Goitre amyloïde : à propos d’un cas C

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Cas clinique
C as clinique
Goitre amyloïde : à propos d’un cas
Amyloid goiter: about a case
IP N. Nazih*, M. Benthami*, M. Boulaich*, M. Kzadri*
 RésuMé
Le goitre amyloïde correspond à une infiltration de la
glande thyroïde par des dépôts amyloïdes qui entraîne une
augmentation cliniquement apparente de son volume.
Nous rapportons l’observation d’une patiente âgée de
48 ans, suivie depuis 20 ans pour une dilatation des bronches et ayant présenté un goitre multinodulaire euthyroïdien qui s’est révélé de nature amyloïde.
Mots-clés : Goitre amyloïde - Amylose secondaire (systémique).
Summary. Amyloid goiter can be defined as the presence
of amyloid within the thyroid gland in such quantities as
to produce a clinically apparent enlargement of the gland.
We report the case of a 48 year-old woman, who had bronchectasis for 20 years, and who presented an euthyroid
multinodular goiter that was of amyloid nature.
Keywords: Amyloid goiter - Secondary (systemic) amyloidosis.
L
e goitre amyloïde (GA) se définit par une augmentation
de volume de la glande thyroïde due à une infiltration
par des dépôts amyloïdes. C’est une entité rare mais
bien établie : plus de 250 cas de goitre amyloïde ont été rapportés (1). Cette entité a été décrite initialement en 1858 par
Beckman (in 2). Eiselberg (in 2), en 1904, a été le premier à
utiliser le terme de GA. Nous décrivons un cas de localisation
amyloïde thyroïdienne qui a la particularité, d’une part, de se
manifester par un goitre multinodulaire et, d’autre part, de révéler une amylose secondaire systémique.
oBsERVATion CliniQuE
Mme R.H., âgée de 48 ans, est admise dans notre service au
mois de juillet 2003 pour un goitre multinodulaire. La patiente
est suivie en pneumologie depuis 20 ans pour une dilatation
des bronches. Elle est également suivie pour un reflux gastroœsophagien équilibré par un traitement symptomatique. Le
début de la symptomatologie ORL remonte à deux ans, avec
* Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, hôpital des Spécialités, Rabat, Maroc.
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l’installation progressive d’une tuméfaction cervicale antérieure
indolore, associée à une gêne à la déglutition, sans dysphonie,
dyspnée ou dysphagie et sans signes de dysthyroïdie.
L’examen clinique note une patiente amaigrie, asthénique et
dyspnéique à l’effort. La glande thyroïde a augmenté de volume
et est multinodulaire. Les nodules ont un diamètre de 2 à 3 cm,
sont de consistance ferme, indolores et mobiles par rapport aux
plans superficiel et profond. Le goitre n’est pas plongeant et n’a
pas de caractère vasculaire. Les aires ganglionnaires sont libres.
Le reste de l’examen somatique ne révèle pas d’anomalies en
dehors de la présence de râles d’encombrement bronchique.
L’échographie cervicale montre la présence de multiples nodules
thyroïdiens, hétérogènes, sans calcifications. La scintigraphie
thyroïdienne au technétium 99 objective des nodules froids et
un nodule chaud. Le dosage des hormones thyroïdiennes est
normal. La recherche des anticorps antithyroïdiens est négative.
Après un bilan préopératoire et une visite préanesthésique, la
patiente subit une thyroïdectomie totale, dont les suites opératoires sont simples. L’examen anatomopathologique de la pièce
opératoire révèle un aspect charnu et blanchâtre à la coupe du
tissu thyroïdien. Histologiquement, le parenchyme thyroïdien
est fait de quelques vésicules thyroïdiennes noyées dans de larges
plages éosinophiles et amorphes, montrant une biréfringence
jaune verdâtre en lumière polarisée après coloration au rouge
Congo. L’absence de cellules C tumorales élimine le diagnostic
de carcinome médullaire à stroma amyloïde. La patiente est mise
sous hormonothérapie substitutive et adressée au service de
médecine interne ; au cours de son hospitalisation, elle fait une
insuffisance surrénalienne aiguë, confirmée biologiquement. Un
bilan étiologique et d’extension est pratiqué : le myélogramme
est normal, la biopsie rectale et jéjunale ne montre pas de dépôts
amyloïdes, alors qu’il en est observé au niveau des glandes salivaires accessoires. Le bilan biologique objective une vitesse
de sédimentation accélérée et un taux de protéine C réactive
augmenté. Le diagnostic retenu est celui d’une amylose systémique secondaire à une dilatation des bronches. La patiente
est mise sous colchicine (1 mg/j).
DisCussion
L’amylose est le dépôt extracellulaire d’une substance amyloïde ;
celle-ci est une protéine qui prend une configuration la rendant
insoluble dans les liquides organiques, et résistante aux enzymes
protéolytiques. Les amyloses systémiques comprennent des
formes chimiquement distinctes, d’origine néoplasique, inflammatoire, génétique ou iatrogène, alors que les amyloses loca-
La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale - n° 309-310 - avril-septembre 2007
lisées ou les amyloses limitées à un organe sont associées au
vieillissement et au diabète, et touchent des organes isolés. La
forme la plus fréquente de l’amylose systémique rencontrée en
pratique clinique courante est l’amylose AL (amylose idiopathique primitive ou amylose associée au myélome multiple).
L’amylose AA (amylose secondaire, réactionnelle ou acquise) est
le plus souvent une complication d’une maladie inflammatoire
chronique. Le traitement efficace de la maladie inflammatoire
sous-jacente en a réduit l’incidence dans les pays développés.
En 1961, Arean et Klein (in 2) ont rapporté que, même si
l’infiltration de la glande thyroïde par des dépôts amyloïdes
est un phénomène fréquent chez les patients présentant une
amylose, un goitre thyroïdien cliniquement détectable reste
rare. Le diagnostic de GA doit être suspecté chez tout patient
atteint d’une amylose systémique ou d’une maladie susceptible d’entraîner une amylose. Le GA constitue très rarement
le premier signe d’une amylose systémique. Il se caractérise par
une augmentation de volume relativement rapide (en quelques
semaines, voire en quelques mois), est souvent homogène et
ferme, non douloureux, et rarement multinodulaire. Le goitre
peut s’accompagner de signes compressifs (dysphonie, dyspnée
et dysphagie) ainsi que d’adénopathies cervicales prêtant à
confusion avec un goitre néoplasique (3). L’échographie et
la scintigraphie ne révèlent aucune spécificité. Le dosage des
hormones thyroïdiennes est classiquement normal, mais des
cas d’hyperthyroïdie ou d’hypothyroïdie ont été rapportés dans
la littérature. Lors d’une analyse rétrospective de 30 patients
atteints d’amylose secondaire (2), le GA était retrouvé
dans 19 cas, dont 9 présentaient des anomalies de la fonction
thyroïdienne (hypothyroïdie ou hyperthyroïdie). Le mécanisme
exact de ce dysfonctionnement thyroïdien reste non élucidé.
Notre patiente avait un goitre multinodulaire euthyroïdien.
La ponction cytologique, à l’aiguille fine, peut être performante
dans quelques cas, en mettant en évidence des dépôts amyloïdes,
mais elle peut être défaillante dans d’autres cas en raison du
caractère focalisé de l’infiltration amyloïde (4). Cependant,
la plupart des auteurs préconisent l’examen histologique du
parenchyme thyroïdien, qui permet d’obtenir des résultats plus
précis que ceux de la ponction. L’examen histologique permet
de poser le diagnostic de certitude et d’exclure un processus
néoplasique, particulièrement le carcinome médullaire à stroma
amyloïde, l’absence de cellules C tumorales ou le dosage de la
calcitonine permet d’éliminer celui-ci (3). Plusieurs colorations
spéciales sont utilisées pour mettre en évidence la substance
amyloïde, mais la plus spécifique est la coloration par le rouge
Congo (la substance amyloïde apparaît vert jaune en lumière
polarisée). L’examen histologique permet de typer la substance
amyloïde par les techniques d’immunohistochimie ; ce typage est
un point essentiel au diagnostic et conditionne la thérapeutique.
Il permet de différencier l’amylose AA des autres types d’amylose.
Le bilan d’extension de l’amylose est systématique et permet de
différencier une forme localisée d’une forme systémique. Les
techniques les plus employées sont la biopsie rectale, l’aspiration
de la graisse abdominale et la biopsie des glandes salivaires accessoires (5). Tous les auteurs s’accordent sur le fait que la chirurgie
n’est indiquée qu’en présence de signes compressifs ou pour des
raisons esthétiques, car la thyroïdectomie totale n’a aucun effet
sur le pronostic de la maladie amyloïde et expose aux risques
de complications de la chirurgie thyroïdienne. Notre patiente a
subi, quant à elle, une thyroïdectomie totale, parce qu’elle avait
un goitre multinodulaire assez volumineux et que l’examen
histologique extemporané n’était pas concluant. Actuellement,
il n’y a pas de médicament permettant de dissoudre la substance amyloïde. Le traitement permet de corriger la génération
anormale de la protéine ; il peut stabiliser l’organe atteint et en
améliorer le fonctionnement. Le traitement de l’amylose AA (5)
dépend de la maladie sous-jacente ; il nécessite un contrôle strict
de l’inflammation et la suppression des foyers infectieux chroniques. Ce traitement repose sur la colchicine et les immunosuppresseurs. Si la formation de dépôts amyloïdes est interrompue par le traitement, l’organisme peut en éliminer jusqu’à
50 % par an. Le pronostic dépend de plusieurs facteurs (5) :
la durée d’évolution de la maladie (plus le diagnostic est précoce,
meilleur est le pronostic) ; l’atteinte hépatique, rénale, cardiaque
ou pulmonaire, qui est de mauvais pronostic. L’évolution est
souvent favorable dans les formes localisées. L’amylose AA est
de meilleur pronostic que la forme AL.
Cas clinique
C as clinique
Conclusion
L’amylose est une affection rare, dont le diagnostic est souvent
tardif en raison de la mauvaise connaissance que nous en avons.
La fréquence de ses localisations ORL exige de l’oto-rhinolaryngologiste la parfaite connaissance de cette maladie, contribuant ainsi à son diagnostic et au bilan d’extension (biopsie
des glandes salivaires accessoires).
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Références bibliographiques
1. Tokyol C, Demir S, Yilmaz S, Topak N, Pasali T, Polat C. Amyloid goiter with
hyperthyroidism. Endocr Pathol 2004;15:89-90.
2. Kimura H, Yamashita S, Achizawa K, Yokoyama N, Nagataki S. Thyroid dysfunction in patients with amyloid goiter. Clin Endocrinol 1997;46:769-74.
3. Nijhawan VS, Marwaha RK, Sahoo M, Ravishankar L. Fine needle aspiration
cytology of amyloid goiter. A report of four cases. Acta Cytol 1997;41:830-4.
4. Villamil CF, Massimi G, D’Avella J, Cole SR. Amyloid goiter with parathyroid involvement. A case report and review of literature. Arch Pathol Lab Med
2000;124:281-3.
5. Grateau G. Amyloses. Paris: Elsevier, Encycl Med Chir 1998;5-0390,4p.
La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale - n° 309-310 - avril-septembre 2007
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