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mise au point
Mise au point thérapeutique
Rémission des états dépressifs majeurs :
quelles définitions ?
C. Debacq*, F. Sisco**, C.S. Peretti*
tères d’un épisode dépressif ou de ceux d’un autre
’évolution, spontanée ou sous traitement, d’un épisode
trouble cité (F30-39)”. Les
La terminologie “rémisdépressif peut se faire vers une rémission. Selon le dic- troubles cotés de F30 à
sion partielle/complète”
tionnaire de médecine Flammarion, la définition de la F39 représentent les
dans le cadre des épisodes
rémission est “l’atténuation ou la disparition provisoire troubles de l’humeur
dépressifs majeurs existe
(affectifs).
des symptômes d’une maladie”.
depuis plusieurs décennies. Mais c’est seulement
Ce concept de rémission dans les états dépressifs est Dans les antécédents du
patient, nous retrouvons la
récemment que des essais
abordé de diverses manières. De nombreuses définitions présence “d’au moins
de définitions précises ont
sont élaborées, et plusieurs critères sont déterminés.
deux épisodes dépressifs,
été formulés. Ces
Après avoir précisé quelques généralités concernant la ayant persisté au moins
concepts ont des implications sur la prévalence, les
rémission, nous en citerons les définitions essentielles. deux semaines et ayant été
par un intervalle
caractéristiques cliniques
Ensuite, nous étudierons quelques facteurs pouvant avoir séparés
d’au moins plusieurs mois
et le pronostic de la pathoun rôle prédictif dans la survenue de cette évolution d’un sans perturbation signifilogie de l’humeur.
épisode dépressif. Enfin, nous proposerons des perspec- cative de l’humeur”.
La rémission partielle
tives thérapeutiques qui peuvent être envisagées.
Par ailleurs, la prescription
concernerait un tiers des
d’un traitement chimiosujets traités pour dépresthérapique pouvant dimision. Elle peut augmenter
nuer le risque de récidive ne permet pas
le risque de rechute et avoir des conséet des troubles du comportement de l’Orquences négatives sur les performances
d’éliminer ce diagnostic.
ganisation mentale de la santé (CIM 10).
socioprofessionnelles.
À la différence de celle décrite dans le
Le DSM-IV différencie la rémission parDSM-IV, la définition de la CIM 10 prétielle de la rémission complète.
cise le nombre d’états dépressifs antéD’une part, la rémission partielle se définit
rieurs.
par la présence des symptômes d’un épiD’une manière générale, avant la disparisode dépressif majeur (EDM), sans que
tion complète d’une symptomatologie
tous les critères soient remplis au complet,
dépressive, un patient peut être en rémisou l’existence d’une “période d’une durée
Les descriptions de rémission lors de synsion partielle ou totale selon que la réponse
inférieure à deux mois suivant la fin d’un
dromes dépressifs sont faites dans les clasà la thérapeutique est partielle ou totale.
EDM,
sans
aucun
symptôme
significatif
sifications internationales, telles que celle
d’EDM”.
D’autre
part,
la
rémission
comLa phase de rémission partielle corresdu Manuel diagnostique et statistique des
plète nécessite l’absence de “signe ou
pond à une période d’amélioration, dont
troubles mentaux de l’American Psychiasymptôme significatif de l’affection depuis
la durée varie de quelques semaines à six
tric Association (DSM-IV) et la Classifideux mois”.
mois, de laquelle les critères de sévérité
cation internationale des troubles mentaux
de l’état dépressif sont absents mais où des
Dans la CIM 10, la symptomatologie se
symptômes “résiduels”, pouvant être plus
rapprochant de la rémission est dénomque minimes, persistent. En fait, le début
mée “trouble dépressif récurrent actuelde la phase de réponse coïncide avec la
lement en rémission” et est cotée F33-4.
période de rémission partielle ; à la nuance
Elle se définit par la présence de “critères
* CHU de Reims
près que la terminologie nécessite la mise
d’un trouble dépressif récurrent (F33)
** CHG de Bastia
en place d’un traitement.
dans le passé” et l’absence actuelle de “cri-
Généralités
L
Les classifications,
propositions de définitions
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La rémission complète, quant à elle, succède le plus souvent à la rémission partielle. Elle est déterminée par une phase
d’amélioration sans symptomatologie
dépressive vraie et durable, sur quelques
semaines à six mois.
La dépression est considérée comme résistante, si la réponse à de nombreux traitements bien menés, c’est-à-dire à posologie
efficace durant une période suffisante d’une
à deux mois, n’est pas satisfaisante.
À propos de la dépression
saisonnière
Selon Rosenthal, le seasonal affective
disorder (SAD), ou dépression d’automne,
ou dépression saisonnière, correspond à un
trouble d’adaptation aux variations de l’environnement. Ainsi, dans cette définition, il
existerait un rapport de causalité entre le
trouble de l’humeur et les saisons. La
dépression typique hivernale est caractérisée par un état dépressif récurrent en
automne et en hiver, et une rémission complète ou un état hypomaniaque, voire
maniaque, en été.
Dans le DSM-IV, ce trouble de l’humeur
n’est pas classé comme une entité nosographique particulière mais correspond soit à
un trouble bipolaire, soit à un épisode
dépressif majeur récurrent.
Toutefois, certaines de ces dépressions saisonnières ont quelques particularités. En
effet, certains patients présentent un état
dépressif typique en hiver, mais avec une
rémission incomplète en période estivale.
Une étude a été réalisée chez ces patients et
ceux souffrant de dépression hivernale de
même intensité, en rémission complète
durant l’été, afin de comparer dans ces deux
groupes le contexte démographique, l’histoire de la maladie, les symptômes cliniques
et la réponse à un traitement léger. En Norvège, Lingjaerde et ses collaborateurs ont
montré que les patients appartenant au premier groupe, donc avec une rémission
incomplète en été, présentaient un trouble
de l’humeur d’une durée plus longue, utilisaient plus souvent un antidépresseur et
récupéraient au niveau symptomatologique
de manière moins significative après un
léger traitement d’une durée de six jours.
Néanmoins, des biais existaient dans cette
étude, le groupe de sujets en rémission
incomplète en été était d’effectif faible, et
l’évaluation des troubles de l’humeur estivaux était rétrospective.
Il a été démontré que les patients souffrant
d’une dépression en hiver, avec une rémission partielle durant l’été, répondaient mal
à un traitement antidépresseur léger. La
rémission complète l’été serait retenue
comme un critère diagnostique des états
dépressifs typiques pendant l’hiver.
Facteurs de risque
Des facteurs de risque d’absence de rémission ou de récurrence d’épisodes dépressifs
ont été décrits. Il s’agit du manque d’éducation, d’une idéation et d’une humeur
dépressives initiales plus sévères, d’une
dépression majeure secondaire, de la prise
antérieure d’un traitement antidépresseur,
d’une comorbidité médicale et de liens de
parenté distendus. L’identification et la prise
en compte de ces facteurs de risque, avant
même l’évaluation de l’intensité de la symptomatologie dépressive et le choix du traitement médicamenteux prescrit, permettraient
d’améliorer l’évolution clinique à long
terme.
Un patient, qui souffrirait de symptômes
résiduels après un traitement antidépresseur
bien conduit pour EDM, aurait plus de
risque de présenter une rechute que les
patients cliniquement asymptomatiques au
décours d’une prise en charge psychiatrique
par chimiothérapie et psychothérapie.
Des critères, tels que le sexe (masculin), la
structure de personnalité, la présence d’événements de vie stressants, le nombre d’épisodes dépressifs antérieurs, l’état clinique
du patient après le dernier épisode, la durée
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du symptôme avant la prise en charge et la
présence de traits psychotiques ou endogènes particuliers, interviendraient comme
facteurs prédictifs de l’évolution de la
dépression.
La présence de caractéristiques cliniques
serait l’indice de prédictivité supérieure
d’une évolution chronique de la symptomatologie dépressive. Nous citerons les
principales : une asthénie sévère, la perte
d’intérêt dans les activités habituelles, des
troubles du sommeil, des idées noires ou suicidaires, des troubles du comportement. Un
patient ni heureux ni sûr de lui, isolé socialement, sans ami, a plus de risque de présenter une dépression de longue durée.
Néanmoins, les sujets traités par un antidépresseur et suivis dans le cadre d’une psychothérapie ont plus de chances de présenter une évolution vers une rémission
complète ou partielle que ceux ne suivant
aucun traitement ou nonobservants à la thérapeutique.
Perspectives thérapeutiques
Chez un patient présentant un état dépressif en rémission partielle, plusieurs orientations thérapeutiques sont envisageables.
Le médecin peut soit poursuivre le projet
de soins déjà mis en place, soit le modifier. Si aucune amélioration symptomatologique ne survient après un délai suffisant, le thérapeute devra revoir la prise en
charge. Par ailleurs, dans le cas où aucun
traitement n’est proposé au sujet, et que la
rémission partielle n’évolue pas vers une
rémission totale, des soins seront prescrits.
Un traitement antidépresseur permet d’induire une rémission et de prévenir une
rechute. Il est nécessaire de rappeler qu’un
patient présentant un EDM et recevant un
traitement en phase aiguë peut retrouver
un niveau de fonctionnement social adapté
et être asymptomatique cliniquement.
Des études concernant l’efficacité des
antidépresseurs montrent un taux de
réponse de 50 à 60 %, mais des taux de
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rémission de seulement 20 à 30 %. C’est
avec la venlafaxine (Effexor®) que le plus
fort taux de rémission aurait été enregistré.
L’antidépresseur idéal serait celui qui permettrait d’obtenir la rémission la plus importante.
D’autres études concernant l’EDM précisent
que 30 à 50 % des patients rechuteront durant
une période de 4 à 6 mois suivant le traitement médicamenteux.
La durée de la chimiothérapie intervient : les
patients ne prenant pas le traitement pendant
un temps suffisamment long présentent un
risque élevé de rechute. Environ 75 à 80 %
des sujets non compliants dans la durée souffriront d’une dépression récurrente.
Le taux de rechute peut être réduit par un
traitement prolongé, d’une durée de 3 à
5 ans, avec, par exemple, l’imipramine
(Tofranil®).
La prescription d’inhibiteurs sélectifs de la
recapture de la sérotonine (SSRis), la nefazodone et la mirtazapine, permettrait d’obtenir un taux de rechute inférieur à celui existant suite à la prise d’un placebo.
Selon Kupfer, un traitement de la phase
aiguë d’un premier épisode dépressif chez
un patient doit se prolonger au minimum
4 à 5 mois après la rémission des symptômes. Lors d’une récurrence, la chimiothérapie précédemment efficace sera prescrite à nouveau dès le retour évident des
symptômes, à posologie suffisante et durant
4 à 5 mois. Parfois, devant certaines dépressions récurrentes, une durée de traitement
de 3 ans sera nécessaire.
Un antidépresseur inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline,
tel que la venlafaxine, serait bien toléré et
efficace lors des traitements de longue
durée.
Nous n’insisterons pas sur l’importance
d’une prise en charge psychothérapique
chez ces patients. Selon leur possibilité
d’élaboration et leur demande d’aide, elle
est analytique ou éventuellement à orientation analytique, voire même de soutien.
Chez les sujets hospitalisés, une prise en
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charge institutionnelle constitue un soutien
supplémentaire permettant une diminution
de la souffrance psychique.
Certaines études ont montré l’intérêt de traitements cognitivo-comportementaux des
symptômes résiduels au décours d’un EDM,
mais seulement dans les quatre premières
années. Ces prises en charge améliorent
l’évolution à long terme de l’EDM, en
termes de nombres totaux d’épisodes.
Conclusion
Il semble essentiel de préciser l’importance
du concept de rémission au décours d’un
EDM. Il doit être considéré avec attention,
car il a un retentissement sur les plans clinique, diagnostique, évolutif, pronostique et
dans la prise en charge de la souffrance psychique du patient.
Certains patients, malgré la prise d’un traitement antidépresseur, présentent des symptômes résiduels à l’origine de détresse psychique. Ces troubles peuvent correspondre
aux critères d’une dépression mineure. Par
ailleurs, ces sujets ont un plus grand risque
de rechute ou de récurrence après traitement
antidépresseur que les patients asymptomatiques après chimiothérapie.
Il est important d’insister sur l’intérêt de proposer un suivi prolongé, y compris d’instaurer une prévention, afin d’améliorer le pronostic de la dépression et par conséquent la
qualité de vie des patients souffrant d’EDM.
En recherche clinique et thérapeutique, la
prise en compte de cette évolution potentielle
est importante. Le groupe des patients souffrant d’EDM doit être intégré, d’une part, dans
des études cliniques longitudinales et, d’autre
part, dans des protocoles d’essai thérapeutique de nouvelles molécules.
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