Antagonistes des hormones peptidiques Dossier Les antagonistes de la GnRH N. Chabbert-Buffet*, P. Bouchard** L a découverte du rôle crucial de la GnRH dans la vie reproductive a été rapidement suivie par la mise au point de traitements de l’infertilité faisant appel à la GnRH elle-même ou à des analogues de la GnRH. La GnRH native administrée de manière pulsatile à l’aide de minipompes (1) a démontré son efficacité dans le traitement de l’infertilité d’origine hypothalamique. Les premiers analogues de la GnRH ont été synthétisés dans les mois qui ont suivi la découverte de la structure décapeptidique de la GnRH en 1971 par l’équipe de Schally (2). Parmi les analogues de la GnRH, on distinguait les agonistes et les antagonistes de la GnRH. Dès 1978, il fut clair que l’administration répétée d’agonistes de la GnRH aboutissait en fait à une inhibition de la fonction gonadotrope avec un effondrement de la sécrétion des stéroïdes sexuels, cela après une phase initiale de stimulation (3). Plusieurs années furent nécessaires pour élucider ce phénomène. La mise au point de dosages spécifiques et sensibles de la LH a permis de démontrer que, parallèlement à la chute des stéroïdes (estradiol ou testostérone), les niveaux de LH étaient bas. Enfin, il a été montré que ce phénomène était dû à la désensibilisation des récepteurs de * Service de médecine interne, hôpital Tenon, et EA 1533 Génétique de la reproduction humaine, CHU Saint-Antoine, Paris. ** Service d’endocrinologie et EA 1533 Génétique de la reproduction humaine, CHU Saint-Antoine, Paris. la GnRH au niveau de la membrane des cellules gonadotropes hypophysaires, comparable à ce que l’on observe en cas d’administration continue (et non pulsatile comme en physiologie) de GnRH (4, 5). Les antagonistes de la GnRH ont été découverts dès 1972, et leur mécanisme d’action est complètement différent. Ils se lient au récepteur de la GnRH avec une haute affinité mais sont incapables d’activer la cascade post-récepteur de transduction du signal. lls se comportent donc comme des inhibiteurs compétitifs du récepteur (6-8). Structure et mécanisme d’action des antagonistes de la GnRH (figure 1, tableau I) Structure Les antagonistes de la GnRH sont produits par substitution de 4 à 6 acides aminés de la chaîne décapeptidique native de GnRH (figure 1). Ceuxci sont remplacés par des acides aminés dextrogyres non physiologiques. Le premier antagoniste a été obtenu par la suppression de l’histidine en position 2, dont le rôle dans Figure 1. Mécanisme d’action des antagonistes de la GnRH par opposition aux agonistes. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003 31 Dossier Dossier Tableau I. Structure des antagonistes de la GnRH. Abarelix Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-N-Me Tyr-Dasn-Leu-Ilys-Pro-DAla- NH2 Acyline Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-Aph-Daph(Ac)-Leu-ILys-Pro-DAla- NH2 Antarelix Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-Tyr-DHci-Leu-ILys-Pro-DAla-NH2 Iturelix Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-Lys(Nic)-Dlys(Nic)-Leu-Ilys-Pro-DAla- NH2 Azaline B Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-Aph(Atz)-DAph(Atz)-Leu-Ilys-Pro-DAla- NH2 Nal-Glu Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-Arg-Dglu(AA)-Leu-Arg- Pro-DAla- NH2 FE 200486 Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-Aph(Hor)-DAph(Cba)-Leu-ILys-Pro-DAla- NH2 Cetrorelix** Ac-DNal-DCpa-DPAla-Ser-Tyr-Dcit-Leu-Arg-Pro-DAla- NH2 Ganirelix*** Ac-DNal-DCpa-DPal-Ser-Tyr-DHArg(Et2)-Leu-HArg(Et2)-Pro-DAla- NH2 GnRH pGlu-His-Trp-Ser-Tyr-Gly-Leu-Arg-Pro-Gly- NH2 Tableau II. Antagonistes de la GnRH commercialisés en France. Nom® (DCI) Laboratoire Voie Dosages Coût par cycle Cétrotide (Cétrorélix) Serono sous-cutané 0,25 et 3 mg 270 à 380 euros env. Orgalutran® (Ganirelix) Organon sous-cutané 0,25 mg 240 à 330 euros env. ® l’interaction avec le récepteur est majeur. L’utilisation clinique des antagonistes de la GnRH a été longtemps limitée par les phénomènes d’intolérance cutanée ou systémique, observés avec les composés de première génération du fait de leur capacité histaminolibératrice. Cela concernait en particulier les molécules comportant une arginine dextrogyre en position 6 (DArg6). Une dizaine de nouvelles molécules quasi dépourvues d’effet allergisant sont actuellement en cours d’étude clinique (9, 10) et deux molécules sont commercialisées (Cetrorelix® et Ganirelix®, tableau II) (11, 12). Pharmacologie L’administration sous-cutanée d’antagonistes de la GnRH produit une chute rapide des taux de LH et de stéroïdes sexuels, suivie par une décroissance plus lente de la FSH. Celle-ci n’est significative qu’après plusieurs injections d’antagonistes (13). Cette décroissance de la LH et de la FSH sous antagonistes de la 32 GnRH vient confirmer qu’il n’existe qu’une seule “gonadolibérine” hypothalamique, commune à LH et FSH, et justifie le remplacement du terme LHRH par GnRH. L’activité biologique des antagonistes de la GnRH nécessite l’administration de milligrammes de ces molécules. Les agonistes de la GnRH, en revanche, sont actifs à des doses de quelques dizaines de microgrammes. L’une des explications proposées est que les antagonistes doivent occuper tous les sites récepteurs en permanence, alors que les agonistes – provoquant une désensibilisation, et donc une diminution des sites récepteurs – sont actifs à des doses plus faibles. Cependant, certains auteurs ont décrit in vitro une diminution des sites récepteurs sous antagonistes (14). Ces données semblent ne pas être extrapolables in vivo, car l’administration d’agonistes de la GnRH à des patients sous antagonistes induit une élévation transitoire des gonadotrophines (15). Cela suggère donc que les récepteurs sont présents sur la membrane. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003 Les propriétés pharmacocinétiques des antagonistes sont complexes, leur demi-vie pouvant varier de quelques heures à plus de trente heures en fonction de la dose administrée. Les antagonistes ont également la propriété de former un gel qui leur confère une libération prolongée. La formation du gel survient probablement au site d’injection. In vitro, elle dépend des concentrations de NaCl. Cette propriété a été utilisée pour produire des antagonistes d’action prolongée. Les données cliniques au long cours manquent cependant. Le composé oral TAK 103, premier antagoniste non peptidique, semble avoir une longue durée d’action prolongée (16). Les agonistes induisent initialement une élévation des gonadotrophines et des stéroïdes sexuels. C’est l’effet flare up, qui peut être indésirable lorsque les agonistes sont utilisés pour traiter une maladie hormonodépendante (cancer de la prostate ou du sein, puberté précoce centrale). Au contraire, cet effet peut être, par exemple, utilisé pour déclencher le pic ovulatoire de LH au cours des cycles de fécondation in vitro (FIV). Secondairement, le phénomène de désensibilisation qui empêche le recyclage des récepteurs à la membrane entraîne une inhibition gonadotrope et une chute des stéroïdes sexuels. Les antagonistes ont un effet d’emblée inhibiteur, dont la durée est liée à la pharmacocinétique du composé utilisé et à la dose. L’effet apparaît en quelques heures et dure de 10 à 100 heures. L’effet suppresseur des antagonistes sur le niveau de gonadotrophines est également plus marqué que celui des agonistes (13). Ils suppriment de manière aussi efficace LH et FSH, alors que les agonistes ont un effet sur la LH sans affecter la sécrétion de FSH, qui augmente même avec le temps. Ils seraient donc a priori plus intéressants dans le traitement des affections hormonodépendantes, mais leur durée d’action cliniquement limitée les rend inadéquats dans ce contexte. Le développement de formes orales de longue durée d’action pourra peutêtre apporter une solution à l’avenir. Mécanisme d’action aux niveaux cellulaire et moléculaire Les analogues de la GnRH interagissent avec le récepteur de type 1 de la GnRH, auquel ils se lient avec une haute affinité. Le récepteur de la GnRH est une molécule à sept domaines transmembranaires, couplée à une protéine G (Gq11) qui assure la transmission intracellulaire du signal. Le domaine extracellulaire de grande taille est le site de liaison du ligand et vient présenter ce dernier aux sept domaines transmembranaires organisés en puits. Cela permet de déclencher la cascade de transduction du signal. Il semble également que les récepteurs de la GnRH puissent se dimériser et coopérer après liaison d’un agoniste. Les antagonistes se lient au récepteur mais n’induisent aucune activation de la transduction du signal. Les effets des antagonistes sur les phénomènes de dimérisation du récepteur de la GnRH sont encore mal connus, mais il semble que la dimérisation n’ait pas lieu (17). Enfin, le site précis de liaison des agonistes et des antagonistes de la GnRH au récepteur semble différer (18). Applications cliniques Étant donné les caractéristiques des antagonistes, il est logique d’envisager leur utilisation dans des situations où une suppression rapide et profonde de la sécrétion des gonadotrophines est nécessaire. C’est le cas au cours des cycles de procréation médicalement assistée. Chez les femmes normales, le pic préovulatoire de LH est déclenché par l’action permissive hypothalamique de l’estradiol, sécrété à des taux de 150 à 200 pg/ml par le follicule dominant (19). L’administration d’un antagoniste de la GnRH est capable de retarder le pic de LH si elle a lieu en fin de phase folliculaire, avant le pic de LH ou même au moment de celui-ci (20-22). Il est bien sûr impossible de déterminer le taux de GnRH portal dans l’espèce humaine, mais il a été montré chez le rat, les ovins et les primates que la GnRH jouait un rôle crucial dans le déclenchement du pic de LH (2327). La quantité de GnRH nécessaire pour induire le pic de LH reste inconnue. Chez la femme, il semble que la GnRH ait un effet permissif et qu’une augmentation de la GnRH ne soit pas nécessaire pour induire le pic de LH (28). Au cours de l’hyperstimulation ovarienne contrôlée réalisée en FIV, les taux d’estradiol, très importants en raison du développement multifolliculaire, peuvent induire un pic de LH prématuré. Ces pics de LH prématurés entraînent une lutéinisation prématurée du follicule et sont associés à un taux d’échec de grossesse plus important (29). Ils entraînent donc l’annulation du cycle en cours. Les antagonistes de la GnRH permettent de retarder le pic de LH. Les agonistes de la GnRH sont également utilisés en FIV pour “annuler” la fonction gonadotrope endogène de la femme et prévenir toute possibilité de pic prématuré de LH. Ils sont pour cela utilisés selon différents protocoles induisant une désensibilisation plus ou moins prolongée. Ils permettent également une meilleure organisation des plannings de déclenchement de l’ovulation des patientes. Les antagonistes de la GnRH, disponibles de manière plus récente, sont en cours d’évaluation par rapport à ces traitements de référence. Les antagonistes sont capables de réduire la durée de stimulation ovarienne et donc le nombre d’ampoules de FSH utilisées. Ils réduisent également le nombre d’hyperstimulations ovariennes. Toutefois, ils entraînent également une baisse significative, bien que modérée, des taux de grossesse par rapport aux cycles traités par agonistes (30). Cela nécessitera pour l’avenir une adaptation des protocoles de traitement. Les protocoles actuellement utilisés sont de deux types : mono-injection de 3 mg au 7e jour de la stimulation par FSH (sous forme d’HMG qui comporte de la LH en faible quantité et de la FSH extractives ou sous forme recombinante pure), ou multiinjection de 0,25 mg/jour du 6e au 13e jour de la stimulation environ. Au cours des cycles de FIV sous agonistes, la désensibilisation des récepteurs contraint à déclencher l’ovulation par de l’hCG, qui mime l’action de la LH. Toutefois, la durée de vie de l’hCG est importante, et l’injection peut entretenir, voire aggraver, une hyperstimulation préexistante. Au cours des cycles de FIV sous antagonistes, on peut utiliser l’effet flare up des agonistes (31) pour déclencher l’ovulation. Une injection d’agoniste d’action brève permet de déclencher un pic de LH endogène, a priori plus physiologique que l’injection d’hCG. Après l’ovulation, le développement du corps jaune et sa survie sont dépendants de la LH. Lors des cycles de FIV traités par agonistes de la GnRH, l’inhibition gonadotrope est prolongée et impose un soutien de la phase lutéale, par injection d’hCG (avec les risques d’hyperstimulation déjà évoqués) ou par administration de progestérone. Lors des cycles sous antagonistes, il semble que, malgré la durée d’action brève de ces composés, la phase lutéale soit raccourcie et nécessite une supplémentation progestative (32-33). Les effets des antagonistes de la GnRH sur l’enfant à venir sont encore mal connus mais semblent limités ou nuls (34, 35). Les embryons obtenus après un cycle sous antagonistes semblent normaux selon les critères morphologiques “grossiers” dont nos disposons actuellement. Ils permettent d’obtenir après congélation un taux de grossesse évolutive comparable à celui que l’on observe avec les embryons congelés issus de cycles sous agonistes de la GnRH (36). De manière plus générale, les taux de Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003 Dossier Dossier 33 Dossier Dossier malformation fœtale au cours des grossesses obtenues après traitement par antagonistes ne semblent pas plus élevés que pour les autres techniques de procréation médicalement assistée (34, 35). Conclusions et perspectives Les antagonistes de la GnRH représentent un outil potentiellement formidable sur lequel il nous reste beaucoup à découvrir. Les mécanismes d’action sont encore mal connus, et la recherche dans ce domaine contribue à la fois à élucider ces mécanismes et à mieux connaître la pharmacologie moléculaire des récepteurs de la GnRH (37). Les protocoles d’utilisation dans le cadre de la FIV doivent également être améliorés (38). Le développement de molécules de longue durée d’action pourra peut-être permettre d’élargir les indications des antagonistes de la GnRH aux pathologies hormonodépendantes, comme le cancer du sein ou de la prostate et la puberté précoce centrale. D’autres indications à plus court terme sont en cours d’évaluation, comme la préparation à l’hystéroscopie en cas de saignement, à la mammographie en cas de mastodynies très importantes ou de densité mammaire excessive. Dans le traitement des cancers hormonodépendants, il n’existe aucune raison de penser que les antagonistes seront supérieurs aux agonistes, qui suppriment de manière très efficace les taux de stéroïdes sexuels avec des résultats cliniques identiques à ceux obtenus après castration. De plus, les formulations “longue durée”, indispensables au confort des patients, n’existent pour le moment que pour les agonistes de la GnRH. Enfin, la mise au point de formes orales actuellement en cours est une étape majeure du développement de ces molécules (16, 39). 34 Références 1. Leyendecker G, Wildt L, Hansmann M. Pregnancies following chronic intermittent (pulsatile) administration of Gn-RH by means of a portable pump (“Zyklomat”) : a new approach to the treatment of infertility in hypothalamic amenorrhea. J Clin Endocrinol Metab 1980 ; 51 : 1214-6. 2. Baba Y, Matsuo H, Schally AV. Structure of the porcine LH- and FSH-releasing hormone. II. 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