M I S E A U P O I N T Le traitement de la lombosciatique discale aiguë Treatment of acute sciatica S. Rozenberg, P. Bourgeois* P o i n t s f o r t s O La physiopathologie de la sciatique fait intervenir un facteur de compression mécanique et des facteurs biochimiques. O Les infiltrations épidurales sont réalisées en première intention. En cas d’échec, les infiltrations foraminales sous contrôle scopique sont proposées. O L’utilisation des anti-TNF est prometteuse mais doit être évaluée. Mots-clés : Lombosciatique - Infiltrations - Anti-TNF. Keywords: Sciatica - Steroid injection - Anti-TNF. L a connaissance de la pathophysiologie de la douleur liée à la hernie discale s’est considérablement modifiée ces dernières années. Les données actuelles suggèrent que la douleur n’est pas seulement liée au conflit mécanique induisant une déformation de la racine nerveuse. Le matériel nucléaire ayant atteint l’espace épidural, du fait de la hernie, sensibilise la racine nerveuse par le biais de multiples cytokines, dont le TNFα (1). Ces données apportent un rationnel supplémentaire aux traitements anciens de la lombosciatique, dont les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les infiltrations, et ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques. TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX Les recommandations de prise en charge de la lombalgie aiguë vont dans le sens d’un traitement gradué : l’initiation se fait par le paracétamol à doses régulières, puis un anti-inflammatoire non stéroïdien est associé ; ensuite, le paracétamol est remplacé par un antalgique de palier II ; un myorelaxant peut être associé. En * Service de rhumatologie, CHU de la Pitié-Salpêtrière, Paris. La Lettre du Rhumatologue - n° 313 - juin 2005 pratique, le paracétamol seul est rarement suffisant, et la prescription initiale est faite de l’association de ces diverses classes médicamenteuses. INFILTRATIONS RACHIDIENNES Les infiltrations rachidiennes de corticoïdes sont utilisées dans le traitement de la lombosciatique depuis plus de 50 ans. Elles sont proposées en cas d’échec du traitement médicamenteux associant antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens, éventuellement associés à des myorelaxants. Lors d’une enquête d’opinion réalisée auprès de 84 services de rhumatologie (2), les infiltrations cortisoniques faisaient partie du traitement médical minimal de la lombosciatique pour 65 % des médecins interrogés. Cette modalité thérapeutique a fait l’objet de plusieurs controverses. Ces dernières ont été déclenchées par des processus divers, dominés par le développement de l’evidence-based medicine. INFILTRATIONS ÉPIDURALES Elles sont très couramment utilisées en pratique quotidienne. Les voies d’injection sont variables : interépineuse lombaire, par le premier trou sacré ou par le hiatus sacro-coccygien. Les études ouvertes sont nombreuses et attestent d’un bon résultat dans 65 % des cas environ. Les études randomisées ont fait l’objet de plusieurs revues dont les conclusions sont assez similaires (3-5) : les résultats de la moitié des études environ sont favorables aux infiltrations ; l’efficacité sur la douleur ne se discerne pas au-delà d’un délai de un mois ; un seul travail constate un effet sur le retour au travail des patients ; aucun ne mentionne une réduction du recours à la chirurgie. Les études randomisées sont de qualité méthodologique variable ; le travail dont la qualité méthodologique était la meilleure était négatif (6). Nous avions conclu en 1999 (3) au fait que les résultats de cette dernière étude n’étaient pas transposables à la pratique française : produits et rythmes d’injection différents, lombosciatiques ayant une longue durée d’évolution... Pour tenter de répondre à la question de l’efficacité des infiltrations épidurales de corticoïdes selon la pratique française, un essai randomisé, en double aveugle, a été réalisé avec les critères suivants (7) : patients hospitalisés pour lombosciatique évoluant 19 M I S E A U P O I N T depuis plus de 15 jours et moins de 6 mois, douleur sur une échelle visuelle analogique supérieure à 30 mm. Les patients recevaient 3 injections épidurales à 2 jours d’intervalle, soit de prednisolone acétate 2 ml (43 patients), soit de sérum physiologique 2 ml utilisé comme placebo (42 patients), par voie interépineuse. Le critère principal était le pourcentage de succès du traitement à J20, succès défini par l’association d’une amélioration marquée ou d’une guérison selon l’avis global du patient sur une échelle verbale et de l’absence de recours à un anti-inflammatoire non stéroïdien entre J0 et J20. La douleur sur échelle visuelle analogique, la qualité de vie (échelle de Dallas) et la capacité fonctionnelle (indice Eifel) étaient également évaluées. Les résultats portant sur le critère principal n’étaient pas significativement différents d’un groupe à l’autre (corticoïdes : 22 succès sur 43 [51 %] ; placebo : 15/42 [36 %] ; p = 0,15). L’amélioration des critères secondaires était importante dans les deux groupes. Les variations intragroupes étaient notables, de l’ordre de 30 % pour la douleur, mais sans différence intergroupe. L’effet des corticoïdes sur la douleur radiculaire était maximal à la troisième semaine, mais la différence n’était pas statistiquement significative par rapport au groupe contrôle. Ainsi, dans cette population de patients hospitalisés pour lombosciatique, les infiltrations de corticoïdes n’ont pas démontré une efficacité significativement supérieure à celle de l’injection épidurale de sérum physiologique, mais le nombre de malades évalués a été relativement faible. Ces résultats ne permettent pas d’exclure un effet éventuel de l’injection épidurale de sérum physiologique. Un travail publié sous forme d’abstract (8) a utilisé comme groupe contrôle l’injection interépineuse de sérum physiologique. Les patients étaient randomisés pour recevoir trois injections à 3 semaines d’intervalle, soit de corticoïdes par voie lombaire interépineuse (triamcinolone acétonide 80 mg plus bupivacaïne), soit de sérum physiologique dans le ligament interépineux. Les résultats de cette étude sont présentés jusqu’à 12 semaines, le suivi étant prévu sur un an. Le score d’Oswestry (score de fonction coté de 0 à 100), utilisé comme critère principal, s’améliore dans les deux groupes à 3 semaines, avec une différence à la limite de la significativité (score à l’inclusion : groupe corticoïde 43,9 ± 14,9 versus groupe contrôle 45,8 ± 18,3 ; score à 3 semaines : 33,5 versus 38,9 ; p = 0,053). Cette étude, bien que considérée comme négative par les auteurs en raison de l’absence de différence durable entre les groupes, montre des résultats significatifs à 3 semaines, en termes d’amélioration globale évaluée par le patient sur une échelle verbale. Aucun facteur anatomique prédictif de réponse aux infiltrations (IRM) n’a pu être identifié par les auteurs. Toutes ces données illustrent bien la difficulté de réalisation mais aussi d’interprétation des études concernant l’efficacité des infiltrations dans la lombosciatique. L’absence d’effet statistiquement démontré peut résulter d’un traitement inefficace, d’une mauvaise sélection des malades inclus, de mauvais critères de jugement, ou de bien d’autres défauts méthodologiques. Quels objectifs peut-on espérer ? Il est clair qu’aucune étude n’a démontré que les infiltrations épidurales réduisaient le taux de recours à la chirurgie. De même, il n’a pas été démontré que les infiltrations permettaient un retour plus rapide au travail. Si l’objectif de ces infiltrations est d’avoir un effet antalgique à court terme, alors il 20 est possiblement atteint, sans doute vers la troisième semaine. En effet, il ne faut pas oublier que l’évolution naturelle de la lombosciatique se fait vers l’amélioration et qu’il est donc naturel qu’à moyen et à long terme les critères d’évaluation de deux groupes de patients se rejoignent. Les infiltrations doivent être réalisées par des praticiens expérimentés, après une information précise sur les risques éventuels. Un travail récent a montré qu’une information écrite standardisée augmentait les connaissances des patients et améliorait leur satisfaction (9). INFILTRATIONS PÉRIRADICULAIRES L’injection est faite par voie latérale dans l’espace périradiculaire au niveau du foramen atteint. Elle est réalisée sous contrôle scopique, après opacification. Plusieurs études randomisées ont été réalisées, avec une méthodologie différente. Karppinen et al. (10) ont comparé dans une étude randomisée, en double aveugle, l’injection périradiculaire de 40 mg/ml de méthylprednisolone + 5 mg/ml de bupivacaïne (n = 80) à celle de sérum physiologique (n = 80). Le volume de l’injection était de 2 ml pour L4 et L5, de 3 ml pour S1. Il s’agissait de patients souffrant d’une lombosciatique unilatérale depuis 3 à 28 semaines. L’évaluation était réalisée à l’inclusion, à 2 semaines, à 1, 3, 6 et 12 mois et portait sur la douleur (EVA), l’incapacité fonctionnelle (indice Oswestry) et la qualité de vie (indice NHP). À 2 semaines, l’amélioration était significativement plus importante dans le groupe corticoïde pour la douleur radiculaire et la satisfaction du patient. Cette différence ne persistait pas lors des évaluations suivantes. Il faut noter une réduction de l’intensité de la douleur à un mois de plus de 40 % dans les deux groupes. De plus, il faut insister sur le fait que le groupe contrôle comportait une injection périradiculaire de sérum physiologique, dont l’inefficacité n’a pas été testée. Cette étude ne montre pas de différence après quatre semaines de suivi. Une analyse en sous-groupes de cette étude a été réalisée (11), indiquant une meilleure efficacité de l’injection périradiculaire de corticoïde pour les hernies discales contenues par rapport aux hernies exclues : meilleure efficacité notée sur la douleur radiculaire à 2 et 4 semaines, un pourcentage de patients soulagés de plus de 75 % de la douleur à 2 semaines, un nombre moins élevé de patients opérés au cours du suivi. Ces données doivent être confirmées. Un suivi en IRM réalisé 2 et 12 mois après l’injection a permis de montrer que l’injection périradiculaire de corticoïdes n’empêchait pas la résorption spontanée de la hernie discale (12) ; il semblerait même qu’elle survienne plus rapidement. Vad et al. (13) ont comparé dans une étude randomisée, ouverte, l’injection transforaminale de corticoïde (9 mg d’acétate de bétaméthasone + xylocaïne) à l’injection de sérum physiologique dans les muscles paraspinaux au niveau d’une zone gâchette. À 16 mois, 84 % des patients du groupe corticoïde ont vu leur état s’améliorer (réduction de la douleur de plus de 50 %, amélioration du score de Roland-Morris de 5 points ou plus, satisfaction du patient bonne ou très bonne) versus 48 % d’amélioration pour les patients du groupe contrôle. Le délai entre la dernière injecLa Lettre du Rhumatologue - n° 313 - juin 2005 M tion et l’amélioration maximale était de 4 semaines pour le corticoïde, et de 12 semaines pour le placebo. Le nombre moyen d’injections était respectivement de 1,7 et 1,6. Les points faibles de cette étude sont l’absence d’aveugle, l’absence de données sur l’ancienneté de la sciatique, l’absence de précision concernant les modalités de la randomisation. Riew et al. (14) ont comparé en double aveugle l’injection périradiculaire de corticoïde (6 mg de bétaméthasone + bupivacaïne) à celle d’un contrôle (1 ml de bupivacaïne) chez 55 patients adressés au chirurgien pour une cure de hernie discale ou de sténose canalaire après échec du traitement conservateur. Avec un recul médian de 23 mois, l’intervention a secondairement été réalisée pour 8 des 28 patients du groupe corticoïde versus 18 des 27 patients du groupe contrôle (p < 0,004). Dix-neuf patients ont reçu plus d’une injection (2 injections : n = 10 ; 3 injections : n = 6 ; 4 injections : n = 3). L’effectif était trop faible pour rechercher une différence entre les patients adressés pour hernie discale ou pour sténose canalaire. Cette étude a montré pour la première fois une diminution du recours à la chirurgie avec les infiltrations. Ces résultats sont là encore difficiles à interpréter. Il résulte néanmoins de ces études que les infiltrations périradiculaires de corticoïde ont un effet symptomatique à très court terme versus injection périradiculaire de sérum physiologique, et un effet symptomatique à plus long terme si le groupe contrôle n’est pas injecté en périradiculaire – mais dans une étude plus discutable sur le plan méthodologique. Enfin, il existe possiblement un effet sur le recours à la chirurgie pour des patients au stade chirurgical – données qui doivent être confirmées. CORTICOTHÉRAPIE SYSTÉMIQUE Les corticoïdes oraux ou intramusculaires sont utilisés par certains praticiens. Il s’agit de traitements de courte durée, parfois préférés aux infiltrations en raison de leur facilité d’emploi. La dexaméthasone a été étudiée par voie intramusculaire ou per os sans différence avec le placebo (15). Zufferey et al. ont testé l’efficacité d’un bolus intraveineux de 500 mg par comparaison au placebo. Aucune différence avec le placebo n’a été observée à court terme (J1, J2 et J3) ni à moyen terme (J30) sur les critères de douleur, de fonction, sur le signe de Lasègue ou l’indice de Schober (16). ANTI-TNFα L’implication du TNFα dans la physiopathologie de la lombosciatique par hernie discale a conduit à envisager une nouvelle approche dans le traitement de ce sous-groupe très ciblé de lombalgies. Deux études pilotes ouvertes ont été publiées à ce jour. L’une a testé une perfusion d’infliximab 3 mg/kg chez 10 patients ayant une sciatique sévère (17). La douleur était réduite de 50 % une heure après la perfusion, 60 % des patients étaient sans douleur à 2 semaines, et tous avaient repris le travail à un mois. L’autre a testé l’etanercept (3 injections sous-cutanées à 3 jours d’intervalle) (18). Des améliorations de l’ordre de 80 % pour la douleur La Lettre du Rhumatologue - n° 313 - juin 2005 I S E A U P O I N T sciatique et de 70 % pour les scores d’Oswestry et Roland-Morris étaient notées à 6 semaines. Ces résultats doivent être confirmés par des essais randomisés et par un suivi à long terme. En conclusion, l’interprétation des essais cliniques doit tenir compte de la question posée lors de l’initiation de l’étude. Ainsi, il ne faut pas conclure hâtivement à l’inefficacité des infiltrations dans la lombosciatique. Les études sont difficiles dans ce type de pathologie dont l’évolution naturelle se fait vers l’amélioration. Des problèmes méthodologiques multiples restent encore non résolus : quels sont le groupe comparateur optimal, le moment et le critère gold standard pour l’évaluation, etc. ? O Bibliographie 1. Olmarker K, Rydevik B. Selective inhibition of tumor necrosis factor-α prevents nucleus pulosus-induced thrombus formation, intraneural odema, and reduction of nerve conduction velocity. Spine 2001;26:863-9. 2. Legrand E, Rozenberg S, Pascaretti C et al. Le traitement de la lombosciatique en milieu hospitalier : résultats d’une enquête d’opinion auprès des rhumatologues français. Rev Rhum 1998;65:530-6. 3. Rozenberg S, Dubourg G, Khalifa P et al. Efficacy of epidural steroids in low back pain and sciatica: a critical appraisal by a French task force of randomized trials. Joint Bone Spine 1999;66:79-85. 4. Koes BW, Scholten RJPM, Mens JMA et al. Efficacy of epidural steroid injections for low back pain and sciatica: a systematic review of randomized clinical trials. Pain 1995;60:279-88. 5. Weinstein SM, Herring SA ; NASS. Lumbar epidural steroid injections. Spine J 2003;3:37S-44S. 6. Carette S, Leclaire R, Marcoux S et al. Epidural corticosteroid injections for sciatica due to herniated nucleus pulposus. N Engl J Med 1997;336:1634-40. 7. Valat JP, Giraudeau B, Rozenberg S et al. Epidural corticosteroid injections for sciatica: a randomised, double blind, controlled clinical trial. Ann Rheum Dis 2003;62:639-43. 8. Arden NK, Reading I, Thomas L et al. and the West study group. Athritis Rheum 2002;46 (Suppl. 9):S227. 9. Coudeyre E, Poiraudeau S, Revel M et al. Beneficial effects of information leaflets before spinal steroid injection. Joint Bone Spine 2002;69:597-603. 10. Karppinen J, Malmivaara A, Kurunlahti M et al. Periradicular infiltration for sciatica: a randomized controlled trial. Spine 2001;26(9):1059-67. 11. Karppinen J, Ohinmaa A, Malmivaara A et al. Cost effectiveness of periradicular infiltration for sciatica: subgroup analysis of a randomized controlled trial. Spine 2001;26(23):2587-95. 12. Autio RA, Karppinen J, Kurunlahti M et al. Effect of periradicular methylprednisolone on spontaneous resorption in intervetebralk disc herniations. Spine 2004;29:1601-7. 13. Vad VB, Bhat AL, Lutz GE et al. Transforaminal epidural steroid injections in lumbosacral radiculopathy. Spine 2002;27:11-6. 14. Riew KD, Yin Y, Gilula L et al. The effect of nerve-root injections on the need for operative treatment of lumbar radicular pain: a prospective, randomized, controlled, double-blind study. J Bone Joint Surg 2000;82-A(11):1589-93. 15. Haimovic IC, Beresford HR. Dexamethasone is not superior to placebo for treating lumbosacral radicular pain. Neurology 1986;36:1593-4. 16. Zufferey P, Finckh A, Schürch MA, et al. Étude randomisée, en double aveugle versus placebo de l’efficacité à court terme d’un bolus intraveineux de méthylprednisolone dans les lombosciatiques. Rev Rhum 2003;70:873 (abstract). 17. Karppinen J, Korhonen T, Malmivaara A et al. Tumor necrosis factor-α monoclonal antibody, infliximab, used to manage severe sciatica. Spine 2003;28: 750-4. 18. Genevay S, Stingelin S, Gabay C. Efficacy of etanercept in the treatment of acute severe sciatica: a pilot sudy. Ann Rheum Dis 2004;63:1120-3. 21