* Policlinique de médecine interne, hôpital Saint-Louis, Paris.
Améliorer le contrôle glycémique du diabétique :
une nouvelle approche !
J.P. Sauvanet*
L
e diabète représente une des principales causes de
morbidité et de mortalité dans tous les pays. Il touche
actuellement 5,1 % de la population mondiale, soit
194 millions de personnes, dont 85 à 95 % sont des dia-
bétiques de type 2 (DT2) [source : IDF-OMS 2003]. En
France métropolitaine, on estime qu’il y a actuellement
près de 2 millions de diabétiques traités par antidiabétiques
oraux (ADO) et/ou insuline, 200 000 à 300 000 traités par
régime seul, 300 000 connus mais non traités pour
diverses raisons (attentisme, refus ou abandon du traite-
ment, etc.), et entre 300 000 et 800 000 non diagnostiqués.
Plus de 90 % des diabétiques traités sont des DT2 (dont
170 000 à 190000 insulinotraités), les diabétiques de type 1
(DT1) insulinodépendants étant environ 170 000 à 180000.
Le DT2 touche 3,0 à 3,3 % de la population adulte fran-
çaise, actuellement en augmentation de 3,2 % par an, avec
une prévalence très accrue après 40 ans, et une incidence
supérieure à 10 % au-dessus de 60 ans [sources: CNAMTS
et ANAES]. Cette épidémie annoncée justifie le dévelop-
pement de nouvelles approches thérapeutiques, permet-
tant d’obtenir un contrôle glycémique optimal dans les
conditions de la pratique clinique journalière. En effet, le
bénéfice à long terme d’un contrôle optimal a été large-
ment démontré par d’importantes études d’intervention à
long terme, telles que l’étude DCCT (1) et son suivi
EDIC (2) chez des DT1 en Amérique du Nord ou l’étude
UKPDS chez des DT2 en Grande-Bretagne (3). Ce
contrôle optimal s’avère en fait rarement atteint en pra-
tique, hormis chez un nombre relativement réduit de
patients, généralement moins d’un tiers d’entre eux, ainsi
que le démontrent nombre d’enquêtes ou d’observatoires
(4-5). De plus, le contrôle glycémique se dégrade pro-
gressivement avec l’âge et la durée d’évolution du dia-
bète. Parmi les raisons qui expliquent cet échec fréquent
de la recherche et/ou de l’obtention d’un strict contrôle
glycémique, on retrouve une initiation beaucoup trop tar-
dive de l’insulinothérapie, favorisée par les réticences,
tant des médecins que des patients, vis-à-vis des
contraintes imposées par une insulinothérapie intensive
par multi-injections journalières et face au risque d’hy-
poglycémie. L’insuline inhalée, administrée par voie pul-
monaire sous forme d’aérosol, représente donc une nou-
velle approche, très attractive, pouvant permettre une
initiation plus précoce de l’insulinothérapie et une
meilleure prise en charge du diabète.
Tous ces points ont été abordés dans un symposium inti-
tulé “Faciliter l’obtention d’un strict contrôle glycé-
mique”, organisé conjointement par les laboratoires Pfi-
zer et Aventis dans le cadre de la 40eréunion annuelle de
l’Association européenne pour l’étude du diabète (EASD),
qui s’est tenue à Munich (Allemagne) en septembre 2004.
Pourquoi (et comment) améliorer
le contrôle glycémique ?
C’est la question posée en préambule par S. del Prato
(Pise, Italie), qui présidait ce symposium. Il a rappelé les
résultats des études DCCT/EDIC (1, 2) et UKPDS (3).
Cette démonstration de l’effet bénéfique d’un strict contrôle
glycémique a conduit aux recommandations pour la prise
en charge et le suivi des patients diabétiques, en particu-
lier les patients DT2, en vigueur actuellement, telles
celles de l’ADA (6) ou, en France, celles de l’ANAES (7)
et de l’AFSSAPS (8). En France, et plus généralement en
Europe, l’objectif glycémique recommandé est l’obtention
d’un taux d’hémoglobine glyquée HbA1c inférieur ou égal
à6,5 %. Si chez les DT1 l’insuline est le traitement obli-
gatoire, chez les DT2 l’insuline est très souvent nécessaire
pour l’obtention d’un tel contrôle glycémique. Bien que
cette nécessité soit admise par les médecins, et souvent
bien comprise par les patients, son instauration demeure
une source d’appréhension et d’anxiété, ce qui en retarde,
parfois considérablement, la mise en œuvre justifiée. Il
est donc permis de penser qu’une modalité d’adminis-
tration plus aisée, moins “traumatisante”, pourrait per-
mettre d’obtenir plus tôt, et de maintenir plus longtemps,
un contrôle glycémique optimal chez un plus grand
nombre de patients (9).
La voie pulmonaire :
une approche innovante !
J.S. Patton (San Carlos, États-Unis) a décrit les nombreux
avantages de la voie pulmonaire, qui ont conduit la société
Nektar Therapeutics (dont il est l’un des fondateurs) à
développer l’insuline administrée par voie pulmonaire :
possibilité d’utiliser des aérosols, large surface d’absorp-
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tion (100 m2) et perméabilité élevée permettant une
absorption rapide à travers les membranes alvéolaires,
peu de protéases susceptibles de dégrader l’insuline,
absence de passage hépatique, le tout contribuant à une
bonne biodisponibilité. Il a présenté les concepts de base
nécessaires au développement d’une insuline inhalée par
voie pulmonaire : caractéristiques des particules pour une
administration en aérosol (taille, forme, densité, hygro-
scopie, stabilité, etc.), conditions liées aux patients et
déterminant la vitesse et le débit d’inhalation (débit ins-
piratoire, durée de l’inspiration, volume pulmonaire rési-
duel). En pratique, tous ces facteurs nécessitent la déli-
vrance de particules de très petite taille (1 à 3 m), de
préférence sous forme de poudre sèche, plutôt que sous
forme liquide, ce qui permet une plus grande masse par
dose et une bonne stabilité, minimise le risque de proli-
fération bactérienne et évite la réfrigération nécessaire
avec une forme liquide d’insuline. L’utilisation d’un
inhalateur fonctionnant indépendamment des variations
du débit inspiratoire des patients, permettant de délivrer
au long terme les doses exactes (et reproductibles) néces-
saires, est également une contrainte technique. Le sys-
tème développé par Nektar Therapeutics en collaboration
avec Pfizer et Aventis est donc composé d’une insuline
sous forme de poudre sèche, présentée en blister s’insé-
rant dans un inhalateur buccal. L’inhalateur comporte une
chambre transparente permettant au patient de visualiser
l’aérosol d’insuline formé lors de la compression du sys-
tème et chassé dans les poumons. Chaque blister de 1 mg
ou 3 mg correspond respectivement à environ 3 UI et
9UI d’insuline par voie sous-cutanée (s.c.). Un à deux
blisters sont généralement suffisants pour chaque adminis-
tration. Un tel système, bien toléré et d’une efficacité compa-
rable à celle des injections s.c. (10, 11), pourrait donc per-
mettre une meilleure acceptabilité et une meilleure
adhésion à l’insulinothérapie, favorisant ainsi son instau-
ration plus précoce et un meilleur contrôle glycémique.
L’insuline inhalée :
quelle efficacité clinique ?
W. Scherbaum (Düsseldorf,Allemagne) a rappelé que les
études pharmacocinétiques préliminaires avaient confirmé
l’absorption rapide de l’insuline inhalée par voie pulmo-
naire, qui lui confère un profil d’action comparable à
celui d’une insuline d’action rapide par voie s.c. (12, 13),
permettant donc d’envisager son utilisation tant en pré-
prandial que pour contrôler les hyperglycémies postpran-
diales. Il a présenté et discuté les résultats des études cli-
niques conduites à ce jour chez plus de 3000 patients DT1
ou DT2, plus particulièrement les études comparatives d’une
durée de 6 mois, versus insuline s.c. Chez les patients DT1,
l’effet observé sur le taux d’HbA1c est comparable pour
ces deux traitements (14, 15) ; il en est de même chez les
patients DT2, avec une diminution du taux moyen d’HbA1c
de 0,7 % pour l’insuline inhalée et de 0,6 % et pour l’in-
suline s.c. (16). Des études ont également été conduites
chez des patients DT2 insuffisamment contrôlés par les
ADO : chez les patients traités par insuline inhalée seule
ou associée aux ADO antérieurs, l’amélioration de l’HbA1c
était supérieure à celle obtenue avec les seuls ADO (17-
19). Enfin, les extensions (jusqu’à 4 ans) de ces études
ont montré que l’insuline inhalée permettait de maintenir
le contrôle glycémique à long terme, tant chez les patients
DT1 que chez les patients DT2 (20).
L’insuline inhalée : quelle sécurité d’emploi ?
La principale question que l’on peut se poser concerne
bien entendu les effets de l’insuline inhalée au niveau des
poumons et les effets potentiels de son administration
chronique sur les tissus pulmonaires. Ainsi que l’a expli-
qué J. Brain (Boston, États-Unis), l’insuline est une hor-
mone endogène distribuée sur une vaste surface épithé-
liale (> 100 m2) et rapidement absorbée, même si les
concentrations inhalées sont légèrement supérieures à
celles d’une administration s.c. (21). La quantité d’insu-
line non absorbée, estimée à 10 mg/j en moyenne (de 1 à
20 mg/j selon les sujets), est vraisemblablement métabo-
lisée et éliminée par les mécanismes de défense pulmo-
naires, dont l’efficacité est bien établie dans les condi-
tions de la vie courante (telle l’élimination des poussières)
(22). Il n’y a d’ailleurs aucune évidence d’une accumula-
tion de l’insuline au niveau pulmonaire.
Les essais cliniques ont comporté de nombreuses éva-
luations destinées à étudier la sécurité d’emploi de l’insu-
line par voie pulmonaire. En particulier, le volume expi-
ratoire maximal en une seconde (VEMS) et la capacité de
diffusion pour le monoxyde de carbone (DLCO) ont tou-
jours été des critères principaux pour les évaluations des
éventuelles modifications de la fonction pulmonaire. De
même, il n’existe aucune donnée qui pourrait indiquer
une facilitation de la progression de cancer ou de fibrose
pulmonaire non diagnostiqués. Les études cliniques de
longue durée (jusqu’à 4 ans) (15, 18, 23-26) indiquent que
les quelques modifications des fonctions pulmonaires
observées lors des études contrôlées sont peu importantes,
non progressives, et qu’elles disparaissent à l’arrêt du
traitement. Lors de l’analyse des données à 24 mois pour
le VEMS et la DLCO, les modifications observées pour
le VEMS par rapport à la valeur d’inclusion étaient légè-
rement plus importantes à la 24esemaine dans le groupe
insuline inhalée que dans le groupe du comparateur.
Cette différence n’augmentait pas lors des contrôles aux
semaines 36, 52 et 104 (18, 26). Pour la DLCO, les varia-
tions observées étaient faibles, compte tenu de la grande
variabilité de ce test (18, 26). Après arrêt des traitements
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Écho des congrès
à 2 ans, les tests d’exploration fonctionnelle respiratoire
réalisés 12 semaines après l’arrêt ne montraient pas de dif-
férence entre le groupe insuline inhalée et le groupe com-
parateur (26). Enfin, un certain nombre de patients DT1
ou DT2, insuffisamment contrôlés par ADO (n = 204), ont
été traités en ouvert par insuline inhalée après étude en
double aveugle à court terme (20). Quatre-vingt-neuf
d’entre eux ont ainsi été traités pendant au moins 4 ans, et
comparés à 23 diabétiques sous ADO ou sous insuline s.c.
suivis pendant 2 ans. Chez les patients traités pendant au
moins 4 ans par insuline inhalée, la baisse mesurée du
VEMS a été de 0,057 ± 0,004 l par an et celle de la DLCO
de 0,376±0,067 ml/mn/mmHg par an par comparaison, les
baisses observées à 2 ans chez les patients sous ADO ou
insuline s.c. étaient respectivement de 0,071±0,023 l par an
et de 0,673 ± 0,423 ml/mn/mmHg par an. Ces données,
bien que non contrôlées et portant sur de petites popula-
tions, suggèrent fortement que la fonction pulmonaire est
bien conservée sous insulinothérapie inhalée au long cours.
Il n’en demeure pas moins nécessaire de poursuivre les
investigations afin de mieux connaître les causes poten-
tielles des effets observés lors de certains tests de l’explo-
ration fonctionnelle pulmonaire, même s’ils apparaissent
modérés et sans traduction clinique. Les tomographies
computérisées à haute résolution n’ont pas montré d’ano-
malies structurales chez ces patients. Il faut également
signaler la grande méconnaissance actuelle de l’évolution
naturelle de la fonction pulmonaire chez le diabétique,
justifiant les nombreux travaux en cours dans ce domaine
(27, 28).
Les effets cliniques indésirables sont essentiellement
représentés par la toux, que ce soit chez les patients DT1
ou DT2. Celle-ci est généralement minime ou modérée,
diminue avec la durée du traitement et n’est pas associée
à une réduction de la fonction pulmonaire. Moins de 1 %
des patients arrêtent le traitement par insuline inhalée en
raison de cette toux. Les autres effets indésirables respi-
ratoires observés (incluant les infections respiratoires) ne
sont pas différents de ceux observés chez les patients
sous insuline s.c., à l’exception d’une dyspnée, d’inten-
sité généralement légère, et survenant moins fréquem-
ment que la toux (20, 26).
L’insuline inhalée : quel potentiel
pour la pratique clinique ?
Il est bien établi qu’il s’avère difficile, en pratique cli-
nique, d’obtenir un contrôle glycémique optimal au long
cours avec les ADO. L’initiation de l’insulinothérapie est
souvent trop tardive en raison des nombreuses barrières
psychologiques (“la résistance psychologique à l’insuline”),
tant de la part du médecin que du patient. Les raisons
avancées sont nombreuses : refus de l’insuline et mauvaise
compliance du patient, crainte des hypoglycémies, peur des
injections et de la piqûre, douleurs et contraintes liées à
l’autosurveillance glycémique pluriquotidienne, com-
plexité des schémas insuliniques, etc. (29-31). Cette situa-
tion est encore exacerbée chez certains patients DT2,
chez lesquels s’associent une compliance insuffisante
aux traitements (en raison du nombre élevé de compri-
més ou autres traitements oraux) et une tentation de retar-
der le plus possible le moment de l’insulinothérapie.
Chez de nombreux patients, une insulinothérapie simple
à administrer et ne nécessitant pas d’injection pourrait
donc être bien acceptée, permettant un passage à l’insu-
line plus précoce, et, ce faisant, un meilleur contrôle du
diabète et une meilleure prévention des complications :
patients DT2, patients ayant la phobie des piqûres ou des
injections, patients anxieux, etc.
Jusqu’à maintenant, le choix de la voie d’administration
ne se posait pas. Il était donc important d’évaluer l’accepta-
tion par le patient de cette nouvelle voie. Une étude réali-
sée chez 60 patients ayant reçu l’insuline inhalée pendant
12 semaines apporte des informations : à la fin de l’étude,
85 % ont choisi de poursuivre ce traitement pour une
extension à un an, et seuls 8 patients (13,3 %) ont choisi
de retourner à l’insuline s.c.; dans le groupe des 61 patients
initialement randomisés à l’insuline s.c., 75,4 % (n = 46)
ont choisi l’insuline inhalée pour poursuivre le traitement
dans l’extension à un an, alors que 13 patients (21,3 %)
seulement ont préféré conserver leur insuline s.c. (32).
Une autre étude, réalisée chez 779 patients DT2 insuffi-
samment contrôlés par le régime et/ou les ADO, avait
pour but de déterminer si la disponibilité d’une insuline
inhalée modifiait leur perception et leur comportement
vis-à-vis de l’insuline (33). Ils ont été randomisés en
deux groupes recevant soit une information sur les choix
thérapeutiques habituels (ADO et/ou insuline s.c.), soit
une information sur les choix habituels et sur l’insuline
inhalée. Il leur a ensuite été demandé de faire le choix
théorique de leur futur traitement du diabète. Dans le
groupe ayant reçu l’information sur l’insuline inhalée, la
proportion de patients choisissant l’insuline (43,2 %) était
3fois supérieure à celle du groupe informé sur les seuls
traitements actuellement disponibles (15,5 %, p <0,0001).
Ces différents exemples indiquent bien que l’insuline
inhalée par voie pulmonaire paraît être bien acceptée par
les patients diabétiques. Sa disponibilité en tant que traite-
ment du diabète pourrait certainement accroître l’acceptabi-
lité de l’insulinothérapie et faciliter sa mise en œuvre plus
précoce, en particulier chez les patients DT2, en associa-
tion avec les ADO ou en remplacement de ceux-ci.
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