350 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 6 - juin 2010
Résumé
Les tumeurs triple-négatives (TN) représentent un sous-groupe de cancers du sein associés à un mauvais
pronostic. À l’heure actuelle, elles sont définies en immunohistochimie par l’absence d’expression des
récepteurs estrogènes, de la progestérone et de HER2. Bien qu’il existe une similitude avec les tumeurs
basal-like
, il est clair que le terme “triple-négatif” ne doit pas être utilisé comme synonyme de ce type
de tumeur. Alors que les tumeurs TN présentent une réponse fréquente à la chimiothérapie, le pronostic
de ces patientes, dû à l’absence de possibilité d’hormonothérapie ou de trastuzumab, reste sombre. Il est
donc nécessaire de se doter de stratégies plus agressives, allant du développement de signatures molé-
culaires associées à des thérapies ciblées. Certaines pistes ont ainsi été ouvertes, comme les traitements
antiangiogéniques, les inhibiteurs de poly(ADP-ribose) polymérase ou le ciblage du récepteur à l’
Epidermal
Growth Factor
.
Mots-clés
Cancer du sein
Triple-négatif
Basal-like
BRCA1
Chimiothérapie
cytotoxique
Bévacizumab
Inhibiteurs de PARP
Highlights
Triple negative tumors belong
to a sub-group with poor prog-
nosis. Todate, they are defined
by immunochemistry with the
lack of estrogen, progesterone
and HER2 receptors expres-
sion. Although sharing many
characteristics, triple negative
tumors and basal-like tumors
are not synonymous. Despite
high response to cytotoxic
chemotherapy, the prognosis
remains poor due to the fact
that is no room for endocrine or
trastuzumab therapy. There is a
need to develop new strategies
from molecular signatures to
targeted therapies. New oppor-
tunities like anti-angiogenic
treatments, PARP inhibitors
or targeting EGFR are under
investigation.
Keywords
Breast cancer
Triple negative
Basal-like
BRCA1
Cytotoxic chemotherapy
Bevacizumab
PARP inhibitors
Parmi les patientes portant une mutation germinale
de BRCA1 (soit 10 % des patientes souffrant d’une
tumeur du sein), 90 % présentent une tumeur TN. Les
mutations somatiques de BRCA1 sont rares. Cependant,
dans les petites séries, la proportion de TN présentant
une mutation de BRCA1 est d’environ 40 %. Par ailleurs,
30 % des cas de cancers du sein sporadiques révèlent
une inactivation du gène BRCA1. De cette observation
découle le concept de “BRCAness” : un dysfonction-
nement de BRCA1 en l’absence de mutation, qui peut
être dû à des modifications épigénétiques comme la
méthylation du gène (8).
Traitement
Il n’existe pas de traitement médical spécifique des
cancers du sein TN. À ce jour, en l’absence de théra-
peutique moléculaire ciblée, la chimiothérapie reste
la clé de voûte du traitement. Il existe une urgence
à développer de nouvelles stratégies thérapeutiques
dans les cas de tumeurs chimiorésistantes.
Le traitement repose sur un paradoxe dans le cancer
du sein TN : malgré une forte chimiosensibilité, le
pronostic reste sombre du fait des caractéristiques
biologiques agressives et de l’apparition d’une
chimiorésistance précoce.
Les études cliniques, particulièrement en situation
néo-adjuvante, ont confirmé cette chimiosensibilité
(9-11). Les cancers du sein TN présentent un taux
élevé de réponse complète histologique compara-
tivement aux autres sous-types, particulièrement les
cancers luminaux (12). Ce taux est corrélé à la survie
sans maladie (DFS) et à la survie globale (SG) [9, 13].
Chimiothérapie cytotoxique
Malgré la chimiosensibilité des tumeurs TN, il n’existe
pas de consensus sur le choix et le schéma d’adminis-
tration des agents cytotoxiques. Il n’existe que des
données rétrospectives portant sur un nombre faible
de patientes.
Anthracyclines
Dans une analyse rétrospective de chimio thérapie
néo-adjuvante de type FAC (5 fluoro-uracile, doxo-
rubicine, cyclophosphamide), le taux de réponse
complète histologique est de 17 % dans la cohorte TN
versus 4 % pour les non TN (14). Deux méta-analyses
suggèrent un bénéfice des anthracyclines limité aux
patientes présentant une tumeur HER2+ (15, 16).
Cependant, ces résultats sont limités du fait de
l’hétéro généité des populations étudiées et des
différents protocoles utilisés (agents, dose, schéma).
Une autre méta-analyse plus récente suggère quant
à elle que le bénéfice des anthracyclines peut être
observé non seulement dans la population HER2+
mais également dans le groupe TN (17). Une analyse
de la DFS par sous-groupes moléculaires (RO, RP,
grade, HER2) identifie 294 patientes pour lesquelles
une chimiothérapie à base d’anthracyclines apparaît
supérieure au protocole CMF [cyclophosphamide,
métho trexate, 5 fluoro-uracile] (HR : 0,77 [IC
95
:
0,54-1,09]). À l’inverse, une nouvelle analyse de
l’essai canadien NCIC-CTG MA5 a comparé les proto-
coles CMF et CEF (cyclophosphamide, épirubicine,
5 fluoro-uracile) chez des patientes préménopausées
présentant une tumeur du sein avec envahissement
ganglionnaire : elle montre une moindre efficacité
du protocole avec anthracycline par rapport au CMF
pour les tumeurs TN. Cependant, aucune conclusion
définitive ne peut être tirée du fait du petit nombre
de patientes et de la dose réduite de cyclophospha-
mide dans le bras avec anthracycline.
Taxanes
De même, les données d’activité des taxanes dans les
cancers du sein TN sont limitées et rétrospectives,
ne permettant pas de conclusions définitives. L’essai
du BCIRG 001 (Breast Cancer International Research
Group 001) a comparé, en situation adjuvante, les
protocoles TAC (docétaxel, doxorubicine, cyclo-
phosphamide) et FAC chez les patientes présentant
une tumeur du sein avec envahissement ganglion-
naire. Une analyse en sous-groupe non planifiée
de 1 390 patientes (91 % de la population totale) a
étudié la valeur prédictive de différents marqueurs
RO, RP, HER2 et Ki-67 (18). Dans le sous-groupe
TN, il existe une tendance en faveur du protocole
TAC par rapport au FAC, avec une DFS à 3 ans de
73,5 % versus 60 % (p = 0,051). Le sous-groupe TN
présente cependant une SG plus péjorative, avec un