduit à de nouvelles thérapeutiques ciblées (32). Ces agents prometteurs ciblent l’angiogenèse, l’EGFR et les inhibiteurs de PARP (polyadénosine diphosphate ribose polymérase [poly(ADP-ribose) polymérase]). Angiogenèse Les tumeurs du sein TN sont associées à une prolifération vasculaire anormale corrélée à un mauvais pronostic (33). Le premier essai de phase III (34) a comparé l’association bévacizumab-paclitaxel hebdomadaire au paclitaxel hebdomadaire en 1 re ligne métastatique chez 722 patientes, dont 233 présentent une tumeur du sein TN. L’analyse en sous-groupe suggère un plus grand bénéfice en SSP dans la cohorte des tumeurs TN (HR : 0,49 [IC95 : 0,34-0,70]) par rapport aux non TN (HR : 0,57 [IC95 : 0,44-0,75]). De même, l’analyse en sousgroupe de 2 autres essais de phase III évaluant l’association du bévacizumab à une chimiothérapie de 1re ligne confirme ces données (35, 36). L’étude du CALGB 40603 évalue l’apport du bévacizumab à une chimiothérapie standard en situation néo-­ adjuvante (27). En situation adjuvante, l’étude BEATRICE évalue ­l ’apport du bévacizumab pendant un an à une chimiothérapie adjuvante chez des patientes présentant une tumeur du sein TN avec ou sans envahis­ sement ganglionnaire, avec revue centralisée (27). Une autre approche visant à bloquer l’angiogenèse est représentée par les inhibiteurs de tyrosine kinase. Le sunitinib, inhibiteur de plusieurs kinases (Kit, FLT3, VEGFR-2, RET, PDGFR-β), a montré, dans un essai de phase II en monothérapie, un taux de réponse de 11 % chez 64 patientes antérieurement traitées par taxanes et anthracyclines (37). Dans le sousgroupe TN, le taux de réponse objective était de 15 % (3 réponses chez 20 patientes). Cependant, l’étude de phase III sunitinib versus capécitabine s’est révélée négative (38) et l’étude de phase III paclitaxel-sunitinib versus paclitaxel-bévacizumab a été interrompue. Le sorafénib, également inhibiteur de plusieurs kinases (VEGFR-1, VEGFR-2, VEGFR-3, PDGFR-β, RAF, KIT et FLT3), a été évalué dans un essai de phase II randomisé en association avec la capécitabine : la SSP est de 6,4 mois avec l’asso­ ciation sorafénib-capécitabine et de 4,1 mois avec la capécitabine en monothérapie (39). MISE AU POINT EGFR La surexpression de l’EGFR est fréquemment observée dans les tumeurs du sein TN, concernant jusqu’à 66 % des cas. Cependant, les mutations de l’EGFR sont rares. En revanche, une amplification du gène a été retrouvée dans plus de 25 % des cancers du sein de type métaplasique présentant un phénotype TN/“basal-like” (40). Du fait de la surexpression de l’EGFR et de la synergie entre les agents ciblant l’EGFR et les sels de platine dans les études pré­cliniques, des essais cliniques ont été initiés avec les sels de platine en monothérapie ou en asso­ciation avec une thérapeutique ciblant l’EGFR dans les tumeurs TN. L’association cétuximab-carboplatine est supérieure au cétuximab seul, avec un taux de réponse de 18 % versus 6 % (41, 42). L’addition du cétuximab au carboplatine et à l’irinotécan entraîne une augmentation du taux de réponse objective de 30 % à 49 % (43). L’activité de cisplatine-cétuximab versus cisplatine est évaluée dans une large étude randomisée de phase II (étude BALI). PARP La poly(ADP-ribose) polymérase (PARP) est une enzyme nucléaire essentielle pour la réparation de l’ADN. Les tumeurs BRCA déficientes présentent une réparation inopérante de l’ADN par recombinaison homologue, causant des aberrations génétiques et conduisant à la carcinogenèse (44). L’inhibition de PARP dans ces cellules tumorales déficientes génère des cassures simple-brins non réparées, entraînant une accumulation de cassures double-brins et un arrêt de la fourche de réplication. Ainsi, le dysfonctionnement de BRCA1 ou de BRCA2 sensibilise profondément les cellules à l’inhibition de PARP selon le concept de létalité synthétique, en épargnant les cellules présentant une protéine BRCA fonctionnelle. La régulation de PARP1 et les défauts de réparation de l’ADN en cas de présence d’une protéine BRCA mutée dans les tumeurs TN représentent un rationnel scientifique fort pour l’inhibition de PARP dans ce contexte. De plus, les enzymes PARP sont impliquées dans la réparation initiale des lésions de l’ADN induites par les sels de platine. Ainsi, l’inhibition de PARP peut être synergique avec les agents ciblant l’ADN. Les données précliniques sont très encourageantes. Les lignées cellulaires TN sont très sensibles à l’inhibition de PARP quel que soit le statut de BRCA. De plus, l’asso­ciation avec le cisplatine apparaît synergique (45). Dans un essai de phase I, le BSI-201 démontre une toxicité limitée et une activité chez des patients lourdement prétraités pour différents types de tumeurs, en monothérapie ou en association (46). Un essai de phase II randomisé a évalué l’association gemcitabine-carboplatine, avec ou sans BSI-201, chez des patientes présentant un cancer du sein métastatique TN, traitées en 1re, 2e ou 3e ligne de chimiothérapie (47). Il existe, dans le bras BSI-201, une amélioration du taux de réponse objective (48 % versus 16 %, p = 0,002), de la SSP médiane (6,9 mois versus 3,3 mois, p < 0,0001) et de la survie médiane (9,2 mois versus 5,7 mois, p = 0,0005), sans toxicité supplémentaire. Un essai d’enregistrement de phase III selon le même schéma est en cours d’évaluation (27). Dans un essai de phase I chez des patients présentant des tumeurs réfractaires mais avec un enrichissement de la population avec des patients présentant une mutation de BRCA1 et BRCA2, l’olaparib en monothérapie par voie orale (AZD-2281) démontre une activité et une bonne tolérance (48). Ces réponses ne sont retrouvées que chez les patients porteurs de la mutation BRCA (cancers du sein, de l’ovaire ou de la prostate). Dans un essai de phase II portant sur les cancers du sein métastatiques prétraités par chimiothérapie et présentant une mutation BRCA1 ou BRCA2, le taux de réponse objective est de 38 % (49). Autres perspectives D’autres approches thérapeutiques sont en développement, notamment avec les agonistes de TRAIL et les inhibiteurs de la transduction du signal – comme les PI3 kinase (phosphatidyl-inositol-3 phosphate kinase) ou de la voie NOTCH. Du fait de l’hétérogénéité tumorale, ces études ne peuvent se concevoir sans une recherche de transfert importante permettant de guider l’identification de nouvelles cibles et/ou la recherche de biomarqueurs prédictifs de réponse (50). Les tumeurs du sein TN sont caractérisées par une prolifération élevée, un taux important de mutations de p53, une mutation ou un dysfonctionnement de BRCA, des anomalies de la réparation de l’ADN, une dérégulation de l’apoptose, une angiogenèse importante ainsi qu’une signature immune (51). Conclusion Les tumeurs TN représentent un sous-groupe de cancers du sein associé à un mauvais pronostic. À l’heure actuelle, elles sont définies en immunoLa Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 6 - juin 2010 | 353 MISE AU POINT Cancers du sein triple-négatifs histochimie par l’absence d’expression des récepteurs estrogènes, de la progestérone et d’HER2. Bien qu’il existe une similitude avec les tumeurs “basal-like”, il est clair que le terme “triple-négatif” ne doit pas être utilisé comme un synonyme de ce type de tumeur. Alors que les tumeurs TN présentent une réponse fréquente à la chimiothérapie néo-­a djuvante, le pronostic de ces patientes reste sombre ; il est donc nécessaire de se doter de ­stratégies plus agressives et de développer des signatures moléculaires associées à des thérapies ciblées. Une telle approche ne peut être réalisée sans une caractérisation biologique optimale, permettant de comprendre la complexité de ce sous-groupe de tumeurs. Cela nécessite une collaboration internationale dans des essais cliniques impliquant anatomo-pathologistes, oncologues et chercheurs fondamentaux (52). ■ Références bibliographiques 1. Lund MJ, Butler EN, Hair BY et al. Age/race differences in HER2 testing and in incidence rates for breast cancer triple subtypes: a population-based study and first report. 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