ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:19 Page 166 mise au point Mise au point thérapeutique Rémission des états dépressifs majeurs : quelles définitions ? C. Debacq*, F. Sisco**, C.S. Peretti* tères d’un épisode dépressif ou de ceux d’un autre ’évolution, spontanée ou sous traitement, d’un épisode trouble cité (F30-39)”. Les La terminologie “rémisdépressif peut se faire vers une rémission. Selon le dic- troubles cotés de F30 à sion partielle/complète” tionnaire de médecine Flammarion, la définition de la F39 représentent les dans le cadre des épisodes rémission est “l’atténuation ou la disparition provisoire troubles de l’humeur dépressifs majeurs existe (affectifs). des symptômes d’une maladie”. depuis plusieurs décennies. Mais c’est seulement Ce concept de rémission dans les états dépressifs est Dans les antécédents du patient, nous retrouvons la récemment que des essais abordé de diverses manières. De nombreuses définitions présence “d’au moins de définitions précises ont sont élaborées, et plusieurs critères sont déterminés. deux épisodes dépressifs, été formulés. Ces Après avoir précisé quelques généralités concernant la ayant persisté au moins concepts ont des implications sur la prévalence, les rémission, nous en citerons les définitions essentielles. deux semaines et ayant été par un intervalle caractéristiques cliniques Ensuite, nous étudierons quelques facteurs pouvant avoir séparés d’au moins plusieurs mois et le pronostic de la pathoun rôle prédictif dans la survenue de cette évolution d’un sans perturbation signifilogie de l’humeur. épisode dépressif. Enfin, nous proposerons des perspec- cative de l’humeur”. La rémission partielle tives thérapeutiques qui peuvent être envisagées. Par ailleurs, la prescription concernerait un tiers des d’un traitement chimiosujets traités pour dépresthérapique pouvant dimision. Elle peut augmenter nuer le risque de récidive ne permet pas le risque de rechute et avoir des conséet des troubles du comportement de l’Orquences négatives sur les performances d’éliminer ce diagnostic. ganisation mentale de la santé (CIM 10). socioprofessionnelles. À la différence de celle décrite dans le Le DSM-IV différencie la rémission parDSM-IV, la définition de la CIM 10 prétielle de la rémission complète. cise le nombre d’états dépressifs antéD’une part, la rémission partielle se définit rieurs. par la présence des symptômes d’un épiD’une manière générale, avant la disparisode dépressif majeur (EDM), sans que tion complète d’une symptomatologie tous les critères soient remplis au complet, dépressive, un patient peut être en rémisou l’existence d’une “période d’une durée Les descriptions de rémission lors de synsion partielle ou totale selon que la réponse inférieure à deux mois suivant la fin d’un dromes dépressifs sont faites dans les clasà la thérapeutique est partielle ou totale. EDM, sans aucun symptôme significatif sifications internationales, telles que celle d’EDM”. D’autre part, la rémission comLa phase de rémission partielle corresdu Manuel diagnostique et statistique des plète nécessite l’absence de “signe ou pond à une période d’amélioration, dont troubles mentaux de l’American Psychiasymptôme significatif de l’affection depuis la durée varie de quelques semaines à six tric Association (DSM-IV) et la Classifideux mois”. mois, de laquelle les critères de sévérité cation internationale des troubles mentaux de l’état dépressif sont absents mais où des Dans la CIM 10, la symptomatologie se symptômes “résiduels”, pouvant être plus rapprochant de la rémission est dénomque minimes, persistent. En fait, le début mée “trouble dépressif récurrent actuelde la phase de réponse coïncide avec la lement en rémission” et est cotée F33-4. période de rémission partielle ; à la nuance Elle se définit par la présence de “critères * CHU de Reims près que la terminologie nécessite la mise d’un trouble dépressif récurrent (F33) ** CHG de Bastia en place d’un traitement. dans le passé” et l’absence actuelle de “cri- Généralités L Les classifications, propositions de définitions Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 5, mai 2000 166 ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:19 Page 167 thérapeutique Mise au point thérapeutique La rémission complète, quant à elle, succède le plus souvent à la rémission partielle. Elle est déterminée par une phase d’amélioration sans symptomatologie dépressive vraie et durable, sur quelques semaines à six mois. La dépression est considérée comme résistante, si la réponse à de nombreux traitements bien menés, c’est-à-dire à posologie efficace durant une période suffisante d’une à deux mois, n’est pas satisfaisante. À propos de la dépression saisonnière Selon Rosenthal, le seasonal affective disorder (SAD), ou dépression d’automne, ou dépression saisonnière, correspond à un trouble d’adaptation aux variations de l’environnement. Ainsi, dans cette définition, il existerait un rapport de causalité entre le trouble de l’humeur et les saisons. La dépression typique hivernale est caractérisée par un état dépressif récurrent en automne et en hiver, et une rémission complète ou un état hypomaniaque, voire maniaque, en été. Dans le DSM-IV, ce trouble de l’humeur n’est pas classé comme une entité nosographique particulière mais correspond soit à un trouble bipolaire, soit à un épisode dépressif majeur récurrent. Toutefois, certaines de ces dépressions saisonnières ont quelques particularités. En effet, certains patients présentent un état dépressif typique en hiver, mais avec une rémission incomplète en période estivale. Une étude a été réalisée chez ces patients et ceux souffrant de dépression hivernale de même intensité, en rémission complète durant l’été, afin de comparer dans ces deux groupes le contexte démographique, l’histoire de la maladie, les symptômes cliniques et la réponse à un traitement léger. En Norvège, Lingjaerde et ses collaborateurs ont montré que les patients appartenant au premier groupe, donc avec une rémission incomplète en été, présentaient un trouble de l’humeur d’une durée plus longue, utilisaient plus souvent un antidépresseur et récupéraient au niveau symptomatologique de manière moins significative après un léger traitement d’une durée de six jours. Néanmoins, des biais existaient dans cette étude, le groupe de sujets en rémission incomplète en été était d’effectif faible, et l’évaluation des troubles de l’humeur estivaux était rétrospective. Il a été démontré que les patients souffrant d’une dépression en hiver, avec une rémission partielle durant l’été, répondaient mal à un traitement antidépresseur léger. La rémission complète l’été serait retenue comme un critère diagnostique des états dépressifs typiques pendant l’hiver. Facteurs de risque Des facteurs de risque d’absence de rémission ou de récurrence d’épisodes dépressifs ont été décrits. Il s’agit du manque d’éducation, d’une idéation et d’une humeur dépressives initiales plus sévères, d’une dépression majeure secondaire, de la prise antérieure d’un traitement antidépresseur, d’une comorbidité médicale et de liens de parenté distendus. L’identification et la prise en compte de ces facteurs de risque, avant même l’évaluation de l’intensité de la symptomatologie dépressive et le choix du traitement médicamenteux prescrit, permettraient d’améliorer l’évolution clinique à long terme. Un patient, qui souffrirait de symptômes résiduels après un traitement antidépresseur bien conduit pour EDM, aurait plus de risque de présenter une rechute que les patients cliniquement asymptomatiques au décours d’une prise en charge psychiatrique par chimiothérapie et psychothérapie. Des critères, tels que le sexe (masculin), la structure de personnalité, la présence d’événements de vie stressants, le nombre d’épisodes dépressifs antérieurs, l’état clinique du patient après le dernier épisode, la durée 167 du symptôme avant la prise en charge et la présence de traits psychotiques ou endogènes particuliers, interviendraient comme facteurs prédictifs de l’évolution de la dépression. La présence de caractéristiques cliniques serait l’indice de prédictivité supérieure d’une évolution chronique de la symptomatologie dépressive. Nous citerons les principales : une asthénie sévère, la perte d’intérêt dans les activités habituelles, des troubles du sommeil, des idées noires ou suicidaires, des troubles du comportement. Un patient ni heureux ni sûr de lui, isolé socialement, sans ami, a plus de risque de présenter une dépression de longue durée. Néanmoins, les sujets traités par un antidépresseur et suivis dans le cadre d’une psychothérapie ont plus de chances de présenter une évolution vers une rémission complète ou partielle que ceux ne suivant aucun traitement ou nonobservants à la thérapeutique. Perspectives thérapeutiques Chez un patient présentant un état dépressif en rémission partielle, plusieurs orientations thérapeutiques sont envisageables. Le médecin peut soit poursuivre le projet de soins déjà mis en place, soit le modifier. Si aucune amélioration symptomatologique ne survient après un délai suffisant, le thérapeute devra revoir la prise en charge. Par ailleurs, dans le cas où aucun traitement n’est proposé au sujet, et que la rémission partielle n’évolue pas vers une rémission totale, des soins seront prescrits. Un traitement antidépresseur permet d’induire une rémission et de prévenir une rechute. Il est nécessaire de rappeler qu’un patient présentant un EDM et recevant un traitement en phase aiguë peut retrouver un niveau de fonctionnement social adapté et être asymptomatique cliniquement. Des études concernant l’efficacité des antidépresseurs montrent un taux de réponse de 50 à 60 %, mais des taux de ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:19 Page 168 mise au point Mise au point thérapeutique rémission de seulement 20 à 30 %. C’est avec la venlafaxine (Effexor®) que le plus fort taux de rémission aurait été enregistré. L’antidépresseur idéal serait celui qui permettrait d’obtenir la rémission la plus importante. D’autres études concernant l’EDM précisent que 30 à 50 % des patients rechuteront durant une période de 4 à 6 mois suivant le traitement médicamenteux. La durée de la chimiothérapie intervient : les patients ne prenant pas le traitement pendant un temps suffisamment long présentent un risque élevé de rechute. Environ 75 à 80 % des sujets non compliants dans la durée souffriront d’une dépression récurrente. Le taux de rechute peut être réduit par un traitement prolongé, d’une durée de 3 à 5 ans, avec, par exemple, l’imipramine (Tofranil®). La prescription d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (SSRis), la nefazodone et la mirtazapine, permettrait d’obtenir un taux de rechute inférieur à celui existant suite à la prise d’un placebo. Selon Kupfer, un traitement de la phase aiguë d’un premier épisode dépressif chez un patient doit se prolonger au minimum 4 à 5 mois après la rémission des symptômes. Lors d’une récurrence, la chimiothérapie précédemment efficace sera prescrite à nouveau dès le retour évident des symptômes, à posologie suffisante et durant 4 à 5 mois. Parfois, devant certaines dépressions récurrentes, une durée de traitement de 3 ans sera nécessaire. Un antidépresseur inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, tel que la venlafaxine, serait bien toléré et efficace lors des traitements de longue durée. Nous n’insisterons pas sur l’importance d’une prise en charge psychothérapique chez ces patients. Selon leur possibilité d’élaboration et leur demande d’aide, elle est analytique ou éventuellement à orientation analytique, voire même de soutien. Chez les sujets hospitalisés, une prise en Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 5, mai 2000 charge institutionnelle constitue un soutien supplémentaire permettant une diminution de la souffrance psychique. Certaines études ont montré l’intérêt de traitements cognitivo-comportementaux des symptômes résiduels au décours d’un EDM, mais seulement dans les quatre premières années. Ces prises en charge améliorent l’évolution à long terme de l’EDM, en termes de nombres totaux d’épisodes. Conclusion Il semble essentiel de préciser l’importance du concept de rémission au décours d’un EDM. Il doit être considéré avec attention, car il a un retentissement sur les plans clinique, diagnostique, évolutif, pronostique et dans la prise en charge de la souffrance psychique du patient. Certains patients, malgré la prise d’un traitement antidépresseur, présentent des symptômes résiduels à l’origine de détresse psychique. Ces troubles peuvent correspondre aux critères d’une dépression mineure. Par ailleurs, ces sujets ont un plus grand risque de rechute ou de récurrence après traitement antidépresseur que les patients asymptomatiques après chimiothérapie. Il est important d’insister sur l’intérêt de proposer un suivi prolongé, y compris d’instaurer une prévention, afin d’améliorer le pronostic de la dépression et par conséquent la qualité de vie des patients souffrant d’EDM. En recherche clinique et thérapeutique, la prise en compte de cette évolution potentielle est importante. Le groupe des patients souffrant d’EDM doit être intégré, d’une part, dans des études cliniques longitudinales et, d’autre part, dans des protocoles d’essai thérapeutique de nouvelles molécules. 168 Références ● American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. DSM IV, 4e éd., Washington. ● Ansseau M. Critères cliniques d’évaluation de la guérison de la dépression. Aspects méthodologiques. L’Encéphale 1993 ; XIX : 441-4. ● Cornwall P.L., Scott J. Partial remission in depressive disorders. Acta. Psychiatr. Scand. 1997 ; 95 : 265-71. ● Fava G.A., Rafanelli C., Grandi S. et coll. 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