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La vérification d’un tel constat est aisée 7 et il est intéressant d’observer qu’il a été fait très tôt. Mais
Depitre, après avoir déploré cet état de fait, se limitera dans cette même note, à une analyse purement
épistémologique des écrits économiques de Cournot ; rien n’est dit sur ses apports proprement
analytiques.
3. C’est en effet comme précurseur de la méthode mathématique que Cournot a d’abord forcé
l’attention des économistes du XIXème siècle. Jevons comme Walras insistent tous deux sur cet
aspect, et sont davantage réservés sur le contenu analytique des Recherches : si le premier se limite à
souligner la différence entre sa propre analyse et celle de Cournot, qui « ne part pas de la théorie de
l’utilité, mais commence avec les lois phénoménales de l’offre et de la demande » (1879 : xxxi),
Walras va plus loin lorsqu’en 1863, il loue l’ouvrage de 1838 qu’il considère comme « très satisfaisant
au point de vue mathématique et attestant, sous ce rapport, une grande habileté dans l’usage du calcul
différentiel et intégral », tout en regrettant qu’il ne le fût pas « il faut le dire, à beaucoup près autant au
point de vue économique, l’auteur s’étant à peu près borné, à cet égard, à emprunter, sans y rien
changer, l’économie politique de Ricardo [...] » (Walras, 1863 : 158). Ses tentatives, pour que Cournot
participe au débat sur la méthode qui se développe alors en France, confirment que l’intérêt principal
qu’il voit dans les Recherches tient à la méthode : avoir la caution d’un mathématicien, auteur qui plus
est d’un ouvrage économique dans lequel les outils mathématiques employés sont précisément ceux
qui intéressent les marginalistes, lui semble pouvoir faire avancer la cause de l’économie
mathématique. Ainsi, demande Walras à Cournot,
« ne pourriez-vous affirmer purement et simplement aux économistes la légitimité de notre
méthode. Il vous suffirait pour cela de développer la préface de votre livre de 1838 dans les
dimensions d’un article. [...] votre grande culture mathématique, scientifique et philosophique, et
votre nom, lui donneraient pour nous une valeur et une portée toutes particulières. » (Lettre du 18
août 1874 in Jaffé, 1952 : 22-3).
Cournot s’y refuse : « Vous comprenez si bien ce qu’il y aurait à dire pour presser le mouvement [le
développement de l’économie mathématique], que vous devriez le dire vous-même » (Lettre du 23
août 1874 in ibid.: 25-6) 8.
7Ainsi Block (1897 : 43-6) ne cite Cournot que par référence à la méthode mathématique tandis que Fontenay
(1864) justifie qu’on ne s’intéresse qu’à la méthode de Cournot, du fait du manque d’intérêt analytique de ses théories.
8Les raisons d’un tel refus sont bien sûr discutées : trois hypothèses sont généralement avancées.
- la première voit dans le refus de Cournot la preuve d’un désaveu de la théorie walrasienne de sa part (voir Vatin,
2000) ;
- la deuxième est donnée par Cournot lui-même dans sa correspondance avec Walras : ‘... depuis 30 ans, je suis
obligé de recourir à un lecteur pour ma pâture quotidienne ; bien entendu, que je ne trouve pas de garçon capable de me lire
des mathématiques, ou que je peux pas lire des mathématiques avec les oreilles [...] et c’est ce qui m’a obligé depuis 30 ans à
renoncer aux mathématiques’ (Lettre du 3 septembre 1873 in Jaffé, 1952 : 11). C’est cette raison qui est la plus souvent
retenue par les commentateurs : Nicoll, par exemple, qualifie la maladie d’yeux de Cournot de ‘suprême tragédie’, ajoutant
que ‘s’il avait trouvé un bon oculiste [...], il aurait pu faire avancer les progrès de l’économie mathématique d’une
génération.’ (Nicoll, 1938 : 197) ;
- enfin, des raisons d’ordre épistémologique sont également données pour expliquer le refus de Cournot de
participer à la promotion de l’économie mathématique : selon Ménard (1978), il s’agirait de la conséquence d’une prise de